Débat militant
Lettre publiée par des militants de la LCR
n°18
20 septembre 2002

Sommaire :

Visées impérialistes des USA : subterfuge et vérité…

Nous écrivions il y a un an
Le Parti socialiste redécouvre l'opposition et la lutte des… places
Militants du PCF : besoins de contestation et de débats
Livre : Que se vayan todos ! de François Chesnais et Jean-Philippe Divès

Visées impérialistes des USA : subterfuge et vérité…

" Son dernier subterfuge (...) ne trompera personne. Il a déjà fait le même coup. Nous allons rappeler au monde qu'en défiant les Nations Unies, il est devenu de plus en plus une menace pour la paix du monde", a déclaré Georges Bush en réponse à l'annonce par Tarek Aziz de la décision du gouvernement irakien d'accepter la venue sur son sol des inspecteurs de l'ONU. Il visait Saddam Hussein dont les gestes ne peuvent être que fourberie, subterfuge ou écran de fumée…surtout s'ils visent à révéler les mensonges de l'administration américaine.
Les maîtres du monde jugent leur petit homologue irakien à travers leurs propres lunettes, toute déclaration de bonne intention ne peut être que la ruse la plus perverse… leurs propres mensonges a sa logique totalitaire…
Le secrétaire américain à la Défense Donald Rumsfeld s'est aussitôt fait l'écho de son président, en qualifiant le régime de Saddam Hussein de "menace immédiate ". Puis Bush a renchéri devant une commission du Congrès " Aucun Etat terroriste, a-t-il dit, ne pose de menace plus grave et plus immédiate pour la sécurité de notre peuple et la stabilité du monde ".
Obligée de s'expliquer devant sa propre opinion publique comme devant l'opinion mondiale, l'administration américaine ne peut se contenter des exagérations les plus grossières. Elle est contrainte de s'expliquer sur ses véritables visées, la démagogie manichéenne de la lutte du bien contre le mal ne peut suffire à convaincre.
Ainsi Powell a insisté : " Le meilleur moyen d'obtenir le désarmement est un changement de régime ".
"Notre objectif, a martelé M. Cheney, doit être d'installer à Bagdad un gouvernement démocratique et pluraliste, au service d'une nation où les droits de chaque groupe ethnique et religieux seront reconnus et protégés."
Les Etats-Unis revendiquent sans ambiguïté leur volonté interventionniste, tout en tentant de masquer leurs objectifs impérialistes derrière les grandes phrases démocratiques. Mais au moment où le prix du pétrole fluctue au grès des nouvelles diplomatico-militaires, les faux-semblants et les déclarations hypocrites ne peuvent tromper sur les véritables enjeux du conflit. Comme pour la guerre en Afghanistan, la question de la maîtrise des sources d'approvisionnement en pétrole et, au delà, la volonté de conquérir des positions stratégiques est le véritable but de l'opération politico-militaire.
" …, les Etats-Unis, commente La Tribune, ont un besoin impérieux de s'assurer une nouvelle base sûre pour leurs approvisionnements pétroliers au Proche-Orient. Et compte tenu de la sensible dégradation de leurs relations avec l'Arabie Saoudite, l'Irak constitue un "enjeu énorme, sinon vital", selon Nicolas Sarkis, le directeur de la revue Pétrole et gaz arabes. Un rapport rendu public en mai 2001 définit trois axes majeurs de la future politique énergétique US: le développement des ressources naturelles du pays (en Alaska, au large des côtes de Californie et de Floride), la diversification des sources étrangères d'approvisionnement et la relance de l'industrie nucléaire civile. La mobilisation des défenseurs de l'environnement complique le premier volet de ce programme. C'est pourquoi les Etats-Unis courtisent aujourd'hui si assidûment la Russie de Poutine, se sont implantés en Asie centrale et dans le Caucase autour des ressources de la mer Caspienne, s'impliquent désormais en Afrique (golfe de Guinée, Soudan, Tchad...). Et font planer la menace d'une guerre contre l'Irak pour dessiner un nouveau Moyen-Orient (deux tiers des réserves prouvées de pétrole de la planète), et limiter au minimum leur dépendance vis-à-vis de " l'allié " saoudien. "
Cette stratégie du pétrole s'inscrit dans le redéploiement diplomatique et militaire de l'impérialisme américain dont les attentats du 11 septembre ont fourni le prétexte et la justification. Tous ceux qui feignent de s'étonner de voir les Etats Unis prendre le risque de déstabiliser cette région du monde et au delà, oublient que les USA connaissent mieux que quiconque les conséquences possibles d'une guerre. Ces conséquences possibles font justement partie intégrante de leur stratégie, elles en constituent le but calculé : déstabiliser l'ensemble des régimes qui ne leur sont pas acquis pour, au profit de la crise, placer leurs hommes autant que faire se peut.
La guerre contre l'Afghanistan relevait du même raisonnement. Non seulement il s'agissait de faire de l 'Afghanistan une base américaine mais aussi de faire pression sur le Pakistan et l'Inde pour les soumettre aux objectifs américains quitte à aggraver les tensions entre eux.
L'engagement sans réserve d'Israël aux côtés de Bush dans la préparation de cette guerre dite préventive est le corollaire de cette stratégie. L'Irak serait le premier d'une série de dominos à lâcher pour tomber sous l'influence directe des USA avec en ligne de mire un règlement de la question palestinienne qui passe par l'élimination d'Arafat.
Les enjeux économique et politique ne font qu'un dans une stratégie globale de domination. Oui, il s'agit bien d'" une guerre impérialiste (c'est à dire une guerre de conquête, de pillage, de brigandage), une guerre pour le partage du monde, pour la distribution et la redistribution des colonies, des " zones d'influence " du capital financier " selon la définition qu'en donnait Lénine.
C'est cynique et criminel, oui, mais il faut se rendre à l'évidence, les déclarations de bonne intention démocratique ne servent qu'à masquer les luttes pour les zones d'influence ou à leur fournir un alibi. Ce sont ces luttes qui déterminent les relations entre les grandes puissances dont la principale d'entre elles les USA, et les autres nations, et aussi entre elles.
Le choix que font aujourd'hui les dirigeants de l'impérialisme américain est en continuité avec le choix qu'ils avaient fait avec la guerre contre l'Afghanistan. Encore une fois, les attentats du 11septembre en ont fourni l'occasion et la justification, ils n'en sont nullement la cause.
En fait l'état de guerre contre le peuple irakien n'a jamais cessé depuis 1991. Les raids des avions américains et britanniques se sont poursuivis presque quotidiennement à partir de bases installées en Turquie. Les effets des destructions et tueries de la guerre du Golfe aggravés par l'embargo sont responsables de la mort de centaines de milliers de personnes, principalement des enfants.
Aujourd'hui les États Unis décident de franchir une étape de plus dans cette guerre en vue de liquider le régime de Saddam et de s'installer durablement en Irak.
Cette étape s'articule en toute logique avec le plan du Pentagone visant à mettre en place un dispositif militaire définissant face au reste du monde un véritable empire américain.
L'effondrement de l'URSS et la première guerre contre l'Irak ont ouvert une période de transition dans l'évolution du capitalisme à l'échelle mondiale. Dans le cadre des vieux rapports impérialistes, s'est ouvert une période de libre-concurrence à l'échelle mondiale, aboutissement d'une politique de déréglementation, la mondialisation financière. Le capitalisme libéré de la pression des peuples coloniaux, de l'URSS et du mouvement ouvrier retrouvait, au moment de la sénilité, des traits de jeunesse. Traits impérialistes et libre concurrence se combinaient à travers le développement des multinationales et de l'hégémonie américaine dans une décennie particulièrement guerrière et destructrice.
La deuxième guerre contre l'Irak, qui a déjà commencé sans que quiconque puisse dire quel en sera le développement, signe, après la guerre en Afghanistan, un basculement qui inaugure une nouvelle période.
La période de transition, ce libéralisme impérialiste qui essaie de concilier libre concurrence, domination des multinationales et hégémonie américaine, cède la place à une réorganisation des rapports entre puissances, conséquence de la concentration sans égale atteint par la production et la puissance financière.
L'attitude des USA, lançant un défi à ses propres alliés, rivalisant d'arrogance pour signifier au monde et à sa propre opinion publique que les USA se battaient pour eux et pour eux seuls, est significative de ce basculement.
Les dirigeants américains ont conscience de l'effet retour de leur hégémonie, dresser le monde contre eux.
Ils dirigent et anticipent, et en conséquence mettent en œuvre une politique de redéploiement militaire et diplomatique dont l'Asie centrale et le Moyen Orient sont les plaques tournantes, le limes de l'empire américain en train de naître.
Ce redéploiement est aussi un redéploiement idéologique qui est lourd de danger car il acquiert sa propre logique. La défense de la démocratie ne revêt plus les couleurs de l'ONU mais bien celle d'une démocratie impérialiste, totalitaire si l'on peut dire. La renaissance du militarisme secrète une idéologie réactionnaire qui domine dans l'administration américaine.
" On oublie l'idéologie, écrit Le Monde, le rôle qu'elle joue dans la politique américaine, réputée pragmatique, ce qui n'est pas contradictoire. Dans les motivations américaines pour changer le régime de Bagdad, l'idéologie pourrait bien avoir sa part, au même titre que la volonté d'étouffer dans l'œuf les tentatives de prolifération.
George W. Bush est sous l'influence d'hommes qui, à l'intérieur et à l'extérieur de l'administration, sont animés d'une double conviction : l'Amérique est investie d'une mission quasi divine de prosélytisme démocratique quand cela sert ses intérêts ; au service de cette mission, l'emploi de la formidable machine de guerre des Etats-Unis est plus que légitime. Les attentats du 11 septembre 2001 et la lutte contre le terrorisme, qui depuis lors tient lieu de politique étrangère américaine, offrent, comme le dit le président Bush lui-même, des "occasions" pour faire avancer dans cette partie du monde la cause de la démocratie libérale[…]L'Irak serait, dans cette perspective, la clé de l'entreprise de "démocratisation régionale", le premier "domino" à faire tomber afin d'obtenir un effet d'entraînement - sur l'Iran, sur la Syrie, sur l'Arabie saoudite. Pour certains intellectuels à Washington, l'Irak, c'est le Japon ou l'Allemagne de 1945, un pays qui après la défaite (celle de Saddam Hussein) ne demandera qu'à être éduqué dans les principes de la démocratie ; un pays dont les foules, dit le vice-président Dick Cheney, accueilleront les soldats américains à bras ouverts
. "
Cette idéologie impérialiste qui nourrit les milieux dirigeants de l'hyperpuissance subjuguée par elle-même, vise à dominer l'opinion publique américaine pour la soumettre à la politique des classes dirigeantes.
Cette évolution des USA est bien, elle, une " menace immédiate " pour la paix et la démocratie. Elle exerce une pression sur l'ensemble des nations qui conduit à une montée du militarisme et des idées réactionnaires.
Elle est d'autant plus menaçante qu'elle est, quant au fond, la conséquence de l'essoufflement de la croissance capitaliste des vingt dernières années. Le redéploiement impérialiste s'inscrit dans ce retournement de conjoncture, les tensions militaires accompagnent une aggravation de la concurrence sur le marché mondiale, il est une réponse à cette aggravation.
Du point de vue global, cette réponse de la principale puissance a des effets négatifs qui s'expriment dans la chute continue et régulière des bourses et dans la hausse du prix du pétrole.
C'est là que s'exprime la faillite de cette société où les remèdes ne sont que des expédients qui, en dernier ressort, aggravent la maladie, conséquence de l'anarchie et de l'aveuglement de la propriété privée dont les intérêts s'opposent à ceux de la collectivité.
Aujourd'hui, à l'échelle de la planète, des millions d'exploités et d'opprimés en prennent conscience. Avec le cours des actions s'effondre le mythe de l'économie de marché facteur de progrès, de paix et de démocratie. Face à la folie criminelle de l'impérialisme, la contestation se renforce parmi les peuples, y compris au sein du peuple et de la classe ouvrière américain.
De ce point de vue, le fait que Schröder soit contraint de s'opposer à la guerre et aux Etats Unis pour se faire réélire indique la profondeur des évolutions. Il indique aussi l'avenir qui pourrait s'ouvrir à l'Europe suivant le chemin de l'Allemagne pour se libérer de son propre passé et devenir un puissant facteur de paix et de démocratie.
Cette Europe ne sera pas celle de Schröder, elle sera l'Europe des travailleurs, celle de la révolution à venir.
Yvan Lemaitre


Nous écrivions il y a un an

Ce texte a été écrit fin septembre 2001 en fonction de discussions au sein de notre organisation. Nous le republions aujourd'hui car il nous semble utile de confronter les raisonnements du moment à l'évolution de la situation.
DM

  1. " L'ordre mondial, qui repose sur la superpuissance américaine, est mis à mal. ", cette citation du Monde résume le fait majeur que révèlent les attentats du 11 septembre. C'est un fait dont il nous faut prendre la mesure car il conditionne l'ensemble des rapports politiques et leur évolution. En prendre la mesure signifie situer l'événement dans les transformations en cours, conséquences de la mondialisation, c'est-à-dire du libéralisme impérialiste qui s'est imposé à l'échelle mondiale. Cette question vient au cœur des débats de l'organisation sur la mondialisation. Ce texte ébauche des éléments de réponse en vue de définir les axes politiques de notre intervention.
  2. Les attentats de New-York s'inscrivent dans l'évolution de la politique de l'impérialisme dominant comme une de ses conséquences. C'est elle qui les explique, qui donne à cette folie barbare sa rationalité, comme en retour, ils agissent sur elle en révélant et accélérant les transformations en cours tant politiques que sociales et économiques. C'est cette boussole qu'il nous faut garder pour comprendre par-delà la propagande et les masques idéologiques en nous situant du point de vue démocratique, celui des intérêts des travailleurs et des peuples.
  3. Les attentats interviennent au moment où l'économie mondiale et plus particulièrement l'économie américaine connaissent une inversion de tendance. C'est en les replaçant dans cette courbe évolutive de la situation mondiale que l'on peut tenter d'en mesurer les effets. Il ne s'agit pas de tenter de prédire les étapes à venir, ni même de décrire différentes hypothèses. Mais de prolonger la courbe pour dégager les tendances afin d'apprécier les conditions nouvelles de la lutte de classe. La mondialisation était déjà la question clé par rapport à laquelle se définissent les différentes forces politiques. Les préparatifs de guerre obligent chacun à dire sa vérité.
  4. Les attentats marquent " un nouveau basculement du monde ", dix ans après la fin de la guerre froide. L'impérialisme ne bénéficie plus de cet allié, cause expiatoire de tous les maux du monde qui acceptait de faire la police contre les peuples et les travailleurs, la bureaucratie stalinienne. Ce facteur réactionnaire, élément indispensable du maintien de l'ordre impérialiste, s'est effondré, privant les USA de cet allié complaisant, irremplaçable, à la fois bouc émissaire, excuse, justification et gendarme. Pour faire face à ce vide, les USA ont utilisé pour leur propre compte les restes recyclés des appareils d'Etat du camp soumis à la bureaucratie ou dépendant d'elle, comme dans l'ex-Yougoslavie. Ils ont aussi utilisé les forces réactionnaires susceptibles de soumettre les peuples comme en Afghanistan.
  5. Lui explosent aujourd'hui en pleine face ses propres créatures, les régimes réactionnaires qu'il a aidés, financés contre les masses pour garder la maîtrise de la situation au moment de l'effondrement de l'URSS et de l'intégration au marché mondial des Etats nés de la révolution coloniale. Le régime des talibans en Afghanistan en est l'illustration comme Ben Laden.
  6. L'objectif du redéploiement américain est de maintenir son hégémonie sur le monde, hégémonie conquise au prix de deux guerres mondiales, des guerres coloniales puis d'un état de guerre endémique. En fait, cette nouvelle stratégie prend acte de son affaiblissement ou, plus précisément, va obliger l'état-major de l'impérialisme à prendre acte des nouveaux rapports de force. La fin de l'URSS et les transformations opérées par la mondialisation ouvrent ainsi une période plus tendue de contestation de l'hégémonie américaine. Les discours de Bush sur la " croisade " et de " l'état de guerre " ont une logique dont les USA n'ont pas la maîtrise. Les préparatifs de guerre créent leurs objectifs dans le même temps qu'ils se déploient. Le Pentagone ne maîtrise pas les engrenages de ce que lui-même est en train de mettre en route. Il le sait, d'où les changements de discours, les hésitations. Mais le plus probable est qu'il fasse le choix de laisser se créer, voire de créer, une situation justifiant une possible escalade militaire.
  7. La riposte "va être large, politique, économique, diplomatique, militaire, elle sera non conventionnelle", a déclaré Powell indiquant que la stratégie nouvelle serait globale. Elle ouvre une nouvelle période de tensions et de militarisme. Il ne s'agit pas d'une simple opération de police internationale. Les dirigeants de l'impérialisme sont devant une situation nouvelle, inédite dont ils intègrent les données au fur et à mesure de la marche des événements. Sous couvert de lutte contre le terrorisme qui remplace la lutte contre le communisme, ils mettent en oeuvre une nouvelle offensive contre les peuples pour gagner des positions nouvelles, construire de nouvelles alliances plus solides, asseoir leur domination. Les objectifs politiques sont essentiels et le déploiement militaire doit les servir. George W. Bush a insisté sur la "patience" dont les Américains allaient devoir faire preuve. "Je ne déciderai pas d'un acte symbolique. Notre réponse doit être totale, soutenue et efficace. Nous avons beaucoup à faire et beaucoup à demander au peuple américain. Nous demandons votre patience, car le conflit ne sera pas court…La route vers la victoire sera peut-être longue "
  8. La route sera longue et surtout les dirigeants US ne savent ni où elle conduit ni les accidents de parcours. Cette route, personne ne sait grand chose d'elle si ce n'est qu'elle s'inscrira dans la redéfinition des rapports entre les grandes puissances et entre elles et les autres Etats. Le fait que les USA ne peuvent seuls assurer le maintien de l'ordre mondial a pour conséquences la recherche d'alliés, donc le besoin d'associer à sa politique non seulement le monde occidental mais aussi la Russie, la Chine, l'Inde… George W. Bush a ainsi déclaré : "Nous allons continuer à collaborer avec le Pakistan et l'Inde. Nous allons aussi travailler avec la Russie. Nous comptons tisser des liens avec des nations qui nous étaient hostiles, il y a quelques années. " Mais qui dit allié dit concessions, et en conséquence vont se redessiner de nouvelles zones d'influence. Le monde se dégage de la division en deux blocs pour tendre à se restructurer autour des nations dominantes.
  9. Cette redéfinition des rapports internationaux est l'inévitable conséquence de la mondialisation. Au centre de ces redéfinitions, se trouvent la question de la construction de l'Europe et, en corollaire, celle des rapports Europe-Amérique, et la question de qui dominera l'Asie, du Japon ou de la Chine. Ces questions vont se poser avec plus d'acuité ayant pour effets immédiats, tensions, pressions, remontée nationaliste… Les effets en retour de la nouvelle situation politique mondiale sur la situation économique sont difficiles à apprécier, si ce n'est qu'il y a accélération et amplification des facteurs convergeant vers une récession voire un krach. Les tensions entre Etats et les tensions sociales qui vont en résulter amèneront les Etats à une intervention croissante dans le domaine économique pour soutenir l'effort d'investissement de leur bourgeoisie, de leurs multinationales afin de faire face à une lutte plus âpre pour les marchés. Cette intervention visera à alimenter les sources de profits du capital financier, sa voracité parasitaire, en aggravant la contradiction fondamentale de l'économie. La construction d'une Europe politique, " étatique " devient une nécessité pressante pour que celle-ci cesse de rester spectatrice, avec tout ce que cela peut avoir comme effet déstabilisant, de crises pour les différents Etats rivaux
  10. Les différentes puissances impérialistes n'ont aucune réponse adéquate aux problèmes auxquels elles sont confrontées, aucune solution adéquate, c'est-à-dire démocratique respectant les droits des peuples. Cela signifie que les transformations en cours créent des déséquilibres, des tensions, des instabilités et des crises à travers lesquelles les consciences des peuples elles-mêmes seront amenées à se transformer. La lutte de " la liberté contre la peur ", la lutte pour les droits démocratiques ne pourrait avoir de sens que si les intéressés prennent leur propre destin en main contre les maîtres du monde.
  11. Du point de vue des évolutions des consciences du monde du travail et de la jeunesse dans les pays riches, ici, en France en particulier, on assiste à un approfondissement des évolutions qui s'étaient manifestées au début de l'été tant à Gênes que dans la lutte contre les plans sociaux. D'autant que les ravages du laisser-faire au service du libéralisme financier frappent les salariés non seulement par les drames des plans sociaux, de la misère mais aussi dans leur chair même par la dégradation des conditions de travail et de sécurité dont la catastrophe de l'usine AZF de Toulouse est la terrible conséquence.
  12. Ce qui implique que la lutte contre la mondialisation impérialiste soit comprise d'abord comme la lutte entre capital et travail, entre patronat et salariés, lutte politique qui englobe la lutte contre le gouvernement et l'Etat qui servent les classes dominantes.
  13. La politique des USA, avec moi ou contre moi, oblige les différents courants politiques à l'union sacrée par-delà les frontières. Cet impératif catégorique de la pensée unique et de la politique unique, au nom de la toute puissance de l'économie de marché, oblige les hommes politiques de droite comme de gauche à bien des contorsions dont celles de Hue ou de Chevènement sont une caricature. Mais celles de Jospin ou Chirac hier pleins de compréhension à l'égard des manifestants de Gênes et aujourd'hui fidèles soutiens des USA sont du même acabit. Le mouvement anti-mondialisation est rattrapé par les questions politiques qui imposent des clarifications, des démarcations.
  14. Les attaques dont sont l'objet ceux qui contestent la mondialisation impérialiste visent à intimider. Loin de se justifier, il convient de dénoncer ceux qui nous criminalisent parce qu'ils nous craignent car c'est leur propre vérité qu'ils craignent. Ils nous craignent parce que nous sommes une force subversive, démocratique, qui ne craint pas de dénoncer la propagande, l'hypocrisie des hommes politiques, forte de son indépendance morale, intellectuelle et politique vis-à-vis de l'ordre bourgeois.
  15. Le nouvel internationalisme n'est pas une conscience morale, mais bien une politique correspondant aux intérêts des travailleurs et des peuples. Il ne dénonce pas les projets militaires d'un simple point de vue pacifiste conseillant un isolationnisme impossible à notre propre bourgeoisie, mais considère celle-ci et ceux qui la servent comme son principal ennemi. Nous opposons à l'union sacrée des partis qui servent les classes dominantes, l'union pour les droits démocratiques des peuples. Nous n'acceptons pas plus " le patriotisme économique " auquel Jospin convie les travailleurs juste au lendemain de la catastrophe de Toulouse que le patriotisme tout court. Les travailleurs ont des intérêts irréconciliables avec ceux des classes dominantes comme de leurs serviteurs politiques.
  16. Nous sommes confrontés à une nouvelle période de l'histoire du capitalisme, inédite qui rend caducs bien des raisonnements hérités de la période antérieure. Nous avons à écrire une nouvelle page des luttes du mouvement ouvrier. À l'issue des vingt années de libéralisme économique, les conditions sociales et politiques de l'émergence d'un parti démocratique et révolutionnaire existent.
  17. Nous sommes en train de prendre conscience du rôle que les révolutionnaires peuvent jouer, des enjeux actuels. La nouvelle lucidité d'une fraction du monde du travail nous renvoie une image de nous qui n'est plus celle de gauchistes minoritaires mais bien d'un nouveau courant politique jouissant d'une large sympathie. Nous ne sommes plus les critiques de la social-démocratie devenue le social-libéralisme et du stalinisme effondré mais bien l'aile marchante d'une remontée du mouvement ouvrier, préparant sa renaissance. Il devient possible de faire du travail politique notre véritable travail de masse, gagner les consciences à l'idée de la nécessité d'une transformation révolutionnaire. Même dans les luttes quotidiennes le moindre acquis ne sera défendu ou conquis que par les méthodes de la lutte de classe.
  18. Notre politique afin d'aider à cette émergence d'une nouvelle force démocratique et révolutionnaire définit nos tâches de construction dans le cadre large de la contestation de la mondialisation impérialiste.
    Nous entendons œuvrer dans la mesure du possible à regrouper les forces qui se revendiquent de la révolution dans un cadre démocratique permettant efficacité, expression des divergences, débat, confrontation avec la pratique et offrant un cadre ouvert aux travailleurs et aux jeunes qui se tournent vers nous ainsi qu'aux militants et sympathisants en rupture avec la gauche gouvernementale.
    Plus largement, nous essayons de regrouper sur les lieux de travail ou les quartiers les forces pour lutter pour les droits sociaux et démocratiques.
    Cette politique prend en compte le fait que ces droits sont de plus en plus incompatibles avec la perpétuation de la domination de l'oligarchie financière. La défense conséquente de ces droits nécessite une rupture avec l'ordre établi. Les droits collectifs sont incompatibles avec l'appropriation privée.
  19. Notre intervention dans le mouvement anti-mondialisation se situe dans cette perspective générale. Nous ne saurions nous limiter à une définition étroite du mouvement anti-mondialisation. Il regroupe tout autant les mobilisations des jeunes, l'activité de comités ou des militants d'Attac, les luttes contre les plans sociaux…Quels que soient le niveau ou le lieu de notre intervention en son sein, nous avons une cohérence politique en tant que révolutionnaires. Nous avons une seule orientation, construire un mouvement internationaliste sur des bases de classe et démontrer, illustrer l'incompatibilité entre les droits démocratiques et sociaux comme entre les droits des peuples, l'établissement de relations démocratiques entre les peuples et la domination d'une oligarchie financière qui soumet les Etats à ses intérêts privés et parasitaires. La mondialisation et ses conséquences dramatiques mettent à l'ordre du jour une nouvelle révolution tout en en créant les conditions sociales et politiques.


Le Parti socialiste redécouvre l'opposition et la lutte des… places

Un spectre hante les couloirs de la rue Solferino, celui du congrès de Rennes. En mars 1990, le PS affichait au grand jour ses divisions. Partisans de Fabius et de Jospin s'affrontaient violemment, jusqu'à risquer l'implosion de leur parti. À l'origine des altercations, aucune bataille d'idée mais une même ambition, inconciliable : la Présidence de la République. Il y a douze ans, les luttes intestine avaient anticipé la débâcle électorale de 1993 ; aujourd'hui, c'est la déroute du printemps qui pousse chaque écurie à en découdre. Claude Bartolone a pris les devants, prenant de court tous les ténors du parti encore sous le coup de l'absence de Jospin au second tour. Début juillet, il évoquait la candidature, à l'élection présidentielle, en 2007, de son poulain : Laurent Fabius. Un véritable casus belli pour Dominique Strauss-Kahn et Martine Aubry déjà échaudés par les prétentions de l'ancien Premier ministre de François Mitterrand au poste de porte-parole du parti…
Le PS s'apprête donc à revivre, en mai 2003, un nouveau congrès de Rennes, mais à Dijon cette fois, et sans Jospin.
À la Rochelle, François Hollande se voulait pourtant rassurant : jusqu'ici tout va bien, ou presque. À l'évidence, la volonté du Premier secrétaire de garantir l'unité de son parti n'aura pas suffi. La paix armée a été, en effet, de courte durée. À Nantes déjà, lors de l'Université d'été de la Gauche socialiste, les crocs-en-jambe avaient mis à mal la cohésion du trio Dray-Lienemann-Mélenchon ; seul le ralliement, contraint et forcé, de Julien Dray à la perspective d'un regroupement avec Henri Emmanuelli et ses amis de Démocratie Égalité avait évité l'implosion. Le psychodrame qui agite désormais la Gauche socialiste préfigure les batailles à venir au sein du PS, des luttes fratricides dont l'enjeu principal est le contrôle de l'appareil. Et pour atteindre cet objectif, toutes les combinaisons deviennent possibles, même les alliances les plus improbables. L'histoire du PS regorge d'exemples. Expert en la matière, Julien Dray prédit d'ailleurs un accord entre Fabius, Emmanuelli et Mélenchon…
Autant de raisons de ne pas prendre pour argent comptant les déclarations des socialistes, fussent-elles exprimées par les tenants de la " gauche du PS ".

La Gauche socialiste rejette le social-libéralisme… une fois la défaite de Jospin connue
La trajectoire de la Gauche socialiste souligne à quel point il faudrait être amnésique pour avoir la moindre illusion sur les évolutions actuelles de ce courant. Le résultat de Jospin connu, il aura fallu juste quarante-huit heures à la direction de la Gauche socialiste pour changer son fusil d'épaule et fustiger le bilan de la gauche plurielle. Lors du Conseil national du 23 avril, Jean-Luc Mélenchon et Marie-Noëlle Lienemann, pourtant toujours ministres dans l'équipe Jospin, se joignent à Julien Dray dans la critique du social-libéralisme. Cela n'empêchait pas les mêmes, six mois auparavant, de lancer, à grand renfort de publicité, une campagne pour parrainer la candidature de Jospin à l'Élysée, sous le slogan inoubliable : " Pour nous, c'est Lionel ". À la même époque, Jean-Luc Mélenchon vantait les mérites du gouvernement menant " la politique la plus à gauche de toutes celles pratiquées par les gouvernements européens ", celui de Jospin évidemment.
La double défaite du candidat socialiste à la présidentielle et celle du PS aux législatives ont littéralement dopé une Gauche socialiste qui se prête dorénavant à toutes les audaces, faisant même dans la surenchère verbale à la manière de Marie-Noëlle Lienemann dont le livre s'est visiblement arraché à la Rochelle. Des mots !. Les personnels de l'Éducation nationale gardent en mémoire, eux, d'autres maux, comme la politique de Mélenchon, ministre délégué à l'enseignement professionnel, ouvrant en grand les portes des " Lycées des métiers " aux exigences du patronat. Tout le monde se souvient également du soutien exprimé à Claude Allègre par la Gauche socialiste alors que des milliers d'enseignants défilaient dans les rues du pays contre les tentatives du ministre de " dégraisser le mammouth ". Et les propos de Dray, qui se félicitait - il y a seulement quelques semaines ! - de voir Sarkozy mettre en œuvre la politique sécuritaire du PS, résonnent encore dans toutes les têtes.
Significativement, Marie-Noëlle Lienemann, nommée secrétaire d'État chargée du Logement dans le gouvernement Jospin en 2001, se réfère dans son livre au " droit d'inventaire ", ce droit dont Jospin, en son temps, s'était revendiqué pour mieux s'affranchir du bilan de l'ère Mitterrand tout en s'exonérant de sa propre responsabilité. Ma part d'inventaire use la même ficelle, oubliant précisément qu'une des leçons des cinq années de gouvernement Jospin est qu'il ne suffit pas de rompre superficiellement avec la politique conduite précédemment, pour ne pas retomber dans les mêmes ornières. Se dégager pleinement du bilan de la gauche gouvernementale oblige à revenir à la racine même des échecs répétés des sociaux-démocrates et de leurs partenaires, en France comme ailleurs : l'impossibilité de réformer le capitalisme. C'est moins l' " esprit de système trotskiste " décelé par Lienemann chez Jospin qui est la cause de la faillite de la gauche plurielle que l'adaptation aux exigences de la bourgeoisie inhérente à la gestion loyale du capitalisme : le réformisme a amené nombre de militants socialistes et communistes sincères au réformisme sans réforme, et du réformisme sans réforme à l'acceptation passive du social-libéralisme. On ne peut se débarrasser du capitalisme sans révolution.
S'en tenir à une dénonciation du social-libéralisme, c'est finalement rester sur le même plan que Jospin vilipendant la dérive libérale des années Mitterrand où Tapie triomphait et le chômage explosait.

Emmanuelli dénonce la dérive de la gauche plurielle… depuis l'arrivée de Fabius au gouvernement
Beaucoup redécouvrent Emmanuelli. Son parcours n'a pourtant rien à envier aux Dray, Lienemann et Mélenchon. Mais l'ancien président de l'Assemblée nationale (1992-1993) et premier secrétaire du PS (1994-1995) peut se prévaloir avec son courant d'être le seul au sein du parti à n'avoir eu aucune responsabilité ministérielle pendant les cinq années du gouvernement Jospin… Un avantage considérable au moment où chacun cherche à se démarquer du bilan de la gauche plurielle, mais qui ne préjuge en rien de la pertinence des critiques formulées par Emmanuelli et Démocratie Égalité. Et il suffit de se reporter à leurs positions pour s'en convaincre. S'ils se singularisent en rejetant le social-libéralisme de Jospin, Henri Emmanuelli et les siens font débuter la dérive de la gauche plurielle à l'arrivée au ministère de l'économie, des finances et de l'industrie de Laurent Fabius en mars 2000. On pourrait rappeler que c'est aussi à cette date que Mélenchon débarque à l'Éducation nationale…
" La législature précédente a connu deux périodes, précise Emmanuelli dans Libération le 12 septembre : la première, incontestablement réformiste, autorisait Lionel Jospin à dire que son gouvernement était le plus à gauche d'Europe. À partir de l'année 2000, les réformes se sont arrêtées. Nous sommes entrés dans une période gestionnaire à dominante sociale-libérale. " L'ancien premier secrétaire du PS n'a donc rien à redire sur la flexibilisation du temps de travail, le refus de la régularisation des sans-papiers, le maintien des lois Pasqua-Debré et du plan Juppé, etc. " Le retour à la croissance et à l'emploi, défendait déjà Emmanuelli dans sa motion au congrès de Grenoble en novembre 2000, ne s'est pas fait au détriment de la protection sociale et de la solidarité mais, au contraire, dans le contexte d'un renforcement de la protection sociale et d'une extension de la solidarité, n'en déplaise aux libéraux et aux promoteurs de la troisième voie. La main invisible du marché n'a pas rendu obsolète le volontarisme politique. " La critique est donc… mesurée !
Et, pour éviter toute confusion sur son radicalisme, Emmanuelli indiquait, il y a peu, qu'il n'était " pas favorable à un discours pseudo-révolutionnaire de "rupture" ". Cette modération favorise de futures alliances avec les sensibilités du PS se démarquant du projet de Strauss-Kahn, sans remettre pour autant en cause la politique du gouvernement Jospin, comme Martine Aubry, ministre jusqu'en 2000. Car Emmanuelli ambitionne de créer un pôle majoritaire en vue du congrès de Dijon, l'unification de Démocratie Égalité et de la Gauche socialiste à Argelès les 27-28 septembre n'étant qu'une première étape. Ensemble, Emmanuelli et Mélenchon entendent représenter au sein du PS une " gauche sociale " contre les tenants de la " gauche moderne ", les partisans de Fabius et de Strauss-Kahn. Mais leur projet dépasse un simple combat interne au PS. Au-delà, les deux comparses veulent " construire une convergence idéologique et militante de toute la gauche ", et lorgnent déjà sur le mouvement anti-mondialisation et les " appels " à la refondation de la gauche qui se sont multipliés depuis avril (1). Cette démarche est à rapprocher du " pôle de radicalité " défendu par les communistes critiques emmenés par Roger Martelli et qui visent à contester l'hégémonie d'un PS social-libéralisé sur la gauche (2), Emmanuelli et Mélenchon ajoutant la nécessité de mener ce combat au sein même du PS.

Dans le sillage du PS, une aile gauche aspirée à droite
Dans une tribune publiée, cet été, par Le Monde, les deux nouveaux hérauts de la gauche du PS se réclament d'un " réformisme radical ". " Un autre monde est possible ", s'enflamment-ils ; " c'est à une alternative plutôt qu'à une alternance qu'il faut ouvrir la voie. L'exercice du pouvoir, pour une large, très large partie de la gauche, n'a de sens que s'il permet de changer le cœur des règles du jeu qui gouvernent notre vie en société. " Les formules sont attendues, entendues mille fois dans la bouche même d'un François Mitterrand ou d'un Lionel Jospin. Et c'est cela qui frappe. Ceux qui se prétendent être la gauche du PS sont largement en deçà des prétentions affichées par les dirigeants socialistes, il y a simplement quelques années. Qui a oublié que Jospin à la veille de son arrivée au pouvoir reprenait cyniquement à son compte les revendications des 35 heures ou de la régularisation des sans-papiers ? Finalement, Emmanuelli, Mélenchon et consort tranchent d'abord par leur réalisme, ce réalisme qui a gagné la gauche gouvernementale ces vingt dernières années ; la faillite de la gauche plurielle n'appelle chez eux aucune réelle rupture avec le réformisme, ni même avec le social-libéralisme. Cette gauche-là appartient entièrement au passé, ses échecs actuels annonçant ceux de demain. Droitisée ou gauchie, nous n'avons rien à attendre d'elle.
D'aucuns s'interrogent, néanmoins, sur l'avenir du réformisme, soulignant un possible renouveau. Personne ne peut prédire le contraire évidemment ; et nier tout intérêt aux discussions sur la nature du PS serait également abusif. Il convient simplement d'en relativiser l'intérêt et la portée. On peut ébaucher de nombreuses hypothèses, multiplier les supputations… On trouvera toujours mille situations, même les plus improbables, offrant au réformisme l'occasion de prendre le dessus. D'une certaine façon, il suffit de s'en tenir aux développements de Lénine sur la tendance spontanée de la classe ouvrière au trade-unionisme. Mais ce serait oublier l'essentiel : le rôle des révolutionnaires. Une régénération du réformisme non pas en soi mais après vingt années de politique anti-sociale sous la conduite des socialistes et de leurs alliés, communistes et verts, et avec une extrême gauche revigorée et se développant constamment depuis 1995 n'est pas aujourd'hui l'hypothèse la plus probable ; un renforcement du réformisme, s'il advient, entérinerait l'incapacité des révolutionnaires à incarner le renouveau du mouvement ouvrier dans la période à venir. La tâche devant nous est énorme. Mais elle est devant nous. Et jamais, depuis des décennies, nous n'avons été en meilleure situation pour y faire face.
La crise économique limite les marges de manœuvre du réformisme et révèle un peu plus chaque jour l'impossibilité de résoudre les problèmes de la population dans le cadre de la société bourgeoise. Les atteintes aux conditions de travail et de vie aggravées par la soif de profit encouragent partout sur la planète de nouvelles générations à entrer en lutte contre la mondialisation capitaliste. " Un autre monde est possible ", scandent les manifestants de Seattle à Gênes, et bientôt à Florence. À Argelès, dans quelques jours, Emmanuelli et Mélenchon se présenteront comme les porte-voix de tous les " sans ". Rejoints par Francine Bavay des Verts, Roger Martelli du PCF, Yves Salesse de la Fondation Copernic et Bernard Cassen d'Attac, ils chercheront à définir la énième mouture de l'union de la gauche ouvrant la perspective du pouvoir à des partis gouvernementaux relookés.
Nous savons à quoi nous en tenir.
Serge Godard

(1) Cf. Débat militant, n°15, vendredi 21 juin 2002.
(2) Cf. Débat militant, n°16, jeudi 11 juillet 2002.

Militants du PCF : besoins de contestation et de débats

Quelques dizaines de militants du PCF coincés entre les cortèges de la LCR et de LO (autour de 300 et 400 manifestants) lors de la manifestation pour la régularisation des sans-papiers le 7 septembre à Paris. Des centaines de milliers de personnes (500 000 selon les organisateurs) à la fête de l'Humanité dont beaucoup exprimaient leur colère, leur désarroi face à la politique passée et présente du PCF et s'interrogeaient sur l'avenir, en regardant ouvertement vers l'extrême gauche chaleureusement accueillie par les participants. Deux chiffres qui expriment les contradictions de la situation politique et leurs répercussions dans les têtes des militants politiques, syndicalistes ou associatifs.
Le positionnement du PCF face au mouvement des sans-papiers est symptomatique de la crise de ce parti. Ce mouvement peut constituer la première étape d'une riposte politique aux attaques du gouvernement Raffarin contre le monde du travail. Celle-ci débute dans la fraction la plus exploitée et la moins organisée des travailleurs. L'écho rencontré par l'occupation de la basilique de Saint-Denis, à l'initiative d'une coordination 93 habituée depuis des années aux actions minoritaires, a pris tout le monde de court. A commencer par les organisateurs et le PC de Seine-Saint-Denis qui, à travers la municipalité, leurs conseillers généraux et régionaux, ont toujours affiché leur soutien à la coordination 93. Mais face à une mobilisation qui se développe et pose de fait la question des revendications politiques pouvant assurer l'égalité des droits des travailleurs, les militants et les dirigeants du PC (M.G. Buffet ou le " contestataire " P. Braouzec) s'en tiennent à une dénonciation des conditions inhumaines de vie et de travail des sans-papiers, des menaces de durcissement de l'application de la législation par ce gouvernement, tout en affichant une solidarité matérielle minimum (mise à disposition de locaux, stand et débat pas au moment le plus propice à la fête de l'Huma). Du coup, alors que l'Humanité a fait sa Une sur les Sans-papiers toute la semaine précédant la manif, le PCF s'est avéré incapable de mobiliser. Car pour mobiliser il s'agit de montrer qu'il en va des intérêts communs à tous les travailleurs, d'intégrer la mobilisation des sans-papiers à la riposte nécessaire de l'ensemble du monde du travail contre les attaques du MEDEF et du gouvernement. Cela, le PCF n'est plus en capacité de le faire, alors même qu'il souhaiterait se redonner des couleurs d'opposant.
La participation à la fête de l'Humanité - comparable à celle de l'année dernière (année record)-, mais surtout l'afflux aux débats et le ton critique, voire désemparé, des militants qui y sont intervenus pour demander des comptes à la direction du parti ou de la CGT, sont particulièrement significatifs. Les introductions des responsables étaient pour le moins défensives sur le mode : " on a fait des erreurs, il est évident qu'on a déçu ", sans toutefois amener d'autre d'explication que : " nous étions trop faibles, nous ne nous sommes pas assez fait entendre ". Quant aux perspectives, " il faut organiser la riposte contre le gouvernement, revenir au communisme en s'affirmant anticapitaliste et en faisant de la politique autrement, pour préparer la révolution telle qu'on la pense aujourd'hui… "... .La pression des militants qui sentent leurs aspirations bafouées est telle que les dirigeants du PC se sentent obligés par de renouer avec un vocabulaire qualifié il y a peu de temps d'archaïque ! En tous cas nombre de militants ne se sont pas contentés de ces déclarations d'intention que n'accompagnait pas l'ombre d'une proposition concrète. Avec qui ? " ni le PS, ni l'extrême-gauche ", selon M.G. Buffet … Autour de quelles revendications politiques ? Là non plus, pas de réponse.
La direction du PCF montre son impuissance politique et son absence totale de projet. Par contre, l'affluence à la fête et aux débats, ceux en particulier sur les luttes des précaires ou la défense des services publics, sont la preuve qu'il existe un potentiel militant attaché à un camp social et qui aspire à un autre avenir que le capitalisme.
Plus flagrant encore, le besoin de discussions et de perspectives qui s'exprimait dans les allées. Et chose nouvelle, une attente vis-à-vis de l'extrême gauche. Le Monde a fait état des gestes de sympathie à l'égard d'Olivier Besancenot, " Besancenot en vedette ", a-t-il même souligné. Mais cette attente s'est aussi formulée explicitement dans les débats. Ainsi dans un débat sur l'avenir du parti auquel participait M.G. Buffet, plusieurs militants ont expliqué pourquoi ils avaient voté pour le candidat de la LCR. Au débat sur " quelle gauche construire " (auquel participait Alain Krivine), un nouvel adhérent du PC (après le 21 avril) expliquait après les introductions qu'il aurait en fait dû adhérer à la LCR.
La direction du PC ne peut plus maintenir son contrôle sur ses militants comme elle l'a toujours fait par le passé, en particulier en entretenant un fossé entre eux et les militants d'extrême gauche. C'est seulement par défaut que ces militants perpétuent leur attachement au PC sans parler de tous ceux qui l'ont quitté pour rester fidèle à leurs propres aspirations. Voilà ce qui est apparu à la fête de l'Humanité, comme on peut le voir aussi à travers les discussions dans les mouvements en cours. La faillite de la direction est patente, elle ne peut plus diriger.
Cependant les défiances, les a priori construits et entretenus pendant des décennies par l'appareil stalinien du PCF contre les " gauchistes " ne se combleront pas du jour au lendemain. D'autant que nos propres faiblesses ont pu étayer la méfiance, entre autres les justifications des divisions de l'extrême-gauche alors même que les besoins de cadres unitaires se font pressants. Pour dépasser ces barrières il n'y aura pas de raccourci. C'est la confrontation dans les débats et la solidarité dans les luttes, entre militants qui pourront ainsi vérifier qu'ils sont bien du même camp, qui nous permettront de tisser des liens de confiance et de construire un cadre politique commun.
Et les militants du mouvement trotskiste détiennent la clé de la situation, l'analyse de la dégénérescence de la révolution russe et du long recul à travers la réaction stalinienne indispensable pour comprendre la faillite du PC comme le passage de la social-démocratie au social-libéralisme.
C'est à travers le débat que cette analyse s'enrichira de l'expérience collective pour devenir une compréhension commune des tâches sans laquelle l'idée du regroupement nécessaire resterait un vœux pieux.
Isabelle Cazaux

Livre : Que se vayan todos ! de François Chesnais et Jean-Philippe Divès

Editions Nautilus - 13 euros

Le titre, qui signifie " qu'ils s'en aillent tous ", est un des slogans autour duquel s'est fédérée la révolte populaire en Argentine en décembre 2001, qui a provoqué, par une mobilisation jamais vue, la démission de deux présidents et de deux gouvernements en quinze jours.
F. Chesnais (rédacteur de la revue Carré rouge) et JP. Divès (militant à la LCR), racontent les affrontements du mois de décembre, mais aussi l'histoire de la lutte des classes et de la constitution du mouvement ouvrier dans ce pays.
Un chapitre est consacré aux problèmes économiques, montrant le rôle particulier de la bourgeoisie argentine, utilisant la dette de l'Etat pour s'enrichir en spéculant sur les places financières des pays riches, mais aussi les responsabilités du FMI et des multinationales.
Est retracée aussi l'histoire des " piqueteros ", ces mouvements de chômeurs organisant depuis près de dix ans des piquets de protestation, mais aussi d'organisation de la survie, avec par exemple des cantines populaires. Les auteurs qualifient ce mouvement de spontané, parlant de " création politique et sociale 'sui generis' ", mais en retraçant son histoire, ils montrent ses liens avec les formes d'organisations du mouvement paysan enrichies par l'expérience militante des ouvriers d'usines licenciés, et par le soutien des organisations politiques d'extrême-gauche. C'est cette conjonction qui a permis notamment que l'unité dans des luttes ponctuelles se mette en place avec les salariés ayant encore du travail, comme ceux des services publics.
Le livre insiste particulièrement sur la formidable énergie du peuple argentin, frappé par une crise qui a provoqué un recul terrible du niveau de vie moyen, passant de 9000 dollars en 1997 à 3200 dollars aujourd'hui, avec un chômage touchant un salarié sur trois. Cette crise qui a aussi ruiné les classes moyennes a entraîné une partie de celles-ci dans la lutte, aux côtés des chômeurs. Depuis le mois de décembre, la population s'est organisée en assemblées générales, de quartiers, de voisins. Se réunissant une ou plusieurs fois par semaine, ces assemblées prennent les décisions pour organiser la survie du quartier, par exemple empêcher les coupures d'électricité ou d'eau, mais aussi débattent de toutes les questions sociales et politiques de l'heure.
Le livre s'arrête aux problèmes auxquels le mouvement était confronté à la mi-juillet. Depuis les mois d'avril et mai, le mouvement connaissait un reflux, avec une désaffection progressive dans les assemblées de quartier. Après une première phase qui a abouti aux démissions de plusieurs gouvernements et présidents, la répétition des manifestations pendant plus de trois mois n'a pas permis de gagner une amélioration des conditions de vie de la population : " un chemin long et difficile, fait d'accumulation d'expériences ainsi que de nécessaire développement à une échelle de masse, reste à parcourir avant d'être en mesure de présenter une alternative de pouvoir populaire ". Les auteurs soulignent les difficultés pour les assemblées populaires de se coordonner nationalement, de déterminer leur propre politique face au gouvernement qui poursuit ses attaques contre la population, et de trouver une solidarité auprès des autres peuples d'Amérique latine. Enfin, si les auteurs comparent ces assemblées aux soviets ouvriers de Russie de la Révolution de 1905, ils expliquent par ailleurs que ces assemblées n'existent pas réellement dans les usines et les entreprises où la classe ouvrière est encore salariée.
Ils posent le problème du rôle des organisations d'extrême gauche dans ce contexte, dont les militants et porte-parole jouissent d'un crédit réel auprès de la population, participant activement à l'organisation de la population. On ne peut que partager avec les auteurs l'espoir que le courant trotskiste, particulièrement présent, réussisse à surmonter ses divisions pour proposer une direction au mouvement.
Franck Coleman