Débat militant
Lettre publiée par des militants de la LCR
n°16
11 juillet 2002

Sommaire :

Logique des tensions impérialistes : engrenages en spirale

Rupture et… unité
Un pôle de radicalité pour rééquilibrer la gauche ? Une mauvaise solution à un faux problème

Logique des tensions impérialistes : engrenages en spirale

Tempête sur les marchés boursiers, approfondissement et extension de la crise en Amérique latine, menaces proférées contre Yasser Arafat par Bush, révélations de la grande presse américaine concernant les projets d'offensive contre l'Irak, resserrement de l'alliance entre les Etats-Unis et la Russie lors du récent G8 : ces derniers jours, les tensions impérialistes à l'œuvre sur la scène internationale ont franchi un nouveau palier.
Neuf mois après le 11 septembre, les contradictions de la domination impérialiste, dont l'offensive guerrière lancée par les Etats-Unis immédiatement après les attentats - comme ces attentats eux-mêmes - étaient déjà les conséquences, sont portées à un degré d'acuité supérieure.
L'élément déterminant de cette situation est le facteur économique.
Six mois avant le 11 septembre, en mars 2000, le retournement de conjoncture, l'éclatement de la bulle spéculative sur les valeurs technologiques, clôturaient la période d'euphorie boursière, résultat elle-même de vingt ans d'offensive de la mondialisation capitaliste. La machine à profit s'est essoufflée, elle n'est plus à même de satisfaire l'avidité d'une finance parasitaire. La logique de la concentration du capital par des restructurations accompagnées de millions de licenciements à travers le monde, a créé à son tour un engrenage destructeur.

Aujourd'hui, ce serait un véritable " krach éthique " selon l'expression d'un journaliste de La Tribune, qui s'est emparé des marchés financiers. Ils auraient perdu leur vertu... Enron n'a été que le premier scandale d'une longue série. Les comptes frauduleux, les bilans et chiffres d'affaires surévalués pour retenir ou attirer les investisseurs financiers, se révèlent être non pas une exception due à la malhonnêteté de quelques dirigeants d'entreprises sans scrupules - comme Bush a vainement essayé de le faire croire lors de son intervention à Wall Street - mais la règle. Ce ne sont en réalité que les avatars et l'une des expressions de l'endettement colossal généralisé qui caractérise l'économie mondiale aujourd'hui.
Il y a une dizaine de jours, le gouvernement fédéral américain a obtenu du Congrès l'autorisation de relever le montant plafond de la dette publique, sans quoi il aurait été incapable de faire face à ses échéances. Ce plafond est désormais de ... 5950 milliards de dollars.
La crise de confiance - confiance indispensable au soutien du crédit - a atteint de telles proportions que les Etats sont obligés d'intervenir au mépris de leurs professions de foi libérales. En France, il a même été question, un moment, de renationaliser France-Telecom. Mais cette intervention des Etats n'a pour objectif que de soutenir le capital financier, de tenter d'éviter l'effondrement pour lui permettre de continuer à parasiter l'économie au détriment de tous ceux qui créent les richesses. A Wall Street, Bush a prôné de " nouveaux standards éthiques ", lui qui avait été blanchi par les autorités de bourse alors qu'il avait vendu, en 1990, pour un million de dollars d'actions d'un groupe pétrolier avant que leur cours ne plonge après l'annonce de lourdes pertes. Il a cloué au pilori les patrons fraudeurs, essentiellement ceux des stars déchues de la nouvelle économie, pour tenter de ranimer le crédit des trusts qui dominent l'économie américaine de longue date et qui vont pouvoir faire main basse sur les dépouilles des entreprises en faillite.
En réalité, les Etats n'ont jamais cessé d'intervenir dans l'économie. Ces vingt dernières années, ils l'ont fait pour libéraliser, pour peser dans le sens des exigences de la finance, pour aider les trusts à baisser le coût du travail, à intensifier l'exploitation, à accroître leur mainmise sur les économies des pays pauvres. Leur pillage ne connaît plus de limite.
De nouvelles émeutes ont éclaté en Argentine, brutalement réprimées par le pouvoir en place. C'est dans ce pays que les pressions sur la population avaient atteint un point de rupture en décembre dernier. Elles se sont depuis encore accentuées, comme également dans les pays voisins où s'est étendue la crise.
Parallèlement, le redéploiement militaire de l'impérialisme américain, commencé après le 11 septembre, a pris de nouvelles proportions. La presse a révélé à plusieurs reprises, ces dernières semaines, les préparatifs d'une offensive contre l'Irak où les Etats-Unis prévoient d'engager 250 000 soldats. Ils ont déjà complété l'installation de troupes et de bases militaires sur un arc qui va de la Turquie aux Philippines. L'alliance avec la Russie, réaffirmée démonstrativement lors du dernier G8, a pour objectif, entre autres, d'assurer aux Etats-Unis leurs approvisionnements en énergie par l'accès aux ressources pétrolières et gazières de la région de la mer Caspienne. Les Etats-Unis envisagent en effet de pouvoir se passer du pétrole d'Arabie saoudite. En réclamant l'éviction du leader palestinien, Yasser Arafat, ils ont fait un pas de plus dans la guerre contre le peuple palestinien, qui est en fait une guerre contre l'ensemble des peuples du Proche-Orient.

Les éléments de cette escalade guerrière sont déjà en place. Le rythme peut en être accéléré si la crise de confiance qui sévit actuellement sur les marchés débouchait sur un effondrement du système financier.
Interrogé par Le Monde sur l'efficacité des mesures que pourraient prendre les Etats pour enrayer cette crise de confiance, Jean-Marc Salmon, un sociologue, répond : " A minima, on arrivera à des réformes techniques mais l'idéologie fondamentale du système ne changera pas. Cela ne suffira pas car le marché ne peut pas s'autoréguler. Après une première période libérale qui s'est achevée avec la crise de 1929, une seconde a commencé au début des années 1980 sous la présidence Reagan. Le mouvement s'est accéléré, débouchant sur l'ultralibéralisme. Actuellement, nous sommes à un nouveau tournant. "
Ce qu'il y a de nouveau ces dernières années, qui n'était qu'ébauché dans la période précédant 1929, cet ultra-libéralisme, c'est un libéralisme impérialiste, un impérialisme de libre-concurrence, une lutte acharnée entre les trusts pour se partager les sources de profit sur toute la surface du globe.
D'une certaine manière, le krach actuel est plus brutal que celui de 1929. Plus de 2700 milliards de dollars, l'équivalent de deux fois l'ensemble de la richesse d'un pays comme la France, se sont déjà volatilisés depuis le début de l'année. Mais en 1929, le krach boursier avait entraîné presque immédiatement une récession brutale de l'économie mondiale. Celle-ci a depuis gagné considérablement en étendue, en profondeur et en diversité, augmentant d'autant les sources de profit tirées du travail productif que peut parasiter le capital financier.
Mais tout est possible. Personne ne peut savoir si les Etats seront capables d'enrayer l'engrenage actuel qui peut conduire à l'effondrement du système du crédit, à l'asphyxie complète de l'économie mondiale et à une récession sans précédent. La seule chose qu'on puisse dire aujourd'hui, c'est que l'intervention de Bush à Wall Street n'a pas stoppé la chute des cours.
Quoi qu'il en soit, les trusts et leurs Etats sont incapables d'une solution autre que celle qui consiste à augmenter leur pression sur les peuples et les travailleurs, intensifier l'exploitation, créant ainsi les conditions de nouvelles crises plus dramatiques. Comme le dit JP Salmon, " le marché ne peut pas s'autoréguler ". Non pas à cause d'une idéologie, mais à cause de ses contradictions mêmes, celles qui opposent la socialisation de la production à l'appropriation privée.
Il n'y a aucune solution positive à cette situation de crise et de chaos qui puisse venir des classes dirigeantes, de leurs Etats. Leurs remèdes, au contraire, ne font qu'engendrer de nouvelles catastrophes. Il n'y a pas de réforme possible.
La seule politique économique répondant aux besoins humains, c'est la lutte des travailleurs et des peuples pour leurs droits contre la propriété financière.
Galia Trépère


Rupture et… unité

Le séisme politique a fait place à une dépression comme si les cerveaux n'arrivaient pas à saisir le nouveau paysage politique, les nouvelles lignes de rupture et de regroupement que masque la vague bleue. L'onde de choc du séisme n'est cependant pas épuisée, sous l'apparente uniformité, les ruptures se poursuivent, accompagnées, à l'opposé, de la lente agrégation d'une nouvelle force.
La dérive des partis de la gauche gouvernementale vers le social-libéralisme au moment où l'opinion de larges fractions du monde du travail se déplaçait à l'opposé, à gauche, a provoqué l'effondrement de ces partis et l'émergence, malgré un abstentionnisme massif et les divisions d'une extrême-gauche à plus de 10 % des suffrages.
Le déplacement à gauche n'a pas été assez fort pour provoquer l'effritement de l'extrême droite. Celle-ci a même réussi à renforcer ses positions, tirant parti essentiellement de l'affaiblissement de la droite de cohabitation. Ces brusques et rapides mouvements contradictoires ont provoqué le choc de la présence de Le Pen au second tour de l'élection présidentielle. Ce contrecoup lui-même a entraîné un redéplacement à droite. Les vieux partis de la droite ont occupé le terrain que la gauche sociale-libérale leur avait laissé libre et préparé, le recouvrant de leur vague bleue…
A l'opposé, le pôle d'extrême-gauche encore trop faible s'affaissait.
Ainsi s'est dessiné, le nouveau paysage politique, instable. Les forces profondes qui travaillent l'opinion sont toujours à l'œuvre.
Les effets de l'effondrement de la gauche gouvernementale ne sont pas achevés, l'onde de choc se prolonge. La bataille des chefs s'accentue au PS. Les anciens staliniens découvrent les charmes des luttes de pouvoir en toute… démocratie alors que Dominique Voynet prépare son départ, laissant les Verts en pleine déprime…
Changer la politique, disaient-ils !
La vague bleue savoure, elle, sa victoire. L'imposture a le triomphe modeste, soucieuse de se refaire une vertu en se votant l'amnistie et l'immunité. Le sourire de la modestie masque mal l'arrogance agressive de ce monde de bourgeois qui entendent bien utiliser au mieux l'avantage que la gauche faillie leur a offert. Et, pour eux, pour leurs profits, il y a urgence.
Tout se met rapidement en place sur fond d'annonces de nouveaux plans sociaux.
" Enrichissez-vous ! " dit, modestement, Raffarin aux siens. Rien pour les pauvres, rien pour le Smic, tout pour les riches. Les promesses seront tenues, les réductions d'impôts pour les riches et les plus aisés auront lieu. Les exonérations de charges sociales aussi.
La machine à creuser les inégalités monte en puissance. Les salariés et les chômeurs paieront pour que le patronat et les privilégiés - le " moteur de l'économie ", selon Raffarin et les siens - reprennent confiance en eux à l'idée de nouveaux gains.
L'audit sur les finances publiques est venu sonner la charge contre les services publics. Pour les puissances financières que sert Raffarin, une seule issue, privatiser et faire des économies sur les salaires.
La logique aveugle de régression sociale accélère sa marche. A l'opposé, elle nourrit un profond mouvement de révolte, un besoin de lutter, de résister.
Pour des millions de salariés, de chômeurs, de jeunes et de femmes, il n'y a plus d'autre horizon que de résister, se défendre. La logique financière a provoqué le krach des marchands d'illusions, ces spéculateurs de la politique.
Leur krach ouvre les yeux de millions de travailleurs qui redécouvrent la loi de la valeur de Marx : c'est le travail humain, et lui seul, qui crée la richesse. Eux-mêmes sont la classe du progrès, de la démocratie.
Le 21 avril résonne comme un avertissement. Le social-libéralisme a fait le terrain du populisme de droite mais, derrière lui, se profile le populisme d'extrême-droite.
Le nouveau parti d'extrême-gauche qui a émergé au premier tour de la Présidentielle n'est pas défait, loin de là. Il prend la mesure des enjeux, de ses faiblesses, fait l'état des forces, discute, se prépare à la suite.
Un profond mouvement est engagé, unir, regrouper les forces, les organiser pour préparer une riposte du monde du travail.
Novembre- décembre 1995 a été une première répétition. Depuis, les forces ont mûri, les problèmes se sont aggravés. Le mouvement en gestation sera plus radical, plus profond, plus déterminé. Le préparer est la préoccupation de tous les militants syndicaux, associatifs, politiques, du mouvement ouvrier.
Nous en avons défendu la nécessité au cours des campagnes électorales passées ainsi que Lutte ouvrière.
Ne pas associer aujourd'hui nos forces pour aider, dans le mesure de nos moyens, les travailleurs à répondre aux nouvelles attaques dont ils sont les cibles apparaîtrait comme une dérobade.
L'unité de l'extrême-gauche loin d'être caduque est un des éléments du regroupement des forces du monde du travail.
Notre organisation pensait qu'il aurait été de l'intérêt de l'ensemble du mouvement révolutionnaire qu'Arlette Laguiller soit la candidate unitaire de l'extrême-gauche. Lutte ouvrière a eu une appréciation différente. Nous pensions aussi qu'il aurait été juste que nous nous entendions pour les élections législatives sur un accord de répartition. Présenter un front uni des deux organisations nous semblait la seule politique susceptible de nous permettre de résister aux pressions qu'exercerait sur notre électorat la situation créée par la présence de Le Pen au second tour de la Présidentielle. Là encore, Lutte ouvrière en a jugé différemment.
La nouvelle situation politique renvoie ces divergences au passé. Nous sommes aujourd'hui confrontées à la même nécessité de répondre aux besoins qui se sont exprimés par le vote pour les candidats d'extrême gauche à l'élection présidentielle.
Ces trois millions de voix qu'elles se soient portées sur Arlette Laguiller, Olivier Besancenot ou, secondairement, sur Daniel Gluckstein, expriment la même condamnation de la gauche sociale-libérale, la volonté d'une autre politique favorable aux intérêts du monde du travail, une approbation des mesures d'urgence que nous avons les uns et les autres défendues.
Au moment où leur échec comme leur adaptation à la politique de la bourgeoisie dans le cadre de la mondialisation capitaliste provoque une crise au sein des partis de la gauche plurielle, et en particulier où la politique de la direction du PC aboutit à la liquidation de leur propre parti, nos deux organisations sont devant des tâches inédites.
Se pose à nous la question de comment oeuvrer à l'émergence d'une nouvelle force politique, d'un nouveau parti des travailleurs. C'est ce dont il faut débattre.
Les évolutions des consciences, les ruptures avec la politique des partis réformistes qui s'étaient déjà exprimées en 1995 par le vote pour Arlette Laguiller comme, à un autre niveau, par le mouvement de novembre-décembre ont mûri. La perspective d'un parti des travailleurs prend un contenu plus concret.
Notre organisation a au regard de la nouvelle situation politique et sociale de nouvelles responsabilités. Nous avons les moyens d'agir contre le sectarisme en prenant les initiatives nécessaires pour discuter des bilans mais aussi et surtout des perspectives. Rompre avec les routines du passé, avec les raisonnements qui justifient le sectarisme, est un objectif militant pour chacun. Il ne relève pas de l'accusation ou de la mise en cause du sectarisme des autres, mais de notre capacité à prendre la mesure des transformations dont les révolutionnaires eux-mêmes sont l'objet. Loin de les craindre, ils les souhaitent...
A partir des initiatives de chacun, de leur multiplicité, de leur convergence, se créent les conditions de relations démocratiques, moyen et condition de l'unité, du regroupement des forces.
Yvan Lemaitre


Un pôle de radicalité pour rééquilibrer la gauche ? Une mauvaise solution à un faux problème

Les refondateurs du PCF n'en démordent pas : " Il doit se passer quelque chose au Parti communiste (1) ". Au lendemain du 21 avril, leurs chefs de file constatent le désaveu de " la stratégie de la "gauche plurielle" " et appellent au rassemblement " de toutes celles et de tous ceux qui sont attachés à une alternative vraie au libéralisme ". Roger Martelli et Patrick Braouzec, auxquels s'ajoutent désormais d'anciens " marchaisiens " comme Pierre Zarka ou " huistes " comme Michel Deschamps, font de la " construction d'une force communiste du XXIe siècle " l'enjeu de la période à venir. À leurs yeux, le PCF doit non seulement s'ouvrir, mais se dépasser. L'heure est à des " états généraux du communisme " où l'extrême gauche serait pleinement associée. Le Parti communiste doit s'effacer derrière la force communiste. Sa survie en dépend. Et le temps presse.
Les 26 et 27 juin derniers, lors de la réunion de la conférence nationale du PCF chargée de définir les perspectives du PCF après la déroute de la Présidentielles et des Législatives, les refondateurs ont fait entendre leur différence, et fait l'unanimité contre eux. De Robert Hue à Georges Hage, les partisans de la " mutation " du parti comme ceux du retour à l' " orthodoxie " se sont succédé à la tribune pour faire valoir le besoin d'un congrès du parti et rejeter des états généraux qui priveraient les militants communistes d'un débat démocratique. La conférence nationale conforte l'idée des refondateurs… Il se passe bel et bien quelque chose au Parti communiste !
À la différence des diverses fractions qui composent aujourd'hui le PCF, les refondateurs misent sur le mouvement social et l'apport de l'extrême gauche. Un courant se détache-t-il pour autant du Parti communiste, rompant avec la politique conduite jusqu'alors par Robert Hue et avant lui par Georges Marchais, Waldeck Rochet et Maurice Thorez ? C'est moins sûr. Il suffit qu'un proche de Marie-Georges Buffet évoque l'idée d'une " convergence des forces antilibérales " se distinguant de celle des refondateurs sur le besoin d'un débat préalable au sein du PCF pour que Roger Martelli s'enflamme : " Si cela se vérifie, commente le théoricien du pôle de radicalité, cela voudrait dire que la seule différence entre nous et Mme Buffet est une question de timing. "
Au-delà des querelles d'appareils sur le calendrier, les convergences entre les projets défendus par Hue, Buffet et Martelli l'emportent. Le congrès de Martigues en mars 2000 avait souligné leur proximité sur la " nouvelle force communiste ". Les prises de position actuelles des refondateurs ne peuvent duper personne sur leur intention.

Remettre sur pied une gauche déséquilibrée par la percée de l'extrême gauche ?
Roger Martelli exprime avec le plus de netteté l'orientation des refondateurs (2). La stratégie " cohérente " qu'il revendique repose sur " trois dimensions inséparables : pas de changement sans majorité et donc sans mouvement populaire dynamique et sans gauche rassemblée ; pas de changement sans gauche rééquilibrée, et donc sans convergence de toutes les forces d'alternative ; pas de gauche transformatrice sans communisme actif et donc sans communisme refondé. " Autrement dit, les refondateurs cherchent à renouer une alliance avec les socialistes mais en meilleure position qu'en 1997, 1981 ou 1972. Ni plus, ni moins.
" Rééquilibrer la gauche, c'est créer les conditions pour que la gauche tout entière retrouve l'allant de la transformation sociale ", explique Martelli. Le raisonnement est limpide et cynique : " c'est la gauche tout entière qui doit être rassemblée, et pas seulement celle de la " gauche plurielle " sinon on laisse " le champ libre à une radicalité courte, purement contestataire " ; et cela est d'autant plus dommageable que la base électorale du PCF est la première à en pâtir. Le calcul est rapide. " En 1995, le PS faisait 23 %, tandis que le total du PC, des Verts et de l'extrême gauche en faisait un peu plus de 17 %. En 2002, le PS fait moins de 16 % et les autres près de 20 % ", note plein d'appétit Martelli. Le rééquilibrage à gauche existe virtuellement ; il suffit de réaliser l'unité de la gauche de la gauche. Et, le PCF étant la principale formation à la gauche du PS, il lui revient le rôle de rassembler autour d'elle la gauche radicale.
Recycler les voix de l'extrême gauche dans une gauche plurielle rééquilibrée ? C'est ne pas comprendre le ressort de la percée du vote Laguiller en 1995, et confirmée depuis, élection après élection, par les résultats de l'ensemble des révolutionnaires. L'érosion puis l'effondrement des positions du PCF découlent des combinaisons d'appareils scellées sur le dos des travailleurs ; et si elle s'y prêtait, l'extrême gauche subirait le même sort que le Parti communiste. Ce qui est en jeu, c'est une politique alternative, c'est la rupture avec le réformisme qui borne son horizon au capitalisme. Rééquilibrer la gauche ne concerne nullement celles et ceux dont la fin de toute forme d'exploitation et d'oppression est la raison d'être.
L'ensemble de la réflexion de Martelli est tendue par la question du pouvoir, mais son exercice non sa conquête, bien entendu. Le communisme n'est donc plus qu'une simple " visée ", à la manière des conceptions réformistes classiques. But et moyens sont complètements séparés, permettant ainsi la cohabitation de théorisations abstraites sur " un communisme du XXIe siècle " et d'une gestion loyale du capitalisme autrement plus concrète. Le rôle du pôle de radicalité se trouve par conséquent ramené à peu de chose : il n'a d'autre vocation que d'assurer au mieux les intérêts de courants en perte de vitesse face aux prétentions hégémoniques des sociaux-libéraux ; oubliées les prétentions des réformistes du début du siècle !

Favoriser une convergence antilibérale plutôt qu'un pôle révolutionnaire ?
Martelli se garde bien de qualifier la politique mise en œuvre par la gauche plurielle que les députés communistes et Verts ont contribué à mettre en place. Ni responsable, ni coupable, plaide-t-il. Martelli évoque " deux décennies de domination néolibérale ", cette gauche " qui, depuis le début des années 1980, est dominée sans partage par le Parti socialiste. " Et le PCF ? Et les Verts ? Ils ont partagé le pouvoir avec le PS pendant une législature entière, laissant à peu près tout passer. Les députés refondateurs comme Braouzec ont tout voté, texte après texte. Faire entièrement reposer l'échec de la gauche plurielle sur les socialistes vise à exonérer les autres composantes de tout bilan ; cela ne résiste pas à l'épreuve des faits. Qu'ils le veuillent ou non : PCF et Verts participent de la faillite de la gauche gouvernementale ; ils ne sont pas de simples spectateurs découvrant vingt années de politique antisociale ; ils en sont les acteurs, les artisans au même titre que les socialistes. Le reconnaître est le minimum !
Convergence antilibérale ? Ces cinq dernières années ont plutôt souligné les convergences libérales du PS, du PCF et des Verts. Martelli affiche sa sympathie pour la LCR, mais sans vouloir se rendre compte que nos bilans, que nos combats s'opposent. L'insistance sur l'antilibéralisme comme ligne de partage le démontre. Elle masque le clivage qui nous sépare : réforme ou révolution ? Le théoricien refondateur perçoit pourtant l'opposition entre " la gauche 'protestataire' qui répugne à s'impliquer dans les institutions et celle qui veut s'y inscrire pour en subvertir le fonctionnement ", Braouzec résumant " nous, on ne refuse pas de mettre les mains dans le cambouis, de prendre nos responsabilités. " On l'a vu, effectivement. Contrairement aux moqueries des refondateurs, la gauche révolutionnaire ne s'enferme nullement dans une posture " protestataire " ; elle porte un programme positif de transformation sociale. Nous ne croyons seulement pas au dépassement du capitalisme, graduellement.
" Moi, qui suis communiste, prétend Martelli, je suis persuadé qu'un Parti communiste refondé renouerait avec la meilleure part de son histoire et retrouverait toute son utilité politique en se plaçant résolument dans cette perspective. " Cela résume notre désaccord fondamental. Les refondateurs rêvent d'un PCF mythique, défendant les intérêts ouvriers en 1936, en 1968, etc. Pas nous. Martelli est prisonnier d'une politique, d'une tradition, d'un projet qui malgré ces prétentions et l'activité de nombreux militants sincères a enfermé les luttes de la classe ouvrière dans le cadre du capitalisme, justifiant à chaque fois le caractère inopportun d'abattre le capitalisme. Martelli ne peut concevoir autre chose.
L'antilibéralisme est le nouveau credo d'un réformisme sans réforme. Il renferme l'illusion qu'un autre cours serait possible sans rupture révolutionnaire, illusion compréhensible il y a cent ans, pas après un court XXe siècle où domine l'adaptation des réformistes au système qu'ils comptaient " subvertir ". C'est une toute autre perspective qu'il faut tracer.

Militer pour une nouvelle force anticapitaliste, révolutionnaire !
L'orientation des Martelli et Braouzec n'est certes pas neuve. Les refondateurs expriment finalement, après les " rénovateurs " et autres " reconstructeurs " des années 80, la tentation pour une partie de l'appareil du PCF de rompre les amarres et de tenter l'aventure avant qu'il ne soit trop tard. Ce qui frappe justement, c'est cette incapacité à se dégager du réformisme, à tirer les leçons des échecs antérieurs. Les trajectoires du rénovateur Pierre Juquin et du refondateur Charles Fiterman, les deux étoiles filantes de la contestation à la direction Marchais, l'attestent suffisamment : leur rupture avec le PCF les a conduit tout droit au PS.
Et le constat s'impose bien au-delà des dissidences communistes. Aucun courant ne se détache aujourd'hui des partis gouvernementaux sur la gauche. L'écart est saisissant entre le constat de faillite de la gauche plurielle et la modération des critiques émises par les différentes oppositions internes du PCF, du PS et des Verts. Ces prétendues ailes gauches proposent ni plus ni moins de refaire ce qui a été défait à la Présidentielle et aux Législatives, ne pouvant, il est vrai, facilement rejeter une politique que, pour certains, ils ont approuvée par leur vote à l'Assemblée nationale. Quelle convergence envisager avec des secteurs issus de la gauche gouvernementale qui n'osent même pas se démarquer de la politique de leur parti au pouvoir quasiment depuis vingt ans, sinon un ralliement pur et simple aux positions du réformisme ?
Notre organisation a une autre ambition que de servir de marche-pied à un projet réformiste relooké, radicalisé. L'alternative à la faillite de la gauche plurielle se trouve dans le regain de combativité manifeste depuis novembre-décembre 1995, dans les luttes ouvrières et de la jeunesse. Le crédit politique de l'extrême gauche explique ses scores électoraux, le grossissement de ses rangs. C'est un gage important pour l'avenir. Cela assigne à la LCR comme à l'ensemble des autres composantes de la gauche révolutionnaire des responsabilités nouvelles, en premier lieu celle de concrétiser le projet d'un parti ouvrier, populaire et de masse.
Une force nouvelle ne se décrète pas. Elle ne peut résulter de la seule addition des rangs révolutionnaires, même des composantes trotskystes, anarcho-syndicalistes, communistes libertaires ou libertaires auxquels se joindraient des militants rompant avec le réformisme. L'émergence d'un parti des travailleurs sera évidemment conditionnée par la capacité du mouvement révolutionnaire à se dépasser, à rejeter l'esprit de courant minoritaire que des décennies de marginalité a nourri ; la création d'une organisation défendant jusqu'au bout les intérêts ouvriers sera essentiellement tributaire de la lutte de classe, les combats à venir posant la question d'un parti indépendant de la bourgeoisie et apportant les moyens de sa concrétisation.
Les forums que la LCR proposent à la rentrée sont une étape, un premier pas. Assurer leur réussite est une tâche essentielle. Le but n'est rien, sans le mouvement qui le porte.
Serge Godard

(1) C'est le sous-titre de leur appel " Pour un communisme du XXIe siècle ". Il est en ligne : <http://www.perif.com/>.
(2) Voir sa contribution parue en avril dernier dans L'Humanité. À la différence de celle publiée dans Le Monde le 14 juin, on peut la lire en ligne : <http://www.humanite.presse.fr/journal/2002/2002-04/2002-04-27/2002-04-27-033.html>