Débat militant
Lettre publiée par des militants de la LCR
n°5
23 janvier 2002

Sommaire :

Editorial : La candidature d'Olivier Besancenot, écrire la continuité des Européennes

A propos du dossier de Rouge "Marx, le retour"
Un parti sans voix. La social-démocratisation du PCF et les tâches des révolutionnaires
Les " états généraux contre le MEDEF " ou la gauche plurielle en campagne

La candidature d'Olivier Besancenot, écrire la continuité des Européennes

La candidature d'Olivier Besancenot a l'avantage de la jeunesse, elle peut d'autant mieux incarner une perspective, un projet qui puissent répondre aux besoins et aux possibilités de la période. Mais la réussite de cette entreprise dépend de notre capacité à inscrire la campagne électorale dans la continuité des campagnes pour les élections européennes de 1999 et municipales de 2001.
La nécessité de l'unité et du regroupement des forces militantes du monde du travail est ressentie avec d'autant plus de force aujourd'hui que l'offensive du patronat et du gouvernement - de celui-ci comme de celui à venir, quel qu'il soit - va se durcir pour sauvegarder les profits malgré la récession.
Il est donc logique que les mesures d'urgence défendues par la liste LO-LCR en 1999 comme par la plupart des listes de notre organisation aux Municipales figurent en première place de notre campagne cette année. Pas de lutte possible contre la misère et le chômage sans le combat pour l'interdiction des licenciements, l'augmentation générale des salaires et un salaire minimum garanti pour tous. Ce programme ne pourra se réaliser que si les travailleurs imposent une autre répartition des richesses et disputent, de fait, le contrôle de l'économie aux actionnaires des grands groupes industriels et financiers. C'est pourquoi, il exige pour être crédible que soit posé le problème du regroupement des forces de tous ceux qui veulent y œuvrer, à commencer par les révolutionnaires qui s'en déclarent les plus chauds partisans.
Même si elle ne l'affirmait pas explicitement, c'est cette perspective qu'incarnait la liste LO-LCR aux Européennes, par le seul fait qu'il s'agissait d'une liste unitaire. C'est cette même nécessité que nous avons défendue, seuls cette fois, dans la campagne des Municipales en inscrivant celle-ci dans la perspective d'une nouvelle force politique opposée au patronat, à la droite et à la gauche gouvernementale. Lutte ouvrière, quant à elle, affirmait bien la nécessité d'un parti révolutionnaire, mais sous la forme d'une perspective lointaine et du coup, incantatoire.
Mais au moment où l'arrivée des pièces et billets en euro fait de l'avenir de l'Europe un problème politique incontournable, un programme de luttes pour des mesures d'urgence et une autre répartition des richesses ne peut être crédible, également, que s'il s'inscrit dans la perspective internationaliste que défendait la liste LO-LCR aux élections de 1999.
La question de l'Europe est celle où se rejoignent en effet directement la lutte pour un plan d'urgence et une autre répartition des richesses et le combat contre la mondialisation capitaliste.
Enfant de 20 ans de mondialisation capitaliste, l'euro est l'expression la plus concentrée des contradictions du système capitaliste. L'évolution de l'économie et des techniques a imposé la monnaie unique aux bourgeoisies européennes, mais elles ne s'y sont résolues que parce qu'elles avaient besoin de cet instrument dans la guerre économique mondiale. Trop accrochées à leurs privilèges pour se séparer de leur Etat national, elles n'ont su donner naissance qu'à une monnaie commune à douze Etats.
Comme le disait en 1999 la profession de foi commune, " L'Europe qu'ils prétendent construire n'a rien à voir avec les intérêts des travailleurs, des chômeurs, des jeunes. Elle est conçue pour accroître les profits des industriels et des groupes financiers. Leur Europe est celle de l'exploitation, une forteresse des multinationales.
Leur Europe n'est pas démocratique. Le Parlement européen n'est qu'un paravent pour le pouvoir discrétionnaire de la "commission européenne" issue de marchandages entre gouvernements et soumise aux puissances d'argent
 ".
Cette même profession de foi s'affirmait clairement internationaliste. Une des raisons de voter pour la liste était ainsi formulée : " c'est s'opposer clairement à tout repli nationaliste. Les travailleurs de tous les pays ont les mêmes intérêts et la seule frontière qui vaille est celle qui sépare les exploiteurs du monde du travail ".
Tout en nous situant dans cette continuité, il nous faudra prendre en compte les évolutions qui naissent des besoins mêmes des bourgeoisies européennes. Elles ne peuvent pas ne pas poser le problème d'une Europe politique quand chaque crise politique, comme celle survenue en Italie récemment, montre la fragilité d'une construction européenne dont le seul ciment est la monnaie.
L'Europe unie, sans frontières entre les peuples, c'est l'avenir ", voilà ce que disait en 1999 le préambule de la profession de foi. " Vivent les Etats-Unis socialistes d'Europe ", voilà ce que nous devrions y ajouter aujourd'hui, une perspective que l'évolution des trois dernières années met pleinement d'actualité.


A propos du dossier de Rouge " Marx, le retour "

Rouge nous a fait nos étrennes pour le début d'année sous forme d'un dossier, " Marx, le retour " tout en offrant le " champ libre " à deux jeunes intellectuels brillants ne craignant pas d'affronter l'ironie de ceux qui considèrent que parler de classes sociales relève de la langue de bois ringarde. Ils écrivent, l'un âgé d'à peine trente ans, l'autre tout juste de 28 ans : " Mais la bourgeoisie n'a pas seulement forgé les armes qui la mettront à mort ; elle a produit aussi les hommes qui manieront ces armes- les ouvriers modernes, les prolétaires ". Ces deux intellectuels, Marx et Engels, écrivent par ailleurs, dans le même ouvrage cité, Le manifeste communiste : " L'histoire de toute société jusqu'à nos jours n'a été que l'histoire de luttes de classes ".
La contribution de nos deux jeunes collaborateurs éclaire ce qui apparaît comme la faiblesse du dossier. Ce dernier nous invite à découvrir " tous les Marx possibles et méconnus ". Certes, l'œuvre de Marx et de son ami Engels est multiple et foisonnante mais on aurait aimé retrouvé de façon plus explicite ce que Lénine appelait " le fil conducteur ", la théorie de la lutte des classes.

Orthodoxie sclérosante ou contre révolution
Le dossier nous convie à " dégager, des ruines d'une orthodoxie forcément sclérosante, tous les Marx possibles et méconnus ". Dans son article, Daniel Bensaïd précise le propos. " Un retour à Marx ne suffira pas. Il s'agit plutôt de savoir par quelles voix ou quels chemins de traverses repasser par Marx. Gramsci, Benjamin , Bloch, Lukacs fournissent autant de contrepoints critiques pour dégager des ruines de l'orthodoxie stalinienne non point un Marx authentique, le "vrai Marx ", mais des Marx possibles et refoulés, qui ont tant à nous dire sur la mondialisation, sur le fétichisme, sur l'écologie même ".
Il semble nécessaire de préciser pour éviter les confusions que cette orthodoxie stalinienne n'a aucun rapport avec le marxisme. C'est à partir de cette confusion que la propagande bourgeoise prétend que l'utopie conduit au totalitarisme. Il n'y a aucun lien entre marxisme et stalinisme pas plus qu'entre bolchevisme et stalinisme. " La bureaucratie stalinienne, écrivait Trotsky, non seulement n'a rien de commun avec le marxisme, elle est encore étrangère à quelque programme, doctrine ou système que ce soit. Son idéologie est imprégnée d'un subjectivisme absolument policier, sa pratique, d'un empirisme de pure violence. Par le fond même de ses intérêts, la caste des usurpateurs est hostile à la théorie : ni à elle-même, ni à autrui, elle ne peut rendre compte de son rôle social. Staline révise Marx et Lénine, non par la plume des théoriciens, mais avec les bottes de la Guèpéou ". (Bolchevisme et Stalinisme). Trotsky nous rappelle avec vigueur que nous ne pouvons un instant confondre l'idéologie de la réaction stalinienne avec le marxisme.
Une autre chose est de ne pas ignorer le travail de militants ouvriers ou intellectuels qui, tout en subissant le carcan stalinien sans pouvoir imaginer qu'il soit possible de s'en dégager, ont apporté leur contribution au marxisme et qui, aujourd'hui, le carcan brisé, peuvent prendre toute leur place dans le développement du mouvement ouvrier révolutionnaire. C'est là l'expression de la contradiction du stalinisme, phénomène de dégénérescence du premier et unique Etat ouvrier.
Notre retour à Marx, avec eux, ouvriers et intellectuels venant du stalinisme, passe par les mille chemins de traverses, routes escarpées et abruptes de la lutte des opprimés, par un retour critique sur le passé.

" Marxisme académique " ou tourner le dos à la lutte de classe
Dans le même article, Daniel Bensaïd écrit " après l'époque stalinienne des excommunications sectaires, le danger inverse apparaît aujourd'hui d'une coexistence polie et éclectique entre marxismes académiques sans enjeux ". N'y a-t-il pas une continuité entre les deux ? Il semble d'abord que l'adjectif sectaire ne rende pas compte de ce que fut une politique de répression et de police au sein du mouvement ouvrier. Et, par ailleurs, ce " marxisme académique " apparaît comme un mode de survie sous d'autres formes de cette idéologie dite orthodoxe. Cette idéologie orthodoxe ayant perdu l'appareil auquel elle s'était adaptée, s'adapte tout naturellement à la société bourgeoise comme elle avait su si bien le faire quand, orthodoxe cependant, elle était déjà en bonne entente avec le réformisme. Ce marxisme académique pourrait-il être réellement " sans enjeux " ? L'enjeu ne serait-il pas de continuer de mener le combat idéologique contre le marxisme révolutionnaire, contre le marxisme militant ? L'enjeu ne serait-il pas de mettre les progrès du matérialisme au service de l'idéologie réformiste ?
Surmonter ce " danger ", c'est justement prendre la mesure de cet enjeu

Unité ou éclectisme
Daniel Bensaid pose la question, " de savoir ce qui, par delà les différences d'orientations et les fragmentations disciplinaires, peut encore permettre de parler du marxisme comme d'un courant de pensée clairement identifiable ". N'est-ce pas la réponse à cette question qui peut protéger du " marxisme académique " ? Lénine donne un élément de réponse dans un article intitulé " Karl Marx ". Il parle de : " La logique et l'unité remarquables des idées de Marx (qualités reconnues même par ses adversaires), dont l'ensemble constitue le matérialisme et le socialisme scientifique contemporains en tant que théorie et programme du mouvement ouvrier de tous les pays civilisés ". Le marxisme se définit aujourd'hui encore de la même façon bien qu'une nouvelle page de cette théorie et de ce programme soit à écrire.
C'est ce qui fonde son unité, c'est l'affirmation pratique de cette unité qui nous protège du danger de l'éclectisme conséquence de l'académisme. Cette unité loin d'être restrictive permet d'intégrer à la richesse du mouvement ouvrier " les différences, les foisonnements, les fragmentations ". Il appartient à la fraction organisée du marxisme de permettre à ceux qui souhaitent éviter ce piège de trouver leur place dans notre combat, d'apporter leur connaissance, leur culture au mouvement pour le renforcer et le nourrir.
C'est cette unité clairement revendiquée qui pourra nous donner la force d'attirer au travail commun tous les partisans du marxisme ou des marxismes, de les associer dans la lutte contre l'idéologie bourgeoise pour œuvrer à l'émancipation sociale.

La théorie de la lutte de classe émancipatrice
" Le matérialisme et le socialisme scientifique contemporains en tant que théorie et programme du mouvement ouvrier " écrit Lénine indiquant le contenu concret et pratique du marxisme. La force même du marxisme est, en retour, liée au contenu pratique et concret du mouvement ouvrier. Il a fallu attendre la fin du XIX° siècle pour que le marxisme devienne la conception philosophique, le programme du mouvement ouvrier. " Aux environs de 1890, écrit Lénine, cette victoire, dans ses grandes lignes, est un fait accompli " (marxisme et révisionnisme, 1908). Cette maturité préparait les grands mouvements révolutionnaires du premier quart du XX° ème siècle. La longue vague de réaction qui suivit la crise de 29 et la victoire du fascisme comme du stalinisme ont eu comme conséquence un profond recul du marxisme. Il n'a pu continuer de progresser que par le travail d'une toute petite minorité révolutionnaire, le courant trotskyste ou, secondairement, en marge de l'idéologie officielle du stalinisme et obligés de composer avec elle, sous forme de travaux académiques.
Pourtant malgré ce recul, un immense travail a été accompli, indispensable pour comprendre la nouvelle période dans laquelle nous sommes entrés.
Cette nouvelle période part d'un niveau infiniment supérieur à celui de la fin du XIX° siècle tant du point de vue du développement scientifique, technologique, culturel que social avec l'existence d'un prolétariat mondial. Elle appelle une renaissance marxiste.

Nos repères de classe
Nicolas Béniès écrit dans un article du dossier intitulé " Retour vers le futur " : " L'élaboration théorique n'est pas un "plus ". C'est une nécessité vitale. Le marxisme n'a pas de textes sacrés ou toutes les réponses seraient consignées. Le retour à Marx se trouve posé dans la mesure même où notre monde a changé et a retrouvé, mutatis mutandis, une structure qui ressemble par beaucoup d'aspects à celle du XIX° siècle. C'est encore plus vrai pour le mouvement ouvrier, obligé de trouver de nouveaux repères ".
Retrouver de nouveaux repères n'est-ce pas retrouver ses propres repères de classe en toute lucidité, sans illusion, repères qui ont été bousculé par le réformisme social-démocrate et stalinien ?
Comme le rappelle Michel Husson, au cœur du système capitaliste, il y a le rapport capital-travail, rapport d'exploitation qui fait de la force de travail une marchandise. L'analyse de la marchandise est le point de départ du Capital, critique la plus audacieuse de la " marchandisation du monde " dont, dit Marx, le but final " est de découvrir la loi économique du mouvement de la société moderne ".
Le mouvement ouvrier pourra retrouver ses repères en revenant à deux découvertes fondamentales. " Ces deux grandes découvertes : la conception matérialiste de l'histoire et la révélation du mystère de la production capitaliste au moyen de la plus-value, écrit Engels dans l'Anti-Dühring, nous les devons à Marx. C'est grâce à elles que le socialisme est devenu une science, qu'il s'agit maintenant d'élaborer dans tous ses détails ".

Pour une renaissance marxiste
Nous avons à redécouvrir la théorie de la lutte de classe dans toute sa vigueur révolutionnaire avant que, vidée de tout contenu d'émancipation, elle ne serve de masque de l'imposture et de la dictature. Renaissance au sens de retour aux textes, pour montrer leur vitalité, leur capacité à nous donner les clés du monde impérialiste et de sa transformation. " Cette lutte, écrit Engels dans sa préface au Manifeste de 1883, a actuellement atteint une étape où la classe exploitée et opprimée (le prolétariat) ne peut plus se libérer de la classe qui l'exploite et l'opprime (la bourgeoisie), sans libérer en même temps et à tout jamais la société entière de l'exploitation, de l'oppression et des luttes de classes ". " Cette idée maîtresse " qui, selon lui, " appartient uniquement et exclusivement à Marx " a la même importance " pour la science historique…que la théorie de Darwin pour la biologie ".
La théorie de l'évolution des sociétés humaines intègre les nouvelles connaissances tout comme la théorie de l'évolution des espèces depuis Darwin le fait dans son domaine.
C'est pourquoi le retour ne saurait être un saut pour remonter le temps, au risque d'oublier l'œuvre de tous ceux qui ont permis que les idées de Marx et d'Engels deviennent réellement les armes de " l'émancipation des travailleurs par eux-mêmes ". Et au premier rang d'entre eux, Lénine et Trotsky.
Eviter de tomber dans le piège d'un marxisme académique pluriel signifie assurer la continuité et la filiation de nos combats qui ont défini des camps dont il serait préjudiciable d'effacer les délimitations, c'est à dire les enseignements.
Dégager les ruines du stalinisme, c'est faire renaître les idées du bolchevisme et du trotskisme, ce qui suppose aussi de se dégager des caricatures dogmatiques qu'en a fait le gauchisme. Ce qui signifie dans la pratique construire au sein même de la classe ouvrière une organisation marxiste révolutionnaire.

" L'autre berge " ou l'aventure humaine
C'est dans la compréhension de ces luttes concrètes, de cette histoire, en s'y insérant pleinement que l'on peut répondre à la " triple question " que pose, dans son article, Alain Bihr. " Comment et pourquoi le capitalisme est-il parvenu à "survivre "…. ? ", " Qu'est-ce que le capitalisme a produit de neuf, d'inédit, d'inattendu depuis Marx… ? ", " Enfin, la perspective d'un dépassement révolutionnaire du capitalisme…. Conserve-t-elle un sens ? ".
Le contenu même de ces questions, leur réponse en même temps, c'est " l'histoire des luttes de classes ", histoire qui s'écrit chaque jour sans que nous puissions connaître par avance avec certitude ses chemins et ses détours, ses accidents. Le déterminisme historique n'est pas une conception mécanique, finaliste, mais un instrument théorique pour comprendre les tendances afin de rendre les acteurs de cette histoire, les hommes, conscients. Ce degré de conscience sociale, collective, est un des moteurs essentiels des transformations révolutionnaires.
" Il s'agit de penser le communisme, écrit Catherine Samary, non pas comme horizon lointain et sans conflits, mais bel et bien comme objet de luttes actuelles : contre la marchandisation de la planète imposée par le capital, contre le statut fait aux être humains, hommes et femmes, individus et peuples, citoyens et travailleurs aux droits de plus en plus restreints ; pour la satisfaction des besoins essentiels déterminés de façon démocratique. Il faut établir des ponts entre luttes dans et contre le capitalisme (pour des réformes) et "besoin de révolution ", d'un autre pouvoir pour étendre les acquis et remettre en cause la domination du capital (revendications "transitoires "). Mais un pont implique de connaître l'autre berge… "
On souscrit, " l'autre berge ", c'est l'avenir à construire par l'initiative des masses, leur " irruption sur le terrain où se règle leur propre sort " selon l'expression de Trotsky. Le programme du socialisme ou du communisme c'est le programme de la libération des forces créatrices de l'humanité des entraves de la propriété privée.

L'évolution de la technique, de la science, de la société au secours du marxisme
Les réponses à la "triple question " d'Alain Bihr, c'est l'histoire qui les donne. Et, paradoxalement dans cette longue période de recul du mouvement ouvrier qui a suivi l'essor de 1917, malgré les guerres et la barbarie engendrée par la perpétuation du capitalisme, ont mûri les conditions d'une nouvelle révolution. Le prolétariat a exercé son droit à diriger la société, certes dans un court instant, mais il l'a fait, l'humanité est libérée de l'abjection de la domination coloniale, la classe des salariés est une classe à strictement parler mondiale. Les progrès techniques ont permis une socialisation croissante de la production et des échanges qui révèle le caractère réactionnaire de la propriété privée comme des frontières nationales. Les progrès de la science, de la connaissance et plus généralement de la culture donnent aux idées de l'évolutionnisme matérialiste, le matérialisme dialectique, une force telle qu'elle pénètre de larges secteurs de la science officielle. Les conceptions de Marx et de Darwin ont conquis la planète toute entière en dépit du combat incessant de toutes les formes d'idéalisme bourgeois.
Le retour à Marx est un retour au XIX° pour penser notre siècle et les progrès accomplis qui donnent un éclat tout nouveau à la philosophie du matérialisme dialectique pour en faire autant d'armes dans le combat contre l'idéologie bourgeoise
Le marxisme n'est pas une idéologie, avec ses orthodoxes et ses iconoclastes, elle est une méthode, une science qui ont une histoire. En 1910, dans De certaines particularités du développement historique du marxisme, Lénine écrivait : " Notre doctrine, disait Engels de lui-même et de son célèbre ami, n'est pas un dogme, mais un guide pour l'action. Cette formule classique souligne avec force et de façon saisissante un aspect du marxisme que l'on perd de vue à tout instant. Dès lors nous faisons du marxisme une momie difforme et mutilée, nous évacuons son âme vivante, nous sapons ses bases théoriques fondamentales qui sont la dialectique, la théorie de l'histoire en tant que mouvement plein de contradictions et auquel rien n'échappe ; nous affaiblissons son lien avec les problèmes pratiques et précis de l'époque, susceptibles de se modifier à chaque nouveau tournant ". Analysant les étapes du développement de la théorie marxiste, il écrit "c'est précisément parce qu'il n'est pas un dogme mort, une doctrine achevée, toute prête, immuable, mais un guide vivant pour l'action, que le marxisme ne pouvait manquer de refléter le changement singulièrement brusque intervenu dans les conditions de la vie sociale ".
Notre retour, c'est faire vivre le marxisme, penser son histoire pour aujourd'hui contribuer, chacun dans sa propre activité, à l'enrichir pleinement du "changement brusque intervenu dans les conditions d la vie sociale ".

Du rôle et de la place des intellectuels
Au sortir de la longue période de réaction qu'a été le stalinisme, pour dégager de "ses ruines " les progrès, les conquêtes réalisées malgré et contre lui et qu'il s'agit de capitaliser afin de pouvoir avancer sur des bases solides, un vaste travail de réappropriation par le mouvement ouvrier de sa propre théorie est en route. Ce travail a besoin de toutes les énergies, de toutes les volontés et compétences. Il ne peut s'accomplir que dans le cadre d'un combat philosophique, politique, d'un travail d'éducation en relation directe avec le mouvement révolutionnaire, sa fraction ouvrière, jeune en particulier
" Pour être vraiment un interprète conscient [du processus révolutionnaire], le parti doit savoir établir des rapports d'organisation assurant un certain niveau de conscience et élevant systématiquement ce niveau " écrivait Lénine au début du siècle dernier. Il ne peut en effet y avoir de mémoire, donc de conscience, sans organisation. L'organisation est l'expression concrète, physique de la mémoire et de la conscience mais aussi la condition de son dialogue avec l'environnement, la société humaine, c'est à dire la condition de tout travail et progrès intellectuels, et en retour de l'organisation elle-même. La réappropriation du marxisme se conjugue avec la construction d'un nouveau parti.
Yvan Lemaitre


Un parti sans voix. La social-démocratisation du PCF et les tâches des révolutionnaires

Robert Hue respire. La campagne des Présidentielles ne pouvait s'engager sous de meilleurs auspices pour celui qui se présente désormais comme le " candidat anti-Medef ". En censurant les dispositions de l'article 107 de la loi de modernisation sociale, le Conseil constitutionnel procure - enfin ! - à Robert Hue l'occasion de faire entendre sa différence. L'Humanité ne manque d'ailleurs pas de souligner que la décision des neufs sages tombe " à la veille d'une initiative politique du Medef, lui offrant ainsi ce qu'il réclame depuis des mois sur un plateau d'argent ". Robert Hue peut roder son slogan " La France, c'est vous ", slogan qui renvoie explicitement à celui avancé par l'organisation patronale : " En avant l'Entreprise, en avant la France ! ".
Asphyxié dans les sondages, le président du PCF retrouve ainsi quelques couleurs. Robert Hue peut brocarder à qui mieux mieux le baron Seillière et son projet de refondation sociale, sans que les accents lutte de classe du patron du PCF troublent les partenaires socialistes de la gauche plurielle. La bataille contre le Medef et la droite a, en effet, l'avantage d'éviter l'épineuse question du bilan de la gauche gouvernementale depuis 1997. La marge de manœuvre du PCF est effectivement étroite : il doit se démarquer du PS afin de limiter la progression de l'extrême-gauche tout en ménageant l'allié socialiste dont dépend la réélection des députés communistes. La " protestation constructive " et la " distanciation positive " auxquelles s'adonne le PCF est un exercice délicat. Et le grand écart n'est pas tenable très longtemps, c'est ce que confirme la crise électorale et militante dans laquelle s'enfonce le Parti communiste, c'est ce qu'attestent les bons scores accumulés par la LCR et LO.

Parti au gouvernement, parti de gouvernement
Les " colères " de Robert Hue ne peuvent masquer l'essentiel : de 1997 à 2002, le PCF, au gouvernement et à l'Assemblée, a soutenu l'entreprise de régression sociale de Jospin. Hue reconnaît lui-même la pleine responsabilité de son parti dans la politique anti-ouvrière conduite ces cinq dernières années quand il rappelle que, sans les députés communistes, aucune majorité de gauche n'était possible. Et il affirme encore la disponibilité du PCF pour rééditer l'expérience en cas de victoire en 2002 !
L'empressement de Robert Hue à revendiquer des ministres communistes rend parfaitement compte de la mutation du PCF, et en premier lieu de l'évolution de son rapport au pouvoir. Jusqu'en 1997, l'expérience gouvernementale du Parti communiste se résume à quelques postes ministériels dans l'immédiat après-guerre (1944-1947) et après la victoire de François Mitterrand (1981-1984). En outre, le soutien des communistes à des gouvernements auxquels ils n'appartiennent pas est exceptionnel et n'excède jamais quelques mois. Les députés du PCF appuient les gouvernements de Front populaire en 1936-1938 et votent l'investiture de Pierre Mendès France en 1954 puis celle de Guy Mollet en 1956. Significativement, Maurice Thorez et Waldeck Rochet prennent soin de ramener le soutien du PCF à des objectifs ponctuels, en l'occurrence, en 1954 et 1956, la paix en Indochine ou en Algérie. Et il n'est pas indifférent de noter que jusque dans les années 90 le PCF cherche, au moins formellement, à inscrire sa politique dans une stratégie de conquête du pouvoir.
L'attitude adoptée par la formation de Robert Hue tranche. Ce qui hier apparaissait comme l'exception s'impose aujourd'hui comme la règle. Plus fondamentalement encore, l'expérience de la gauche plurielle témoigne de la réduction des ambitions communistes à l'exercice du pouvoir, à la gestion loyale du capitalisme. Les faits sont là. Jamais sous la Ve République, un chef de gouvernement n'aura eu la longévité de Lionel Jospin, aucun autre Premier ministre n'aura bénéficié d'une majorité aussi disciplinée. Les communistes ont tout laissé passé, s'abstenant à chaque fois qu'un vote négatif risquait de faire tomber Jospin. L'application du plan Juppé qui avait mobilisé des millions de travailleurs en 1995 n'a nullement été entravée par les parlementaires du PCF élus en 1997. Les ministres communistes n'ont eu aucun état d'âme quand le gouvernement auquel ils appartiennent fut impliqué dans des interventions impérialistes comme au Kosovo ou en Afghanistan.
Evidemment, le réformisme du PCF ne date pas d'hier, et les communistes n'ont pas besoin d'être au gouvernement pour entraver les luttes ouvrières : 1936 ou 1968 le rappellent suffisamment. Mais un basculement est intervenu dans les années 90. Désormais, le discours s'accorde avec les actes.
Le parti de Hue n'est plus celui de Thorez. La chute du stalinisme a précipité la transformation du parti stalinien en parti social-démocrate. L'un et l'autre sont certes réformistes, mais le réformisme de l'un n'équivaut pas au réformisme de l'autre. Pour accomplir sa mutation, le PCF ne doit pas seulement gérer docilement le système au profit de la bourgeoisie, il doit rompre avec des secteurs entiers de la classe ouvrière qui lui étaient traditionnellement acquis, soit avec une partie importante de sa base sociale et électorale, au premier rang desquels les militants cégétistes. Et les choses sont d'autant moins faciles que le PCF cherche à concurrencer le PS sur le terrain occupé par la social-démocratie depuis des décennies. Ceci explique les hésitations et les atermoiements qui traversent l'appareil communiste et souligne qu'il ne suffit pas de contester l'orientation de Robert Hue pour retrouver le chemin de la lutte de classe…

Des opposants en mal de projet alternatif
Malgré ses dénégations, le PCF a toujours été divisé, soumis à des luttes d'autant plus sourdes qu'elles ne pouvaient s'exprimer publiquement. Rénovateurs, reconstructeurs, refondateurs : les années 80 ont vu se multiplier les dissidences, les contestataires n'hésitant plus à s'organiser publiquement. Or, à de très rares exceptions, ces oppositionnels sont venus grossir les rangs du PS, Charles Fiterman et ses amis de la Convention pour une alternative progressiste (CAP) étant les derniers en date à rejoindre les socialistes en 1998. Depuis la fin des années 90 émergent, en revanche, des courants critiques, dénonçant la social-démocratisation du PCF et appelant à renouer avec la tradition bolchevique. À la différence des Juquin et Fiterman, les militants qui s'organisent contre la mutation ne sont généralement pas des notables, politiques ou syndicaux, inquiets pour l'avenir de leur mandat. Le gros des troupes de l'opposition de gauche a en commun d'être issu de la base, même si certains ont pu par le passé avoir des responsabilités dans les fédérations, parfois au Comité central.
Nous ne visons évidemment pas ici les gesticulations des membres du groupe parlementaire du PCF qui à l'instar de Maxime Gremetz se présentent comme des " orthodoxes " tout en assurant aux socialistes une majorité pour faire passer leurs mesures anti-ouvrières. Les petites phrases de Gremetz mettent en évidence les différences qui s'expriment à la tête du PCF sur les moyens d'aboutir à la création d'un " parti de type nouveau " ; elles confirment le désarroi de nombreux permanents et d'élus dont les intérêts sont entamés par les reculs de leur parti ; elles ne marquent nullement une divergence sur l'objectif. Les véritables contradicteurs de la mutation, ce sont les centaines d'anonymes des Rouges vifs (Halbeher), de la Gauche communiste (Karman), de Communistes (Perlican) ou de la Coordination des militants communistes (Gastaud), ce sont les milliers d'abstentionnistes des congrès nationaux, ce sont les millions d'électeurs communistes qui désertent les bureaux de vote ou reportent leur suffrage sur les candidats d'extrême-gauche.
Malgré leur volonté de rupture, les diverses oppositions se révèlent incapables de procéder à un réexamen critique de l'ensemble de l'histoire du PCF et, selon leur degré d'implication dans cette histoire, évoquent 1994 et l'arrivée de Hue au secrétariat général, 1976 et l'abandon de la dictature du prolétariat ou 1956 et la dénonciation du stalinisme pour dater l'origine de la liquidation de leur parti… Chacune à sa manière est en quête d'un mythique " vrai " Parti communiste. Toutes nient, contre l'évidence, la continuité politique entre Maurice Thorez, Waldeck Rochet, Georges Marchais et Robert Hue, continuité assurée, au-delà du renouvellement des hommes, grâce au système de cooptation qui a toujours prévalu au sein de la direction.
Le Collectif national unitaire des communistes (CNUC) qui sous la présidence de Georges Hage (député du Nord) vise à fédérer les différents courants n'empêche pas la cacophonie ; la tentative de regroupement en cours indique au contraire l'absence d'un projet alternatif commun : Hage souscrit à la candidature de Hue à la présidentielle quand la Coordination des militants communistes dénonce l'impasse d'" une " tendance révolutionnaire" dans un parti réformiste " ! Le retrait des ministres communistes du gouvernement Jospin fait entre eux l'unanimité, mais, répétons-le, le PCF défend une politique réformiste dans et hors du gouvernement ; c'est avec le réformisme stalinien qui a miné la classe ouvrière qu'il faut rompre. Le rejet de l'euro et la défense de la souveraineté nationale apparaissent comme l'autre point qui rassemble ; pourtant, les travailleurs n'ont pas de patrie ; et, qu'elle s'exprime en franc ou en euro, l'exploitation capitaliste doit être tout aussi fermement combattue. Le ralliement de Rémy Auchedé - une des figures emblématiques des contestataires - à la candidature de Jean-Pierre Chevènement illustre les dérives que rende possible l'absence de clarté politique.

La responsabilité des révolutionnaires : crédibiliser un pôle anticapitaliste
Des responsabilités nouvelles n'incombent-elles pas aux révolutionnaires au moment où le PCF achève sa mutation ? La désillusion des milliers de militants et d'électeurs communistes doit-elle fatalement déboucher sur la résignation de pans entiers de la classe ouvrière ? Le mouvement ouvrier serait-il désormais orphelin de toute perspective d'émancipation ? Ces questions devraient susciter le débat, notamment dans l'extrême-gauche où, pour d'évidentes raisons, le PCF et le stalinisme ont depuis toujours été au centre des réflexions. Pendant longtemps, les discussions sur l'attitude qu'il convenait d'adopter vis-à-vis du PCF ont révélé que de nombreux trotskystes s'illusionnaient sur le stalinisme en lui conférant une capacité à retrouver le chemin de la révolution ; d'aucuns attendant - au moins ! - l'émergence de fractions renouant avec les idées d'Octobre. Aujourd'hui, les organisations trotskystes semblent aphones. Etonnamment, la confrontation des idées sur le PCF s'est réduite à presque rien. Rares sont les courants qui se donnent les moyens de comprendre ce qu'est aujourd'hui le Parti communiste. Au mieux, on ressasse des orientations arrêtées il y a des années et qui correspondaient à une période où le PCF était un parti de masse encadrant majoritairement le prolétariat. La guerre en Afghanistan a récemment souligné cette difficulté à penser une intervention contre l'agression impérialiste hors d'un cadre de front unique avec le PCF, comme si la recherche à tout prix de l'unité avec le parti de Hue allait de soi.
Que sortira-t-il de la crise du Parti communiste ? Cette question maintes fois reprise dans la presse et les discours de l'extrême-gauche est symptomatique : on interroge l'avenir sur un mode passif, sans imaginer que les révolutionnaires puissent être les acteurs principaux du renouveau du mouvement ouvrier. Cette manière d'aborder la construction d'un futur parti des travailleurs nous paralyse quand elle ne nous conduit pas à nous adapter tout simplement aux secteurs contestataires du PCF. La social-démocratisation du PCF comme du reste la social-libéralisation du PS susciteront peut-être des ruptures dans les vieux appareils et la structuration de groupes militants disponibles pour construire avec nous un parti ouvrier de masse, mais il faut quand même constater que l'essentiel des forces vives a massivement déserté les rangs du PCF et du PS. Les énergies libérées par le recul des appareils réformismes sont en attente d'une perspective crédible. La responsabilité des révolutionnaires est précisément d'affirmer un pôle autour duquel puissent se rassembler les milliers de travailleurs et de jeunes que l'effondrement de l'URSS et du bloc de l'Est ne désespère pas. Les luttes ouvrières et antimondialisation, l'émergence électorale de l'extrême-gauche, la progression d'Attac témoignent de manière différente de la disponibilité d'une frange de la classe ouvrière pour l'action collective, pour l'engagement militant.
S'il est utile de suivre l'évolution des courants qui composent le PCF, de rechercher la discussion, nous ne pouvons subordonner notre activité à l'existence ou non de secteurs organisés évoluant vers nous. La nécessité d'un nouveau parti des travailleurs se pose indépendamment de la présence ou non de courants susceptibles de le porter immédiatement avec nous. Le besoin d'une force défendant jusqu'au bout les intérêts de la classe ouvrière découle de l'effacement des partis qui jusque-là encadraient le mouvement ouvrier. Il n'est pas indifférent que tel ou tel secteur du PCF ou de toute autre formation affirme également le besoin d'une force nouvelle, d'une large convergence des anti-capitalistes. Ce sont autant de points d'appui. Débattre éternellement avec eux risque en revanche de nous focaliser sur les désaccords du passé, nous éloigner des tâches actuelles. En traçant une perspective, en défendant un programme d'action, en préparant les combats à venir, les révolutionnaires amèneront les uns et les autres à se définir.
Les échéances électorales vont démontrer qu'ensemble, les candidats de LO, de la LCR et du PT sont devant Robert Hue, que le PCF doit sa survie parlementaire aux prébendes socialistes. Nous n'avons aucun complexe à avoir. Et rapportées aux enjeux, dans cinq mois rien ne pourra justifier nos divisions.
Serge Godard

Les " états généraux contre le MEDEF " ou la gauche plurielle en campagne

Organisés à Paris le 15 janvier sur l'initiative de Gérard Filoche, les " états généraux contre le MEDEF " ont rassemblé au mieux 150 personnes, issues pour une part non négligeable du réseau étudiant de la Gauche socialiste. L'accueil réservé, par une salle qui lui était acquise, à Gérard Filoche allant quatre à quatre à la tribune renforce encore le côté " meeting de campagne " de la réunion.
La réponse à l'offensive du MEDEF s'organise au sein de la gauche plurielle et du mouvement syndical (1) ". À elle seule, la présentation des états généraux contre le MEDEF faite par la Gauche socialiste résume toute l'entreprise. L'offensive du baron Seillière offre à la gauche plurielle l'occasion de reprendre la main, en évitant d'évoquer son propre bilan aux affaires.
Aucun ténor du PS, du PCF ou des Verts n'est bien sûr dans la salle le 15 janvier, seule Michèle Demessine ex-ministre communiste du gouvernement Jospin a fait le déplacement, mais on assiste à un défilé de représentants des partis gouvernementaux lors de la discussion plénière : six sur quatorze intervenants ! Yves Dimicoli, Paul Boccara et Nicolas Marchand pour le PCF, Gérard Filoche et Harlem Désir pour le PS, Francine Bavay pour les Verts dissertent sur les menaces que fait peser la refondation sociale mais sans jamais s'inquiéter que la gauche plurielle entérine la politique du MEDEF en favorisant l'épargne salariale ou que le gouvernement Jospin encourage Seillière en donnant son agrément au Pare.
Un des rares attraits de la réunion tient dans les quatre ateliers qui précédaient la séance plénière (protection sociale, santé et conditions de travail, retraites et salaires, emploi, licenciements, chômage et formation professionnelle ; loi et négociations collectives). L'atelier " retraites et salaires " a ainsi permis de préciser l'architecture de la refondation sociale. Les présentations de Liem Hoang-Ngoc et Michel Husson ont montré que le projet patronal vise ni plus ni moins à inverser le modèle à la base des relations sociales qui prévaut jusqu'ici et qui veut que les lois et accords nationaux s'imposent dans chaque entreprise. La refondation sociale promeut une " casse des statuts ", une individualisation de l'ensemble des relations sociales ; elle projette une société où plus rien n'est acquis (salaires, allocations, retraites, santé, etc.) mais où les revenus des salariés dépendent étroitement des profits qu'ils auront concouru à assurer. Cette " société du risque ", ce règne de " l'insécurité sociale généralisée " s'accommode évidemment mal des diverses ponctions sur les profits que suppose le financement de la protection sociale. La part socialisée des profits doit être ramenée à zéro. Partant, le travailleur sans emploi, malade ou en formation dont les entrepreneurs ne tirent aucune source d'enrichissement se trouve nié. Extrême dans ses objectifs, la refondation sociale n'est pas en l'état " un projet vendable " note Michel Husson, mais il s'insinue dans les propositions de la droite et de la gauche comme l'atteste le débat sur l'épargne salariale.
Contrairement à ce qu'écrivent Caroline Monnot et Patrick Roger dans Le Monde le 17 janvier, la LCR ne s'est nullement " ralliée " à l'appel lancé par Gérard Filoche, et pour des raisons dont le quotidien du soir s'est d'ailleurs fait l'écho dans son édition du 29 novembre dernier. " Il n'y a pas un mot sur la politique du gouvernement " notait alors Alain Krivine, justifiant ainsi le refus de la Ligue de s'associer à l'initiative. Et l'intervention prononcée par François Sabado au nom de la LCR le 15 prenait à contre-pied les orateurs de la gauche institutionnelle. Il a insisté sur " l'arrogance " d'un gouvernement qui privatise plus que la droite, donne son agrément au Pare, prépare l'alignement des retraites du public sur celles du privé… Et François Sabado a rappelé la déclaration de Jospin en décembre confessant que les chefs d'entreprise n'avaient " pas trop à se plaindre de ce gouvernement de gauche ".
Dans sa conclusion, Yves Salesse n'a pas levé le voile sur les intentions des organisateurs. Le président de la Fondation Copernic a souligné le besoin d'" un approfondissement du travail commun ", a encouragé les bonnes volontés " à rejoindre les groupes de travail ", la seule perspective avancée se limitant à de " nouveaux états généraux ".
Que retenir alors de ces états généraux ? Le mouvement syndical n'a pas jugé utile d'appuyer la démarche et rares étaient les représentants syndicaux à s'exprimer. Ces états généraux ne représentent donc pas une nouvelle étape dans la mobilisation nécessaire contre le Medef, mobilisation dont on sentait le jour même le potentiel dans les rues de Lyon où plus de 10 000 travailleurs défilaient à quelques encablures du Congrès de l'organisation patronale. En revanche, la réunion parisienne s'apparente à une entreprise de diversion orchestrée par des directions socialistes et communistes sentant tout le profit à retirer d'une réapparition du vieux clivage gauche-droite que la politique de régression sociale des Jospin et consorts a anéanti.
Malgré les larges sourires de Gérard Filoche, la manœuvre est éventée.
Serge Godard

(1) On trouve cette perle sur le site de la Gauche socialiste <http://www.gauche-socialiste.com/journal/1501.htm>