Débat militant | ||||||||||
Lettre publiée par des militants de la LCR |
n°12
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3
mai 2002
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Sommaire : | ||||||||||
Présidentielle 2002 : les résultats en trompe l'il de Le Pen |
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Les jeunes et les travailleurs ont voté, dans la rue !
Prés de
1,5 million de jeunes et de travailleurs sont descendus dans la rue pour le
Premier mai participant à plus de 400 manifestations.
Le vote de la rue est sans appel, face aux quelques 10 000 personnes que
Le Pen et Jeanne d'Arc ont rassemblées.
Unanimes dans leur élan républicain, les médias trop contentes
elles aussi de se refaire une vertu en jouant le grand acte de la démocratie
ont fait de cette riche diversité de manifestants un flot convergent
vers une seule idée, un seul objectif : sauver la République et
la France de la honte, voter Chirac !
Subjuguées par la grandeur du moment, elles ont non seulement effacé
des manifestations les cortèges d'extrême-gauche mais surtout oublié
de voir le mécontentement social et politique qui s'y exprimait au delà
du rejet de l'extrême-droite.
Certains s'en inquiètent cependant. La Tribune écrit : "
cette manifestation du 1er mai ne sonne donc pas seulement comme un rejet
politique des idéaux néo-fascistes du Front national. Elle a été
aussi l'occasion pour nombre de Français d'exprimer au gouvernement sortant
leur mécontentement, et de brosser le décor social dans lequel
devra travailler la future équipe qui sortira des urnes après
le second tour des législatives, le 16 juin. "
Cette inquiétude des milieux politiques et dirigeants éclaire
le sens du front républicain au nom duquel on voudrait faire taire les
jeunes et les travailleurs.
Voter blanc ou nul, voire s'abstenir, c'est voter Le Pen, tel est le leitmotiv
qui revient dans tout le discours officiel, parfois brutalement, parfois en
filigrane mais omniprésent.
Face à cette pression organisée du monde politique bourgeois,
les militants du mouvement ouvrier, du mouvement social, devraient s'unir pour
refuser de se plier à ce chantage inacceptable qui vise à leur
faire plébisciter une politique qui est hostile à leur classe.
Les révolutionnaires devraient eux aussi s'unir pour répondre
et manifester leur solidarité, combattre les calomnies dont ils sont
l'objet, en particulier Arlette Laguiller.
Les dirigeants des partis politiques qui, depuis vingt ans, ont fait le lit
de l'extrême-droite voudraient tout effacer, gommer leurs responsabilités,
faire du 5 mai une grande opération de blanchiment politique au nom de
l'unité de la nation.
Le réveil sera brutal. Chirac élu s'appuiera sur l'union nationale
que la gauche lui offre pour mener une politique réactionnaire mettant
en application son programme, celui du Medef. Il accomplira son rêve gaullien,
populiste et réactionnaire, drapé dans sa toge de sauveur de la
république. Ridicule certes, mais dangereux.
Quelle politique restera-t-il à cette gauche de capitulation ? Se battre
pour
une nouvelle cohabitation, c'est-à-dire reconduire la politique
dont s'est nourri Le Pen.
Chirac le providentiel réussira-t-il seulement à obtenir une majorité
dans ses propres rangs ? Cette majorité, si elle existe, sans rapport
avec le plébiscite annoncé, sera menacée d'éclatement
sous la pression de l'extrême-droite et surtout des ambitions qui la divisent.
Dans ce cas de figure aussi, l'extrême-droite aura tout loisir d'utiliser
les difficultés de la droite pour se renforcer.
Le vote Chirac conduit à un déplacement de toute la vie politique
à droite au moment même où le monde du travail et la jeunesse
relèvent la tête.
La seule force qui peut enrayer l'évolution en cours, c'est l'intervention
du monde du travail et de la jeunesse sur leur propre terrain, avec leurs propres
armes. C'est cette mobilisation massive qui a provoqué l'effondrement
de Le Pen dont témoigne le fiasco de son meeting de Marseille. Le vote
Chirac vient voler leur victoire aux jeunes et aux travailleurs.
Ceux qui veulent préparer cette contre-offensive sociale et politique
seule capable de faire barrage à Le Pen par delà les échéances
électorales, s'appuient sur cette victoire pour appeler les travailleurs
et les jeunes à résister à la pression pour se donner les
moyens de faire entendre leur propre voix, d'agir pour leurs propres intérêts.
L'enjeu de la bataille n'est pas électorale, il est de vaincre les idées
réactionnaires, nationalistes et chauvines dont la gauche et la droite
nous abreuvent. " Nous sommes tous des enfants d'immigrés ",
ce slogan ne plaît ni à la gauche ni à la droite !
Nous comprenons ceux qui sincèrement ne voient pas d'autre moyen de faire
barrage à Le Pen que de voter Chirac, mais ils ont tort de croire que
ce geste ne se retournera pas contre eux, qu'il ne sera pas utilisé demain,
comme il l'est aujourd'hui, pour faire taire les voix discordantes, c'est-à-dire
les voix de celles et de ceux qui entendront s'opposer à la politique
libérale que mènera le futur gouvernement quel qu'il soit.
Quoiqu'il en soit nous ferons ensemble l'expérience. Elle ouvrira les
yeux, elle affranchira les consciences de ces curieuses dialectiques qui veulent
nous convaincre qu'il est de notre intérêt de voter pour notre
ennemi.
Elle apprendra à la jeunesse ouvrière et intellectuelle à
acquérir son indépendance politique et aux générations
plus âgées à tirer les leçons du passé, pour
que se forge une saine conscience de classe indispensable pour mener à
bien nos mobilisations.
Nous ne nous laisserons pas diviser par les provocations, le terrorisme intellectuel
et moral de ceux qui voudraient nous faire oublier que leur République,
c'est la république de l'argent, de la Bourse, de l'exploitation, des
inégalités et de la misère comme de la guerre.
Passée la mauvaise comédie à laquelle on nous convie dimanche,
nous saurons discuter sur les lieux de travail, les quartiers des réelles
responsabilités, nous saurons en tirer les leçons, nous saurons
discuter des moyens de nous organiser pour préparer notre défense.
L'élection présidentielle est un coup de semonce, un avertissement,
les questions posées sont sérieuses, l'avenir lourd de danger.
Le mouvement ouvrier, le mouvement social, va s'y préparer avec calme
et méthode.
Il est le seul à pouvoir apporter des réponses à l'urgence
sociale et à l'urgence démocratique à laquelle toute la
société est confrontée.
Il formulera et mettra en uvre ses réponses par la lutte et la
démocratie, dans la solidarité, en se donnant sa propre représentation
politique, son propre parti.
Dès dimanche soir, nombreux sont ceux qui souhaitent reprendre le chemin
des manifestations. Nous serons avec eux mais nous n'applaudirons ni ne nous
réjouirons de la victoire d'un ennemi.
Nous dirons non au front républicain, et préparerons le front
uni du monde du travail et de la jeunesse.
Yvan Lemaitre
Présidentielle 2002 : les résultats en trompe l'il de Le Pen
Un " séisme
" pour les uns, une " bombe " pour les autres : les qualificatifs
semblaient manquer aux médias pour décrire les résultats
du premier tour de la présidentielle. À suivre les observateurs
patentés, la présence de Jean-Marie Le Pen au second tour face
à Jacques Chirac occulterait la réalité des résultats
électoraux. Et depuis le 21 avril, télévision, radios,
journaux présentent un pays gangrené par le Front national (FN),
sous la menace du fascisme. Hors du front républicain point de salut
!
L'analyse cède le pas à la panique, une panique orchestrée
et par Chirac et par la gauche plurielle. Mais si séisme il y a, il tient
dans l'effondrement électoral des partis gouvernementaux, de gauche comme
de droite. En réalité, on enregistre au premier tour un effet
extrême-gauche plutôt qu'un effet Le Pen. C'est aussi ce qu'il s'agit
de masquer.
La classe ouvrière n'est pas défaite, atomisée ; mieux,
elle reprend l'offensive. Le dégoût qu'inspire un Le Pen distillant
depuis des semaines sa haine raciste et un populisme nauséabond a été
décuplé par le battage médiatique amplifié par l'égalité
des temps de paroles à la télévision et à la radio.
Le Pen s'est effondré devant sa propre image. Cet effondrement sous la
pression des travailleurs et de la jeunesse est aussi la mise en accusation
de la politique qui a enfanté le monstre.
Comprendre ce qui s'est passé est indispensable pour tirer les leçons
du premier tour et de ces deux semaines afin de nous donner ainsi les meilleures
chances de prévenir les mauvais coups contre les salariés, les
jeunes et les immigrés que les Le Pen et les Chirac préparent.
Revenons aux faits.
Premier tour
: au-delà du résultat, les chiffres
Le 21 avril, 4 804 713 voix se sont portées sur Le Pen, soit un gain
de 234 469 voix par rapport aux présidentielles de 1995 où il
enregistrait une progression de 195 000 voix par rapport au scrutin de 1988.
Partant, Le Pen doit moins sa présence au second tour à un afflux
de suffrages sur son nom qu'au reflux électoral de Lionel Jospin. Comparé
au scrutin de 1995, le candidat socialiste perd 2 299 514 voix. Alors que le
taux d'abstention progresse de plus de six points sur le scrutin présidentiel
précédent, Le Pen consolide ses positions et porte son influence
à 16,86 % au premier tour quand Jospin voit lui son électorat
fondre de 30 % et tombe à 16,18 % des suffrages exprimés. Tout
est là. Et le président sortant peut difficilement pavoiser :
il comptabilise, en 2002, 428 450 voix de moins qu'en 1995.
Si l'on compare l'ensemble des suffrages réunis par les candidats de
la gauche et de la droite parlementaire en 1995 et en 2002, on s'aperçoit
que les premiers perdent 3 millions de voix et les seconds 4 millions - 2,5
millions si on retranche celles de Philippe de Villiers présent en 1995).
Pour prendre la pleine mesure de l'effondrement de la droite et de la gauche,
il est éclairant de confronter les scores additionnés de Le Pen
et de Mégret en 2002 à ceux réalisés par les différents
candidats en 1995 : l'extrême droite reste derrière les trois ténors
des partis gouvernementaux arrivés alors en tête (Jospin, Chirac
et Balladur). Le million de voix gagnées par Le Pen et Mégret
en 2002 n'aurait pas suffit à changer la donne en 1995. Aujourd'hui,
les 234.469 voix supplémentaires de Le Pen suffisent à le placer
au second tour. Il n'y a donc pas de raz-de-marée de l'extrême
droite comme on voudrait nous le faire croire, mais un effet mécanique
sur les pourcentages de la perte par la gauche plurielle et par la droite classique
de plusieurs millions de suffrages au premier tour. La situation présente
n'est pas sans rappeler d'ailleurs celle des régionales de 1998 où,
malgré un recul de 125 000 voix par rapport au même scrutin de
1992, le FN progressait pourtant de 1,3 points et obligeait la droite à
conclure des alliances avec lui pour présider les régions.
L'actuelle consolidation des positions de Jean-Marie Le Pen et de l'extrême
droite n'est d'ailleurs nullement surprenante si l'on s'en tient à l'offre
politique à la droite de la droite parlementaire. Ni de Villiers, ni
Pasqua n'étant en lice, Le Pen apparaissait en quelque sorte comme le
candidat naturel de secteurs de la bourgeoisie et de la petite bourgeoisie désarçonnés
face aux transformations du capitalisme mais aussi de la classe ouvrière
déboussolée par vingt ans de politique antisociale conduite alternativement
par la droite et la gauche. Mégret ne pouvait jouer les trouble-fête
dans une élection aussi personnalisée et dans laquelle Le Pen
et son parti ont toujours réalisé leurs meilleurs scores.
Les révolutionnaires ne peuvent s'étonner de la sanction infligée
aux partis gouvernementaux, même si son ampleur dépasse toutes
leurs prévisions. Ils peuvent d'autant moins s'en inquiéter qu'ils
bénéficient de très bons résultats électoraux
et se trouvent en pointe dans les manifestations anti-FN, augurant de la place
nouvelle qu'ils sont en mesure d'occuper dans les luttes ouvrières.
L'extrême
droite n'a jamais disparu de la scène électorale
La surprise de voir Le Pen au second tour doit beaucoup à l'impression
qui prévalait jusqu'au soir du 21 avril que la scission du FN en décembre
1998 avait fait disparaître la menace de l'extrême droite. La surprise
nourrit la panique. Le danger semble d'autant plus grand qu'on le croyait disparu.
Malheureusement, la scission du Front n'a eu finalement que peu d'influence
sur son électorat. Lors des élections européennes de 1999,
les déchirements entre partisans de Le Pen et de Mégret valurent
à l'extrême droite un sérieux revers puisqu'elle rassemblait
1.576.000 voix soit 9 % des suffrages exprimés (5,7 % pour Le Pen, 3,3
% pour Mégret) contre 2.130.000 voix (11,7 %) en 1989 et 2.050.000 (10,5
%) en 1994. Rapportée à la déperdition du vote Jospin en
2002, la sanction infligée aux Le Pen et Mégret est relative
Elle l'est d'autant plus que l'électorat frontiste se reporte en parti
sur la liste Pasqua-de Villiers qui avec ses 2.295.000 voix totalise 13,1 %
des suffrages exprimés. Pire, aux Européennes, FN et MNR progressent
dans 8 départements métropolitains et dans l'ensemble des DOM-TOM
; ils comptabilisent plus de 10 % des suffrages dans des dizaines de villes
dont 33,7 % des voix à Marignane, 26,89 % à Vitrolles, 22,71 %
à Orange, 17,57 % à Toulon, etc.
Les élections municipales de 2001 ont souligné que FN et Mouvement
national républicain (MNR) faisaient mieux que résister. Présents
dans moins de villes qu'en 1995 faute d'un nombre suffisant de militants pour
constituer des listes, le FN était en lice dans 131 communes de plus
de 10.000 habitants et le MNR dans 161. Les lepénistes obtiennent dans
ces villes en moyenne 6,7 % des suffrages contre 5,1 % pour les mégrétistes.
Les effondrements très médiatisés de Toulon où l'extrême
droite passe de 31 % à 15 %, de Dreux où elle chute de 36 % à
9 % ne peuvent masquer que FN et MNR améliorent leurs résultats
dans les zones où le Front était traditionnellement fort (Bouches-du-Rhône,
Gard, Nord, banlieue parisienne, Alsace, Isère, etc.) mais également
dans des endroits où il n'avait jamais réussi à percer
comme Blois, Niort, Limoges, Clermont-Ferrand ou Angers. Et faut-il le rappeler
: Marignane, Orange et Vitrolles demeurent dans l'escarcelle de l'extrême
droite. Lors des élections cantonales de 2001, où les effets de
la scission pesaient moins, les scores de l'extrême droite sont en progression
: le FN recule de 2,7 points, mais le MNR arrive à 3 % ; ensemble, ils
réunissent 10,1 % des suffrages exprimés contre 9,9 en 1994.
Aux municipales comme aux cantonales, FN et MNR s'affrontent souvent, ils se
heurtent également à la concurrence du RPF de Charles Pasqua qui
laboure sur les terres où le Front prospérait. Atteints par leur
scission, et malgré l'appétit de Pasqua, lepénistes et
mégrétistes conservent l'essentiel de leurs voix. Le Pen et Mégret
peuvent l'un et l'autre compter sur un réseau d'élus et de militants
implantés localement, offrant au FN comme au MNR les moyens de leur survie
politique voire de jeter les bases d'une reconquête. Et le danger est
d'autant moins à négliger que les éléments qui avaient
contribué à la progression du FN et de ses idées n'ont
nullement disparu en décembre 1998 : cinq ans de cohabitation Chirac-Jospin
vont donner à l'extrême droite l'occasion de se développer,
la politique sécuritaire défendue de part et d'autre tout au long
des dernières semaines de campagne confortant encore le discours lepéniste.
Le Pen à
front renversé
Dimanche soir, Jacques Chirac entamera son second mandat de chef d'État,
c'est l'unique certitude. Qui de la droite ou de la gauche gouvernera le pays
au lendemain du 16 juin, personne ne se risque à le prédire. Les
scores de l'extrême droite au premier tour et la présence de Le
Pen au second rendent tout pronostique sur l'issue des prochaines élections
législatives impossibles. Y aura-t-il simplement une majorité
absolue au soir du deuxième tour des législatives ? Les résultats
n'obligeront-ils pas plutôt à en constituer une dans la précipitation
? La polarisation de deux camps à droite - droite parlementaire et l'extrême
droite - annonce un nombre record de triangulaire droite-extrême droite-gauche,
sinon de quadrangulaire avec des candidats révolutionnaires, plus important
encore qu'aux élections régionales de 1998 qui avaient vu la droite
classique multiplier les accords avec le parti de Jean-Marie Le Pen. La droitisation
du discours d'un Chirac invitant à la tribune les artisans des alliances
d'alors avec l'extrême droite, les Millon, Soissons et consort, dessinent
à grands traits les choix du locataire de l'Élysée : soit
il gouvernera seul en reprenant une partie du programme lepéniste ; soit
il nouera alliance avec le FN et le MNR. Au final, ce sont les rapports de force
à l'Assemblée qui en décideront ; en revanche, la politique
à conduire est, elle, déjà arrêtée. L'Autriche,
l'Italie ou le Danemark sont autant d'exemples en Europe pour rappeler que la
collusion droite-extrême droite est non seulement possible mais souhaitable
pour développer un programme de régression sociale ; elle exprime
le mieux, aux yeux de la bourgeoisie, la défense de ses intérêts.
Paradoxalement, Le Pen et le FN se trouve devoir rééditer la politique
d'alliance qui avait valu l'exclusion de Mégret. Cela ne va pas aller
sans poser de problème. Revenir à la scission de décembre
1998 permet de mieux comprendre les contradictions dans lesquelles le succès
de l'extrême droite l'a placé depuis 1983. La lutte à mort
entre Le Pen et Mégret qui a abouti à l'implosion du FN découle
évidemment de l'impossibilité que deux dirigeants revendiquent
le premier rôle dans un parti précisément organisé
autour de la figure du chef. Le conflit entre lepénistes et mégrétistes
dépasse cependant la simple querelle de chefaillons en manque de reconnaissance.
Elle traduit également l'affrontement continuel depuis plusieurs années
entre deux stratégies pour arriver au pouvoir, l'une incarnée
par Le Pen misant sur ses seules forces, l'autre défendue par Mégret
privilégiant les alliances. Plus fondamentalement, la bataille de chiens
de Le Pen et Mégret renvoie à la contradiction existant d'une
part entre le projet constitutif du FN qui était de construire une organisation
de masse autour d'un noyau de militant capable le jour venu de se transformer
en véritable parti fasciste et d'autre part l'inactualité pour
la bourgeoisie de faire appel à l'extrême droite pour défendre
ses intérêts face aux exigences ouvrières. Partant, la crise
du FN s'explique essentiellement par le succès de l'entreprise Le Pen
dans une situation politique n'impliquant pas le recours au fascisme. Par conséquent,
le parti lepéniste est constamment écartelé entre la volonté
de maintenir son objectif initial et le désir de plus en plus fort de
transformer le Front afin d'en faire une force gouvernementale.
Le Pen et le FN se trouve aujourd'hui dans la situation de Fini et du MSI en
Italie dans les années 90, non dans celle de Hitler et du NSDAP dans
les années 30.
Le projet constitutif
du FN en question
Le FN rassemble lors de sa création en octobre 1972 l'essentiel des composantes
de l'extrême droite française. Depuis Mai-68, elles constatent
que leur division en une myriade de groupes différents entrave leur développement.
Le 5 octobre 1972, tout ce que le pays compte de fascistes et de pétainistes
s'unissent au-delà des divergences idéologiques dans une "
fédération nationaliste unitaire ". L'objectif affiché
est explicite : sortir l'extrême droite du ghetto et redonner sa "
juste " place à ses idées. La stratégie définie
pour donner une audience de masse à ce front fasciste est simple : présenter
des candidats aux élections qui défendront un discours raciste
et populiste expurgé de toute référence au fascisme.
Pendant plus de dix ans, les partisans de Le Pen ont maintenu cette politique
avant qu'elle apporte ses premiers résultats. À Dreux, en septembre
1983, la liste conduite par Jean-Pierre Stirbois rassemble au premier tour 16,7
% des électeurs. Le dirigeant du FN a mené tambour battant une
campagne musclée, distillant un discours raciste et sécuritaire,
exigeant même le départ des immigrés de cette ville marquée
par un fort taux de chômage. Au deuxième tour, le RPR et l'UDF
local fusionnent leur liste avec celle du Front ouvrant les portes de la mairie
aux élus lepénistes.
Quelques mois plus tard, les élections européennes confirment
la percée : avec 10,95 % des suffrages exprimés et 2 204 961 voix,
le FN talonne le PCF. Le visage de Le Pen s'impose partout, durablement. Non
seulement le FN conjugue la permanence de scores élevés ce qui
est déjà inédit pour l'extrême droite depuis l'après-guerre,
mais qui plus est le vote lepéniste est important quelle que soit la
nature du scrutin : national ou local. Cette progression ne doit rien au hasard.
Elle prend appui sur les effets désastreux de la politique des deux septennats
de François Mitterrand pendant lesquels PS et PCF s'avèrent incapable
de résoudre la question du chômage et organisent une austérité
généralisée : salaires bloqués et budgets sociaux
rognés. Le FN profite pleinement de la vague raciste et sécuritaire
que fait grossir la politique anti-ouvrière du PS et du PCF. Le PS sème,
le FN récolte.
Les succès additionnés par le FN à partir de 1984 masquent
pourtant un problème auquel le parti de Le Pen se confronte. Avant les
européennes de 1984, le Front ne pose la question du pouvoir qu'en théorie.
Les dirigeants lepénistes comptent arriver au pouvoir seul, à
la faveur d'une victoire de Le Pen à la présidentielle. Les résultats
électoraux ne modifient pas l'orientation du parti. La vieille garde
des fondateurs du FN n'a pas varié sur cette question jusqu'à
nos jours, encore moins Le Pen qui se présente encore aujourd'hui comme
l'ultime " recours " ! Selon lui, la progression du FN vérifie
qu'une accession au pouvoir par ses propres forces est possible.
Cet avis n'est pas partagé par la génération de cadres
qui ont adhéré comme Mégret après les premiers succès.
Arrivés pour beaucoup d'entre eux de formations de la droite classique,
pétries des idées de la Nouvelle droite, à la recherche
d'un parti capable de diffuser leur projet raciste et anti-égalitaire,
les amis de Mégret estiment que l'union est un préalable. À
la différence des lepénistes, ils refusent de rester devant les
marches de l'Assemblée nationale en attendant une hypothétique
victoire de Le Pen à la présidentielle. À leurs yeux, l'essentiel
est de privilégier l'implantation locale du mouvement afin de peser sur
la droite et l'obliger ainsi à conclure des accords de désistements.
En effet, si 35 députés FN s'assoient sur les bancs de l'Assemblée
nationale en 1986 grâce au scrutin proportionnel mis en place par Mitterrand
pour gêner le RPR et l'UDF, en revanche en 1988, 1995 et 1997 le fiasco
est presque total, soulignant l'impasse stratégique dans laquelle s'enferme
le FN d'autant que la proportionnelle pour les Législatives est abandonnée
après 1986.
Reclassement et recomposition de la droite, de l'extrême
droite française mais aussi de la gauche
Chirac et la droite sont devant des choix décisifs. En 1998, l'élection
de cinq présidents de région de droite avec les voix des élus
du FN n'était pas une péripétie sans lendemain de la vie
politique française mais bel et bien la première expression d'une
alliance possible entre droites classique et extrême. Et les tentations
de mettre en uvre une telle politique ne sont pas récentes à
droite. Jean-Claude Gaudin - UDF, aujourd'hui maire de Marseille - avait passé,
en 1992, un " accord technique " avec le FN en Provence-Alpes-Côte
d'Azur. De même, Robert Pandraud (RPR) n'avait pas hésité,
en 1988, à signer une plate-forme électorale avec le FN pour préparer
les municipales. Les rapprochements sont d'ailleurs d'autant moins étonnant
que dans l'après-guerre les gaullistes ont accueilli en leur sein nombre
des cadres de l'extrême droite française, le sauveur de la République
n'ayant jamais hésité à faire parti commun avec les vichystes
et autres collabos de tout poil.
Une majorité absolue de droite en juin limiterait la tentation d'une
alliance parlementaire avec les probables députés FN ou MNR. Elle
placerait à nouveau l'extrême droite en embuscade. La droite repousserait
seulement les échéances. Qui peut imaginer qu'un Premier ministre
appelé par Chirac puisse mettre en uvre le programme de Le Pen
afin de le marginaliser tout en maintenant l'unité de la droite, du RPR
à l'UDF ? Les positions de François Bayrou contre le parti du
président ces derniers jours indiquent jusqu'où les centristes
sont prêts à aller
La victoire de Chirac risque donc d'être
de courte durée en 2002 comme en 1995. Et la prochaine réplique
du séisme du 21 avril pourrait bien annoncer l'émergence au centre
d'un vaste rassemblement liant une partie des amis de Bayrou et les larges secteurs
du Parti socialiste gagnés au blairisme. Le caractère explosif
de la situation tient précisément dans l'absence de toutes solutions
crédibles à court terme.
L'intérêt des travailleurs ne se situe pas sur ce terrain.
Une des principales leçons de 1995, c'est justement la situation de marginalité
dans laquelle l'extrême droite s'est retrouvée dès lors
que la classe ouvrière s'est mise en branle. Pendant le mouvement de
grèves de novembre-décembre, les Le Pen et Mégret étaient
relégués à leur place, dans les poubelles de l'histoire.
Des millions de travailleurs déjà se mobilisaient contre les plans
concoctés par Chirac pour casser le système de protection sociale,
notamment les retraites. À l'évidence, c'est le principal dossier
en attente, c'est sur ce terrain que l'offensive contre les acquis ouvriers
sera lancée. Nous devons entendre l'écho de 1995, sans tarder.
L'heure est au tous ensemble.
Serge Godard