Débat militant | ||||||||||
Lettre publiée par des militants de la LCR |
n°16
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11
juillet 2002
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Sommaire : | ||||||||||
Rupture et unité | ||||||||||
Un pôle de radicalité pour rééquilibrer la gauche ? Une mauvaise solution à un faux problème | ||||||||||
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Logique des tensions impérialistes : engrenages en spirale
Tempête sur
les marchés boursiers, approfondissement et extension de la crise en
Amérique latine, menaces proférées contre Yasser Arafat
par Bush, révélations de la grande presse américaine concernant
les projets d'offensive contre l'Irak, resserrement de l'alliance entre les
Etats-Unis et la Russie lors du récent G8 : ces derniers jours, les tensions
impérialistes à l'uvre sur la scène internationale
ont franchi un nouveau palier.
Neuf mois après le 11 septembre, les contradictions de la domination
impérialiste, dont l'offensive guerrière lancée par les
Etats-Unis immédiatement après les attentats - comme ces attentats
eux-mêmes - étaient déjà les conséquences,
sont portées à un degré d'acuité supérieure.
L'élément déterminant de cette situation est le facteur
économique.
Six mois avant le 11 septembre, en mars 2000, le retournement de conjoncture,
l'éclatement de la bulle spéculative sur les valeurs technologiques,
clôturaient la période d'euphorie boursière, résultat
elle-même de vingt ans d'offensive de la mondialisation capitaliste. La
machine à profit s'est essoufflée, elle n'est plus à même
de satisfaire l'avidité d'une finance parasitaire. La logique de la concentration
du capital par des restructurations accompagnées de millions de licenciements
à travers le monde, a créé à son tour un engrenage
destructeur.
Aujourd'hui, ce
serait un véritable " krach éthique " selon l'expression
d'un journaliste de La Tribune, qui s'est emparé des marchés financiers.
Ils auraient perdu leur vertu... Enron n'a été que le premier
scandale d'une longue série. Les comptes frauduleux, les bilans et chiffres
d'affaires surévalués pour retenir ou attirer les investisseurs
financiers, se révèlent être non pas une exception due à
la malhonnêteté de quelques dirigeants d'entreprises sans scrupules
- comme Bush a vainement essayé de le faire croire lors de son intervention
à Wall Street - mais la règle. Ce ne sont en réalité
que les avatars et l'une des expressions de l'endettement colossal généralisé
qui caractérise l'économie mondiale aujourd'hui.
Il y a une dizaine de jours, le gouvernement fédéral américain
a obtenu du Congrès l'autorisation de relever le montant plafond de la
dette publique, sans quoi il aurait été incapable de faire face
à ses échéances. Ce plafond est désormais de ...
5950 milliards de dollars.
La crise de confiance - confiance indispensable au soutien du crédit
- a atteint de telles proportions que les Etats sont obligés d'intervenir
au mépris de leurs professions de foi libérales. En France, il
a même été question, un moment, de renationaliser France-Telecom.
Mais cette intervention des Etats n'a pour objectif que de soutenir le capital
financier, de tenter d'éviter l'effondrement pour lui permettre de continuer
à parasiter l'économie au détriment de tous ceux qui créent
les richesses. A Wall Street, Bush a prôné de " nouveaux standards
éthiques ", lui qui avait été blanchi par les autorités
de bourse alors qu'il avait vendu, en 1990, pour un million de dollars d'actions
d'un groupe pétrolier avant que leur cours ne plonge après l'annonce
de lourdes pertes. Il a cloué au pilori les patrons fraudeurs, essentiellement
ceux des stars déchues de la nouvelle économie, pour tenter de
ranimer le crédit des trusts qui dominent l'économie américaine
de longue date et qui vont pouvoir faire main basse sur les dépouilles
des entreprises en faillite.
En réalité, les Etats n'ont jamais cessé d'intervenir dans
l'économie. Ces vingt dernières années, ils l'ont fait
pour libéraliser, pour peser dans le sens des exigences de la finance,
pour aider les trusts à baisser le coût du travail, à intensifier
l'exploitation, à accroître leur mainmise sur les économies
des pays pauvres. Leur pillage ne connaît plus de limite.
De nouvelles émeutes ont éclaté en Argentine, brutalement
réprimées par le pouvoir en place. C'est dans ce pays que les
pressions sur la population avaient atteint un point de rupture en décembre
dernier. Elles se sont depuis encore accentuées, comme également
dans les pays voisins où s'est étendue la crise.
Parallèlement, le redéploiement militaire de l'impérialisme
américain, commencé après le 11 septembre, a pris de nouvelles
proportions. La presse a révélé à plusieurs reprises,
ces dernières semaines, les préparatifs d'une offensive contre
l'Irak où les Etats-Unis prévoient d'engager 250 000 soldats.
Ils ont déjà complété l'installation de troupes
et de bases militaires sur un arc qui va de la Turquie aux Philippines. L'alliance
avec la Russie, réaffirmée démonstrativement lors du dernier
G8, a pour objectif, entre autres, d'assurer aux Etats-Unis leurs approvisionnements
en énergie par l'accès aux ressources pétrolières
et gazières de la région de la mer Caspienne. Les Etats-Unis envisagent
en effet de pouvoir se passer du pétrole d'Arabie saoudite. En réclamant
l'éviction du leader palestinien, Yasser Arafat, ils ont fait un pas
de plus dans la guerre contre le peuple palestinien, qui est en fait une guerre
contre l'ensemble des peuples du Proche-Orient.
Les éléments
de cette escalade guerrière sont déjà en place. Le rythme
peut en être accéléré si la crise de confiance qui
sévit actuellement sur les marchés débouchait sur un effondrement
du système financier.
Interrogé par Le Monde sur l'efficacité des mesures que pourraient
prendre les Etats pour enrayer cette crise de confiance, Jean-Marc Salmon, un
sociologue, répond : " A minima, on arrivera à des réformes
techniques mais l'idéologie fondamentale du système ne changera
pas. Cela ne suffira pas car le marché ne peut pas s'autoréguler.
Après une première période libérale qui s'est achevée
avec la crise de 1929, une seconde a commencé au début des années
1980 sous la présidence Reagan. Le mouvement s'est accéléré,
débouchant sur l'ultralibéralisme. Actuellement, nous sommes à
un nouveau tournant. "
Ce qu'il y a de nouveau ces dernières années, qui n'était
qu'ébauché dans la période précédant 1929,
cet ultra-libéralisme, c'est un libéralisme impérialiste,
un impérialisme de libre-concurrence, une lutte acharnée entre
les trusts pour se partager les sources de profit sur toute la surface du globe.
D'une certaine manière, le krach actuel est plus brutal que celui de
1929. Plus de 2700 milliards de dollars, l'équivalent de deux fois l'ensemble
de la richesse d'un pays comme la France, se sont déjà volatilisés
depuis le début de l'année. Mais en 1929, le krach boursier avait
entraîné presque immédiatement une récession brutale
de l'économie mondiale. Celle-ci a depuis gagné considérablement
en étendue, en profondeur et en diversité, augmentant d'autant
les sources de profit tirées du travail productif que peut parasiter
le capital financier.
Mais tout est possible. Personne ne peut savoir si les Etats seront capables
d'enrayer l'engrenage actuel qui peut conduire à l'effondrement du système
du crédit, à l'asphyxie complète de l'économie mondiale
et à une récession sans précédent. La seule chose
qu'on puisse dire aujourd'hui, c'est que l'intervention de Bush à Wall
Street n'a pas stoppé la chute des cours.
Quoi qu'il en soit, les trusts et leurs Etats sont incapables d'une solution
autre que celle qui consiste à augmenter leur pression sur les peuples
et les travailleurs, intensifier l'exploitation, créant ainsi les conditions
de nouvelles crises plus dramatiques. Comme le dit JP Salmon, " le marché
ne peut pas s'autoréguler ". Non pas à cause d'une idéologie,
mais à cause de ses contradictions mêmes, celles qui opposent la
socialisation de la production à l'appropriation privée.
Il n'y a aucune solution positive à cette situation de crise et de chaos
qui puisse venir des classes dirigeantes, de leurs Etats. Leurs remèdes,
au contraire, ne font qu'engendrer de nouvelles catastrophes. Il n'y a pas de
réforme possible.
La seule politique économique répondant aux besoins humains, c'est
la lutte des travailleurs et des peuples pour leurs droits contre la propriété
financière.
Galia Trépère
Le séisme
politique a fait place à une dépression comme si les cerveaux
n'arrivaient pas à saisir le nouveau paysage politique, les nouvelles
lignes de rupture et de regroupement que masque la vague bleue. L'onde de choc
du séisme n'est cependant pas épuisée, sous l'apparente
uniformité, les ruptures se poursuivent, accompagnées, à
l'opposé, de la lente agrégation d'une nouvelle force.
La dérive des partis de la gauche gouvernementale vers le social-libéralisme
au moment où l'opinion de larges fractions du monde du travail se déplaçait
à l'opposé, à gauche, a provoqué l'effondrement
de ces partis et l'émergence, malgré un abstentionnisme massif
et les divisions d'une extrême-gauche à plus de 10 % des suffrages.
Le déplacement à gauche n'a pas été assez fort pour
provoquer l'effritement de l'extrême droite. Celle-ci a même réussi
à renforcer ses positions, tirant parti essentiellement de l'affaiblissement
de la droite de cohabitation. Ces brusques et rapides mouvements contradictoires
ont provoqué le choc de la présence de Le Pen au second tour de
l'élection présidentielle. Ce contrecoup lui-même a entraîné
un redéplacement à droite. Les vieux partis de la droite ont occupé
le terrain que la gauche sociale-libérale leur avait laissé libre
et préparé, le recouvrant de leur vague bleue
A l'opposé, le pôle d'extrême-gauche encore trop faible s'affaissait.
Ainsi s'est dessiné, le nouveau paysage politique, instable. Les forces
profondes qui travaillent l'opinion sont toujours à l'uvre.
Les effets de l'effondrement de la gauche gouvernementale ne sont pas achevés,
l'onde de choc se prolonge. La bataille des chefs s'accentue au PS. Les anciens
staliniens découvrent les charmes des luttes de pouvoir en toute
démocratie alors que Dominique Voynet prépare son départ,
laissant les Verts en pleine déprime
Changer la politique, disaient-ils !
La vague bleue savoure, elle, sa victoire. L'imposture a le triomphe modeste,
soucieuse de se refaire une vertu en se votant l'amnistie et l'immunité.
Le sourire de la modestie masque mal l'arrogance agressive de ce monde de bourgeois
qui entendent bien utiliser au mieux l'avantage que la gauche faillie leur a
offert. Et, pour eux, pour leurs profits, il y a urgence.
Tout se met rapidement en place sur fond d'annonces de nouveaux plans sociaux.
" Enrichissez-vous ! " dit, modestement, Raffarin aux siens. Rien
pour les pauvres, rien pour le Smic, tout pour les riches. Les promesses seront
tenues, les réductions d'impôts pour les riches et les plus aisés
auront lieu. Les exonérations de charges sociales aussi.
La machine à creuser les inégalités monte en puissance.
Les salariés et les chômeurs paieront pour que le patronat et les
privilégiés - le " moteur de l'économie ", selon
Raffarin et les siens - reprennent confiance en eux à l'idée de
nouveaux gains.
L'audit sur les finances publiques est venu sonner la charge contre les services
publics. Pour les puissances financières que sert Raffarin, une seule
issue, privatiser et faire des économies sur les salaires.
La logique aveugle de régression sociale accélère sa marche.
A l'opposé, elle nourrit un profond mouvement de révolte, un besoin
de lutter, de résister.
Pour des millions de salariés, de chômeurs, de jeunes et de femmes,
il n'y a plus d'autre horizon que de résister, se défendre. La
logique financière a provoqué le krach des marchands d'illusions,
ces spéculateurs de la politique.
Leur krach ouvre les yeux de millions de travailleurs qui redécouvrent
la loi de la valeur de Marx : c'est le travail humain, et lui seul, qui crée
la richesse. Eux-mêmes sont la classe du progrès, de la démocratie.
Le 21 avril résonne comme un avertissement. Le social-libéralisme
a fait le terrain du populisme de droite mais, derrière lui, se profile
le populisme d'extrême-droite.
Le nouveau parti d'extrême-gauche qui a émergé au premier
tour de la Présidentielle n'est pas défait, loin de là.
Il prend la mesure des enjeux, de ses faiblesses, fait l'état des forces,
discute, se prépare à la suite.
Un profond mouvement est engagé, unir, regrouper les forces, les organiser
pour préparer une riposte du monde du travail.
Novembre- décembre 1995 a été une première répétition.
Depuis, les forces ont mûri, les problèmes se sont aggravés.
Le mouvement en gestation sera plus radical, plus profond, plus déterminé.
Le préparer est la préoccupation de tous les militants syndicaux,
associatifs, politiques, du mouvement ouvrier.
Nous en avons défendu la nécessité au cours des campagnes
électorales passées ainsi que Lutte ouvrière.
Ne pas associer aujourd'hui nos forces pour aider, dans le mesure de nos moyens,
les travailleurs à répondre aux nouvelles attaques dont ils sont
les cibles apparaîtrait comme une dérobade.
L'unité de l'extrême-gauche loin d'être caduque est un des
éléments du regroupement des forces du monde du travail.
Notre organisation pensait qu'il aurait été de l'intérêt
de l'ensemble du mouvement révolutionnaire qu'Arlette Laguiller soit
la candidate unitaire de l'extrême-gauche. Lutte ouvrière a eu
une appréciation différente. Nous pensions aussi qu'il aurait
été juste que nous nous entendions pour les élections législatives
sur un accord de répartition. Présenter un front uni des deux
organisations nous semblait la seule politique susceptible de nous permettre
de résister aux pressions qu'exercerait sur notre électorat la
situation créée par la présence de Le Pen au second tour
de la Présidentielle. Là encore, Lutte ouvrière en a jugé
différemment.
La nouvelle situation politique renvoie ces divergences au passé. Nous
sommes aujourd'hui confrontées à la même nécessité
de répondre aux besoins qui se sont exprimés par le vote pour
les candidats d'extrême gauche à l'élection présidentielle.
Ces trois millions de voix qu'elles se soient portées sur Arlette Laguiller,
Olivier Besancenot ou, secondairement, sur Daniel Gluckstein, expriment la même
condamnation de la gauche sociale-libérale, la volonté d'une autre
politique favorable aux intérêts du monde du travail, une approbation
des mesures d'urgence que nous avons les uns et les autres défendues.
Au moment où leur échec comme leur adaptation à la politique
de la bourgeoisie dans le cadre de la mondialisation capitaliste provoque une
crise au sein des partis de la gauche plurielle, et en particulier où
la politique de la direction du PC aboutit à la liquidation de leur propre
parti, nos deux organisations sont devant des tâches inédites.
Se pose à nous la question de comment oeuvrer à l'émergence
d'une nouvelle force politique, d'un nouveau parti des travailleurs. C'est ce
dont il faut débattre.
Les évolutions des consciences, les ruptures avec la politique des partis
réformistes qui s'étaient déjà exprimées
en 1995 par le vote pour Arlette Laguiller comme, à un autre niveau,
par le mouvement de novembre-décembre ont mûri. La perspective
d'un parti des travailleurs prend un contenu plus concret.
Notre organisation a au regard de la nouvelle situation politique et sociale
de nouvelles responsabilités. Nous avons les moyens d'agir contre le
sectarisme en prenant les initiatives nécessaires pour discuter des bilans
mais aussi et surtout des perspectives. Rompre avec les routines du passé,
avec les raisonnements qui justifient le sectarisme, est un objectif militant
pour chacun. Il ne relève pas de l'accusation ou de la mise en cause
du sectarisme des autres, mais de notre capacité à prendre la
mesure des transformations dont les révolutionnaires eux-mêmes
sont l'objet. Loin de les craindre, ils les souhaitent...
A partir des initiatives de chacun, de leur multiplicité, de leur convergence,
se créent les conditions de relations démocratiques, moyen et
condition de l'unité, du regroupement des forces.
Yvan Lemaitre
Un pôle de radicalité pour rééquilibrer la gauche ? Une mauvaise solution à un faux problème
Les refondateurs
du PCF n'en démordent pas : " Il doit se passer quelque chose au
Parti communiste (1) ". Au lendemain du 21 avril, leurs chefs de file constatent
le désaveu de " la stratégie de la "gauche plurielle"
" et appellent au rassemblement " de toutes celles et de tous ceux
qui sont attachés à une alternative vraie au libéralisme
". Roger Martelli et Patrick Braouzec, auxquels s'ajoutent désormais
d'anciens " marchaisiens " comme Pierre Zarka ou " huistes "
comme Michel Deschamps, font de la " construction d'une force communiste
du XXIe siècle " l'enjeu de la période à venir. À
leurs yeux, le PCF doit non seulement s'ouvrir, mais se dépasser. L'heure
est à des " états généraux du communisme "
où l'extrême gauche serait pleinement associée. Le Parti
communiste doit s'effacer derrière la force communiste. Sa survie en
dépend. Et le temps presse.
Les 26 et 27 juin derniers, lors de la réunion de la conférence
nationale du PCF chargée de définir les perspectives du PCF après
la déroute de la Présidentielles et des Législatives, les
refondateurs ont fait entendre leur différence, et fait l'unanimité
contre eux. De Robert Hue à Georges Hage, les partisans de la "
mutation " du parti comme ceux du retour à l' " orthodoxie
" se sont succédé à la tribune pour faire valoir le
besoin d'un congrès du parti et rejeter des états généraux
qui priveraient les militants communistes d'un débat démocratique.
La conférence nationale conforte l'idée des refondateurs
Il se passe bel et bien quelque chose au Parti communiste !
À la différence des diverses fractions qui composent aujourd'hui
le PCF, les refondateurs misent sur le mouvement social et l'apport de l'extrême
gauche. Un courant se détache-t-il pour autant du Parti communiste, rompant
avec la politique conduite jusqu'alors par Robert Hue et avant lui par Georges
Marchais, Waldeck Rochet et Maurice Thorez ? C'est moins sûr. Il suffit
qu'un proche de Marie-Georges Buffet évoque l'idée d'une "
convergence des forces antilibérales " se distinguant de celle des
refondateurs sur le besoin d'un débat préalable au sein du PCF
pour que Roger Martelli s'enflamme : " Si cela se vérifie, commente
le théoricien du pôle de radicalité, cela voudrait dire
que la seule différence entre nous et Mme Buffet est une question de
timing. "
Au-delà des querelles d'appareils sur le calendrier, les convergences
entre les projets défendus par Hue, Buffet et Martelli l'emportent. Le
congrès de Martigues en mars 2000 avait souligné leur proximité
sur la " nouvelle force communiste ". Les prises de position actuelles
des refondateurs ne peuvent duper personne sur leur intention.
Remettre sur
pied une gauche déséquilibrée par la percée de l'extrême
gauche ?
Roger Martelli exprime avec le plus de netteté l'orientation des refondateurs
(2). La stratégie " cohérente " qu'il revendique repose
sur " trois dimensions inséparables : pas de changement sans majorité
et donc sans mouvement populaire dynamique et sans gauche rassemblée
; pas de changement sans gauche rééquilibrée, et donc sans
convergence de toutes les forces d'alternative ; pas de gauche transformatrice
sans communisme actif et donc sans communisme refondé. " Autrement
dit, les refondateurs cherchent à renouer une alliance avec les socialistes
mais en meilleure position qu'en 1997, 1981 ou 1972. Ni plus, ni moins.
" Rééquilibrer la gauche, c'est créer les conditions
pour que la gauche tout entière retrouve l'allant de la transformation
sociale ", explique Martelli. Le raisonnement est limpide et cynique :
" c'est la gauche tout entière qui doit être rassemblée,
et pas seulement celle de la " gauche plurielle " sinon on laisse
" le champ libre à une radicalité courte, purement contestataire
" ; et cela est d'autant plus dommageable que la base électorale
du PCF est la première à en pâtir. Le calcul est rapide.
" En 1995, le PS faisait 23 %, tandis que le total du PC, des Verts et
de l'extrême gauche en faisait un peu plus de 17 %. En 2002, le PS fait
moins de 16 % et les autres près de 20 % ", note plein d'appétit
Martelli. Le rééquilibrage à gauche existe virtuellement
; il suffit de réaliser l'unité de la gauche de la gauche. Et,
le PCF étant la principale formation à la gauche du PS, il lui
revient le rôle de rassembler autour d'elle la gauche radicale.
Recycler les voix de l'extrême gauche dans une gauche plurielle rééquilibrée
? C'est ne pas comprendre le ressort de la percée du vote Laguiller en
1995, et confirmée depuis, élection après élection,
par les résultats de l'ensemble des révolutionnaires. L'érosion
puis l'effondrement des positions du PCF découlent des combinaisons d'appareils
scellées sur le dos des travailleurs ; et si elle s'y prêtait,
l'extrême gauche subirait le même sort que le Parti communiste.
Ce qui est en jeu, c'est une politique alternative, c'est la rupture avec le
réformisme qui borne son horizon au capitalisme. Rééquilibrer
la gauche ne concerne nullement celles et ceux dont la fin de toute forme d'exploitation
et d'oppression est la raison d'être.
L'ensemble de la réflexion de Martelli est tendue par la question du
pouvoir, mais son exercice non sa conquête, bien entendu. Le communisme
n'est donc plus qu'une simple " visée ", à la manière
des conceptions réformistes classiques. But et moyens sont complètements
séparés, permettant ainsi la cohabitation de théorisations
abstraites sur " un communisme du XXIe siècle " et d'une gestion
loyale du capitalisme autrement plus concrète. Le rôle du pôle
de radicalité se trouve par conséquent ramené à
peu de chose : il n'a d'autre vocation que d'assurer au mieux les intérêts
de courants en perte de vitesse face aux prétentions hégémoniques
des sociaux-libéraux ; oubliées les prétentions des réformistes
du début du siècle !
Favoriser une
convergence antilibérale plutôt qu'un pôle révolutionnaire
?
Martelli se garde bien de qualifier la politique mise en uvre par la gauche
plurielle que les députés communistes et Verts ont contribué
à mettre en place. Ni responsable, ni coupable, plaide-t-il. Martelli
évoque " deux décennies de domination néolibérale
", cette gauche " qui, depuis le début des années 1980,
est dominée sans partage par le Parti socialiste. " Et le PCF ?
Et les Verts ? Ils ont partagé le pouvoir avec le PS pendant une législature
entière, laissant à peu près tout passer. Les députés
refondateurs comme Braouzec ont tout voté, texte après texte.
Faire entièrement reposer l'échec de la gauche plurielle sur les
socialistes vise à exonérer les autres composantes de tout bilan
; cela ne résiste pas à l'épreuve des faits. Qu'ils le
veuillent ou non : PCF et Verts participent de la faillite de la gauche gouvernementale
; ils ne sont pas de simples spectateurs découvrant vingt années
de politique antisociale ; ils en sont les acteurs, les artisans au même
titre que les socialistes. Le reconnaître est le minimum !
Convergence antilibérale ? Ces cinq dernières années ont
plutôt souligné les convergences libérales du PS, du PCF
et des Verts. Martelli affiche sa sympathie pour la LCR, mais sans vouloir se
rendre compte que nos bilans, que nos combats s'opposent. L'insistance sur l'antilibéralisme
comme ligne de partage le démontre. Elle masque le clivage qui nous sépare
: réforme ou révolution ? Le théoricien refondateur perçoit
pourtant l'opposition entre " la gauche 'protestataire' qui répugne
à s'impliquer dans les institutions et celle qui veut s'y inscrire pour
en subvertir le fonctionnement ", Braouzec résumant " nous,
on ne refuse pas de mettre les mains dans le cambouis, de prendre nos responsabilités.
" On l'a vu, effectivement. Contrairement aux moqueries des refondateurs,
la gauche révolutionnaire ne s'enferme nullement dans une posture "
protestataire " ; elle porte un programme positif de transformation sociale.
Nous ne croyons seulement pas au dépassement du capitalisme, graduellement.
" Moi, qui suis communiste, prétend Martelli, je suis persuadé
qu'un Parti communiste refondé renouerait avec la meilleure part de son
histoire et retrouverait toute son utilité politique en se plaçant
résolument dans cette perspective. " Cela résume notre désaccord
fondamental. Les refondateurs rêvent d'un PCF mythique, défendant
les intérêts ouvriers en 1936, en 1968, etc. Pas nous. Martelli
est prisonnier d'une politique, d'une tradition, d'un projet qui malgré
ces prétentions et l'activité de nombreux militants sincères
a enfermé les luttes de la classe ouvrière dans le cadre du capitalisme,
justifiant à chaque fois le caractère inopportun d'abattre le
capitalisme. Martelli ne peut concevoir autre chose.
L'antilibéralisme est le nouveau credo d'un réformisme sans réforme.
Il renferme l'illusion qu'un autre cours serait possible sans rupture révolutionnaire,
illusion compréhensible il y a cent ans, pas après un court XXe
siècle où domine l'adaptation des réformistes au système
qu'ils comptaient " subvertir ". C'est une toute autre perspective
qu'il faut tracer.
Militer pour
une nouvelle force anticapitaliste, révolutionnaire !
L'orientation des Martelli et Braouzec n'est certes pas neuve. Les refondateurs
expriment finalement, après les " rénovateurs " et autres
" reconstructeurs " des années 80, la tentation pour une partie
de l'appareil du PCF de rompre les amarres et de tenter l'aventure avant qu'il
ne soit trop tard. Ce qui frappe justement, c'est cette incapacité à
se dégager du réformisme, à tirer les leçons des
échecs antérieurs. Les trajectoires du rénovateur Pierre
Juquin et du refondateur Charles Fiterman, les deux étoiles filantes
de la contestation à la direction Marchais, l'attestent suffisamment
: leur rupture avec le PCF les a conduit tout droit au PS.
Et le constat s'impose bien au-delà des dissidences communistes. Aucun
courant ne se détache aujourd'hui des partis gouvernementaux sur la gauche.
L'écart est saisissant entre le constat de faillite de la gauche plurielle
et la modération des critiques émises par les différentes
oppositions internes du PCF, du PS et des Verts. Ces prétendues ailes
gauches proposent ni plus ni moins de refaire ce qui a été défait
à la Présidentielle et aux Législatives, ne pouvant, il
est vrai, facilement rejeter une politique que, pour certains, ils ont approuvée
par leur vote à l'Assemblée nationale. Quelle convergence envisager
avec des secteurs issus de la gauche gouvernementale qui n'osent même
pas se démarquer de la politique de leur parti au pouvoir quasiment depuis
vingt ans, sinon un ralliement pur et simple aux positions du réformisme
?
Notre organisation a une autre ambition que de servir de marche-pied à
un projet réformiste relooké, radicalisé. L'alternative
à la faillite de la gauche plurielle se trouve dans le regain de combativité
manifeste depuis novembre-décembre 1995, dans les luttes ouvrières
et de la jeunesse. Le crédit politique de l'extrême gauche explique
ses scores électoraux, le grossissement de ses rangs. C'est un gage important
pour l'avenir. Cela assigne à la LCR comme à l'ensemble des autres
composantes de la gauche révolutionnaire des responsabilités nouvelles,
en premier lieu celle de concrétiser le projet d'un parti ouvrier, populaire
et de masse.
Une force nouvelle ne se décrète pas. Elle ne peut résulter
de la seule addition des rangs révolutionnaires, même des composantes
trotskystes, anarcho-syndicalistes, communistes libertaires ou libertaires auxquels
se joindraient des militants rompant avec le réformisme. L'émergence
d'un parti des travailleurs sera évidemment conditionnée par la
capacité du mouvement révolutionnaire à se dépasser,
à rejeter l'esprit de courant minoritaire que des décennies de
marginalité a nourri ; la création d'une organisation défendant
jusqu'au bout les intérêts ouvriers sera essentiellement tributaire
de la lutte de classe, les combats à venir posant la question d'un parti
indépendant de la bourgeoisie et apportant les moyens de sa concrétisation.
Les forums que la LCR proposent à la rentrée sont une étape,
un premier pas. Assurer leur réussite est une tâche essentielle.
Le but n'est rien, sans le mouvement qui le porte.
Serge Godard
(1) C'est le sous-titre
de leur appel " Pour un communisme du XXIe siècle ". Il est
en ligne : <http://www.perif.com/>.
(2) Voir sa contribution parue en avril dernier dans L'Humanité. À
la différence de celle publiée dans Le Monde le 14 juin, on peut
la lire en ligne : <http://www.humanite.presse.fr/journal/2002/2002-04/2002-04-27/2002-04-27-033.html>