Débat militant
Lettre publiée par des militants de la LCR
n°23
22 janvier 2003

Sommaire :

Du 21 avril au 9 janvier en passant par le 5 mai : de la rupture avec les illusions parlementaires au regroupement pour une unité de lutte

Pour une gauche alternative ou une gauche révolutionnaire ? Le projet de Rifondazione Comunista en question
A propos des textes mis au vote au congrès de LO
Les acquis du trotskysme indispensables à une renaissance du marxisme révolutionnaire Internationaliste

Du 21 avril au 9 janvier en passant par le 5 mai
De la rupture avec les illusions parlementaires au regroupement pour une unité de lutte

Le 9 janvier dernier, les militants et salariés d'EDF qui ont fait gagner le " non " au referendum, ont introduit un grain de sable dans la mécanique du consensus qui s'était établi entre la direction de l'entreprise et la plupart de leurs directions syndicales, notamment celle de la fédération de la CGT.
C'est un point d'appui extrêmement important pour renforcer l'opposition aux contre-réformes libérales et organiser la lutte, au moment où l'ensemble des directions syndicales, à l'exception de Sud, se sont d'ores et déjà positionnées à l'intérieur du cadre fixé par le gouvernement Raffarin. Témoin l'accord qu'elles ont signé le 7 janvier, en vue et sous couvert de la manifestation unitaire le 1er février, qui non seulement affirme la " nécessité " d'une réforme au nom de l'argument démographique, mais intègre l'allongement de la durée de cotisation des salariés du public. L'évolution de la direction de la fédération mines-énergie et de son dirigeant Denis Cohen, loin d'être une exception dans la CGT, est en phase avec l'évolution générale de la Confédération qui confirmera probablement cette attitude dans les négociations que vient de réouvrir le Medef, dans la continuité de sa " refondation sociale ". A n'en pas douter, c'est aussi cette évolution que le gouvernement Raffarin a prise en compte, lui qui vient d'annoncer son intention de procéder sans tarder à une réforme de la Sécurité sociale.
Les militants et salariés d'EDF qui ont fait campagne et voté pour le " non " au référendum ont refusé le piège qui leur était tendu. Ils ont refusé d'accepter un accord qui, tout en préservant soi-disant leurs acquis, s'inscrit dans le cadre de la future privatisation de l'entreprise et de la réforme globale sur les retraites. D'un côté, l'adaptation des directions syndicales qui conduit celles-ci à accompagner les réformes, sans rien tenter pour s'y opposer sérieusement, au nom du moindre mal ; de l'autre, le refus du recul social et la conscience qu'on ne pourra s'y opposer que par la lutte. Tels étaient les enjeux du vote du 9 janvier.
En ce sens, le 9 janvier vient en complément du 21 avril. Il rejoint le désaveu infligé lors du premier tour de la présidentielle aux partis de gauche par une très large fraction du monde du travail. Le rejet des partis de cohabitation ayant mené depuis 20 ans l'offensive libérale s'y était exprimé tant sous la forme de l'abstention massive que, d'une manière plus consciente et plus engagée, dans le vote pour l'extrême gauche. Pour les 3 millions d'électeurs qui avaient fait ce choix, c'était une manière d'affirmer qu'ils plaçaient leurs espoirs dans une perspective de lutte, en rupture avec les partis de gauche, une émancipation des illusions qu'ils nourrissaient auparavant à leur égard.
L'importance du 9 janvier tient à ce qu'il exprime, chez de nombreux salariés, la conscience d'une situation nouvelle, dont les données sont le résultat des transformations dont témoigne le 21 avril et qu'il a approfondies. Une de ces données essentielles est l'attitude de collaboration des directions syndicales, notamment de la CGT, avec le gouvernement de droite. La tentative de rapprochement avec la CFDT que la centrale alors dirigée par Viannet n'avait pu mener jusqu'au bout, à cause du mouvement de l'hiver 1995, se réalise aujourd'hui, dans une volonté commune de se prêter au jeu du dialogue social par lequel le gouvernement Raffarin espère faire accepter ses contre-réformes.
Il est impossible de comprendre ces transformations, sans faire un retour sur le vote du 5 mai qui a libéré les directions syndicales de leurs réticences - pour celles qui en avaient encore - à collaborer avec un gouvernement de droite.
En appelant à voter pour Chirac qu'elle a érigé en rempart de la République contre le Front national, la gauche lui a donné une légitimité populaire inespérée après ses 19 % au premier tour.
Chirac, Raffarin et leurs ministres se sont glissés avec bonheur dans ce nouveau rôle, l'occasion pour eux de s'affirmer comme les dirigeants d'une droite nouvelle, dont le populisme cherche à séduire aussi bien les électeurs de l'extrême droite qu'une partie de l'électorat de gauche. La nouvelle UMP remplace la droite traditionnelle et le vieux RPR, dont les dirigeants, tels Juppé ou Debré sont évincés, sinon de la scène politique, du moins de l'entourage immédiat de Chirac. Chirac lui-même " s'est transformé ", nous dit Le Monde, sur deux pleines pages, la semaine dernière. Excès de flagornerie, sans doute, mais l'article exprime néanmoins une réalité. C'est ainsi que Chirac s'est saisi du 40ème anniversaire du traité franco-allemand pour affirmer cette nouvelle posture, celle du grand homme d'Etat au-dessus des partis, qui se situe dans la continuité, voire le dépassement, de de Gaulle et de Mitterrand. Cette image qu'il veut donner de lui-même n'aurait pu avoir la moindre once de crédibilité sans le plébiscite du 5 mai.
Le 5 mai, l'illusion parlementaire du moindre mal, qui avait été sérieusement écornée le 21 avril, s'est imposée avec force, dans le désarroi suscité par l'irruption d'un Le Pen au deuxième tour. Nombre de travailleurs mesurent aujourd'hui qu'ils se sont trompés.
Mais de cette crise se dégage une conscience plus claire des clivages réels qui traversent d'ailleurs l'ensemble des organisations du mouvement ouvrier et social. Dans les syndicats comme dans les partis de gauche, ils séparent ceux qui veulent organiser la lutte contre les réformes du gouvernement et ceux qui ont déjà fait le choix de les accompagner. Regrouper ces forces encore dispersées, organiser l'unité pour la lutte, en rupture avec la collaboration des directions syndicales avec le gouvernement, dépendent pour une part de notre capacité à aider les travailleurs à tirer jusqu'au bout les enseignements de cette crise du 21 avril, sans oublier ses prolongements du 5 mai.

Galia Trépère



Pour une gauche alternative ou une gauche révolutionnaire ?
Le projet de Rifondazione Comunista en question

Le projet de regroupement de la " gauche alternative européenne " dont le Parti de la Refondation Communiste (PRC) a fait sa priorité en avril 2002 lors de son Ve Congrès alimente bien des débats. Au lendemain du Forum social européen (FSE) de Florence mi-novembre a eu lieu un premier échange entre les différents courants que vise la proposition de Rifondazione, à savoir les formations à gauche des sociaux-libéraux.
Cette discussion porte aussi sur le renouveau des " gauches radicales en Europe ", à partir des diverses expériences de rassemblement en cours, notamment en Angleterre avec la Socialist Alliance (SA) ou en Écosse avec le Scottish Socialist Party (SSP), où cohabitent des courants trotskystes séparés parfois depuis des décennies et qui, jusqu'à encore très récemment, s'ignoraient, à l'instar du Socialist Workers Party (SWP) et des sections de la Quatrième internationale.
Gauche alternative ou gauche radicale ? Gauche alternative et gauche radicale ? Ces nouvelles étiquettes entretiennent plus la confusion sur ce qu'elles recouvrent qu'elles n'éclairent sur les enjeux. Gauche alternative, antilibérale, radicale, anticapitaliste, révolutionnaire : ces notions sont-elles interchangeables ou expriment-elles des délimitations différentes ? Poser la question, c'est évidemment y répondre. Chacune des formules qui fleurissent depuis l'effondrement du stalinisme, et plus encore depuis le renouveau de la gauche révolutionnaire, dessine des projets distincts - souvent contradictoires - qu'il s'agit d'identifier clairement pour les discuter réellement.
Que propose au juste le PRC ? La résolution adoptée par une écrasante majorité des militants au congrès de Rifondazione au printemps fixe explicitement la perspective (3) : " […] l'objectif stratégique de notre parti à l'étape actuelle est la construction de la gauche alternative ". " La construction de la gauche alternative est une tâche qui s'impose déjà y compris au niveau européen où il est réaliste, et non seulement nécessaire, de se fixer concrètement, sur la base de l'expérience de la Gauche unie européenne, l'objectif de la construction d'un nouveau sujet politique européen rassemblant, dans leurs diversités politiques et organisationnelles, les forces communistes et alternatives ", défend le document. Et le PRC entend sinon concrétiser immédiatement son projet au moins en poser sans tarder les premiers jalons. Il s'agit d' " ouvrir une phase constituante ", pas moins.
Le discours-programme prononcé devant les congressistes par Fausto Bertinotti trace les contours de cette gauche unie, alternative au centre-gauche en Italie, opposée au social-libéralisme en Europe (4). À Rimini, le secrétaire général du PRC a détaillé la perspective, cherchant à donner une expression politique au regain de combativité qui s'exprime depuis 1995 et que Seattle a symbolisé. À l'instar des courants altermondialistes, Bertinotti propose de rompre avec la vision étriquée du réformisme qui hier encore bornait son horizon aux frontières nationales ; il s'agit dorénavant de poser les problèmes à l'échelle planétaire et de se structurer au-delà des États nationaux pour y répondre. Le capitalisme borne en revanche l'horizon. À la manière des versions réformistes classiques, Bertinotti évoque au mieux son " dépassement ". La révolution ? C'est une référence verbale, abstraite. " Il s'agit d'y retourner, pour aller au-delà, en saisissant les nouvelles contradictions du capitalisme d'aujourd'hui, en rencontrant les nouvelles subjectivités et les nouvelles pensées critiques, pour nous placer sur le terrain contemporain, avec une théorie et une pratique critique adéquates. "
Bertinotti dévoile une vision institutionnelle de la transformation sociale - typique elle aussi du réformisme. Le dirigeant de Rifondazione " propose de construire dans la société en Italie et en Europe, un modèle social et démocratique alternatif, qui pourra devenir aussi une alternative gouvernementale, sur la double base du refus de la guerre et des politiques néolibérales. " " La proposition est claire, assène-t-il : une forme de lutte radicale au parlement, l'obstructionnisme, et une initiative forte et innovatrice dans la société, un paquet fort et concentré de référendums. "
Le jugement porté par Bertinotti sur le gouvernement Jospin révèle à lui seul la politique qui inspirerait la direction du PRC une fois au pouvoir. Dans une interview à L'Humanité le 10 mai 2001 - 20 ans après la victoire de Mitterrand ! - Bertinotti expliquait sans ambages : " Le centre-gauche a déçu les espérances et les attentes du peuple italien qui l'avait conduit à la victoire en 1996. Et les rapports entre Refondation et le centre-gauche sont exemplaires de ce point de vue. Pendant deux ans, nous avons essayé de déplacer l'axe du gouvernement dans un sens plus progressiste et pendant deux ans, c'est-à-dire jusqu'à l'entrée dans l'euro, il y a eu un compromis entre les instances progressistes et les instances conservatrices. Le gouvernement italien s'est alors trouvé à un croisement. Il avait le choix entre un programme réformateur, tel que nous le proposions, s'appuyant même sur l'expérience de la gauche plurielle en France, et céder aux pressions de la Confindustria, pour tenter un rapprochement avec le centre-droit de Berlusconi. " L' " alternative gouvernementale " à laquelle se réfère Bertinotti a eu le succès qu'elle méritait le 21 avril dernier…
Gauche alternative ou gauche révolutionnaire ? On le voit, ce débat sur les étiquettes n'est ni mineur, ni abstrait. Il renvoie directement aux contenus et aux objectifs des luttes contre l'exploitation et l'aliénation capitaliste, à commencer par les luttes quotidiennes jusqu'à la prise du pouvoir. S'en tenir à une dénonciation du social-libéralisme à la manière de Bertinotti, c'est finalement manquer la leçon essentielle des vingt dernières années et que la défaite de la gauche plurielle a sanctionné. On ne peut se débarrasser du capitalisme sans révolution. Le ralliement des réformistes - sociaux-démocrates comme staliniens - au réformisme sans réforme, et du réformisme sans réforme à l'acceptation passive du social-libéralisme, découle de l'adaptation aux exigences de la bourgeoisie inhérente à la gestion loyale du capitalisme.
Le chantier ouvert par le Ve Congrès du PRC est vaste, mais Fausto Bertinotti y travaille méthodiquement depuis le printemps, et avec quelques succès. Le secrétaire général de Rifondazione a en effet marqué un point essentiel lors de la IVe Conférence de la Gauche anticapitaliste européenne (GAE) réunie à Madrid les 18 et 19 juin 2002. Les Conférences réunissent depuis 2000 deux fois par an d'importants courants d'extrême gauche, notamment le SWP, le SSP et la LCR. La Gauche anticapitaliste européenne a d'abord enregistré à Madrid l'adhésion du PRC qui demeure membre de la Gauche unie européenne (GUE) dans laquelle se trouve des partis communistes comme le PCF. Elle a surtout affiché sa convergence avec le projet de Rifondazione. " La Conférence se prononce pour ouvrir un processus vers une formation anticapitaliste européenne, capable de présenter une alternative crédible à la gauche gouvernementale social-libérale. Dans cet esprit, la Conférence appuie l'Appel du PRC qui compte lancer un Forum de la gauche alternative, au mois d'octobre prochain ", note le communiqué final (5). Partant, la Conférence a entrouvert la porte pour qu'une partie de la gauche réformiste soit estampillée " alternative " dès lors qu'elle rejette - une fois revenu dans l'opposition évidemment - le social-libéralisme.
La deuxième phase de l'opération s'est jouée à la veille du FSE. Pendant deux jours, les 5 et 6 novembre, des organisations issues de la mouvance communiste telles le PCF et de la gauche révolutionnaire comme la LCR ont donc débattu, à l'invitation du PRC, de l'Union Européenne et des questions de la guerre, des droits sociaux et citoyens, d'une perspective économique et politique alternative et du projet d'un rassemblement de la gauche alternative. On peut se féliciter que pour la première fois de l'histoire un tel débat puisse avoir lieu ; il révèle que la crédibilité de l'extrême gauche s'impose y compris dans les rangs de ceux qui lui ont toujours été opposés. Mais on ne peut ignorer les motivations qui l'ont rendu possible. Qu'il n'y ait aucune méprise : personne ne peut rejeter en soi qu'un débat s'instaure avec le PCF ou d'autres formations réformistes. Ce n'est pas cela qui est en cause. Ce qui fait problème, c'est le terrain sur lequel se situe la discussion, ce sont les concessions acceptées pour que le débat s'engage : c'est la Gauche anticapitaliste qui est venu sur le terrain de Rifondazione et non l'inverse. À nos yeux, la volonté du PRC d'avancer parallèlement sur la construction de la gauche alternative et sur la constitution de listes unitaires aux Européennes signalent que l'enjeu pour la Gauche unie est de capitaliser à son profit la sympathie dont bénéficie l'extrême gauche, depuis le milieu des années 90, un peu partout en Europe. Sans forcément le vouloir, les révolutionnaires légitiment se faisant l'idée que des convergences sont possibles avec des formations dont la politique présente ne marque pourtant aucune rupture fondamentale avec leur politique passée.
Cela vaut pour le PCF. Cela vaut également pour le PRC. Il ne viendrait à l'idée de personne de nier les changements importants intervenus dans l'orientation de Rifondazione depuis dix ans : d'une certaine manière, la création même du PRC en opposition à la volonté de la majorité de l'ancien Parti communiste italien (PCI) de se transformer en Parti des démocrates de gauche (PDS) témoignait des ruptures en cours au sein des organisations traditionnelles ; et depuis les scissions, en 1995, de Sergio Garavini, secrétaire national au congrès de fondation, et de la majorité du groupe parlementaire puis, en 1998, d'Armondo Cossutta, secrétaire général du PRC en 1991, et - à nouveau - de la majorité du groupe parlementaire, ont approfondi les clarifications. Le PRC se singularise incontestablement : il est l'unique cas avec ces 120 000 membres d'un ex-courant stalinien de masse à ne pas avoir rallié la social-démocratie ; à la différence des autres partis, la scission de 1991 a permis à Rifondazione d'entamer sa mue avant que l'érosion de ses positions n'en entrave le cours. Partant Rifondazione occupe sur l'échiquier une place sans pareil. Mais il s'agit d'apprécier ses évolutions sans masquer les ambiguïtés qui demeurent, et notamment celle concernant la nature du programme du PRC. La perspective d'une gauche alternative en témoigne. Et cela ne peut que questionner une politique qui viserait à appuyer cette orientation plutôt qu'à chercher à gagner les militants communistes encore sous son emprise ou en voie de rupture.
Rasséréné par le succès du FSE, le secrétaire général du PRC a d'ailleurs précisé fin décembre le projet de son parti. Bertinotti soumet à la discussion " Quinze thèses pour la construction d'une gauche européenne alternative " (6). Et il voit large : " Les forces représentées au sein de la Gauche unie européenne et les forces politiques qui se situent en Europe à la gauche de l'Internationale socialiste sont appelées à cette tâche afin de sortir de la minorité ", précise-t-il. Les bases du rassemblement sont, elles, autrement plus resserrées : " Ses seuls discriminants sont l'opposition radicale à la guerre et l'abandon de toutes les politiques néolibérales. " À quelques semaines de l'ouverture de la troisième édition de Porto Alegre où va se débattre à l'initiative notamment d'Attac-France, de la Confédération unie des travailleurs (CUT) et du Mouvement des travailleurs sans terre (MST) du Brésil la mise en place d' " un réseau mondial des mouvements sociaux " (7), Bertinotti inscrit son projet dans le sillage du mouvement des mouvements. Cette proximité n'est pas innocente. Elle témoigne de la prégnance, sous une forme renouvelée, du réformisme, soulignant que l'anticapitalisme revendiqué par nombre d'altermondialistes n'exprime pas nécessairement une rupture avec les conceptions qui détournent depuis des décennies travailleurs et jeunes du combat pour supprimer définitivement toute forme d'oppression et d'exploitation sur la planète. Le dire ne nous conduit pas à rejeter dédaigneusement le combat contre la mondialisation et avec tous ceux qui le mènent ; cela nous pousse simplement à insister sur le besoin de lutter pied à pied contre des idées contraires aux nôtres.
Oui, la question d'un regroupement se pose. Mais l'unité ne vaut que si elle permet un pas un avant pour le mouvement ouvrier. Se détourner des milliers de communistes du PRC comme du PCF serait tragique. S'adapter à leur politique serait une erreur symétrique. Aujourd'hui, la gauche révolutionnaire représente un pôle de référence pour une masse de militants en attente d'un débouché enthousiasmant, d'un tremplin pour une nouvelle force défendant jusqu'au bout les intérêts des opprimés. En Italie comme en France, être capable de nouer des liens militants avec des secteurs issus des partis traditionnels est un défi. S'adresser directement à la base de ces formations sans viser d'abord des accords au sommet avec des appareils déconsidérés est un préalable. En France où des cellules du PCF se tournent vers l'extrême gauche, nous devons collectivement, au-delà des querelles entre groupes trotskystes que personne ne comprend pas même leurs militants, tracer la perspective d'une gauche révolutionnaire, rompant avec ses propres infirmités héritées de décennies de marginalité. Un pas essentiel serait la mise en avant d'un programme d'action unissant les travailleurs contre les attaques patronales et gouvernementales. Cela justifierait pratiquement le caractère irremplaçable d'un parti des travailleurs, révolutionnaire, entièrement voué au service de la lutte de classe.
La discussion sur le projet de Rifondazione s'amorce. Et elle est amenée à se poursuivre au-delà des rangs de la IVe comme de la gauche révolutionnaire. Elle s'impose à tous ceux qui veulent œuvrer à une renaissance du mouvement ouvrier. La faillite des organisations traditionnelles qui encadraient la classe ouvrière, politiques comme syndicales, impose une réorganisation complète du mouvement ouvrier qui ne se fait pas à partir de rien.
Quant au fond, le contenu de ce débat est de définir une politique vis-à-vis des militants qui ont été ou qui sont encore influencés par ces vieux partis. Cela nécessite que nous gardions notre pleine liberté de mouvement et d'action tout en menant le débat, en agissant ensemble quand cela est possible afin que nous nous donnions les moyens de devenir l'axe des regroupements.


Serge Godard

(1) De larges extraits du texte adopté par le congrès du PRC sont reproduits dans Inprecor, n° 470-471, mai-juin 2002.
(2) Ibid.
(3) Inprecor, n° 472-473, juillet-août 2002.
(4) <http://www.sap-pos.org/lagauche/2002/decembre/quinze_thËses_pour_la_construction.htm>
(5) <http://www.attac.info/poa2003/?NAVI=1016-111309-14fr>


A propos des textes mis au vote au congrès de LO

Le numéro de décembre de Lutte de classe, la revue politique de Lutte ouvrière, publie les textes mis au vote à son dernier congrès.
On est étonné de constater à quel point le repliement de LO sur elle-même s'exprime dans ces textes. Ils sont des constats voire des commentaires auxquels le plus souvent nous souscrivons mais il n'y a aucun lien entre l'activité militante, les perspectives politiques et les analyses. Rien n'est pensé du point de vue de l'action collective, l'analyse n'est pas faite du point de vue de la lutte de classe réelle, c'est-à-dire dans l'optique de saisir ce qui, dans les évolutions sociales, économiques, politiques, renforcent ou affaiblissent les travailleurs, quelles transformations des consciences ouvrent un espace pour l'action des révolutionnaires, ou de formuler les perspectives en fonction de ces évolutions… Non, rien de tout cela, LO commente et ne pense ses perspectives que de façon auto-centrée en les considérant uniquement d'un point de vue volontariste.
Cet article ne prétend pas discuter de l'ensemble des questions abordées dans les textes du congrès de LO ni en faire une critique exhaustive mais plus simplement souligner les points significatifs des raisonnements de LO et de la façon dont aujourd'hui elle se définit politiquement

La situation internationale, constat, généralités et référence à soi-même
Le texte sur la situation internationale plante le cadre du raisonnement et de l'optique de la direction. Le regard est tourné vers le passé, la direction est dans une attitude d'auto-justification. Le texte est introduit par une citation du congrès précédent et se termine par la conclusion… du même congrès. Le monde ne bouge que pour confirmer les analyses de la direction de LO : " Les attentats de New York et de Washington, les manœuvres diplomatiques et les opérations militaires qui s'en sont suivies ne constituent pas un tournant dans les relations internationales mais un révélateur. " Mais révélateur de quoi ? Peut-être… d'un tournant dans… Et, de fait, c'est ce que décrit le texte d'un point de vue que l'on partage, mais chut, il ne faut pas le dire… Au détour de quelques phrases, l'auteur se trahit, " malgré la disparition " de l'ennemi soviétique ", le budget militaire américain atteint des sommets qu'il n'avait jamais atteint aux pires moments de " la guerre froide ". Il se serait donc peut-être passé quelque chose, un tournant, une rupture… Mais tout cela ne prouve qu'une chose, c'est que l'impérialisme reste l'impérialisme !
Et de " reprendre cette conclusion ", celle du congrès précédent : " La seule alternative est la renaissance du mouvement ouvrier révolutionnaire ". Certes, nous votons des deux mains, mais quelles sont les évolutions qui rendent possible une telle renaissance, comment y œuvrer concrètement, pratiquement ?
Les réponses ne sont pas simples, en les formulant ou en formulant différentes hypothèses, on prend inévitablement le risque de se tromper et ne pas pouvoir se citer avec autant de certitude au… prochain congrès. Prendre ce risque suppose de garder l'esprit critique vis à vis de soi-même…

Et si nous faisions " le bilan des trente ans écoulés "
Quand la direction de LO aborde la " situation économique ", elle ne cherche pas à établir de lien entre l'évolution économique et les relations internationales, si ce n'est sous l'angle de l'Europe. Elle emploie la même méthode, l'analyse-constat d'un monde fermé dont l'histoire ne serait que répétition.
On est un peu stupéfait de voir l'auteur balayer d'un revers de main l'idée d'une " révolution technologique " en prenant argument de l'effondrement de " la nouvelle économie ". N'est-il pas pourtant, pour un marxiste, assez évident de dissocier les progrès techniques de la façon dont le capitalisme en use ? Au dix-neuvième siècle, les krachs qui ont jalonné le développement des chemins de fer n'ont pas fait de la locomotive l'équivalent de la charrette à bras !
L'auteur est bien obligé de s'interroger sur le bilan " des trente années écoulées ". " Il est à la mode, écrit-il, de donner aux changements intervenus… le nom de " mondialisation ". ". Tout en dénonçant les ambiguïtés du mot, ce que personne ne conteste, il admet qu'il décrit une part de la réalité pour ajouter que cette réalité nouvelle " résulte de l'évolution de l'impérialisme lui-même dont les traits les plus caractéristiques se sont accentués encore depuis le temps où Lénine le décrivait. " La discussion s'arrête là sans discuter de l'importance de ces changements du point de vue du développement du mouvement ouvrier, voire de nouvelles luttes révolutionnaires et des possibilités de transformation de la société.
Pour conclure cependant : " mais les formidables moyens techniques, les formidables moyens de communication et d'échanges modernes à l'échelle de la planète, les formidables possibilités de mise en commun des connaissances, tout cela bute sur l'anachronisme des rapports sociaux. " Y aurait-il donc eu une révolution technologique ?…

" Les fausses évidences "…
Dans le texte sur la situation intérieure, la direction de LO revient longuement sur l'analyse qu'elle fait et des résultats d'Olivier Besancenot et sur le raisonnement qui justifie son sectarisme à notre égard.
Elle part en guerre contre les " fausses évidences " de ceux qui pensent que " le fait que le total des voix des candidats étiquetés à l'extrême-gauche ait dépassé les 10 % " permettrait de penser " que l'extrême gauche pourrait être une force politique capable de peser sur les événements, pour peu qu'elle sache s'unir. " Le raisonnement de ceux, dont nous sommes, qui militent pour l'unité, est pour le moins simplifié à l'extrême. L'unité n'a pas de vertu par elle-même, indépendamment du contenu et des objectifs que se donnent les différents protagonistes. Nous militons pour l'unité sur la base d'un contenu précis, celui du programme d'urgence sociale et démocratique que nous avons, les uns et les autres, défendu durant la campagne des présidentielles dans l'objectif de contribuer à la préparation d'une riposte de l'ensemble du monde du travail.
Pour justifier son préjugé sectaire, l'auteur du rapport enfonce des portes ouvertes, des " fausses évidences ", affirmant que l'électorat d'Arlette et celui d'Olivier ne sont pas les mêmes. Certes, il n'était pas possible de voter pour les deux à la fois, donc, ils sont différents ! Il n'empêche que quand les sondages donnaient Arlette à 10 %, la direction de LO pensait bien que toutes ces voix devaient avoir par delà la diversité des motivations des électeurs un dénominateur commun.
Le fait que ces voix se soient réparties sur principalement deux candidats dans le cours même de la bataille électorale à un sens politique qu'il faut analyser. Olivier Besancenot a permis que s'exprime une vision ouverte, démocratique, unitaire, jeune, de l'extrême gauche alors que la direction de LO enfermait Arlette dans une campagne sectaire et moraliste.
La direction de LO enfonce les portes ouvertes, ce qui est différent n'est pas pareil ! Bravo ! Mais il ne lui reste plus qu'à discuter de ces différences qui lui renvoient une image d'elle-même à laquelle elle devrait réfléchir .

Des perspectives " qui s'excluent mutuellement "
" LO se situe dans la perspective de reconstruire dans ce pays un véritable parti ouvrier révolutionnaire, un nouveau parti communiste. La LCR se situe dans la perspective d'une recomposition à la gauche de la gauche officielle, déconsidérée. Ces deux perspectives ne sont pas seulement différentes, elles s'excluent mutuellement. "
Le choix du verbe exclure a un sens précis. Deux politiques qui s'excluent se combattent, ce qui est contradictoire avec ce que prétend la direction de LO en particulier dans la motion qu'elle a fait voter contre la fraction. Il y a là une contradiction qui résulte de l'évolution de LO qui a pendant des décennies défendu une politique unitaire et opposée au sectarisme et qui aujourd'hui, dépassée par l'histoire, s'isole.
Ceci dit, le raisonnement de LO est purement formel et ambigu.
Un nouveau parti communiste se situera inévitablement… à gauche de la gauche faillie. Il se construira à partir d'éléments en rupture avec la gauche déconsidérée. Quoi que l'on pense de la formule " 100% à gauche ", de son ambiguïté, ou de celle de " à gauche de la gauche ", il ne faudrait pas faire de faux procès en oubliant que jusqu'à preuve du contraire, c'est bien la LCR qui s'appelle Ligue communiste révolutionnaire !
Alors bien sûr, le contenu politique que chacun met à l'idée d'une force nouvelle est l'objet de débat, mais ce débat est celui de l'ensemble de l'extrême-gauche. En effet, une fois que LO a dit vouloir construire un véritable parti ouvrier révolutionnaire, l'adjectif véritable ne définit ni le programme ni la forme, et encore moins une stratégie de construction de ce nouveau parti. Quant à l'expression " nouveau parti communiste " employée pour polémiquer contre la LCR, son usage est pour le moins ambigu. Ce nouveau parti ressemblerait-il à l'ancien ? On nous dira aussitôt que non, bien sûr. En fait, la formule est tout aussi ambiguë que " à gauche de la gauche ". Comme toute formule qui vise à tracer un lien entre l'ancien et le nouveau.
Il ne reste plus qu'à avoir un véritable débat sur nos tâches. C'est ce débat que la direction de LO ne semble pas vouloir.

" Proposer à la classe ouvrière un plan d'action, une stratégie de remobilisation "
Dans le même texte sur la situation intérieure, LO analyse assez justement la politique des grandes confédérations syndicales et en particulier de la CGT, pour conclure qu'elles ne sont en rien " soucieuses d'organiser la résistance de la classe ouvrière aux attaques. "
" Cette réalité, écrit-elle, limite évidemment les possibilités d'intervention de la petite organisation que nous sommes, mais nullement nos possibilités de propagande autour de la nécessité d'une lutte d'ensemble de tous les travailleurs, ni nos possibilités d'agitation pour que les journées de mobilisation ou de grève représentent un encouragement pour les travailleurs, et non pas une source de découragement supplémentaire. Nous n'aurons aucune influence pour une telle mobilisation. Mais convaincre des travailleurs autour de nous sur ce terrain nous permettra de renforcer notre influence politique ." Quel raisonnement étriqué et timoré !
Qu'est-ce que signifie faire de la propagande pour que les mobilisations soient un encouragement ?
Unir les forces de ceux qui défendent la même orientation sur la nécessité d'une riposte d'ensemble ne serait-ce pas le meilleur encouragement ? N'est-ce pas la seule façon de faire ce que les centrales syndicales ne font pas, agir ensemble dans le sens de " proposer à la classe ouvrière un plan d'action, une stratégie de remobilisation. "
Que la LCR et LO affichent leur volonté de s'unir, ne serait-ce que pour essayer d'aider à une riposte d'ensemble, serait de toute évidence un encouragement aux militants du PC, voire du PS, écœurés par la politique de leur parti comme de leur syndicat. Nous pensons pour notre part qu'au moment où le non au référendum d'EDF ouvre une crise dans la CGT, unir nos forces pour affirmer la perspective d'une riposte d'ensemble est indispensable.

Retour sur le vote Chirac
Ceux qui partagent l'analyse de LO sur le plébiscite offert par la gauche à Chirac, auraient aimé que LO discute des conséquences de cette politique qui n'a pas été que celle de la gauche plurielle mais aussi de l'ensemble des confédérations syndicales qui ont réussi à faire partager leurs préjugés réformistes, parlementaires à de larges fractions de l'opinion et de la jeunesse. LO ne discute pas politique, LO accuse et condamne.
On peut ironiser avec mépris, sur " les " manifestations citoyennes " de la jeunesse alors qu'elles rappelaient souvent celles du " Mondial " de football de 1998 ", mais ce jugement de vieux ne répond pas aux préoccupations des jeunes.
Au lieu de juger, de condamner, voire de mépriser, il vaudrait mieux discuter au moment où de nombreux travailleurs et jeunes comprennent qu'ils se sont trompés.
Il faut expliquer le lien entre la force du gouvernement et le vote Chirac, une force qui ne lui vient pas du Parlement et des députés UMP, mais bien du ralliement politique du PS, du PC, des Verts comme des syndicats, ralliement qui laisse sans armes les salariés et la jeunesse.
Notre problème n'est pas de juger mais de convaincre, d'accepter de faire l'expérience avec les autres sans abdiquer de nos positions justement pour pouvoir expliquer, convaincre et entraîner.
Mais pour cela, il faut avoir une politique, or LO n'en n'a pas.
Peut-on, en effet, appeler une politique l'objectif de " transmettre les idées communistes dont nous sommes les dépositaires " ?
Les idées du communisme ne sont pas un dogme laissé en dépôt mais les idées de la lutte pour l'émancipation. Elles ne se transmettent pas, elle vivent à travers les luttes d'émancipation, se pensent et se reformulent dans ces luttes qui naissent des transformations en cours et des crises qu'elles provoquent.
Les idées du communisme, c'est la vie, c'est la jeunesse.

Une minorité prisonnière de la politique de sa majorité
La lecture du texte de la minorité apporte comme une bouffée d'air bienvenue. " Notre orientation dans la période, écrivent nos camarades, est de faire campagne pour ce mouvement d'ensemble sur ces revendications d'ensemble. " On souscrit, tout en regrettant que ces propositions ne s'adressent pas prioritairement à l'extrême-gauche. Un des avantages d'une telle campagne, écrit la minorité, serait " de faire émaner de l'extrême gauche en direction du PCF d'autres propositions que celles de la LCR… "
Et de renchérir : " Les objectifs actuels affichés de la LCR et de LO s'excluent en effet mutuellement. " Et ensuite on apprend que la direction de LO a fait l'erreur de laisser la Ligue se renforcer : " Olivier Besancenot s'est fait un nom et une popularité en emportant des voix qui serait allées pour une grande part sur le nom d'Arlette aguiller s'il y avait eu une candidature commune. " Voilà qui a le mérite d'être clair. La minorité semble surtout reprocher à la majorité ses illusions sur " notre supériorité sur la LCR qui a amené la direction de LO à repousser avec mépris ses propositions ".
Ces lignes lui valent le vote d'une remontrance par la majorité publiée en note au texte de la minorité. Elle est accusée de " mensonge et hypocrisie ". Curieuse méthode de discussion !
La minorité souligne cependant le trait en écrivant : " à supposer que la LCR réussisse dans son entreprise […] un tel parti serait un obstacle dans la voie de la construction du parti communiste révolutionnaire. "
Critiquer notre organisation sur ses ambiguïtés est tout à fait légitime. Autre chose est de présenter sa politique, ou son succès, comme un obstacle à la construction d'un parti révolutionnaire. Les chemins de la radicalisation sont complexes et la vraie audace révolutionnaire est d'être capable d'intégrer dans sa propre politique différentes possibilités au lieu de se délimiter de façon sectaire.
La minorité de LO oscille autour d'un axe défini par sa majorité sans s'en émanciper. Après dix ans d'existence, elle n'a pas su formuler une autre politique que celle de sa majorité parce qu'elle ne peut dépasser son horizon politique. Pourtant, c'est bien de cela dont il s'agit.

Unanimité et moralisme ou unité démocratique et révolutionnaire
La minorité est prisonnière du même type de raisonnement que sa majorité, celle d'une organisation gauchiste qui se définit contre les autres de façon sectaire sans trouver les moyens de formuler une politique, une stratégie pour construire un nouveau parti, ce que LO dans le passé a su faire.
La minorité ne se dégage pas de sa majorité, elle-même prisonnière de son passé, qui se referme lentement sur elle. La direction de LO s'enferme dans son repliement que laissait augurer l'exclusion des militants qui ont fondé ensuite la tendance Voix des travailleurs et qui aujourd'hui militent au sein de la LCR. Elle arrive au terme de ses potentialités dynamiques quand elle représentait une politique originale tournée vers la classe ouvrière et prétendant rompre avec le gauchisme et le sectarisme.
L'unanimisme et le moralisme étouffent tout dynamisme en son sein au moment où la renaissance d'un mouvement ouvrier révolutionnaire passe par un regroupement démocratique, la constitution d'un cadre qui permettrait aux différentes politiques de se confronter en toute solidarité tout en permettant à ceux qui rompent avec le social-libéralisme et le réformisme de militer ensemble tout en faisant leur propre expérience.
LO comme toute l'extrême gauche ne pourra échapper aux transformations en cours. Nous souhaitons partout où cela est possible susciter le débat, mettre en œuvre une politique unitaire, aider au dépassement des clivages sectaires.

Yvan Lemaitre

Les acquis du trotskysme indispensables à une renaissance du marxisme révolutionnaire Internationaliste

La fin de l'URSS pose le problème de réévaluer l'actualité du programme trotskyste à la lumière de la nouvelle période historique. Sa disparition met fin à un cycle commencé avec la révolution russe et les profondes transformations qu'elle a engendrées à l'échelle mondiale. Ce n'est pas la classe ouvrière, comme les révolutionnaires l'envisageaient, qui a pu venir à bout de la bureaucratie mais la bourgeoisie qui a fini par absorber l'ex-URSS et les partis communistes. Avec la fin du stalinisme, ont disparu un Etat et des partis qui, à cause de leur lointaine origine, avaient une influence importante dans la classe ouvrière bien qu'ils soient devenus des instruments de conservatisme social. Dans la période précédente, les partis socialistes avaient permis à la bourgeoisie de sauver sa domination dans des situations où les travailleurs et les peuples étaient en situation de lui disputer le pouvoir.
Aujourd'hui, la transformation de la social-démocratie en social-libéralisme et la faillite du stalinisme ne sont pas un phénomène conjoncturel mais bien l'aboutissement d'une évolution, celle de l'adaptation au capitalisme de partis qui s'étaient construits en tant que partis de transformation sociale. En même temps, la classe ouvrière est devenue une classe mondiale ayant une force économique comme jamais dans la période précédente, riche de l'expérience des combats menés non seulement en Europe mais aussi aux Etats-unis, dans les pays de l'Est, en Asie, en Afrique et en Amérique du Sud.
Pour le courant trotskyste, la réévaluation du passé à la lumière des conditions nouvelles permet de mieux apprécier nos propres tâches.
Le trotskysme est le seul courant qui a survécu au recul général ce qui le place en situation de faire un retour sur son histoire pour prendre la pleine mesure de sa continuité, sa filiation programmatique et militante et, en même temps, discuter de la rupture nécessaire qui est celle, objective, de la nouvelle période historique.

L'actualité du programme trotskyste : redonner vie aux idées marxistes
Le bilan du courant trotskyste est largement positif dans le sens où il a contribué à transmettre les idées du marxisme révolutionnaire en tant que théorie de la lutte d'émancipation des travailleurs par eux-mêmes, en rupture avec les caricatures staliniennes ou social-démocrates. De par son histoire, de sa filiation avec le combat de Trotsky et de ses camarades, une continuité a été préservée avec l'idée de la nécessité de la lutte pour l'indépendance de classe du mouvement ouvrier, incluant la démocratie la plus large et la conscience de sa légitimité à diriger la société, la nécessité de son organisation tant sur le plan social, syndical que politique pour se constituer en parti pour la conquête du pouvoir. Dans ce sens, le programme trotskyste garde toute son actualité, en étant le seul à pouvoir donner un contenu concret et vivant aux idées de l'auto-organisation des travailleurs et de l'Etat-Commune comme perspective historique pour une fraction bien plus large des travailleurs et de la jeunesse que dans le passé.
Dans la situation nouvelle du capitalisme de libre concurrence à l'échelle de toute la planète, déniant aux peuples comme aux travailleurs tout droit démocratique et social, il est le mieux à même d'en faire la critique la plus radicale, non d'un point de vue moraliste et réformiste, mais d'un point de vue de classe.
Confronté à des événements inédits depuis la deuxième guerre mondiale, le mouvement trotskyste a eu bien des faiblesses et des limites dues pour l'essentiel aux conditions qui étaient celles de sa situation à contre-courant, et dont il nous faudrait faire les bilans. Mais son existence en tant que courant international est bien la preuve de sa capacité à avoir pu trouver l'audience d'une fraction même limitée de la classe ouvrière et à avoir décrit une réalité sociale perceptible par elle.
Le Programme de transition en 1938 définissait les tâches des militants trotskystes, au moment où la faillite de l'impérialisme se révélait dans la barbarie de la deuxième guerre mondiale, dans la perspective de la prise du pouvoir par la classe ouvrière, ayant sur son chemin l'obstacle de puissants partis communistes. " La situation politique mondiale dans son ensemble se caractérise avant tout par la crise historique de la direction du prolétariat ", était un des éléments déterminant " des prémisses objectives de la révolution socialiste. "
Dans la période de basculement politique actuel où le réformisme social-démocrate et stalinien a perdu de son influence, et où nombre de ceux qui ont gardé des convictions communiste et socialiste, cherchent à renouer avec les idées de la lutte des classes, les perspectives ne peuvent se définir par la seule crise de la direction révolutionnaire. Le capitalisme mondialisé en soumettant des masses de plus en plus larges à son exploitation, a par là-même créé les conditions d'un renouveau du mouvement ouvrier, en faisant la démonstration de son incapacité à satisfaire les besoins fondamentaux de ceux qui, par leur travail collectif, créent les richesses gaspillées par une classe de plus en plus minoritaire et parasitaire.
L'urgence démocratique et sociale est devenue un besoin profond pour l'ensemble de l'humanité : la liberté et la démocratie ont plus que jamais un contenu de classe. L'actualité du programme révolutionnaire s'appuie sur les besoins des travailleurs et des peuples pour faire la critique radicale de la propriété privée bourgeoise pour formuler un nouveau projet de transformation sociale. Contribuer à ce que le Programme de Transition redevienne un programme actuel est une tâche d'envergure mais le courant trotskyste peut s'appuyer sur les besoins vitaux du mouvement ouvrier pour formuler des tâches en phase avec la nécessité de la conquête de nouveaux droits démocratiques et sociaux. En mettant en avant le programme de la démocratie révolutionnaire, le contrôle démocratique de la population sur l'économie, le renversement de la propriété privée, les militants trotskystes ont les armes programmatiques pour dépasser une situation héritée du passé et s'affirmer comme la fraction la plus radicale et la plus conséquente du mouvement ouvrier.

Refonder une Internationale par la confrontations des idées et des expériences
La IVème Internationale a été fondée par Trotsky et ses camarades en tant que parti mondial de la révolution, dans la continuité du combat pour la défense du programme bolchevique, combinant la lutte politique et sociale dans un même combat pour l'émancipation des travailleurs par eux-mêmes, représenté par l'apogée de la révolution russe dans ses premiers mois d'existence. Sa fondation correspondait à une nécessité objective qui était celle de l'époque où, après la victoire des travailleurs russes et des masses paysannes pauvres en 1917 qui avait ébranlé le pouvoir de la bourgeoisie mondiale, la réaction bourgeoise a accouché du fascisme et du stalinisme, avant de plonger le monde dans la violence de la deuxième guerre mondiale. Le capital politique immense légué par Trotsky nous permet de comprendre la période comprise entre 1917 et la deuxième guerre mondiale, période d'une lutte exacerbée à l'échelle internationale entre la bourgeoisie menacée dans son existence-même et la classe ouvrière. Mais si la lutte de Trotsky et de l'Opposition de gauche s'inscrivait dans un combat plus large que celui de la lutte contre la dégénérescence du premier Etat ouvrier, cette lutte s'est soldée par la défaite du mouvement ouvrier avec le stalinisme en URSS, le fascisme en Italie et en Allemagne, la deuxième guerre mondiale.
Les idées marxistes révolutionnaires ont pu parvenir jusqu'à nous grâce au combat de Trotsky et de la IVème Internationale à ses débuts. Mais la IVème Internationale a dû mobiliser toutes ses forces pour exister à contre-courant, malgré le stalinisme incarné dans de puissants Partis communistes et la lutte pour la révolution est devenue la lutte pour la démocratie au sein du mouvement ouvrier, la lutte contre le stalinisme.
A l'issue de la deuxième guerre mondiale, si les soulèvements révolutionnaires des peuples colonisés ont ébranlé la domination impérialiste, en Europe même, les classes ouvrières ne se sont pas détournées des Partis communistes, la lutte contre le fascisme apportant une nouvelle légitimité au stalinisme.
Les différents courants du mouvement trotskyste, marginalisés par rapport à la classe ouvrière, ont tenté de nouvelles expériences qui visaient à sortir coûte que coûte de leur situation minoritaire, quitte à prendre des détours qui les ont souvent éloigné de la tâche d'implanter les idées marxistes révolutionnaires au sein de la classe ouvrière et à revendiquer des solidarités avec des directions nationalistes sans exprimer le droit à la critique.
Mais un capital d'expériences et d'idées existe bel et bien à une large échelle qui permet aujourd'hui que les différents courants trotskystes qui ont su préserver une perspective politique indépendante, aient tous leur rôle à jouer, dans la diversité et la richesse d'un courant international.
Dans ce sens, une existence séparée ne se justifie plus au moment où les conditions objectives nécessitent le regroupement des forces. La mise en commun d'un capital d'idées, des acquis des luttes passées, les possibilités d'en discuter avec une fraction bien plus large des travailleurs et de la jeunesse que dans le passé, passent par une volonté consciente et volontariste qui ne peut que mettre à l'ordre du jour l'actualité d'un projet d'une nouvelle Internationale.

Rupture et continuité
Notre courant s'est défini historiquement dans une période qui n'existe plus aujourd'hui.
La période d'expansion de l'économie capitaliste dans les pays riches, après l'effondrement économique dû à la deuxième guerre mondiale, a été le terreau sur lequel a pu exister le réformisme, qu'il soit social-démocrate ou stalinien. Pour encadrer le mouvement ouvrier en dénaturant les idées socialistes et communistes, le réformisme s'est appuyé sur les illusions suscitées parmi les classes ouvrières, comme quoi, il suffisait de s'en remettre au parlementarisme et de déléguer la défense de ses intérêts à d'autres qu'elles-mêmes. Il a été un facteur déterminant de conservatisme social.
Maintenues en marge de la classe ouvrière, par la pression objective du stalinisme, les idées révolutionnaires n'ont pu vérifier leur validité sur une arène plus large que celle de petits groupes n'ayant pas suffisamment de liens vivants avec leur classe. L'existence séparée pendant de longues années a engendré la cristallisation des divergences et des spécificités qui ne pouvaient ni se vérifier, ni s'évaluer à la juste mesure de leur utilité pour le mouvement ouvrier.
La crainte de la confrontation démocratique, l'incapacité à faire passer les intérêts généraux du mouvement ouvrier avant toute préoccupation étroite d'organisation, à faire les bilans, est une des scories héritée de la période précédente. Le sectarisme a souvent servi à justifier une existence indépendante plutôt qu'à maintenir une réelle fermeté politique vis-à-vis de certains courants réformistes ou à la marge du courant stalinien.
Affirmer la continuité des idées marxistes révolutionnaires nécessite d'en assumer la rupture avec la période précédente pour être à même de donner un contenu nouveau aux tâches découlant de la situation mondiale à l'époque de la mondialisation qui porte en germe, les possibilités d'une société libérée du carcan de la propriété privée.
Si la IVème Internationale n'a pas pu jouer le rôle de parti mondial de la révolution qu'elle s'assignait, les idées trotskystes sont un fil à plomb indispensable pour comprendre la période passée et transmettre les idées marxistes révolutionnaires aux jeunes générations et à la fraction de la classe ouvrière qui s'émancipe en cherchant à renouer avec la lutte des classes.

Valérie Héas