Bourgeoisie
et prolétariat aujourd'hui
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Mis
en ligne le 28 janvier 2004
Depuis l'effondrement du bloc de l'Est, les tenants du libéralisme
se sont déchaînés de la façon la plus caricaturale
contre le marxisme, n'hésitant pas à proclamer la fin de la
lutte des classes, des classes sociales, voire la fin du travail, à
travers des idéologies libérales qui avaient pour fonction de
justifier le chômage massif et permanent.
Le meilleur démenti à ces thèses est la réalité
sociale. L'accroissement des inégalités et de l'exclusion a
obligé quelques politiciens comme Chirac a tenir compte de la "
fracture sociale ", à prétendre que leur priorité
serait l'emploi
tout en annonçant de nouveaux cadeaux aux entreprises,
c'est-à-dire à la bourgeoisie...
Face à ces discours hypocrites et aux caricatures, les salariés,
par leur retour dans l'arène des luttes et de la politique depuis 1995,
ont rappelé à tout le monde qu'ils existaient bien en tant que
classe, que la lutte des classes n'est pas finie, bien au contraire.
Sur cette question, beaucoup d'analystes projettent sur la réalité
sociale leurs propres préjugés. Cette confusion amène
certains à penser que la montée de l'individualisme provoquerait
la dilution des classes sociales, ou que le recul des vieux appareils de la
classe ouvrière, PC, PS, syndicats, marquerait la fin de cette classe.
Nous voulons discuter des faits, des rapports sociaux, de la réalité
de la division de la société en classes, de l'exploitation.
Le capitalisme a évolué depuis que Marx en a expliqué
le fonctionnement. Il nous faut intégrer ces évolutions pour
le critiquer, c'est-à-dire militer pour sa transformation révolutionnaire.
Peut-on encore parler de bourgeoisie comme d'une classe à part quand
on voit le flot grossissant des petits actionnaires qui détiennent
une petite part de propriété des entreprises ?
Peut-on encore parler de prolétariat, quand la majorité des
salariés ne travaillent plus dans des usines, et quand la dégradation
de la situation sociale, le chômage permanent, la grande pauvreté,
plongent dans l'exclusion une fraction toujours plus nombreuse de la population
?
La " tertiarisation ", l'augmentation du nombre de salariés
dans les services par rapport à l'industrie, oblige-t-elle à
reconsidérer le fonctionnement du capitalisme, de l'exploitation salariée
?
Nous allons discuter des faits pour répondre à ces problèmes,
car c'est de cette réalité de la lutte des classes entre bourgeoisie
et prolétariat que découle notre perspective révolutionnaire.
Comme le disait Marx : " la bourgeoisie n'a pas seulement forgé
les armes qui la mettront à mort ; elle a produit aussi les hommes
qui manieront ces armes, les ouvriers modernes, les prolétaires
" (Manifeste du parti communiste).
Définition des classes et rapports
de classes
Il convient de souligner que les idées de Marx sur les classes sociales
ne relèvent pas de la sociologie, d'une science neutre qui se bornerait
à un constat des faits sociaux. L'objectivité sur les questions
sociales ne peut pas être un regard au-dessus de la mêlée,
qui ne prendrait pas partie. L'objectivité est de choisir radicalement
le point de vue des opprimés : " Etre radical, c'est prendre
les choses par la racine. Or, pour l'homme, la racine, c'est l'homme lui-même.
[Ce qui] aboutit à cette doctrine, que l'homme est, pour l'homme,
l'être suprême. Elle aboutit donc à l'impératif
catégorique de renverser toutes les conditions sociales où l'homme
est un être abaissé, asservi, abandonné, méprisable.
" (Contribution à la critique du droit de Hegel)
La description des faits est la meilleure critique de la société
pour la transformer. C'est dans cette perspective que Marx reprend l'analyse
des classes sociales qu'il n'a pas inventée : " Ce n'est pas
à moi que revient le mérite d'avoir découvert l'existence
des classes dans la société moderne, pas plus que la lutte qu'elles
s'y livrent. Des historiens bourgeois avaient exposé bien avant moi
l'évolution historique de cette lutte des classes et des économistes
bourgeois en avaient décrit l'anatomie économique ".
(Marx, Lettres sur le capital)
Pour ces historiens des lendemains de la Révolution française,
les classes s'étaient manifestées et construites dans la lutte.
L'histoire des siècles passés était celle des luttes
de la bourgeoisie pour son émancipation économique et sociale
et pour de nouveaux droits politiques, luttes contre la noblesse et la monarchie,
dont l'étape ultime fut leur renversement.
Marx se situe dans la continuité de ces historiens nourris de la Révolution
française. Il écrit : " Toute l'histoire de la société
a été jusqu'à présent l'histoire de la lutte des
classes " . Il montre que la bourgeoisie n'est pas une classe figée,
mais une classe menant un combat permanent pour sa domination. Arrivée
au pouvoir, elle poursuit ce combat contre la classe qui la menace, le prolétariat,
négation de la propriété privée.
Les classes ne sont donc pas simplement une notion sociologique, pour laquelle
il s'agirait d'étudier revenus, culture, habitudes, lieux d'habitation,
éducation, goûts vestimentaires
Mais une question politique
qui se comprend comme un rapport de forces entre des puissances économiques,
sociales, idéologiques, politiques. Marx définit la classe comme
un " ensemble de personnes jouant un rôle analogue dans la production,
ayant dans le processus de production des rapports identiques avec d'autres
personnes " (Le Capital). On ne peut pas définir une
classe de façon isolée, ce qui la définit ce sont ses
rapports avec les autres classes dans le mode de production, et plus précisément
comment une classe s'approprie le surtravail produit par une autre classe.
Dans le système esclavagiste, l'esclave est dépossédé
de lui-même, il est nié en tant qu'être humain. Ce n'est
pas seulement le produit du travail qui est approprié par le maître
d'esclave, mais le travailleur lui-même, acheté sur le marché
aux esclaves, et qui devient sa propriété privée, sans
droit ni liberté.
Dans le système du servage, le serf travaille quelques jours sur un
lopin qui est à sa disposition, et il doit effectuer des jours de travail
sur des terres seigneuriales ou du clergé, c'est le produit de ce travail
qui est approprié directement par les classes dominantes.
Le mode de production capitaliste a révolutionné les rapports
de classes précédents. Dans ce mode de production, ce qui définit
le prolétariat, c'est qu'il ne possède rien d'autre que sa force
de travail qu'il est obligé de vendre contre un salaire, pour une certaine
durée, au patron, membre de la bourgeoisie qui, elle, possède
le capital dont les moyens de production pour l'exploiter.
Cette dernière forme d'exploitation plus masquée que les précédentes,
peut paraître moins brutale que ne l'était par exemple l'esclavage.
Mais en réalité la brutalité du capitalisme ne connaît
comme limite que celle que les salariés lui imposent par leur résistance
et leur lutte.
Le caractère révolutionnaire du capitalisme réside dans
le bouleversement permanent des rapports sociaux qu'il entraîne. Les
modes de production précédents se reproduisaient et progressaient
lentement. Les découvertes, les progrès de la science et de
la technique poussent la bourgeoisie à révolutionner sans cesse
les moyens de production et à élargir à tous les continents
les marchés pour écouler sa production. Poussée en avant
par la boulimie de profit et la concurrence, bousculée par la succession
des crises et de reprises économiques, la bourgeoisie élimine
toute stabilité de la société. Mais au cur de ces
transformations permanentes, l'exploitation, elle, demeure.
Pour bien des économistes ou des sociologues, l'exploitation réside
dans la brutalité du travail en usine, dans les mines etc. Elle serait
la caractéristique d'un capitalisme du 19ème siècle.
Pour le reste, il n'y aurait qu'un contrat librement passé entre un
salarié et un employeur.
Ce qui est masqué, c'est que c'est dans le processus même de
la production que réside l'exploitation, dans le fait que la force
de travail achetée par le patron pour une certaine durée produit
bien plus de valeur que le patron n'en rend au salarié sous forme de
salaire. C'est de cette valeur supplémentaire produite par le travail,
la plus-value, que le patron tire son profit.
A l'échelle de l'ensemble de la société, le prolétariat
industriel produit l'immense majorité des biens. Une part lui revient
sous forme de salaire. L'ensemble de la plus-value dégagée dans
la production est ensuite répartie entre le profit des actionnaires
ou des propriétaires d'usines, les dettes des entreprises auprès
des groupes financiers, des banques, des propriétaires terriens. Une
part revient aussi aux capitalistes du commerce qui sont les intermédiaires
entre les industriels et les consommateurs. Une part enfin constitue les impôts
pour l'Etat.
Le prolétariat des services, s'il ne crée pas directement de
plus-value, est exploité par la bourgeoisie pour réaliser la
plus-value, comme les salariés de la distribution, de plus en plus
nombreux, qui en assurant les tâches commerciales permettent au produit
d'être vendu à son consommateur, et enfin d'être converti
en argent sonnant et trébuchant ou circulant électroniquement
pour augmenter le capital investi d'une part de la plus-value. Au-delà
de la propriété privée directe des moyens de production,
c'est le fait d'avoir les moyens de s'approprier la plus-value qui définit
la bourgeoisie.
Les progrès techniques, l'urbanisation, le développement du
prolétariat, l'extension à l'échelle du monde du règne
de la marchandise font que la production industrielle s'est extrêmement
diversifiée depuis l'époque de Marx (limitée au textile,
à la sidérurgie, à l'énergie et aux tout débuts
de la chimie). Du coup, les services se sont eux aussi énormément
diversifiés. Mais le fonctionnement mis à jour par Marx reste
le même.
De même sur le chômage. Des défenseurs du capitalisme affirment
que le chômage massif actuel serait une phase particulière, presque
un accident, et au moindre signe de reprise économique, ils annoncent
le retour au plein-emploi, comme au tournant des années 2000, juste
avant l'effondrement de la Bourse.
Pour fonctionner, l'exploitation salariée a besoin d'un chômage
permanent, c'est-à-dire de travailleurs sans emploi, disponibles à
tout moment, que Marx appelait "l'armée industrielle de réserve
".
A l'époque de la 1ère révolution industrielle, la bourgeoisie
a créé le prolétariat en ruinant des masses de paysans
dépossédés de leur terre et obligés de vendre
leur force de travail pour vivre. En Angleterre, ce sont des centaines de
milliers de mendiants qui ont été raflés pour travailler
dans les premières usines, des centaines de milliers de paysans que
l'Etat a ruiné par l'impôt pour les exproprier et les forcer
à venir s'embaucher dans les usines du textile et de la sidérurgie,
des centaines de milliers d'artisans qui ont été ruinés
par les bas prix de la production industrielle et qui ont dû mettre
la clé sous la porte pour eux aussi devenir des prolétaires.
Quand il n'y avait pas assez de pauvres, quand l'offre de main d'uvre
devenait trop restreinte menaçant de faire monter les salaires, les
bourgeois anglais faisaient venir des milliers de travailleurs immigrés
d'Irlande.
Quand, après la 2nde Guerre mondiale, la reconstruction exigeait l'emploi
de toutes les forces disponibles et que le chômage atteignait des taux
trop bas, la bourgeoisie française a fait venir des travailleurs immigrés
par trains et bateaux entiers.
Le capitalisme contemporain ne fait que poursuivre cette politique.
Pour entretenir la concurrence entre les salariés dans le même
temps qu'elle élargit sans cesse tant la production que le marché,
la bourgeoisie étend le rapport d'exploitation, développe la
classe ouvrière. Le chômage massif est indispensable pour la
bourgeoisie. Cela ne fait que confirmer que " le caractère distinctif
de notre époque est d'avoir simplifié les antagonismes de classe
en deux vastes camps ennemis, en deux grandes classes diamétralement
opposées : la bourgeoisie et le prolétariat " .
Bourgeoisie et prolétariat
: deux classes antagoniques
L'antagonisme entre ces deux grandes classes fondamentales que Marx avait
décrit lorsque le capitalisme se développait, s'épanouit
pleinement aujourd'hui et se renforce.
Au début de l'ère industrielle, les " capitaines d'industrie
", à l'aide de leur fortune et de leurs relations, arrivaient
à construire des empires. Véritables monarques dans leurs usines,
ils transmettaient le flambeau à leurs fils. Les sociétés
portaient leur nom, comme pour les forges de Wendel, par exemple
Ils
jouaient de leur " paternalisme " auprès de leurs ouvriers
qui achetaient dans leurs magasins, vivaient dans " leurs " corons,
etc.
A l'époque de l'impérialisme, la bourgeoisie industrielle s'est
profondément liée à la bourgeoisie financière.
Toutes deux ont créé de multiples liens avec l'Etat dont le
haut personnel était formé dans les mêmes écoles
comme Polytechnique.
La bourgeoisie d'aujourd'hui est devenue plus anonyme, plus internationale.
Les dirigeants des grandes sociétés sont aussi membres de Conseils
d'administration d'autres sociétés -et rémunérés
grassement par des jetons de présence-, membres ou proches de l'appareil
d'Etat, ce qui augmente d'autant leur fortune déclarée ou pas.
Le patron de LVMH cumulait en 2000 42 postes de direction, 5 mandats d'administrateur,
10 de représentant permanent. Celui de Pernod Ricard respectivement
5, 35 et 10, celui d'Adecco 21, 25 et 3, pour ne citer que les premiers.
Cela leur permet d'être parmi les PDG les mieux payés, comme
Lindsay Owen Johnes (L'Oréal) qui " vaut bien " 6,2 millions
d'euros ; Messier, ex-PDG de Vivendi, 5,7 millions d'euros malgré ses
" déboires " ; Desmarets (TotalFinaElf) 2,4 millions auxquels
il faut ajouter plus 60 000 stocks options ; Riboud (Danone) 2,4 millions
plus 50 000 stocks options
Francis Mer, Ministre des finances, avait
perçu en 1999 en tant que membre de la direction d'Usinor 4,3 millions
de francs de salaire de base, 53 300 € en complément variable
et 9 900 € sous forme d'avantages en nature, plus 125 000 stock options
Des représentants des grands groupes financiers siègent avec
eux. Les grosses entreprises sont des holdings, conglomérats de sociétés
dirigés par des directoires de PDG comme le célèbre Baron
Ernest de Seillière qui, s'il est de l'ancienne famille des maîtres
de forges De Wendel, doit sa promotion à la tête du syndicat
des patrons à ce que l'activité principale de sa société,
la Compagnie générale de participations, est de faire fructifier
le capital des 650 héritiers de Wendel et de bien d'autres.
Le capital industriel et financier se sont totalement interpénétrés
au point que la capital financier domine totalement le capital productif.
Avec le capitalisme parvenu aujourd'hui au stade de libéralisme impérialiste,
les grands capitalistes à la tête des multinationales font de
plus en plus de profits à partir de la production, servis par des produits
financiers, toujours avec l'aide de l'Etat. Ces transactions financières
sont de plus en plus rapides et volatiles et, avec l'aide des communications
modernes (Internet
), immédiatement à l'échelle
internationale. Cela amplifie l'effet des crises, par l'accélération
des faillites et fusions. Le noyau dur capitalistique qui se constitue alors
avec ceux qui ne coulent pas, ceux autour desquels s'agrègent les autres,
n'en devient que plus puissant.
Le résultat est que, en l'espace de 40 ans, la bourgeoisie s'est considérablement
restreinte : on parlait de 200 grandes familles en 1936 ; en 1999, on ne parle
plus de familles mais de quelques conglomérats industriels et financiers
qui ne sont plus spécialisés dans un produit, la voiture ou
le pneu, mais comme Vivendi, touchent à tout, depuis l'eau jusqu'à
la télé
La propriété capitaliste n'est pas
supprimée, au contraire, elle est concentrée en des mains de
plus en plus puissantes.
Et ce n'est pas l'actionnariat " populaire " qui y changera quelque
chose ! Propulsé à partir de 1986 en France avec les privatisations,
il ne concerne que 10 % de la capitalisation en Bourse avec ses 7 millions
d'investisseurs individuels. Les " petits porteurs " n'ont ni le
temps ni la possibilité de diriger leurs affaires comme les gros actionnaires
; ce sont des gogos qui, comme on l'a vu pour Eurotunnel, sont les premières
victimes en cas de crise !
Toutes ces conditions font de la bourgeoisie une classe consciente de ses
intérêts, qui a des réflexes, sait transmettre son expérience,
ses idées, ses valeurs, se concerte, discute, forme ses membres à
la diffusion de son idéologie, construit consciemment des alliances.
Elle participe activement à la défense de ses intérêts.
Ainsi, les chefs d'entreprise qui ne sont que 0,5 % dans la population active
représentent 9,9 % de l'Assemblée Nationale (20 fois plus).
Par contre, les ouvriers (27 % de la population active), constituent 0,7 %
de l'Assemblée (33 fois moins !)
Loin de cette grande bourgeoisie, il y a encore en France bien des propriétaires
de moyens de production, comme les agriculteurs sur grande exploitation (de
plus de 100 hectares). Si leur nombre a augmenté (20 000 en 1955, 78
000 en 2000), ils ne représentent que 1,4 % de la population active
en 2002 (les petits exploitants 0,4 % et les moyens 0,6 %). Surtout, ces paysans
sont à la merci des grandes sociétés de l'agroalimentaire,
de la distribution et des banques. Ils sont entièrement dépendants
du capital qui leur dicte leurs rendements, production, voire non production,
qui les subventionne par l'intermédiaire des Etats ou de l'Union européenne,
parfois pour mettre leurs terrains en friche.
A côté des agriculteurs, il y a aussi les patrons de commerces,
artisans
qui emploient 13 % de la population active. Mais les disparités
entre les entreprises sont énormes : en 2002, il y avait plus d'un
million d'entreprises qui n'avaient aucun salarié, presque autant comptaient
de 1 à 9 salariés, 150 000 entre 10 et 49 salariés et
seulement 2150 avec plus de 500 salariés.
En réalité, la petite propriété est en pleine
chute. Les boulangeries pâtisseries sont passées de 40 000 en
1966 à 22 000 en 1998, les boucheries de 50 000 à 14 000 et
les épiceries de 87 000 à 13 000. Dans le même temps,
les supermarchés sont passés de 200 à plus de 5 000 et
les hypers de 1 à plus de 1 200 (employant 700 000 salariés)
! Ces grands magasins, regroupés autour de 5 centrales d'achat (une
pour Carrefour, Leclerc, Casino-Leader Price, Intermarché et Auchan),
sont en position de monopole, pouvant exiger des marges qui peuvent aller
jusqu'à plus de la moitié du prix du moindre produit ! Pas étonnant
qu'en 2003, deux parmi les milliardaires en francs soient des patrons de la
grande distribution : Mulliez (Auchan) et feu Halley (Promodès-Carrefour)
! Ils étendent leurs antennes en Europe et dans le monde (Carrefour
en Amérique du Sud, etc). Du coup, les petits commerçants et
autres fournisseurs paysans sont pris en étau entre les grandes chaînes
de distribution et les banques. Ils ne font pas le poids et leur avenir est
de plus en plus incertain.
Dans le système capitaliste, la propriété de ces couches
de petits et moyens propriétaires est non seulement constamment menacée
par la concurrence des grandes entreprises mais elle est de plus en plus insérée
dans leur propre réseau de production ou de distribution. Même
les jeunes patrons encouragés par l'euphorie de la Bourse, les promoteurs
de " start up ", s'ils parviennent à impulser parfois certaines
innovations que les grosses multinationales hésitent à anticiper,
s'écroulent le plus souvent aussi vite qu'ils sont nés, victimes
des aléas économiques et des banques.
En fait, la classe dominante est, dans l'économie actuelle, une bourgeoisie
de plus en plus restreinte et puissante.
A côté de ces propriétaires, il y a les hauts cadres,
techniciens très qualifiés, ingénieurs qui représentent
13,9 % de la population active, en incluant les professions libérales
et les commerciaux d'entreprises, qui vivaient et se sentaient plus proches
de la bourgeoisie que des travailleurs. Mais depuis la crise des années
80 et la mondialisation, cela a bien changé. Parmi les premières
victimes de l'endettement et de l'épargne salariale, ils commencent
à leur tour à être touchés par les licenciements.
Dernièrement, les multinationales font de plus en plus effectuer leur
travail high-tech (études d'ingénierie, analyse financière,
études de marché) par des ingénieurs en Inde ou en Chine,
ce qui représenterait entre 15 et 35 % des 2,8 millions d'emplois supprimés
depuis 2 ans aux USA
Si la plupart des hauts cadres fonctionnaires sont encore choyés par
l'Etat, comme les Trésorier payeur général qui peuvent
gagner jusqu'à 182 000 €, certains comme les directeurs de centre
hospitalier (29 000 € en début de carrière) commencent
à être menacés, puisque le plan Hôpital 2007 prévoit
que ces Directeurs ne seront retenus qu'en cas de rentabilité...
Ces hauts cadres du privé ou du public ne sont pas propriétaires
de moyens de production, ils sont au service de patrons ou de l'Etat, mais
leur sort est lié à celui des travailleurs. En effet, ils sont
dépossédés par le capitalisme plutôt que confortés,
même si certains préjugés peuvent les amener à
penser le contraire.
Seule s'étend la classe de ceux qui ne possèdent rien d'autre
que leur force de travail.
En France, les salariés étaient 19 millions en 1990 et 21,37
en 2001 ; aux USA 108 puis 124 millions. Bien sûr, ce n'est plus la
classe ouvrière concentrée dans quelques villes et quartiers
industriels, des bastions du militantisme socialiste puis communiste et syndical
d'avant et d'après guerre. 90 % de la population active en France est
salariée. Si elle s'est étendue et que son mode de vie a pu
changer, elle n'en demeure pas moins une classe qui n'a que sa force de travail
à vendre.
Les ouvriers, 27 % de la population active en 2002 dans l'industrie, l'artisanat
ou l'agriculture, sont nombreux surtout dans les entreprises de plus de 50
salariés, dans la construction automobile, l'agroalimentaire et le
commerce (où les emplois ont été multipliés par
4,4 en 40 ans). Cependant, dans les métropoles impérialistes,
le nombre d'emplois industriels diminuent sans cesse : - 1,5 millions en 25
ans en France (5 550 000 en 1978, 4 000 000 en 2002) alors que la population
active augmentait de 4 millions de personnes. Cette baisse est bien sûr
due aux licenciements, aux délocalisations accélérées
par la mondialisation. Mais surtout à l'évolution technologique,
à l'informatique, à l'automatisation, à l'utilisation
de nouveaux matériaux qui ont développé les services
et permis de produire plus avec moins de personnel (l'heure de travail était
28 fois plus productive en 1995 qu'en 1821 !).
Pour satisfaire sa soif de profits, la bourgeoisie aura toujours besoin du
travail industriel mais, pour en réduire les coûts, elle l'externalise
et l'exporte dans ce qu'elle appelle les " pays à bas salaires
", en Asie, en Amérique du Sud
D'abord, ç'a été
des secteurs qui ne nécessitaient pas beaucoup de qualification : le
textile, les jouets, le petit électroménager, la chaussure,
l'électronique de loisir. Depuis 15 ou 20 ans, ce sont aussi des emplois
du tertiaire, le traitement des bases de données, la programmation
informatique, les centres d'appel
L'Inde est ainsi devenue le premier
exportateur mondial de services informatiques ; dans de grandes villes comme
Bangalore, on travaille comme dans une Silicon Valley pour Alsthom, Axa, Paribas,
le Crédit Lyonnais, France Télécom, Vivendi
Du coup, la classe des salariés s'élargit au niveau de la planète.
Les conditions de vie changent : des fractions entières de la paysannerie
ont perdu leur petite propriété et été plongées
dans le salariat moderne, dans les villes du Tiers monde (dont la population
a été multipliée par 6 entre 1975 et 1995), dans des
conditions de misère extrême mais loin des campagnes et des relations
qui permettaient de survivre traditionnellement, hors du tourbillon du capitalisme.
La nouvelle force de travail salariée mondiale, environ 1,9 milliard
d'ouvriers et d'employés en 1980, était de 2,3 milliards en
1990 et de 3 milliards en 1995, autant dire la moitié de l'humanité
(Petras, Veltmeyer La face cachée de la mondialisation). Ces
travailleurs sont souvent salariés dans de grands complexes, avec des
méthodes tayloristes modernes, ils manient les dernières trouvailles
de la technologie tout en respirant l'air souillé de produits chimiques,
de poussières, 14 heures par jour, en vivant parfois dans des baraquements
appartenant aux patrons
Ces tâches qui exigent des bases techniques
et culturelles plus importantes qu'autrefois, même si ces tâches,
autant dans l'industrie que dans le tertiaire, sont taylorisées, les
plongent définitivement dans le monde salarié moderne.
Les conditions de travail des salariés, si elles ne sont plus celles
des mines et forges du XIXème siècle, ne se sont pas toujours
améliorées avec les nouvelles technologies. Elles se sont seulement
élargies à un nombre plus important d'ouvriers et de salariés
du tertiaire. Dans une enquête INSEE de 2002, 38 % des salariés
disaient porter ou déplacer des charges lourdes contre 22 % en 1984.
54 % souffraient de rester longtemps debout contre 49 % en 1984. Si le travail
était surtout physiquement pénible pour les ouvriers qui étaient
par exemple 62 % à craindre d'être blessés par des outils
ou matériaux, les salariés des bureaux, employés, professions
intermédiaires sont deux fois plus à déclarer souffrir
aussi de postures ou déplacements pénibles en 1998 qu'en 1984.
De même, avec le travail en flux tendu, la course à la rentabilité,
47 % des salariés travaillent le samedi, 25 % le dimanche contre moins
de 1 sur 5 en 1984. Le travail de nuit a progressé et touche désormais
14 % des travailleurs.
Les rythmes de travail s'accélèrent : la proportion de salariés
dont la rapidité du travail dépend de normes de production ou
de délais à respecter en moins d'une journée est passée
de 19 % en 1984 à 43 % en 1998. Les travaux pénibles le sont
encore plus. Ainsi, le travail à la chaîne concerne un nombre
grandissant de salariés : en 1984, 7,5 % des ouvriers qualifiés,
16 % en 2002 ! Parmi les non qualifiés, 30 % des travailleurs font
du travail posté contre 20 % quinze ans auparavant. Du coup, pour les
ouvriers, souvent jeunes ou intérimaires et immigrés, ce sont
des tâches encore plus parcellisées, stressantes, la perte totale
d'autonomie, à terme des maladies professionnelles comme des tendinites,
des troubles musculo-squelettiques ou des accidents du travail à répétition.
Et une tension plus grande au travail : 30 % des salariés disent vivre
des tensions avec leurs chefs et en souffrir dans leur vie quotidienne contre
23 % en 1991. Il en est de même dans ces véritables usines que
sont les centres d'appels où les employés sont chronométrés,
mis sous pression pour faire du chiffre en peu de temps (jusqu'à 7
secondes en moyenne avec un client !). L'informatique sert alors à
mieux fliquer les salariés
Les directions profitent du statut
précaire ou à temps partiel, du turn over important, pour imposer
ces conditions de travail. En 20 ans, en France, les emplois précaires
(CDD, CES, intérim
) ont été multipliés par
3 !
On en arrive à des situations d'exploitation dignes du Tiers monde
dans les milieux du travail domestique, du gardiennage, du nettoyage, ce qui
a fait dire aux grévistes, des femmes pour la plupart immigrées,
salariées d'Arcade-Accor que leur travail, c'était de la "
délocalisation sur place ".
Les employés des services, dont beaucoup de femmes, en augmentation
constante depuis les années 50 (20,7 % de la population active en France
aujourd'hui), ont émergé après la guerre puis durant
les 30 Glorieuses, suite au développement de nouvelles technologies
comme l'informatique et au besoin de démocratiser un peu la santé,
l'éducation, sous la pression du salariat. Aujourd'hui, les salariés
des services publics ou privés sont directement attaqués au
même titre que les ouvriers, victimes des coupes sombres dans leurs
effectifs, de l'introduction de critères de rentabilité au travail,
etc.
C'est pour toutes ces raisons que de plus en plus de cadres, professions intermédiaires
disaient dans un sondage en 1998 se retrouver plus proches des ouvriers que
des hauts cadres et de la direction, et même prêts à faire
grève. Il n'y a pas eu de " moyennisation " avec le développement
du tertiaire mais plutôt une prolétarisation. Ce qui explique
aussi l'implication des profs et instituteurs, des personnels de santé,
d'agents publics dans les grèves en 95 et au printemps dernier, l'envie
de revendiquer par les méthodes de la lutte de classe, d'unité
des travailleurs, celles qui étaient avant celles des luttes des ouvriers
d'industrie
La classe des salariés a bien sûr changé par rapport aux
années d'après guerre et même depuis 1973, mais elle demeure
une classe qui n'a que ses bras à vendre à l'ensemble de la
classe capitaliste quand celle-ci en a besoin, guettée par le chômage.
La classe des salariés, 23 millions sur 26 millions d'actifs, comprend
3 millions de chômeurs " officiels " et de stagiaires, surtout
des jeunes, des femmes, des immigrés. Cette " armée de
réserve " n'est même pas sûre de pouvoir travailler
un jour
Ce chômage qui s'aggrave pèse sur l'ensemble de
la classe salariée. C'est la même classe qui s'étend et
s'appauvrit à un pôle, celui des travailleurs pauvres (2 400
000 gagnent moins de 6 500 € par an en travaillant) et chômeurs,
sans s'enrichir de l'autre : ses couches les plus jeunes, les plus diplômées
sont de plus en plus longtemps au chômage ou en précarité
(entre 1971 et 1987, le chômage des diplômés de l'enseignement
supérieur est passé de 0 à 15 % pour les garçons
et de 2,9 à 10,3 % pour les filles, entre 15 et 24 ans).
En ce qui concerne les conditions de vie de la classe salariée, si
elles ont évolué avec la démocratisation de l'enseignement,
de l'accès aux soins, du logement dans l'après-guerre, on retrouve
les inégalités aujourd'hui, mais à un autre niveau. Par
exemple, seulement 4,9 % des fils d'ouvriers accèdent au 3ème
cycle de la fac contre 36 % des fils de professions libérales et hauts
cadres. Les étudiants les plus démunis doivent souvent travailler
pour payer leurs études et deviennent de plus en plus des salariés
précaires dans la restauration rapide ou la vente (Fnac, Pizza Hut,
Mac Do, Go Sport
).
La classe ouvrière, comme le capitalisme, est devenue d'emblée
internationale. Les salariés des multinationales dans les pays "
à bas salaires " sont aujourd'hui plus nombreux et peuvent voir
qu'ils ont partie liée avec les ouvriers des métropoles qui
travaillent pour les mêmes marques : General Motors emploie par exemple
355 000 personnes dans le monde, plus des sous-traitants, dans des domaines
aussi variés que les moteurs électriques, le transport, l'aéronautique,
le matériel médical, les plastiques, l'électroménager,
l'éclairage, les services financiers, la télévision...
Les crises et les attaques qui affectent les exploités du Tiers monde
ont des répercussions immédiates sur les travailleurs des grandes
puissances. Les maquiladoras du Mexique sont en quelque sorte coupées
en deux par la frontière, les sièges et les cadres aux USA,
la production et sa main d'uvre au Mexique
Il se produit pour cette classe ouvrière souvent jeune et féminisée
le même phénomène que pour la classe ouvrière des
pays où se trouvent les sièges de ces sociétés.
Elle est amenée à résister, trouve les moyens de se faire
entendre et de s'organiser comme on l'a vu en Corée ou en Argentine.
La population des pays pauvres a fini par avoir quelques retombées
du progrès suite à ses luttes contre la colonisation et parce
que la bourgeoisie avait besoin qu'elle ait un minimum de structures pour
exister dans les villes. Mais, avec la crise actuelle, tout cela part en fumée.
Des coupes sombres sont faites dans les budgets publics par le FMI. Les multinationales
qui avaient licencié dans les métropoles pour délocaliser
dans les pays plus pauvres, y licencient massivement aussi. C'est la chute
dans l'économie " informelle " voire la misère la
plus totale pour une grande partie de la classe ouvrière des anciens
pays coloniaux. En Afrique, il est prévu qu'en 2015, 345 millions de
personnes vivront avec moins d'un dollar par jour contre 300 millions en 1999
50 % de la force de travail mondiale est, soit au chômage, soit sous-employée,
vivant du travail au noir en pleine expansion dans les grandes villes du Tiers
monde. La classe ouvrière n'a pas d'avenir dans ce système.
* * *
L'opposition entre la classe des salariés et le patronat, loin d'avoir
disparu, s'est renforcée avec l'accroissement de celle-ci, enrichie
par l'émergence du tertiaire. Du coup, l'ensemble de la classe des
salariés s'est renforcée en se diversifiant et en accédant
à un nouveau niveau de culture et de technicité à travers
le monde
Cette évolution, que Trotsky avait entrevue dans les années
30 aux Etats-Unis, confirme l'analyse marxiste des classes. Si le capitalisme
a pu avoir un nouveau souffle lors des Trente Glorieuses, cela a été
sur la base des destructions de la Seconde guerre mondiale et de l'exploitation
accrue des peuples coloniaux. Ce nouveau souffle a entraîné un
développement puissant du secteur tertiaire aux dépens du secteur
agricole et du petit commerce. Du coup, aujourd'hui, les deux classes fondamentales
de la société, l'immense classe des salariés et la minorité
des capitalistes sont toujours en conflit, mais sur une arène bien
plus vaste que l'Europe et les Etats-Unis. Le conflit entre le monde du travail
et la bourgeoisie s'est étendu à la planète entière,
sur la base de moyens de production gigantesques, de communications et transports
rapides, reliant le monde entier en quelques secondes.
Ensemble, travailleurs de l'industrie et du tertiaire sont de plus en plus
exploités en même temps que reliés dans le travail, amenés
à apprendre des techniques et à manier les produits les plus
avancés sans en avoir le contrôle, à travailler pour un
marché de plus en plus mondial sans en bénéficier vraiment.
Aujourd'hui, l'opposition classe ouvrière - bourgeoisie est plus profonde
; des couches toujours plus nombreuses d'opprimés sont dépossédées,
exploitées par le capitalisme, exclues de toute démocratie sous
le règne de quelques multinationales.
Et ce conflit entre les classes va en s'approfondissant.
La contradiction fondamentale entre
production socialisée et appropriation privée se renforce
En effet, la contradiction essentielle qui mine le système capitaliste
est celle entre l'appropriation privée des moyens de production et
la production socialisée. C'est elle qui est à l'origine des
deux principales classes, la classe ouvrière et le patronat. C'est
aussi la cause des crises économiques au cours desquelles des forces
productives devenues trop grandes pour les rapports sociaux bourgeois se rebellent
contre lui, et comme il n'y a pas d'autre moyen de réguler une production
massive et complètement anarchique que le marché, à cette
occasion, des hommes, des travailleurs, et des marchandises sont rejetés
en nombre, ne trouvant pas de travail, ne trouvant pas preneur. Au cours de
chacune de ces crises qui si, elles ne sont plus aussi régulières
qu'au XIXème siècle, sont impossibles à éviter
dans ce système malgré toutes les régulations étatiques
et internationales, le capital se concentre davantage en quelques mains au
niveau national et mondial.
Cette concentration du capital se fait au profit des branches les plus rentables
à travers le monde ; dès qu'un secteur offre de meilleurs profits,
les capitaux s'y précipitent puis le saturent ; du coup, il est abandonné
pour un autre. Les progrès scientifiques et technologiques sont utilisés
dans ce but. Une fraction de la bourgeoisie et de la petite bourgeoisie est
ruinée à chaque fois. Les capitalistes peuvent ainsi sacrifier
des zones entières de la planète, comme ce fut le cas de l'Asie
en 1998 ou de l'Argentine en 2001 : ils ont simplement coupé les crédits
publics et privés sachant qu'ils précipitaient ainsi des milliers
de personnes dans la misère et la ruine.
Ce mouvement aboutit au fait qu'en 2000, quelques 200 multinationales à
travers le monde contrôlent tous les secteurs de l'économie mondiale,
dont les 54 premières par la capitalisation boursière sont américaines
: General Electric, Microsoft, Exxon Mobil, Pfizer, Intel
Employant
des millions de salariés (40 millions en 1975, 73 en 1992) avec en
plus des filiales et sous-traitances diverses, elles contribuent à
lier tous les travailleurs entre eux. Mais c'est au prix d'une dictature y
compris sur les Etats les plus puissants et du rejet dans la misère
de toutes les branches non rentables, donc, de milliers de salariés,
au gré des crises.
Le principal indicateur de cette internationalisation des multinationales
est la hausse rapide de ce qu'on appelle les investissements directs à
l'étranger (IDE) de 6 % du PIB mondial en 1980 à 9 % en 1990.
Ce niveau a bondi de 20 % en 2000, plus qu'un doublement en 10 ans (un gonflement
dû aussi à la bulle boursière). Si avant les années
80, beaucoup de ces investissements sont allés au Tiers monde sous
forme de prêts bancaires, ils n'ont servi qu'à dépecer
les services publics et à de nombreuses fusions-acquisitions qui ont
rapporté aux multinationales intéressées par ces "
marchés émergents ", jusqu'à leur épuisement.
Un exemple : Danone, 72ème multinationale au niveau mondial avec 86
000 salariés. En 2000, 58% de ses activités se font hors de
France, avec 61 % de ses ventes et 75 % de ses emplois, soit 58 000 contre
22 000 en 1989 ! Ses investissements financiers : 61 %, ses investissements
industriels : seulement 39 % ! Lorsqu'il a décidé de recentrer
ses nombreuses activités sur les produits laitiers frais, les boissons
et les biscuits, il a massivement licencié dans ses secteurs en Europe
(Lu, Heudebert, Belin
) pour racheter des sociétés étrangères
et employer de plus en plus de monde en Asie et Amérique du Sud
Aujourd'hui, l'Union européenne, le Japon et les USA se partagent ensemble
presque 80 % du stock global d'IDE.
* * *
L'évolution économique fait que la bourgeoisie ne peut accroître
ses profits dans le système actuel, aiguillonnée non par les
besoins humains mais par la concurrence sur le marché, sans développer
dans le même temps la classe des salariés à l'échelle
internationale, et sans de ce fait la pousser à la révolte Les
progrès technologiques accélèrent la circulation des
biens, des personnes mais aussi des facteurs de crise et de bouleversement
(financiarisation de l'économie).
Il y a un décalage de plus en plus important entre cette prolétarisation
de la planète, cette entrée dans la vie moderne et internationale
d'une masse croissante d'exploités et l'appropriation de leur travail
par une poignée d'industriels et actionnaires de moins en moins nombreux
et contrôlables.
La contradiction entre la production de plus en plus socialisée et
son appropriation privée de plus en plus concentrée se manifeste
dans le développement du prolétariat et la constitution d'une
aristocratie financière de plus en plus restreinte.
Paupérisation relative et absolue
Marx avait montré que le développement capitaliste s'accompagne
d'une paupérisation relative du monde du travail. Les travailleurs
dans leur ensemble produisent un volume grandissant de richesses et ne peuvent
jouir que d'une part proportionnellement toujours moindre de celles-ci.
Cette paupérisation relative se mesure avec, par exemple, les indicateurs
de répartition de la valeur ajoutée qui montrent quelle proportion
de la valeur nouvellement créée dans une année revient
aux salariés sous forme de salaires, et quelle proportion revient aux
propriétaires du capital.
Sur l'ensemble du 20ème siècle, la part revenant aux salariés
a oscillé en France entre 72 % et 60 % de la valeur créée,
tandis que celle revenant au capital allait de 28 à 40 %. Mais l'évolution
dans le temps montre clairement l'évolution du rapport de forces entre
les classes.
La part des salariés a augmenté de façon presque continue
pendant les 30 Glorieuses et dans les années qui ont suivi, jusqu'au
taux maximum de 72 % en 1981. Depuis 81, pendant les 20 années de gouvernements
de gauche et de cohabitation avec la droite, la part des salariés a
baissé sans discontinuer pour atteindre aujourd'hui son taux le plus
bas, le plus bas depuis le début du 20ème siècle, avec
60%. Ce déplacement de 12% des richesses créées en faveur
de la bourgeoisie en 20 ans est énorme. Pour donner un ordre de comparaison,
l'Impôt sur les grandes fortunes instauré par la gauche en 1981
n'a représenté à l'époque qu'un déplacement
de 0,3% du revenu de l'époque (40 fois moins !) (les données
de ce passage viennent de Piketty, L'économie des inégalités).
On voit aussi cette paupérisation des salariés par l'évolution
du pouvoir d'achat.
S'il fallait croire l'INSEE, les salaires ne cesseraient de progresser, alors
que pour l'immense majorité des salariés les fins de mois sont
de plus en plus difficiles.
Jusqu'en 1977, les salaires ont effectivement augmenté. Mais depuis
1982, avec le blocage instauré par la gauche dans le cadre de l'offensive
libérale de la bourgeoisie, le revenu des salariés plonge.
Les chiffres de l'indice des prix de l'INSEE ne reflètent pas la consommation
réelle des classes populaires, par exemple le poids des loyers est
très minoré dans cet indice, et des produits qui sont sortis
de la consommation courante comme le charbon y figurent toujours. Du coup,
les calculs du pouvoir d'achat selon l'INSEE sont faussés. La CGT de
son côté a mis au point un autre indice qui aboutit à
des conclusions radicalement opposées.
Ainsi, sur la période 1984-1996, d'après l'INSEE, le salaire
moyen net mensuel en francs constants aurait, gagné 706 F (+7,2 %),
atteignant 10 500 F en 1996. Mais pour la même période, selon
la CGT, il y aurait en fait une perte de 1487 F (-12,4 %).
Pour les ouvriers, selon l'INSEE, l'augmentation serait de 280 F (+4%) pour
atteindre 7970 F en 1996. Pour les employés, 163 F (+2%), atteignant
8230 F en 1996. Pour la CGT, il y a perte de 1440 F, soit -15 % pour les ouvriers,
et pour les employés de 1640 F, soit -17 %. Pour les professions intermédiaires,
la baisse du pouvoir d'achat est encore plus marquée : les données
officielles admettent une perte de pouvoir d'achat de 524 F (-4 %). Avec l'indice
CGT, c'est une chute de plus de 3 300 F (-22%) !
Sans compter que l'INSEE ne comptabilise pas les millions de travailleurs
à temps partiel ou qui ne travaillent que quelques mois dans l'année.
Du coup, on peut estimer que le salaire moyen réel est sans doute 10
% inférieur à celui annoncé par l'INSEE, ce qui donnerait
une baisse moyenne du pouvoir d'achat plutôt de l'ordre de 1750 à
2000 F que des 1500 F annoncés par la CGT.
50% des salariés (10 millions) touchent moins de 1160 € (7600
F) (salaire médian).
2,2 millions de salariés ne touchent que le Smic. Et 3,4 millions,
1 salarié sur 6, perçoivent moins que le Smic. Avec les temps
partiels imposés et les contrats de type CES, CEC, CIE, ce sont essentiellement
des femmes qui sont victimes de ce sous-emploi que certains qualifient cyniquement
de " temps choisi " ou de " chance pour concilier vie familiale
et vie professionnelle " (1,5 millions de temps partiels en 1980, 4 millions
aujourd'hui, essentiellement des employées, vendeuses, caissières,
femmes de ménage, etc).
Cette progression des bas salaires a été très rapide
dans les années 80, à l'origine de l'augmentation de la pauvreté
et des inégalités.
33% des ménages (7 700 000) ne possèdent aucun patrimoine. Les
17% suivants (3 800 000) possèdent 6% du patrimoine national. 10 millions
et demi de ménages, la moitié de la population du pays, se partagent
donc 6% du patrimoine national. Quand le 1% de ménages les plus riches
(230 000) en possèdent 21%.
Entres les 10% de ménages les plus pauvres et les 10% les plus riches,
il y a un écart de revenu de 1 à 4, et un écart de patrimoine
de 1 à 80.
4,2 millions de personnes vivent en dessous du seuil de pauvreté, fixé
en France à 581 € (la moitié du salaire médian).
Parmi elles, 520 000 retraités, 1 million d'enfants de moins de 17
ans, 420 000 étudiants de plus de 17 ans, 580 000 sans emplois. Mais
aussi 520 000 chômeurs de longue durée. Et 1,2 millions de travailleurs.
Quant au nombre de RMIste, il est passé en France de 407 000 en 1989
à plus d'1,1 millions en 2001.
Cette paupérisation est à mettre en relation avec l'extraordinaire
progression de la productivité du travail.
Entre 1945 et 1995, la production industrielle a été multipliée
par 6 en France, alors que le nombre d'ouvrier diminuait. La richesse créée
a augmenté, et bien plus vite que la population, puisque le PIB par
habitant a lui été multiplié par plus de 4, passant de
11 000 euros en 1950 à 45 000 euros en 1990. Jamais les richesses disponibles
n'ont été aussi importantes. Cela met en lumière de la
façon la plus criante, la contradiction entre ce qui serait possible,
une répartition qui permettrait des conditions de vie décentes
pour tous, et ce qui est, les injustices les plus accentuées depuis
des décennies.
A l'échelle du monde, la situation est encore plus dramatique.
Des économistes, des journalistes, des patrons cherchent à présenter
l'évolution économique comme un progrès régulier
qui assurerait une amélioration des conditions d'existence, et de citer
les " 30 Glorieuses " ou les quelques rares " pays émergents
" qui ont connu des périodes de croissance ces dernières
années. Leur propagande ne résiste pas devant l'examen des conditions
terribles que le capitalisme impose à la majeure partie de l'humanité.
En 1998, 1,2 milliards de personnes (1/5ème de l'humanité) vivent
avec moins de 1$ par jour. 1 personne sur 6 (1 milliard) vit dans un bidonville.
Dans les pays de l'Afrique subsaharienne, le nombre moyen de calories disponibles
par habitant a reculé pendant ces 40 dernières années.
Dans cette zone, le nombre de sous-alimentés est passé de 100
millions en 1970 à 200 millions en 2000. Dans la zone Amérique
latine - Caraïbes, de 40 millions à 55 millions. Dans l'Asie du
sud, de 225 millions à 240 millions.
Ces pays sont appelés par les organismes officiels " pays en développement
", en réalité, les conditions de vie s'y dégradent
de façon dramatique. Il y a réellement paupérisation
absolue.
Et il ne s'agit pas d'un problème de pénurie. Si la nourriture
déjà disponible uniquement dans les prétendus "
pays en développement " était répartie équitablement,
4,5 milliards d'humains auraient 2500 calories par jour. Au lieu de cela,
800 millions de femmes et d'hommes sont sous-alimentés, dont les ¾
sont des ruraux auxquels les lois du marché empêchent de produire
leur alimentation. 24 000 personnes meurent de faim chaque jour.
Cette situation actuelle est le produit de la généralisation
de l'économie de marché, la marchandisation du monde. La famine
endémique est une invention du capitalisme, elle n'existait pas avant
qu'il impose le règne de la marchandise à l'échelle du
monde. Elle est la conséquence ultime du transfert de la majeure partie
des richesses dans les coffres des multinationales et des groupes financiers.
L'accentuation des inégalités révèle l'accentuation
de l'exploitation salariée et son extension. Ne pas réussir
à vendre sa force de travail est pour le prolétaire le début
du monde des abîmes. La bourgeoisie, aiguillonnée par la concurrence
et par la boulimie de profits, accentue et étend toujours plus cette
exploitation.
* * *
La classe salariée a évolué, s'est élargie,
diversifiée à l'échelle de la planète. Parallèlement
à son poids numérique, son poids économique s'est accru
dans une bien plus grande mesure du fait de l'augmentation de la productivité.
Internationale, elle l'est dès sa naissance, et les migrations économiques
renforcent les liens entre les classes ouvrières du monde, victimes
partout des mêmes frontières et des mêmes préjugés
sociaux.
Les conditions de vie et de travail se sont aggravées du fait de la
concurrence exacerbée et du recul politique du mouvement ouvrier. Ainsi
s'amenuise l'espoir d'obtenir des avancées dans le cadre de cette société,
de façon réformiste, par la politique des syndicats et partis
" de gauche ". Le discrédit du PC qui a géré
loyalement le système avec le PS se traduit par des ruptures profondes
avec les appareils, des politiques qui ne sont même plus réformistes,
la routine des bureaucrates
Le manque d'intérêt pour la
politique, " l'apolitisme " dans les milieux populaires, le vote
dit " contestataire " à l'extrême droite, les difficultés
à s'organiser sur les lieux de travail, les quartiers, la montée
de certains intégrismes, en sont des marques aussi.
Les conditions de travail et de vie engendrent -ce qui est souvent ignoré
par les sociologues de tous bords- une nouvelle conscience, de nouvelles luttes
de précaires -même de managers de chez Mac Do-, des luttes parfois
désespérées comme à la Cellatex, mais aussi des
grèves avec des collectifs interprofessionnels comme au printemps 2003,
de travailleurs sans papiers (récemment dans les vignobles du bordelais)
ou étrangers travaillant pour des sous-traitants avec des salariés
français comme aux chantiers de Saint-Nazaire
Cela s'est traduit
par les progrès du vote extrême-gauche dans les milieux populaires
et la jeunesse révoltée à la dernière Présidentielle.
C'est ce qui apparaît aussi, au niveau mondial, à travers l'émergence
de résistances à l'ordre impérialiste mondial, dont les
manifestations altermondialistes sont un reflet.
En réalité, le développement des forces productives s'est
poursuivi bien au-delà de ce que Marx avait prévu (et pas prédit
selon bien des caricatures, car Marx était un acteur de son temps et
un savant, pas un prophète !)
Cependant, les contradictions qu'il a décrites au cur du développement
du capitalisme demeurent et s'aiguisent comme on peut le voir avec la prolétarisation
croissante des exploités, voire leur paupérisation, et la concentration
du capital dans le monde.
Les contradictions entre la classe des possédants et la classe des
prolétaires sont toujours plus aiguës et ne trouveront de solution
que dans l'appropriation collective du produit du travail socialisé
par un renversement révolutionnaire, la prise du pouvoir politique
et économique par les exploités. La véritable démocratie
réside dans la reconnaissance du caractère collectif des forces
productives devenues trop larges pour le cadre étroit des rapports
sociaux bourgeois, de la propriété privée.
Une telle issue suppose que le développement social de la classe ouvrière
moderne, dans toute sa diversité, s'accompagne du développement
de sa conscience. " Classe en soi ", selon l'expression de Marx,
c'est-à-dire qui n'a pas encore conscience d'elle-même, elle
se transforme en " classe pour soi ", c'est-à-dire organisée
et luttant consciemment pour ses droits sociaux et démocratiques, pour
la révolution.
Cette transformation s'opère au cours du développement même
de la classe salariée qui suscite conflits, luttes, espoirs et révolte
à travers lesquels se forgent ses aspirations propres, ses idéaux
sociaux, une nouvelle conscience.
Cette dernière se construit à travers un processus fait de crises,
de reculs, d'avancées. Elle est le produit d'évolutions économiques,
de rapports de force sociaux, de luttes politiques et sociales qui façonnent
une expérience humaine collective, celle de l'appartenance à
un classe porteuse d'un autre monde possible.
La bourgeoisie, classe rompue à l'exercice du pouvoir, dispose d'un
Etat major, d'un appareil d'Etat, de syndicats, de partis pour défendre
son intérêt particulier opposé à l'intérêt
collectif. Elle est dépassée par l'évolution actuelle
des forces productives. Ces dernières sont à la mesure de la
classe salariée qui les manie, celle qui travaille, qui étudie,
qui lutte pour ne pas être une marchandise, machine manuelle ou intellectuelle
à faire du profit.
Classe exploitée, en s'emparant de l'économie, en s'appropriant
les moyens de production, en contrôlant la société, la
classe des salariés ferait par là même disparaître
toutes les classes et avec elle l'oppression de l'homme par l'homme.
Etre révolutionnaire, c'est participer à ces évolutions,
en prendre conscience soi-même pour les rendre conscientes à
leurs autres acteurs. Qui dit contradiction dit mouvement : décrire
ce mouvement de l'histoire, ces contradictions, les comprendre pour que la
classe des exploités y inscrive sa propre action pour renverser le
vieux monde, voilà le contenu de notre travail politique.
Sophie Candela et Franck Coleman