Pourquoi Débat militant ?

A première lecture, associer débattre et militer, pourrait passer pour une redondance inutile tant l'idée de militer est associée à l'idée de dialogue, d'échange, de discussion. Il n'en va pas toujours ainsi et le débat est trop souvent dominé par l'activisme militant. Le volontarisme de l'action a par trop tendance à écarter ce sans quoi il est désarmé, à savoir la discussion pour comprendre et donc, agir en toute lucidité.
En publiant cette lettre et en l'intitulant " Débat militant ", nous avons voulu réconcilier ces deux temps indissociables de la lutte et de l'action.
Notre passé de militants d'extrême-gauche a été souvent dominé par la logique des petits groupes où chacun vise à justifier sa propre existence indépendante par sa recette qu'il transforme plus souvent en acte d'accusation contre les autres qu'en instrument pour une action dont chacun a les moyens de vérifier et de discuter la fécondité.
La discussion donc, nous semble indispensable, discussion pour regrouper, c'est à dire dégager les objectifs communs tout en permettant à chacun de définir différences d'appréciations, spécificités, sans paralyser l'action, mais au contraire en l'enrichissant du débat, de la dynamique des contradictions, d'une franche et loyale émulation dans la lutte politique. Les militants qui sont à l'initiative de ce bulletin de débat sont soucieux de contribuer à sortir le mouvement révolutionnaire des vieux clivages hérités de la période antérieure à la chute du mur de Berlin et à la restauration du capitalisme dans l'ex-URSS parce qu'ils pensent qu'il n'y a pas aujourd'hui d'autre stratégie de construction du (nouveau) parti des travailleurs qu'exige la nouvelle situation sociale et politique que celle visant au regroupement de toutes les forces soucieuses d'y contribuer.
Sans débat, il est bien difficile de ne pas subir l'événement, les pressions de l'activisme politique, l'impressionnisme. Il est bien difficile de s'orienter, de construire, c'est à dire de formuler une politique pleinement indépendante de l'opinion démocratique bourgeoise, une politique démocratique et révolutionnaire de classe.
Aujourd'hui, sous la pression des évolutions sociales et politiques, comme de leur propre activité, notre organisation, la Ligue communiste révolutionnaire, et plus largement l'ensemble de l'extrême-gauche comme ce qu'il est convenu d'appeler le mouvement anti-mondialisation, sont confrontés à un vaste débat sur les perspectives de tous ceux qui pensent que l'avenir de l'humanité dépend de la fin du règne de la propriété privée capitaliste.
Les échéances électorales de l'année 2002 et leur suite y concourent mais aussi et surtout les évolutions sociales et politiques.
Les attentats du 11 septembre et leurs suites ont été le révélateur d'un retournement de conjoncture qui implique un redéploiement de la stratégie de l'impérialisme américain tant sur le plan diplomatique, militaire qu'économique et politique et en conséquence de celle de l'ensemble des Etats.
L'intervention militaire des puissances occidentales coalisées derrière l'alliance américano-britannique s'inscrit dans un moment charnière pour l'économie mondiale. La montée du militarisme accompagne la fin de l'euphorie financière. L'offensive contre les peuples s'articule avec l'offensive contre les travailleurs pour perpétuer la domination impérialiste et rétablir le taux de profit.
Les dernières années de développement capitaliste où le marché devait apporter la démocratie et le progrès ont en fait créé les conditions d'une nouvelle crise qui débouche sur une phase de tensions aiguës entre les grandes puissances et les peuples, entre les classes et entre les grandes puissances elles-mêmes. De nouveaux rapports de force vont se créer, bouleversant les équilibres antérieurs. Le maintien de la domination impérialiste sur le monde, la lutte pour un nouveau partage du monde qui s'engage entraîneront conflits, explosions sociales qui, hors d'une intervention des travailleurs et des peuples, sont lourds de menaces pour toute l'humanité.
Cette nouvelle situation fonde la nécessité d'un redéploiement du mouvement ouvrier sur des bases démocratiques et révolutionnaires.
Le mouvement trotskiste a longtemps été contraint de se cantonner au rôle d'opposant au stalinisme et à la social-démocratie. L'effondrement de l'URSS et du bloc de l'Est change la donne. La nouvelle période assigne aux révolutionnaires des responsabilités inédites. Un espace politique est libérée pour qu'un parti des travailleurs émerge. L'évolution du Parti socialiste et du Parti communiste nous place en situation d'exister pleinement par nous-mêmes en apportant des réponses aux questions des travailleurs et des jeunes, en leur donnant des idées et une politique, en leur étant utiles, en devenant leur parti. Elle donne toute leur actualité aux idées du marxisme, plus précisément aux idées du bolchevisme transmises à travers le trotskisme.
Le souci d'assumer pleinement la continuité et les filiations du mouvement marxiste révolutionnaire, de nous tenir à ce fil rouge que le stalinisme comme la réaction libérale de ces dernières années n'ont pu briser, est commun aux initiateurs de " Débat militant ".
La tâche de l'heure est de se les réapproprier en leur donnant une nouvelle vie adaptée aux évolutions du monde, le mouvement révolutionnaire ayant ou par trop cédé du terrain face à l'offensive idéologique de la bourgeoisie au lendemain de la chute du mur de Berlin ou résisté dans une attitude par trop tournée vers le passé, dogmatique.
Prendre la mesure des enjeux implique de tourner la page du gauchisme, quand l'extrême-gauche représentait une faible minorité, pour faire du travail politique révolutionnaire un véritable travail de masse autour d'un programme de transformation révolutionnaire reprenant les idées du socialisme et du communisme.
Le groupe de travail " Débat militant " entend œuvrer dans ce sens. Il se propose de confronter activité militante quotidienne, questions politiques et théoriques. Il s'agit d'un groupe ouvert s'intégrant pleinement dans l'activité de l'organisation et se situant plus largement dans la perspective du regroupement des forces révolutionnaires.
Nous défendons la perspective d'un parti clairement délimité du point de vue programmatique et organisationnel, mais aussi large, ouvert sur le monde du travail et de la jeunesse. Nous militons pour un parti marxiste révolutionnaire de masse, militant, instrument de la lutte de classe et, demain, de la lutte pour le pouvoir.
Nous pensons que le renouveau de l'internationalisme passe par le développement des idées qui sont à l'origine de la IVème Internationale, c'est à dire une politique de regroupement de ses forces aujourd'hui émiettées et divisées, sans laquelle le " nouvel internationalisme " risque de rester une proclamation voire la justification de l'adaptation du courant révolutionnaire à des forces réformistes.
C'est dans ce cadre que s'efforce de s'inscrire notre travail.
Cette lettre, éditée sous forme d'un courrier électronique, " Débat militant ", vise à échanger sur les voies et moyens d'aider à l'émergence d'un mouvement démocratique et révolutionnaire des travailleurs. Nous nous proposons de mettre en œuvre confrontation et discussion avec tous ceux qui le jugent utile et nécessaire.
Bonne lecture

Le comité de coordination de " Débat militant "
Fabienne Autan, Charles Boulay, Valérie Héas, Serge Godard, Yvan Lemaitre, Galia Trépère, Gérard Villa
Le 30 novembre 2001