Nées au
cours de la dernière moitié du siècle dernier, les " nouvelles
technologies ", l'informatique et les moyens de communication modernes,
se sont répandues dans tous les secteurs de la vie au cours des vingt
dernières années.
Elles nous ont
permis, indiscutablement, de bénéficier de progrès importants,
dans le domaine médical, par exemple, ou dans la vie quotidienne, par
la production de masse d'ordinateurs personnels, de téléphones
mobiles, de services comme Internet, etc..
Les " nouvelles
technologies " ont également modifié profondément
les moyens de production et d'échange. Dans le cadre des entreprises,
l'introduction massive de l'informatique et des réseaux a permis d'augmenter
considérablement la productivité des équipements et de
les rendre flexibles, c'est-à-dire capables de s'adapter, très
vite, aux besoins changeants de la production. Elles ont permis également
aux entreprises de communiquer entre elles " en temps réel "
quelle que soit la distance qui les sépare. A ce titre, elles constituent
la base technologique sur laquelle ont pu se développer les " délocalisations ",
c'est-à-dire le transfert de certaines productions des anciens pays industrialisés
vers des pays dits " à bas coût de main d'uvre ",
anciennes colonies et pays de l'Est.
Comme à
bien d'autres moments de l'histoire du capitalisme, les gains de productivité
apportés par les innovations technologiques, au lieu de profiter à
l'ensemble des hommes, se transforment en chômage, en aggravation des
conditions de travail, en misère. En quelques dizaines d'années,
le capitalisme, en exploitant les possibilités offertes par les nouvelles
technologies, a profondément bouleversé la façon de vivre
des travailleurs du monde entier. Mais ces bouleversements, dont on serait en
droit d'attendre une amélioration des conditions de travail et de vie,
s'accompagnent, mises au service du capital, d'une véritable régression
sociale.
Comment les évolutions
technologiques qui démultiplient les capacités de production de
biens utiles à tous, peuvent-elles se retourner contre la grande majorité
?
Faut-il revenir
en arrière, imposer un moratoire sur le " progrès ",
en quelque sorte, afin de s'en protéger ?
Ou existe-t-il
au contraire une possibilité de dépassement, dans laquelle nous
pourrions, en libérant la société des contraintes que lui
impose une organisation sociale soumise aux lois de la propriété
privée et de la concurrence, débarrasser les progrès technologiques
de la malédiction qui semble les accompagner, et permettre à chacun
d'entre nous d'en bénéficier pleinement ?
Ces bouleversements n'ont-ils pas créé les conditions même
d'une transformation de la société que le mouvement ouvrier a
inscrite dans son programme depuis ses origines ? Ne contribuent-ils pas à
créer les conditions d'une société communiste, à
faire de ce que certains voudraient ranger au rayon des utopies totalitaires
la réalité de demain ?
La
conception marxiste de l'évolution des sociétés humaines
Pour discuter de
ces questions, nous allons utiliser la méthode d'analyse développée
par Marx et Engels dans les années 1850, le " matérialisme
historique ", qu'Engels définissait ainsi : " [il faut chercher]
la cause première et la force motrice décisive de tous les
événements historiques importants dans le développement
économique de la société, dans la transformation des
modes de production et d'échange, dans la division de la société
en classes distinctes qui en résulte et dans les luttes de ces classes
entre elles. " (préface à l'édition anglaise
de Socialisme utopique, socialisme scientifique).
" Développement
économique ", " transformation des modes
de production et d'échange ", " division
de la société en classes distinctes " et " lutte
de ces classes entre-elles " sont les moteurs de l'évolution
des sociétés. Ces facteurs dépendent les uns des autres
: la division de la société en classes distinctes résulte
de l'évolution des bases économiques et techniques, produits
du travail humain. Et c'est la lutte des classes, inévitable conséquence
de la division de la société, que les hommes en aient conscience
ou non, qui est le moteur de l'histoire.
Marx et Engels appliquent cette méthode du matérialisme historique à l'analyse de la situation politique de leur époque (Les luttes de classes en France, histoire de la révolution de 1848, etc.), mais aussi à l'histoire de l'évolution des sociétés. Sur l'histoire des sociétés primitives, une première confirmation expérimentale viendra d'un ouvrage, La société archaïque, écrit par un ethnologue américain, Morgan, qui décrit la façon selon laquelle vit encore, au 19ème siècle, une tribu d'Iroquois. Engels s'appuiera sur cet ouvrage pour écrire un livre dont le titre définit clairement le contenu : Histoire de la famille, de la propriété privée et de l'Etat. Cette théorie matérialiste et évolutionniste des sociétés humaines se renforcera de la théorie de l'évolution des espèces de Darwin. Actuellement, elle est admise par tous les scientifiques s'occupant de l'histoire des civilisations, comme on peut en trouver l'illustration dans leurs écrits, dans tous les musés d'histoire, ou encore dans un film comme l'Odyssée de l'espèce.
L'apparition
des sociétés de classe
L'Odyssée
de l'espèce décrit, d'une façon romancée, mais
réaliste d'un point de vue scientifique, toute une période de
notre histoire, où nos ancêtres vivaient de la cueillette et de
la chasse. On suit plusieurs tribus d'hominidés, on les voit acquérir
la station debout, inventer les outils, apprendre à domestiquer le feu,
etc
Parmi les scènes
marquantes du film, il y a celle où la tribu a trouvé un crocodile
mort au bord d'un fleuve. Il s'agit d'une quantité de viande inespérée,
mais dont elle est dans l'incapacité de profiter, faute de disposer de
mâchoires, de dents et de griffes lui permettant de passer à travers
la peau de la bête. Au même instant, un peu à l'écart,
un jeune qui joue avec un galet tranchant se blesse la main et découvre,
par association d'idée, la solution au problème : il invente,
en direct, le couteau en pierre taillée. Il permet du même coup
à l'espèce humaine de franchir un pas, de dépasser, grâce
à son imagination, un des multiples handicaps dus à son anatomie.
Cette scène
est tout à fait significative de ce qui pousse les hommes à innover,
à inventer. Et on en mesure immédiatement les bienfaits : sitôt
inventé, l'outil permet de transformer le crocodile en festin dont profite
l'ensemble de la tribu. Il augmente, pour la même quantité de travail,
les " richesses " à disposition de la communauté.
Ces richesses sont réparties en fonction des relations qui lient les
divers individus de la communauté, en fonction de son organisation sociale.
Ici, en l'occurrence, toute la communauté va profiter de l'aubaine.
La civilisation
des cueilleurs chasseurs durera plusieurs millions d'années, sur la base
de progrès technologiques extrêmement modestes et lents. La tribu
d'Iroquois dont parle Morgan dans La société archaïque vit
encore aux Etats-Unis à la fin du 19ème siècle selon ce
mode de production.
Mais certaines tribus de chasseurs-cueilleurs, dans des conditions géographiques
particulières, vont donner jour à un autre stade de l'organisation
des sociétés humaines. L'invention de l'agriculture, il y a une
dizaine de milliers d'années, bouleversera totalement la façon
de vivre et l'organisation sociale des hommes. C'est la " révolution
néolithique ", l'âge de la pierre polie, puis du bronze
et du fer.
Un des éléments
principaux de cette révolution est que, pour cultiver les champs, il
faut rester sur place, au moins le temps que la récolte pousse. Cela
va conduire à la sédentarisation, à la naissance des villages.
Entre deux récoltes, il faut conserver les aliments : l'invention de
la poterie répondra à ce besoin, avec celles des greniers à
grains, du moulin, etc. La productivité du travail humain augmente considérablement,
et la quantité moyenne de vivres que la collectivité peut produire
dépasse ses besoins. Il apparaît ce que l'on appelle un surproduit
du travail. Il devient possible de détacher certains individus des tâches
agricoles, afin qu'ils se consacrent à des activités utiles à
la collectivité : forgeron pour préparer des outils, prêtre
pour consulter le ciel, décider du bon moment pour la récolte,
implorer les dieux contre la sécheresse, " soldats "
pour protéger les stocks contre les pillards
Les relations sociales
s'organisent autour de cette division élémentaire du travail.
Le produit du travail commun est réparti de manière équitable,
selon des règles régies par des coutumes.
Ces sociétés
de villages agricoles primitifs connaîtront, elles aussi, une longue histoire,
puisqu'on peut en trouver la trace, actuellement encore, dans certaines régions
du monde.
Mais dans le village
d'agriculteurs du néolithique se trouvent en germe les ingrédients
d'une nouvelle civilisation. Grâce à des conditions géographiques
et climatiques particulières, certaines communautés agricoles,
bénéficiant d'une productivité du travail exceptionnelle,
vont faire franchir un nouveau pas à l'organisation sociale. Le village
s'agrandit, devient une ville. La division du travail s'accentue. La taille
de la communauté, la complexité des relations de travail, augmentent
au point que les anciennes relations sociales, basées sur la coutume
et les relations personnelles directes, deviennent incapables de répondre
aux besoins organisationnels de la nouvelle société : la répartition
collective des tâches doit être centralisée, confiée
à des administrateurs spécialisés.
La surveillance
des remparts de la ville nécessite une armée permanente, coupée
des tâches productives, donnant à ses chefs un pouvoir accru. Les
surplus du travail des paysans, les stocks de grain, les troupeaux, se retrouvent
petit à petit accaparés par des prêtres ou des chefs militaires.
C'est l'invention de la propriété privée : l'appropriation,
par une minorité, du surproduit du travail des producteurs, l'invention
d'une nouvelle répartition des richesses.
Et pour maintenir
cette organisation sociale profondément inégalitaire, aux règles
en totale contradiction avec les coutumes anciennes, apparaît l'Etat,
dans lequel s'imbriquent plusieurs fonctions : administratives, avec sa " bureaucratie "
qui assurera " l'administration des hommes " ; idéologiques
avec l'appareil religieux qui justifiera, au nom des dieux, les nouvelles inégalités
sociales ; répressives, avec l'armée. Grâce à
cette force de répression, à côté du vol du surproduit
du travail des paysans et des artisans, se développera, à grande
échelle, l'exploitation des esclaves.
Cette évolution
se concrétisera, il y a 5000 ans, autour de la Méditerranée,
par ce que l'on a appelé les " civilisations antiques " :
en Mésopotamie (l'Irak actuel), en Egypte, puis en Grèce, et enfin
à Rome. On trouve également le même type de société
en Inde, en Chine, en Amérique centrale et du Sud.
Pour comptabiliser
les richesses possédées par les classes dirigeantes, les hommes
vont inventer le calcul, puis l'écriture. Et pour transmettre ces richesses
à leur descendance, ils vont inventer la famille, le contrat de mariage,
l'héritage, les titres de propriété
Ainsi apparaît,
pour maintenir une organisation sociale fondamentalement injuste, une base juridique
qui s'imposera à l'ensemble de la société par la contrainte
idéologique et la violence militaire de l'Etat. Selon ces lois, les esclaves,
comme tous les autres moyens de production, sont la propriété
de leur maître. Objets d'un commerce florissant, ils travaillent toute
la journée pour leur maître qui les loge et les nourrit.
Les richesses que
cette organisation sociale a permis de tirer du travail humain sont considérables.
On peut les mesurer par exemple à la taille des monuments et au faste
des uvres d'art qu'elles ont laissé. Les techniques utilisées
étaient pourtant les mêmes que celles des villages d'agriculteurs,
essentiellement des outils manuels, pelles, pioches, burins, marteaux rudimentaires.
Et cela non parce que les hommes d'alors manquaient d'imagination : les
ingénieurs grecs ont inventé les engrenages, les vis, les leviers,
etc., mais tout simplement parce que les classes dominantes disposaient de main
d'uvre servile et ne ressentaient pas le besoin de la remplacer par des
machines. Bien au contraire.
Les esclaves constituaient,
au même titre que les troupeaux ou les biens mobiliers et immobiliers,
le patrimoine des classes dominantes. Maintenir cette richesse supposait nourrir
les esclaves, comme on nourrit les animaux que l'on possède, indépendamment
du travail qu'ils produisent. " Rentabiliser " la main d'uvre
servile, (que l'on ne pouvait pas licencier en cas de manque de travail), cela
voulait dire l'occuper, lui trouver du travail. C'est ce qu'exprime la réponse
que fait, aux alentours des années 300 de notre ère l'empereur
Romain Dioclétien, à un inventeur qui lui présentait les
plans d'un nouvelle machine, sans doute un appareil de levage : " Si
je construis cette machine, je priverai mes hommes de travail. Alors, comment
les nourrirais-je ? ".
Ainsi, l'idée
chère aux patrons que ce sont eux qui, en donnant du travail aux travailleurs,
permettent à ces derniers de vivre, n'est pas neuve
Quant à
Dioclétien, il n'imaginait pas une seconde que cette machine pourrait
permettre de diminuer le temps de travail de chacun des " ses "
hommes : il est déjà clairement entendu, par les classes
dominantes, que les exploités travaillent aussi longtemps que le permet
la journée, indépendamment de la productivité de leur travail.
Mais ce qui apparaît surtout, c'est que le mode de production basé sur l'esclavage entre immédiatement en contradiction avec toute évolution technologique qui tendrait à augmenter la productivité du travail. Avec l'apparition de la société de classe, l'innovation technologique, cette tendance des hommes à inventer des moyens de diminuer le temps de travail nécessaire pour se procurer les moyens de subsistance, se transforme de bienfait en calamité.
Des
civilisations antiques au capitalisme
L'Empire romain
s'impose sur les civilisations égyptiennes et grecques. Il s'étend
sur les territoires actuels de l'Europe de l'ouest : Espagne, France, Italie,
une partie de l'Allemagne, le sud de l'Angleterre, et de l'Afrique du Nord.
Des villes sont créées à l'image de Rome. Les peuples agricoles
qui occupaient alors ces contrées sont peu à peu " romanisés ".
Les terres agricoles sont accaparées par des " nobles ",
qui les font travailler par des esclaves. Les échanges entre toutes les
villes de l'empire sont assurés par voie fluviale, maritime, et par le
réseau de voies romaines qui sillonnent l'Europe. C'est la dissémination,
à l'échelle d'un continent, de la civilisation romaine.
Ce faisant, une
nouvelle dimension apparaît. La ville de Rome a de plus en plus de difficultés
à imposer sa domination sur la totalité de l'empire. Une tendance
à l'autonomie des villes et des provinces apparaît. Des révoltes
d'esclaves secouent l'empire. En même temps, aux frontières, s'exerce
la pression des peuples barbares, venus d'Europe centrale, d'Asie
A la
fin du 4ème siècle de notre ère, l'Empire romain, miné
pas ses contradictions internes, finit par s'effondrer, sous la poussée
des barbares qui l'envahissent. Les liens centralisés des diverses provinces
et villes de l'Empire avec Rome disparaissent. Les envahisseurs s'installent
sur les ruines de l'empire romain, et de cette situation nouvelle va naître
la société féodale.
Il s'agit, à
l'origine, de la juxtaposition de petits territoires ayant à leur tête
un seigneur. Chacun de ces seigneurs exploite, sous la forme du servage, le
travail des paysans. Il existe, entre les seigneurs, une hiérarchie complexe,
vassaux et suzerains. Le premier est " sujet " du second, qui, en
échange, lui doit protection. L'église catholique qui s'est développée
au cours des derniers siècles de l'Empire romain, constitue un élément
essentiel de cette structure. Elle est organisée selon la hiérarchie
féodale et exploite, elle aussi, des serfs. Les serfs constituent la
catégorie sociale la plus basse de la société féodale.
Ils cultivent les terres du seigneur - auxquelles ils sont attachés -,
qui leur droit protection, et ils disposent de terres qu'ils cultivent pour
assurer leur propre subsistance et celle de leur famille. L'histoire de la société
féodale est marquée par les luttes des seigneurs entre eux pour
étendre leur pouvoir, processus de centralisation qui aboutira à
l'apparition des royaumes européens. Au sommet de la pyramide féodale
apparaît alors un roi régnant " selon son bon plaisir "
sur l'ensemble de ses sujets.
Dans cette société
basée sur le travail agricole, les villes, héritées de
l'empire romain, ont d'abord connu un déclin. Elles vont renaître,
d'autres vont apparaître, grâce au développement des corporations
de fabricants et de marchands, des habitants des " bourgs ",
les " bourgeois ".
Dans l'antiquité, déjà, les échanges de marchandises
entre les villes étaient assurés par des marchands. Ils utilisaient
pour cela une invention qui est, dans le cadre des sociétés de
classe, indispensable aux échanges : la monnaie. La monnaie n'a,
en tant que telle, aucune faculté à produire de la richesse. Elle
va en acquérir dans le cadre des échanges commerciaux " inégaux ",
méthode qui consiste, pour les marchands, à acheter des marchandises
dans des lieux où elles sont bon marché parce que faciles à
produire, pour les vendre dans des lieux où elle sont chères,
parce que difficiles à produire.
Ces différences
de productivité du travail sont essentiellement dues aux circonstances
géographiques qui font que telle région, par exemple, est propice
à la culture du blé, alors que telle autre est propice à
l'élevage, à la culture de la vigne ou à la production
de tissus. De l'impossibilité des échanges directs entre les producteurs,
à cause des distances et des difficultés de déplacement,
naît pour les marchands le moyen de s'approprier une part du surproduit
de travail des paysans et de transformer ces richesses en capital.
Ce phénomène,
déjà présent dans les sociétés antiques,
trouve un terrain propice à son développement dans la société
féodale. Les nobles et les évêques bénéficient
des progrès de l'agriculture, dus à la stabilisation progressive
de la société féodale. Ils peuvent ainsi acheter au prix
fort des produits de luxe (épices, soieries), que les marchands se procurent
à bas prix, en Orient, en Inde ou en Asie. Ainsi vont s'enrichir les
bourgeois du Moyen age.
Cette bourgeoisie, au fur et à mesure que ses richesses s'accroissent,
prend conscience de ses intérêts particuliers de classe, et va
tenter de se tailler une place sociale et politique à la hauteur de son
importance économique. Dans un premier temps, elle obtiendra, par la
force, des législations particulières, des chartes, pour les villes.
Puis, la Renaissance, les mouvements de réforme religieuse, seront une
nouvelle expression de cette révolte. L'invention de l'imprimerie, en
1450, sera un vecteur très important de la circulation des idées
subversives.
A la même
époque, les routes de l'Orient sont coupées par le développement
de l'Empire ottoman et les sources d'enrichissement des capitalistes européens
se tarissent. Mais le capital qu'ils ont déjà accumulé
va leur permettre de financer de grandes expéditions maritimes, rendues
plus sûres par quelques inventions, comme la boussole et le gouvernail
d'étambot. De nouvelles routes maritimes vers les Indes sont ouvertes
autour de l'Afrique ; puis en 1492, Christophe Colomb découvre l'Amérique.
C'est le départ d'une nouvelle possibilité d'enrichissement, à
plus grande échelle : au commerce " inégal "
s'ajoute la traite des noirs, le pillage des richesses naturelles des pays conquis
au profit du capitalisme marchand et financier européen.
Ces nouvelles opportunités
d'enrichissement ne feront qu'ajouter aux contradictions entre une structure
sociale féodale obsolète et parasitaire et une bourgeoisie de
plus en plus puissante. Le mouvement de la bourgeoisie pour la prise du contrôle
politique de la société aboutira à l'instauration d'une
république en Hollande à la fin du 16ème siècle,
en Angleterre en 1649 (avant l'instauration de la monarchie constitutionnelle).
Ce mouvement trouvera son plein aboutissement avec la déclaration d'indépendance
des Etats-Unis en 1776, et la Révolution française de 1789.
A travers ces révolutions, la bourgeoisie établit son pouvoir politique garantissant les droits et privilèges de la propriété privée bourgeoise. La structure hiérarchique féodale laisse place à une société dans laquelle les hommes, quelle que soit leur situation sociale, sont considérés comme des " citoyens " égaux en droit. L'Etat est garant du respect de ces droits. La propriété privée est posée comme élément fondamental de cette liberté, et l'Etat a pour première mission de la protéger.
Du
capitalisme marchand au capitalisme industriel : la révolution industrielle
A la fin du 18ème
siècle, ces profonds changements politiques s'accompagnent d'une évolution
profonde du capitalisme lui-même, avec l'apparition du capitalisme industriel.
Alors que le capitalisme marchand se nourrit des richesses produites essentiellement
par le travail des paysans, le capitalisme industriel repose sur l'exploitation
salariale, qui consiste à acheter à quelqu'un sa force de travail
en échange d'un salaire.
Ce mode de production existe déjà depuis longtemps, mais il ne
va s'imposer comme mode de production dominant qu'au cours de la deuxième
moitié du 18ème siècle en Angleterre, puis au début
du 19ème en Europe continentale et en Amérique, à travers
ce que l'on a appelé la " révolution industrielle ".
Jusqu'alors, les
entreprises exploitant de la main d'uvre salariée étaient
des manufactures dans lesquelles étaient regroupés des travailleurs
manuels, travaillant côte à côte avec des outils sommaires.
Il y avait quelques machines, mais leur taille et leur puissance étaient
limitées par la faible puissance des sources d'énergie mécanique
disponibles : énergie humaine, animale, hydraulique, vent.
L'invention de
la machine à vapeur va permettre, par sa puissance et sa facilité
d'utilisation, le développement du machinisme et transformer les manufactures
en fabriques, en usines. Et c'est l'accumulation considérable de capitaux
réalisée par le capitalisme marchand qui assurera le financement
des investissements importants qu'exigent l'achat des équipements et
le paiement des salaires.
Les premiers développements
du machinisme se produisent en Angleterre dans la production (filage et tissage)
des textiles. Les textiles étaient réalisés, de façon
artisanale, par des milliers de petits producteurs, souvent des paysans. En
moins de trente ans, entre 1750 et 1779, avec l'apparition de machines à
filer mues par la vapeur, la productivité du travail du fileur est multipliée
par 400, ce qui entraînera la ruine de milliers de petits producteurs
et leur exode vers les villes industrielles qui commencent à se développer.
Grâce à la " révolution industrielle "
qui augmente de façon colossale la productivité du travail, le
capitalisme industriel prend le pas sur les autres classes dominantes. En un
siècle, il aura étendu son emprise sur le monde entier.
Son développement
modifie de fond en comble l'organisation sociale. Pour servir ces machines,
il faut des " prolétaires ", des hommes et des femmes
" libres ". Libres au sens où ils n'appartiennent
à personne, qui ne sont donc ni serfs, ni esclaves. Mais libres aussi
au sens où ils n'ont pas d'autre possibilité pour gagner leur
vie que de vendre leur force de travail à un patron en échange
d'un salaire.
Ainsi, l'égalité
en droit des hommes, garantie par la constitution bourgeoise, ne protègera
pas la grande majorité d'entre eux de l'exploitation. Bien au contraire.
Par le fait même qu'ils n'ont pas d'autre choix que de vendre leur force
de travail pour gagner de quoi subsister, ils deviennent, dans le cadre d'un
contrat de travail " librement consenti ", entre " hommes
égaux en droits ", les nouveaux exploités.
Car ce contrat
de travail stipule qu'en échange d'un salaire, le salarié doit
travailler toute une journée. Il est bien entendu que les marchandises
produites au cours de cette journée sont la propriété du
patron. Mais le salaire, lui, s'établit, autour de la valeur de ce qui
est nécessaire au salarié pour vivre, pour élever ses enfants.
Or, compte tenu de la productivité moyenne du travail, les valeurs nouvelles
créées par un salarié en une journée de travail
sont bien supérieures à ce qui lui est strictement nécessaire
pour produire et reproduire sa force de travail.
Tout se passe comme si le salarié travaillait une partie de la journée (le " temps de travail nécessaire ") pour créer une valeur équivalente à ce qu'il lui faut pour vivre, et le reste du temps (le " temps de travail gratuit " ou " surtravail "), pour son patron. Ainsi apparaît le mode d'appropriation du surproduit du travail dans le cadre du salariat. Ce mode de production est directement lié à la base juridique bourgeoise, à la propriété privée de moyens de production. Il est justifié par l'idéologie qui impose comme " normale " la vieille idée que c'est le patron qui, en donnant du travail à l'exploité, lui permet de vivre, masquant le véritable rapport d'exploitation.
Le
capitalisme industriel : des progrès techniques et des crises
La société
esclavagiste, première société de classe, était
réfractaire aux progrès technologiques. Tout ce qui aurait pu
alléger le travail des hommes était incompatible avec la base
juridique de la société, avec l'intérêt immédiat,
pour les maîtres, de " rentabiliser " leur cheptel
d'esclaves.
Avec la société féodale, les progrès de l'agriculture,
en améliorant la productivité du travail des serfs, augmentent
la part des richesses revenant au seigneur. La conséquence en est,
pour les seigneurs et les serfs, un intérêt pour le développement
régulier des moyens de production agricole. Il en va autrement dans
d'autres domaines, comme la production des textiles ou l'artisanat, où
le progrès technique est déjà synonyme de chômage
et de misère. A début du 16ème siècle, l'inventeur
d'un métier à tisser plus performant que ceux existant déjà
est noyé dans un canal
Mais dans le cadre de la structure féodale,
les progrès dans ces secteurs ne sont pas nécessaires, ce qui
explique que les corporations d'artisans, comme d'ailleurs les autorités
royales, les freinent, au nom de la nécessité de fournir à
tout le peuple les moyens de vivre.
Cela constitue
un des éléments de la contradiction entre la structure de la
société féodale et les besoins de la bourgeoisie en plein
développement, qui, elle, va trouver dans les progrès techniques
de nouveaux moyens de s'enrichir. Et il est significatif à cet égard
qu'un des ouvrages fondamentaux des révolutionnaires bourgeois français
du 18ème siècle, l'Encyclopédie de Diderot, de D'Alembert
et de leurs amis, soit un exposé et une apologie des savoirs et des
techniques les plus modernes de l'époque.
Les révolutions
politiques et la révolution industrielle du 18ème siècle,
en libérant la bourgeoisie des entraves du féodalisme, vont
permettre aux mécanismes du système capitaliste de se donner
libre cours. Les usines se développent. Très vite se pose le
problème du transport des marchandises. Le chemin de fer apparaît,
des réseaux ferrés sillonnent les pays capitalistes, les bateaux
à vapeur commencent à traverser les océans
Tous
ces progrès s'accompagnent du développement d'une industrie
lourde, spécialisée dans la fabrication des machines, des rails,
des locomotives, des bateaux, etc
Pour alimenter ces industries, il
faut du fer et du charbon. Il faut aussi toujours plus de prolétaires
et toujours plus de débouchés pour les produits fabriqués.
C'est pourquoi
le développement, au cours du 19ème siècle, de ce que
l'on a appelé le " capitalisme de libre concurrence ",
n'a rien d'un " long fleuve tranquille ". Il est, bien
au contraire, marqué de crises économiques qui se reproduisent
régulièrement, de phases de croissance alternant avec des phases
de décroissance, de révoltes et de révolutions. Des masses
de petits producteurs, paysans, artisans, ruinés par la concurrence
de produits industriels bon marché, sont jetés dans la misère,
et vont affluer autour des usines, pour chercher à y vendre leur force
de travail. Malgré l'accroissement du nombre d'usines, tous n'arrivent
pas à trouver du travail, un chômage chronique s'installe, créant
entre les salariés, sur le marché du travail, une concurrence
tendant à baisser les salaires.
Face aux conditions
de vie qui leur sont faites, les prolétaires vont se construire, à
travers leurs luttes, une conscience de classe. Une nouvelle classe sociale
se constitue, la classe ouvrière. Elle se donne une organisation, sous
forme de syndicats et de partis. En 1847, deux jeunes intellectuels révolutionnaires,
Marx et Engels, en écrivant le manifeste d'un de ces petits partis,
le Manifeste du parti communiste, établissent les bases d'une
théorie de l'émancipation des travailleurs par les travailleurs
eux-mêmes. Cette théorie donnera une explication scientifique
des disfonctionnements du capitalisme et une perspective pour son dépassement,
pour la construction, sur les ruines de la société capitaliste,
d'une société communiste.
C'est dans la façon
dont le capital se reproduit et s'agrandit dans le cadre du mode de production
capitaliste, dans son mécanisme même, qu'il faut chercher l'origine
de ses contradictions.
Le premier élément
de cette contradiction réside dans le fait que la production capitaliste
est régie uniquement par la motivation, pour les possesseurs de capitaux,
de trouver des investissements leur permettant des profits maximum. Et cela,
indépendamment des besoins réels des marchés, qui ne sont
évalués qu'après coup, au moment de la mise en vente des
produits. Il en découle une concurrence aveugle qui génère
une véritable anarchie économique, conduisant aux faillites, aux
concentrations d'entreprises, jetant des milliers de salariés à
la rue.
Le second élément
réside dans ce que l'on appelle la " chute tendancielle du
taux de profit moyen ". Quand un capital est investi dans un cycle
de production, une part de ce capital, le " capital constant ",
sert à payer la part des machines usée dans le cycle, les matières
premières, l'énergie, les produits intermédiaires ;
une autre partie, que l'on appelle " capital variable ",
sert à payer les salaires. A la fin du cycle, la vente des marchandises
permet de récupérer un nouveau capital. La différence entre
le capital obtenu par la vente et celui investi au départ constitue le
profit. Le " taux de profit " est le rapport entre le profit
réalisé dans un cycle de production et le capital investi dans
ce même cycle.
La distinction
entre " capital constant " et " capital variable "
permet de faire apparaître le véritable mécanisme de création
de la valeur nouvelle dans le cycle de production. Au cours du cycle, à
la valeur du capital investi, s'est ajoutée une valeur nouvelle, qui
n'a pu être apportée que par le travail des salariés. Le
" capital constant ", qui a servi à payer les équipements,
les matières et les énergies consommées, se retrouve intégralement,
mais sans augmenter d'un iota, dans la valeur de la marchandise ; par contre,
la part de capital investi à hauteur des salaires au début du
cycle, " varie ", se retrouve à la fin du cycle augmenté
de la plus-value.
Sur le marché,
il s'établit un prix de vente moyen pour des marchandises de valeur d'usage
équivalente, car leur valeur réelle, qui est liée aux coûts
de fabrication, peut être différente entre deux fabricants. Celui
qui produit à moindre frais vend sa marchandise au dessus de sa valeur,
réalise un surprofit ; l'autre vend en dessous de sa valeur (ce
qui ne veut pas dire qu'il ne fait pas de profit). Dans le cadre de la concurrence
entre capitalistes pour les marchés, s'engage alors une course pour s'assurer
des surprofits, c'est-à-dire pour avoir des coûts de fabrication
inférieurs à ceux de la concurrence. Cela peut s'obtenir en essayant
d'avoir plus de travail pour moins de salaire, par les baisses de salaire et
l'intensification du travail. Mais surtout en augmentant la productivité
du travail, grâce à des équipements plus modernes. C'est
pour cela que les entreprises capitalistes donnent une place toujours plus importante
aux secteurs qui se consacrent à l'innovation, à la recherche
et au développement. Et c'est pour cela aussi que l'on assiste, au cours
de l'histoire du capitalisme industriel, à une accélération
constante du rythme des progrès techniques.
Mais la modernisation
des équipements, si elle baisse la valeur des marchandises, réduit
aussi le taux de profit. En effet, toute baisse relative du capital variable
par rapport au capital constant baisse bien la part des salaires, mais elle
diminue en même temps la part des profits, puisque le profit, se réalisant
sur le capital variable, est, toutes choses étant égales par ailleurs,
proportionnel au capital investi dans les salaires. Ainsi, toute diminution
du capital variable au bénéfice du capital constant tend à
baisser le taux de profit. Et bien entendu, ce qui joue pour un capitaliste
joue pour tous. La course à la baisse des coûts de production est
un véritable cercle vicieux, une des contradictions fondamentales du
capitalisme.
Cette baisse des
taux de profits ne peut être compensée que par l'aggravation des
conditions d'exploitation des salariés. C'est la raison pour laquelle
les licenciements relatifs aux modernisations des équipements s'accompagnent
de l'aggravation des conditions de travail des salariés qui restent.
La troisième
contradiction vient du fait qu'en cherchant en permanence à diminuer
la part des salaires, les capitalismes diminuent les débouchés
pour leurs marchandises. La production a ainsi tendance à dépasser
la demande qui dépend du nombre de consommateurs solvables, et des moyens
dont ils disposent pour acheter les marchandises proposées. Cela conduit
aux crises de surproduction périodiques qui marquent toute l'histoire
du capitalisme.
En même temps, les prolétaires, premières victimes de ces contradictions, ne restent pas inactifs, et y répondent par l'organisation et par les luttes. A cette lutte des classes s'ajoute la concurrence que se font les capitalistes entre eux, et qui font que l'histoire du capitalisme est caractérisée par des conflits sociaux et politiques permanents.
L'expansion
du capitalisme industriel
Au cours de sa
première période de développement, le capitalisme, dit
" de libre concurrence ", était essentiellement limité
aux marchés locaux .
Mais, à
la fin du 19ème siècle, l'accumulation des capitaux va pousser
les capitalistes, en s'appuyant sur leurs Etats nationaux, dans une nouvelle
phase de conquête coloniale. Il s'agit de trouver de nouveaux marchés
pour les produits, mais aussi de se procurer des matières premières
agricoles ou industrielles à bon marché, afin de baisser le coût
de production des marchandises.
Cette nouvelle
phase de conquête du monde, l'impérialisme, connaît un développement
extrêmement rapide, avec une concurrence féroce entre les pays
impérialistes. L'Angleterre et la France sont les premières à
se lancer dans la compétition, suivies par l'Allemagne, et dans une moindre
mesure, par les autres pays européens. Les Etats-Unis mettent à
profit les immenses territoires gagnés par la conquête de l'Ouest
et l'annexion, au cours du 19ème siècle, d'une bonne partie du
Mexique. C'est l'époque de la naissance des grandes sociétés
financières et industrielles, des trusts et des monopoles.
Tout ce mouvement
est accompagné par le développement de deux nouvelles sources
d'énergie, l'électricité et le pétrole, et des moteurs
correspondants, dont les premières applications industrielles commenceront
effectivement à exister au passage du 19ème au 20ème siècle.
Les moteurs électriques permettent de remplacer la machine à vapeur
unique qui entraînait tout un atelier par plusieurs moteurs plus petits
situés près des machines. Il faudra pour cela construire toute
une infrastructure, centrales et barrages, pour produire l'électricité,
et des réseaux électriques pour l'acheminer vers ses points d'utilisation.
Quant au pétrole, d'abord utilisé uniquement pour l'éclairage,
il aura un bel avenir avec l'invention du moteur à explosion. C'est la
possibilité ouverte à la fabrication des automobiles, des avions,
à l'apparition de nouveaux secteurs industriels, qui trouveront leur
développement dans l'entre deux guerres. De nouveaux produits apparaissent,
nés de la recherche, par le capital, de nouveaux terrains où s'investir.
Aux Etats-Unis débute la " production de masse ".
Le travail à la chaîne se développe, régi par une
" organisation scientifique du travail ", le taylorisme.
Mais après
une vingtaine d'années d'expansion impérialiste, le système
capitaliste est rattrapé par ses contradictions. Le partage du monde
terminé, le besoin d'expansion ne prend pas fin pour autant et conduit
à la 1ère guerre mondiale. La classe ouvrière, trahie par
la direction de l'Internationale Socialiste, est incapable de s'y opposer et
se retrouve dans les tranchées. Mais la lutte des classes ne prend pas
fin pour autant : en 1917, en Russie, se produit la première révolution
socialiste de l'histoire ; dès la fin de la guerre, en Allemagne,
une révolution commence, qui sera noyée dans le sang.
La période
qui va suivre la guerre de 14-18 sera une période ininterrompue de crises
politiques. Aux contradictions d'origine économique s'ajoute la dureté
de la lutte des classes. Saignée par les années de guerres, la
classe ouvrière des pays industrialisés dispose d'un très
fort degré d'organisation. Partout, elle est marquée par l'exemple
de la révolution russe, les idées communistes prennent un sens
concret. La révolution sociale mondiale est à l'ordre du jour,
mais la bourgeoisie est prête à tout pour se défendre. Elle
imposera sa loi par le fascisme en Italie, le nazisme en Allemagne. En France,
la politique de Front populaire, menée par les partis social-démocrate
et stalinien, détournera les élans révolutionnaires de
la classe ouvrière ; en Espagne, elle désarmera la révolution
des travailleurs face au coup d'état de Franco. En URSS, le stalinisme
liquide petit à petit les acquis de la révolution. La situation
débouche sur la 2ème guerre mondiale, pour les mêmes raisons
que la précédente : le besoin impérieux, pour l'impérialisme,
de se repartager le monde.
La période
qui suit l'après-guerre est marquée par la prédominance
des Etats-Unis qui sont les véritables vainqueurs de la guerre, et par
la crainte, pour la bourgeoisie internationale, de voir se renouveler la période
révolutionnaire qui avait marqué la fin de la guerre précédente.
Une période
de révolutions va effectivement commencer, avec les luttes de libération
des pays colonisés, profitant de l'affaiblissement des impérialismes
européens pour gagner leur indépendance. Dans les pays industrialisés,
la bourgeoisie est contrainte, par un rapport de force qui lui est défavorable,
à une longue période de relative paix sociale, marquée
par un chômage faible et des salaires permettant aux salariés d'acquérir
les produits de la " production de masse ". C'est la période
des " trente glorieuses ".
Dans les entreprises,
la façon de produire, l'organisation du travail, régie par le
taylorisme, dépend intimement de la façon dont fonctionnent les
équipements industriels. Il s'agit, généralement, d'équipements
lourds, coûteux, adaptés à un seul type de fabrication,
dont le remplacement, pour changer une production ou pour prendre en compte
une amélioration technologique, demande des capitaux énormes.
Leur fonctionnement est bien adapté à des cycles de production
en grandes séries, sur de longues périodes, et stables. La " rigidité "
des équipements de production s'accommode bien d'une main d'uvre
stable, regroupée dans des usines immenses, comme ont pu l'être,
par exemple, les usines Renault à Billancourt. C'est le temps des équipes
fixes, des OS et des OP, du contrat de travail stable, des conventions collectives
Mais le fait que
les équipements industriels soient vieillissants, que les coûts
d'innovation soient énormes, pèse sur l'économie. Les taux
de profits sont extrêmement bas. En France, le taux de profit moyen est
de 5,3 % entre 1959 et 1964, il passe à 4,3 % entre 64 et 67, à
3,8 % entre 67 et 73. Et c'est la même chose partout, même si aux
Etats-Unis les taux de profits sont plus élevés, de l'ordre de
10 %. Les capitaux ne s'investissent plus dans la production. Les Etats soutiennent
la bourgeoisie par une politique d'armement et le financement de la conquête
spatiale, par les emprunts d'Etat.
Cette situation d'asphyxie débouchera sur la crise économique mondiale des années 70. Le chômage s'installe de façon durable. Alors qu'il était, pendant la période de l'après-guerre, en France, de l'ordre de 2 %, il grimpe entre 1973 et 1983 à 6 %, à 7 % aux Etats-Unis et en Angleterre. La concurrence des travailleurs entre eux sur le marché du travail inverse le rapport des forces en faveur de la bourgeoisie.
Des
évolutions technologiques qui vont changer la façon de produire
Pendant cette période
de l'après-guerre, des nouvelles technologies se développent.
L'électronique
va être à l'origine du développement de tout un nouveau
secteur de production de biens de consommation comme les radios à transistor,
puis la télévision. L'informatique, après la réalisation
du premier ordinateur par des ingénieurs américains à la
fin de la guerre, trouvera ses premières applications, dès la
fin des années 60, en comptabilité et dans la recherche scientifique,
avec des sociétés comme IBM ou Bull.
Dans le domaine
industriel, l'informatique permettra le contrôle automatisé des
usines chimiques, des hauts fourneaux et bien d'autres processus, permettant
d'améliorer la qualité des produits obtenus. Elle est aussi une
des conditions du développement des centrales nucléaires, qui
exigent pour fonctionner, des contrôles et des calculs extrêmement
rapides et précis.
Elle sera un élément
important du développement de l'industrie spatiale qui va permettre de
placer des satellites en orbite autour de la Terre (Spoutnik, 1957), d'envoyer
des hommes sur la Lune (Apollo 11, juillet 69).
L'invention du
microprocesseur, en 1980, va donner à l'informatique, au début
des années 1980, les moyens d'envahir tous les secteurs économiques,
y compris celui des biens de consommation. Avec les réseaux de communication
modernes qui se mettent en place grâce aux satellites, elle constitue
la base de ce que l'on appelle les " nouvelles technologies ".
Le réseau Internet existe depuis 1980. Il dérive d'un réseau
mis en place en 1969 par l'armée américaine, Arpanet. Les premières
utilisations d'Internet seront universitaires, mais vont très vite s'étendre
aux grandes entreprises. Actuellement, il constitue un lien permanent entre
des milliards d'individus, tout en constituant l'épine dorsale du système
de production et d'échanges mondial.
L'apparition des
" nouvelles technologies " va transformer profondément,
et en très peu de temps, les moyens de production et d'échange.
Cela va, bien sûr, peser sur l'organisation sociale.
L'argent virtuel
apparaît, avec, pour les utilisateurs que nous sommes, les cartes de crédit,
le paiement par Internet
et pour les capitalistes la possibilité
de déplacer leurs capitaux, à la vitesse de la lumière,
d'un point de la planète à un autre.
Les entreprises
multinationales ont la possibilité de gérer une multitude de sites
autonomes, disséminés sur la planète entière, en
temps réel. C'était la condition technologique nécessaire
à " l'externalisation des productions ", qui se traduit
par la création de filiales disséminées dans le monde entier
et par la sous-traitance. Les " ordres de production " qui
exigent une grande précision, par exemple quand il s'agit de plans, sont
transmis sous forme informatique. Certains sont directement exécutables
par les équipements, sans autre intervention humaine que le pilotage
et la surveillance des systèmes de production.
Pour les moyens
de production eux-mêmes, l'automatisation se poursuit, mais avec une innovation
importante apportée par l'informatique : la flexibilité des
machines, la possibilité, pour un équipement, à partir
d'une simple modification de programme, sans aucune modification de la machine
elle-même, de changer de production. La production en grande série
était imposée par la " rigidité " d'équipements
basés sur des automatismes mécaniques. Avec les machines programmables
apparaît la possibilité de produire en très petites séries,
voire à l'unité, pour des coûts réduits. On voit
apparaître des chaînes de montage dans lesquelles des robots remplacent
les hommes. La production en flux tendus s'instaure.
Cela entraîne
également une augmentation considérable de la productivité
du travail dans certaines branches. Dans l'imprimerie, par exemple, avec l'introduction
des méthodes de composition informatique des pages, la PAO, une personne
fait le travail d'une dizaine. A France Télécom, il fallait, en
1980, 25 personnes pour s'occuper de 10 000 lignes téléphoniques
; actuellement, avec l'apparition des relais numériques, 9 suffisent
pour 100 000 lignes.
En même temps,
apparaissent de nouveaux secteurs de production : fabrication des équipements
de réseau, antennes, satellites, industrie spatiale (liée aussi
à la modernisation des équipements militaires qu'amènent
les nouvelles technologies) ; écriture des logiciels sans lesquels
les équipements informatiques les plus sophistiqués ne pourraient
pas fonctionner.
Enfin, tout un nouveau secteur de biens et de services, liés aux nouvelles technologies, se développe très rapidement : microinformatique, Internet, téléphonie mobile, jeux électroniques Les microprocesseurs envahissent l'automobile, l'électroménager
et donner à la bourgeoisie une nouvelle possibilité d'expansion
Ainsi, alors que,
à la fin des années 70, la bourgeoisie semble se trouver dans
une impasse, les " nouvelles technologies " vont lui ouvrir
une nouvelle opportunité de développement. Mais utiliser ces nouvelles
opportunités suppose rétablir des taux de profits élevés,
sinon investir est une perte de capital. Il faut déréglementer
pour que le capitalisme puisse se libérer des entraves des frontières
nationales, freins au développement. Le développement des forces
productives se heurte aux bases juridiques du système capitaliste. Les
vieilles frontières nationales sont devenues trop étroites :
il faut aux trusts internationaux, pour qu'ils puissent se développer,
un terrain à l'échelle du monde. Ce seront les multinationales.
La libre circulation
des capitaux à l'échelle internationale est instaurée dès
le début des années 80. L'exploitation d'une main d'uvre
industrielle très bon marché est désormais possible par
le biais de filiales que l'on peut implanter librement partout dans tout le
" monde libre ". En 1984, on pouvait dénombrer environ
7000 entreprises multinationales dans le monde. En 1994, il y en a 37 000
qui contrôlent entre 200 000 et 300 000 filiales. Une entreprise
comme Solectron, spécialisée dans la fabrication, en sous-traitance,
de produits électroniques, se crée à la fin des années
70 avec 100 personnes ; fin des années 90, elle emploie 70 000 personnes,
réparties dans 70 usines, implantées sur 25 pays. Son évolution
s'appuie sur l'acquisition d'usines existantes, appartenant à ses futurs
donneurs d'ordre, comme IBM, pour son site de Bordeaux.
Cette évolution
internationale du capitalisme s'accompagne de la mise en place, fin des années
70 - début des années 80, dans les pays industrialisés,
d'une politique délibérée d'attaques contre la classe ouvrière,
destinée à baisser le coût du travail, et à mettre
fin à des réglementations du travail qui s'opposent à l'utilisation
flexible de la main d'uvre. Le chômage, loin de baisser, continue
à augmenter. Entre 83 et 93, il atteint en moyenne 10 %, le niveau
où il est actuellement.
Pendant les années 80-90, le capital retrouve le chemin des investissements productifs, la Bourse connaît un regain d'activité. Les capitaux circulent à la vitesse de la lumière. Les espoirs de profits fabuleux dans le secteur des services ou de la fabrication de logiciels, créent, sur les valeurs boursières des " nouvelles technologies ", un afflux de capitaux considérable, sans commune mesure avec la valeur que représentent réellement les actions. Cela développe les entreprises de ce secteur, et, dans les années 99-2000, on assiste à une relance économique que l'on n'avait pas connue depuis longtemps, au point que certains économistes en déduisent la fin des crises, la venue d'une " nouvelle économie ". Cet enthousiasme est conforté par la fin de l'URSS, qui est interprétée comme la victoire de la " libre concurrence " et de la " démocratie " sur la " planification " et la " bureaucratie ". C'est l'époque des start-up, des pépinières d'entreprises.
qui débouche sur une crise générale
Mais cette période
se termine brutalement par une crise de surproduction générale,
la chute brutale des actions, et le début d'immenses restructurations.
Solectron-Bordeaux employait en décembre 2000 plus de 4000 personnes,
dont 2000 intérimaires ; un plan d'embauche était en cours
pour ces intérimaires ; l'action était à 50 $.
En janvier 2001, l'action chutait à 2 ou 3 $, tandis que la direction
internationale annonçait un plan de licenciements qui portait sur 40 000
salariés, plus de la moitié du total du groupe.
A la crise de surproduction
s'ajoute le fait que le miracle de la " nouvelle économie "
n'a pas mis fin à la baisse tendancielle du taux de profit. Bien au contraire,
elle y participe. La concurrence, sur un marché réduit par la
surproduction, pousse les capitalistes à la modernisation, ce qui ne
fait qu'accentuer les causes de la crise. La " nouvelle économie "
a fait long feu, et les Etats impérialistes sont de nouveau contraints
à intervenir militairement un peu partout pour maintenir leur contrôle
sur l'économie mondiale. Les contradictions entre les bases nationales
du capitalisme et une économie mondialisée explosent de nouveau.
Les " nouvelles
technologies ", si elles ont permis au capitalisme de faire franchir
un nouveau pas aux forces productives, ne l'ont pas sauvé de ses contradictions.
Bien au contraire. Tout progrès dans le sens d'une globalisation des
forces de production, de leur coordination à l'échelle de l'humanité,
ne peut qu'entrer en conflit avec la base nationale de la bourgeoisie comme
avec le mode d'appropriation capitaliste, basé sur la propriété
privée.
" À
un certain stade de leur développement, les forces productives matérielles
de la société entrent en contradiction avec les rapports de production
existants, ou, ce qui n'en est que l'expression juridique, avec les rapports
de propriété au sein desquels elles s'étaient mues jusqu'alors.
De formes de développement des forces productives qu'ils étaient
ces rapports en deviennent des entraves. Alors s'ouvre une époque de
révolution sociale. " écrivait Marx dans le Capital.
Mais " la
bourgeoisie n'a pas seulement forgé les armes qui la mettront à
mort ; elle a produit aussi les hommes qui manieront ces armes, les ouvriers
modernes, les prolétaires " (Manifeste du parti communiste).
La classe ouvrière,
soumise à un chômage chronique, ne cesse de s'étendre. Elle
s'étend numériquement, par l'augmentation du pourcentage des personnes
salariées dans un pays comme la France.
Elle s'étend
aussi du fait de l'apparition et du développement d'une classe ouvrière
industrielle nombreuse, dans le cadre des filiales des multinationales, des
entreprises locales de sous-traitance, dans tous les pays pauvres, sauf certaines
parties de l'Afrique. Des millions de personnes qui, il y a encore quelques
années, travaillaient la terre ou vivaient de travaux artisanaux dans
des conditions archaïques, participent désormais à la fabrication
de produits modernes, accèdent aux dernières techniques de production,
s'intègrent dans la classe ouvrière mondiale. Elles apprennent
à s'organiser, à lutter, comme on a pu le voir avec la classe
ouvrière coréenne par exemple.
Pour la classe
ouvrière des anciens pays industrialisés, cela se traduit par
la mise en concurrence internationale sur le marché du travail, avec
la menace permanente de perdre son travail par la délocalisation de la
production. A cela s'ajoute l'adaptation de la législation du travail
aux besoins de la flexibilité de la production : CDD, intérim,
contrat de mission. Baisse du salaire direct et indirect, dégradation
des conditions de travail, précarité, chômage, les classes
ouvrières européenne et américaine connaissent un recul
sans précédent qu'elles n'ont, jusqu'ici, pas réussi à
stopper. C'est aussi une rupture totale avec les conditions de vie et de travail,
la conception que l'on se faisait du travail de salarié, avec un emploi
" à vie " dans une entreprise. Et c'est vrai pour
les travailleurs du secteur privé comme pour ceux du secteur public.
Pour la classe
ouvrière des pays industrialisés, les 25 dernières années
sont donc marquées par un recul considérable. Sur le plan social
mais aussi sur le plan organisationnel. En France, les vingt années de
participation, plus ou moins directe, du PS et du PC au gouvernement, ont provoqué
une rupture profonde entre la classe ouvrière et ses anciennes organisations
politiques. Sur le plan syndical, l'effondrement du taux de syndicalisation
montre également l'ampleur de la rupture.
Mais cette rupture,
si elle désorganise totalement la classe ouvrière, est en même
temps le signe qu'une page est tournée. Celle du contrôle stalinien
sur la classe ouvrière, bien sûr, mais aussi celle du réformisme
qui se nourrissait des miettes du pillage impérialiste par la bourgeoisie
nationale.
La reconstruction du mouvement ouvrier, sur des bases totalement nouvelles, nécessairement internationales, est à l'ordre du jour. Elle ne peut se donner d'autre objectif que la prise de contrôle, par les travailleurs eux-mêmes, et à l'échelle mondiale, des moyens de production et d'échange.
*
* * *
En quelques deux
cinquante ans d'histoire, " par le feu et par le sang ",
comme l'écrivait Marx, le capitalisme industriel, né avec la " révolution
industrielle " du 18ème siècle, a totalement changé
le monde. Pour trouver de nouveaux champs d'investissements pour ses capitaux,
il a inventé des produits dont personne n'avait besoin, mais qui créent
des besoins nouveaux. Il y encore 10 ans, Internet ne manquait à aucun
d'entre nous.
Le capitalisme
a aussi détruit, partout où il s'est instauré, les modes
de production antérieurs. Il a transformé les travailleurs individuels,
paysans et artisans, en ouvriers industriels, dont le travail n'a de sens que
dans le cadre collectif. Avec les " nouvelles technologies "
et l'extension au monde entier du capitalisme, ce travail collectif a pris une
dimension mondiale, globale. Avec les réseaux de communication modernes,
les possibilités techniques, pour les travailleurs, de coordonner leur
activité, de planifier la production et les échanges à
l'échelle du monde entier, existent et sont pratiquement déjà
en place.
Le capitalisme
a étendu partout des moyens de production qui nous permettraient, s'ils
étaient débarrassés de la propriété des capitalistes,
de donner à chacun les moyens de vivre et de profiter de tous les bienfaits
des progrès technologiques. Bien plus, les progrès techniques,
en augmentant la productivité du travail, ont réduit de façon
considérable la part du travail social nécessaire à la
production de ces moyens de subsistance. Ils ont créé du " temps
libre ".
Ce " temps
libre ", qui se transforme, dans le cadre du mode de production capitaliste,
comme dans toutes les sociétés de classe, en catastrophe sociale,
en chômage, en misère, nous permet d'envisager dans l'état
actuel des techniques et sans que cela paraisse de la science fiction, la fin
du travail aliénant, son remplacement par des machines.
" Le
capital a accompli sa fonction historique lorsque, d'une part, les besoins sont
assez développés pour que le surtravail en sus de ce qui est nécessaire
soit devenu lui-même un besoin général et découle
des besoins de l'individu lui-même ; et d'autre part, que le zèle
au travail imposé par la sévère discipline du capital aux
générations successives soit devenu le bien commun de l'humanité
nouvelle ; enfin, que les forces productives du travail dont le capital accélère
le progrès à coup de fouet, dans sa frénésie d'enrichissement
sans limite et dans les conditions qu'il pouvait seul réaliser, soient
développées au point que la richesse générale exige
: 1° que la société de travail toute entière se fixe
un temps de travail moindre ; 2° que l'humanité travailleuse ait
instauré un procès scientifique en vue de sa reproduction sans
cesse croissante, dans une plénitude toujours plus grande. Autrement
dit : l'homme ne fera plus les travaux que les machines, etc., peuvent faire
à sa place." Marx, Grundisse
Mais l'aliénation
des hommes par le travail ne prendra fin que si le travail se libère
des entraves que lui impose la division de la société de classe,
c'est-à-dire que si les travailleurs se libèrent eux-mêmes,
par la révolution, en poussant jusqu'au bout la lutte des classes. Ainsi,
le travail prendra un nouveau contenu : celle de produire, avec le minimum
de peine et de temps, tout ce qui est nécessaire à la satisfaction
des besoins de la collectivité humaine et de l'individu.
" C'est le libre développement des individualités, où l'on ne réduit donc pas le temps nécessaire pour poser du surtravail, mais où l'on réduit le temps de travail nécessaire de la société jusqu'à un minimum, à quoi correspond la formation artistique, scientifique, etc., des individus grâce au temps libéré et aux moyens créés par eux tous ". (Manifeste du parti communiste).
Eric
Lemel