Aux
origines du Parti socialiste et du Parti communiste,
le mouvement ouvrier et la question du parti
Il apparaît indispensable en cette période où
tous les vieux repères sont détruits de reconstruire le fil conducteur
qui, à partir du passé, permet d'anticiper, de préparer
l'avenir.
Ce texte voudrait y contribuer. Il tente de donner une vue d'ensemble de la
façon dont la question de la construction d'un parti de la classe ouvrière
s'est posée aux différentes étapes du mouvement ouvrier,
malgré le côté inévitablement superficiel de cette
vue. Nous avons dû en particulier nous limiter essentiellement à
l'évolution du mouvement ouvrier français alors qu'il est bien
évident que les expériences militantes et les expériences
de luttes s'accumulaient et se répercutaient à l'échelle
européenne.
Il nous semble indispensable en cette période de rupture d'écrire
la continuité de notre combat, notre filiation : filiation d'idées,
filiation programmatique mais aussi filiation humaine, concrète et vivante,
sociale et militante.
En essayant de remonter le fil, nous voulons essayer de lui donner un contenu
et en même temps sortir des visions mythiques du passé, parce qu'il
y a souvent dans la façon de présenter les militants d'époques
révolues une idéalisation, qui paralyse en fait les intelligences
dominées par des mythes au niveau desquels il est difficile de hisser
sa propre activité.
Nous pensons que les choses sont à la fois beaucoup plus simples et plus
compliquées. Plus simples au sens où les idées du marxisme,
de la lutte de classe, comme le travail militant qui en résulte et qui
en fait le contenu, sont des idées et des activités pour des hommes
ordinaires, simples travailleurs manuels ou intellectuels. Plus compliquées
dans la mesure où cette activité s'insère dans l'histoire
et les mouvements du développement de toute l'humanité, conditionné
par son développement économique et rythmé par des crises,
des combats politiques et sociaux.
La question du parti, si elle relève de l'activité d'hommes ordinaires,
ne peut se comprendre et se poser en dehors de ces évolutions économiques
et sociales qui façonnent la conscience de la classe ouvrière
et de l'ensemble de la population, de ces millions d'hommes " ordinaires
" qui font l'histoire.
Nous vivons aujourd'hui le début d'une nouvelle période, une de
ces phases où se mettent en place les éléments déterminants
pour l'avenir.
A chaque nouvelle étape du mouvement ouvrier, il a fallu des révolutionnaires
qui ont su anticiper ou formuler les évolutions qui se profilaient parce
que ces évolutions des consciences étaient inscrites dans les
évolutions sociales et économiques qui conditionnent la vie de
l'ensemble de l'humanité. Ce sont ceux qui ont su jeter les bases de
l'avenir en bousculant les routines et la passivité, lesquelles expriment
le poids du passé.
Les révolutionnaires, tous ceux qui se revendi-quent des idées
du trotskisme, des idées de la lutte de classes et des idées du
socialisme et du communisme, sont aujourd'hui dans l'obligation de sortir du
passé pour essayer d'anticiper l'avenir, passer outre au sectarisme,
aux incompréhensions, pour créer les conditions nécessaires
à la naissance de ce parti des travailleurs qui forgera l'avenir.
Nous en trouverons la force dans une compréhension du passé, cette
chaîne des efforts et tentatives de la classe ouvrière pour s'organiser
en parti politique dont notre combat est la continuation.
* * *
Le besoin de s'organiser, de se constituer en parti, est apparu dès
que la classe ouvrière ou une fraction d'entre elle, a été
entraînée dans les luttes politiques et sociales, dès qu'elle
s'est éveillée à travers ces luttes, à la conscience
de ses propres besoins, de ses propres intérêts face aux autres
classes sociales.
C'est dans le cours même de la révolution bourgeoise de 1789 que
cette nécessité d'une organisation politique a commencé
à être formulée par les hommes qui voulaient agir contre
les classes privilégiées au nom des classes opprimées.
Pour eux, cette organisation ne pouvait être que révolutionnaire.
Par la suite, tout au long de l'histoire du mouvement ouvrier, en même
temps que se développaient la classe ouvrière et ses luttes, les
militants se sont dévoués à l'organisation de leur classe,
donnant à cette idée de parti un contenu plus riche, plus large,
à travers leurs différentes tentatives, leurs erreurs comme leurs
succès.
Les efforts de ces hommes, leurs idées, leurs conceptions, leurs évolutions,
tout comme les résultats concrets de leur action représentent
pour nous une expérience, un capital indispensable, dont la connaissance
est nécessaire à tout travailleur soucieux de l'émancipation
de sa classe.
La révolution de 1789 fut l'uvre des masses de paysans pauvres
et du petit peuple des villes, des sans-culottes, les prolétaires de
l'époque, qui eurent l'audace, l'initiative qui manquaient tant à
la bourgeoisie, toujours prête à composer avec l'ancien régime.
Principal acteur de la révolution, les masses ou une fraction d'entre
elles y apprirent à s'organiser, à intervenir pour exercer leur
pression politique, à discuter, et ce faisant, à prendre conscience
qu'entre leurs intérêts et ceux de la bourgeoisie, s'il y avait
certes, une communauté contre la vieille aristocratie, il y avait un
antagonisme bien plus profond : l'antagonisme entre les riches et les pauvres.
La bourgeoisie avait une conscience aiguë de cet antagonisme. Dès
1791, elle institua la loi Le Chapelier qui déclarait illégale
toute association ouvrière et, lorsqu'en 1794 éclatèrent
dans les manufactures d'armement des grèves pour les salaires, la bourgeoisie
empêcha tous les rassemblements ouvriers.
La révolution n'était pas achevée que, prise de peur, la
bourgeoisie se retournait contre le peuple qui l'avait porté au pouvoir.
En intervenant dans la vie politique, les masses populaires avaient révélé
l'antagonisme qu'il y avait entre elles et la bourgeoisie, elles en avaient
pris confusément conscience. Il y eut au cours de la révolution
des hommes pour l'exprimer, les Enragés puis les Egaux, autour de Babeuf.
Gracchus Babeuf était avant la révolution une sorte de percepteur
d'impôts en Picardie. Chargé de percevoir les taxes féodales
sur les paysans, il avait ainsi découvert tous les mécanismes
de la propriété et s'était convaincu que la propriété
elle-même était la racine de tous les maux.
Quand la révolution éclata, il prit sans hésiter fait et
cause pour elle, soutint les jacobins et se reconnut dans l'intransigeance révolutionnaire
de Robespierre.
Lorsqu'en 1794, en Thermidor, Robespierre et les jacobins furent éliminés
et que la révolution commença à refluer, Babeuf fut mis
en prison par les bourgeois thermidoriens. C'est là qu'avec d'autres
révolutionnaires, il formula le projet d'une organisation représentant
réellement les opprimés. Ils s'appelèrent les Egaux, convaincus
de la nécessité d'une nouvelle révolution. " La révolution
n'est pas finie, disaient-ils, parce que les riches absorbent tous les biens
et commandent exclusivement tandis que les pauvres travaillent en véritables
esclaves, languissent dans la misère et ne sont rien dans l'Etat."
Le manifeste du nouveau mouvement, le "manifeste des égaux"
affirmait : " La révolution française n'est que l'avant-courrière
d'une autre révolution bien plus grande, bien plus solennelle et qui
sera la dernière."
Les amis de Babeuf menèrent une propagande active parmi les ouvriers
et les soldats au travers de brochures expliquant que seule la "communauté
des biens et des travaux " pouvait garantir " l'égalité
de fait ".
C'est aussi à travers les prisons qu'ils recrutèrent leurs partisans.
Les prisons de Paris étaient des foyers de fermentation d'idées
et le transfert de prisonniers d'une prison à une autre permettait aux
idées de circuler et aux militants de mieux se connaître. La fermeté
des convictions de Babeuf, son audace intellectuelle comme son attention aux
autres, son souci de partager comme son sens de la solidarité, surent
forcer bien des réticences et lui attirer des sympathies, au point qu'en
pleine période de répression, de recul de la révolution,
Babeuf et ses camarades eurent l'audace d'organiser une tentative de nouvelle
révolution, la Conjuration des Egaux, qui devait établir "l'égalité
sans tache et sans réserve".
Trahie, l'organisation fut démantelée. Babeuf et nombre de ses
camarades furent guillotinés en 1797. Mais l'un de ses amis, Buonarotti,
auquel il avait su transmettre ses convictions, échappa à la répression
et pu transmettre les idées dont il était devenu l'héritier.
Ses idées contenaient en germe toutes les notions qui deviendront plus
tard les idées du mouvement communiste.
C'est de cet exemple et de ces idées que se nourriront quelques 20 ans
plus tard les militants qui participèrent au réveil du mouvement
révolutionnaire et aux premières luttes de la classe ouvrière
qui s'était développée avec la révolution industrielle
du premier tiers du XIXème siècle.
Un prolétariat industriel était né dans les industries
textiles. De grosses agglomérations et de grosses cités ouvrières
étaient apparues, comme Lyon. Les dures conditions des usines ou du logement
dépouillaient le plus souvent les travailleurs de leur dignité,
usés par 15 h et demi de travail par jour, et les poussaient vers l'alcoolisme,
parfois la prostitution ou la criminalité, privaient leur existence de
toute certitude quant à la possibilité d'avoir du travail, de
se loger, de manger le lendemain. Sous l'effet du besoin impétueux de
la bourgeoisie de développer la production, naissait une classe jeune,
dressée à la vie et au travail collectif, que toutes les conditions
qui lui étaient faites poussaient à la révolte, à
l'action collective, à l'organisation.
C'est du besoin de solidarité que naquirent les premières organisations,
caisses communes d'entraide ou mutuelles, organisations secrètes du fait
de l'interdiction des associations ouvrières. Très vite, les travailleurs
qui s'y regroupaient furent amenés à se poser la question des
salaires, à prendre l'initiative d'organiser des grèves pour exiger
leur dû, comme celle qui éclata dans l'industrie textile à
Paris en 1829.
Ces premières tentatives d'organisation visaient à s'opposer
à la concurrence entre travailleurs. Elles restaient dans le cadre de
leurs intérêts économiques.
Sur le plan politique, la classe ouvrière, le petit peuple, ceux qui
les représentaient, restaient dans le cadre des revendications et des
luttes de la bourgeoisie industrielle. Cette bourgeoisie industrielle n'avait
pas accès directement au pouvoir politique, elle ne disposait même
pas d'un parlement dans lequel elle aurait pu discuter de ses véritables
intérêts. Elle aspirait à exercer pleinement ses pouvoirs
politiques, ce qui supposait de liquider tous les éléments des
vieilles classes de l'ancien régime qui s'étaient emparés
de l'appareil d'Etat après la chute de Napoléon.
Ce fut le sens de la révolution de juillet 1830, ces trois journées
de barricades et d'insurrection, les "trois glorieuses", qui renversèrent
Charles X.
Les trois glorieuses furent l'oeuvre du prolétariat. C'est lui qui se
battit sur les barricades, mais il ne se battit pas pour lui-même. Il
le fit pour le compte de la bourgeoisie. Celle-ci, prise de panique devant ses
propres succès, refusa un pouvoir qu'elle aurait dû au peuple,
se jeta dans les bras de Louis-Philippe, le roi bourgeois qui se proclamait
"père et protecteur du peuple", représen-tant les intérêts
des banquiers et de la bourgeoisie d'affaire.
La réponse des travailleurs ne se fit pas attendre. En 1831 éclatait
à Lyon la révolte des canuts.
Installés à Lyon et dans ses faubourgs, les travailleurs de la
soie, les canuts, faisaient vivre la moitié de la seconde ville du pays,
avec leurs 30 000 métiers à tisser. Ils ne formaient pas une classe
ouvrière homogène : 8 000 d'entre les canuts étaient des
maîtres ouvriers ou chefs d'atelier, propriétaires en moyenne de
2 à 6 métiers à tisser, installés à leur
domicile, et faisant travailler, outre leurs femmes et leurs enfants, 30 000
compagnons et apprentis. Toute cette industrie était dominée par
les fabricants qui au demeurant, ne fabriquaient rien, mais se contentaient
de vendre ce que les canuts produisaient, après qu'ils leur aient fourni
la matière première.
C'est le refus des fabricants d'augmenter les tarifs auxquels ils achetaient
la soie des canuts, qui provoqua la grève. Elle se transforma en manifestation
armée puis en insurrection. Les barricades se dressèrent, surmontées
de drapeaux noirs, signe de deuil, portant la devise des insurgés "vivre
en travaillant ou mourir en combattant".
En trois jours, ils se rendirent maîtres de la ville, mirent en place
un gouvernement municipal, qui fut un véritable gouvernement ouvrier,
qui administra Lyon, organisa les secours pour les familles des tisseurs et
assura l'ordre dans la ville.
L'Etat ne pouvait tolérer cette révolte, l'armée occupa
Lyon et réprima l'insurrection.
Deux ans plus tard, début 1834, une nouvelle révolte éclata,
réprimée elle aussi dans le sang.
Au même moment, à Paris, dans la nuit du 13 au 14 avril 1834, éclataient
des manifestations républicaines. Les troupes du général
Bugeaud, sous les ordres de Thiers, ministre de l'intérieur de Louis-Philippe,
se livrèrent à un véritable massacre, le massacre de la
rue Transnonain.
Le régime de Louis-Philippe, né de l'insurrection de 1830, en
réprimant dans le sang le mouvement ouvrier et le mouvement républicain,
assurait son autorité mais poussait les éléments les plus
conscients de ces deux mouvements à unir leur action.
Au début des années 30, une véritable agitation avait gagné
de larges fractions de la classe ouvrière. Des centaines de militants
ouvriers, des cordonniers, des tailleurs, des horlogers, rédigeaient
des brochures, des articles, des lettres, des poèmes ou des affiches
pour exprimer les aspirations et les protestations de leur classe.
Ainsi l'ouvrier cordonnier Efrahem, rédigea en 1833 une brochure appelant
les ouvriers de tous les corps d'Etat à s'unir dans une seule et même
association : "si nous restons isolés, disait-il, éparpillés,
nous sommes faibles... il faut donc un lien qui nous unisse, une intelligence
qui nous gouverne, il faut une association... les droits, les intérêts
des ouvriers, à quelque corps d'Etat qu'ils appartiennent, sont toujours
les mêmes."
Dans les grandes villes du pays, se formèrent des sociétés
secrètes, se revendiquant de la tradition communiste de Babeuf ou des
précurseurs des idées du communisme qu'étaient au début
du siècle Cabet, Fourier et Saint-Simon. Ces sociétés secrètes
s'opposaient à tout l'ordre social et se proposaient d'éduquer
les travailleurs autour de l'idée de la nécessité de le
renverser et de le remplacer par un ordre nouveau où la richesse appartiendrait
à la collectivi-té. Les représentants les plus connus de
ces idées étaient Louis Blanc, Barbès, qui restaient partisans
de simples réformes et surtout Blanqui, partisan de la lutte politique
révolutionnaire pour le renversement de l'ordre bourgeois.
Blanqui fit ses premières armes politiques dans une société
secrète républicaine radicale, la charbonnerie française.
Il participa le fusil à la main à l'insurrection de 1830 et sut
tirer les leçons de l'attitude des républicains qui s'étaient
jetés dans les bras de Louis-Philippe par peur de la classe ouvrière.
Fervent lecteur de Fourier et de Saint-Simon, il devint communiste. En 1832,
à 27 ans, il fit la connaissance de Buonarotti, le vieux compagnon de
Babeuf, auprès duquel il trouva la tradition des Egaux, et l'expérience
de l'époque révolutionnaire.
A partir de cette date, toute son énergie, toute son intelligence furent
consacrées, avec un dévouement sans faille à pénétrer
l'esprit des ouvriers et des républicains les plus avancés, des
idées de Babeuf et de Buonarotti. En retour, la bourgeoisie lui voua
une haine sans faille qui lui valut de passer 37 ans de sa vie en prison. Mais
rien n'arrêtait ce petit homme tenace, qui mettait chaque période
de liberté à profit pour diffuser ses idées, et organiser
de nouveaux complots.
Quand de retour en prison, on lui demandait sa nationalité, toujours
il répondait fièrement "prolétaire".
Par la parole et par la plume, en prison, dans les clubs et les sociétés
secrètes, par la presse, Blanqui expliquait inlassablement l'opposition
de classe irréductible qui existe entre la bourgeoisie et le prolétariat,
et dénonçait tous les marchands d'illusions qui obscurcissent
la conscience de classe des prolétaires par "des phrases de tribun
ou des pilules soporifi-ques". Toute sa pensée, tout son activité,
visait à éveiller la conscience des travailleurs sur leur propre
condition pour les aider à prendre par eux-mêmes conscience de
la nécessité de la lutte politique, pour la conquête du
pouvoir.
Encore dominé par les idées de Babeuf et sans que le développement
du mouvement ouvrier ait pu lui offrir une autre perspective, Blanqui croyait
dans l'action d'une minorité consciente, éclairée, organisée
clandestinement et qui, ayant conquis le pouvoir par la voie de l'insurrection,
saurait prendre toutes les mesures pour permettre aux masses de participer pleinement
à la transformation de leurs propres conditions d'existence.
Militant profondément engagé dans le combat de son époque,
Blanqui restait prisonnier d'une vision exclusivement politique du combat sans
percevoir les armes spécifiques, originales du prolétariat, liées
à sa place dans l'économie, à son rôle dans la production.
Au cours de ces années 1830, le mouvement ouvrier anglais avait accompli
de son côté des progrès impressionnants. En Angleterre aussi
la bourgeoisie industrielle s'était servie de la combativité des
prolétaires pour renforcer sa position dans la société
et dans l'Etat. En 1832 les industriels obtenaient le droit de vote, rien que
pour eux-mêmes. A la suite de cette trahison, des militants liés
à la classe ouvrière relevèrent le défi et organisèrent
un vaste mouvement dans tout le pays pour que les travailleurs obtiennent eux
aussi des droits politiques. Ils regroupèrent leurs revendications dans
une charte (d'où le nom de mouvement chartiste) pour obtenir notamment
le suffrage universel et une indemnité parlementaire permettant à
de futurs députés ouvriers de siéger au parlement. Ces
revendications politiques permettaient à la conscience de classe des
ouvriers anglais de prendre corps. Mais elle s'accompagnait aussi de l'illusion
qu'avec le suffrage universel, la majorité des voix iraient aux candidats
ouvriers, lesquels pourraient ensuite résoudre les problèmes liés
à l'exploitation de la classe ouvrière.
En 1840 au congrès de Manchester, tous les groupes locaux chartistes
se regroupèrent dans une organisation nationale. Mais le parti chartiste
restait très hétérogène avec des tenants de la lutte
exclusivement légale, et d'autres de la préparation à l'insurrection
armée. Le mouvement chartiste atteignit son point culminant en 1842.
Des meetings monstres se tinrent dans les régions industrielles. Une
pétition avançant en plus des revendications politiques, des revendications
économiques telles que la limitation du temps de travail, recueillit
plus de trois millions de signatures. La pétition fut repoussée
par le parlement. Les chartistes tentèrent de riposter en déclarant
une grève générale (" le mois sacré ")
qui fut un échec. De nombreux militants chartistes furent emprisonnés.
Lénine considérait que le chartisme avait été "
le premier grand mouvement révolutionnaire prolétarien, réellement
massif, politiquement cristallisé ". A l'époque du chartisme,
le jeune Friedrich Engels, fils d'industriel allemand, avait été
envoyé en stage à Manchester dans une usine paternelle. Ce fut
pour lui l'occasion de se lier au mouvement chartiste et d'en dégager
des enseignements précieux.
Il lui appartint avec un autre jeune intellectuel d'origine allemande, Marx
, qui devint son ami, de formuler les idées nouvelles qui résultaient
de toute l'évolution antérieure . Ils surent voir dans la classe
ouvrière la force sociale qui, en s'émancipant elle-même
de l'exploitation, émanciperait l'ensemble de la société
de la propriété bourgeoise, pour construire une société
communiste. Ces deux jeunes intellectuels militaient dans une petite organisation,
la ligue des communistes qui avait été fondée à
Paris par des ouvriers allemands de l'émigration politique, dont la fréquentation
était pour eux une source d'enthousiasme et surtout de leçons,
et qu'Engels décrivit ainsi : "C'était les premiers prolétaires
révolutionnaires que j'eusse vus. Et bien que sur des points de détail,
il y eut alors de grandes divergences entre nos idées, - à leur
communisme égalitaire borné, j'opposais encore une part d'orgueil
philosophique non moins bornée, - je n'oublierai jamais l'impression
que ces trois hommes véritables firent sur moi qui n'étais encore
qu'en train de devenir un homme."
Ces deux jeunes intellectuels ne tardèrent pas à gagner la confiance
des ouvriers communistes et à les aider à évoluer du blanquisme
vers les idées communistes modernes, la science de la lutte du prolétariat
pour son émancipation. Pour eux, il en découlait la nécessité
d'un parti regroupant les éléments les plus conscients de la classe
ouvrière, un parti représentant les intérêts généraux
du mouvement ouvrier international, intervenant dans toutes les luttes économiques
et politiques en fonction de ce but historique. Ce parti ne pouvait en aucune
façon être une secte, avec ses prophètes, sa manie du secret,
son sentimentalisme, son incapacité à être attentif aux
capacités du mouvement ouvrier, avec sa tendance à se substituer
à lui et à passer à l'offensive sans tenir compte des conditions
politiques et sociales.
Dans les premiers jours de l'année 1848, ils publièrent une petite
brochure qui devait constituer le programme de la ligue des communistes. Ils
l'appelèrent " le manifeste communiste ". Ils y exposaient
pour la première fois sous forme d'un programme leurs conceptions.
Dégageant les leçons de l'évolution des sociétés humaines et des sociétés de classes comme de l'évolution de la société bourgeoise, ils affirmaient : "de plus en plus la société entière se partage en deux camps ennemis, en deux grandes classes diamétralement opposées l'une à l'autre, la bourgeoisie et le prolétariat." Décrivant les crises qui accompagnaient le développement du capitalisme pourtant alors en pleine expansion, ils écrivaient : "les armes dont la bourgeoisie s'est servie pour abattre la féodalité se retournent aujourd'hui contre la bourgeoisie elle-même. Mais la bourgeoisie n'a pas seulement forgé les armes qui la mettront à mort, elle a produit aussi les hommes qui manieront ces armes, les ouvriers modernes, les prolétaires."
A peine publiées, les idées formulées par Marx et Engels
allaient pleinement se vérifier dans la révolution de 1848.
La bourgeoisie libérale française s'était lancée
au début de cette année 1848 dans une agitation politique pour
obtenir une réforme électorale. Sa forme préférée
d'action, les banquets républicains, ne faisait pas trembler le régime,
jusqu'au jour où en réponse à une provocation policière,
en février, le peuple de Paris, ouvriers en tête se souleva. En
trois jours, la monarchie fut balayée, la république proclamée.
Les bourgeois libéraux qui avaient pris la direction du mouvement n'avaient
pas d'autres ambitions que de conquérir des droits politiques pour leur
propre compte afin de participer à la gestion des affaires de l'Etat,
pour y défendre leurs propres intérêts. Le roi chassé,
la république proclamée, pour eux, la révolution était
finie. Les ouvriers qui avaient été les artisans de cette révolution,
n'y avaient pas d'objectifs et de politique propres.
Les mois qui suivirent la révolution de février leur révélèrent
qu'on ne cherchait qu'à les duper, que les discours sur la république
sociale n'étaient que des mensonges creux derrière lesquels se
profilait une politique bourgeoise anti-ouvrière, et la bourgeoisie quant
à elle, n'avait qu'une obsession, désarmer moralement et physiquement
les ouvriers parisiens. De provocations en provocations, le prolétariat
parisien n'eut d'autre choix que l'insurrection.
En juin 48, pour la première fois de son histoire, le prolétariat
en armes se mesura avec la société bourgeoise.
La bourgeoisie se vengea sauvagement de cette audace des opprimés. Juin
1848 vit le massacre de plus de 40 000 travailleurs. Les ouvriers insurgés
qui ne furent pas exécutés sur-le-champ furent emprisonnés
et déportés par milliers.
En s'insurgeant, le prolétariat parisien avait pris conscience de lui-même
et révélait aux yeux de tous les travailleurs qu'entre la bourgeoisie
et lui, il n'y avait plus aucun intérêt commun.
Tirant les leçons de l'insurrection de juin 48 et de toute la période
passée, Marx écrivait : "le temps des coups de main, des
révolutions exécutées par de petites minorités conscientes
à la tête de masses inconscientes est passé. Là où
il s'agit d'une transformation complète de l'organisation de la société,
il faut que les masses elles-mêmes y coopèrent, qu'elles aient
déjà compris elles-mêmes de quoi il s'agit, pourquoi elles
interviennent avec leur corps et avec leur vie. Voilà ce que nous a appris
l'histoire des 50 dernières années. Mais pour que les masses comprennent
ce qu'il y a à faire, un travail long, persévérant, est
nécessaire".
Ce travail trouve au lendemain de la révolution de 1848 un vaste et
large terrain du fait d'un nouvel essor du mouvement ouvrier dû au développement
industriel. Le second empire, celui de Napoléon III qui garantit l'ordre
bourgeois au lendemain de la révolution impose le silence à la
classe ouvrière dans le même temps qu'il favorise et protège
le développement de la bourgeoisie.
L'Etat impulsa une politique de grands travaux, les grands travaux publics qui
transformèrent le centre de Paris et des grandes villes, la construction
des chemins de fer, le développement de l'industrie minière, tex-tile,
chimique et métallurgique. Le gouvernement impulsa la création
des grandes compagnies minières, de transport et de navigation, les grandes
compagnies de crédit.
Un prolétariat moderne concentré dans les grandes villes se développait
extrêmement vite, connaissant des conditions de vie le plus souvent misérables.
Méprisé, surveillé par la police, repoussé dans
les quartiers misérables et insalubres à la périphérie
des grandes villes dont on rénovait le centre, ce jeune prolétariat
qui vit ses conditions de vie bouleversées en l'espace de quelques années,
s'éveillait aux nécessités de la lutte.
Des grèves éclatèrent, parfois très déterminées
et la jeune classe ouvrière trouva le chemin des luttes et de l'organisation.
La pression de la classe ouvrière conduisit le gouvernement à
lui concéder des droits. En 1864, la loi Le Chapelier fut abolie et le
droit d'association reconnu.
En 1862, à l'occasion de l'exposition universelle qui eut lieu à
Londres, le gouvernement favorisa la constitution d'une délégation
ouvrière. Celle-ci entra en contact avec des représentants de
la classe ouvrière anglaise et confronta avec elle les conditions qui
étaient faites aux différentes classes ouvrières.
A Londres, en 1864, fut créée l'Association Internationale des
Travailleurs, l'AIT, la première Internatio-nale. Marx en rédigea
le manifeste dans lequel il affirmait : "l'émancipation des travailleurs
doit être l'oeuvre des travailleurs eux-mêmes ; les efforts des
travailleurs pour conquérir leur émancipation ne doivent pas tendre
à constituer de nouveaux privilèges mais à établir
pour tous des droits et des devoirs égaux et à anéantir
la domination de toute classe. L'émancipation économique des travailleurs
est le grand but auquel tout mouvement politique doit être subordonné
comme moyen... Tous les efforts faits jusqu'ici ont échoué faute
de solidarité entre les ouvriers des différentes professions dans
chaque pays et d'une union fraternelle entre les travailleurs des différentes
contrées... L'émancipation des travailleurs n'est ni locale ni
nationale, mais sociale, embrasse tous les pays dans lesquels la vie moderne
existe, et nécessite pour sa solution leur concours théorique
et pratique."
Elle lançait à tous les travailleurs cet appel "prolétaires
de tous les pays, unissez-vous !"
Les perspectives de développement qui s'ouvraient au mouvement ouvrier,
non seulement en France mais dans tous les pays industriels d'Europe, exigeaient
que les idées se mettent en accord avec les nouvelles conditions ainsi
créées. Les idées proudhonien-nes, le mutualisme, le mouvement
coopératif étaient dépassées, tout autant que les
sociétés secrètes et les conceptions blanquis-tes.
Il fallait que les militants s'arment d'une conception politique, théorique,
scientifique nouvelle.
Le mouvement coopératif contribuait à donner confiance aux travailleurs
en leur démontrant qu'ils étaient capables eux-mêmes de
gérer la production. Mais il fallait que cette conscience aille beaucoup
plus loin et qu'elle s'élève jusqu'à la conscience de la
nécessité pour la classe ouvrière de gérer l'ensemble
de la société. Le mouvement ouvrier ne pouvait dans son développe-ment
se contenter d'un cadre purement national. La classe ouvrière était
une classe internationale ; elle ne pouvait se contenter d'organisa-tions nationales.
Pour son rédacteur comme pour tous ceux qui y adhéraient, le manifeste
de l'AIT était un appel à l'initiative lancé aux travailleurs
pour qu'ils prennent eux-mêmes en main la construction de leur propre
organisation en s'emparant de ces idées.
Le développement de l'AIT reposa bien souvent sur l'énergie et
la volonté de tous petits groupes de militants voire de militants isolés.
A Paris, l'activité de l'ouvrier relieur Varlin en témoigne.
Dès qu'il avait fini de gagner son pain et qu'il laissait son atelier
et ses reliures, Varlin courait d'un bout à l'autre de Paris prendre
contact avec des ouvriers, des camarades, à la sortie des ateliers, des
restaurants, des cafés. Dommanget raconte ainsi sa vie : " Il les
anime, les entraîne, les entretenant de ce qui a été fait,
de ce qui se fera. Il les pousse à redoubler d'ardeur, à avoir
du courage, à ne pas se laisser abattre par les difficultés. On
estime qu'à cette époque, Varlin amena à lui seul à
la section parisienne de l'internationale les trois quarts de ses membres."
Bien que convaincu de la nécessité de faire pénétrer
dans la classe ouvrière les idées de la lutte de classe, il ne
négligeait aucune forme d'organisation quelle qu'elle soit. Il disait
: " Les sociétés ouvrières, sous quelque forme qu'elles
existent actuellement, ont déjà cet immense avantage d'habituer
les hommes à la vie de société, et de les préparer
ainsi pour une organisation sociale plus étendue. Elles les habituent
non seulement à s'accorder et à s'entendre, mais encore à
s'occuper de leurs affaires, à s'organiser, à discuter, à
raisonner de leurs intérêts matériels et moraux, et toujours
au point de vue collectif, puisque leur intérêt personnel, individuel,
direct, disparaît dès qu'ils font partie d'une collectivité."
Les sections de l'Internationale qui se créèrent, bien souvent
se structu-raient à partir des organisa-tions existantes, à partir
de coopératives ouvrières de production ou de consomma-tion, de
caisses de secours ou de corporations de métiers.
Parfois, elles se créaient à partir d'un correspondant, entouré
de quelques amis, comme ce correspondant de Castelnaudary qui écrivait
au bureau parisien de l'AIT : "Nous sommes ici quelques hommes, qui, désirant
prendre une part active à l'évolution qui porte la classe ouvrière
vers la conquête légitime et pacifique de ses droits, avons formé
le dessein de nous constituer en section de la société internationale...
Nous vivons au sein d'une population très arriérée, très
réfractaire à toutes les idées de progrès et d'amélioration,
très dominée par le fanatisme et l'ignorance ; dans un tel milieu,
il est de très grande importance que nous agissions avec prudence...
Nous ne savons comment nous y prendre pour nous concerter, pour nous réunir..."
Tous ces efforts dispersés, rassemblant dans une volonté commune
des hommes aux idées souvent très différentes, au passé
et aux expériences diverses, qui les uns et les autres ne manquaient
pas de préjugés, dont la culture politique était extrêmement
faible, ignorant tout des idées du communisme, ne purent prendre toute
leur signification que quand ils furent enrichis, démultipliés
en quelque sorte, par la vague des luttes ouvrières qui éclatèrent
à partir de 1867, et surtout en 1869.
Eveillés par les luttes, les ouvriers se tournaient vers l'AIT dont l'influence
dépassait largement celle de ses militants le plus souvent dispersés,
isolés et sans grands moyens.
Cet essor du mouvement ouvrier aboutit dans le cours de la guerre de 1870 à
ce que l'on peut considérer comme la première tentative d'exercice
du pouvoir par le prolétariat, la commune de Paris, dont Engels pouvait
dire qu'elle était de par l'esprit l'enfant de l'AIT.
Le 4 septembre 1870, l'Empire s'effondrait . Napoléon III qui s'était
lancé dans l'aventure d'une guerre contre l'Allemagne pour essayer de
sauver son régime discrédité, était fait prisonnier
avec son armée à l'issue de la bataille de Sedan. Les armées
allemandes encerclaient Paris. La république fut proclamée à
l'issue du soulèvement du peuple de Paris. Les politiciens bourgeois,
portés au pouvoir au profit de l'écroulement de l'empire craignaient
bien plus le prolétariat que les armées prussiennes. Et leur seul
souci était de composer avec l'armée prussienne et de désarmer
la classe ouvrière.
Le 18 mars, alors que les troupes de Thiers cherchaient à prendre ses
canons au peuple de Paris, celui-ci s'insurgea, le gouvernement et la bourgeoisie
prises de panique s'enfuirent à Versailles.
Les ouvriers parisiens étaient maîtres de la ville. Ils organisèrent
leur pouvoir, la Commune.
Ce pouvoir reposait sur l'armement du prolétaria-t, organisé dans
les bataillons de la garde nationale ; les élus de la Commune étaient
tous contrôlables et révocables à tout moment. Ils recevaient
un salaire d'ouvrier. Les décisions de la Commune étaient exécutoires
immédiatement : les ouvriers abolirent la séparation entre le
législatif et l'exécutif, sur laquelle repose la démocratie
bourgeoise et instaurèrent la démocratie directe : l'application
par ceux qui les votent de toutes les décisions, le pouvoir reposant
sur le peuple en armes, la dictature du prolétariat selon les mots de
Marx.
La bourgeoisie ne pardonna pas à la classe ouvrière d'avoir osé
contester sa domination, et d'avoir postulé pour elle-même à
la direction de la société. Elle le lui fit payer par le massacre
de la semaine sanglante.
Au lendemain de la Commune, le mouvement ouvrier, vaincu, se disloqua. Des milliers d'ouvriers étaient morts sur les barricades, des milliers d'autres furent déportés ou s'enfuirent en exil ; il ne restait rien, de fait, des organisations ouvrières. Le mouvement ouvrier disparut de la scène politique, occupée par la réaction, l'armée et l'église, les piliers de la troisième république, alors que la bourgeoisie se lançait dans la conquête coloniale.
Moins de 10 ans après l'écrasement de la Commune, des grèves
ouvrières éclataient dans toutes les régions industrielles
et en particulier dans les mines.
La grève de Decazeville démarra en janvier 1886. Elle dura près
de 6 mois. La classe ouvrière s'y reconnut tout entière. L'épreuve
de force entre la Compagnie des houillères et les mineurs se termina
par leur victoire, grâce à la solidarité que leur grève
avait suscitée très largement autour d'eux. Elle avait suscité
bien plus qu'un simple élan de solidarité, mais un encouragement
à la lutte, un éveil à l'organisation et à l'action
ouvrière.
Les grèves se multipliaient, elles portaient alors sur les conditions
de travail, le niveau misérable des salaires, les conditions d'hygiène,
de logement.
Bien des travailleurs, des jeunes en particulier, se tournaient vers la politique,
cherchant dans les idées du socialisme les réponses à leurs
interrogations. Les idées formulées par Marx et Engels, qui avaient
été propagées par l'AIT et auxquelles la Commune de Paris
avait donné un rayonnement considérable, devenaient les idées
à partir desquelles les militants ouvriers allaient pouvoir construire
l'organisation politique dont ils avaient besoin. La classe ouvrière
sut attirer à elle des intellec-tuels pour l'aider dans sa tâche,
même si malheureusement, ceux-ci ne surent pas s'assimiler jusqu'au bout
les idées de Marx et d'Engels, trop réticents à se lier
de toutes leurs fibres à la classe ouvrière.
A partir de 1876, Jules Guesde, un instituteur républicain gagné
aux idées socialistes, se battit pour rassembler tous les éléments
socialistes du mouvement ouvrier, pour créer un parti socialiste qui
donne au prolétariat une direction politique. Ses efforts militants aboutirent
à la création de la "fédération du parti des
travail-leurs socialistes de France".
La fédération socialiste regroupait de nombreux communards rentrés
d'exil, parmi eux, l'ouvrier Allemane, Brousse, Jean-Baptiste Clément.
Mais aucun d'entre eux ne s'était réellement assimilé le
marxisme. Ils restaient marqués par les tendances mutualistes et réformistes
du mouvement ouvrier.
Les uns et les autres voyaient dans les idées du socialisme une proclamation,
un but plus ou moins lointain, plus ou moins utopique, mais en aucun cas une
conception scientifique destinée à armer la classe ouvrière
dans ses combats jusques et y compris la conquête du pouvoir politique.
Chacun était soucieux de son originalité, les uns syndicalistes,
les autres s'attachant aux municipalités, d'autres aux luttes électorales,
mais au-delà de ces spécificités de chapelle, en quelque
sorte, tous avaient un point commun, l'adaptation passive aux conditions de
la lutte créées par la société bourgeoise. Et c'est
bien parce que le mouvement ouvrier ne réussissait pas à se doter
d'une volonté politique s'appuyant sur une conception théorique,
qu'il ne put sortir de l'émiettement.
Chaque chapelle étant soucieuse de préserver son indépendance
et sa spécificité, la fédération socialiste éclata.
Seul Jules Guesde, à la tête du parti ouvrier français tentait
de jeter les bases d'un parti réellement ouvrier, en collaboration étroite
avec Marx et Engels. Mais lui-même restait prisonnier d'une attitude plus
soucieuse de maintenir des positions de principe que d'agir réellement
au cur des masses, de formuler une politique qui exprime leurs besoins
les plus profonds, pour les entraîner à l'action.
Et lorsque dans les années 1880, la bourgeoisie se trouva confrontée
à une succession de crises économiques et politiques, le parti
socialiste resta le plus souvent à l'écart des combats, laissant
le terrain libre à la petite bourgeoisie radicale.
A la fin des années 80, le parasitisme et la corruption de la bourgeoisie
se révélèrent à travers la multiplication "d'affaires",
de "scandales financiers" qui créèrent une situation
de crise politique dont tira profit un général réactionnaire,
Boulanger, tentant de flatter le mécontente-ment et la révolte
pour s'imposer au pouvoir.
Quelques dirigeants socialistes sans principes prirent parti pour Boulanger.
Les guesdistes se retranchèrent derrière ce qu'ils considé-raient
comme un mot d'ordre de classe : "ni Boulanger, ni Constans (la droite
réactionnaire), mais la république sociale" qui maintenait
la classe ouvrière dans l'abstention politique, au lieu de lui donner
les moyens d'apparaître comme la force la plus décidée face
à l'aventure boulangiste, de rallier à son combat la petite-bourgeoise
démocratique. L'abstentionnisme laissait la place aux adversaires de
la classe ouvrière et ainsi aggravait les divisions au sein du mouvement
ouvrier.
Dix ans plus tard, les guesdistes auront la même politique d'abstention
dans l'affaire Dreyfus, capitaine juif de l'armée française, accusé
d'espionnage pour le compte de l'Allemagne, avec de fausses preuves fabriquées
par l'Etat-major. Guesde ne s'engagera pas dans le combat pour la réhabilita-tion
de Dreyfus. Seul Jaurès refusa l'abstention. Il fit de ce combat un combat
personnel dans lequel il engagea toutes ses forces sans imaginer qu'il puisse
être une politique pour la classe ouvrière.
Et à défaut de trouver dans l'activité politique la possibilité
d'agir en accord plein et entier avec ses propres intérêts, repoussé
par les divisions, les émiettements et les batailles de chapelles, bien
des militants ouvriers limitèrent leur activité à l'activité
syndicale.
Les premières chambres syndicales de métiers se créèrent à partir de 1867 dans les grandes villes, Paris, Marseille, Bordeaux. Le mouvement des syndicats de métier connut un important essor avec la reprise des luttes ouvrières dans les années 80, et structura les grands secteurs de l'économie : les transports, la presse et l'imprimerie, l'industrie métallurgique et chimique...
Parallèlement aux chambres syndicales, se développèrent
les bourses du travail. Elles se donnaient comme objectif l'unité du
mouvement ouvrier, ressenti par la classe ouvrière comme un besoin profond.
Les bourses avaient comme but de regrouper et d'unir les organisations ouvrières
dans l'esprit de solidarité et d'entraide.
C'est Fernand Pelloutier qui en fut le véritable inspirateur. Après
avoir rompu avec son milieu monarchiste et catholique, Pelloutier avait rejoint
le mouvement socialiste et était entré au POS de Jules Guesde.
Se détournant de la politique, il rompit avec lui.
Il consacra alors toute sa vie au développement des bourses du travail
qui étaient pour lui des écoles d'organisation, de propagande,
de gestion, d'éducation socialiste. Les bourses mettaient à la
disposition des organisa-tions ouvrières et des syndicats des locaux,
les maisons du peuple, qui étaient des lieux de réunion, d'organisa-tion
des luttes. Dans les maisons du peuple, les ouvriers trouvaient des bibliothèques
; les bourses créèrent des mutuelles de secours, tout un réseau
d'aide aux travailleurs contre le chômage, la maladie...
Parallèlement le mouvement syndical élargissait son influence
occupant la place laissée par le parti socialiste. Il apparaissait, alors
que les grèves se multipliaient, comme la seule direction capable d'unifier
les luttes en leur donnant un objectif commun. Cet objectif commun, ce fut la
bataille pour la journée de 8 heures qui devint une revendication du
mouvement ouvrier international, et au centre de la journée du 1er mai.
En 1895, la fédération des syndicats de métier et les bourses
du travail fusionnèrent pour former un syndicat unique, la CGT, qui combinait
l'organisa-tion "verticale" par branches professionnelles et l'organisation
"horizonta-le", le regroupement des métiers par ville, par
région. Elle affirmait son indépendance par rapport aux partis
politiques et son but : le renversement du capitalisme pour réaliser
l'émancipation économique des travailleurs, par l'abolition du
salariat.
La bourgeoisie était inquiète de cette montée du mouvement
ouvrier ; à plusieurs reprises elle avait employé la violence
contre la classe ouvrière, en particulier à l'occasion des manifestations
du 1er mai en 1891. A Fourmies, une petite ville ouvrière du Nord, de
15 000 habitants, vivant de l'industrie textile, la manifestation fut sauvagement
réprimée. Le maire, un patron de filature, et le préfet
envoyèrent un escadron d'artillerie et cinq compagnies d'infanterie.
La troupe tira sur la foule et fit une dizaine de morts.
Clémenceau exprimait à propos de ces événements
l'inquiétude d'une partie du patronat : " Il y a disproportion monstrueuse
entre l'attaque et la répression ; il y a quelque part sur le pavé
de Fourmies une tache de sang innocent qu'il faut laver à tout prix...
Messieurs, est-ce que vous n'êtes pas frappés, en lisant les journaux,
de voir cette multitude de dépêches envoyées de tous les
points de l'Europe et de l'Amérique, mentionnant ce qui s'est fait ou
dit, le 1er mai, dans tous les centres ouvriers ? ... Il a éclaté
aux yeux des moins clairvoyants que partout le monde des travailleurs était
en émoi, que quelque chose de nouveau venait de surgir, qu'une force
nouvelle et redoutable était apparue, dont les hommes politiques auraient
désormais à tenir compte.
Qu'est-ce que c'est ? Il faut avoir le courage de le dire et dans la forme même
adoptée par les promoteurs du mouvement : c'est le quatrième Etat
qui se lève et arrive à la conquête du pouvoir."
Impuissante à endiguer le mouvement ouvrier par la censure et de le
vaincre par la répression, la bourgeoisie tenta de le corrompre, de le
détourner de son but. Elle rechercha en son sein des interlocuteurs et
leur offrit la possibilité de jouer les intermédiaires avec le
prolétariat, sur son terrain.
En 1899, elle trouva une issue aux crises politiques qui se succédaient
en appelant au gouvernement le socialiste Millerrand, aux côtés
du ministre de la guerre, Gallifet, qui avait été un des bourreaux
de la commune.
Pour la première fois se posait au mouvement ouvrier le problème
de la présence d'un socialiste dans un gouvernement bourgeois. La discussion
sur le ministérialisme provoqua une crise dans le mouvement socialiste
et fit échouer ses tentatives d'unification.
Parmi les socialistes indépendants, Jaurès approuva l'entrée
de Millerrand dans le gouvernement bourgeois. Intellectuel humaniste, d'abord
républicain radical, Jaurès avait rejoint le combat socialiste
et devenu député à l'assemblée, représentant
les ouvriers du Tarn, sa région d'origine, il était devenu le
dirigeant le plus populaire du socialisme. Avec un engagement plein et entier,
il s'engageait dans tous les combats sociaux, au nom des plus opprimés.
" Notre devoir est haut et clair, disait-il, toujours propager l'idée,
toujours exciter et organiser les énergies, toujours espérer,
toujours lutter jusqu'à la victoire finale". Trotsky disait de lui
: " Tout Jaurès est dans cette dynamique. Son énergie créatrice
bouillonne dans toutes les directions, excite et organise les énergies,
les pousse à la lutte."
Mais ses principes étaient plus humanitaires que fondés sur la
lutte de classe. Trotsky explique ce qu'était le socialisme pour Jaurès
: "Il ne concevait pas la contradiction entre la politique bourgeoise et
le socialisme, contradiction qui reflète la rupture historique entre
le prolétariat et la bourgeoisie démocratique... Le socialisme
n'était pas pour lui l'expression théorique de la lutte de classe
du prolétariat. Le prolétariat restait à ses yeux une force
historique au service du droit, de la liberté et de l'humani-té."
Jules Guesde condamna le ministéria-lisme comme une politique de compromis-sion avec la bourgeoisie et défendit la lutte de classe comme le seul moyen pour la classe ouvrière de mener le combat pour son émancipation : "Parti d'opposition nous sommes, parti d'opposition nous devons rester, n'envoyant les nôtres dans les parlements et autres assemblées électives qu'à l'état d'ennemis pour combattre la classe ennemie et ses diverses représenta-tions politiques... Parti de révolution et par conséquent, d'opposition à l'Etat bourgeois, s'il est de son devoir d'arracher toutes les réformes susceptibles d'améliorer les conditions de lutte de la classe ouvrière, il ne saurait en aucune circonstan-ce, par la participation au pouvoir central, par le vote du budget, par des alliances avec les partis bourgeois, fournir aucun des moyens pouvant prolonger la domination de la classe ennemie."
La question du ministérialisme fit éclater le mouvement socialiste
en deux partis : le parti socialiste de France, de Jules Guesde, sur les bases
de la lutte de classe, et le parti socialiste français autour de Jaurès,
qui rassemblait ceux qui comme lui, approuvaient l'entrée de Millerrand
au gouvernement, et tous ceux pour qui la lutte de classe devenait une référence
abstraite, mais qui de fait, avaient renoncé à ses méthodes
dans leur activité quotidienne.
Ces divisions étaient pour une part artificielles. Pour beaucoup d'élus
socialistes des deux tendances qui siégeaient au parlement, dans les
conseils municipaux, la révolution apparaissait comme un objectif lointain.
Leur activité quotidienne se limitait aux réformes, à un
programme minimum, sans lien avec le programme maximum, celui de la révolution.
Aussi, en 1905, les deux partis n'eurent pas beaucoup de difficultés
à fusionner sous les injonctions de la IIème internationale. Ainsi
naquit le parti socialiste unifié, section française de l'Internationale
ouvrière (SFIO).
Cette unité se réalisait trop tard pour qu'elle puisse permettre
au mouvement socialiste de réellement reprendre l'initiative, alors qu'il
s'était compromis avec Millerrand ou qu'il avait laissé échapper
toutes les occasions de pouvoir conquérir une influence réelle
sur la classe ouvrière.
Aussi, lorsque la classe ouvrière, au début des années
1900, connut un nouvel essor, c'est surtout le mouvement syndicaliste qui étendit
et approfondit son influence.
De grandes luttes ouvrières marquèrent cette période.
La police assiégea le bassin houiller du Pas de Calais que les mineurs
occupaient, des affronte-ments sanglants eurent lieu entre les grévistes
de Draveil et de Villeneuve Saint Georges et la troupe ; de grandes grèves
éclatèrent chez les cheminots et les postiers. A Paris, 300 postiers
furent lock-outés et remplacés. Les institu-teurs entrèrent
en lutte pour exiger le droit de se syndiquer ; dans le Languedoc, les vignerons
se soulevèrent contre l'effondre-ment des prix du vin.
Le parti socialiste eut un rôle secondaire dans le développement
et la direction de ces luttes qui seront le plus souvent impulsées, dirigées
par des militants qui se réclamaient des idées de l'anarcho-syndicalisme.
Après la mort de Pelloutier, deux militants avaient pris la direction
de la CGT, Victor Griffuelhes et Emile Pouget.
La longue expérience des luttes du mouvement ouvrier de Pouget et la
ténacité et l'énergie de Griffuelhes étaient complémentaires.
Pierre Monatte disait d'eux : "le cheval de flèche, c'était
Griffuelhes : il avait l'art de l'offensive ; le père Peinard, (d'après
le nom du journal anarchiste dont il fut longtemps le rédacteur en chef)
voyait plus large ; son regard embrassait, par delà les motifs immédiats,
les grandes causes profondes et leur répercussion".
C'est eux qui furent les véritables inspirateurs de l'anarcho-syndicalisme,
qui se définit au congrès de la CGT d'Amiens en 1906.
La charte d'Amiens, véritable acte de naissance de l'anarcho-syndica-lisme,
affirmait son indépendance totale vis-à-vis des partis politiques,
et son refus de l'action politique, tout en affirmant sa volonté de militer
pour l'abolition du salariat.
La CGT se donnait pour but de "grouper en dehors de toute école
politique, tous les travailleurs conscients de la lutte à mener pour
la disparition du salariat et du patronat" et comme moyen d'action la grève
générale. La charte disait : "le syndicat, aujourd'hui groupement
de résistance sera dans l'avenir le groupement de production et de répartition,
base de réorganisation sociale."
Les anarcho-syndicalistes agissaient en fait comme une direction politique
pour l'ensemble de la classe ouvrière, mais sans s'en donner les moyens,
puisqu'elle refusait de se poser la question du pouvoir.
En 1906, la CGT lança une campagne de propagande pour la journée
de 8 heures. Après des mois de propagande, la CGT proposa qu'à
partir du 1er mai 1906, après la 8ème heure, les travailleurs
abandonnent le travail et les ateliers. La journée remporta des succès
inégaux. Certaines luttes démarrées ce jour-là se
prolongèrent plusieurs semaines. Selon Griffuelhes, "les efforts
avaient manqué de cohésion". A ceux qui considéraient
cette journée comme un échec, Griffuelhes répondait que
tout au contraire, elle avait été un grand succès moral.
Griffuelhes raisonnait en fonction d'objectifs bien plus larges que le simple
succès d'un mot d'ordre. Il raisonnait en chef de parti, dont l'action
est subordonnée aux besoins d'organisation et de direction du prolétariat.
"Nous voudrions, disait-il, que les militants aient pu saisir toute la
valeur sociale des faits auxquels nous avons participé. C'est là
le seul moyen d'acquérir le sens de la lutte qui fait encore défaut
et qui se développera grâce à des agitations de cette ampleur
et de cette nature."
Si l'anarcho-syndicalisme occupait le vide laissé par la carence du
parti socialiste, il était cependant bien incapable, il n'avait pas l'instru-ment
politique, théorique, d'agir en réelle direction de la classe
ouvrière. Pour que le mouvement anarcho-syndicaliste puisse réellement
élever la classe ouvrière à la conscience de ses tâches,
il aurait fallu qu'il se transforme réellement en ce qu'aurait dû
être le parti socialiste. Il aurait fallu qu'il s'affirme comme le parti
de la classe ouvrière, un parti intimement lié avec elle, comme
l'étaient les militants anarcho-syndicalistes, mais aussi capable de
concevoir une politique qui ne soit pas seulement déterminée par
la défense de ses intérêts économiques, mais par
la nécessité de transformer sa conscience, pour la préparer
aux périodes de crises afin d'être capable d'y intervenir pour
offrir une issue à toute la société.
Lorsque cette crise éclata, avec la guerre de 1914, l'anarcho-syndicalisme
fut tout aussi impuissant, paralysé, sans ressort ni initiative, que
le fut le parti socialiste.
Face à la machine étatique mobilisée pour encadrer, enrégimenter
la classe ouvrière, les vieux appels à la grève générale
semblaient dérisoires.
Le parti socialiste quant à lui, cela est vrai d'ailleurs en France comme
en Allemagne, était sur le plan des principes, armé pour faire
face à la guerre. Le problème avait déjà été
discuté et en 1912, réunis à Bâle, les différents
partis socialistes d'Europe avaient adopté une résolution proclamant
la nécessité de transformer la guerre impérialiste en guerre
civile, de déclarer la guerre à la guerre, en rompant avec toutes
les illusions pacifistes.
Mais fallait-il encore avoir les moyens d'appliquer les résolutions qui
avaient été votées. Enlisé jusqu'au cou dans les
combinaisons électorales, coupé réellement des possibilités
de diriger les luttes de la classe ouvrière, le parti socialiste fut
bien incapable de passer aux actes, laissant à la bourgeoisie toute l'initiative.
Le 31 juillet 1914, Jaurès, la seule voix qui aurait pu avoir la force
de se dresser contre la guerre, était assassiné.
Quelques jours plus tard Jules Guesde entrait comme ministre d'Etat dans le
gouvernement de guerre.
Sans politique, ayant perdu tout lien réel avec les masses, il devenait
l'otage de la bourgeoisie pour couvrir de son crédit la guerre de rapine
et de pillage dans laquelle s'engageait l'impérialisme français.
Le parti socialiste et la CGT se ralliaient à la politique de leur impérialisme,
les uns comme ministres, les autres comme conseillers d'Etat.
Seules quelques voix isolées eurent le courage moral et politique face
à la déroute et à la faillite du mouvement ouvrier de s'opposer
à l'union sacrée.
En décembre 1914, Monatte, un militant anarcho-syndicaliste démissionna
du comité confédéral de la CGT, en geste de protestation.
Merrheim, lui aussi anarcho-syndicaliste, ainsi que Bourderon, participèrent
à la conférence de Zimmerwald qui eut lieu en septembre 1915,
pour s'opposer au déferlement de chauvinisme et affirmer la nécessité
de maintenir la fraternité entre les classes ouvrières, unir leur
effort pour en finir avec la guerre. D'autres militants anarcho-syndicalistes
rejoignirent le mouvement contre la guerre, comme Alfred Rosmer ou Marcel Martinet,
militant, écrivain et poète.
En avril 1916, trois députés socialistes et pacifistes participèrent
à la conférence de Kienthal et contribuèrent en quelque
sorte, malgré eux, à répandre et à faire connaître
les idées formulées par Lénine, incitant le prolétariat
à utiliser la crise politique et sociale suscitée par la guerre
pour s'opposer à son propre impérialisme, pour en finir avec la
domination de sa propre bourgeoisie, seul moyen d'en finir avec la guerre.
C'est seulement au printemps 1917 que le mouvement ouvrier commença à
sortir de l'anéantissement dans lequel l'avaient plongé les reniements
du parti socialiste et de la CGT, ralliés à leur bourgeoisie.
Au printemps 1917, à travers toute l'Europe en feu, les peuples se levèrent
pour manifester par des mutineries sur le front, par des grèves à
l'arrière, leur volonté désespérée de voir
le carnage s'arrêter. En février avait commencé la révolution
en Russie, et en octobre la classe ouvrière russe prenait le pouvoir.
C'est un véritable renouveau du mouvement ouvrier qui s'opérait,
bien que la guerre eut décimé les rangs des militants bien souvent
envoyés en première ligne.
L'état d'esprit des travailleurs fut profondément transformé
par ces années qu'ils ne purent traverser qu'en trouvant en eux des trésors
d'énergie, de courage, de force morale. Chacun en fut transformé
au plus profond de lui-même. Le besoin de solidarité, de tisser
des liens, de s'organi-ser, pour résister à la machine impérialiste,
puisa sa force et son énergie dans ces années de souffrance.
Dès janvier 1918 en France, eurent lieu des manifestations spontanées
contre la guerre, des mouvements de grève éclatèrent.
La signature de l'armistice, la fin de la guerre, le 11 novembre 1918, si elle
libérait la classe ouvrière de l'angoisse des combats, ne fit
que faire ressentir encore plus durement la misère, les sacrifices accumulés
et encourageait les mouvements de révolte.
Pour beaucoup d'ouvriers, il était temps de demander des comptes et durant
les années qui suivent la fin de la guerre, de nombreux travailleurs
rejoignirent le parti socialiste, tout en rejetant les vieux dirigeants faillis
qui avaient participé à l'union sacrée. Cette volonté
de rompre avec les dirigeants et la politique du passé fut renforcée
par l'influence du succès des travailleurs russes, et par la création
en mars 1919, à l'initia-tive du parti bolchévik, de la IIIème
Internationale. Il s'agissait pour les révolution-naires russes d'impulser
partout où cela était possible, la constitution de partis ouvriers
révolutionnaires, de partis communistes, en rupture avec la IIème
Internationale faillie.
C'est à partir des mouvements ouvriers existants dans les différents
pays que se constituèrent ces nouveaux partis, leurs militants étant
gagnés en masse par la révolution russe. Beaucoup d'éléments
petits-bourgeois s'y rallièrent également. Marqués par
les traditions réformistes, certains étaient plus soucieux de
préserver leur influence que de participer à la construction de
partis authentiquement révolutionnaires.
La survivance des influences réformistes se révéla lors
de la grève des cheminots en février-mars 1920, au moment où
culminait la montée ouvrière du lendemain de la guerre. La grève,
démarrée à l'initiative de la CGT des cheminots sur des
questions de salaires et de statut, s'étendit aux mineurs, aux dockers,
aux marins d'abord, puis aux travailleurs de la métallurgie, du bâtiment,
des transports. Les dirigeants réformistes se rallièrent à
la grève, soutenant l'appel à la grève générale,
mais dans la hâte, sans préparation, de sorte que le mouvement
même s'il s'étendit à 1 500 000 grévistes dans le
pays, demeura isolé, sans politique ni perspective. Les réformistes
n'avaient soutenu la grève que pour mieux révéler sa faiblesse,
contribuer à son isolement et ainsi lui tordre le coup.
La répression fut sévère et après plus d'un mois
de grève, près de 20 000 cheminots furent révoqués,
ce qui signifiait la perte du travail, du salaire et aussi du logement et de
tous les avantages qu'ils pouvaient avoir. L'échec de la grève
de 1920 marqua un coup d'arrêt à la montée ouvrière
du lendemain de la guerre. Elle accusait une fois encore la faillite des dirigeants
réformistes, amenant beaucoup de travailleurs à la conviction
qu'il fallait rompre avec les hésitants, les indécis, avec tous
ceux pour qui la lutte n'était que des phrases creuses et qui en fait,
ne la voulaient pas réellement.
C'est dans ce contexte que s'ouvrit en décembre 1920 le congrès
de Tours qui allait donner naissance au parti communiste.
C'est une très forte majorité qui vota l'adhésion à
la IIIème internationale, la rupture avec l'ancien parti socialiste et
l'exclusion des éléments les plus marqués par l'opportunisme.
Le nouveau parti comptait 130 000 adhérants alors que le vieux parti
socialiste n'en conservait plus que 40 000.
Mais si le nouveau parti communiste sut attirer de nombreux travailleurs en
particulier dans la jeunesse, prêts à la lutte, il était
en fait sans direction réelle.
Bon nombre des éléments les plus conscients marqués par
l'influence de l'anarcho-syndicalisme gardaient leurs distances à son
égard.
Bon nombre d'éléments en particulier parmi les responsables, restaient
marqués par les traditions de la social-démocratie, plus soucieux
de luttes pour les places, de rivalités de personnes, que de luttes d'idées,
que de la volonté de formuler une politique pour les luttes de la classe
ouvrière.
Soucieuse de travailler à l'émergence de dirigeants réellement
révolutionnaires, la IIIème internationale, lors de son troisième
congrès en 1921, décida l'obligation pour chaque parti communiste
comme pour chacun de ses membres, de reconnaître ce que l'on appela les
21 conditions qui formulaient les conditions politiques pour amener les partis
communistes à rompre avec les habitudes et les murs héritées
du réformisme.
Durant les deux années qui suivirent, au moment où le reflux du
mouvement ouvrier après la montée de l'après-guerre exigeait
du parti communiste une concentration de tous les efforts, dans un travail opiniâtre
d'implantation dans la classe ouvrière, il devint le lieu d'affrontements,
de polémiques qui n'étaient que l'expression du fait que si bon
nombre de dirigeants avaient formellement accepté les 21 conditions posées
par l'internationale, en réalité, ils n'en faisaient pas réellement
leur politique et trouvaient mille et un prétextes pour traîner
des pieds. A ce propos, Trotsky disait : "ce que nous vous demandons, c'est
de rompre non seulement formellement mais en fait par vos idées par vos
sentiments, par votre attitude totale, de rompre définitivement avec
vos anciennes relations, vos rapports d'autrefois avec la société
capitaliste et ses institutions."
Il s'agissait de faire en sorte que le parti communiste, ses dirigeants conquièrent
une profonde autonomie, une profonde indépendance, une liberté
complète à l'égard de la bourgeoisie pour pouvoir pleinement
développer leur politique.
La crise qui éclata en 1922, allait révéler le temps perdu
et l'impréparation du parti communiste. Le 20 janvier 1922, les ouvriers
métallurgistes des chantiers navals du Havre se mettaient en grève,
refusant une diminution des salaires de 10 %. Très vite la grève
devint générale au Havre. Des affrontements violents eurent lieu
avec la police. 4 travailleurs furent tués. Des manifestants, des membres
du comité de grève furent arrêtés. Un mandat d'arrêt
fut lancé contre Gaston Monmousseau, secrétaire de la CGTU, qui
avait scissionné de la CGT réformiste.
Face à l'intransigeance du patronat et aux violences policières,
la CGTU appela à une grève générale mais sans préparation,
sans travail en profondeur, sans avoir cherché à entraîner
les travailleurs influencés par la CGT, voire les réformistes,
et le mouvement fut un échec. Dans cette grève, les travailleurs
prouvèrent une fois de plus leur détermination, les militants
du parti communiste leur courage, leur abnégation, mais le parti communiste
n'y joua pas son rôle de direction, ne fut pas capable d'influer sur les
événements, d'y avoir une politique.
Au moment où il eut fallu faire preuve d'initiative, de sens tactique,
la carence de la direction conduisit le mouvement dans une impasse. Au lieu
de renforcer la confiance des travailleurs en eux-mêmes, en leur parti,
en leur direction, elle contribua à briser l'élan du mouvement
ouvrier et à la stabilisation de la bourgeoisie.
A partir de cette date, en France comme à l'échelle internationale,
la montée ouvrière, qui avait suivi la fin de la guerre reflua,
la bourgeoisie reprit les choses en main.
Ces années avaient cependant permis un nouvel essor de l'organisation
et de la conscience de la classe ouvrière, qui s'était traduits
en France comme dans bien d'autres pays par la naissance de partis de masses
se réclamant des idées du communisme, de la lutte de classe et
conscients de la nécessité de s'organiser en parti pour conquérir
le pouvoir politique. C'était la première fois dans l'histoire
du mouvement ouvrier que la classe ouvrière atteignit un tel niveau de
conscience et d'organisation. Ayant conquis le pouvoir à l'échelle
d'un immense pays, elle avait acquis une large tribune afin d'appeler et d'aider
les masses opprimées du monde entier à devenir les acteurs de
la transformation de leurs propres conditions d'existence.
Pour les révolutionnaires russes, Lénine, Trotsky et leurs compagnons,
la conquête du pouvoir en Russie par les soviets, les conseils ouvriers,
n'étaient qu'une étape vers de nouveaux développements
révolutionnai-res.
Le pouvoir conquis en Russie était une tribune pour appeler les masses
à s'organiser, à s'emparer des idées de leur propre émancipation.
Partout dans le monde, le mouvement ouvrier connut une maturité, un renforcement
sans précédent. Alors bien sûr, il était difficile
en quelques années dans le feu de l'action de sélectionner, d'éduquer,
de former des directions capables de rompre avec toutes les vieilles habitudes,
les calculs électoralistes du parti socialiste ou les réflexes
anti-politiques des militants issus de l'anarcho-syndicalisme.
Mais à l'issue de ces années de combat, la classe ouvrière
fut profondément transformée. Certes, elle n'avait pas pu donner
naissance à un parti véritable-ment révolutionnaire, concevant
l'ensemble de son activité en fonction de la classe ouvrière,
de ses besoins, de son niveau de conscience et soumettant toute son activité,
à tous les niveaux, à la nécessité d'éduquer
les masses, d'éveiller leur conscience, de les appeler à l'organisation,
pour les préparer à prendre en main la direction de la société
et les amener à la conscience de la nécessité de la lutte
pour la prise du pouvoir.
En France, l'essor du mouvement ouvrier qui s'était traduit par l'afflux
de militants vers le parti communiste, se trouva limité ou entravé
par des défauts propres aux traditions petites-bourgeoises de ce pays.
Trotsky, qui était très lié au mouvement ouvrier français
les décrivait ainsi dans un article intitulé "le drame du
prolétariat français" faisant le compte-rendu d'une pièce
de théâtre, " la nuit ", écrite par Marcel Martinet,
qui racontait l'échec d'une grève ressemblant à celles
de 1920 ou 1922. Trotsky écrivait : " le radicalisme verbal, la
politique des formules intransigeantes qui n'ouvre la voie à aucune action,
et consacre par conséquent la passivité sous le masque de l'extrémisme
était et reste la rouille la plus pernicieuse du mouvement ouvrier français.
Des orateurs qui ne savent pas en commençant leur première phrase
ce qu'ils diront dans la seconde ; d'habiles bureaucrates du formalisme qui
ignore l'évolution des événements ; des chefs qui ne réfléchissent
pas aux conséquences de leurs propres actions ; des individua-listes
qui, sous le drapeau de l'autonomie, de tout ce qu'on voudra : province, ville,
syndicat, organisation, journal, défendent invariablement leur individualisme
petit-bourgeois contre le contrôle, la responsabilité, la discipline
; des syndicalis-tes qui non seulement ne sentent pas le besoin mais même
craignent de dire ce qui est, d'appeler une erreur par son nom, d'exiger d'eux-mêmes
et des autres une réponse précise à une question, et qui
masquent leur impuissance sous l'effort habituel du ritualisme révolutionnaire
; des poètes magnanimes qui veulent déverser sur la classe ouvrière
les réserves de leur magnanimité ou de leur confusion mentale
; des saltimbanques, des improvisateurs qui sont trop paresseux pour penser
et qui s'offensent qu'il y ait des gens qui aient la capacité de penser,
des faiseurs de calembours dénués d'idées, des oracles
de clocher ; des petits curés révolutionnaires d'église
se combattant mutuellement, voilà le terrible poison du mouvement ouvrier
français, voilà la menace, voilà le danger."
Les travailleurs habitués eux, au travail, à l'action collective,
qui rejoignaient le parti, soucieux de s'engager pour défendre les intérêts
de leur classe, n'avaient pas les traditions, l'éducation, ni la culture
marxiste qui leur auraient permis de discipliner le parti communiste et d'en
faire réellement une organisation de combat, leur organisation.
Et ce qui sous la direction et les conseils de l'Internationale communiste,
en période de montée révolutionnaire n'avait pas été
possible, va se faire dans les années qui suivent, non pas à travers
les expériences vivantes de la lutte mais de façon administrative,
par en haut.
Les sens du dévouement et de la discipline seront dévoyés
au profit d'une obéissance et d'une absence d'esprit critique, alors
que l'éducation, la formation de militants exige la plus large possibilité
de discussion, de confrontation, de critique.
La méthode vivante de Lénine et Trotsky céda progressivement
la place au formalisme bureaucratique, au fur et à mesure qu'en URSS
la révolution isolée, épuisera ses forces, cédant
le pouvoir à la bureaucratie dont Staline était le représentant.
A l'échelle de l'internationale, on assista à la domestication
des partis communistes, à une caporalisation de ces partis qui s'opéra
au nom de ce qu'on a appelé la bolchévisation.
Au moment même où le parti communiste aurait pu se transformer
en un authentique parti prolétarien, il tombait sous la férule
de Staline. Les militants les plus aguerris étaient mis au pas ou exclus.
Ainsi Monatte, un des militants formés à l'école de l'anarcho-syndicalisme,
ami de Trotsky, qui avait longtemps gardé ses distances par rapport au
jeune parti communiste, qui l'avait rejoint en 1923, fut exclu pour le soutien
qu'il avait apporté à la lutte que Trotsky menait pour préserver
les traditions révolutionnaires. Au même moment un jeune militant
de 25 ans, Maurice Thorez était promu secrétaire de l'organisation.
La bolchévisation se faisait par la promotion de jeunes zélés,
sans tradition et sans expérience, sans culture, prêts à
tout pour mériter la reconnais-sance des chefs.
Et pourtant, le parti communiste était riche de combativité, de
courage, comme les militants sauront le prouver à chaque fois qu'il sera
fait appel à leurs qualités, comme en 1923, lorsque l'armée
française occupa en Allemagne la Ruhr pour essayer de contraindre l'Allemagne
à payer les réparations de guerre, ou en 1924 lorsque la même
armée française déclencha au Maroc contre Abd-el-Krim une
opération militaire pour imposer sa domination coloniale. Il ne manqua
jamais de militants et en particulier de jeunes pour dénoncer cette politique
de l'impérialisme français, s'y opposer, pour affirmer leur haine
du nationalisme comme du colonialisme, leur volonté de combattre la politique
de leur propre impérialisme quel que soit le prix de la lutte. Mais cette
envie de combattre était sans politique.
Au lieu d'armer ces énergies militantes pour entraîner les fractions
de la classe ouvrière, leur donner confiance, la direction du parti communiste
les utilisait uniquement pour se donner une image d'un radicalisme révolution-naire
en réalité factice.
En 5 ans, le parti communiste vit ses effectifs fondre de plus de la moitié.
Alors qu'au lendemain du congrès de Tours le parti communiste comptait
120 000 membres, en 1929, il n'en comptait plus que 35 000.
Les années qui suivirent virent la défaite de l'opposition de
gauche animée par Trotsky en URSS, la montée et la victoire des
régimes réactionnai-res fascistes en Europe. Elles ouvrirent une
longue période de réaction et de recul. Malgré le sursaut
de 1934 et 1936, la classe ouvrière ne put renverser le cours de l'histoire.
Le monde marchait à la guerre. La IVième internationale fondée
à contre-courant maintint vivant la perspective de transformation révolutionnaire
de la société sans avoir de prise sur les événements.
* * *
Nous sortons de cette longue période de recul, la plus longue de l'histoire
du mouvement ouvrier. A travers elle, de profondes transformations se sont opérées,
à l'échelle de toute la planète, grâce à un
développement considérable des techniques, de la classe ouvrière,
de la culture, qui sont autant d'éléments qui créent les
bases d'une renaissance du mouvement ouvrier, à un niveau bien plus élevé
que par le passé.
Nous en ignorons les rythmes et les étapes. Mais nous sommes convaincus,
au regard des rythmes du passé, de la conjonction des transformations
économiques, sociales et politiques, que nous sommes devant une étape
qui sera décisive pour la suite.
Les idées qui se sont formées au X1Xème siècle et
se sont affirmées à travers la révolution russe et la troisième
Internationale n'ont pas été définitive-ment extirpées
des consciences. Elles ont été dévoyées, elles ont
été déformées, mais de bien des façons, elles
survivent.
Il ne s'agit pas aujourd'hui de tout réinventer, mais de redonner vie
à ces idées, de les actualiser à travers le renouveau des
luttes des classes, en en étant pleinement partie prenante.
Pour cela, il est indispensable de comprendre les causes de ce recul.
Durant les décennies qui nous séparent de l'apogée du mouvement
ouvrier marqué par la révolution russe, la classe ouvrière
a largement démontré non seulement qu'elle demeurait la classe
porteuse de l'avenir de toute l'humanité, mais qu'elle était aussi
une classe vivante, résistant de mille et une façons à
l'exploitation, aux conséquences de la perpétuation de la société
bourgeoise. Elle n'a pas pu et su reprendre l'initiative. Sa conscience, dans
les pays riches mais aussi dans les pays pauvres, a été largement
dominée par les illusions réformistes, sous la forme du stalinisme
et du nationalisme. Les explications de ce phénomène nous ont
été données par les analyses de Lénine d'abord puis
de Trotsky. Les lignes directrices de ces analyses ont été formulées
dans la brochure "la faillite de la IIème Internationale" et
"l'impérialisme, stade suprême du capitalisme" de Lénine,
ainsi que "la révolution trahie" et "l'Internationale
communiste après Lénine" de Trotsky.
Bien sûr, elles sont à resituer dans l'évolution générale
du monde capitaliste, mais elles donnent les clés nécessaires
à la compréhension du mouvement ouvrier aujourd'hui.
Nombre de nouvelles théories se résument en général
à différentes façons de formuler ouvertement ou de façon
camouflée l'idée que la classe ouvrière ne serait pas capable
d'assumer son rôle historique.
La classe ouvrière n'a pas failli ni trahi son rôle, elle a été
désarmée à travers un dur combat puis vaincue par le stalinisme
et le fascisme, et enfin écrasée par la guerre. Traumatisée
et affaiblie pour plusieurs décennies, elle a reconstitué des
forces à travers le développement impérialiste de l'après-guerre
au point de représenter aujourd'hui une puissance qu'elle n'a jamais
eue par le passé. Elle a devant elle de vastes perspectives révolutionnaires
qui pourraient bien ne pas être si lointaines que cela quand on voit l'impasse
dans laquelle la bourgeoisie s'enferme, plongeant la société à
l'échelle mondiale dans une catastrophe économique et sociale
qui donne à l'idée "socialisme ou barbarie" toute son
actualité.
La conscience que seule la classe ouvrière est capable d'empêcher
cette évolution trouvera son chemin vers les cerveaux au fur et à
mesure que se révélera la faillite de la bourgeoisie, et que s'effondreront
les illusions nées du développement économique de 1945
à 1975 et qui s'est perpétré même de façon
ralentie, chaotique, au prix d'énormes sacrifices et gaspillages depuis
le début de la crise.
Nous sommes aujourd'hui engagés dans une remontée du mouvement
ouvrier, une renaissance du mouvement révolutionnaire. Une nouvelle étape
a commencé, qui remet en cause tout le passé et crée le
terrain d'un redéploiement des idées du socialisme et du communisme,
c'est-à-dire les conceptions marxistes, pour répondre aux besoins
pratiques du mouvement social.
Cela se fera à travers les confrontations politiques et pratiques les
plus variées et suppose une pleine et entière démocratie.
Le discrédit des appareils sociaux-démocrates et staliniens, leur
effondrement, libèrent l'espace nécessaire à son développement.
Mais faut-il encore que les travailleurs eux-mêmes aient à cur
de la faire vivre en se dégageant des illusions réformistes et
des routines qui laissaient aux appareils le soin de décider et d'agir.
Faut-il aussi que les révolutionnaires eux-mêmes prennent conscience
des possibilités nouvelles qui s'ouvrent à eux et au mouvement
ouvrier.
La lutte pour la transformation révolutionnaire de la société
est d'abord et avant tout une lutte pour la démocratie, l'intervention
consciente de la population laborieuse pour soumettre à son contrôle
la propriété capitaliste pour ensuite la liquider.
La construction d'une nouvelle force politique passe aujourd'hui par la construction
d'un cadre qui permette, dans la démocratie la plus large, dans une pleine
transparence, de vérifier, de confronter, les idées, les raisonnements
et les hommes. Cette confrontation a lieu, de fait, elle n'en sera que plus
féconde si elle a lieu consciemment, dans un cadre démocratique
permettant la plus grande efficacité au lieu d'alimenter les sectarismes
destructeurs.
Militer pour construire ce cadre, c'est se dégager du passé pour
anticiper consciemment l'avenir en étant des acteurs conscients du processus
qui donnera naissance à un véritable parti ouvrier, démocratique
et révolutionnaire.
Les transformations qui se sont opérées dans les techniques et
dans la vie sociale se traduisent par des évolutions dans les consciences
comme dans les rapports sociaux, qui créent les conditions d'une renaissance
du mouvement ouvrier. Cette renaissance s'opère, d'ores et déjà,
sur une base beaucoup plus large, vivante, démocratique, et d'un niveau
de culture qui fait du socialisme, l'organisation collective consciente de toute
la vie sociale en fonction des besoins des hommes, débarrassée
de toute la barbarie de l'appropriation privée, une possibilité
immédiate inscrite dans tout le développement économique
et social.