Débat militant | ||||||||||
Lettre publiée par des militants de la LCR |
n°9
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3
avril 2002
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Sommaire : | ||||||||||
De la gauche plurielle à l'introuvable majorité présidentielle |
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De la gauche plurielle à l'introuvable majorité présidentielle
Les alliés
de Jospin dans la gauche plurielle, les Verts et le PC, ont à plusieurs
reprises, ces derniers jours, menacé, sinon de ne pas appeler à
voter pour lui au second tour de l'élection présidentielle, du
moins de ne pas participer à un futur gouvernement de gauche.
Cette attitude est le résultat d'une logique propre à l'élection
présidentielle bien plus que de leurs intentions. Pour marchander leur
place dans une future majorité gouvernementale, les Verts et le PC n'ont
pas d'autre choix que de tenter de se démarquer d'une politique qui est
pourtant dans la continuité de celle menée par le gouvernement
Jospin auquel ils ont participé pendant cinq ans. Mais cette posture
elle-même induit sa propre logique et pourrait les conduire, en particulier
le PC, à retourner dans l'opposition même si Jospin est élu.
Celui-ci, en effet, ayant alors besoin d'une majorité introuvable dans
l'ancienne gauche plurielle, pourrait bien vouloir l'élargir vers le
centre, un de ses vieux rêves. Le score de Chevènement pourrait
bien l'y obliger.
L'élection présidentielle se gagne au centre, et c'est celui qui
a la capacité de ratisser le plus largement et à droite et à
gauche qui est le mieux placé pour l'emporter. Jospin cherche ainsi à
se montrer le plus responsable vis-à-vis des intérêts du
patronat, tout en s'efforçant de maintenir une illusion d'homme de gauche,
au moins dans les meetings dont le public est le milieu encore attaché
au Parti socialiste. Chirac s'efforce au contraire d'apparaître le plus
indépendant possible du Medef.
L'évolution du rapport de forces entre les classes, le recul social qui
s'est opéré au profit du patronat et qui ne laisse quasiment aucune
marge de manuvre pour une démagogie électorale, font que
les deux candidats se retrouvent grosso modo sur le même programme où
le Medef peut à juste titre se féliciter d'y retrouver un grand
nombre de ses " priorités ", comme l'a récemment affirmé
Kessler.
Les trois quarts de la population sont convaincus que les programmes de Chirac
et de Jospin sont quasiment identiques, leur politique est massivement rejetée,
et la victoire de l'un ou de l'autre au deuxième tour, ne sera en quelque
sorte qu'une victoire par défaut.
D'ores et déjà, cette élection présidentielle est
la première où les deux vainqueurs potentiels rassemblent aussi
peu d'intentions de vote au premier tour. Chirac est crédité de
moins de 24 % des voix, Jospin d'à peine plus de 20 %. Les intentions
de votes pour l'extrême gauche, rassemblées essentiellement sur
la candidature d'Arlette Laguiller, expriment un rejet massif de cette politique.
Comme, avec une signification différente et sur un autre bord de l'échiquier
politique, les intentions de vote pour Chevènement et Le Pen, expriment
elles aussi un désaveu de la politique de cohabitation menée par
le couple Chirac-Jospin.
Cette situation incite d'autant plus les Verts et le PC à se démarquer
de Jospin et du PS. Leurs faibles scores dans les sondages montrent qu'ils ne
sont pas parvenus -loin de là- à effacer une participation gouvernementale
de cinq ans, au cours de laquelle ils ont grandement aidé Jospin à
imposer sa politique libérale.
Il est de l'intérêt de Jospin, d'ailleurs, de les laisser cultiver
leurs différences au premier tour, pour qu'ils soient de meilleurs rabatteurs
de voix au second. Pour autant, Jospin les associera-t-il à nouveau à
un gouvernement s'il était élu ? Cela n'est pas du tout certain,
en particulier pour le Parti communiste, qui, vu sa perte d'influence au sein
du monde du travail et de la CGT, devient de moins en moins utile au gouvernement.
L'accord avec les Verts en vue des prochaines législatives est déjà
conclu. Le PS leur a attribué 42 circonscriptions et, ainsi, la possibilité
d'avoir un groupe parlementaire à l'Assemblée nationale. Par ailleurs,
un compromis semble se dessiner sur le nucléaire, dont Mamère
avait fait récemment un point d'achoppement. Les Verts n'auront guère
de difficulté à trouver un " irrévocable " compromis
avec un Jospin plein de compréhension.
Il n'en va pas automatiquement de même pour le PC. Certes, les menaces
de Robert Hue de ne pas soutenir Jospin au second tour ou de ne pas participer
à un gouvernement si la politique de Jospin se " blairisait "
prêtent plutôt à sourire. Car on voit mal ce qui distingue,
déjà aujourd'hui, la politique de Jospin de celle de Tony Blair.
Au cours des soubresauts qui ont agité la gauche plurielle au cours des
cinq dernières années, le Parti communiste a toujours opéré
un retournement de dernière heure, qui a permis à Jospin de sauver
la mise. Ainsi en a-t-il été du vote de la deuxième loi
sur les 35 heures, lors de la manifestation du 16 octobre 1999, du Pare, et
plus récemment, de la loi de modernisation sociale, au moment de la manifestation
du 9 juin 2001.
La marge de manuvre qu'avait le PC au sein de la gauche plurielle depuis
1997 était extrêmement faible, elle lui permettait cependant de
continuer à exister. Or le programme de Jospin aujourd'hui ne s'embarrasse
même plus des fioritures de gauche dont il était enrobé
en 1995 ou en 1997. Qui plus est, si la configuration donnée actuellement
par les sondages se confirmait et que l'érosion des scores du PC se poursuivait
dans les élections législatives -traditionnellement plus favorables
pour lui que la présidentielle- Jospin ne pourrait s'assurer une majorité
gouvernementale à l'aide de ses alliés actuels. La majorité
de gauche plurielle pourrait bien laisser la place à une majorité
du centre -peut-être avec Chevènement pour peu qu'il continue d'abdiquer
de sa posture d'opposition à l'Europe- que bien des dirigeants du PS
dont Fabius et DSK appellent de leurs vux. La social-démocratie,
devenue social-libéralisme, se transformerait en un axe mou d'une majorité
à géométrie variable car on voit mal comment elle pourrait
se transformer en un parti semblable au parti démocrate américain.
Jospin ne serait pas forcément hostile alors à ce que le PC soit
au gouvernement, mais ce serait à condition que celui-ci accepte d'être
entièrement à sa botte, autrement dit qu'il se liquide. Il achèverait
là un des points de l'entreprise entamée il y a trente ans par
Mitterrand : d'abord affaiblir le PC, puis l'anéantir et transformer
le parti socialiste en grand parti du centre.
Or aussi intégré que soit le PC dans la vie politique bourgeoisie,
la plupart de ses cadres ne font pas partie des milieux de la bourgeoisie et
c'est seulement à travers l'appareil du PC qu'ils ont accédé
à une manière de promotion sociale. Il est tout à fait
possible que l'appareil du PC refuse ainsi sa propre dissolution.
A vrai dire, c'est peut-être ainsi, dans l'opposition, que le PC serait
le plus utile à Jospin au moment où l'extrême gauche se
trouve en situation de pouvoir donner une impulsion à la naissance d'un
parti de la classe ouvrière indépendant des partis de la bourgeoisie.
Il pourrait ainsi constituer un contre-feu. Pour combien de temps ?
C'est en tous les cas une hypothèse que nous devons envisager.
Les révolutionnaires se trouveraient alors devant le choix suivant :
soit prêter main forte à l'appareil d'un Parti communiste moribond,
soit formuler le projet de la construction d'un parti du monde du travail, réellement
indépendant des partis bourgeois, construction à laquelle ils
appelleraient tous les militants du mouvement ouvrier à participer. Un
tel projet unitaire n'aurait de crédibilité que s'ils recherchent,
eux-mêmes, les moyens de leur propre unité.
Galia Trépère
Portée et signification des évolutions en cours
Les évolutions
politiques dont atteste la campagne des présidentielles renvoient à
des évolutions plus profondes, plus fondamentales et surtout irréversibles
dont elles expriment l'influence sur la conscience des électeurs.
Le développement capitaliste de la société connaît
une nouvelle période, celle du libéralisme impérialiste,
aboutissement de vingt ans d'offensive des classes bourgeoises. La restauration
du capitalisme dans l'ex-URSS achevée, les pays indépendants nés
de la vague de la révolution coloniale intégrés au marché
capitaliste mondial, les acquis obtenus dans la période d'expansion qui
a suivi la deuxième guerre mondiale remis en cause dans les pays riches,
l'oligarchie financière s'engage dans un nouveau redéploiement
tant économique, politique que militaire. La nouvelle agression guerrière
de Sharon-Bush contre le peuple palestinien en est la tragique illustration.
Dans cette offensive le capitalisme a enrôlé à son service,
bon gré mal gré, toutes les forces politiques parlementaires.
Le réformisme est tout naturellement devenu la force de modernisation
de la société capitaliste, c'est-à-dire de la libéralisation.
La nouvelle offensive de la bourgeoisie exigera une soumission plus grande encore
des forces politiques qui prétendent la servir.
Les élections à venir, la présidentielle d'abord puis les
législatives, vont donner une image déformée certes mais
bien réelle de la façon dont l'opinion perçoit ces évolutions.
L'objet de cet article n'est pas d'anticiper sur les rapports de forces qui
vont s'y créer mais de commencer à discuter des implications pour
les révolutionnaires de deux éléments qui d'ores et déjà
se dessinent : le score d'Arlette Laguiller à près de 10 % et
celui de Robert Hue autour de 5 %.
Déjà la campagne est marquée par cette nouvelle donne électorale.
Pour les militants du mouvement ouvrier qui travaillent à l'émergence
d'un nouveau parti des travailleurs, il faut la prendre en compte dès
maintenant, et donc discuter des conséquences de ces transformations
sur notre travail, tant du point de vue de notre agitation politique que de
nos tâches d'organisation, tenter d'ébaucher un plan de construction
d'un nouveau parti de lutte.
La fin du stalinisme
a été aussi celle de la social-démocratie
L'effondrement de l'ex-URSS a ouvert un espace considérable pour un nouveau
redéploiement du libéralisme impérialiste, espace économique,
espace politique et aussi idéologique. Par une série d'effets
en chaîne, cet effondrement a provoqué un déplacement à
droite de toutes les forces politiques intégrées au système
bourgeois.
Le stalinisme, produit de la dégénérescence du premier
et unique Etat ouvrier et des partis communistes que la révolution de
1917 avait engendrés, était le flanc gauche de la social-démocratie,
à la fois point d'appui et faire-valoir. Le Parti communiste en s'intégrant
à la vie politique bourgeoise après 1935 avait lié son
sort à la social-démocratie, entremetteur indispensable pour qu'il
puisse songer arriver au pouvoir. C'est lui qui, après que la SFIO se
soit liquidée en menant la guerre d'Algérie puis en mettant De
Gaulle au pouvoir, a remis cette dernière en selle et a permis à
Mitterrand de devenir Président. Il était aussi sa courroie de
transmission au sein du mouvement ouvrier.
Aujourd'hui, l'effondrement de l'ex-URSS le laisse orphelin au moment où
son soutien à la social-démocratie l'a discrédité
auprès de larges fractions du monde du travail.
En retour, son propre effondrement a rompu la courroie de transmission qui ne
fonctionnait pas à sens unique, libérant le PS des pressions que
le PC pouvait exercer sur lui, même si ce n'était le plus souvent
qu'au niveau du langage.
Dégagée sur sa gauche, la social-démocratie a dérivé
par la simple logique des rapports de force pour se transformer en social-libéralisme.
Les professions de foi étatistes du réformisme ont tout naturellement
cédé la place à l'apologie du libéralisme. Le réformisme
a cédé la place au social-libéralisme.
Une même dérive engloutit le PC et détache le PS de ses
liens avec le mouvement ouvrier autres que ceux avec une bureaucratie intégrée
à la politique du patronat. Et il est bien probable que la gauche plurielle
connaîtra une recomposition au lendemain du verdict électoral.
Ni vraie gauche
ni vrai parti communiste
Cette dérive déstabilise les références traditionnelles
du mouvement trotskyste, l'oblige à se penser autrement qu'en tant que
force d'opposition au stalinisme et à la social-démocratie.
Sûre de ses idées, la minorité rejetée du mouvement
ouvrier par le terrorisme stalinien complément des pressions exercées
par la social-démocratie et l'Etat, trouva toutes sortes de raisonnements
pour justifier des politiques souvent suivistes vis-à-vis du réformisme,
sans parler de l'entrisme au sein du PS ou au sein du PC. Aujourd'hui, alors
que le mouvement ouvrier se libère de la tutelle de ces partis faillis,
les raisonnements continuent de fonctionner, comme par automatisme, paralysant
les esprits. Ils continuent à nous limiter au rôle d'opposants
de forces politiques qui ont pour l'essentiel coupé leurs amarres avec
le mouvement ouvrier ou sont en train de le faire.
Un des paradoxes de cette situation est la politique de Lutte ouvrière
depuis 1997. Le courant de l'UCI s'est constitué en rupture avec cette
politique, s'affirmant en osant défier le monopole des staliniens sur
les entreprises. Au moment où la rupture du monde du travail avec le
PC s'exprime essentiellement par le vote Arlette Laguiller, LO semble hésiter
à aller jusqu'au bout de sa politique. Au moment où il ne s'agit
plus d'être des opposants au stalinisme mais bien l'aile marchante de
ce nouveau parti qui émerge, la direction de LO est comme prise par le
doute, déstabilisée. Cette habitude d'exister en creux du stalinisme
s'exprime, le stalinisme mort, dans une sorte de nostalgie du PC. Quand Arlette
parle de l'avenir dans ses discours de campagne la perspective qu'elle trace
est celle de " recréer un parti communiste, un nouveau et véritable
parti communiste ".
Le raisonnement a l'air plus radical mais, en fait, il est de même nature
que celui des camarades qui, au sein de la LCR, militent pour une " vraie
gauche " une " nouvelle gauche "
Il est de ce point de vue significatif que dans le livre signé d'Arlette
Laguiller, au titre étonnant Mon communisme, soit quasiment effacé
le combat des trotskistes contre le stalinisme comme si notre critique du PC
se résumait à sa participation gouvernementale. Comme s'il y avait
la moindre continuité entre le nouveau parti que nous voulons construire
et l'ancien Parti communiste !
Notre rupture avec le PC, ses idées, ses traditions, ses murs est
aussi grande et de même nature que notre rupture avec le PS, ses idées,
ses traditions, ses murs.
Il est tout aussi faux de vouloir construire un nouveau parti communiste qu'une
nouvelle gauche. Notre combat se situe en continuité avec la social-démocratie
du XIXème siècle ou avec la création de la IIIème
Internationale au lendemain de la révolution. Il est en continuité
avec la tradition révolutionnaire du mouvement ouvrier pas avec sa négation
social-démocrate ou stalinienne. Il est en rupture avec ce que sont devenus
ces partis intégrés et soumis à la société
capitaliste.
Lutte ouvrière
face à elle-même
LO est aujourd'hui en position de prendre les initiatives qui répondent
aux besoins du mouvement ouvrier. Elle serait en mesure d'avoir une large influence
sur bien des militants, d'avoir une autorité politique assez grande pour
unifier, aider au regroupement. Seulement, accomplir cette tâche indispensable
signifierait prendre le risque d'une contestation, d'une discussion vivante
et dynamique. Une réelle démocratie n'aurait rien à voir
avec ces débats qui n'en sont pas avec une minorité que l'on semble
avoir condamnée à vie au rôle d'opposant de service pour
les seuls besoins de la direction.
Cela supposerait une réelle transparence à laquelle devraient
se soumettre en premier lieu les dirigeants intellectuels, surtout si leurs
obligations professionnelles les conduisent à fréquenter des milieux
de la bourgeoisie. L'hygiène démocratique élémentaire
voudrait que la transparence qu'Arlette Laguiller comme bien d'autres assument
en toute simplicité soit considérée comme normale pour
les dirigeants.
La direction de LO et surtout son principal dirigeant Hardy ne semblent pas
vouloir remettre en cause leur politique du secret, instrument de pouvoir justifié
par une clandestinité sans fondement.
Elle semble même éprouver un malin plaisir à narguer la
presse pour mieux l'accuser de l'agresser, à laisser Arlette assumer,
couvrir, justifier au prix de fortes tensions nerveuses et morales cette contradiction
injustifiable.
Pourtant, la campagne elle-même est l'occasion de préparer les
conditions des initiatives à venir. Pourtant, la direction de LO sait
bien qu'elle devra rompre avec ces petites relations de pouvoir et de défense
de son prestige au sein d'un petit groupe. Mais, elle veut le faire à
son heure et à son temps pour justement
affirmer et perpétuer
ce pouvoir.
Dès maintenant, la direction de LO a annoncé qu'elle ferait de
sa traditionnelle fête un grand rassemblement sur un seul jour, sans débat
ni présence d'autres groupes politiques. Sans doute, ce grand rassemblement
sera-t-il l'occasion pour elle d'annoncer qu'elle est prête à accueillir
tous ceux qui le souhaitent comme le dit Arlette dans ses meetings, de se proclamer
parti, de faire connaître plus largement ses dirigeants dont Hardy.
Cette mue serait un pas en avant, elle pourrait ouvrir de nouvelles possibilités
mais il y a fort à parier que ce pas, si tant est que la direction de
LO le fasse, reste bien insuffisant dans la mesure où il n'aurait comme
objectif que de perpétuer l'autorité et le prestige d'une direction
dépassée par son propre succès et antidémocratique.
Quoiqu'il en soit LO n'échappera pas à sa propre vérité
comme à ses contradictions.
Avec quelles
forces construire ?
En effet, la construction d'un parti représentant authentique du monde
du travail exige d'autres transformations. Comme le dit Arlette Laguiller, il
faut être " un imbécile " pour croire qu'il suffit d'un
bon score électoral et d'ouvrir les portes d'un petit groupe jusqu'alors
sectaire, au sens politique du terme, pour construire un parti.
Un nouveau parti ne peut naître que de l'activité concrète
des travailleurs eux-mêmes, des militants engagés dans la lutte
contre cette société et le gouvernement. Ceux parmi eux qui pensent
pouvoir contribuer à formuler une politique pour y aider ne peuvent partir
que de la réalité existante, c'est-à-dire des forces disponibles
en répondant à leurs besoins. Il ne peut naître que d'une
volonté commune vérifiée, forgée dans des débats
larges, sanctionnée par un congrès autour d'un programme et des
statuts élaborés par la confrontation des expériences,
des pratiques et des idées.
LO agit comme si elle était dupe de son score électoral, dupe
d'elle-même sans comprendre les raisons de son propre succès c'est-à-dire
aussi ses limites.
LO a permis que s'exprime sur le plan électoral le désaveu des
partis de la gauche plurielle. Elle a rendu au mouvement révolutionnaire
et au mouvement ouvrier un immense service en restant " dans le camp des
travailleurs ". Mais ce score dont il est nécessaire de discuter
en faisant des sondages une réalité aussi " vraie "
que le vote lui-même, doit être analysé en fonction de la
situation politique générale.
Ces élections soldent les comptes de vingt ans d'offensive du patronat
soutenu par la gauche et la droite. Le vote pour Arlette Laguiller comme pour
l'ensemble de l'extrême-gauche est la sanction de ces vingt années.
Il est l'aboutissement des évolutions des consciences qu'elles ont entraînées,
un point de départ pour la suite, un point d'appui.
Nous en mesurerons la profondeur réelle au moment du vote lui-même,
mais sa signification sera la même, sa portée aussi.
Son succès est relatif aux partis de la gauche plurielle, il est leur
désaveu. Il ne permet pas en lui-même d'être une réponse
politique du point de vue des intérêts des travailleurs aux besoins
de l'heure : regrouper les forces pour préparer une contre-offensive
de la classe des salariés.
Ces forces ne sont pas simplement celles de l'extrême-gauche, mais de
toutes celles et ceux qui sur les lieux de travail ou les quartiers, dans les
syndicats ou les associations entendent, quel que soit le gouvernement qui sortira
des urnes, lutter avec leurs propres armes.
La Ligue qui n'a ni su ni pu être au même niveau l'instrument pour
les classes populaires afin qu'elles puissent exprimer leur condamnation de
la politique des partis de la gauche plurielle se trouve devant l'impérieuse
nécessité de se dépasser. Du point de vue des intérêts
du mouvement ouvrier, le rôle de la Ligue et de la candidature d'Olivier
Besancenot est de formuler un projet en rupture radicale avec les partis de
la gauche plurielle, une politique unitaire visant à regrouper les forces
de tous ceux qui veulent aider le monde du travail à défendre
ses propres intérêts avec ses propres armes de classe.
Se défaire
de nos propres caricatures, le mythe du modèle
Toute l'extrême-gauche est devant un défi : jusqu'alors nous étions
des opposants à la social-démocratie et au stalinisme, il nous
faut devenir un parti en offrant une politique et un cadre militant à
tous ceux qui comprennent que ce que sont devenus les partis de la gauche était
dans la logique de leur nature. La perspective d'un parti de lutte de classe
regroupant une fraction non négligeable du monde du travail est une perspective
concrète.
Les nouvelles conditions sociales et politiques impliquent des transformations.
Comment passer de petits groupes opposés et divisés à un
parti, telle est la question pratique que nous devons résoudre.
Les conditions sont nouvelles mais le mouvement ouvrier a un riche capital.
Il n'est pas inutile de chercher dans cette expérience du mouvement ouvrier
des éléments de réponse à une situation complètement
nouvelle, inédite, allier l'étude du passé à l'analyse
pragmatique du présent.
Il nous faut nous tourner vers des périodes proches de celle que nous
connaissons, des périodes de ruptures et de crise comme celle qui a secoué
la social-démocratie à la fin du XIXème et au début
du XXème dans la lutte contre le réformisme et qui vit la naissance
du bolchevisme. Ce serait aussi l'occasion de liquider les mythes, les caricatures
du bolchevisme que les révolutionnaires ont eux-mêmes fabriquées
pour aujourd'hui les rejeter sans même s'apercevoir que c'est la caricature
qu'ils en ont faite qu'ils rejettent.
La philosophie militante du bolchevisme vise à construire le parti de
l'émancipation des travailleurs par eux-mêmes, un parti militant
se donnant pleinement les moyens d'exister par lui-même, pour lequel la
lutte politique est entièrement subordonnée aux intérêts
de la classe des opprimés.
Le bolchevisme n'est nullement un dogme dont l'alpha et l'oméga politique
se résumeraient à la théorie dite du centralisme démocratique.
On ne trouvera pas sous la plume de Lénine de définition du bolchévisme.
Pour lui, le bolchévisme est un fait historique, concret, une expérience
de luttes politiques révolutionnaires, la première expérience
d'un parti moderne qui a permis la conquête du pouvoir par les masses
ouvrières elles-mêmes.
Mettre en uvre cette philosophie adaptée à une société
moderne, développée, loin des poses, caricatures ou anathèmes,
est en fin de compte notre tâche.
Le parti de Lénine fut le plus ouvert des partis ouvriers puisqu'il fut
le seul capable d'assumer la démocratie des soviets, de se battre pour
faire vivre un réel Etat des masses. Sa philosophie politique est, au
contraire des préjugés ayant aujourd'hui force de loi, d'une pleine
actualité pour dépasser les habitudes de petits groupes par trop
fermés sur eux-mêmes, plus préoccupés d'eux-mêmes
que d'organiser les travailleurs, de leur être disponibles comme à
leurs luttes.
" Est membre du parti celui qui en reconnaît le programme et soutient
le parti tant par des moyens matériels que par sa participation personnelle
dans une des organisations du parti ", telle est la formule défendue
en 1903 par Lénine à partir de laquelle s'est défini le
bolchevisme. Cette formule simple suffit à répondre à toute
les recettes organisationnelles de Lutte ouvrière qui invoque "
son " bolchevisme pour justifier la perpétuation de murs sectaires.
L'unité
n'est pas un cuménisme
Ceux qui pensent que l'unité est une étape indispensable doivent
aujourd'hui se confronter avec leurs propres raisonnements. Il est évident
que nous avons connu un échec avec les municipales d'abord puis la présidentielle
et les législatives à venir. Il est probable qu'à l'issue
de ces échéances électorales les possibilités d'unité
seront encore plus minces. Cela ne veut pas dire qu'il faut changer de cap.
Notre conception de l'unité ne se réduit pas à un accord
entre organisations. Notre critique de l'accord LO-LCR aux européennes
était une critique de cette conception étroite qui ne se situe
pas du point de vue des intérêts généraux du mouvement
ouvrier mais du point de vue de chacune des organisations.
L'unité est une politique. C'est celle d'un militant qui dans son entreprise
cherche constamment à regrouper les travailleurs les plus conscients,
à un autre niveau à surmonter les divisons syndicales, c'est-à-dire
à créer les meilleures conditions pour la défense des salariés,
pour la lutte.
Une politique unitaire n'est pas un prêche adressé aux majorités
par des minorités donneuses de leçons ni un cheval de bataille
contre les autres. Il s'agit bien d'une politique nécessaire pour regrouper
tous ceux qui le souhaitent, aucune force n'est négligeable, et d'une
démarche indispensable qui a comme corollaire incontournable la recherche
de l'unité avec ceux qui nous sont les plus proches, les autres tendances
révolutionnaires. Mais ce corollaire n'est pas forcément l'essentiel.
Notre démarche ne s'adresse pas seulement à LO mais aussi à
tous les courants qui militent au sein du mouvement ouvrier, s'en revendiquent.
Tracer
un plan de construction
Avoir une politique vis-à-vis des autres courants du mouvement ouvrier,
ne signifie pas dépendre d'eux. C'est une démarche indispensable
pour nous construire nous-mêmes car c'est la seule façon de confronter
nos idées, raisonnements, de les mettre en pratique avec les autres.
C'est la seule démarche pour formuler une politique et convaincre.
La tâche de construction d'un nouveau parti est une tâche concrète
et actuelle. Elle se pose dans la mesure où aussi les solutions existent
dans le mouvement ouvrier réel lui-même. Dégager ces solutions,
les formuler ne peut se faire qu'à travers une discussion, un dialogue
permanent.
" Mais l'aptitude objective que possède au plus haut degré
le prolétariat à s'unir en une classe se réalise par des
hommes vivants, et ne se réalise qu'à travers des formes définies
d'organisation. " écrit Lénine dans Que faire ?
Il s'agit de formuler pour ces femmes et ces hommes et avec eux une politique,
de définir avec eux les formes d'organisation, c'est-à-dire apporter
des réponses tant politiques qu'organisationnelles au problème
du moment.
Cela suppose des rapports avec les acteurs de ce mouvement ouvrier réel
libérés des carcans bureaucratiques, cela suppose que la fraction
la plus consciente du mouvement ouvrier établisse des relations démocratiques
avec l'ensemble de sa classe, relations jusqu'alors empêchées par
le stalinisme ou plus généralement par l'omnipotence des appareils.
La routine, l'adaptation à l'ambiance des appareils ou à l'état
d'esprit de la majorité des travailleurs tendent à amoindrir le
caractère révolutionnaire de notre activité politique,
les évolutions en cours nous aident à le retrouver.
Ce qui distingue les marxistes révolutionnaires conséquents de
toutes les variantes de gauchisme, c'est que nous savons expliquer aux plus
larges couches de salariés la nécessité de la révolution,
même si aujourd'hui les conditions n'en semblent pas mûres, en démontrer
le caractère inéluctable en nous appuyant sur l'évolution
historique.
Notre travail n'a d'autre but que d'y préparer les travailleurs et les
classes exploitées. Et cela sans sectarisme vis-à-vis des autres
courants du mouvement ouvrier ni de la grande masse des travailleurs dominés
par les préjugés bourgeois.
Il n'y a aucun raccourci vers un parti démocratique et révolutionnaire
des travailleurs. Il y a une politique visant le regroupement de toutes les
forces autour d'un programme de défenses des intérêts des
travailleurs et la mobilisation de toutes les énergies militantes, libres
de l'individualisme, désintéressées, généreuses
et dévouées pour sa mise en uvre.
Notre organisation a dans cette perspective un travail irremplaçable
à accomplir.
Yvan Lemaitre
Dépasser le passé, s'ouvrir à la jeunesse combative !
Nouvelles luttes,
nouvelles générations : le visage des mobilisations change. La
victoire, en février dernier, des jeunes salariés du Mac Donald's
de Strasbourg Saint-Denis, après 115 jours de grève, apporte un
démenti cinglant aux clichés véhiculés par les médias,
et qui présentent la jeunesse comme apolitique, gagnée par l'individualisme
et entièrement acquise aux valeurs du consumérisme. Les Mac Do
en donnent une autre image, solidaire et combative. Leurs trois mois de conflits
démontrent à l'ensemble des travailleurs que l'on peut faire reculer
le patronat, y compris dans des secteurs peu syndiqués et à faible
tradition gréviste, comme dans la restauration rapide. La détermination
dont les salariés de Mac Do ont fait preuve, comme la démocratie
de leurs assemblées générales, sont des leçons pour
tous, un gage pour l'avenir.
Car contrairement aux prophéties de la fin de l'histoire, la lutte de
classe fait de jeunes émules. Depuis la victoire des Mac Do, à
la FNAC, chez Virgin, d'autres grévistes sont venus rappeler l'actualité
de l'action collective. Et ce ne sont pas des cas isolés
Ni amorphes,
ni indifférents au monde, de nombreux jeunes ont manifesté de
Seattle à Barcelone leur rejet du capitalisme mondialisé. Les
salariés de Mac Do présents au Zénith à l'invitation
d'Attac en janvier symbolisent cette radicalité qui émerge depuis
le milieu des années 90, cette volonté de résister sur
tous les fronts aux ravages du capitalisme, en France comme à l'échelle
planétaire ; ils témoignent de cette possibilité de faire
converger les forces. L'assistance des meetings d'Arlette Laguiller et d'Olivier
Besancenot confirme également qu'une fraction de la jeunesse est ouverte
aux idées révolutionnaires, sans parler de l'électorat
jeune et populaire des candidats trotskistes que notent tous les observateurs.
Dès lors, beaucoup s'interrogent -notamment dans les rangs révolutionnaires-
sur ce qui apparaît comme le paradoxe du temps : différents secteurs
de la jeunesse se mobilisent sur toute une série de questions, spécifiques
à la jeunesse ou non d'ailleurs, sans que l'on perçoive en retour
un grossissement des organisations que devrait logiquement accompagner cette
nouvelle radicalité, et en premier lieu les organisations de jeunesse,
politiques et syndicales. Cela ne corroborerait-il pas l'apolitisme de la jeunesse
dont nous abreuvent les médias ? En réalité, cela traduit
moins un rejet de la politique que des politiques, cette classe de professionnels
qui, de gauche ou de droite, défilent au pouvoir depuis vingt ans, sans
que rien ne change, sinon en pire.
Les mobilisations étudiantes et lycéennes depuis 1995 ont précisément
montré tout le potentiel de cette nouvelle donne. À l'inverse
des fois précédentes, ce ne sont pas les appareils qui traditionnellement
encadraient les luttes qui sont en pointe, mais les grévistes eux-mêmes.
L'auto-organisation du mouvement étudiant quelques semaines avant la
vague de grève ouvrière de novembre-décembre 1995 tranche,
et témoigne de cette radicalisation de larges secteurs de la jeunesse
scolarisée. Les mouvements lycéens de 1998 et 1999 renforcent
encore une tendance que les révolutionnaires ne peuvent qu'appuyer, même
si l'absence de structuration s'avère, en l'occurrence, rapidement un
handicap qu'aucune composante militante n'arrive alors à juguler.
Partant, si paradoxe il y a, il tient plutôt à la difficulté
de l'extrême gauche à incarner cette autre façon de faire
de la politique, à représenter aux yeux de la jeunesse combative
un cadre naturel pour s'engager. Inverser les rôles est moins confortable
évidemment, mais il est certainement plus productif de discuter de cette
difficulté qu'éprouvent des révolutionnaires non seulement
à exprimer ce renouveau mais simplement parfois à l'appréhender.
Malgré l'expérience acquise à travers la construction des
Jeunesses communistes révolutionnaires (JCR), le dernier numéro
de Critique communiste (1) souligne que la LCR n'est pas exempte de critique
à cet égard. " Où en êtes-vous avec la politique
? " questionne la revue. Pour l'essentiel, les contributions publiées
révèlent des personnalités, des militants, désabusés,
déboussolés par l'effondrement de l'URSS et du bloc de l'Est,
sans repères ni enthousiasme, comme si le futur s'était éclipsé,
englouti par les défaites et les désastres du siècle passé.
La jeunesse combative renvoie autre chose que cette vision sacrificielle du
militantisme. C'est cette jeunesse qu'il faut découvrir, c'est à
elle qu'il faut s'ouvrir. À l'inverse de la génération
qui l'a précédée, elle est moins perméable au discours
dominant sur la fin des utopies ; elle ne porte pas le poids des échecs
passés. À ses yeux, l'horizon ne s'est pas déchiré
en 1990.
Les luttes récentes dans lesquelles se retrouvent de nombreux jeunes
travailleurs rappellent que la jeunesse ne se réduit pas à la
jeunesse scolarisée, encore moins à sa fraction étudiante
; elles illustrent la variété des vecteurs de politisation des
jeunes, et d'abord que ceux-ci ne lui sont pas toujours spécifiques ;
elles confirment que ce qui sépare les différentes couches de
la jeunesse est souvent aussi ou plus important que ce qui les rassemble. Aujourd'hui,
plus encore qu'hier, la responsabilité des révolutionnaires est
de s'adresser à l'ensemble de la jeunesse, comme à l'ensemble
de la classe ouvrière. Cela nécessite une réelle volonté
d'intégrer ce renouveau militant, d'assimiler ces expériences,
dans leurs diversités.
Et là aussi, aucune composante trotskyste ne peut se prévaloir
d'un bilan convaincant. Se mettre au diapason de la jeunesse combative, c'est
d'abord rompre avec l'esprit de chapelle qui justifie des existences séparées
incompréhensibles pour la grande masse des jeunes qui se tourne vers
nous et qui voit dans nos divisions les stigmates d'un passé dont ils
ne sont en rien comptables. Intégrer, dans un programme révolutionnaire,
les aspirations et les revendications de la jeunesse travailleuse, lycéenne
ou étudiante commande de mettre en commun les expériences de chacun.
Faire de la politique autrement impose à tous de proposer une perspective
en rupture avec celle de la période précédente, où
l'essentiel pour les formations trotskystes était de tenir dans une situation
de recul, sinon à vivre dans l'illusion du passé. Etre attractif,
ce n'est pas se plier à l'air du temps et jeter par-dessus bord l'héritage
de nos courants respectifs, c'est au contraire les réunir, les discuter,
pour répondre aux nouvelles tâches qui nous incombent.
L'écho rencontré par les candidats d'extrême gauche à
l'élection présidentielle est le signe d'une aspiration au changement
dans la jeunesse et au-delà. La lutte des Mac Do et le large comité
de soutien qui l'a accompagnée est le signe de cet élan unitaire,
que le " tous ensemble " du grand mouvement de grève de novembre-décembre
1995 annonçait déjà. La diversité des engagements
de la nouvelle génération, l'émiettement parfois de ses
combats, renvoient aussi, pour une part, à l'absence d'un projet, d'une
perspective unifiante et enthousiasmante. Au-delà des divisions que représentent
les candidatures d'Arlette Laguiller, d'Olivier Besancenot et de Daniel Gluckstein
aujourd'hui, les militants de LO, de la LCR et du PT seront amenés à
s'unir, dans les luttes à venir, pour donner au trotskysme une nouvelle
jeunesse !
Serge Godard
(1) " Où en êtes-vous avec la politique ? ", Critique
communiste, n°165, Hiver 2002, p. 44-84.