1905, il y a cent ans…
La fondation de la SFIO :
" Un parti de lutte de classe "

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Mis en ligne le 29 avril 2005

En août 1904, le VIe congrès de la Deuxième Internationale impose l'unité aux deux grands courants du socialisme français. " Au début de ce congrès, plaide le Belge Émile Vandervelde, nous avons vu Plekhanov et Katayama se tendre la main. Jaurès et Guesde sont-ils plus fratricidement en guerre que le japon et la Russie ? Camarade Guesde, camarade Jaurès, je vous adjure, dans une pensée de paix socialiste internationale, de vous tendre la main. ".

La motion adoptée par le congrès de l'Internationale ne laisse pas le choix aux deux figures tutélaires du socialisme français : " tous les militants et toutes les fractions ou organisations qui se réclament du socialisme ont le plus impérieux devoir de travailler de toutes leurs forces à la réalisation de l'unité socialiste sur la base des principes établis par les congrès internationaux dans l'intérêt du prolétariat international vis à vis de qui ils sont responsables des conséquences funestes de la continuation de leurs divisions ".

Jean Jaurès et Jules Guesde s'inclinent. Dès leur retour d'Amsterdam, les négociations s'engagent entre le Parti socialiste français et le Parti socialiste de France ainsi qu'avec la myriade de structures locales et régionales composant le versant politique du mouvement ouvrier hexagonal. Une commission d'unification discute à partir de novembre 1904 une déclaration d'unité. L'accord est scellé le 13 janvier 1905. C'est dans la salle du Globe, boulevard de Strasbourg à Paris, que se rassemblent, du 23 au 26 avril 1905, les 286 délégués du Parti ouvrier socialiste révolutionnaire, du Parti socialiste de France, du Parti socialiste français, des fédérations autonomes des Bouches-du-Rhône, de Bretagne, de l'Hérault, de la Somme et de l'Yonne.

La Déclaration de principes ratifiée par les congressistes est l'acte de naissance du parti unifié, le Parti socialiste-Section française de l'Internationale ouvrière (SFIO) : " Le parti socialiste est un parti de classe qui a pour but de socialiser les moyens de production et d'échange, c'est-à-dire de transformer la société capitaliste en une société collectiviste ou communiste, et pour moyen l'organisation économique et politique du prolétariat. Par son but, par son idéal, par les moyens qu'il emploie, le parti socialiste, tout en poursuivant la réalisation des réformes immédiates revendiquées par la classe ouvrière, n'est pas un parti de réforme, mais un parti de lutte de classe et de révolution. ".

Huit mois suffisent pour surmonter les divisions qui minent le mouvement français depuis la défaite de la Commune de Paris et sur lesquelles butaient toutes les tentatives d'unification depuis plus de trente ans. Le débat sur réforme et révolution n'est pas tranché pour autant. La profession de foi révolutionnaire de 1905 n'annule pas les désaccords passés, notamment sur le pouvoir ouvrier et sa conquête. De nombreuses ambiguïtés demeurent. C'est ce qu'atteste la conversion rapide du parti à la vision réformiste qui gagne la IIe Internationale et aboutira au désastre de 1914.

La création de la SFIO n'en marque pas moins une étape cruciale dans la construction d'un parti ouvrier, d' " un parti de classe " revendiquant son indépendance de la bourgeoisie. Le " court XXe siècle " dominé par les réformistes, sociaux-démocrates ou staliniens, ferait presque oublier que le mouvement ouvrier s'est constitué sur des bases révolutionnaires. Au moment où l'effondrement du stalinisme pose la question d'une nouvelle expression de la classe ouvrière, il n'est pas inutile de revenir sur l'exemple de 1905 pour construire une alternative socialiste et communiste, démocratique et révolutionnaire.

 

Le poids de l'écrasement de la Commune de Paris dans l'émiettement des forces

L'écrasement de la Commune de Paris en mai 1871 par les troupes versaillaises brise net l'élan du mouvement ouvrier qui se rassemble et se renforce continûment depuis la création de l'Association Internationale des travailleurs en 1864. La bourgeoisie ne pardonna pas à la classe ouvrière d'avoir osé contester sa domination, et d'avoir postulé pour elle-même à la direction de la société. Elle le lui fit payer par le massacre de la semaine sanglante.

La violente répression qui s'abat contre la classe ouvrière n'anéantit pas le mouvement socialiste, mais elle décime son aile marchante. 30 000 victimes sont à déplorer. À cette élimination physique des artisans de la Commune de Paris s'ajoute la déportation ou l'exil de nombreux militants. Il faut attendre octobre 1876 à Paris, puis janvier-février 1878 à Lyon, pour que se tiennent les deux premiers congrès ouvriers auxquels participent des délégués des chambres syndicales ou d'associations ouvrières. C'est lors de la troisième réunion en octobre 1879 à Marseille qu'un parti voit le jour, la Fédération du Parti des travailleurs socialistes de France animée par Jules Guesde. Les grèves ouvrières qui éclatent dans toutes les régions industrielles et en particulier dans les mines régénèrent le mouvement ouvrier, replaçant la lutte de classe et les représentants des intérêts du prolétariat au centre du jeu.

Cette première tentative de fédérer le mouvement socialiste renaissant se heurte dès 1880 aux effets désagrégateurs à long terme de l'échec de 1871 non seulement sur le plan organisationnel mais également sur le terrain politique. L'expérience tragique de la Commune de Paris a amené Karl Marx à préciser ses conceptions sur l'État et la dictature du prolétariat -ce sont ces dernières que Lénine synthétisera en 1917 dans L'État et la révolution. Parallèlement au développement d'un programme révolutionnaire se dessine une autre voie qu'incarne Jean Jaurès : au nom de la consolidation de la République contre le danger de restauration monarchique, l'option parlementaire l'emporte sur la lutte insurrectionnelle. Un autre chemin s'affirme, représenté par Jean Allemane, un typographe déporté en Nouvelle-Calédonie après l'écrasement de la Commune de Paris : au nom cette fois de la satisfaction des revendications immédiates des travailleurs, la lutte syndicale écarte le combat global contre la société de classe.

Moins d'un an après le congrès de Marseille, l'unité se défait. Au Havre, ce sont deux congrès qui se tiennent. Se regroupent salle de l'Union lyrique des "mutualistes", des modérés. Le gros des forces se retrouve salle Franklin rue de Fécamp : ce " Congrès national socialiste ouvrier " adopte un programme rédigé à Londres par Karl Marx, Friedrich Engels et Jules Guesde. En 1881, le courant blanquiste d'Édouard Vaillant fonde le Comité révolutionnaire central - il se transforme en Parti socialiste révolutionnaire en 1898.

À Saint-Étienne en septembre 1882, ce sont les 23 délégués guesdistes mis en minorité par les partisans du docteur Paul Brousse qui scissionnent. Les guesdistes fondent à Roanne le Parti ouvrier - il prend le nom ensuite de Parti ouvrier français. Jules Guesde, Paul Lafargue et leurs troupes défendent la perspective d'une prise du pouvoir par le prolétariat. Jules Guesde, de son vrai nom Jules Bazire, est gagné au marxisme lors de sa visite à Karl Marx, à Londres, en 1880.

Les "possibilistes" emmenés par Paul Brousse et Jules Joffrin se regroupent au sein du Parti ouvrier socialiste révolutionnaire - il se renomme Fédération des travailleurs socialistes de France à Paris en 1883. Le courant "broussiste" fait de la conquête des municipalités sa priorité. Il préconise l'arrivée au pouvoir par la voie légale. Les "possibilistes" maintiennent formellement l'objectif de la collectivisation des moyens de production et d'échange, mais insistent sur la nécessité d'" abandonner le tout à la fois qui généralement aboutit au rien du tout " - d'où leur nom.

La FTSF se scinde encore au congrès de Châtellerault en 1890 : Jean Allemane et ses partisans sont alors exclus. Ceux-ci lancent dans la foulée le Parti ouvrier socialiste révolutionnaire. L'aile gauche des allemanistes est animée par Jean Longuet, le petit-fils de Karl Marx. Opposé au parlementarisme qui gagne le mouvement socialiste, Jean Allemane mise sur la grève générale et privilégie l'intervention directe au sein de la classe ouvrière.

À ces grands courants qui se distinguent durablement s'ajoute celui des socialistes indépendants dans lequel se place les parlementaires Jean Jaurès, Aristide Briand, René Viviani ou Alexandre Millerand mais également d'anciens communards tels Jules Vallès, Benoît Malon ou Prosper-Olivier Lissagaray.

Le mouvement syndical a une trajectoire parallèle. C'est un des traits distinctif du mouvement ouvrier français aux conséquences considérables : à la différence de l'Allemagne ou de l'Angleterre la division entre champs politique et syndical est un élément constitutif du mouvement ouvrier français. Les premières chambres syndicales de métiers se créèrent à partir de 1867 dans les grandes villes, Paris, Marseille, Bordeaux. Le mouvement des syndicats de métier connut un important essor avec la reprise des luttes ouvrières dans les années 80, et structura les grands secteurs de l'économie : les transports, la presse et l'imprimerie, l'industrie métallurgique et chimique... Simultanément aux chambres syndicales, se développent les bourses du travail. Elles se donnaient comme objectif l'unité du mouvement ouvrier, ressentie par la classe ouvrière comme un besoin profond.

À partir de 1892, à la faveur du regain de combativité de la classe ouvrière, se développe la Fédération des Bourses du travail terrain d'activité de l'anarcho-syndicalisme. La naissance de la Confédération générale du travail en 1895 au Congrès de Limoges témoigne de son emprise. La jonction des Bourses du travail et des grandes fédérations nationales des métiers en 1902 porte ses fruits : en 1906, on compte 300 000 syndiqués en France. À la même époque, le mouvement socialiste enregistre 34 688 militants - on est loin du million d'adhérents revendiqué par la social-démocratie allemande au même moment.

Les années 1880 en témoignent : la bourgeoisie est confrontée à une succession de crises économiques et politiques sans qu'un parti ouvrier émerge, suffisamment fort et implanté, pour contrecarrer le projet de la petite bourgeoisie radicale de lier les intérêts ouvriers aux siens (scandales, affaire Dreyfus, etc.). Cette faiblesse explique le renforcement de la fraction réformiste au sein du mouvement ouvrier.

 

Le " ministérialisme " et la question de la rupture révolutionnaire : l'importance décisive de la délimitation réforme ou révolution

La première percée électorale du socialisme hexagonal date de 1893. Une cinquantaine de députés se réclamant du socialisme entrent alors à la Chambre parmi lesquels Jean Jaurès élu à Carmaux et Jules Guesde élu à Roubaix. Le bond est spectaculaire. Lors des élections de 1881, seul Clovis Hugues est élu sous étiquette socialiste dans le quartier de La-Belle-de-Mai à Marseille. En juin 1892, à la faveur d'une élection partielle, il est rejoint sur les bancs de l'Assemblée par Charles-Ferdinand Gambon, un ancien de 1848 et de la Commune de Paris, élu député de Cosne, dans la Nièvre. La première municipalité emportée par les socialistes est Commentry, une ville minière de l'Allier, en juin 1882.
Les conséquences sont considérables.

Le groupe parlementaire unitaire des élus socialistes - les cinq allemanistes n'en sont bientôt plus membres - est dominé par Jean Jaurès et Alexandre Millerand, député de la Seine et directeur du quotidien La Petite République. C'est ce dernier qui exprime le point de vue réformiste au banquet de Saint-Mandé le 30 mai 1896 auquel furent conviés les représentants des municipalités conquises lors des élections des 3 et 10 mai par les socialistes toutes tendances confondues (Lille, Roubaix, Denain, Dijon, Commentry, Roanne, Limoges, Firminy, Marseille, Toulon, Sète, Carmaux, etc.).

Devant Guesde, Brousse, Vaillant et Jaurès notamment -les allemanistes sont absents-, Millerand déclare que " nul socialiste n'a jamais rêvé en effet de transformer d'un coup de baguette magique le régime capitalisme " : " le socialisme consiste en la substitution nécessaire et progressive de la propriété sociale à la propriété capitaliste, affirme-t-il. Pour y parvenir, il faut écarter la violence et ne compter que sur le suffrage universel ".

Trois ans plus tard, le même Millerand devient ministre dans le gouvernement de Waldeck-Rousseau, avec l'approbation des "possibilistes" et de nombreux indépendants. Pour la première fois, se pose au mouvement ouvrier la question de la participation d'un socialiste à un gouvernement bourgeois. Jean Jaurès approuve l'entrée de Millerand dans le cabinet Waldeck-Rousseau, au nom de la " défense républicaine ". Vingt-cinq des élus socialistes à la Chambre votent en faveur du gouvernement Waldeck-Rousseau, sept s'abstenant. Ce gouvernement de " défense républicaine " investi le 26 juin 1899 comprend pourtant dans ses rangs, le général de Galliffet, " le fusilleur de la Commune " ! Millerand demeure Ministre du Commerce et de l'Industrie de 1899 à 1902. Il finit par rallier complètement la réaction.

Trotsky résume ainsi son opinion sur la politique de Jaurès : " Au fond, par ses conceptions, Jaurès était et restait un réformiste. Mais il possédait une étonnante faculté d'adaptation et en particulier d'adaptation aux tendances révolutionnaires du moment. C'est ce qu'il montra dans la suite à maintes reprises ". Il ajoute : " Le socialisme n'était pas pour lui l'expression théorique de la lutte de classe du prolétariat. Le prolétariat restait à ses yeux une force historique au service du droit, de la liberté et de l'humanité. ".

Jules Guesde condamna alors le ministérialisme comme une politique de compromission avec la bourgeoisie et défendit la lutte de classe comme le seul moyen pour la classe ouvrière de mener le combat pour son émancipation : " Le Parti socialiste, parti de classe, ne saurait être ou devenir, sous peine de suicide, un parti ministériel. Il n'a pas à partager le pouvoir avec la bourgeoisie dans les mains de laquelle l'État ne peut être qu'un instrument de conservation et d'oppression sociales. Sa mission est de lui arracher, pour en faire l'instrument de la libération et de la révolution sociales ".

Néanmoins, en 1896 au banquet de Saint-Mandé, les guesdistes approuvent le compromis tracé par Millerand : " Nous n'avons jamais critiqué en public le Credo de Saint-Mandé, expliquent-ils, parce que son élasticité et son vague pouvaient être utilisés pour attirer au socialisme une partie de l'élite de la bourgeoisie que n'avait pu entamer notre propagande très précise ". Significativement la participation de Millerand au pouvoir ne poussent nullement les guesdistes à remettre en cause le processus d'unification relancé en novembre 1898.

Pour beaucoup d'élus socialistes des deux tendances qui siègent au Parlement, dans les conseils municipaux, la révolution apparaît comme un objectif lointain. Leur activité quotidienne se limite aux réformes, à un programme minimum, sans lien avec le programme maximum, celui de la révolution.

Le ministérialisme occupe l'essentiel du congrès socialiste au gymnase Japy, du 2 au 8 décembre 1899. Les sept cents congressistes adoptent deux motions. La première note qu'il " y a des cas où la participation d'un socialiste au pouvoir bourgeois peut être favorablement examinée, soit lorsqu'une crise grave menace les libertés politiques, soit lorsque la propagande et l'action du Parti socialiste ont conduit à maturité une importante réforme ". Seule restriction : l'élu doit obtenir " l'assentiment formel du parti " et lui rendre compte de son action. À l'inverse, la seconde condamne toute participation à un gouvernement bourgeois !

Cette nouvelle tentative d'unification échoue en 1901 au congrès de Lyon avec le départ de Vaillant - Guesde rompt en 1900 au congrès salle Wagram à Paris. Le 3 septembre 1901, les guesdistes créent le Parti socialiste de France auquel se joignent les partisans de Vaillant. Le 24 mai 1902, indépendants, broussistes et allemanistes lancent le Parti socialiste français auquel adhère Millerand.

Au-delà de la cassure entre partisans de Guesde et Jaurès, un vaste mouvement de regroupement s'amorce. En 1905 l'unité se réalise enfin. Mais elle se réalise trop tardivement pour qu'elle puisse permettre au mouvement socialiste de réellement reprendre l'initiative, alors qu'il s'était compromis avec Millerand ou qu'il avait laissé échapper toutes les occasions de pouvoir conquérir une influence réelle sur la classe ouvrière. Aussi, lorsque la classe ouvrière, au début des années 1900, connut un nouvel essor, c'est surtout le mouvement syndicaliste qui étendit et approfondit son influence.

De grandes luttes ouvrières marquent cette période. La police assiège le bassin houiller du Pas-de-Calais que les mineurs occupent, des affrontements sanglants ont lieu entre les grévistes de Draveil et de Villeneuve Saint Georges et la troupe ; de grandes grèves éclatent chez les cheminots et les postiers. À Paris, 300 postiers sont lock-outés et remplacés. Les instituteurs entrent en lutte pour exiger le droit de se syndiquer ; dans le Languedoc, les vignerons se soulèvent contre l'effondrement des prix du vin.

Le Parti socialiste occupe un rôle secondaire dans le développement et la direction de ces luttes qui sont le plus souvent impulsées, dirigées par des militants qui se réclament des idées de l'anarcho-syndicalisme.

 

À un siècle de distance, l'actualité de la perspective d'un parti ouvrier de masse, démocratique et révolutionnaire


Le congrès du Globe en 1905 consacre la victoire des conceptions révolutionnaires de Guesde sur celles de Jaurès. La Déclaration de principes l'atteste. La SFIO " n'est pas un parti de réforme, mais un parti de lutte de classe et de révolution. ".

En quelques mois, le nouveau parti compte plus de 34 000 militants issus pour beaucoup des rangs ouvriers. L'influence militante et électorale de la SFIO croit jusqu'en 1914, soulignant les attentes qui s'expriment au sein de la classe ouvrière. Son groupe parlementaire passe de cinquante-deux élus en 1906 à cent trois en 1914. Le nombre de ses adhérents atteint les soixante-douze mille moins de dix ans après son congrès de fondation. L'expérience des premières années du XXe siècle confirme que la perspective d'un parti ouvrier, démocratique et révolutionnaire est crédible.

Elle rappelle également l'importance décisive d'un programme révolutionnaire, de l'assimilation de l'histoire du mouvement ouvrier, de ses avancées évidemment, mais surtout de ses échecs. La SFIO de 1905 qui refuse de voter " les crédits militaires, les crédits de conquête coloniale, les fonds secrets et l'ensemble du budget " se rallie à l'effort de guerre après l'assassinat de Jean Jaurès par Raoul Villain, le 31 juillet 1914. Mais quelques jours seulement après la mort de Jaurès, Jules Guesde entre comme ministre d'État dans le gouvernement de guerre. Le Parti socialiste et la CGT se rallient alors à la politique de l'impérialisme français, les uns comme ministres, les autres comme conseillers d'État.

Lénine tire immédiatement les conséquences de cette "trahison" qui emporte la social-démocratie européenne. Il proclame la nécessité d'une IIIe Internationale le jour même où il reconnaît que la IIe est morte. Sa brochure La faillite de la IIe Internationale développant l'idée qu'il défend sans relâche depuis août 1914 :
La crise créée par la grande guerre a arraché le voile, balayé les conventions, fait crever l'abcès mûri depuis longtemps, et a montré l'opportunisme dans son rôle véritable d'allié de la bourgeoisie. Il est nécessaire maintenant que celui-ci soit complètement détaché, sur le terrain de l'organisation, des partis ouvriers. L'époque impérialiste ne peut tolérer la coexistence, dans le même parti, des hommes d'avant-garde du prolétariat révolutionnaire et de l'aristocratie semi-petite-bourgeoise de la classe ouvrière, qui jouit de bribes des privilèges que confère à "sa" nation la situation de "grande puissance". La vieille théorie présentant l'opportunisme comme une "nuance légitime" au sein d'un parti unique, étranger aux "extrêmes", est aujourd'hui la pire mystification des ouvriers et la pire entrave du mouvement ouvrier. ".

La direction à la tête du Parti socialiste repousse les initiatives de Zimmerwald et de Kienthal où des militants européens hostiles à la guerre et aux unions sacrées s'organisent. C'est hors des rangs de la SFIO que se lèvent les militants qui à l'instar d'Alfred Rosmer ou Pierre Monatte assurent la continuité des combats engagés par la classe ouvrière pour s'affranchir de la bourgeoisie et ouvrir la perspective d'un monde débarrassé de toutes formes d'oppression et d'exploitation.

C'est seulement au printemps 1917 que le mouvement ouvrier français commence à sortir de l'anéantissement dans lequel l'avaient plongé les reniements du Parti socialiste et de la CGT, ralliés à leur bourgeoisie. À quelques milliers de kilomètres de là, en Russie, un espoir est en train de naître.

Il redonnera vie au projet dont la SFIO avait été porteuse. C'est ce même projet qu'aujourd'hui, à l'issue de décennies de contre-révolution stalinienne, le mouvement ouvrier commence à se réapproprier.

Serge Godard