Débat militant | ||||||||||
Lettre publiée par des militants de la LCR |
n°18
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20
septembre 2002
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Sommaire : | ||||||||||
Nous écrivions il y a un an | ||||||||||
Le Parti socialiste redécouvre l'opposition et la lutte des places | ||||||||||
Militants du PCF : besoins de contestation et de débats | ||||||||||
Livre : Que se vayan todos ! de François Chesnais et Jean-Philippe Divès | ||||||||||
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Visées impérialistes des USA : subterfuge et vérité
" Son dernier
subterfuge (...) ne trompera personne. Il a déjà fait le même
coup. Nous allons rappeler au monde qu'en défiant les Nations Unies,
il est devenu de plus en plus une menace pour la paix du monde", a
déclaré Georges Bush en réponse à l'annonce par
Tarek Aziz de la décision du gouvernement irakien d'accepter la venue
sur son sol des inspecteurs de l'ONU. Il visait Saddam Hussein dont les gestes
ne peuvent être que fourberie, subterfuge ou écran de fumée
surtout
s'ils visent à révéler les mensonges de l'administration
américaine.
Les maîtres du monde jugent leur petit homologue irakien à travers
leurs propres lunettes, toute déclaration de bonne intention ne peut
être que la ruse la plus perverse
leurs propres mensonges a sa logique
totalitaire
Le secrétaire américain à la Défense Donald Rumsfeld
s'est aussitôt fait l'écho de son président, en qualifiant
le régime de Saddam Hussein de "menace immédiate ".
Puis Bush a renchéri devant une commission du Congrès " Aucun
Etat terroriste, a-t-il dit, ne pose de menace plus grave et plus immédiate
pour la sécurité de notre peuple et la stabilité du monde
".
Obligée de s'expliquer devant sa propre opinion publique comme devant
l'opinion mondiale, l'administration américaine ne peut se contenter
des exagérations les plus grossières. Elle est contrainte de s'expliquer
sur ses véritables visées, la démagogie manichéenne
de la lutte du bien contre le mal ne peut suffire à convaincre.
Ainsi Powell a insisté : " Le meilleur moyen d'obtenir le désarmement
est un changement de régime ".
"Notre objectif, a martelé M. Cheney, doit être
d'installer à Bagdad un gouvernement démocratique et pluraliste,
au service d'une nation où les droits de chaque groupe ethnique et religieux
seront reconnus et protégés."
Les Etats-Unis revendiquent sans ambiguïté leur volonté interventionniste,
tout en tentant de masquer leurs objectifs impérialistes derrière
les grandes phrases démocratiques. Mais au moment où le prix du
pétrole fluctue au grès des nouvelles diplomatico-militaires,
les faux-semblants et les déclarations hypocrites ne peuvent tromper
sur les véritables enjeux du conflit. Comme pour la guerre en Afghanistan,
la question de la maîtrise des sources d'approvisionnement en pétrole
et, au delà, la volonté de conquérir des positions stratégiques
est le véritable but de l'opération politico-militaire.
"
, les Etats-Unis, commente La Tribune, ont un besoin
impérieux de s'assurer une nouvelle base sûre pour leurs approvisionnements
pétroliers au Proche-Orient. Et compte tenu de la sensible dégradation
de leurs relations avec l'Arabie Saoudite, l'Irak constitue un "enjeu énorme,
sinon vital", selon Nicolas Sarkis, le directeur de la revue Pétrole
et gaz arabes. Un rapport rendu public en mai 2001 définit trois axes
majeurs de la future politique énergétique US: le développement
des ressources naturelles du pays (en Alaska, au large des côtes de Californie
et de Floride), la diversification des sources étrangères d'approvisionnement
et la relance de l'industrie nucléaire civile. La mobilisation des défenseurs
de l'environnement complique le premier volet de ce programme. C'est pourquoi
les Etats-Unis courtisent aujourd'hui si assidûment la Russie de Poutine,
se sont implantés en Asie centrale et dans le Caucase autour des ressources
de la mer Caspienne, s'impliquent désormais en Afrique (golfe de Guinée,
Soudan, Tchad...). Et font planer la menace d'une guerre contre l'Irak pour
dessiner un nouveau Moyen-Orient (deux tiers des réserves prouvées
de pétrole de la planète), et limiter au minimum leur dépendance
vis-à-vis de " l'allié " saoudien. "
Cette stratégie du pétrole s'inscrit dans le redéploiement
diplomatique et militaire de l'impérialisme américain dont les
attentats du 11 septembre ont fourni le prétexte et la justification.
Tous ceux qui feignent de s'étonner de voir les Etats Unis prendre le
risque de déstabiliser cette région du monde et au delà,
oublient que les USA connaissent mieux que quiconque les conséquences
possibles d'une guerre. Ces conséquences possibles font justement partie
intégrante de leur stratégie, elles en constituent le but calculé
: déstabiliser l'ensemble des régimes qui ne leur sont pas acquis
pour, au profit de la crise, placer leurs hommes autant que faire se peut.
La guerre contre l'Afghanistan relevait du même raisonnement. Non seulement
il s'agissait de faire de l 'Afghanistan une base américaine mais aussi
de faire pression sur le Pakistan et l'Inde pour les soumettre aux objectifs
américains quitte à aggraver les tensions entre eux.
L'engagement sans réserve d'Israël aux côtés de Bush
dans la préparation de cette guerre dite préventive est le corollaire
de cette stratégie. L'Irak serait le premier d'une série de dominos
à lâcher pour tomber sous l'influence directe des USA avec en ligne
de mire un règlement de la question palestinienne qui passe par l'élimination
d'Arafat.
Les enjeux économique et politique ne font qu'un dans une stratégie
globale de domination. Oui, il s'agit bien d'" une guerre impérialiste
(c'est à dire une guerre de conquête, de pillage, de brigandage),
une guerre pour le partage du monde, pour la distribution et la redistribution
des colonies, des " zones d'influence " du capital financier "
selon la définition qu'en donnait Lénine.
C'est cynique et criminel, oui, mais il faut se rendre à l'évidence,
les déclarations de bonne intention démocratique ne servent qu'à
masquer les luttes pour les zones d'influence ou à leur fournir un alibi.
Ce sont ces luttes qui déterminent les relations entre les grandes puissances
dont la principale d'entre elles les USA, et les autres nations, et aussi entre
elles.
Le choix que font aujourd'hui les dirigeants de l'impérialisme américain
est en continuité avec le choix qu'ils avaient fait avec la guerre contre
l'Afghanistan. Encore une fois, les attentats du 11septembre en ont fourni l'occasion
et la justification, ils n'en sont nullement la cause.
En fait l'état de guerre contre le peuple irakien n'a jamais cessé
depuis 1991. Les raids des avions américains et britanniques se sont
poursuivis presque quotidiennement à partir de bases installées
en Turquie. Les effets des destructions et tueries de la guerre du Golfe aggravés
par l'embargo sont responsables de la mort de centaines de milliers de personnes,
principalement des enfants.
Aujourd'hui les États Unis décident de franchir une étape
de plus dans cette guerre en vue de liquider le régime de Saddam et de
s'installer durablement en Irak.
Cette étape s'articule en toute logique avec le plan du Pentagone visant
à mettre en place un dispositif militaire définissant face au
reste du monde un véritable empire américain.
L'effondrement de l'URSS et la première guerre contre l'Irak ont ouvert
une période de transition dans l'évolution du capitalisme à
l'échelle mondiale. Dans le cadre des vieux rapports impérialistes,
s'est ouvert une période de libre-concurrence à l'échelle
mondiale, aboutissement d'une politique de déréglementation, la
mondialisation financière. Le capitalisme libéré de la
pression des peuples coloniaux, de l'URSS et du mouvement ouvrier retrouvait,
au moment de la sénilité, des traits de jeunesse. Traits impérialistes
et libre concurrence se combinaient à travers le développement
des multinationales et de l'hégémonie américaine dans une
décennie particulièrement guerrière et destructrice.
La deuxième guerre contre l'Irak, qui a déjà commencé
sans que quiconque puisse dire quel en sera le développement, signe,
après la guerre en Afghanistan, un basculement qui inaugure une nouvelle
période.
La période de transition, ce libéralisme impérialiste qui
essaie de concilier libre concurrence, domination des multinationales et hégémonie
américaine, cède la place à une réorganisation des
rapports entre puissances, conséquence de la concentration sans égale
atteint par la production et la puissance financière.
L'attitude des USA, lançant un défi à ses propres alliés,
rivalisant d'arrogance pour signifier au monde et à sa propre opinion
publique que les USA se battaient pour eux et pour eux seuls, est significative
de ce basculement.
Les dirigeants américains ont conscience de l'effet retour de leur hégémonie,
dresser le monde contre eux.
Ils dirigent et anticipent, et en conséquence mettent en uvre une
politique de redéploiement militaire et diplomatique dont l'Asie centrale
et le Moyen Orient sont les plaques tournantes, le limes de l'empire américain
en train de naître.
Ce redéploiement est aussi un redéploiement idéologique
qui est lourd de danger car il acquiert sa propre logique. La défense
de la démocratie ne revêt plus les couleurs de l'ONU mais bien
celle d'une démocratie impérialiste, totalitaire si l'on peut
dire. La renaissance du militarisme secrète une idéologie réactionnaire
qui domine dans l'administration américaine.
" On oublie l'idéologie, écrit Le Monde, le rôle
qu'elle joue dans la politique américaine, réputée pragmatique,
ce qui n'est pas contradictoire. Dans les motivations américaines pour
changer le régime de Bagdad, l'idéologie pourrait bien avoir sa
part, au même titre que la volonté d'étouffer dans l'uf
les tentatives de prolifération.
George W. Bush est sous l'influence d'hommes qui, à l'intérieur
et à l'extérieur de l'administration, sont animés d'une
double conviction : l'Amérique est investie d'une mission quasi divine
de prosélytisme démocratique quand cela sert ses intérêts
; au service de cette mission, l'emploi de la formidable machine de guerre des
Etats-Unis est plus que légitime. Les attentats du 11 septembre 2001
et la lutte contre le terrorisme, qui depuis lors tient lieu de politique étrangère
américaine, offrent, comme le dit le président Bush lui-même,
des "occasions" pour faire avancer dans cette partie du monde la cause
de la démocratie libérale[
]L'Irak serait, dans cette perspective,
la clé de l'entreprise de "démocratisation régionale",
le premier "domino" à faire tomber afin d'obtenir un effet
d'entraînement - sur l'Iran, sur la Syrie, sur l'Arabie saoudite. Pour
certains intellectuels à Washington, l'Irak, c'est le Japon ou l'Allemagne
de 1945, un pays qui après la défaite (celle de Saddam Hussein)
ne demandera qu'à être éduqué dans les principes
de la démocratie ; un pays dont les foules, dit le vice-président
Dick Cheney, accueilleront les soldats américains à bras ouverts.
"
Cette idéologie impérialiste qui nourrit les milieux dirigeants
de l'hyperpuissance subjuguée par elle-même, vise à dominer
l'opinion publique américaine pour la soumettre à la politique
des classes dirigeantes.
Cette évolution des USA est bien, elle, une " menace immédiate
" pour la paix et la démocratie. Elle exerce une pression sur l'ensemble
des nations qui conduit à une montée du militarisme et des idées
réactionnaires.
Elle est d'autant plus menaçante qu'elle est, quant au fond, la conséquence
de l'essoufflement de la croissance capitaliste des vingt dernières années.
Le redéploiement impérialiste s'inscrit dans ce retournement de
conjoncture, les tensions militaires accompagnent une aggravation de la concurrence
sur le marché mondiale, il est une réponse à cette aggravation.
Du point de vue global, cette réponse de la principale puissance a des
effets négatifs qui s'expriment dans la chute continue et régulière
des bourses et dans la hausse du prix du pétrole.
C'est là que s'exprime la faillite de cette société où
les remèdes ne sont que des expédients qui, en dernier ressort,
aggravent la maladie, conséquence de l'anarchie et de l'aveuglement de
la propriété privée dont les intérêts s'opposent
à ceux de la collectivité.
Aujourd'hui, à l'échelle de la planète, des millions d'exploités
et d'opprimés en prennent conscience. Avec le cours des actions s'effondre
le mythe de l'économie de marché facteur de progrès, de
paix et de démocratie. Face à la folie criminelle de l'impérialisme,
la contestation se renforce parmi les peuples, y compris au sein du peuple et
de la classe ouvrière américain.
De ce point de vue, le fait que Schröder soit contraint de s'opposer à
la guerre et aux Etats Unis pour se faire réélire indique la profondeur
des évolutions. Il indique aussi l'avenir qui pourrait s'ouvrir à
l'Europe suivant le chemin de l'Allemagne pour se libérer de son propre
passé et devenir un puissant facteur de paix et de démocratie.
Cette Europe ne sera pas celle de Schröder, elle sera l'Europe des travailleurs,
celle de la révolution à venir.
Yvan Lemaitre
Ce texte a été
écrit fin septembre 2001 en fonction de discussions au sein de notre
organisation. Nous le republions aujourd'hui car il nous semble utile de confronter
les raisonnements du moment à l'évolution de la situation.
DM
Le Parti socialiste redécouvre l'opposition et la lutte des places
Un spectre hante
les couloirs de la rue Solferino, celui du congrès de Rennes. En mars
1990, le PS affichait au grand jour ses divisions. Partisans de Fabius et de
Jospin s'affrontaient violemment, jusqu'à risquer l'implosion de leur
parti. À l'origine des altercations, aucune bataille d'idée mais
une même ambition, inconciliable : la Présidence de la République.
Il y a douze ans, les luttes intestine avaient anticipé la débâcle
électorale de 1993 ; aujourd'hui, c'est la déroute du printemps
qui pousse chaque écurie à en découdre. Claude Bartolone
a pris les devants, prenant de court tous les ténors du parti encore
sous le coup de l'absence de Jospin au second tour. Début juillet, il
évoquait la candidature, à l'élection présidentielle,
en 2007, de son poulain : Laurent Fabius. Un véritable casus belli pour
Dominique Strauss-Kahn et Martine Aubry déjà échaudés
par les prétentions de l'ancien Premier ministre de François Mitterrand
au poste de porte-parole du parti
Le PS s'apprête donc à revivre, en mai 2003, un nouveau congrès
de Rennes, mais à Dijon cette fois, et sans Jospin.
À la Rochelle, François Hollande se voulait pourtant rassurant
: jusqu'ici tout va bien, ou presque. À l'évidence, la volonté
du Premier secrétaire de garantir l'unité de son parti n'aura
pas suffi. La paix armée a été, en effet, de courte durée.
À Nantes déjà, lors de l'Université d'été
de la Gauche socialiste, les crocs-en-jambe avaient mis à mal la cohésion
du trio Dray-Lienemann-Mélenchon ; seul le ralliement, contraint et forcé,
de Julien Dray à la perspective d'un regroupement avec Henri Emmanuelli
et ses amis de Démocratie Égalité avait évité
l'implosion. Le psychodrame qui agite désormais la Gauche socialiste
préfigure les batailles à venir au sein du PS, des luttes fratricides
dont l'enjeu principal est le contrôle de l'appareil. Et pour atteindre
cet objectif, toutes les combinaisons deviennent possibles, même les alliances
les plus improbables. L'histoire du PS regorge d'exemples. Expert en la matière,
Julien Dray prédit d'ailleurs un accord entre Fabius, Emmanuelli et Mélenchon
Autant de raisons de ne pas prendre pour argent comptant les déclarations
des socialistes, fussent-elles exprimées par les tenants de la "
gauche du PS ".
La
Gauche socialiste rejette le social-libéralisme
une fois la défaite
de Jospin connue
La trajectoire de la Gauche socialiste souligne à quel point il faudrait
être amnésique pour avoir la moindre illusion sur les évolutions
actuelles de ce courant. Le résultat de Jospin connu, il aura fallu juste
quarante-huit heures à la direction de la Gauche socialiste pour changer
son fusil d'épaule et fustiger le bilan de la gauche plurielle. Lors
du Conseil national du 23 avril, Jean-Luc Mélenchon et Marie-Noëlle
Lienemann, pourtant toujours ministres dans l'équipe Jospin, se joignent
à Julien Dray dans la critique du social-libéralisme. Cela n'empêchait
pas les mêmes, six mois auparavant, de lancer, à grand renfort
de publicité, une campagne pour parrainer la candidature de Jospin à
l'Élysée, sous le slogan inoubliable : " Pour nous, c'est
Lionel ". À la même époque, Jean-Luc Mélenchon
vantait les mérites du gouvernement menant " la politique la plus
à gauche de toutes celles pratiquées par les gouvernements européens
", celui de Jospin évidemment.
La double défaite du candidat socialiste à la présidentielle
et celle du PS aux législatives ont littéralement dopé
une Gauche socialiste qui se prête dorénavant à toutes les
audaces, faisant même dans la surenchère verbale à la manière
de Marie-Noëlle Lienemann dont le livre s'est visiblement arraché
à la Rochelle. Des mots !. Les personnels de l'Éducation nationale
gardent en mémoire, eux, d'autres maux, comme la politique de Mélenchon,
ministre délégué à l'enseignement professionnel,
ouvrant en grand les portes des " Lycées des métiers "
aux exigences du patronat. Tout le monde se souvient également du soutien
exprimé à Claude Allègre par la Gauche socialiste alors
que des milliers d'enseignants défilaient dans les rues du pays contre
les tentatives du ministre de " dégraisser le mammouth ". Et
les propos de Dray, qui se félicitait - il y a seulement quelques semaines
! - de voir Sarkozy mettre en uvre la politique sécuritaire du
PS, résonnent encore dans toutes les têtes.
Significativement, Marie-Noëlle Lienemann, nommée secrétaire
d'État chargée du Logement dans le gouvernement Jospin en 2001,
se réfère dans son livre au " droit d'inventaire ",
ce droit dont Jospin, en son temps, s'était revendiqué pour mieux
s'affranchir du bilan de l'ère Mitterrand tout en s'exonérant
de sa propre responsabilité. Ma part d'inventaire use la même ficelle,
oubliant précisément qu'une des leçons des cinq années
de gouvernement Jospin est qu'il ne suffit pas de rompre superficiellement avec
la politique conduite précédemment, pour ne pas retomber dans
les mêmes ornières. Se dégager pleinement du bilan de la
gauche gouvernementale oblige à revenir à la racine même
des échecs répétés des sociaux-démocrates
et de leurs partenaires, en France comme ailleurs : l'impossibilité de
réformer le capitalisme. C'est moins l' " esprit de système
trotskiste " décelé par Lienemann chez Jospin qui est la
cause de la faillite de la gauche plurielle que l'adaptation aux exigences de
la bourgeoisie inhérente à la gestion loyale du capitalisme :
le réformisme a amené nombre de militants socialistes et communistes
sincères au réformisme sans réforme, et du réformisme
sans réforme à l'acceptation passive du social-libéralisme.
On ne peut se débarrasser du capitalisme sans révolution.
S'en tenir à une dénonciation du social-libéralisme, c'est
finalement rester sur le même plan que Jospin vilipendant la dérive
libérale des années Mitterrand où Tapie triomphait et le
chômage explosait.
Emmanuelli dénonce
la dérive de la gauche plurielle
depuis l'arrivée de Fabius
au gouvernement
Beaucoup redécouvrent Emmanuelli. Son parcours n'a pourtant rien à
envier aux Dray, Lienemann et Mélenchon. Mais l'ancien président
de l'Assemblée nationale (1992-1993) et premier secrétaire du
PS (1994-1995) peut se prévaloir avec son courant d'être le seul
au sein du parti à n'avoir eu aucune responsabilité ministérielle
pendant les cinq années du gouvernement Jospin
Un avantage considérable
au moment où chacun cherche à se démarquer du bilan de
la gauche plurielle, mais qui ne préjuge en rien de la pertinence des
critiques formulées par Emmanuelli et Démocratie Égalité.
Et il suffit de se reporter à leurs positions pour s'en convaincre. S'ils
se singularisent en rejetant le social-libéralisme de Jospin, Henri Emmanuelli
et les siens font débuter la dérive de la gauche plurielle à
l'arrivée au ministère de l'économie, des finances et de
l'industrie de Laurent Fabius en mars 2000. On pourrait rappeler que c'est aussi
à cette date que Mélenchon débarque à l'Éducation
nationale
" La législature précédente a connu deux périodes,
précise Emmanuelli dans Libération le 12 septembre : la première,
incontestablement réformiste, autorisait Lionel Jospin à dire
que son gouvernement était le plus à gauche d'Europe. À
partir de l'année 2000, les réformes se sont arrêtées.
Nous sommes entrés dans une période gestionnaire à dominante
sociale-libérale. " L'ancien premier secrétaire du PS n'a
donc rien à redire sur la flexibilisation du temps de travail, le refus
de la régularisation des sans-papiers, le maintien des lois Pasqua-Debré
et du plan Juppé, etc. " Le retour à la croissance et à
l'emploi, défendait déjà Emmanuelli dans sa motion au congrès
de Grenoble en novembre 2000, ne s'est pas fait au détriment de la protection
sociale et de la solidarité mais, au contraire, dans le contexte d'un
renforcement de la protection sociale et d'une extension de la solidarité,
n'en déplaise aux libéraux et aux promoteurs de la troisième
voie. La main invisible du marché n'a pas rendu obsolète le volontarisme
politique. " La critique est donc
mesurée !
Et, pour éviter toute confusion sur son radicalisme, Emmanuelli indiquait,
il y a peu, qu'il n'était " pas favorable à un discours pseudo-révolutionnaire
de "rupture" ". Cette modération favorise de futures alliances
avec les sensibilités du PS se démarquant du projet de Strauss-Kahn,
sans remettre pour autant en cause la politique du gouvernement Jospin, comme
Martine Aubry, ministre jusqu'en 2000. Car Emmanuelli ambitionne de créer
un pôle majoritaire en vue du congrès de Dijon, l'unification de
Démocratie Égalité et de la Gauche socialiste à
Argelès les 27-28 septembre n'étant qu'une première étape.
Ensemble, Emmanuelli et Mélenchon entendent représenter au sein
du PS une " gauche sociale " contre les tenants de la " gauche
moderne ", les partisans de Fabius et de Strauss-Kahn. Mais leur projet
dépasse un simple combat interne au PS. Au-delà, les deux comparses
veulent " construire une convergence idéologique et militante de
toute la gauche ", et lorgnent déjà sur le mouvement anti-mondialisation
et les " appels " à la refondation de la gauche qui se sont
multipliés depuis avril (1). Cette démarche est à rapprocher
du " pôle de radicalité " défendu par les communistes
critiques emmenés par Roger Martelli et qui visent à contester
l'hégémonie d'un PS social-libéralisé sur la gauche
(2), Emmanuelli et Mélenchon ajoutant la nécessité de mener
ce combat au sein même du PS.
Dans
le sillage du PS, une aile gauche aspirée à droite
Dans une tribune publiée, cet été, par Le Monde, les deux
nouveaux hérauts de la gauche du PS se réclament d'un " réformisme
radical ". " Un autre monde est possible ", s'enflamment-ils
; " c'est à une alternative plutôt qu'à une alternance
qu'il faut ouvrir la voie. L'exercice du pouvoir, pour une large, très
large partie de la gauche, n'a de sens que s'il permet de changer le cur
des règles du jeu qui gouvernent notre vie en société.
" Les formules sont attendues, entendues mille fois dans la bouche même
d'un François Mitterrand ou d'un Lionel Jospin. Et c'est cela qui frappe.
Ceux qui se prétendent être la gauche du PS sont largement en deçà
des prétentions affichées par les dirigeants socialistes, il y
a simplement quelques années. Qui a oublié que Jospin à
la veille de son arrivée au pouvoir reprenait cyniquement à son
compte les revendications des 35 heures ou de la régularisation des sans-papiers
? Finalement, Emmanuelli, Mélenchon et consort tranchent d'abord par
leur réalisme, ce réalisme qui a gagné la gauche gouvernementale
ces vingt dernières années ; la faillite de la gauche plurielle
n'appelle chez eux aucune réelle rupture avec le réformisme, ni
même avec le social-libéralisme. Cette gauche-là appartient
entièrement au passé, ses échecs actuels annonçant
ceux de demain. Droitisée ou gauchie, nous n'avons rien à attendre
d'elle.
D'aucuns s'interrogent, néanmoins, sur l'avenir du réformisme,
soulignant un possible renouveau. Personne ne peut prédire le contraire
évidemment ; et nier tout intérêt aux discussions sur la
nature du PS serait également abusif. Il convient simplement d'en relativiser
l'intérêt et la portée. On peut ébaucher de nombreuses
hypothèses, multiplier les supputations
On trouvera toujours mille
situations, même les plus improbables, offrant au réformisme l'occasion
de prendre le dessus. D'une certaine façon, il suffit de s'en tenir aux
développements de Lénine sur la tendance spontanée de la
classe ouvrière au trade-unionisme. Mais ce serait oublier l'essentiel
: le rôle des révolutionnaires. Une régénération
du réformisme non pas en soi mais après vingt années de
politique anti-sociale sous la conduite des socialistes et de leurs alliés,
communistes et verts, et avec une extrême gauche revigorée et se
développant constamment depuis 1995 n'est pas aujourd'hui l'hypothèse
la plus probable ; un renforcement du réformisme, s'il advient, entérinerait
l'incapacité des révolutionnaires à incarner le renouveau
du mouvement ouvrier dans la période à venir. La tâche devant
nous est énorme. Mais elle est devant nous. Et jamais, depuis des décennies,
nous n'avons été en meilleure situation pour y faire face.
La crise économique limite les marges de manuvre du réformisme
et révèle un peu plus chaque jour l'impossibilité de résoudre
les problèmes de la population dans le cadre de la société
bourgeoise. Les atteintes aux conditions de travail et de vie aggravées
par la soif de profit encouragent partout sur la planète de nouvelles
générations à entrer en lutte contre la mondialisation
capitaliste. " Un autre monde est possible ", scandent les manifestants
de Seattle à Gênes, et bientôt à Florence. À
Argelès, dans quelques jours, Emmanuelli et Mélenchon se présenteront
comme les porte-voix de tous les " sans ". Rejoints par Francine Bavay
des Verts, Roger Martelli du PCF, Yves Salesse de la Fondation Copernic et Bernard
Cassen d'Attac, ils chercheront à définir la énième
mouture de l'union de la gauche ouvrant la perspective du pouvoir à des
partis gouvernementaux relookés.
Nous savons à quoi nous en tenir.
Serge Godard
(1) Cf. Débat
militant, n°15, vendredi 21 juin 2002.
(2) Cf. Débat militant, n°16, jeudi 11 juillet 2002.
Militants du PCF : besoins de contestation et de débats
Quelques dizaines
de militants du PCF coincés entre les cortèges de la LCR et de
LO (autour de 300 et 400 manifestants) lors de la manifestation pour la régularisation
des sans-papiers le 7 septembre à Paris. Des centaines de milliers de
personnes (500 000 selon les organisateurs) à la fête de l'Humanité
dont beaucoup exprimaient leur colère, leur désarroi face à
la politique passée et présente du PCF et s'interrogeaient sur
l'avenir, en regardant ouvertement vers l'extrême gauche chaleureusement
accueillie par les participants. Deux chiffres qui expriment les contradictions
de la situation politique et leurs répercussions dans les têtes
des militants politiques, syndicalistes ou associatifs.
Le positionnement du PCF face au mouvement des sans-papiers est symptomatique
de la crise de ce parti. Ce mouvement peut constituer la première étape
d'une riposte politique aux attaques du gouvernement Raffarin contre le monde
du travail. Celle-ci débute dans la fraction la plus exploitée
et la moins organisée des travailleurs. L'écho rencontré
par l'occupation de la basilique de Saint-Denis, à l'initiative d'une
coordination 93 habituée depuis des années aux actions minoritaires,
a pris tout le monde de court. A commencer par les organisateurs et le PC de
Seine-Saint-Denis qui, à travers la municipalité, leurs conseillers
généraux et régionaux, ont toujours affiché leur
soutien à la coordination 93. Mais face à une mobilisation qui
se développe et pose de fait la question des revendications politiques
pouvant assurer l'égalité des droits des travailleurs, les militants
et les dirigeants du PC (M.G. Buffet ou le " contestataire " P. Braouzec)
s'en tiennent à une dénonciation des conditions inhumaines de
vie et de travail des sans-papiers, des menaces de durcissement de l'application
de la législation par ce gouvernement, tout en affichant une solidarité
matérielle minimum (mise à disposition de locaux, stand et débat
pas au moment le plus propice à la fête de l'Huma). Du coup, alors
que l'Humanité a fait sa Une sur les Sans-papiers toute la semaine précédant
la manif, le PCF s'est avéré incapable de mobiliser. Car pour
mobiliser il s'agit de montrer qu'il en va des intérêts communs
à tous les travailleurs, d'intégrer la mobilisation des sans-papiers
à la riposte nécessaire de l'ensemble du monde du travail contre
les attaques du MEDEF et du gouvernement. Cela, le PCF n'est plus en capacité
de le faire, alors même qu'il souhaiterait se redonner des couleurs d'opposant.
La participation à la fête de l'Humanité - comparable à
celle de l'année dernière (année record)-, mais surtout
l'afflux aux débats et le ton critique, voire désemparé,
des militants qui y sont intervenus pour demander des comptes à la direction
du parti ou de la CGT, sont particulièrement significatifs. Les introductions
des responsables étaient pour le moins défensives sur le mode
: " on a fait des erreurs, il est évident qu'on a déçu
", sans toutefois amener d'autre d'explication que : " nous étions
trop faibles, nous ne nous sommes pas assez fait entendre ". Quant aux
perspectives, " il faut organiser la riposte contre le gouvernement, revenir
au communisme en s'affirmant anticapitaliste et en faisant de la politique autrement,
pour préparer la révolution telle qu'on la pense aujourd'hui
"... .La pression des militants qui sentent leurs aspirations bafouées
est telle que les dirigeants du PC se sentent obligés par de renouer
avec un vocabulaire qualifié il y a peu de temps d'archaïque ! En
tous cas nombre de militants ne se sont pas contentés de ces déclarations
d'intention que n'accompagnait pas l'ombre d'une proposition concrète.
Avec qui ? " ni le PS, ni l'extrême-gauche ", selon M.G. Buffet
Autour de quelles revendications politiques ? Là non plus, pas
de réponse.
La direction du PCF montre son impuissance politique et son absence totale de
projet. Par contre, l'affluence à la fête et aux débats,
ceux en particulier sur les luttes des précaires ou la défense
des services publics, sont la preuve qu'il existe un potentiel militant attaché
à un camp social et qui aspire à un autre avenir que le capitalisme.
Plus flagrant encore, le besoin de discussions et de perspectives qui s'exprimait
dans les allées. Et chose nouvelle, une attente vis-à-vis de l'extrême
gauche. Le Monde a fait état des gestes de sympathie à l'égard
d'Olivier Besancenot, " Besancenot en vedette ", a-t-il même
souligné. Mais cette attente s'est aussi formulée explicitement
dans les débats. Ainsi dans un débat sur l'avenir du parti auquel
participait M.G. Buffet, plusieurs militants ont expliqué pourquoi ils
avaient voté pour le candidat de la LCR. Au débat sur " quelle
gauche construire " (auquel participait Alain Krivine), un nouvel adhérent
du PC (après le 21 avril) expliquait après les introductions qu'il
aurait en fait dû adhérer à la LCR.
La direction du PC ne peut plus maintenir son contrôle sur ses militants
comme elle l'a toujours fait par le passé, en particulier en entretenant
un fossé entre eux et les militants d'extrême gauche. C'est seulement
par défaut que ces militants perpétuent leur attachement au PC
sans parler de tous ceux qui l'ont quitté pour rester fidèle à
leurs propres aspirations. Voilà ce qui est apparu à la fête
de l'Humanité, comme on peut le voir aussi à travers les discussions
dans les mouvements en cours. La faillite de la direction est patente, elle
ne peut plus diriger.
Cependant les défiances, les a priori construits et entretenus pendant
des décennies par l'appareil stalinien du PCF contre les " gauchistes
" ne se combleront pas du jour au lendemain. D'autant que nos propres faiblesses
ont pu étayer la méfiance, entre autres les justifications des
divisions de l'extrême-gauche alors même que les besoins de cadres
unitaires se font pressants. Pour dépasser ces barrières il n'y
aura pas de raccourci. C'est la confrontation dans les débats et la solidarité
dans les luttes, entre militants qui pourront ainsi vérifier qu'ils sont
bien du même camp, qui nous permettront de tisser des liens de confiance
et de construire un cadre politique commun.
Et les militants du mouvement trotskiste détiennent la clé de
la situation, l'analyse de la dégénérescence de la révolution
russe et du long recul à travers la réaction stalinienne indispensable
pour comprendre la faillite du PC comme le passage de la social-démocratie
au social-libéralisme.
C'est à travers le débat que cette analyse s'enrichira de l'expérience
collective pour devenir une compréhension commune des tâches sans
laquelle l'idée du regroupement nécessaire resterait un vux
pieux.
Isabelle Cazaux
Livre : Que se vayan todos ! de François Chesnais et Jean-Philippe Divès
Editions Nautilus - 13 euros
Le titre, qui signifie
" qu'ils s'en aillent tous ", est un des slogans autour duquel s'est
fédérée la révolte populaire en Argentine en décembre
2001, qui a provoqué, par une mobilisation jamais vue, la démission
de deux présidents et de deux gouvernements en quinze jours.
F. Chesnais (rédacteur de la revue Carré rouge) et JP. Divès
(militant à la LCR), racontent les affrontements du mois de décembre,
mais aussi l'histoire de la lutte des classes et de la constitution du mouvement
ouvrier dans ce pays.
Un chapitre est consacré aux problèmes économiques, montrant
le rôle particulier de la bourgeoisie argentine, utilisant la dette de
l'Etat pour s'enrichir en spéculant sur les places financières
des pays riches, mais aussi les responsabilités du FMI et des multinationales.
Est retracée aussi l'histoire des " piqueteros ", ces mouvements
de chômeurs organisant depuis près de dix ans des piquets de protestation,
mais aussi d'organisation de la survie, avec par exemple des cantines populaires.
Les auteurs qualifient ce mouvement de spontané, parlant de " création
politique et sociale 'sui generis' ", mais en retraçant son histoire,
ils montrent ses liens avec les formes d'organisations du mouvement paysan enrichies
par l'expérience militante des ouvriers d'usines licenciés, et
par le soutien des organisations politiques d'extrême-gauche. C'est cette
conjonction qui a permis notamment que l'unité dans des luttes ponctuelles
se mette en place avec les salariés ayant encore du travail, comme ceux
des services publics.
Le livre insiste particulièrement sur la formidable énergie du
peuple argentin, frappé par une crise qui a provoqué un recul
terrible du niveau de vie moyen, passant de 9000 dollars en 1997 à 3200
dollars aujourd'hui, avec un chômage touchant un salarié sur trois.
Cette crise qui a aussi ruiné les classes moyennes a entraîné
une partie de celles-ci dans la lutte, aux côtés des chômeurs.
Depuis le mois de décembre, la population s'est organisée en assemblées
générales, de quartiers, de voisins. Se réunissant une
ou plusieurs fois par semaine, ces assemblées prennent les décisions
pour organiser la survie du quartier, par exemple empêcher les coupures
d'électricité ou d'eau, mais aussi débattent de toutes
les questions sociales et politiques de l'heure.
Le livre s'arrête aux problèmes auxquels le mouvement était
confronté à la mi-juillet. Depuis les mois d'avril et mai, le
mouvement connaissait un reflux, avec une désaffection progressive dans
les assemblées de quartier. Après une première phase qui
a abouti aux démissions de plusieurs gouvernements et présidents,
la répétition des manifestations pendant plus de trois mois n'a
pas permis de gagner une amélioration des conditions de vie de la population
: " un chemin long et difficile, fait d'accumulation d'expériences
ainsi que de nécessaire développement à une échelle
de masse, reste à parcourir avant d'être en mesure de présenter
une alternative de pouvoir populaire ". Les auteurs soulignent les difficultés
pour les assemblées populaires de se coordonner nationalement, de déterminer
leur propre politique face au gouvernement qui poursuit ses attaques contre
la population, et de trouver une solidarité auprès des autres
peuples d'Amérique latine. Enfin, si les auteurs comparent ces assemblées
aux soviets ouvriers de Russie de la Révolution de 1905, ils expliquent
par ailleurs que ces assemblées n'existent pas réellement dans
les usines et les entreprises où la classe ouvrière est encore
salariée.
Ils posent le problème du rôle des organisations d'extrême
gauche dans ce contexte, dont les militants et porte-parole jouissent d'un crédit
réel auprès de la population, participant activement à
l'organisation de la population. On ne peut que partager avec les auteurs l'espoir
que le courant trotskiste, particulièrement présent, réussisse
à surmonter ses divisions pour proposer une direction au mouvement.
Franck Coleman