Lutte pour l'émancipation sociale,
mouvement ouvrier et religion

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Mis en ligne le 29 avril 2005

La question des rapports entre les luttes pour l'émancipation sociale et la religion prend une acuité toute nouvelle en conséquence du recul des luttes des classes et des peuples opprimés face à l'offensive réactionnaire des classes dominantes. C'est au nom de la guerre " du bien contre le mal " que Georges Bush a engagé la première puissance mondiale dans une guerre sans limite pour maintenir sa domination dans le même temps qu'il cherche à s'allier avec les forces religieuses et réactionnaires dans le monde pour maintenir l'ordre. Le libéralisme impérialiste organisant la danse de sabbat des marchandises à l'échelle mondiale, sans frein ni retenue, essaye de se donner une légitimité en réveillant la réaction religieuse à laquelle il fournit dans le même temps sa matière première : le désespoir, la misère, l'ignorance, le recul des repères démocratiques, progressistes.

A l'échelle de la planète, les religions cherchent à capter en leur faveur et en celui de l'ordre dominant le désarroi des peuples entraînés, bousculés, blessés, étourdis par l'offensive libérale.

La célébration de la mort de Jean Paul II a illustré cette mondialisation de la religion, compagne de la mondialisation libérale et impérialiste comme la vertu est la compagne du vice. L'élection de Benoît XVI pour lui succéder s'inscrit dans cette offensive religieuse réactionnaire.

Jean-Paul II fut le pape de l'effondrement de l'URSS et de la fin de la guerre froide, Benoît XVI se pose en pape de l'offensive libérale et impérialiste.
Cette mondialisation ne va pas sans attiser la concurrence entre les différentes religions labellisées monothéistes voire avec l'émergence de sectes concurrentes, évangélistes ou autres, stimulées par la demande en particulier aux Etats-Unis. Le new age associe le messianisme de l'économie de marché au messianisme religieux.

C'est dans ce contexte que s'explique le développement de l'islamisme politique dont le porte-parole le plus médiatique est Tariq Ramadan. Il exprime un double besoin : celui de la bourgeoisie et de son Etat d'associer les nouveaux imans à l'embrigadement des masses et celui de ces derniers de trouver leur place dans le cadre de la république.

Ces interdépendances entre différents intérêts sociaux et politiques apparemment contradictoires créent beaucoup de confusion. Le mouvement démocratique et révolutionnaire a à saisir l'importance du débat pour apporter ses propres réponses. L'enjeu est d'importance : comment œuvrer à l'unité des travailleurs par delà les différences d'origine, la diversité culturelle, l'influence des préjugés distillés par les classes dominantes, les ravages du colonialisme et de l'impérialisme ? Comment œuvrer à une prise de conscience commune en surmontant les préjugés nationaux et religieux, de quelque nature et origine qu'ils soient ? Comment saper les bases de l'influence religieuse, des communautarismes ?

Cet article voudrait apporter des éléments de réponses à ces questions.


Une compréhension matérialiste et politique de la question religieuse

Se dégager de la confusion ambiante suppose établir des repères solides, c'est-à-dire raisonner sur les faits sociaux et politiques du point de vue du matérialisme militant.

Lénine résumant plus d'un demi-siècle (1) de combat des militants du socialisme scientifique écrivait en 1909 : " Le marxisme considère toujours la religion et les Eglises, les organisations religieuses de toute sorte existant actuellement comme des organes de réactions bourgeoises, servant à défendre l'exploitation et à intoxiquer la classe ouvrière. " Pour aussitôt se démarquer de tous ceux qui déclaraient la guerre à la religion, hors et à tout propos, au nom de l'athéisme comme de ceux qui ralliaient le camp de l'anticléricalisme bourgeois, prenant en particulier pour exemple le kulturkampf de Bismarck contre le parti catholique allemand. Il reprenait à son compte les recommandations d'alors d'Engels pour que " le parti ouvrier travaillât patiemment à l'œuvre d'organisation et d'éducation du prolétariat, qui aboutit au dépérissement de la religion, au lieu de se jeter dans les aventures d'une guerre politique contre la religion. " (2)

Lénine poursuit : " " Proclamer la religion une affaire privée ", ce point célèbre du programme d'Erfurt (1891) a consacré cette tactique politique de la social-démocratie ".
Cette tactique n'implique ni l'indifférence ni la neutralité que combat Lénine rappelant que " la ligne politique du marxisme dans cette question également est indissolublement liée à ses principes philosophiques. Le marxisme est un matérialisme. A ce titre il est aussi implacablement hostile à la religion que le matérialisme des encyclopédistes du XVIII è siècle. "

S'élevant elle-même contre la compréhension " routinière ", " dans le sens opportuniste " de la tactique des marxistes, Rosa Luxembourg (3) écrivait : " Le principe socialiste "la religion est affaire privée" ne nous oblige à la neutralité et à l'abstention absolues dans les questions religieuses que dans la mesure où elles relèvent de la conviction intime de la conscience. " Ce principe ne s'applique pas qu'à l'attitude des socialistes, " c'est encore une revendication adressée à l'Etat actuel… Il ne s'agit plus ici de conviction mais de question politique, et sur ce point, les partis socialistes des différents pays peuvent, suivant les circonstances, adopter une tactique très dissemblable. " Cette revendication, c'est celle de la laïcité, l'indépendance complète de l'Etat à l'égard des Eglises et organisations religieuses.

Et, pour compléter, cela ne signifie en aucun cas indifférence ou neutralité pour le parti ouvrier lui-même. Lénine écrit reprenant Engels dans l'article déjà cité : " la social-démocratie considère la religion comme une affaire privée en face de l'Etat, mais non envers elle-même, non envers le marxisme, non envers le parti ouvrier ".

Le parti lui-même se revendique du matérialisme dialectique militant, non comme un principe abstrait mais comme la science du mouvement d'émancipation de l'humanité. L'éducation du prolétariat dans ce sens est une préoccupation constante qui s'appuie sur les acquis et les progrès de la science. Nous menons le combat contre la religion non pas au nom d'un principe abstrait, idéaliste (au sens philosophique) auquel est souvent réduit l'athéisme, mais en partant des progrès des connaissances, de l'éducation et surtout des besoins mêmes de la lutte de classe concrète et de ses objectifs pratiques.

La question n'est pas tant la négation de Dieu, la négation de ce que qui n'existe pas, que l'affirmation pratique dans le travail et la lutte, dans la vie sociale et politique de l'homme, la revendication du droit plein et entier à la vie.


Politique de la bourgeoisie, laïcité et islamisme politique

Les bouleversements qui ont suivi l'effondrement de l'URSS et qui ont accompagné la mondialisation libérale ont laissé dans nombre de pays pauvres le terrain libre aux forces réactionnaires dont l'islam. Dans les pays européens, en particulier en France, le recul du mouvement ouvrier a aussi laissé les banlieues et les quartiers populaires disponibles face à l'offensive de l'islam politique. Ce dernier espère trouver une base sociale populaire auprès de cette fraction des classes populaires issues de l'immigration en dévoyant les sentiments de révolte que nourrit l'exploitation, le rejet, le racisme, auxquels sont confrontés les travailleurs et la jeunesse immigrés. Il y a là un terrain propice aux démagogues qui, en flattant les communautarismes, divisent et affaiblissent le camp des opprimés.

A défaut de pouvoir prétendre au pouvoir contrairement aux pays où l'islam est majoritaire, ces forces réactionnaires ont pour projet de négocier leur capacité à encadrer et contrôler les banlieues auprès de l'Etat, lui-même soucieux de trouver des appuis pour maintenir l'ordre.

Tariq Ramadan s'est fait l'avocat soi-disant éclairé de cette politique que met en œuvre le ministère de l'Intérieur qu'il soit dirigé par Sarkozy ou Villepin.

Sarkozy a prétendu en jeter les fondements politiques dans son livre " La République, les religions, l'espérance " plaidant pour une compréhension dite modernisée de la laïcité au prix de l'encouragement des communautarismes. " Aujourd'hui, écrit-il, l'Islam, au même titre que les religions juive et chrétienne qui sont présentes depuis plus longtemps dans la société française, a un nouveau rôle à jouer. Partout en France, et dans les banlieues plus encore qui concentrent toutes les désespérances, il est bien préférable que les jeunes puissent espérer spirituellement plutôt que d'avoir dans la tête, comme seule "religion", celle de la violence, de la drogue ou de l'argent. ".

Les révolutionnaires ne peuvent que dénoncer cette politique qui vise à dompter la révolte tout en prenant soin de ne pas mélanger leur voix avec tous les réactionnaires qui flattent le racisme, poison hérité du colonialisme et de l'impérialisme, fruit de l'exploitation et de la mise en concurrence des opprimés. Ils dénoncent aussi le communautarisme qui dévoie la révolte des plus opprimés contre leurs frères de classe et qui, dans le contexte international dominé pour une part par le conflit du Moyen-orient, peut facilement flirter avec l'antisémitisme.

Les révolutionnaires s'opposent aux manœuvres de division pour unir.


A partir des rapports de forces réels, formuler une politique de classe

Ces bouleversements opérés par la mondialisation créent bien des confusions. L'une d'entre elle consiste à analyser la situation actuelle en reproduisant mécaniquement les rapports coloniaux. Ainsi, dans un article intitulé Marxisme et religion, hier et aujourd'hui, Gilbert Achcar écrit : " Le marxisme classique n'envisageait la religion que sous l'angle du rapport des sociétés européennes à leurs propres religions traditionnelles. Il ne prenait pas en considération la persécution des minorités religieuses, ni surtout la persécution des religions des peuples opprimés par des Etats oppresseurs appartenant à une autre religion. A notre époque marquée par la survivance de l'héritage colonial et par la transposition à l'intérieur même des métropoles impérialistes -sous la forme d'un "colonialisme de l'intérieur", dont l'originalité est que ce sont les colonisés eux-mêmes qui sont expatriés, c'est-à-dire "immigrés"- cet aspect acquiert une importance majeure. " (4)

Deux choses posent problème dans le raisonnement de notre camarade Achcar. La première est de considérer l'islam comme une religion opprimée, ce qui est pour le moins très relatif, sauf de reproduire mécaniquement et hors de l'histoire réelle les rapports de domination coloniaux. La deuxième est que derrière cette notion à l'apparence fort radicale de " colonialisme de l'intérieur ", il y a un tour de passe-passe qui consiste à escamoter les divisions de classes. Certes, il est vrai que le monde d'aujourd'hui reste façonné par les rapports de domination issus du colonialisme, mais il serait pour le moins aveugle d'oublier que le XXème a été le siècle du développement des rapports impérialistes qui ont créé les conditions des mouvements de libération nationale. Aujourd'hui, au lendemain de la " révolution coloniale ", de nouveaux rapports de domination se dessinent dans le cadre de la mondialisation libérale et impérialiste.

C'est bien de cela dont il s'agit de discuter dans la perspective d'aider au progrès des luttes d'émancipation.

Le trait dominant du développement du capitalisme à sa phase de libéralisme impérialiste est d'instaurer à travers le marché mondial de nouveaux rapports entre les peuples qui créent les bases matérielles de l'émergence d'une conscience de classe, internationaliste, contre les divisions nationales ou religieuses engendrées par la domination coloniale et impérialiste.

Il y a là un combat social et politique qui suppose d'analyser les possibilités de développement de la situation créée par la mondialisation du point de vue du mouvement ouvrier plutôt que d'être dominé par les rapports de force du moment, conséquence de son recul.

Le devoir des marxistes en France, poursuit notre camarade Achcar, est de combattre sans défaillance l'oppression raciste et religieuse menée par la bourgeoisie impériale française et son Etat, avant de combattre les préjugés religieux au sein des populations immigrées. " On ne voit pas bien concrètement ce qu'implique cette hiérarchie si ce n'est d'ouvrir la porte à une complaisance à l'égard des préjugés religieux dits opprimés. Certes, nous prenons soin de ne pas mélanger nos voix avec celles des réactionnaires en nous situant du point de vue de l'ensemble des opprimés, ce qui signifie une totale indépendance vis-à-vis de l'impérialisme et principalement du nôtre. Mais nous combattons l'aveuglement raciste d'où qu'il vienne et les préjugés religieux d'où qu'ils viennent aussi. Nous dénonçons tout autant l'Eglise catholique, instrument de domination sur les peuples que l'Islam, sa concurrente et néanmoins alliée.

En tant que marxistes, nous défendons la liberté de pratiquer la religion de son choix mais cela ne nous exonère nullement de la lutte contre l'alliance de l'Etat avec l'Eglise catholique mais aussi de la politique qu'il met en œuvre vis-à-vis de l'Islam, aujourd'hui deuxième religion de ce pays.


La défense de la laïcité, la défense d'un acquis démocratique

Nous nous sommes opposés à la loi contre le port des signes religieux à l'école parce que cette loi, instrument de l'Etat de l'impérialisme français, ne pouvait que contribuer à donner des justifications aux intégristes. Mais nous militons contre le port du voile et nous sommes pleinement solidaires de celles et de ceux qui, issus de l'immigration originaire de pays où domine l'Islam, se battent contre le voile, instrument, et pas seulement symbole, de l'oppression des femmes.

Nous ne sommes pas au-dessus de la mêlée, nous agissons dans le camp de celles qui revendiquent de disposer librement de leur corps.

Il y a une hypocrisie à invoquer la liberté des femmes de se vêtir comme elles veulent pour justifier le port du symbole de leur propre asservissement.

Nous sommes pleinement solidaires de ceux qui, élèves ou enseignants, se battent pour interdire le port du voile dans les écoles et les lycées, par la discussion, par la pression, quitte à prendre le risque de l'exclusion. La question n'est pas de faire le bonheur de quiconque malgré lui, par la force, mais de mener un combat politique pour défendre des acquis démocratiques.

Quand nous militons pour la laïcité, nous défendons un acquis et nous nous battons avec celles et ceux qui veulent se l'approprier pleinement, le faire vivre, le défendre. C'est avec eux que nous entendons mettre en œuvre une politique de front unique. Il s'agit d'un combat politique, démocratique, contre ceux qui militent pour banaliser la régression, l'imposer par l'état de fait.

Il n'est certes pas indifférent de comprendre les motivations de celles et de ceux qui participent de cette démarche pour les aider à s'émanciper des craintes, des difficultés à affronter les rapports de domination, le mépris, le regard de ceux qui considèrent les femmes comme des objets sexuels. Il s'agit de comprendre pour combattre et non pour justifier. Les révolutionnaires participent du combat de celles qui veulent donner à leurs sœurs la force et la liberté d'affronter ceux qui rêvent de manipuler leurs craintes pour mieux les soumettre en fonction de leurs propres intérêts sociaux et politiques.


La religion comme délimitation politique signifie réaction et intégrisme

Bien des intellectuels de gauche voire d'extrême-gauche s'offusquent de l'intégrisme mais sont pleins de compréhension à l'égard de la religion comme si ses excès n'en exprimaient pas le fond même. Le combat pour l'émancipation ne se cantonne pas à la lutte contre l'intégrisme religieux mais bien contre les préjugés religieux eux-mêmes qui en sont le terreau. Nous combattons toute idée qui préjuge de l'existence d'une force extérieure à l'homme et à la nature aux préceptes de laquelle les hommes devraient se conformer. L'idée d'un dieu unique est en elle-même totalitaire même si elle a été contrainte par les progrès du combat pour la connaissance et la démocratie de composer avec la réalité de l'humanité "  pécheresse "...

Nous combattons à fortiori ceux qui prétendent faire de la religion un programme politique. Il est évident que l'islamisme politique est par nature réactionnaire, intégriste ; ce serait le cas même si Tariq Ramadan était contre la lapidation des femmes adultères au lieu, cyniquement, de se contenter de réclamer un moratoire comme il l'écrivait récemment dans une tribune publiée dans le Monde, tribune intitulée " Pour un moratoire sur l'application de la charia dans le monde musulman ".

Faire de la religion une définition et une délimitation politiques s'appelle le confessionnalisme, nous le combattons. Cet obscurantisme conduit à l'intégrisme, c'est-à-dire l'application par la contrainte, morale, politique, physique, de règles formelles qui n'ont d'autres fondements que l'obscurantisme religieux et le pouvoir terrestre de ses serviteurs.

Prôner le front unique avec l'islamisme politique relève de l'aveuglement comme de se laisser séduire par le langage anti-impérialiste ou altermondialiste d'un Tariq Ramadan…

Le caractère contradictoire de l'islamisme, écrit Chris Harmann, se manifeste dans la manière dont il envisage le "retour au Coran". Il peut l'envisager comme une réforme des "valeurs" de la société présente, c'est-à-dire simplement un retour à des pratiques religieuses, tout en laissant intactes les structures principales de la société. Ou bien il peut être envisagé comme un renversement révolutionnaire de la société. ".(5) Ce genre d'illusion a conduit le SWP dont Chris Harmann est un dirigeant, à une alliance électorale avec la Muslim Association of Britain (MAB).

Répondant dans la revue Contretemps à Chris Harmann, Gilbert Achcar critique sa position. Si on souscrit à cette critique, on ne peut cependant que regretter qu'il s'arrête au milieu du gué pour militer lui aussi pour un front unique avec l'islamisme politique.

Il rejette toute alliance politique, électorale, avec des forces islamistes critiquant en particulier la politique en Grande-Bretagne du SWP vis-à-vis du MAB, pour cependant reprendre à son compte l'idée qu'" il peut être nécessaire, ou inévitable, de converger avec des intégristes musulmans dans des batailles communes ". Il écrit : " En effet, comme la religion en général, l'intégrisme islamique peut-être "d'une part, l'expression de la misère réelle, et, d'autre part, la protestation contre la misère réelle", à la différence près qu'il s'agit dans son cas d'une protestation active : il n'est pas " l'opium " du peuple, mais plutôt " l'héroïne " d'une partie du peuple, dérivée de l'opium et qui substitue son effet extatique à l'effet narcotique de celui-ci. Dans tous ces types de situations, il est nécessaire d'adapter une attitude tactique aux circonstances de la lutte contre l'oppresseur, ennemi commun. "

Certes, la façon dont Gilbert Achcar parle du rôle de " protestation active " que peut prendre la religion, est infiniment plus mesurée que celle de Chris Harmann mais il participe du même raisonnement.

Alliance contre-nature " écrit Achcar à propos du front unique qu'il prône, oui, et sa lucidité éclaire de façon encore plus vive son erreur. Nous ne sommes pas hostiles par principe à toute alliance avec des courants religieux, mais sur la base d'un programme démocratique, c'est-à-dire la nécessaire défense de la séparation de l'Eglise et de l'Etat, la religion affaire privée, la défense des droits des femmes, l'exigence de la fin immédiate de tout châtiment corporel…

La fraction révolutionnaire du mouvement ouvrier peut s'allier y compris avec le diable et sa grand-mère disait Trostky, certes, mais sur la base de revendications démocratiques.


Indignation morale ou lutte de classe

Il est au premier abord étonnant de voir une fraction de l'extrême-gauche s'adapter aux conséquences du recul du mouvement ouvrier, aux circonstances, en perdant, de fait, toute possibilité d'influencer le cours des choses. L'engouement même que suscite une personnalité comme celle de Tariq Ramadan surprend.

Il semble qu'on ne puisse le comprendre qu'en mesurant à quel point au sein même du mouvement gauchiste, pour nombre de ses militants, les ressorts intellectuels et moraux relevaient parfois plus de l'indignation morale, de la culpabilité de leurs propres origines, citoyens d'une puissance impérialiste que d'un combat politique lucide et émancipateur. L'anti-impérialisme, l'anti-colonialisme, relevaient plus de la culpabilité d'être citoyen d'une puissance dominante, coupable et responsable des guerres coloniales que d'une compréhension claire du rôle historique de la classe des travailleurs des puissances impérialistes comme des pays opprimés et de ses perspectives émancipatrices pour en finir avec toutes les formes d'oppression.

Cette grille de lecture désarme aujourd'hui bien des militants confrontés à une réalité nouvelle. " La gauche radicale, écrit Gilbert Achcar, de part et d'autre de la Manche, doit revenir à une attitude conforme au marxisme dont elle se revendique. Faute de quoi, l'emprise des intégristes sur les populations musulmanes risque d'atteindre un niveau dont il sera difficile de la faire reculer. Le fossé entre ces populations et le reste des travailleuses et des travailleurs en Europe s'en trouverait élargi, alors que la tâche de le combler est l'une des conditions indispensables pour substituer le combat commun contre le capitalisme au choc des barbaries. " Tout à fait d'accord, comment, là est toute la discussion.


La lutte émancipe des préjugés…

Faut-il le répéter, personne ne songe à extirper des cerveaux les doutes, les angoisses, les craintes, les incompréhensions ou l'ignorance qui sont le terreau sur lequel fleurit la religion et tout militant est ouvert à la discussion. Il ne s'agit pas de combattre la religion par la contrainte, ce dont, au demeurant, nous n'avons pas les moyens.

Ceci dit, encore une fois, le respect de la conscience individuelle, la tolérance, ne signifient en aucun cas la neutralité ou la complaisance, la discussion, l'acceptation.

Il nous faut comprendre qu'aujourd'hui, la mondialisation libérale et impérialiste, en associant à son offensive toutes les forces réactionnaires, qu'elles soient chrétiennes ou islamiques, rend indissociable la lutte idéologique contre la religion de la lutte sociale et politique contre les classes capitalistes et les forces réactionnaires qu'elles associent à leurs pouvoirs.

L'élection du nouveau pape indique quelle est la bannière réactionnaire derrière laquelle l'Eglise entend élargir son influence dans le cadre de la mondialisation impérialiste. Sa rivale et complice islamique agit sur le même terrain.

Un parti du monde du travail se doit de faire connaître la longue histoire des idées du matérialisme, de la science, qui se sont forgées dans le combat contre la religion dont le développement a suivi celui de l'Etat. Il s'agit de s'approprier l'histoire du progrès de l'humanité sur le chemin de la connaissance et de son émancipation.

Ce combat du matérialisme, en particulier le matérialisme du XVIII ème qui a semé les germes philosophiques et politiques de la révolution de 1789, est indissociable du combat pour la démocratie, de ses progrès. Le matérialisme dialectique, tel que Marx et Engels en ont élaboré les fondements, en est le continuateur direct.

Au moment où les progrès de la science donnent toute leur pertinence aux idées d'évolution matérialiste, la bourgeoisie soumettant ces progrès à son avidité de pouvoir et de domination réveille, mondialise les préjugés réactionnaires des religions pour soumettre les peuples.

La lutte démocratique et révolutionnaire contre la bourgeoisie libérale et impérialiste est plus que jamais associée au combat contre ces préjugés de quelque dieu qu'ils se revendiquent, de quelque continent qu'ils soient issus.

Il est évident que c'est à travers la participation à la lutte collective que les individus se transforment, se découvrent, se révèlent à eux-mêmes et se libèrent de l'oppression, en affrontant le monde plutôt qu'en le fuyant. Cette lutte collective connaît de multiples moments à travers lesquels les révolutionnaires cherchent à élever le niveau de conscience, le niveau d'activité de l'ensemble du mouvement dont le leur, c'est-à-dire à approfondir leur compréhension du monde et de la lutte sociale pour y intervenir avec plus de liberté.


Lutte sociale, lutte politique, lutte d'idées, un même combat

De ce point de vue, le parti ne se pense pas comme un micro appareil politique mais bien comme la constitution du prolétariat en parti pour reprendre la formule du Manifeste communiste. Cela ne veut pas dire que la classe ouvrière s'érige dans un mouvement cohérent et linéaire en parti mais que le parti est l'expression organisée des transformations de conscience dont il est lui-même acteur et qui ne s'opère pas que par un simple travail moléculaire.

L'activité du parti ainsi comprise se nourrit tant des luttes sociales que politiques et est inséparable à tous les niveaux de la lutte d'idées, du combat pour l'appropriation par les classes opprimées du capital culturel des classes dominantes qu'elles transforment en se l'appropriant pour leur propre besoin.

Aucun moment n'est en lui-même à privilégier.

Comprendre la politique de nos adversaires, ce qui la conditionne, les rapports entre les classes, les modalités de la lutte pour l'appropriation des richesses, comprendre pourquoi et comment il est possible de changer les choses, c'est comprendre l'histoire des sociétés humaines, s'approprier la philosophie matérialiste de l'histoire.

La défense du matérialisme militant ne se réduit pas, loin s'en faut, à la lutte contre la religion mais, de façon plus générale, elle se confronte en permanence à l'idéalisme bourgeois, à ses valeurs abstraites et à sa morale. C'est en cela que nous ne confondons pas nos voix avec celle de l'anticléricalisme bourgeois. Nous faisons nôtres ces propos de Lafargue, " C'est avec ses divinités, Propriété, Liberté, Justice, Ordre, Patrie, etc, que tous les bourgeois, libres penseurs et catholiques, mangeurs de curés et mangeurs de juifs, républicains et monarchistes, radicaux et socialistes ministériels, chloroformisent le cerveau des ouvriers et les détournent de leurs devoirs de classe. "(6). Ces propos gardent toute leur pertinence.


La mondialisation et la fin de l'histoire… des religions

L'un des multiples paradoxes de la situation actuelle, c'est qu'au moment même où le retour du religieux semble un des faits dominants de la situation politique internationale se créent les conditions même de sa fin.

La fin des religions ne viendra pas des simples évolutions de conscience à travers les luttes, elle viendra de phénomènes sociaux qui bouleverseront les conditions d'existence de l'humanité et saperont les bases sociales qui ont permis leur naissance et en font des instruments de pouvoir.

Les religions sont des phénomènes purement humains, produits de l'histoire. Les trois principales religions monothéistes, la religion chrétienne, l'islam, le bouddhisme, sont apparues avec le développement de la société de classe et de l'Etat, à des époques et dans des régions différentes en fonction du développement des sociétés et du pouvoir d'Etat.

La mondialisation et le brassage des peuples, conséquence du développement capitaliste, mais aussi et surtout des progrès techniques, les mettent en concurrence à l'échelle mondiale pour mieux travailler à leur ruine. L'offre est supérieure à la demande, au moins trois dieux pour une idéologie fondée sur le monothéisme, c'est trop !

Cette confrontation terrible des dieux pour le pouvoir d'un seul ne connaîtra que des vaincus alors qu'émergera une nouvelle conscience humaine, planétaire… sur les bases de la propriété collective des moyens de production, leur gestion à l'échelle de toute la planète et de la compréhension matérialiste de l'évolution du monde et de l'univers qu'elle implique.

Longtemps, une telle transformation des sociétés humaines est apparue comme un bond hors même des conditions d'existence. Aujourd'hui, l'idée d'une société communiste, d'une " gouvernance mondiale ", du dépassement des frontières et des Etats nationaux est adéquate au développement des techniques et des rapports sociaux. Il y a adéquation entre le développement de la société, les possibilités matérielles de transformation sociale et le projet de développement d'une société communiste.
Il n'y a là nul miracle mais des faits matériels et sociaux qui préparent une révolution internationale.

L'utopie communiste se remplit d'un contenu matériel bien tangible au moment où les religions se retrouvent face à un ciel vide de tout espoir.

Yvan Lemaitre


1- " De l'attitude du parti ouvrier à l'égard de la religion ", Lénine, t. XV (mars 1908-août 1909) retour au texte
2- ibid retour retour au texte
3- "Enquète sur l'anticléricalisme et le socialisme" retour au texte
4-"Marximes et religions, hier et aujourd'hui", Gilbert Achcar, Contretemps numéro 12, février 2005 retour au texte
5- "Le prophète et le prolétariat", Chris Harman, Contretemps, numéro 12, février 2005 retour au texte
6- "Enquète sur l'anticléricalisme et le socialisme", revue Le mouvement socialiste, 1902 retour au texte