L'Europe
de l'euro et de la BCE,
facteur de crises, arène des luttes pour une Europe des travailleurs
par Galia Trépère
L'arrivée,
le 1er janvier dernier, des pièces et billets en euro est un bouleversement
considérable.
L'euro existe de fait depuis le 1er janvier 1999, mais c'est seulement maintenant,
sous sa forme sonnante et trébuchante, qu'il entre dans la vie des 304
millions d'habitants des 12 pays de l'Euroland. Pour tronquée que soit
l'Europe qu'il représente, l'euro n'en est pas moins le symbole d'une
évolution qui rend caduques les frontières nationales. Ce fait
s'impose à tous et explique qu'il n'y ait pas eu grand monde parmi les
populations, pour pleurer la disparition des monnaies nationales, malgré
l'offensive contre les salariés dont s'est accompagnée la naissance
de la monnaie unique.
La discrétion des dirigeants européens, français en particulier,
sur le sens politique de l'événement, n'en a été
que plus révélateur. Et un Chirac n'a souligné " ce
moment historique " que pour vanter " l'ambition française
".
" Comment expliquer la timidité des dirigeants européens
à communiquer sur l'euro ? s'interroge l'éditorialiste d'Alternative
Economique, dans le numéro de décembre 2001. Sans doute par le
fait qu'ils en ont peut-être encore plus peur que nous. Parce qu'une monnaie
commune appelle, sinon un Etat commun, tout au moins une coordination plus active
des politiques nationales, des solidarités plus fortes entre pays. "
C'est que les bourgeoisies européennes se sont plus résignées
à l'euro qu'elles ne l'ont voulu. La monnaie unique ne procède
pas d'une volonté politique de construire l'Europe, et encore moins de
l'aspiration à la coopération entre les peuples.
Pour elles, et surtout leurs services financiers et commerciaux, l'euro est
une façon très prosaïque de diminuer ce que Marx appelait
" les faux frais " de la circulation du capital.
Ensuite, cette fuite en avant vers la monnaie unique leur a été
imposée par la transformation des rapports de forces économiques
qui sont à l'uvre depuis une vingtaine d'années. Le résultat
de l'offensive, à laquelle elles ont elles-mêmes participé
dans la foulée de l'impérialisme américain, contre les
salariés des pays riches et les peuples des pauvres, pour rétablir
le taux de profit à la suite de la récession du début des
années 1980. Les trusts et leur Etat ont imposé ouverture des
frontières aux capitaux, privatisations, déréglementation
et libéralisation de l'économie, soumise à un parasitisme
mondialisé de la finance.
L'euro est devenu pour ces bourgeoisies un instrument dans une guerre économique
mondiale dont l'enjeu est le pillage du travail des peuples. Il s'agit de renforcer
leurs trusts et leurs sociétés financières face à
leurs rivaux américains, de faciliter leurs restructurations, de les
rendre plus compétitifs, mieux à même d'exploiter le travail
de leurs salariés.
Nous voici maintenant à un tournant de cette offensive, qui clôt
le siècle passé et ouvre un nouveau cycle de crises et de révolutions.
Les contradictions de la domination bourgeoise et de l'impérialisme atteignent
un degré d'acuité qui les rend insupportables aux populations
dans le même temps que toutes les solutions réformistes ont fait
faillite. Elles ont abouti à la rupture dans son maillon le plus faible,
l'Argentine, ruinée tout autant par sa bourgeoisie que par la finance
internationale et le FMI.
L'euro pourrait bien être ce catalyseur qui, au travers de contradictions
insolubles pour la bourgeoisie, crée les conditions de nouveaux mouvements
révolutionnaires dans la vieille Europe. C'est de ce point de vue que
nous avons toute raison de saluer sa naissance comme un heureux évènement.
Tous les problèmes se posent, désormais, à l'échelle
européenne. Des millions de gens prennent conscience de cette évolution
et ressentent le besoin d'y apporter une réponse politique. Mais les
dirigeants de la bourgeoisie, eux, craignent les conséquences de l'unification
nécessaire de l'Europe. Tant parce qu'ils sont soucieux de privilèges
nationaux que parce que la construction étatique qu'ils envisagent n'aurait
pas de base populaire car elle viendrait en appui d'intérêts d'une
infime oligarchie financière, opposés à ceux de la grande
masse de la population. Ils savent qu'elle n'aurait aucune légitimité.
Cette construction bancale - incarnée par l'existence de cette monnaie
fille de 12 Etats - qu'est la construction européenne, est un puissant
facteur de crises politiques. C'est dans ce cadre instable que s'inscrivent,
dès maintenant, toutes les crises sociales engendrées par l'exacerbation
de la concurrence mondiale et ses conséquences, l'aggravation de l'exploitation
des salariés, la ruine des petits producteurs, la mise à l'encan
de tout ce qui reste encore des services publics.
Avec douze ou quinze gouvernements et Etats différents, les bourgeoisies
européennes auront d'autant plus de difficultés à venir
à bout des conflits sociaux. Ces crises sociales seront immanquablement
doublées de crises politiques qui rendront plus aiguë encore la
contradiction entre l'évolution économique qui rend pressant le
besoin d'une Europe unifiée, et les intérêts mesquins et
étroits des bourgeoisies européennes qui s'accrochent aux privilèges
que leur garantit leur Etat national.
Le problème de l'avenir de l'Europe s'était déjà
posé au mouvement ouvrier dans les années 30. Le mot d'ordre des
" Etats-Unis socialistes d'Europe " exprimait la seule perspective
politique pouvant empêcher une nouvelle guerre mondiale.
A l'époque c'était plus une proclamation et une affirmation d'internationalisme
qu'une perspective immédiate.
Aujourd'hui, les données ont changé : le développement
économique et l'histoire de ces trente dernières années
ont créé les conditions qui rendent possible la réalisation
de ce mot d'ordre.
Le mouvement ouvrier, au mépris de tout repli national frileux et réactionnaire,
inscrira de fait toutes ses luttes à venir dans ce cadre nouveau. Ces
conditions nouvelles lui tracent le chemin vers une renaissance des idées
de la lutte de classe, du marxisme révolutionnaire.
Une
coopération économique
imposée aux bourgeoisies européennes
par l'hégémonie de l'impérialisme américain
A en croire les
discours des hommes politiques de la bourgeoisie, ce serait " l'esprit
des Pères de l'Europe ", une volonté de ces derniers d'assurer
paix et démocratie aux peuples au sortir de la Seconde guerre mondiale,
qui serait à l'origine de la construction européenne. Leurs mesquines
querelles dès qu'il s'agit de la nomination de responsables d'une instance
européenne, les divergences d'intérêts qu'ils expriment
sur chaque dossier européen disent pourtant le contraire.
La production et les échanges s'internationalisent toujours plus, mais
la concurrence, la lutte pour les marchés et l'accaparement des richesses,
en sont d'autant plus vifs. Chacune des bourgeoisies s'accroche à son
Etat national et aux privilèges qu'il lui garantit. Cette situation reflète
une des contradictions fondamentales du capitalisme, celle qui existe entre
le caractère international du développement économique
et le fait que chaque bourgeoisie a besoin de son Etat national pour faire prévaloir
ses intérêts contre ceux de ses concurrentes.
Cependant, ces rivalités sont sans commune mesure avec celles qui ont
donné lieu, par deux fois, à une guerre mondiale. Non que les
bourgeoisies soient devenues pacifistes, après 1945, mais parce que l'hégémonie
de l'impérialisme américain ne leur a pas laissé d'autre
choix que de s'engager dans une coopération économique à
laquelle lui-même avait intérêt.
L'histoire des bourgeoisies européennes, celle de leurs rivalités et de leurs guerres
Toute l'histoire
des bourgeoisies européennes - celle en même temps du monde moderne
- est l'histoire de leurs rivalités. Leur puissance, construite sur le
pillage des peuples des autres continents, s'est développée, parallèlement
à leur Etat national, à travers une concurrence permanente.
A la fin du XIXème siècle, elles s'étaient entièrement
partagé le monde. La bourgeoisie anglaise était alors la maîtresse
incontestée de l'économie mondiale, détentrice du plus
grand empire colonial, devant la France. Seule l'Allemagne, tard venue sur la
scène internationale, ne put se tailler l'empire colonial nécessaire
à son industrie en plein développement. Elle contesta ce partage
du monde lors de la première guerre mondiale : l'enjeu en était
de trancher par les armes lequel de ces impérialismes européens
conserverait ou perdrait la possibilité d'exploiter le travail et les
richesses des peuples des colonies.
L'Allemagne fut vaincue. Les puissances victorieuses lui imposèrent par
le Traité de Versailles, un régime dont ne pouvait sortir qu'une
nouvelle guerre. D'autant plus sûrement que les Etats-Unis, sortis grand
vainqueur de la guerre, en mesure dès cette époque de rivaliser
avec l'Angleterre, réduisaient l'Europe à la
" portion congrue ", selon les mots de Trotsky qui comparait à
des " assassins enchaînés à la même chaîne
" les puissances européennes entre lesquelles la concurrence n'en
fut que plus féroce. " L'Europe, écrivait-il, ne peut développer
son économie dans les frontières douanières et étatiques
qui lui ont été imposées par le traité de Versailles.
Elle doit abattre ces frontières, sinon elle est menacée d'une
complète décadence économique. Mais les méthodes
employées par la bourgeoisie dirigeante pour supprimer les barrières
qu'elle a créées (Trotsky voulait parler de l'occupation de la
Ruhr par la France en 1923) ne font qu'augmenter le chaos et accélérer
la désorganisation ".
Pour l'Internationale Communiste dans les années 20, la seule issue pour
empêcher une nouvelle guerre était une révolution ouvrière
donnant naissance à des Etats-Unis Socialistes d'Europe. Mais la classe
ouvrière, désarmée et trahie par les réformistes
sociaux-démocrates puis staliniens, ne put empêcher les bourgeoisies
européennes de plonger le monde dans une nouvelle boucherie, en 1939.
A l'issue de la guerre, l'impérialisme américain conforta son
hégémonie sur le reste du monde, reléguant l'Europe au
second plan.
Une coopération économique d'abord initiée par les Etats-Unis
C'est ainsi que
les puissances européennes furent pacifiées entre elles, une nouvelle
guerre les opposant étant devenue impossible. Elles furent même
condamnées à une certaine forme de coopération économique
sous l'impulsion directe des Etats-Unis, dont l'économie ne pouvait fonctionner
à plein que si l'économie européenne, ruinée et
dévastée par la guerre, redémarrait.
Ce fut, en 1947, le plan Marshall. Les Etats-Unis déversèrent
en Europe des millions de dollars qui assurèrent en retour à leurs
trusts des commandes considérables. Refusant de négocier Etat
par Etat, ils avaient mis comme condition que tous les pays européens
se concertent pour définir leurs besoins, établir un " programme
commun de relèvement " et assurer la stabilité de leur monnaies.
L'impérialisme américain imposa aux pays européens de s'ouvrir
les uns aux autres pour les ouvrir plus facilement à leurs marchandises
et à leurs capitaux. C'était la politique qu'ils pratiquaient
à l'échelle du monde entier, créant l'ONU, le FMI, la Banque
Mondiale et le GATT, un organisme, chargé de discuter l'organisation
du commerce international et la baisse des tarifs douaniers. Ils souhaitaient
imposer, sur la base du nouveau rapport de forces issu de la guerre, un retour
au libre-échange, pour s'ouvrir les marchés des puissances européennes
et battre en brèche le monopole qu'elles détenaient sur leurs
empires coloniaux.
avant d'être une tentative de résister à leur concurrence
Dix ans plus tard,
en 1957, les Etats de six pays européens établirent par le Traité
de Rome, l'union douanière qu'était le Marché Commun. Affaiblies
par l'effondrement de leurs empires coloniaux, les bourgeoisies européennes
avaient besoin de coopérer pour résister à l'écrasante
hégémonie américaine.
Jusque là, les vieilles puissances coloniales avaient vécu en
rentières, assurées d'un énorme marché protégé.
La vague de la décolonisation qui balaya le monde de la fin de la guerre
jusque dans les années 60, mit fin à cette manne. 44,3 % des exportations
françaises étaient destinées aux colonies en 1948, et seulement
10% aux mêmes pays en 1972.
Il fallait à tout prix trouver de nouveaux débouchés, et
cela ne pouvait se faire, compte tenu de la concurrence américaine, que
sur le marché européen. Or celui-ci était encore, à
la fin des années 50, hérissé de barrières douanières.
Ainsi les taxes frappant les importations étaient-elles en France de
45 % sur les matières premières et de 20 % sur les produits finis,
et de 60 % et 15 % en Allemagne.
A l'issue de laborieuses négociations, la France, l'Allemagne, la Belgique,
le Luxembourg, les Pays Bas et l'Italie signèrent, en 1957, le Traité
de Rome qui instituait la CEE, Communauté Economique Européenne.
Ce traité prévoyait la disparition progressive, sur 12 ans, des
tarifs douaniers entre membres de la CEE, et la mise en place d'un tarif douanier
commun vis-à-vis de l'extérieur. Pour se protéger de la
concurrence, en particulier américaine, à qui ce régime
était cependant plus favorable dans la mesure où les importations,
une fois qu'elles avaient payé ce tarif extérieur, pouvaient circuler
librement dans l'ensemble de la CEE. Les investissements en provenance des Etats-Unis
furent d'ailleurs multipliés par 4 entre 1958 et 1966, le nombre des
filiales américaines, passa de 1 200 en 1957 à 4 000 en 1966.
Dans un premier temps, l'Angleterre refusa de participer au Marché Commun.
Elle créa de son côté, en 1960, une zone de libre-échange
regroupant 18 autres pays européens, qui affichait ses liens avec l'impérialisme
américain. Et lorsqu'elle demanda à y entrer, De Gaulle, qui avait
fait de l'indépendance à l'égard des USA son cheval de
bataille, y mit son veto à deux reprises. Elle n'y entrera finalement
qu'en 73.
Jusqu'à
cette époque, la croissance des profits reposait sur l'expansion de la
production stimulée par les marchés créés par les
destructions de la guerre.
L'intervention des Etats, que certains idéalisent aujourd'hui en la faisant
procéder du seul volontarisme politique, consistait avant tout à
fournir aux actionnaires des grandes entreprises des marchés protégés,
des subventions, et une relative stabilité sociale grâce à
des concessions mineures à leurs classes ouvrières. Il s'agissait,
également, pour faire face à la concurrence, de favoriser une
concentration poussée du capital dont émergèrent, dans
les grands secteurs de l'industrie de chaque pays, deux ou trois grands trusts
nationaux.
De 1961 à 1971 la productivité progressa en Europe de deux tiers
dans l'industrie et de 100 % dans l'agriculture. La production et le marché
des biens de consommation tels que machines à laver, voitures, téléviseurs
connurent un véritable plein boom.
Les échanges à l'intérieur de la communauté, furent
multipliés par 6 entre 1958 et 1972 alors que ceux avec les pays extérieurs
ne l'étaient que par 2,5. Les Six réalisaient entre eux le tiers
de leur commerce extérieur en 1958, et plus de la moitié en 1970.
Au point que les droits de douanes furent complètement supprimés
au premier juillet 1968, un an et demi avant le calendrier prévu par
le Traité de Rome. Il demeurait encore des entraves aux échanges,
comme des taux de TVA différents d'un pays à l'autre, ou des normes
techniques nées d'un développement séparé de l'industrie
de chaque pays, dont les industriels ne manquaient pas de se servir dans la
concurrence qui les opposait les uns aux autres. Mais la tendance était
à l'ouverture des frontières, et celle qui se faisait à
l'intérieur de la CEE s'inscrivait dans le cadre général
de l'évolution mondiale.
La
monnaie, siège d'une des contradictions
fondamentales du système capitaliste
La création de l'euro, décidée en 1992 à Maastricht, est une tentative de résoudre les problèmes posés par le retour de l'instabilité monétaire à la suite de l'effondrement du système monétaire international en 1971, devenue cruciale avec la libéralisation du mouvement des capitaux en 1990.
Une contradiction fondamentale du système capitaliste
A travers le problème
de la monnaie, d'une manière générale, s'exprime cette
contradiction fondamentale du capitalisme, qui naît du heurt entre le
développement international de la division du travail, de la production
et des échanges, avec les barrières nationales, les frontières
et les Etats nationaux. Le pouvoir d'émettre sa
propre monnaie est un des privilèges auquel les Etats nationaux sont
le plus attachés. Ils se servent de celle-ci pour soutenir leur bourgeoisie
dans la concurrence qui les oppose aux autres, et transférer sur leur
population, par exemple par l'inflation, les frais engendrés par leur
politique de subventions à leurs capitalistes.
Mais leur pouvoir en ce domaine est loin d'être illimité, la monnaie
obéissant à des lois économiques qui déterminent,
en dernier ressort, sa valeur. Aujourd'hui, les masses de capitaux qui peuvent
être engagées dans la spéculation contre une monnaie sont
tellement considérables qu'aucun Etat ne peut empêcher la hausse
ou
la baisse de sa valeur. C'est bien d'ailleurs une des raisons qui a fait que
les Etats européens se sont résignés à envisager
de perdre leur monnaie nationale.
Tant que l'économie était en phase d'expansion, la coexistence
de plusieurs monnaies nationales sur le même marché de la CEE,
comme d'ailleurs sur le marché mondial, ne posait pas de trop gros problèmes,
parce que leur valeur était relativement stable. Le système monétaire
international était basé sur le dollar, dont la stabilité
était assurée par sa convertibilité en or, et les capitaux
étant essentiellement destinés aux investissements productifs.
Il n'y avait pas, ou quasiment pas, de spéculation monétaire,
pouvant faire varier brutalement la valeur des monnaies.
Cela garantissait le bon fonctionnement des échanges et du commerce international.
En signant un contrat pour l'achat de matières premières ou de
biens d'équipements, les capitalistes étaient à peu près
sûrs que le prix qu'ils en auraient à payer quelques mois plus
tard, n'aurait pas varié.
Il y avait quand même cet inconvénient qu'était le coût
du change qu'on estimait, sur l'ensemble du marché européen, équivalent
au budget de l'Etat français. C'est un des problèmes que l'existence
de l'euro devait résoudre, mais certainement pas le plus important au
regard de l'instabilité monétaire qui s'installa à partir
de la disparition du système monétaire international, en 1971.
Les tentatives d'échapper à l'instabilité monétaire
Depuis la fin des
années 60, l'économie capitaliste est entrée dans une phase
de déclin, entraînée par la saturation progressive des marchés.
Les crises cycliques qui caractérisent le développement anarchique
de la production capitaliste, jusqu'alors masquées par l'expansion générale,
eurent depuis des répercussions sur l'ensemble de l'économie,
dès lors que celle-ci était engagée dans une période
de stagnation.
Les contradictions du système capitaliste en ont été avivées,
donnant lieu en particulier à d'innombrables crises monétaires.
C'est d'ailleurs la crise du dollar, en 1971, suivie de celle du pétrole,
en 74, qui provoqua en 1975 une première récession généralisée
et une stagnation du commerce mondial.
C'est cette crise du dollar - une confirmation que les Etats, aussi puissants
soient-ils, n'ont pas un pouvoir illimité sur leur monnaie - qui sonna
le glas du système monétaire international. Les Etats-Unis avaient
eu recours à grande échelle à la planche à billets
pour financer leurs dépenses de guerre en Corée et au Vietnam.
Il était si évident que le dollar, émis en si grande quantité,
était déprécié, qu'il cessa d'inspirer confiance
dès que se manifestèrent les premiers signes de la saturation
des marchés à l'origine de la crise générale du
système
capitaliste. Les Etats-Unis furent contraints d'entériner sa dépréciation
en mettant fin à sa convertibilité en or. Le dollar se mit à
flotter, comme disent les économistes, de même que toutes les autres
monnaies du monde.
C'était lui jusqu'alors qui jouait le rôle de " monnaie unique
", à l'échelle du monde entier. C'est en dollars que s'effectuaient
les principaux règlements internationaux et toutes les monnaies étaient
indexées sur son cours. Son effondrement plongea l'ensemble du système
dans l'instabilité.
C'est d'ailleurs à cette époque que les dirigeants européens
envisagèrent pour la première fois une monnaie européenne.
Un rapport officiel présenté par le Premier ministre du Luxembourg,
Pierre Werner, prévoyait même la mise en place de cette monnaie
pour le début des années 1980. Mais il n'eut pas de suite.
Pour tenter de limiter l'instabilité monétaire, on essaya plusieurs
tentatives de solutions : un Serpent monétaire européen en 1972,
puis un Système Monétaire européen à partir de 1979.
Le cours des monnaies devait se maintenir à l'intérieur d'une
fourchette dont le cours pivot était déterminée par la
valeur de la monnaie la plus forte, le mark. En même temps fut créé
l'ECU, (initiales en anglais de " monnaie unique européenne "),
dont le cours était déterminé par un panier des monnaies
de la CEE, un embryon de monnaie unique puisqu'il servait d'unité de
compte aux échanges intérieurs à la communauté.
Un problème rendu crucial par la libéralisation financière
Le SME fonctionna
tant bien que mal jusqu'au début des années 1990, où la
déréglementation financière, la libéralisation des
marchés de capitaux et l'ouverture des marchés nationaux bouleversèrent
tous les équilibres.
Dès lors, n'importe quel capitaliste ou société put investir
sur n'importe quelle place financière du monde, 24 heures sur 24, sans
aucune limitation. Cela conduisit à une accélération faramineuse
des déplacements de capitaux sur les marchés financiers, en vue
de spéculations boursières et monétaires.
Les marchés nationaux, jusqu'alors réglementés, s'ouvrirent
à la concurrence des investisseurs mondiaux privés et publics,
fonds de retraites, assurances, trésors publics, multinationales, qui
prêtent, empruntent, spéculent sans entraves sur toutes les places
financières mondiales, nuit et jour. Les mouvements de capitaux explosèrent,
atteignant des sommes colossales : 1 000 milliards de dollars par jour, 50 fois
plus que la valeur du commerce international des biens et services.
De fortes spéculations agitèrent les marchés. Ces capitaux,
à la recherche de profits à court terme, anticipent la hausse
ou la baisse des monnaies, achetant ou vendant au bon moment en empochant d'énormes
bénéfices, tels le milliard de livres empoché en une journée
par Soros lors de la spéculation contre la monnaie anglaise en 1992.
On estime que 2 % seulement des échanges de devises sont consacrés
au financement des importations et des exportations, les 98 % autres l'étant
à ces opérations spéculatives.
Face aux masses de capitaux qui circulent sur les marchés, les Etats
sont impuissants à pouvoir intervenir réellement pour empêcher
la dévaluation de leur monnaie, dès qu'elle montre des signes
de faiblesse. Leurs banques centrales n'ont pas assez de réserves pour
contrer efficacement ces attaques spéculatives. En 1992,
la Banque d'Angleterre eut beau acheter pour 15 à 20 milliards de dollars
de livres sterling pour soutenir le cours de celle-ci, elle ne put en empêcher
l'effondrement. La livre, dévaluée de 20 %, dut quitter, comme
la lire italienne, le système monétaire européen.
La possibilité que surviennent de telles attaques spéculatives
et que s'effondrent des monnaies, introduit une méfiance généralisée
sur les marchés et nuit aux échanges commerciaux, pouvant même
contribuer à provoquer le déclin du commerce international.
Le pouvoir désormais exorbitant de la finance a conduit les gouvernements
européens à chercher une solution capable de limiter les effets
des spéculations monétaires en Europe qui est leur marché
privilégié. C'est à ce besoin que répond l'euro.
Mais l'euro est aussi un instrument devant faciliter un vaste mouvement de concentration
du capital en Europe et l'entreprise de libéralisation de l'économie
conduite par tous les gouvernements ces dernières années.
Cette situation n'est pas le résultat d'options libérales par
opposition à des options régulatrices, qui auraient dépendu
du seul choix des gouvernements mais le résultat de l'offensive réactionnaire
que les trusts et leurs Etats mènent depuis 20 ans à l'échelle
mondiale.
L'Europe
de l'euro,
fille de la mondialisation capitaliste libérale
Au début
des années 1970, les Etats impérialistes avaient d'abord tenté
de relancer les profits par l'augmentation de la production en pratiquant une
politique de crédit, d'inflation, de prêts aux Etats des pays pauvres,
qui leur avait permis de gonfler artificiellement les marchés. Une nouvelle
récession, au début des années 1980, leur imposa de mettre
fin à cette politique. Le crédit se tarit, les Etats des pays
du tiers monde étaient au bord de la banqueroute, plusieurs grands établissements
bancaires et financiers firent faillite.
Pour rétablir le taux de profit, les bourgeoisies impérialistes
lancèrent une offensive sans précédent contre les classes
ouvrières des pays riches et les peuples des pays pauvres. Sous l'égide
des gouvernements de Reagan, Thatcher
et Mitterrand, elles entreprirent
de reprendre toutes les concessions qui leur avaient été imposées
pendant la période précédente. Une des conséquences
en fut l'effondrement de l'URSS, qui ouvrit de nouveaux champs d'action aux
capitaux impérialistes, non seulement dans l'ancien bloc soviétique,
mais également dans tous les pays pauvres qui avaient réussi jusque
là à se tenir relativement à l'abri de la pénétration
des trusts.
Dans les pays riches, vagues de licenciements massifs dans toutes les branches
d'industrie, stagnation des salaires, aggravation de l'exploitation sous la
pression d'un chômage de moins en moins indemnisé, énormes
subventions étatiques permirent la relance des profits. Mais ces profits
ne furent pas réinvestis dans la production, ou seulement dans une faible
mesure. Ils s'investirent en priorité sur les marchés financiers,
alimentant la flambée des Bourses et engendrant la spirale infernale
de la spéculation financière. Un parasitisme qui, pour se survivre,
appelle sans arrêt de nouveaux profits et exige la rentabilisation forcenée
de toutes les capacités productives par leur restructuration et leur
concentration à l'échelle mondiale.
L'ouverture des frontières et des marchés nationaux : une plus grande liberté accordée à la rapacité et au parasitisme des trusts
Pour faciliter
la pénétration de leurs trusts dans toutes les économies
de la planète, les Etats impérialistes, Etats-Unis en tête,
forcèrent le mouvement d'ouverture des frontières.
En 1986, un nouveau cycle de négociations du GATT, " l'Uruguay Round
" - qui se conclut 7 ans plus tard, en 1993 - avait comme objectif la libéralisation
complète de tous les marchés, des matières premières
et des biens manufacturés comme des capitaux, ainsi que la disparition
des monopoles des entreprises publiques et l'ouverture des marchés publics
à la concurrence et aux entreprises étrangères.
La même année, les Etats de la Communauté Européenne,
passés de 6 à 12 - depuis l'intégration en 1973 du Royaume
Uni, de l'Irlande et du Danemark, de la Grèce en 1981, et de l'Espagne
et du Portugal en 1986 - s'engageaient par " l'Acte Unique " à
établir à la date du 31 décembre 1992 un " grand marché
unique, un espace, sans frontières intérieures, dans lequel doit
être assurée la libre circulation des marchandises, des personnes,
des services et des capitaux ".
Il fallut plusieurs années pour mettre en application ces objectifs.
Le temps d'abord de les négocier dans le détail, car ils mettaient
en jeu les intérêts de quelques uns des plus gros trusts mondiaux.
Tous les trusts qui avaient fait leur fortune grâce aux marchés
offerts par les grandes entreprises publiques, comme Alcatel avec la SNCF, France-Télécom
et EDF, ou en Allemagne Siemens, perdaient le monopole de cette manne. Il leur
fallait le temps de se restructurer pour affronter cette concurrence nouvelle
sur le marché national, et partir à la conquête des mêmes
créneaux sur les marchés autrefois publics des autres Etats.
Il fallut aussi plusieurs années pour imposer les conséquences
de ces transformations aux salariés des entreprises publiques destinées
à être privatisées, comme France-Télécom ou
EDF.
Un vaste mouvement de restructuration des trusts des pays européens sur le dos du monde du travail
L'heure est à
l'ouverture complète des frontières, pour la pénétration
sans entraves non plus seulement des marchandises, mais aussi des investissements
directs en capitaux. Ces investissements, loin de créer des richesses
supplémentaires, loin de servir à l'augmentation de la production,
ne sont destinés qu'à arracher à la concurrence ou à
préserver de celle-ci les capacités de production déjà
existantes. Une nouvelle répartition de la richesse, créée
par le travail de plusieurs centaines de millions de salariés, est en
train de s'opérer, à travers une guerre économique féroce,
parce que dans une époque de déclin de l'économie capitaliste,
alors que les marchés saturés ne permettent qu'une faible augmentation
de la production. Une guerre qui aboutit à une concentration des richesses
entre les mains d'une infime minorité de très grosses sociétés
capitalistes, estimée tout au plus à 200.
Les trusts des pays européens qui jouissaient des monopoles nationaux,
comme Alcatel en France, Siemens en Allemagne ou Ericson en Suède, ont
dû se résigner à risquer de les perdre. Forts de leur puissance
et de leur richesse acquise à l'ombre de l'Etat, ils peuvent tenir tête
à des concurrents, et cette déréglementation, si elle les
met en position un peu moins avantageuse sur le marché national, leur
ouvre d'autres marchés dans les autres pays européens, et du monde.
Cette ouverture des frontières a été voulue par les trusts
américains. Comme le disait Larry Summers, le numéro deux du trésor
américain : " L'Europe tirera profit d'une union économique
et monétaire qui ouvrira ses marchés et renforcera ses liens avec
l'économie mondiale ; et si l'Europe prospère, cela contribuera
à la prospérité des Etats-Unis. "
C'est sous leur pression, la pression de leur concurrence, la pression également
de leur diplomatie, de leur Etat, fort de la puissance économique américaine,
que s'est imposée la nécessité de construire ce grand marché
unique européen, un segment de ce marché mondial unique que les
dirigeants américains imposent aux Etats nationaux dans les négociations
périodiques de l'OMC.
Mais la réalisation de ce marché unique européen, un des
plus accomplis qui existent entre états nationaux différents,
puisque les pays européens réalisent les deux tiers de leurs échanges
entre eux, ne pouvait être complète que s'il existait une monnaie
unique.
Des critères pour une convergence des politiques des bourgeoisies européennes contre leur classe ouvrière
Le 7 février
1992, à Maastricht, les Douze Etats de l'Union Européenne, fixèrent
les conditions de la naissance d'une union économique et monétaire
et les étapes de la mise en place d'une monnaie unique. L'Allemagne,
qui jusque là n'avait pas voulu se départir du mark, la monnaie
européenne la plus forte, s'y était résignée à
cause de difficultés financières nouvelles dues aux dépenses
liées à sa réunification en 1990. La France, et d'autres
pays de l'Union Européenne, y étaient favorables parce qu'ils
y voyaient une possibilité d'avoir enfin leur mot à dire dans
le domaine de la politique monétaire, alors que jusque là, ils
ne faisaient que s'adapter à celle de l'Allemagne.
Le traité de Maastricht définissait 5 conditions, ou " critères
de convergence ", pour l'admission des pays dans la zone euro : entre autres,
la limitation des déficits publics à 3 % du revenu national, la
limitation de la dette des Etats à moins de 60 % du PIB, et du taux d'inflation
à 1,5 %. Les Etats européens, et en particulier les plus riches,
voulaient bien d'une monnaie unique, mais à condition qu'elle soit forte.
Or une monnaie forte n'est possible que dans une économie jugée
saine par les capitalistes.
C'est pourquoi les critères de Maastricht se moquent bien des chiffres
du chômage, de la précarité, ou du nombre de sans-abris.
Car une économie saine, dans le monde capitaliste, c'est une économie
qui dégage le maximum de profits, et en période de crise, cette
bonne santé des profits exige la rentabilisation poussée du capital,
les licenciements massifs, la réduction du coût du travail.
Le taux limité de l'endettement et des déficits publics est une
garantie pour que les marchés financiers aient confiance dans la capacité
du pays à rembourser ses dettes, et, donc à limiter les dépenses
utiles à la population. De même la limitation du taux d'inflation,
qui garantit que l'Etat ne déprécie pas trop sa monnaie en faisant
marcher la planche à billets.
L'existence de ces critères est une tentative de résoudre le problème
essentiel posé par la création d'une monnaie commune à
plusieurs pays, ayant chacun leur Etat et leur économie, et qui forment
un ensemble hétérogène, avec de profondes inégalités.
C'est pourquoi ils sont qualifiés " de convergence ", car ils
ont pour but de faire en sorte que chaque pays réalise les conditions
pour " assainir " leur économie.
Le 2 mai 1998 à Bruxelles, 11 Etats parmi les 15 de l'Union qui postulaient
à entrer dans la zone euro, furent sélectionnés. Et le
1er janvier 1999, la monnaie unique entra en application. Dans chaque pays continuaient
à circuler les pièces et billets des monnaies nationales, mais
celles-ci devenues une simple subdivision de l'euro, s'échangeaient entre
elles à des parités fixes.
L'Espagne, le Portugal et l'Italie avaient été sélectionnés
de justesse, au prix de coupes sombres dans les budgets publics, les prestations
sociales, et un accroissement considérable du chômage et de la
pauvreté. La Grèce n'y fut reçue que le 1er janvier 2000.
Pays le plus pauvre de l'Union Européenne , elle n'avait pu alors, malgré
les sacrifices considérables que le gouvernement avait imposés
à la population, remplir les critères de convergence.
L'indépendance de la Banque centrale européenne, c'est sa dépendance à l'égard de l'oligarchie financière
Depuis l'entrée
en vigueur de l'euro, le 1er janvier 99, les gouvernements nationaux se sont
donc résignés à se déposséder de leur politique
monétaire en faveur de la Banque Centrale Européenne.
La BCE, disent-ils, doit être " indépendante " pour assurer
la bonne conduite de la politique monétaire. Indépendante des
gouvernements, et de leur " démagogie ", leur tendance à
vouloir lâcher un peu de lest sur les salaires par exemple, quitte à
risquer l'inflation, devant la colère des travailleurs.
Cette indépendance à l'égard des gouvernements est proportionnelle
à une dépendance totale à l'égard de l'oligarchie
financière qui règne sur l'économie mondiale. Une dépendance
qui était déjà, depuis l'explosion des marchés financiers,
celle des banques centrales nationales.
Celles-ci obéissaient déjà à ces marchés
financiers, à cette oligarchie parasitaire, qui, parce qu'elle prête
aux Etats, dont les dettes ont atteint des proportions faramineuses, les prend
à la gorge et leur dicte sa volonté. Ses exigences ? Que les remboursements,
échéances et intérêts, de la dette, soient assurés,
ce qu'un des critères de convergence de Maastricht, celui sur les déficits
publics, exprime. Réduction des déficits au nom desquels tous
les gouvernements de la cohabitation se sont attaqués à la protection
sociale et aux services publics et ont réduit toutes les dépenses
de l'Etat utiles à la population...
Mais les trusts exigent aussi de pouvoir piller à leur aise, et sans
se heurter au monopole de quelques uns d'entre eux, les énormes marchés
autrefois publics, que sont les télécommunications, les transports,
la fourniture du gaz et de l'électricité, et dans le domaine financier,
les caisses d'épargne, assurances, qui sont les uns et les autres, l'objet
aujourd'hui d'une véritable curée dans une concurrence acharnée,
se menant à coups de fusions, de rachats et de ventes de filiales ou
de secteurs, et jetant au chômage des centaines de milliers de salariés.
C'était aussi une des clauses du traité de Maastricht, l'ouverture
et la déréglementation des marchés publics et des monopoles
d'Etat.
Une
monnaie fille de douze Etats,
facteur de crises
Cette monnaie unique,
bien peu la croyaient possible encore seulement 3 ou 4 ans avant sa naissance.
C'est que le besoin s'en était fait pressant pour les trusts des pays
européens, alors que libéralisation et déréglementation
à l'uvre partout dans le monde exacerbaient la concurrence.
" En Europe, l'avènement prochain de l'euro a convaincu tout le
monde que les frontières nationales n'auront plus de raison d'être
: le marché domestique des grandes banques ne se limitera plus à
leur pays d'origine, mais deviendra le continent européen.", expliquait
un article du journal La Tribune en février 1998.
Les trusts des pays européens auraient besoin de faire du marché
européen un marché sur lequel ils auraient priorité face
à leurs concurrents et qui soit protégé des vicissitudes
des fluctuations monétaires. Comme l'est le marché nord-américain
pour les trusts des Etats-Unis. Mais là s'arrête la comparaison.
Les trusts américains sont appuyés par un Etat, ceux des pays
européens le sont par plusieurs, qui ont des intérêts divergents.
L'économie américaine s'est développée à
l'échelle d'un continent unifié politiquement par un Etat. C'est
ce qui fait sa puissance. Toute l'histoire de l'Europe, au contraire, est l'histoire
des guerres et rivalités de plusieurs Etats qui sont obligés,
aujourd'hui, de coopérer parce que, plus que jamais, l'économie
étouffe dans le cadre de frontières nationales exiguës.
C'est pourquoi l'euro est une solution qui pourrait bien poser plus de problèmes
qu'elle n'en résout.
Attelés au même char monétaire, les gouvernements européens
coordonnent certes leur politique, dans la mesure où elle est dictée
par les mêmes exigences des trusts et de la finance, mais ils sont incapables
de parler et d'agir, d'une seule voix, d'une seule volonté - ou la moins
discordante possible -, comme le font les représentants d'un Etat. C'est
cette situation qui est facteur de crises.
Un difficile " pacte de stabilité
et de croissance "
Les conditions
posées par les critères de convergence de Maastricht sont une
tentative de résoudre ce problème. La mise en place d'une Banque
Centrale européenne, seule responsable de la politique monétaire
dans la zone euro en est une autre. Mais à peine entrée en fonction,
et alors que l'euro avait déjà perdu un quart environ de sa valeur
initiale par rapport au dollar, la BCE fut l'objet de nombreuses critiques de
la part des gouvernements européens, chacun voulant influencer la politique
monétaire unique en fonction de ses intérêts propres.
Aujourd'hui, alors que la récession américaine, contre laquelle
l'euro devait servir de bouclier, frappe de plein fouet l'Europe, certains gouvernements
remettent en cause la " rigidité " du pacte de stabilité
et de croissance, c'est-à-dire le cadre défini par les critères
de convergence de Maastricht. Ils souhaiteraient augmenter le déficit
de l'Etat au-delà des 3% du PIB définis à Maastricht. Non
pas pour augmenter les dépenses de l'Etat utiles à la population
ou les salaires mais pour accroître leurs subventions aux grandes entreprises.
Ainsi le gouvernement Schroeder en Allemagne a été rappelé
à l'ordre par la Commission européenne, le déficit de l'Etat
" dérape ", mais le gouvernement social-démocrate ne
vient-il pas d'offrir au patronat une réformes de l'impôt sur les
bénéfices des plus avantageuses ? Dans le même temps, le
patronat de la métallurgie menace de fermer des usines et de licencier
si les syndicats de salariés qui revendiquent 6,5 % d'augmentation de
salaire, appelaient à la grève. Pour satisfaire les exigences
des actionnaires des grands groupes, les gouvernements devraient augmenter les
dépenses de l'Etat en leur faveur et faire payer davantage les salariés,
la population. Une politique bien difficile à mener quelques mois avant
les élections ou lorsque le mécontentement menace d'exploser.
Ce " pacte de stabilité " est dit de " croissance ",
mais il n'y a de croissance que celle des profits au prix d'un recul social
généralisé, qui aggrave tensions et contradictions dans
un ensemble européen où chaque gouvernement mène sa politique
en fonction de rapport de forces internes différents d'un pays à
l'autre.
Libéralisation et déréglementation aggravent les inégalités
sociales.
Elles aggravent également les disparités régionales, qui,
faute d'une politique budgétaire commune, sont censées être
compensées par des aides européennes. A la veille de l'élargissement
de l'Union européenne à 10 autres pays plus pauvres, c'est l'objet
d'une nouvelle foire d'empoigne entre Etats.
L'existence de l'euro est incontestablement un pas de plus vers une unification
politique de l'Union européenne. Elle en fait ressentir d'autant plus
l'absence.
Les bourgeoisies européennes auraient besoin d'un Etat unique pour les soutenir dans la guerre économique mondiale face à leurs rivaux
C'est essentiellement
la concurrence de l'impérialisme américain qui a poussé
les bourgeoisies européennes à s'engager dans l'aventure de l'euro.
L'exacerbation de la concurrence oblige les trusts des pays européens
à acquérir une force de frappe, une taille, continentales. Il
y a dans les données mêmes de l'économie, des relations
déjà existantes, des échanges commerciaux, une tendance
puissante à la constitution d'un capitalisme européen, de trusts
issus de la fusion de plusieurs entreprises européennes. Pendant les
trois dernières années, ce mouvement s'est fortement accentué,
de nombreuses fusions ont eu lieu à l'échelle continentale dans
plusieurs secteurs de l'économie, comme la banque et les assurances,
la chimie-phramacie
Ce qui n'empêche pas les fusions intercontinentales,
qui ont été presque aussi nombreuses. Les trusts n'ont pas plus
de " patriotisme " européen qu'ils n'ont de patriotisme national,
seul compte leur intérêt.
Il n'y a guère que dans le secteur de l'aéronautique que les presque
toutes les sociétés européennes se sont alliées
dans le seul EADS, sous l'égide d'une entente entre les Etats les plus
puissants. Le poids des investissements à effectuer pour résister
aux géant américain né de la fusion de Boeing et Mac Donnel
Douglas, était trop lourd pour chacune des sociétés nationales,
qui, sans cette fusion, se serait à plus ou moins long terme condamnée
à disparaître.
Pour favoriser ces rapprochements, les autorités de Bruxelles ont créé
il y a quelques mois le statut de " société européenne
" qui permet aux actionnaires d'un trust d'échapper aux législations
nationales des pays où sont installées ses filiales. Dans le même
temps, se discute l'harmonisation des réglementations fiscales à
l'échelle de l'Union européenne. Mais le plus efficace, pour les
trusts européens, serait une seule législation, une seule réglementation
fiscale,
un seul Etat.
et contre leur classes ouvrières
D'autant plus qu'un
Etat européen serait beaucoup plus efficace pour imposer aux travailleurs
une déréglementation plus poussée de leurs droits et venir
à bout de leur résistance.
La seule politique réellement commune à tous les gouvernements
d'Europe est une coordination de leurs attaques contre tous les droits sociaux,
pour satisfaire les exigences de trusts et de sociétés financières
d'autant plus avides qu'ils sont soumis à une concurrence acharnée
de leurs rivaux. C'est une politique réactionnaire hostile aux intérêts
des salariés comme aux peuples des pays pauvres.
L'Europe compte aujourd'hui officiellement près de 20 millions de chômeurs,
et la précarité a tellement augmenté qu'une nouvelle catégorie
- celle des pauvres qui travaillent - est désormais entrée dans
les statistiques. Des régions entières comme l'Andalousie en Espagne,
la Calabre ou la région de Naples en Italie, certaines régions
du Portugal , de Grèce, sont victimes d'un chômage massif, qui
dépasse parfois 50 % de la population, parce que les trusts ne jugent
pas rentable, à cause du délabrement de leurs infrastructures,
d'exploiter cette main d'uvre potentielle.
Des millions de chômeurs condamnés à végéter
dans la misère, des travailleurs surexploités, mais aussi des
pans entiers de la petite bourgeoisie ruinés. Une grande partie des paysans
est déjà touchée de plein fouet par la réduction
des aides accordées par l'Union Européenne, et celle-ci envisage
de les réduire encore davantage sous la pression des Etats-Unis. La petite
bourgeoisie des villes, employés des trusts, ou des banques, professeurs,
cadres, est en passe de subir les mêmes restructurations que les travailleurs
de l'industrie.
La politique menée par des gouvernements chapeautés par la banque
centrale européenne ne peut que concentrer contre elle le mécontentement,
la colère et la révolte de couches extrêmement larges de
la population.
C'est pour en venir à bout que les bourgeoisies européennes auraient
besoin d'un Etat mais celui-ci n'aurait guère de légitimité
démocratique tant il apparaîtrait d'emblée comme l'instrument
d'une politique réactionnaire.
La
tentative de construire par en haut
une Europe bourgeoise démocratique est vouée à l'échec
Les dirigeants
européens sont obligés d'envisager aujourd'hui, malgré
leurs réticences, une constitution politique européenne. Dans
les conditions actuelles, l'Union européenne, élargie bientôt
à une dizaine de nouveaux pays, serait menacée de paralysie. Il
leur faudrait aussi donner une légitimité démocratique
à une Europe dont la seule institution réellement supranationale
est la Banque centrale européenne. Mais ils piétinent sur le terrain
de la construction politique de l'Europe.
Les seules avancées concrètes réalisées sur le terrain
d'une unification politique ont été, à la faveur de la
guerre du Kosovo, puis de la guerre menée par la coalition dirigée
par les Etats-Unis au nom de la " lutte contre le terrorisme ", les
projets d'une armée européenne et la mise en place d'un espace
policier et judiciaire unique.
Un bras armé pour une " Europe puissance "
Chacune de ces
crises a été un révélateur supplémentaire
des divergences d'intérêts opposant les gouvernements européens.
Chaque Etat continue à défendre avant tout les intérêts
de sa bourgeoisie nationale, de ses trusts. Ce sont ces rivalités qui
ont été en grande partie à l'origine de la guerre dans
l'ex-Yougoslavie. C'est encore plus manifeste, aujourd'hui, alors qu'un des
objectifs du redéploiement de l'impérialisme américain,
à la suite des attentats du 11 septembre, est de reconstituer sa position
hégémonique, fragilisée par l'évolution de ces dernières
années. De l'enthousiasme de Blair aux réticences, toujours consentantes
cependant, de Chirac ou Jospin, les gouvernements européens ont répondu
aux initiatives de Bush de façon différente, en fonction de leurs
intérêts propres. La bourgeoisie anglaise y a vu par exemple l'occasion
de s'affirmer comme le premier militarisme européen devant la France
et l'Allemagne, malgré les efforts de celle-ci pour imposer à
sa population, ces dernières années, son retour sur la scène
militaire.
Mais en même temps, chacune de ces crises a été l'occasion
pour la plupart des hommes politiques et la presse de déplorer que l'Union
Européenne soit incapable de parler d'une seule voix sur la scène
internationale, soit incapable de se donner les moyens de s'affirmer comme une
" Europe puissance ", selon les mots maintes fois utilisés
par Fabius, Jospin ou Chirac. C'est pourquoi, pour tenter de peser davantage
sur la scène internationale, les Etats européens se sont engagés,
au sommet d'Helsinki, quelques mois après la guerre du Kosovo, à
se doter d'une force de réaction européenne, capable d'intervenir
y compris sur des terrains extérieurs à l'Europe.
Plus récemment, ils ont renforcé la coordination de leur police
et de leur justice, en prenant prétexte de la " lutte contre le
terrorisme ". Se mettent ainsi en place des instruments destinés
à la répression, qui sont autant d'atteinte aux droits démocratiques.
C'est une menace qui représente une hypothèse possible pour l'avenir
de l'Europe, si les travailleurs n'intervenaient pas eux-mêmes sur la
scène politique.
Des projets de constitutions tentant de concilier Europe politique et intérêts nationaux
Pour l'heure, la
préoccupation des gouvernements européens est de tenter de donner
une légitimité populaire à une construction européenne
qui apparaît largement, aux yeux des populations, comme asservie aux exigences
d'un capital financier responsable du recul social généralisé
à l'uvre ces dernières années.
Leur " Europe sociale ", la " charte des droits fondamentaux
" adoptée à Nice ne peuvent faire illusion, tant il est manifeste
qu'il ne s'agit que de niveler par le bas les législations sociales,
de s'attaquer aux droits des salariés, de poursuivre le démantèlement
des services publics.
Sur le plan politique, leur Europe souffre de ce qu'eux-mêmes nomment
le " déficit démocratique ". Mais ce ne sont pas les
projets de constitution avancés ces derniers mois qui pourront y pallier.
Pas plus Joscka Fischer que Schroeder, Chirac ou Romano Prodi, qui ont avancé
de tels projets, n'envisagent que les populations puissent choisir elles-mêmes
les formes d'une constitution politique pour l'Europe. Et tous tentent, autant
que faire se peut, de concilier les intérêts de leur appareil d'Etat
national avec la nécessité de nouvelles instances européennes
dotées de davantage de pouvoirs.
Il est probable que les gouvernements européens parviennent à
établir, dans les années qui viennent, une constitution fédérale.
C'est bien la mission assignée à la nouvelle Convention dont Giscard
est devenu président par la grâce de Jospin et de Chirac réunis.
Il est tout aussi probable que le chemin en sera parsemé d'innombrables
crises politiques tant à cause des divergences d'intérêts
entre les bourgeoisies européennes que du contexte de recul social aggravé
par la récession.
Oui aux Etats-unis socialistes d'Europe
La politique réactionnaire
des bourgeoisies européennes prépare des crises d'ampleur qui
ébranleront la domination de la bourgeoisie, d'autant plus sûrement
que celle-ci est en train de s'aliéner la petite bourgeoisie, qui assurait
sa stabilité lorsque, dans la période d'expansion, elle connaissait
une aisance relative.
La bourgeoisie est d'autant plus handicapée pour y faire face qu'elle
est divisée en plus d'une dizaine de centres de décisions et de
pouvoirs, ses gouvernements et Etats nationaux. Dans le même temps que
l'arène des luttes, elle, devient l'Europe.
C'est pourquoi se pose aujourd'hui le problème de quelle politique pour
la classe ouvrière, quelle perspective pour les luttes à venir,
pour cette période de bouleversements qui s'ouvre devant nous.
Les mensonges des politiciens sociaux-démocrates
D'abord il est
évident que nous ne pouvons que dénoncer les conséquences
désastreuses de l'entente des trusts à l'échelle européenne
contre les travailleurs, et du même coup les mensonges des politiciens,
sociaux-démocrates, qui nous vantent l' " Europe sociale "
ou l' " Europe des régions ", voulant ainsi se donner l'air
moderne et ouverts au progrès. Derrière ces grands mots, leur
propagande repose sur les mêmes mensonges que ceux qu'ils nous assènent
ici, dans le domaine de la politique nationale : demain la relance, demain les
créations d'emplois, mais pour cela, il faut limiter les déficits
publics, réduire les dépenses publiques, de santé, accepter
la stagnation et la réduction des salaires, et la flexibilité
du travail....
Comme Blair et le parti travailliste en Angleterre, ils se saisissent des quelques
initiatives prises dans ce que la presse appelle l'Europe sociale, telles la
Charte des droits fondamentaux qui enveloppe de vux pieux des orientations
libérales. Ils tentent de faire croire que l'Europe se construirait,
sur la base de la volonté de coopération des autorités
des différents pays, et pour le bien-être de toute la population.
Ils s'efforcent comme toujours de masquer les contradictions, d'enjoliver la
bourgeoisie, de lui prêter un avenir, de la montrer comme étant
susceptible de résoudre les problèmes qu'elle n'est plus capable
de résoudre.
Ils utilisent les aspirations saines du monde du travail à une coopération
des peuples pour masquer les méfaits de la propriété privée
et du capitalisme en laissant croire à la possibilité d'une unification
pacifique et harmonieuse de la construction européenne, à l'entente
et à la coopération entre les gouvernements européens.
Ils cherchent à désarmer les travailleurs pour mieux défendre
les intérêts des trusts.
La politique réactionnaire du " Non à Maastricht " et du souverainisme de droite et de gauche
Mais si la bourgeoisie
est incapable de le résoudre harmonieusement, il n'en reste pas moins
que le problème de l'unification politique de l'Europe se pose, et qu'elle
constituerait par elle-même et quelles qu'en soient les conséquences,
un progrès. Alors qu'un repli dans les frontières nationales constituerait
au contraire une régression terrible.
Pendant des années, le Parti Communiste a mené campagne, ici,
contre le marché Commun, puis le marché unique, pour un vote "
non " au référendum sur le Traité de Maastricht et
contre la monnaie unique. Ce n'est que parce qu'il a accroché fermement
son char à celui du PS et à ses postes au gouvernement qu'il met
actuellement cette propagande en sourdine, laquelle est reprise par les oppositions
qui se forment à l'intérieur du Parti.
On ne peut bien sûr que dénoncer dans le Traité de Maastricht
ou d'Amsterdam, une entente entre les trusts contre les classes ouvrières,
une politique commune contre le monde du travail. Mais lutter pour obtenir son
abrogation, ou pour que les gouvernements reviennent en arrière sur la
monnaie unique c'est autre chose, une manière différente de celle
de la social-démocratie de s'adapter à l'ordre social.
Alors que les dirigeants socialistes, qui ne sont jamais trop loin du pouvoir,
parent le capitalisme de couleurs trompeuses, les dirigeants staliniens, longtemps
tenus à l'écart de la mangeoire gouvernementale, et à la
tête d'un parti lié aux masses ouvrières, pratiquaient un
" réformisme du pauvre ". Ils s'appuyaient sur les craintes
que suscitent dans le monde du travail les transformations en cours, craintes
pour un avenir que les travailleurs pressentent pire que le présent,
pour dévoyer leur mécontentement et leur révolte sur le
terrain du nationalisme. Au lieu de montrer aux travailleurs que la " casse
de l'économie et des entreprises françaises " est le résultat
d'une politique de classe, ils laissaient croire que les travailleurs ont un
quelconque intérêt à défendre la " souveraineté
nationale ". C'est un point de vue réactionnaire qu'ils n'ont abandonné
que pour se rallier au social-libéralisme du PS.
Quant à Chevènement, qui sait bien qu'il tournerait sa veste sur
l'Europe s'il accédait au pouvoir - comme l'ont déjà fait
un grand nombre des partisans du " Non à Maastricht "-, il
éclaire encore mieux la fonction de cette démagogie : dévoyer
le mécontentement sur un terrain qui ne présente aucun risque
pour l'ordre établi auquel il est si fermement attaché.
Lutter contre l'Europe
des capitalistes n'est pas lutter contre un traité mais contre la réalité
économique, sociale et politique du capitalisme, non pas au nom d'un
retour en arrière, mais en s'insérant dans son évolution
pour la transformer. Flatter les craintes pour l'avenir, en s'appuyant sur les
préjugés réactionnaires de la défense de la "
souveraineté nationale ", non seulement désarme les travailleurs,
mais concourt à faire le lit des idées réactionnaires dont
seule l'extrême droite est le réel bénéficiaire.
L'exemple de l'Angleterre qui a choisi pour l'instant de se tenir à l'écart
de l'euro, montre bien qu'un isolement relatif par rapport aux autres pays d'Europe
ne protège pas les travailleurs de méfaits qui ont leur origine
dans la marche du capitalisme. Elle n'est d'ailleurs que plus dépendante
et soumise à l'impérialisme le plus puissant, celui des Etats-Unis.
Quant à un protectionnisme réel, auquel la bourgeoisie pourrait
être poussée par une aggravation brutale de la crise, se traduisant
par l'effondrement de la production et des échanges, cela voudrait dire
l'encasernement, la militarisation de toute la population, et la marche à
la guerre.
La bourgeoisie n'a pas d'autre politique que le libre-échangisme à
l'échelle mondiale ou le protectionnisme qui mène à la
guerre. Les révolutionnaires n'ont pas à formuler une politique
pour la bourgeoisie, mais une politique pour leur classe, la classe ouvrière,
en prenant appui sur les transformations qu'accomplit la bourgeoisie, des transformations
qui non seulement accélèrent la maturation de la révolution
sociale qui se prépare, mais créent et renforcent les bases matérielles,
économiques, d'une Fédération des peuples dans des Etats-Unis
socialistes d'Europe. " Mais en général de nos jours ",
disait Marx dans son Discours sur la Question du libre-échange , "
le système protecteur, [protectionniste] est conservateur, tandis que
le système du libre-échange est destructeur. Il dissout les anciennes
nationalités et pousse à l'extrême l'antagonisme entre la
bourgeoisie et le prolétariat. En un mot, le système de la liberté
commerciale hâte la révolution sociale. C'est seulement dans ce
sens révolutionnaire, messieurs, que je vote en faveur du libre-échange
".
Oui, ces transformations ouvrent une période de révolutions sociales,
au moment où s'épuisent les politiques réformistes, discréditées
par la participation de leurs représentants aux gouvernements anti-ouvriers
actuels, aussi bien dans leur variante social-démocrate que celle stalinienne,
disparue avec l'effondrement de
l'ancienne URSS. L'une comme l'autre n'avait pu survivre qu'en s'appuyant sur
les illusions que la brève expansion de l'économie capitaliste
avait nourries, et que détruisent irrémédiablement les
conséquences catastrophiques de la crise.
Vive l'Europe des travailleurs, vivent les Etats-Unis socialistes d'Europe
La tentative d'unification
politique de l'Europe, par en haut, par l'action d'institutions servant les
intérêts des marchés financiers et des trusts, est la seule
réponse possible de la bourgeoisie au problème que le développement
des capacités de production et des échanges, leur internationalisation,
l'exacerbation de la concurrence, lui posent. En abdiquant de leur politique
monétaire, en abdiquant comme disent certains de leur " souveraineté
nationale ", les Etats des 12 pays de la zone euro, reconnaissent à
quel point ils sont dépassés, à quel point les frontières
nationales, n'ont plus de raison d'être. Mais, la bourgeoisie, empêtrée
dans des
contradictions qui ont leur origine dans sa situation de classe privilégiée,
dans la propriété privée capitaliste, dont l'Etat national
a garanti l'existence, ne peut s'adapter à cette évolution puissante
des forces économiques que par une construction par en haut, dans le
dos des masses, qui ne pourra que s'aliéner l'immense majorité
de la population, et ouvrir la voie à la seule Europe possible, celle
des travailleurs.
Tout le problème pour l'avenir de la société, c'est celui
de la conscience de la classe ouvrière, conscience des contradictions
dont la bourgeoisie est incapable de sortir, et a contrario des possibilités
qu'elle-même recèle, libre qu'elle est de tout privilège,
de tout intérêt national, et en voie de s'affranchir complètement,
par les
transformations opérées par la bourgeoisie elle-même, des
frontières, au moins pour ce qui est de l'Europe.
Les Etats-Unis socialistes d'Europe : un mot d'ordre dont la réalisation est à la portée de la classe ouvrière moderne
Dans les années
30, le mot d'ordre des révolutionnaires par rapport à l'Europe
était les " Etats-Unis socialistes d'Europe ". C'était
une proclamation opposée à la guerre impérialiste et condamnant
les rivalités nationales, la seule perspective pouvant empêcher
la guerre, à une époque où les impérialismes européens
pouvaient encore jeter leurs peuples les uns contre les autres.
Cette époque est révolue.
Une guerre entre la France et l'Allemagne est désormais impossible, tant
l'interpénétration de leurs relations économiques a développé
la conscience d'appartenir à une même unité territoriale,
tant, également, la barbarie des deux guerres mondiales a suscité
d'aversion. Dans cet intervalle de cinquante années, ont mûri les
conditions économiques et sociales qui font de ce mot d'ordre des Etat
unis socialistes d'Europe, un objectif réellement à la portée
des classes ouvrières.
Depuis la fin des années 50, l'interdépendance des pays d'Europe
et en particulier de la France et de l'Allemagne a resserré les liens
existant entre leurs peuples. Les frontières déjà dépassées
à l'échelle mondiale le sont d'autant plus à l'échelle
d'un continent. Les progrès techniques dans le domaine des transports
et des communications ont réduit les obstacles géographiques qui
pourraient s'opposer à ce que des peuples fassent partie d'un même
territoire unifié politiquement. L'organisation de l'économie,
de la production, la division du travail qui s'opère à l'échelle
internationale, les moyens déjà utilisés par des trusts
qui planifient leur production à l'échelle de continents entiers,
constituent d'ores et déjà les bases sur lesquelles pourrait se
construire l'économie des Etats-Unis socialistes d'Europe. C'est d'ailleurs
déjà le cas pour l'ensemble du monde.
Il n'y a d'ores et déjà plus d'obstacles techniques à l'organisation
rationnelle de la production pour satisfaire les besoins des hommes, au contrôle
de l'ensemble de l'économie par toute la population. Le seul obstacle
tient à l'organisation de la société, à sa division
en classes, à la domination bourgeoise, qui trouvent leur prolongement
dans l'existence d'Etats nationaux. C'est pourquoi la seule Europe possible,
c'est celle des travailleurs. Seule, la classe ouvrière, parce qu'elle
n'a aucun privilège, aucune propriété à défendre,
a intérêt à l'abolition des frontières. Il faut seulement
qu'elle ait conscience de sa force et de ses possibilités.
L'évolution sociale des trente dernières années a transformé
les consciences au point qu'il n'est plus possible aujourd'hui d'enrégimenter
les travailleurs d'un pays d'Europe contre un autre au sein de la Communauté.
Bien mieux, l'implantation de trusts à l'échelle de l'Europe,
qu'ils soient français, suédois, allemands, ou même américains,
fait qu'une fraction de la classe ouvrière a conscience d'avoir les mêmes
ennemis que les travailleurs des autres usines du groupe. Lors des licenciements
à l'usine Renault de Vilvorde, il y avait eu des débrayages aussi
bien dans les usines d'Espagne que de France. C'est d'ailleurs pourquoi la politique
des dirigeants de ces trusts a toujours été de chercher à
dresser les uns contre les autres les travailleurs des différentes unités
de production. C'est pourquoi aussi, malgré la création de l'euro,
les patrons des grands groupes sont très réticents à mettre
en place des organismes européens de partenariat social, même si
les directions syndicales y pratiqueraient la même collaboration de classe
qu'à l'échelle nationale. Que les travailleurs d'Europe puissent
comparer leurs salaires, - ce qui sera facilité par leur expression en
euro -, qu'ils puissent en discuter, même si c'est à l'occasion
de négociations feutrées, n'enchante pas le patronat.
Avec la mise en place de l'euro et surtout l'ouverture des frontières
dans tous les secteurs de l'économie, ce n'est plus seulement la fraction
de la classe ouvrière qui travaille dans les trusts qui pourra en quelque
sorte toucher du doigt cette réalité, c'est l'ensemble du monde
du travail et de la population. La pénétration croissante dans
tous les pays d'Europe des mêmes banques, assurances, compagnies de téléphones,
d'électricité, marque toute la vie sociale.
La contradiction entre le progrès que constitue cette interpénétration,
et l'arriération sociale qu'est l'exploitation capitaliste qui empêche
une libre coopération des peuples, n'apparaît que plus clairement.
C'est à l'échelle européenne que se dessinent les clivages
de classes.
La bourgeoisie est en train de mettre en place les éléments qui
facilitent cette prise de conscience. Avec l'euro, la Banque Centrale Européenne,
la convergence des politiques économiques dans chaque pays, elle travaille
elle-même, bien malgré elle, à l'unification de la révolte
contre son ordre social, qui ne peut plus masquer sa nature réelle, de
dictature du capital financier.
La prochaine étape, qui est devant nous, et qui mènera à
la réalisation du mot d'ordre des Etats-Unis socialistes d'Europe, c'est
celle de la convergence des luttes ouvrières, à l'échelle
européenne, de l'émergence à travers les combats qui se
mèneront contre les conséquences sociales désastreuses
d'une politique concertée à cette échelle entre les trusts,
de la conscience non seulement d'appartenir à une seule classe ouvrière,
mais de représenter le seul avenir pour l'ensemble des populations d'Europe.
Cette étape elle-même s'inscrit dans une évolution plus
large, celle de la transformation de la société à l'échelle
de la planète.
Loin de craindre cette évolution, nous y voyons au contraire, la possibilité
inconnue jusqu'ici que le monde du travail, puisse percevoir comme jamais, sa
force, sa modernité, ses tâches historiques.
10/02/2002