L'histoire a retenu
le 9 janvier comme point de départ de la révolution de 1905,
jour où " le prolétariat se mit en marche pour
la première fois sous un étendard qui lui appartenait en propre,
vers un but qui était bien à lui " (Trotsky).
Les récits de cette journée mettent souvent en avant l'arriération
de ses acteurs, les masses ouvrières de Pétersbourg et leurs
familles, endimanchées et sans armes, en procession pacifique vers
le Palais d'Hiver, derrière le pope Gapone, avec icônes et oriflammes,
apportant à leur souverain une supplique, pétition qui dépeignait
toutes les persécutions et l'exploitation qu'ils subissaient. Du froid
et des courants d'air qui traversaient les fabriques, à l'état
de misère et de servitude qui sévissait dans les campagnes,
la pétition exprimait tout de la condition des masses opprimées
et leur exaspération.
Des milliers d'ouvriers avaient quitté leurs usines, leurs quartiers,
" prêts à mourir " plutôt que
de supporter plus longtemps leur condition, et convergeaient vers le palais.
Le tsar répondit à ses sujets en dressant la troupe devant eux.
La brutalité policière finit en bain de sang, laissant sur le
pavé des centaines de morts et des milliers de blessés.
Le Dimanche rouge fut le point de départ du mouvement révolutionnaire
qui se développa tout au long de l'année 1905.
Si les masses ouvrières, encore crédules, se retrouvèrent
derrière le pope Gapone, porté par les circonstances à
leur tête, ce Dimanche rouge avait une signification plus profonde qui
n'échappa pas au régime : au-delà du cortège
symbolique qui demandait " justice et protection "
à son monarque, il y avait le prolétariat, en lutte pour ses
droits.
Depuis le 3 janvier, des milliers d'ouvriers étaient en grève
à l'usine Poutilov. La grève s'était étendue en
plusieurs jours, gagnant tous les secteurs de l'industrie, du commerce et
des transports jusqu'au 10 janvier où elle avait atteint sa pleine
puissance. La pétition décrivait la situation des masses ouvrières
opprimées, mais en même temps, elle exprimait leur exaspération
et leur réveil. Elle exprimait la force du prolétariat qui entrait
en lutte, demandait une assemblée constituante élue au suffrage
universel et posait ses revendications de classe en exigeant le droit de grève
et la journée de huit heures.
L'impuissance de la bourgeoisie libérale
Les journées
révolutionnaires de janvier furent le prolongement d'une longue période
d'agitation croissante contre l'autocratie tsariste, qui commença en
1903 dans la débâcle militaire de la guerre russo-japonaise et
la banqueroute financière du régime. Les ministres se succédaient,
emportés par leur impuissance à calmer la révolte des
masses qui culmina lors de l'embrasement paysan dans le Midi et les journées
de juillet 1903 dans tout le Midi industriel.
La bourgeoisie libérale, profitant de la démoralisation et de
l'affaiblissement du régime, redoubla d'activité durant toute
l'année 1904. Avec les moyens d'une classe jeune, encore faible et
peu nombreuse, humiliée, dépendante, cherchant à faire
pression sur le régime par la voie légale, les sages remontrances
de sa presse, réclamant " loyalement " un
régime constitutionnel, à travers une vaste campagne de banquets,
motions, protestations, pétitions
Le prince Sviatopolk-Mirsky fut appelé à constituer un gouvernement
qui annonça une ère nouvelle de rapprochement entre le pouvoir
et le peuple, un " printemps gouvernemental ", qui consentait à
manifester sa bienveillance tant que les revendications des libéraux
se contentaient de s'exprimer poliment dans la presse et les banquets, et
de n'avoir que l'audace d'en appeler au sens politique du prince.
Mais dès lors que la Constitution fut revendiquée dans la rue,
à Pétersbourg et Moscou lors de puissantes manifestations d'ouvriers
et de petits-bourgeois radicaux, en novembre et décembre 1904, le prince
envoya les cosaques.
L'attitude du régime, affolé, oscillant entre de vagues promesses
de réforme et la nagaïka, le fouet des cosaques, ne faisait qu'aggraver
sa situation. Les concessions suscitaient de nouvelles exigences, la répression
féroce accompagnée de déclarations de confiance dans
le peuple travaillaient à faire tomber les illusions et renforçaient
la conscience politique des masses.
Tout cela aboutit à la manifestation du 9 janvier et à la vague
de grève qui l'accompagna.
Ce puissant mouvement
de grève et l'impact du Dimanche rouge qui avait porté le prolétariat
sur le devant de la scène provoquèrent une onde de choc d'un
bout à l'autre du pays. La comédie du " printemps "
libéral, du rapprochement entre le pouvoir et le peuple, était
finie.
Durant les mois qui suivirent, des milliers de grèves économiques
éclatèrent dans tout le pays, à travers lesquelles le
prolétariat prenait conscience de sa force, travaillait à son
unité, s'organisait. La grève toucha cent vingt-deux villes
et villages, plusieurs mines du Donetz, les compagnies de chemin de fer. Les
uns après les autres, les secteurs industriels, les entreprises, arrêtaient
le travail. Le mouvement gagnait les régions les plus reculées,
les masses les plus arriérées découvraient l'action.
" On a besoin de se rendre compte pour soi-même, pour le
prolétariat des autres régions et enfin, pour le peuple entier,
des forces que l'on a accumulées, de la solidarité de la classe,
de son ardeur à combattre ; on a besoin de faire une revue générale
de la révolution. ", écrivait Trotsky. La logique
de la lutte de classe faisait alors dire aux bolcheviks qu'" après
le 9 janvier, la révolution ne connaîtra plus d'arrêt ".
Elle était inscrite au cur des contradictions de la société russe. Les militants du parti social-démocrate qui préparaient depuis de longues années ce réveil du prolétariat se trouvèrent confrontés à de nouvelles tâches. Les ouvriers social-démocrates avaient joué un grand rôle dans les journées révolutionnaires de janvier. Leur organisation qui touchait plusieurs milliers d'ouvriers à Pétersbourg leur avait permis d'aider à l'organisation des masses et ils avaient gagné leur confiance en formulant, au cur même de ces masses, les mots d'ordre qui exprimaient leurs besoins, et qui devinrent les mots d'ordre de tous. Au sein du parti, mencheviks et bolcheviks se divisèrent sur les perspectives ouvertes par la situation révolutionnaire. Les bolcheviks se préparaient à organiser et diriger la révolution, à conduire les masses opprimées vers la prise du pouvoir. Ils pensaient que la classe ouvrière était la seule classe capable de renverser l'absolutisme et d'instaurer, en s'appuyant sur les masses paysannes pauvres, une dictature révolutionnaire démocratique qui accomplirait les réformes démocratiques que la classe bourgeoise était incapable d'accomplir elle-même. Les mencheviks hésitaient, reculaient devant la perspective de la prise du pouvoir. Les justifications de leur recul et leur suivisme vis-à-vis de la bourgeoisie libérale, étaient autant d'éléments de désorganisation du parti. Deux politiques divergentes s'affirmaient, se confrontaient.
Octobre :
le mouvement redémarre
La révolution
suivait son cours, entraînant, touchant des couches toujours plus larges
de la population.
Le 19 septembre, une simple grève d'ouvriers typographes à Moscou
qui revendiquaient une diminution des heures de travail, une augmentation
du salaire aux pièces avec la prise en compte des signes de ponctuation
,
déclencha une nouvelle vague de grèves qui, en quelques jours,
s'étendit aux autres grandes villes et se généralisa
avec l'entrée en grève successive de tous les secteurs industriels,
du commerce et celui, déterminant, des 700 000 cheminots et aboutit
à la paralysie totale du pays. Le télégraphe constitua
un des éléments décisifs de la propagation de la grève.
La grève ouvrière, par son ampleur, ses répercussions
sur l'économie, rallia à elle les autres couches sociales intéressées
au renversement de l'absolutisme, la bourgeoisie, la petite bourgeoisie, les
intellectuels, qui s'arrêtaient de professer, de juger, de plaider,
de soigner...
La grève générale s'installa. Ce n'était pas une
simple interruption du travail. De défensive, elle passa à l'offensive.
Les grévistes, au même moment dans les plus grandes villes du
pays cherchaient à s'armer, élevaient des barricades.
Le soviet
des députés, embryon du pouvoir ouvrier
Du développement
même de la grève, de ses besoins d'organisation, de coordination
et de direction naquit " la plus importante organisation ouvrière
que la Russie ait connue jusqu'à ce jour ", le conseil,
ou soviet en russe, des députés ouvriers, émanant de
la classe ouvrière révolutionnaire dans son ensemble.
Le mouvement s'organisa sur la base de la représentation des usines
et des secteurs ouvriers, appelés à élire leurs délégués
à un conseil central ouvrier. Une des organisations bolcheviques de
Pétersbourg en prit l'initiative. Aucune des organisations existantes
ne pouvait à elle seule représenter le cadre large et démocratique
dont la classe ouvrière dans son ensemble avait besoin pour développer
et organiser la lutte. Les partis révolutionnaires, - socialistes-révolutionnaires,
bolcheviks, mencheviks, pourtant capables de mobiliser plusieurs milliers
d'ouvriers à Pétersbourg - du fait de leurs structures
marquées par la clandestinité ne pouvaient à eux seuls
unifier par des liens vivants, dans une seule organisation, les milliers et
les milliers d'hommes et de femmes qui entraient dans la lutte.
Le premier conseil qui se réunit le 10 octobre, au plus fort de la
grève, ne réunissait encore qu'une quarantaine de délégués
d'usines, de délégués des partis révolutionnaires
et des syndicats. Il rencontra un écho considérable en appelant
à généraliser la grève et à élire
dans chaque secteur, chaque usine, qui entraient dans la grève ses
représentants au soviet. Le soviet des députés ouvriers
s'imposa rapidement comme la seule autorité à laquelle acceptaient
de se soumettre les masses ouvrières. Il devint pour les ouvriers de
Pétersbourg leur " gouvernement prolétarien ".
Trotsky, qui en était le président, écrit : " Les
conditions de la grève générale, en tant que méthode
prolétarienne de lutte, étaient les conditions mêmes qui
permirent au soviet des députés ouvriers de prendre une importance
illimitée ".
Représentatif des plus larges masses, issu de ces masses elles-mêmes,
le soviet amplifiait par ses appels, démultipliait, ce que la grève
imposait dans les faits : la liberté de réunion, d'association,
la liberté de la presse, le contrôle de l'approvisionnement,
de la production et des transports
Alors que le mouvement ouvrier révolutionnaire
affichait l'objectif politique de la convocation d'une constituante élue
au suffrage universel " dans le but d'instituer en Russie une
république démocratique ", il mettait en place,
dans les faits, son propre pouvoir, un embryon de pouvoir prolétarien,
dont la direction, organe législatif et exécutif, était
le soviet des députés ouvriers.
L'absolutisme, paralysé, recula devant la grève générale, et concéda une Constitution. Mais en même temps qu'il était contraint de lâcher d'une main une démocratisation du régime, il préparait ses troupes à la contre offensive, convoquait la réaction pour organiser la terreur noire et fomenter des pogroms contre les ouvriers.
La grève
générale politique, instrument de la lutte des travailleurs
Le recul de l'absolutisme
et l'annonce de la Constitution encouragèrent les masses, renforcèrent
leur énergie, légitimèrent leurs revendications. Le prolétariat
exigeait maintenant l'amnistie de tous les prisonniers, la dissolution de
la police, l'éloignement des troupes de la ville, la création
d'une milice populaire. La confrontation avec le pouvoir devenait inévitable.
Mais la conscience du prolétariat de Pétersbourg devançait
de beaucoup celle des masses ouvrières dans le reste du pays et des
masses paysannes sans lesquelles l'offensive révolutionnaire à
Pétersbourg et le renversement de l'absolutisme étaient voués
à l'échec. Conscient du rapport de force et des obstacles qu'il
restait encore à franchir, le soviet fit le choix de retenir les masses
ouvrières prêtes à l'affrontement et de reporter l'heure
de la confrontation " non pas au jour et à l'heure qu'a
choisis Trepov (le chef de la police), mais lorsque les circonstances se présenteront
d'une manière avantageuse pour le prolétariat organisé
et armé. " Dans les semaines qui suivirent, le mouvement
révolutionnaire se concentra sur son organisation et son élargissement
à de toujours plus larges masses.
La réaction orchestra alors une vague de pogroms dans plusieurs villes,
contre les ouvriers, et dans les campagnes, qui, à l'inverse de la
terreur escomptée, encourageaient à la lutte et à l'organisation.
La grève générale d'octobre fit la démonstration que la révolution pouvait au même moment soulever toutes les villes de la Russie, et que le prolétariat en était le moteur, le seul qui pouvait conduire les masses au renversement de l'absolutisme tsariste.
La grève
politique de masse avait mit les adversaires face à face, mais n'avait
pas accompli de " coup d'Etat ". Contrairement aux libéraux
qui se réjouissaient qu'elle ait " radicalement transformé
le régime gouvernemental de la Russie ", il n'en était
rien. La réalité du " régime constitutionnel "
résidait dans la même bureaucratie, la même police et la
même armée
Le régime n'avait même pas cru
bon de mettre en place un parlement.
Le manifeste de la Constitution, loin d'apaiser la situation, ne fit qu'exacerber
et clarifier la lutte de classe. La bourgeoisie capitaliste, faible et dépendante,
qui avait d'abord soutenu le mouvement des masses ouvrières, pensant
qu'une réforme politique radicale serait favorable à l'essor
de l'industrie, affranchie des entraves féodales, se retourna contre
la révolution qui l'entraînait vers l'affrontement avec le régime,
et qui, en affirmant ses droits et en luttant pour ses conditions d'existence,
se dressait contre elle. La petite bourgeoisie radicale qui était en
train de se constituer en parti, le parti cadet (des constitutionnels-démocrates)
hésitait, impuissante, ne faisant confiance ni au gouvernement ni,
encore moins, à la révolution.
La grève
politique n'avait pas à elle seule arraché le pouvoir à
ceux qui le détenaient. Pour prendre le pouvoir, elle restait insuffisante.
Les leçons qui en furent tirées allaient conditionner la suite :
la révolution avait besoin de gagner à elle les soldats, de
s'armer elle-même, de gagner l'appui des masses paysannes.
La grève de novembre : le mouvement gagne la campagne et l'armée
Le mouvement
continuait à gagner en profondeur, se renforçait en s'élargissant,
en gagnant de nouvelles couches de la société.
L'effervescence révolutionnaire gagnait aussi l'armée, des soldats
aux officiers. Des meetings grandioses étaient organisés dans
lesquels soldats d'infanterie, matelots, prenaient la parole. Les casernes
s'ouvraient aux représentants ouvriers et aux agitateurs politiques.
Une mutinerie militaire à Cronstadt, à la fin du mois d'octobre,
suivie d'une sévère répression, fournit au prolétariat
de Pétersbourg l'occasion de manifester sa solidarité avec les
soldats traînés en cours martiale. Le soviet appela à
la grève générale politique de solidarité. La
grève, puissante, se prolongea durant cinq jours et gagna au prolétariat
la sympathie de bataillons entiers de soldats.
Cette nouvelle puissante démonstration de force du prolétariat
qui s'arrêta en bon ordre au cinquième jour fut relayée
par un formidable mouvement dans les usines pour la journée de 8 heures.
La classe ouvrière, consciente de sa force, imposait maintenant ses
conditions au capital. Le soviet relaya la revendication de la journée
de 8 h qui s'imposait à tous en appelant les ouvriers à l'établir
de leur propre chef en quittant l'usine les 8 heures effectuées.
A partir de novembre, le mouvement gagnait à son tour la campagne :
soulèvements paysans, confiscation des terres, expulsion des propriétaires,
mainmise sur les stocks, le bétail, grèves et boycottages, refus
de payer l'impôt
Le mouvement touchait les masses paysannes de
tout le pays. Travaillée par les militants des partis et l'agitation
des zemstvos libéraux, la révolte s'organisait, elle déboucha
sur l'organisation de deux congrès de l'Union paysanne.
L'effervescence continuait de s'étendre chez les soldats : la
révolte militaire de Sébastopol à la mi-novembre, se
tourna vers l'unité d'action avec les ouvriers.
Décembre
: la lutte pour le pouvoir
La question se
posait alors concrètement de mener la bataille décisive pour
le renversement du régime. Les tâches et l'objectif étaient
clairement et publiquement définis par le soviet : renforcer l'organisation
du prolétariat, passer à l'organisation militaire des ouvriers,
à leur armement.
L'arrestation du président du soviet de Pétersbourg, provocation
gouvernementale, décida du moment de la confrontation. " Il
devint clair qu'il n'y avait plus de retraite possible, ni du côté
de la réaction, ni de l'autre, que la rencontre décisive était
inévitable, et que ce n'était plus une question de mois ou de
semaines, mais bien une question de jours. " (Trotsky)
Des deux côtés,
on se préparait. L'autocratie tsariste à laquelle se rallièrent
les derniers pans de l'opposition libérale, étendit la loi martiale.
La révolution manquait de temps. Pourtant, elle continuait à
gagner du terrain. Tous ceux qui, par la suite, parmi les conseilleurs du
marxisme expliquèrent qu' " il fallait éviter la
lutte " ne firent que révéler leur incompréhension
de la lutte des classes. On n'arrête pas la révolution. Dans
le cours de la lutte, par deux fois, le soviet de Pétersbourg avait
retenu les masses ouvrières et reporté le moment de l'affrontement
décisif avec le pouvoir. Le mouvement avait besoin de gagner à
lui et d'entraîner de nouvelles forces. En expliquant clairement le
rapport de force, les intentions de l'adversaire, il avait défini les
tâches qui restaient à accomplir pour créer les conditions
de la victoire. Elles étaient maintenant mûres. Le véritable
rapport de force ne pouvait plus se vérifier qu'à travers la
confrontation des forces en présence.
Lorsque le gouvernement fit arrêter le soviet des députés,
les ouvriers de Pétersbourg y répondirent par la grève.
A Pétersbourg, à Moscou et dans plusieurs autres grandes villes
du pays, les travailleurs lancèrent l'offensive. Les combattants des
organisations révolutionnaires et des secteurs ouvriers les plus conscients,
organisés militairement, désarmaient les policiers, tentaient
de rallier à eux les bataillons armés. L'entrée en action
des régiments de la garde, dressés contre l'insurrection, déclencha
la bataille militaire de rue.
Trois années plus tard, Trotsky définissait ainsi quelle avait
été la mission du prolétariat de Pétersbourg :
" En face d'une innombrable garnison dont le noyau était
formé par les régiments de la garde, les ouvriers de Pétersbourg
ne pouvaient prendre sur eux l'initiative de l'insurrection révolutionnaire ;
leur mission - comme l'avait montré la grève d'octobre -
était de porter le dernier coup à l'absolutisme lorsque celui-ci
serait suffisamment ébranlé par le soulèvement du reste
du pays. Seule, une victoire importante en province pouvait donner à
Pétersbourg la possibilité psychologique d'une action décisive. "
Le soulèvement et la victoire attendue de la province ne vint pas.
A l'issue de plusieurs jours de combat insurrectionnel sur les barricades
à Pétersbourg et Moscou, " reconnaissant qu'il
n'y avait plus d'espoir, le soviet et le parti décidèrent de
cesser la grève le 19 décembre ".
Révolution et contre-révolution en Russie
Le 18 décembre,
la révolution s'acheva dans le sang. On dénombra plus de mille
morts dans la capitale, près de quinze mille dans l'ensemble du pays.
En quelques semaines, deux mille personnes furent arrêtées à
Moscou. La terreur anti-ouvrière gagna la Russie tout entière.
Le nombre total des incarcérés et déportés dépassait
50 000 au printemps 1906.
Le développement du mouvement ouvrier russe fut stoppé net.
Le nombre de participants aux grèves, par exemple, tomba de 2 000 000
en 1905 à quelques milliers en 1910.
Une période de profonde réaction débuta alors ;
elle s'étala jusqu'en 1911.
La répression engagée par Nicolas II et le gouvernement Stolypine
ne viendra pourtant jamais à bout du jeune mouvement ouvrier russe
qui se réorganisa sous la direction politique de Lénine et de
la fraction bolchevique. Le reflux poussa à la réunification
des sociaux-démocrates dès avril 1906. Les bases de la construction
d'un parti révolutionnaire implanté dans le prolétariat
des villes et des campagnes furent jetées. Ce serait l'uvre des
années à venir.
1905 a mis à l'épreuve et les hommes et leur programme. L'importance
décisive du parti dans le processus révolutionnaire comme le
besoin fondamental pour le prolétariat de se lier aux masses paysannes
apparaissent comme les enseignements essentiels de la Grande Révolution
aux côtés des soviets qui incarnent le pouvoir des travailleurs.
De ce point de vue, la défaite dont Lénine et Trotsky s'appliquent
à tirer immédiatement les leçons porte en elle la victoire
de 1917.
Catherine
Aulnay