Evolution
du capitalisme et
Nouvelles perspectives pour le mouvement ouvrier
Mis en ligne le 12 avril 2007
Entre le cynisme
de l'annonce du nouveau record de profits, près de 100 milliards d'euros,
atteint par les entreprises du Cac40 en 2006, les fermetures d'usines comme
celle d'Arena suite à leur délocalisation en Chine, la révélation
des chiffres tronqués du chômage qui ne peuvent plus masquer
la réalité de l'explosion de la précarité, les
conséquences ravageuses de la mondialisation sont devenues une réalité
quotidienne, s'imposant comme thème central dans les débats
politiques de la campagne présidentielle.
De Villiers fait même de la mondialisation son principal adversaire,
pour lui opposer les vieilles rengaines réactionnaires du nationalisme
et du protectionnisme. Ségolène Royal qui, il y a quelques mois
encore insistait sur le fait qu'il fallait aussi voir les côtés
positifs de la mondialisation, en dénonce maintenant les dérives
au nom de son " ordre juste ". Même Sarkozy, tout
en se disant sur le fond libéral prétend, face à la multiplication
des licenciements boursiers, vouloir moraliser le capitalisme financier. Quand
à Bayrou, reprenant les arguments des partisans du Oui, il ne voit
de solution que dans la construction d'une Europe forte. De droite comme de
gauche, face à la mondialisation, ils se situent sur le terrain de
la défense de la " souveraineté menacée "
de la France. Ils prétendent vouloir moderniser le pays, adapter son
économie pour qu'elle soit plus compétitive dans le cadre d'une
concurrence devenue mondiale.
Mais ces déclarations ne font que révéler leur impuissance
à combattre les conséquences d'un système qu'en réalité
ils n'ont fait que défendre et justifier à chaque fois que les
uns ou les autres ont été au gouvernement. Elles entretiennent
la confusion en essayant de nous solidariser des intérêts des
classes dominantes dans la guerre économique qu'elles mènent
à l'échelle du monde. Et face à cette confusion, le mouvement
ouvrier reste désarmé.
Les ravages de la mondialisation sont la conséquence des contradictions
internes d'un système qu'il est illusoire de vouloir moraliser ou réguler.
Au contraire, contre cette logique destructrice de la finance, contre la mise
en concurrence de tous, il faut opposer une autre logique, irréconciliable,
celle du droit à la vie de la majorité. Cela implique d'imposer
des mesures d'urgence qui remettent en cause la dictature du capital financier,
en n'hésitant pas à empiéter sur le droit de propriété
au nom duquel elle s'exerce. Ces mesures vitales impliquent d'imposer un contrôle
démocratique de l'économie seul moyen pour pouvoir l'organiser
dans l'intérêt de l'ensemble de la société.
Ces mesures ne peuvent que s'appuyer sur la conscience de la nécessité
d'une contestation collective du pouvoir de la bourgeoisie, de la légitimité
de la lutte des classes, menée jusqu'au bout pour imposer une autre
répartition des richesses et transformer la société.
L'échec historique de la social-démocratie qui s'est complètement
convertie au libéralisme et du stalinisme qui s'est effondré
avec la fin des dictatures de l'ex-URSS et des pays de l'Est, met l'ensemble
du courant révolutionnaire, comme des militants ouvriers, devant la
nécessité de reformuler ces perspectives générales,
révolutionnaires, pour le mouvement ouvrier.
C'est même la tâche de fond du mouvement révolutionnaire.
A travers les mobilisations, les luttes, à travers le travail dans
les associations et les organisations syndicales, en utilisant la tribune
des élections, il s'agit de reconstruire une conscience de classe,
indépendante des classes dominantes, fondée sur un projet de
transformation sociale.
Cela veut dire surmonter les échecs de la période précédente
tout en fondant la continuité du combat pour l'émancipation.
Malgré les échecs du passé, en quoi les transformations
du capitalisme, en accentuant ses contradictions, créent-elles de nouvelles
possibilités de développement pour le mouvement ouvrier ?
La question renvoie à un débat de fond sur la nature de la nouvelle
phase de développement du capitalisme que nous connaissons, pour dégager
les changements et la continuité avec l'époque de la naissance
de l'impérialisme. En effet la mondialisation actuelle est souvent
comparée, à juste titre, avec cette " première
mondialisation ", cette période d'essor de l'impérialisme,
mais cette analogie pose les problèmes plus qu'elle ne les éclaire.
Cette période a été une époque charnière
de transformation du capitalisme, au cours de laquelle les partis socialistes
se sont développés, c'est une période d'essor politique,
théorique, pratique sans précédent pour le mouvement
ouvrier. C'est aussi à cette époque que se sont constitué
les bases économiques qui allaient engendrer une période de
guerres, de crises, de révolutions à travers lesquels le mouvement
socialiste allait s'effondrer et les partis communistes se constituer dans
le feu d'une profonde crise révolutionnaire.
C'est pour cela que comprendre les échecs passés tout en fondant
la continuité du combat implique une nécessaire confrontation
avec l'analyse de la nature de cette période de l'impérialisme
faite par les révolutionnaires et en premier lieu par Lénine.
Quelle continuité et quelle rupture entre l'impérialisme et
la nouvelle phase du capitalisme d'aujourd'hui ? Quelles conséquences
cela a pour les perspectives du mouvement anticapitaliste ?
Cette évolution ouvre-t-elle de nouvelles voies pour réformer
la capitalisme ou bien légitime-t-elle la perspective révolutionnaire
? Et rend-elle, pour autant, cette perspective plus crédible ?
Les faits sociaux qui ont contribué aux échecs passés
ont-ils été dépassés, les conditions objectives
nouvelles sont-elles plus favorables à l'essor d'un nouveau mouvement
ouvrier et donc des possibilités révolutionnaires ?
Ce sont ces questions dont cet article se propose de discuter.
Libéralisme
et impérialisme
Le visage actuel
de la mondialisation a été façonné par le travail
des contradictions du capitalisme que Marx décrivait dès ses
débuts, et qui n'ont cessé depuis de se développer, à
travers toute la période d'essor de l'impérialisme jusqu'à
aujourd'hui.
Du capitalisme de libre concurrence des débuts du XIXème siècle
à la période d'expansion impérialiste, se sont bien les
mêmes contradictions fondamentales qui ont traversé le capitalisme,
contradictions entre une organisation de plus en plus socialisée de
la production qui ouvre des possibilités immenses de développement
et une appropriation qui, restant privée, ne vise que la recherche
du profit et non la satisfaction des besoins sociaux. Cette contradiction
fondamentale s'est manifestée différemment à travers
les différentes phases de développement du capitalisme, en fonction
des réponses que la bourgeoisie essayait d'y apporter. La principale
nouveauté du capitalisme actuel est d'en avoir recombinées les
différents aspects, en les exacerbant tous.
La " révolution néo libérale " du
début des années 80 prétendait en finir avec l'interventionnisme
de l'Etat d'après guerre pour revenir au libéralisme économique
des débuts du capitalisme, mais cette fois généralisée
à l'échelle de toute la planète. Les réformes
entreprises alors par tous les gouvernements, qu'ils soient ouvertement libéraux
comme ceux de Reagan ou Thatcher, ou socialistes comme avec Mitterrand, affichaient
comme objectif la libéralisation de l'économie à coup
de déréglementations, décloisonnements, dérégulations.
Cela a abouti à la constitution d'un marché unique
surtout
pour les capitaux.
Mais les discours des " libéraux " sur le
pouvoir du " tout marché " devant amener
la croissance et la démocratie
ont fait long feu devant les ravages
de la mondialisation et la réalité d'une croissance destructrice
pour les peuples et l'environnement. Car en réalité, la " concurrence
libre et non faussée ", c'est avant tout le règne
de la loi du plus fort qui engendre l'anarchie économique et la généralisation
de la spéculation
c'est le règne de la finance qui impose
sa loi à toute la société. Cela n'a plus rien à
voir avec la " libre concurrence " des débuts
de capitalisme. Aujourd'hui, il s'agit de firmes multinationales parfois plus
puissantes que des Etats, qui ont la mainmise sur toute l'économie
mondiale, et cela dans le seul but de " valoriser le capital ",
en clair faire toujours plus de profits. Toute la vie sociale est dominée
par la concurrence acharnée à laquelle elles se livrent et qui
entraîne surtout la mise en concurrence de l'ensemble des salariés
de la planète, comme de l'ensemble des petits entrepreneurs ou producteurs.
Les défenseurs du libéralisme prétendent qu'il faut réduire
l'intervention de l'Etat pour laisser le champ libre aux lois des marchés.
Mais ce n'est là qu'un mensonge. Car l'Etat est loin d'avoir disparu,
sa politique a seulement changé. Les Etats se sont mis au service de
la finance pour remettre en cause l'ensemble des droits sociaux dans les pays
développés, comme pour imposer des reculs dramatiques aux peuples
des pays pauvres. En ce sens la période actuelle est bien dans la continuité
de l'impérialisme, car il s'agit bien de la domination d'un capital
financier qui se soumet les Etats et cela quels que soient les gouvernements
en place.
Aussi contrairement aux discours des libéraux, l'intervention de l'Etat,
loin de s'atténuer, s'est renforcée dans le cadre des ravages
et des tensions sociales créées par la mondialisation. Cela
se traduit par un militarisme sans précédent et un état
de guerre permanent qui s'est accentué depuis 2001.
Ainsi le capitalisme actuel conjugue le libéralisme économique
des marchés financiers mondiaux et la violence impérialiste
contre les peuples. La mondialisation n'a fait qu'accentuer les traits de
l'impérialisme que décrivait Lénine en les recombinant
par le jeu des contradictions fondamentales qui caractérisent le capitalisme
depuis ses débuts.
Du
" stade suprême " à une nouvelle étape du développement
du capitalisme
A l'époque
de l'essor impérialiste, au début du siècle dernier,
le capitalisme semble avoir changé, s'être stabilisé provoquant
bien des interrogations et des illusions même dans sa capacité
à surmonter ses contradictions de jeunesse. Et c'est au moment même
où toutes ces contradictions accumulées depuis des décennies
éclatent dans la première guerre mondiale, au moment où
l'internationale socialiste s'effondre que Lénine écrit sa brochure :
" L'impérialisme, stade suprême du capitalisme ".
Il y analyse l'évolution du capitalisme qui a abouti à la guerre,
du point de vue du mouvement ouvrier, du point de vue des possibilités
révolutionnaires que cela ouvre.
Lénine donne la définition suivante de la période :
" L'impérialisme est le capitalisme arrivé à
un stade de développement où s'est affirmé la domination
des monopoles et du capital financier, où l'exportation des capitaux
a acquis une importance de premier plan, où le partage du monde a commencé
entre les trusts internationaux et où s'est achevé le partage
de tout le territoire du globe entre les plus grands pays capitalistes ".
Cette définition englobe ce qui apparaît à Lénine
comme les cinq caractères fondamentaux de l'impérialisme :
" 1 Concentration de la production et du capital parvenue
à un degré de développement si élevé qu'elle
a créé les monopoles, dont le rôle est décisif
dans la vie économique
2 Fusion du capital bancaire et du capital industriel, et création,
sur la base de ce "capital financier", d'une oligarchie financière
3 L'exportation des capitaux, à la différence de l'exportation
des marchandises, prend une importance toute particulière
4 Formation d'unions internationales monopolistes de capitalistes se
partageant le monde
5 Fin du partage territorial du globe entre les plus grandes puissances
capitalistes ".
Quelles conséquences politiques pour le mouvement ouvrier et les révolutionnaires,
Lénine tire-t-il de cette analyse ?
Pour Lénine, il s'agit de reformuler une perspective révolutionnaire
en rupture avec l'esprit d'adaptation qui a prévalu depuis des décennies
dans les pays impérialistes, sur la base des surprofits accumulés
grâce au pillage colonial.
Combattre ces courants réformistes implique combattre l'illusion qui
s'est développée jusque dans les rangs des organisations ouvrières
que le capitalisme aurait trouvé une nouvelle stabilité, que
le socialisme pourrait être construit progressivement par des réformes.
Si Lénine parle de " stade suprême ", c'est
parce que l'impérialisme a porté les contradictions du capitalisme
a un niveau alors inconnu. Si la socialisation de la production à l'échelle
des trusts nationaux a créé les bases matérielles qui
rendent possible la perspective du socialisme, dans le même temps, le
parasitisme du capital financier, en exacerbant la concurrence, a conduit
le capitalisme à une crise sans précédent. Ce sont ces
contradictions accumulées qui ont éclaté avec la première
guerre mondiale
ouvrant une période de confrontation directe
entre la bourgeoisie et la classe ouvrière.
C'est dans le but de se préparer à cette confrontation inévitable
que Lénine écrit sa brochure et non pour faire une analyse éternelle
et définitive de l'impérialisme. Lénine définit
des perspectives militantes à une étape clé du combat.
Il analyse l'impérialisme pour comprendre les causes objectives de
la faillite des organisations ouvrières, tout en définissant
les bases matérielles qui donnent toute son actualité au projet
révolutionnaire.
Quoi
de neuf au stade libéral et impérialiste ?
Nous portons le même regard que Lénine sur la nouvelle phase de mondialisation capitaliste que connaît la société. Pourquoi les travailleurs ont-ils été impuissants à s'opposer à cette nouvelle offensive capitaliste et, par delà cet échec et les difficultés qu'il crée, l'évolution objective du capitalisme prépare-t-elle les conditions d'une renaissance du combat pour l'émancipation ? Et c'est de ce point de vue que nous voulons comprendre les traits nouveaux de la période actuelle, produits d'un siècle de transformation du capitalisme et de luttes des classes. Que sont devenus les 5 caractères fondamentaux de la définition que Lénine donnait de l'impérialisme ?
Concentration
de la production et du capital : des monopoles nationaux au règne des
firmes multinationales
Le phénomène de concentration de la production et des capitaux
a continué à une échelle gigantesque.
Les anciens monopoles nationaux, nés dans le cadre de l'impérialisme,
étaient la base de la constitution des premiers trusts. Depuis, ces trusts
privés ou d'Etat, qui avaient donc une base nationale, se sont transformés
en firmes multinationales, se libérant du carcan national pour développer
et organiser leurs activités sur un marché, devenu mondial et
sans entrave.
Toute la production et le commerce mondial sont contrôlés par quelques
dizaines de firmes multinationales, géants de la finance et de l'industrie,
dont dépendent des milliers de plus petites entreprises sous-traitantes.
La mondialisation a entraîné une réorganisation de la production
à l'échelle du monde. La concentration et l'internationalisation
des activités des multinationales contribuent à unifier l'économie
mondiale comme un tout qui dépasse les cadres des économies nationales.
Le développement qui en découle dans les pays pauvres est loin
de l'image idéalisée d'un rattrapage des pays développés.
Car si croissance il y a, comme actuellement en Chine ou en Inde, c'est une
croissance dévastatrice pour les populations. Elle entraîne l'expropriation
et la ruine de millions de paysans et de petits artisans et commerçants
qui viennent s'accumuler à la périphérie des villes industrielles
dans des conditions de vie terrible, devenant autant de candidats prolétaires,
exerçant de fait une pression sur les salaires. La croissance des pays
comme la Chine s'accompagne surtout d'une augmentation des inégalités
sociales porteuse d'explosion de colère qui commence déjà
à s'exprimer.
Mais dans le cadre d'un marché mondial unifié, cette prolétarisation
des pays pauvres s'accompagne aussi d'une mise en concurrence directe de ces
nouveaux prolétaires avec l'ensemble des salariés de la planète
notamment ceux des pays développés.
De
la formation du capital financier à un capital financier globalisé,
rentier et spéculatif
Le capital financier est né de l'interpénétration du capital
bancaire et du capital industriel, comme un levier pour donner naissance aux
premiers trusts nationaux. Aujourd'hui, cette fusion du capital bancaire et
du capital industriel se fait à une échelle " mondialisée ",
libérée des contraintes imposées par les frontières
nationales. Le marché mondial est devenu le cadre pour une nouvelle accumulation
de ce capital financier.
Au début du XXème siècle, Lénine soulignait l'importance
du rôle pris par les banques dans la constitution des trusts, et cela
au détriment de la Bourse qui ne jouait plus alors qu'un rôle mineur
pour la spéculation
qui restait alors marginale. Dans sa brochure,
il explique : " Le remplacement du vieux capitalisme, où
régnait la libre concurrence, par un nouveau où règne le
monopole, entraîne, notamment, une diminution de l'importance de la Bourse
L'ancien capitalisme, le capitalisme de la libre concurrence, avec ce régulateur
indispensable qu'était pour lui la Bourse, disparaît à jamais.
Un nouveau capitalisme lui succède
"
La mondialisation, en créant un nouvel espace pour la libre concurrence
mondialisée, a entraîné une explosion de toutes les formes
de spéculation et du coup redonné une place centrale à
la Bourse. Elle est devenue le lieu de concentration, de fusion de toutes les
formes de capitaux, ce qui entraîne un état de surchauffe permanent
avec la formation, le gonflement puis l'éclatement de bulles spéculatives.
La libéralisation de l'économie a entraîné l'apparition
d'une bulle financière qui aujourd'hui n'a plus aucune mesure avec la
production réelle de marchandises. Les spéculations financières
atteignent un niveau sans précédent, constituant le cadre d'une
nouvelle accumulation du capital financier qui n'est plus forcément directement
lié à un réel développement économique.
Ainsi le système financier est dominé par des fonds d'investissements
qui captent les fonds de millions d'épargnants, d'assurés ou de
futurs retraités, ce qui leur donne les moyens d'exercer leur contrôle
sur l'ensemble de l'économie.
Le capital financier atteint aujourd'hui sa forme la plus achevée, la
plus abstraite de capital fictif, ce n'est plus simplement " un
capital dont disposent les banques et qu'utilisent les industriels ",
il est devenu un capital financier globalisé, ne poursuivant qu'un but,
sa valorisation la plus immédiate et au meilleur taux, à travers
toutes formes de spéculations.
De
l'exportation des capitaux, aux flux financiers spéculatifs permanents
Lénine insistait sur l'importance prise par l'exportation des capitaux
s'accumulant dans les pays impérialistes sur la base des surprofits réalisés
par le pillage colonial, sans trouver où s'investir dans le cadre des
économies nationales.
Avec la mondialisation, la constitution d'un marché mondial sans entrave
vise justement à " tout transformer en marchandises ",
c'est-à-dire à ouvrir sans cesse de nouveaux espaces de valorisation
du capital. Les capitaux circulent aujourd'hui d'un bout à l'autre de
la planète, d'une place boursière à une autre, en permanence,
24 heures sur 24. Aussi, plus que d'exportation et importations des capitaux,
il s'agit aujourd'hui de flux financiers gigantesques, se jouant des frontières,
et qui sont devenus extrêmement instables, " volatils ",
du fait de leur liberté de mouvement et de leur but uniquement spéculatif
Ces capitaux ne s'intéressent qu'à des placements à très
court terme, toujours à la recherche du meilleur rendement, et amènent
les entreprises comme les Etats à tout sacrifier pour perpétuellement
créer les meilleures conditions possibles pour les attirer. Ainsi la
mondialisation se traduit avant tout par la dictature de cette finance. Soumise
aux caprices de ces masses gigantesques de capitaux qui peuvent se déplacer
en toute liberté d'un bout à l'autre de la planète en fonction
des profits attendus, toute l'activité sociale ne semble plus avoir qu'un
seul but, satisfaire les actionnaires, assurer un retour sur investissement
d'au moins 15 %.
La Bourse a retrouvé une place centrale dans ces transactions financières.
Elle est devenue l'arène de cette concurrence pour le contrôle
financier des entreprises, le lieu où se jouent les opérations
de concentration et de centralisation. Le lieu où ces capitaux se partagent,
à travers mille et une spéculations, les richesses produites.
Mais la spéculation généralisée a besoin, et donc
entretien et exacerbe, une instabilité économique, source perpétuelle
de nouvelles opérations financières, mais qui engendre en retour
des ravages dramatiques pour les peuples et l'environnement.
De
l'union internationale monopoliste à un marché mondialisé,
arène de la concurrence entre les firmes multinationales
Lénine montrait comment les trusts nationaux cherchaient à s'entendre
pour se répartir les marchés. Avec la mondialisation le marché
mondial est devenu le cadre d'une concurrence effrénée entre les
firmes multinationales.
Cette concurrence ne se livre pas principalement sur le terrain de la production
et la vente des marchandises. Les firmes transnationales s'appuient sur des
capitaux venant de tous les coins du monde et elles investissent dans tous les
coins du monde. Toutes ces firmes, quelle que soit leur activité initiale,
de la grande distribution à la production de voitures en passant par
les assurances, sont devenues elle-même des sociétés financières
qui réalisent l'essentiel de leurs profits à travers des opérations
de spéculation.
Le marché mondiale est devenue l'arène de cette concurrence entre
firmes multinationales mais surtout le cadre de la mise en concurrence des classes
ouvrières des différents pays. Cette mise en concurrence généralisée
a entraîné des changements profonds dans les pays pauvres comme
dans les anciens pays industriels où la classe ouvrière a subi
de multiples reculs qui tirent en arrière toute la société.
De
la lutte pour le partage territorial du globe au " nouvel ordre mondial " :
militarisme et violence d'Etat contre les peuples
A travers les deux guerres mondiales, les rapports de forces entre puissances
impérialistes ont totalement changé, consacrant l'hégémonie
américaine par rapport aux vieilles puissances européennes. La
vague de décolonisation d'après guerre a entraîné
l'éclatement du vieux partage colonial du monde réalisé
entre les vieilles puissances européennes. L'effondrement de l'URSS et
des pays de l'Est a accentué la position hégémonique des
Etats-Unis, tout en finissant de faire tomber les derniers cloisonnements qui
empêchaient la constitution d'un marché mondial.
Pourtant, loin d'apporter paix et démocratie, le triomphe de " l'économie
de marché " a fait apparaître une multitude de contradictions
multipolaires, à travers lesquels de nouveaux rapports de forces se construisent
derrière une hégémonie américaine qui concentre
sur elle toutes les tensions. Ainsi, si le monde n'est plus partagé en
vastes empires coloniaux, chasse gardée pour une poignée de puissances
impérialistes, le " nouvel ordre mondial " qui s'est
construit à l'heure du libéralisme économique s'accompagne
d'une croissance du militarisme qui entretient un état de guerre permanent
contre les peuples, sous la houlette des Etats-Unis.
Cet état de guerre permanent se double du renforcement du caractère
répressif des Etats contre le monde du travail et les peuples. Le caractère
de classe des Etats est ainsi mis à nu, ils apparaissent ouvertement
comme entièrement au service des intérêts d'une minorité
de parasites, sacrifiant toutes les dépenses ayant une quelconque utilité
sociale pour multiplier les aides aux groupes financiers, tout en développant
la violence d'Etat pour imposer au monde du travail de nouveaux reculs sociaux.
Un
modèle de société ou le produit de la lutte des classes
Si donc la période
actuelle présente des caractères nouveaux par rapport à
l'impérialisme naissant, elle en est la continuité en s'inscrivant
dans une évolution historique à travers laquelle les mêmes
contradictions fondamentales du capitalisme ont joué.
La mondialisation libérale n'est pas la mise en uvre d'un modèle
économique concocté par quelques théoriciens ou idéologues
du " libéralisme " mais elle est la conséquence
d'une fuite en avant de la bourgeoisie face aux contradictions de son propre
système, dans le cadre d'un rapport de forces entre les classes.
Du
capitalisme de libre entreprise à la naissance de l'impérialisme
Dans la deuxième moitié du XIXème siècle, le développement
des entreprises capitalistes a abouti à une concentration et une centralisation
telle que la " libre concurrence " qui caractérisait
le capitalisme à ses débuts, a laissé la place aux monopoles
dans le cadre des économies nationales.
Les capitaux possédés par les banques et mis à la disposition
des industriels, ont entraîné une interpénétration
du capital bancaire et du capital industriel qui a donné naissance au
capital financier. Une oligarchie financière s'est constituée
regroupant une poignée de grands capitalistes, patrons de banques et
patrons industriels, intimement liés aux grands fonctionnaires d'Etat.
L'impérialisme est né comme la politique de cette oligarchie financière
qui s'est soumise les Etats.
Pour lui assurer de nouvelles sources de profits, pour trouver de nouveaux débouchés
pour ses marchandises et ses capitaux, tout en s'accaparant de nouvelles sources
de matières premières, les Etats impérialistes se sont
lancés dans une nouvelle vague de colonialisme. Cela a abouti, en quelques
années, au partage complet du monde en vastes empires entourés
de barrières douanières, défendus par les armées
nationales, assurant de juteux profits aux trusts des grandes puissances.
L'impérialisme est donc la réponse de la bourgeoisie face aux
contradictions de son système à l'étroit dans le cadre
des économies nationales, en s'appuyant pour cela sur les Etats et leurs
armées pour garantir de nouvelles zones d'investissement.
Mais les contradictions qui ont conduit de la libre concurrence aux monopoles,
ont finalement abouti à une exacerbation de la concurrence entre les
trusts nationaux et les Etats à leur service, conduisant inexorablement
à la guerre pour le repartage du monde.
De
l'impérialisme au libéralisme impérialiste
La guerre de 14-18 a ouvert toute une période de crises, de guerres et
de révolutions à travers lesquelles les rapports sociaux et économiques
ont été bouleversés et qui ne s'est finalement terminée
que dans les années 80.
L'espoir ouvert par la révolution sociale, commencée en Russie
en 1917, mais qui n'est pas parvenue à s'étendre au reste de l'Europe,
s'est refermé, entraînant le stalinisme en URSS et le fascisme
dans toute une partie de l'Europe.
A travers les deux guerres mondiales, il y a eu une transformation du rapport
des forces entre les impérialismes européens affaiblis et l'impérialisme
américain. Conséquence de ces transformations, la fin de la seconde
guerre mondiale a été le signal des luttes de libération
nationale qui, en quelques dizaines d'années, ont sonné la fin
des empires coloniaux européens et du pillage direct de leurs ressources
humaines et matérielles.
A l'intérieur des frontières nationales, et alors que l'Union
soviétique apparaissait comme la deuxième puissance de la planète,
la bourgeoisie des pays impérialistes a été contrainte,
par le rapport de force qui s'imposait à elle, de faire des concessions
à la classe ouvrière organisée, pour sauvegarder l'essentiel.
Dans toute cette période d'après guerre, l'Etat a joué
un rôle important à travers la mise en place de toute une législation
sociale, et en prenant aussi en main des secteurs entiers de l'économie.
En France, il a assuré sous la forme de grands monopoles publics (transports,
énergie, communication, santé, éducation
), l'essentiel
des activités indispensables à la vie économique.
Mais ces concessions n'ayant en rien surmonté les contradictions internes
du capitalisme, cette période de croissance économique, souvent
idéalisé par les antilibéraux, n'a fait que préparer
les conditions d'une nouvelle crise. La baisse régulière du taux
de profit qui est la conséquence de l'incapacité du capitalisme
à maintenir un développement harmonieux et équilibré
même en période de pleine croissance, a abouti à la crise
des années 1970. La crise marque le début de l'offensive de la
bourgeoisie. Le développement du chômage de masse qui est resté
depuis une constante, traduit le changement du rapport de forces entre la classe
ouvrière et la bourgeoisie.
La mondialisation actuelle est la réponse de la bourgeoisie à
la crise des années 70. A travers 20 ans d'offensive, l'impérialisme
est revenu sur toutes les concessions qui avaient été faites,
pour imposer, sous la domination des Etats-Unis, un capitalisme de libre concurrence
à l'échelle de toute la planète.
La libéralisation et la déréglementation des flux financiers
ont rendu au capital toute sa liberté. Pour la première fois,
le capital a abattu les dernières barrières qui s'opposaient à
sa dictature.
Sur la base d'un rapport de force favorable aux classes dominantes, le capitalisme
peut ainsi transférer le poids de ses contradictions sur le monde du
travail et les peuples, entraînant une exacerbation des inégalités
sociales, mais sans pour autant les résoudre.
Une évolution qui renforce les bases
matérielles pour une autre société
Lénine conclut sa brochure sur l'impérialisme, écrite en
1916 en pleine guerre mondiale et alors que le mouvement ouvrier s'est effondré,
en montrant que toute l'évolution du capitalisme a crée les bases
matérielles pour une autre société. L'essor des trusts
à l'époque impérialiste a abouti à une socialisation
à l'échelle du monde de la production qui étouffe sous
l'enveloppe de la propriété privée. Cette enveloppe est
déjà entrée en putréfaction et, souligne Lénine,
même si elle peut être maintenue artificiellement par la force pendant
quelques temps, elle finira inéluctablement par être éliminée.
Aujourd'hui, avec la mondialisation, cette socialisation de la production a
connu un développement sans précédent et surtout une bien
plus grande intégration à l'échelle du monde, sur la base
des progrès techniques liés à la révolution informatique,
aux progrès des communications et des moyens de transport. C'est toute
la production et le commerce mondial qui sont aujourd'hui organisés,
contrôlés, par une poignée de firmes financières
qui dirigent non seulement leurs activités propres mais aussi celles
d'une multitude de petites entreprises sous traitantes qui travaillent pour
elles. Et ce qui peut se faire dans le seul but de trouver la meilleur rentabilité
possible pour les capitaux pourrait se faire sans beaucoup plus de difficultés
dans le but de satisfaire les besoins du plus grand nombre.
Ainsi la mondialisation a renforcé les bases matérielles pour
une autre organisation de la société, la révolution des
nouvelles technologies a même considérablement simplifié
tous les problèmes de recensement, de vérification, de contrôle,
qu'implique une véritable économie démocratiquement planifiée.
Plus que jamais, ce n'est que le carcan imposé par la propriété
capitaliste et son corollaire, les nations, qui empêche que les possibilités
ouvertes par cette socialisation de la production à l'échelle
du monde permettent de répondre aux besoins du plus grand nombre. L'évolution
même du capitalisme a créé les conditions de leur abolition
au profit d'une coopération et d'une planification mondiale.
Mondialisation
du mouvement ouvrier
Avec la mondialisation,
le capitalisme a réussi à se créer un vaste marché
mondial, totalement déréglementé, qui est aujourd'hui le
cadre d'une nouvelle accumulation du capital.
Cette accumulation se fait à travers quelques firmes multinationales
qui dominent l'ensemble de l'industrie et du commerce mondial qu'elles organisent
en fonction de leur critère de valorisation des capitaux sans se préoccuper
des conséquences pour les peuples, les Etats ou l'environnement.
Ce qui caractérise cette nouvelle période, c'est que cette accumulation
se fait pour l'essentiel, non pas à travers le développement de
la production et des échanges mais à travers toutes les formes
de spéculations financières, qui ont pris une place prépondérante.
La mondialisation, c'est le règne de firmes multinationales qui, tout
en contrôlant la production, sont avant tout des groupes financiers qui
finissent par totalement dissocier la recherche du meilleur taux de profit du
développement économique réel. Cette dissociation entre
la logique spéculative et la production accentue le caractère
parasitaire d'une finance qui draine à elle toutes les richesses produites,
qui cherche à tout transformer en marchandise, au point de menacer l'avenir
même de l'Humanité, de la planète.
Ainsi a été poussée jusqu'au bout la vieille contradiction
du capitalisme qui fait que si la production est de plus en plus socialisée
à l'échelle du monde, l'appropriation, elle, reste privée.
Cette contradiction fondamentale, décrite par Marx dès la première
phase du capitalisme, a abouti à cette dissociation entre une sphère
financière où s'accumule un capital fictif, uniquement producteur
d'intérêts, et la production réelle des richesses utiles
pour la société.
La mondialisation a aussi développé une nouvelle classe ouvrière
à l'échelle internationale, entraînant à vitesse
accélérée dans tous les pays du monde, une prolétarisation
comparable à celle qu'ont connu les puissances européennes au
XIXème siècle. Tout en mettant l'ensemble des salariés
en concurrence dans cette guerre économique sans fin à laquelle
se livrent les firmes multinationales.
En créant le marché mondial cadre d'une concurrence acharnée,
elle a sapé la base sociale qui avait donné naissance au courant
réformiste grâce aux surprofits accumulés par les pillages
coloniaux sous le contrôle des Etats nationaux. Contrairement au début
de l'impérialisme ou à la période d'après guerre,
il n'y a plus de base matérielle pour une politique de concessions de
la bourgeoisie vis-à-vis du monde du travail. Bien au contraire, la mondialisation
conduit à une offensive frontale de la bourgeoisie pour maintenir ses
taux de profits. Cela n'empêche pas que demeure l'illusion en une possible
régulation du capitalisme, illusion à laquelle s'accrochent les
courants antilibéraux qui idéalisent ce qu'a pu être le
rôle de l'Etat dans l'après guerre. Mais ces illusions n'ont plus
de bases matérielles. Les exigences élémentaires des salariés
en matières de salaire, d'emploi, de doits sociaux et démocratiques
se heurtent directement à la logique de la rentabilité financière
et deviennent des questions politiques au sens le plus général
du mot, au sens où elles posent ma question du pouvoir et de la propriété.
Ces transformations impulsées par la mondialisation contribuent à
ce que se forment les conditions objectives d'un nouveau développement
du mouvement d'émancipation.
Avec la mondialisation, le capitalisme apparaît à nu, dans sa forme
" pure " à l'échelle du monde.
Jamais l'opposition entre le Capital et le Travail ne s'est affirmée
à une telle échelle et avec une telle profondeur. Jamais les intérêts
de cette minorité que constitue l'aristocratie financière ne sont
apparus plus éloignés de ceux de l'ensemble de la population mondiale.
Jamais le fossé n'a été aussi grand entre les possibilités
ouvertes par l'essor des sciences et des techniques et les ravages occasionnés
par le parasitisme de la finance.
Le développement de cette contradiction pose la question de l'abolition
de la propriété capitaliste dans sa forme financière au
moment où le développement des multinationales crée les
prémisses d'une organisation à l'échelle internationale
de la production.
La résolution de cette contradiction ne peut passer que par la lutte
collective des salariés, qui représentent plus que jamais l'immense
majorité de la population, pour, à travers la défense de
leurs besoins vitaux, prendre en main démocratiquement les rênes
de l'économie pour l'organiser en fonction des véritables besoins
sociaux.
C'est en ce sens que la nouvelle classe ouvrière, internationale, qui
est déjà amenée à livrer une lutte quotidienne pour
sa propre survie, représente l'avenir de l'Humanité. C'est de
ces luttes quotidiennes que pourra naîtra la conscience de la nécessité
de mettre fin à la domination de capital financier, d'en finir avec la
propriété privée pour pouvoir se servir de tous les progrès
sur le plan de la socialisation de la production et des échanges à
l'échelle du monde comme d'un levier pour organiser une économie
planifiée.
Bien sûr, il n'est pas possible de définir par avance les étapes
d'une telle remontée du mouvement ouvrier, mais elle est contenue dans
les contradictions même de la situation, dans la réalité
même des luttes des classes qui se mènent sous nos yeux. Elle est
déjà engagée. C'est cette perspective qu'il nous faut formuler,
sur la base de toute la riche expérience accumulée par le mouvement
ouvrier révolutionnaire, mais tout en ayant clairement conscience que
l'histoire ne se répète pas et que les voies et les moyens pour
qu'une telle remontée du mouvement ouvrier aboutisse à une révolution
sociale seront à inventer
Charles
Meno