Débat militant | ||||||||||
Lettre publiée par des militants de la LCR |
n°28
|
30
avril 2003
|
||||||||
|
||||||||||
Sommaire : | ||||||||||
Libéralisme impérialiste et offensive impériale, les nouvelles contradictions du capitalisme à l'uvre | ||||||||||
|
||||||||||
Un
an après le 21 avril et le 5 mai,
Dans la rue et par la grève, rompre le consensus, révéler
l'imposture
Il y a un an, le
21 avril, le premier tour de la Présidentielle révélait
l'ampleur du discrédit qui atteint les partis qui se partageaient le
pouvoir depuis 20 ans. Le Parti socialiste au premier chef. Son candidat, Jospin,
est éliminé dès le premier tour, mais le score de Chirac
ne dépasse pas 20 %. C'est l'extrême droite, avec Le Pen qui fait
irruption au premier tour, profitant à plein aussi bien du discrédit
des partis de la cohabitation que de la campagne sécuritaire que les
uns et les autres ont menée.
Selon les sondages, 75% des électeurs ne voyaient pas de différence
entre les programmes de Jospin et de Chirac. A juste titre. Et comment auraient-ils
pu se différencier alors que la gauche et la droite cohabitaient à
la tête de l'Etat, sans heurt, et participaient d'un commun accord, par
exemple, de toutes les décisions prises lors des sommets européens,
comme celui de Barcelone sur les retraites.
Dans la logique de cette cohabitation à l'origine de la crise du 21 avril,
le PS et ses alliés, incapables d'un quelconque sursaut, trop préoccupés
de masquer leurs responsabilités dans l'émergence de Le Pen, intronisent
Chirac et la droite au pouvoir, en lui assurant au deuxième tour, le
5 mai, un score plébiscitaire, 82 % des voix.
Face au vide
laissé par la gauche, la droite endosse les habits du populisme
Un an après, la gauche reste sans force, vidée de toute substance.
Les socialistes en sont toujours au stade de " l'introspection ",
affirme Hollande à deux semaines du congrès du PS. La " thérapie
de groupe n'est pas terminée ", surenchérit Cambadélis.
A la tête des municipalités des grandes villes ou des Conseils
régionaux, les dirigeants socialistes continuent leur politique de cohabitation.
C'est Collomb, le maire de Lyon, qui reproche à la direction du PS un
trop grand " conservatisme ". Jospin a perdu, selon lui, parce
qu'il n'a pas su abandonner " ses glorieuses références
au passé ". Jospin lui-même pense qu'il faut laisser le
temps au gouvernement. Martine Aubry, conviée à l'émission
de Fillon, " 100 minutes pour convaincre ", a décliné
l'invitation. Quant à Ségolène Royal, qui y était,
elle, présente, Fillon n'a eu aucun mal à la plonger dans l'embarras,
dès sa première intervention. N'a-t-elle pas prétendu que
le PS aurait remis à plat la réforme Balladur de 1993, s'il avait
été reconduit au pouvoir ? Fillon n'a eu qu'à lui demander
pourquoi, dans ce cas, le PS ne l'avait pas fait pendant les 5 ans où
il était au gouvernement. Il a d'ailleurs confié à la presse,
après l'émission, que Rocard, à l'origine de la réforme
sur les retraites par son " Livre blanc ", lui avait téléphoné
plusieurs fois pour l'encourager à mener celle-ci jusqu'au bout.
Mais, pour contrer le gouvernement sur les retraites, on n'entend pas davantage
les tenants de Nouveau monde ou du Nouveau parti socialiste. Pas plus que les
dirigeants des Verts qui prônent le rassemblement avec le PS, ou du PC,
dont Marie-George Buffet a sèchement mis fin aux débats du congrès
au nom de " l'action ".
Face à une
gauche tétanisée et sans voix, parce que, elle-même convertie
au libéralisme, elle n'a aucune alternative à offrir, la droite
occupe tout le terrain parlementaire. Forte du front républicain du 5
mai, puis de la position pseudo-pacifiste adoptée par la diplomatie française
dans la guerre contre l'Irak, elle prétend dépasser les clivages
parlementaires. Elle comble le vide laissé par une opposition inexistante
en menant une politique populiste inconsistante. Démagogie sécuritaire
musclée d'un côté, " dialogue social "
de l'autre, dans la continuité de la méthode Jospin.
La volonté de consensus qu'elle a rencontrée parmi les directions
syndicales, réduites à l'impuissance parce qu'incapables de remettre
en cause un système auquel elles se sont adaptées, a particulièrement
servi le gouvernement pour mener son offensive sur le plan social. Pendant des
mois, les confédérations se sont prêtées à
une concertation de dupes sur les retraites, alors même qu'aucun doute
n'était possible sur les objectifs que voulait, dès le début,
atteindre le gouvernement. C'est seulement grâce à la pression
des salariés qui a commencé à se manifester avec le rejet
par les salariés de l'EDF d'une réforme qu'avait approuvée
la CGT, le 9 janvier dernier, qu'elles viennent d'appeler à une journée
de grève interprofessionnelle le 13 mai prochain, non sans réaffirmer
dans leur communiqué d'appel commun qu'une " réforme était
nécessaire pour sauvegarder l'avenir de nos retraites ". Que
les salariés s'emparent de cette initiative pour lui donner un autre
contenu que celui auquel voudraient le limiter les directions syndicales, qu'ils
en fassent le point de départ d'un mouvement général de
grève reconductible, sera décisif pour le rapport de forces général
et pour toute une période à venir.
La droite se
libère de l'esprit de mai pour passer à un populisme musclé
Car, dans le même temps, le gouvernement et la droite ont résolu
de clore une année que le ministre de l'Economie, Mer, a qualifiée
de " symbolique " pour engager une " année
de rupture ". Par une série d'annonces - sur le RMA, les
déremboursements de médicaments, le non remplacement de la moitié
des fonctionnaires partant à la retraite -, le gouvernement a indiqué
sa volonté de durcir sa politique. Dans la tribune qu'il a fait publier
dans plusieurs journaux régionaux, le 17 avril, Raffarin a donné
le ton. " L'impuissance politique est la première cause
du mal d'avril ", a-t-il souligné, avant de vanter les
" progrès de l'autorité " et d'égrener
la longue série des réformes qu'il veut mener à bien. Il
entend prouver, aux yeux de la bourgeoisie et de ses représentants du
Medef, que son gouvernement est capable, le cas échéant, de passer
en force.
Il y est d'ailleurs poussé, maintenant, par l'ensemble de la droite.
" Ne calez pas sur les réformes ", a ainsi
indiqué à l'adresse de Raffarin, Juppé, le président
de l'UMP, lors d'un colloque des droites européennes où figurait
un des plus fidèles alliés de Bush, Aznar. Et Debré, le
président du groupe UMP à l'Assemblée, s'est revendiqué
de cette apostrophe, en ajoutant qu'il n'hésiterait pas à le dire
" entre quatre yeux " à Raffarin. Soucieuse
de laisser le moins de terrain possible à l'extrême droite, dans
la perspective des prochaines élections, la droite veut se libérer
de " l'esprit de mai ", de ses ambiguïtés,
de ses faux-semblants.
La tendance
au regroupement des forces les plus conscientes est à l'uvre dans
le mouvement
L'accentuation de la politique sécuritaire menée par Sarkozy,
l'aggravation des attaques contre les immigrés, avec entres autres, l'institutionnalisation
des charters et des interventions policières musclées contre des
Sans-papiers en lutte, indique sur quel terrain la droite entend regagner du
terrain sur le Front national. Le gouvernement n'hésitera pas, non plus,
à user de la matraque contre les mouvements sociaux.
Il y a bien un réel danger. Si elle ne rencontre pas une opposition véritable,
sérieuse, dont la force ne peut provenir que de la mobilisation et de
l'organisation des travailleurs, cette politique renforcera l'extrême
droite qui attend son heure en 2004, à l'occasion des Régionales.
Pour y répondre, le seul moyen est de tourner le dos au front des capitulations,
à ce front républicain dont la gauche prétendait qu'il
était un rempart contre Le Pen, et à l'ombre duquel le gouvernement
a préparé la mise en uvre de son offensive contre la population.
En partie paralysées ces derniers mois par ce consensus, les forces vives
des luttes, celles qui ont manifesté dans la rue entre les deux tours,
celles qui ont manifesté contre la guerre, s'en dégagent aujourd'hui,
en entamant, sur la question des retraites, une lutte décisive.
Les trois millions d'électeurs qui avaient porté leurs suffrages
sur les candidats d'extrême gauche dont les commentateurs politiques ont
oublié l'existence, avaient bien pourtant constitué le vrai événement
de l'élection présidentielle, l'événement porteur
d'avenir.
Au moment où la mascarade du consensus et du plébiscite se révèle,
où les yeux se dessillent, nombreux sont ceux qui se sont retrouvés
dans la lutte contre la mondialisation guerrière ou pour la défense
des retraites et contre les plans sociaux.
Les militants révolutionnaires sont au cur des mouvements qui ont
démarré dans l'Education nationale et dans d'autres secteurs,
ils agissent pour leur approfondissement et leur développement en en
éclairant l'enjeu politique : face à la conjugaison de toutes
les attaques, dans tous les secteurs, bloquer l'offensive gouvernementale sur
les retraites en imposant le retrait du projet Fillon, est décisif. Alors
que de nombreux travailleurs sont conscients de la politique des directions
syndicales, ils contribuent à réunir toutes les forces disponibles
pour la lutte en aidant les salariés à prendre en main leur propre
mouvement et à se libérer du verrouillage des bureaucraties syndicales
en donnant à la lutte une organisation démocratique.
Galia Trépère
Libéralisme
impérialiste et offensive impériale,
les contradictions du capitalisme à l'uvre
" Impérialisme
libéral " titrait un éditorial du Monde commentant
le discours de Bush parlant, le 26 février, dernier de l'après-guerre
en Irak qui devait apporter " la démocratisation du Proche-Orient ".
L'auteur de cet éditorial parlait de " l'expansionnisme
messianique de la démocratie ", argument des néo-impérialistes
de l'administration Bush pour justifier leur expansionnisme économique
et militaire qui serait en rupture avec la politique du démocrate Clinton.
Il y a certes rupture mais dans une continuité beaucoup plus grande,
dans les faits, que les discours ou plutôt les sermons de Bush le laissent
percevoir. La politique de Clinton était elle-même en continuité
avec celle de Bush père. Quand Clinton déclarait dans son discours
sur l'Etat de l'union en 99 " Voyez-vous, aucun pays dans l'histoire
n'a eu l'occasion et la responsabilité que nous avons maintenant de façonner
un monde plus pacifique, plus sûr, plus libre ", il reprenait
l'idée du " nouvel ordre mondial " qui aujourd'hui
dessine plus précisément ses contours.
Cette continuité, c'est l'expansionnisme impérialiste. La rupture,
c'est le messianisme de la démocratie et du " devoir moral "
chers à Clinton qui s'est heurté à la réalité
du monde capitaliste. Le rêve d'une nouvelle économie générant
sans fin de nouveaux profits dans un monde libéré de la menace
communiste où fleurirait la démocratie du marché s'est
brisé sur la réalité même de cette économie
de marché, les limites du marché solvable et la concurrence entre
les multinationales et entre les Etats.
Les mythes et la propagande s'usent sous l'effet de la réalité
des rapports entre les classes et les peuples. Le messianisme américain,
cette prétention à l'universel qui idéalisait la force
du dollar et de l'économie de marché se transforme en une idéologie
fascisante idéalisant la force des armées, instrument concret
de la barbarie de l'économie de marché.
La rupture, c'est la fin d'une décennie à travers laquelle s'est
constitué cet impérialisme libéral, c'est-à-dire
une nouvelle phase du capitalisme résultat de vingt ans d'offensive menée
par les classes dominantes des puissances impérialistes pour relever
le taux de profit en libérant le capital de toutes les entraves, de tous
les freins que lui avaient opposé les résistances et les luttes
des travailleurs et des peuples, en particulier les conséquences de la
révolution russe puis de la vague de luttes de libération nationale.
Cette offensive mondialisée a abouti à une crise économique,
à de nouvelles tensions entre les classes et les nations qui ont brutalement
explosé à la face du monde le 11 septembre 2001. L'onde de choc,
c'est la nouvelle offensive impériale ; les bombes, les chars, la soldatesque
dessinent le visage de cette démocratie que l'économie de marché
devait apporter au monde.
Nous sommes devant un nouveau stade du développement du capitalisme caractérisé
par un libre-échange à l'échelle mondiale qui s'opère
dans le cadre de rapports impérialistes, c'est-à-dire la lutte
pour le partage du monde.
La puissance hégémonique, acteur principal de ces transformations,
anticipe aujourd'hui les menaces de contestation de sa puissance dans une offensive
globale, préventive.
Les chars déblaient les derniers obstacles au libre expansionnisme du
capital en même temps qu'ils construisent un protectorat américain.
Mais chaque obstacle libéré en fait surgir un nouvel
Il nous faut tenter de prendre la mesure de l'étape qui vient d'être
franchie et des puissantes contradictions qui sont en uvre, autant de
failles ou de points d'appui pour les luttes des travailleurs et des peuples.
" Le
nouvel ordre mondial " ou le libéralisme impérialiste
Chaque président incarne plus ou moins bien la politique des multinationales
américaines : Clinton, la démocratie du dollar, Bush, la démocratie
du Pentagone. Bien des commentateurs politiques sont dupes et voient dans le
discours de Bush ou des " faucons " la cause des
actes que ces derniers ont pour tâche de justifier, de faire accepter
par leur propre opinion et par l'opinion mondiale. Certes, le discours politique
a sa propre logique qui peut entraîner le monde dans la folie, mais cette
logique s'inscrit dans la logique même des rapports capitalistes.
Ceux-ci ont été profondément bouleversés dans les
deux dernières décennies. Le résultat est une concentration
croissante des moyens de production, du capital et un parasitisme financier
qui déconnecte de plus en plus le capital de l'activité productive,
ce qu'il est convenu d'appeler le capitalisme patrimonial, capitalisme rentier.
La rente financière définit une nouvelle aristocratie mondiale.
C'est cette rente financière qui se joue, se redistribue, se concentre
sur les marchés financiers.
L'exportation et la circulation des capitaux ont très largement pris
le dessus sur l'exportation et la circulation des marchandises.
Pour satisfaire aux besoins sans cesse croissants des capitaux en plus-values,
le crédit ne connaît plus de limite. L'endettement généralisé
et les spéculations alimentent une bulle financière qui dévore
l'économie réelle et menace de l'étouffer. Les pressions
exercées sur les classes populaires limitent la consommation et, en conséquence,
les possibilités d'extension de la production.
Ce nouveau stade est celui du capitalisme arrivé à un stade où
les monopoles se sont transformés en multinationales aux activités
diversifiées, intégrées au marché mondial et qui
s'interpénètrent. Elles se sont soumises les Etats et façonnent
le monde en fonction de leurs intérêts.
La nouvelle économie ne se laisse pas réduire à la spéculation
financière. La révolution informatique est bien une réalité,
base technique de cette nouvelle phase du capitalisme qui permet des gains de
productivité considérables y compris dans l'activité directement
productive. Elle permet une réorganisation de la production en fonction
de la recherche des moindres coûts, facilite les externalisations et les
délocalisations. La conséquence en est une internationalisation
croissante de la production et une nouvelle division du travail.
La déréglementation de la circulation des capitaux aboutit à
un nouveau colonialisme financier qui s'empare de toutes les sources de richesses
et saigne les peuples par le biais de la dette.
Le libéralisme des multinationales opère un nouveau partage d'un
monde entièrement dominé par les rapports capitalistes. Il n'y
a plus de nouvelles frontières, l'espace de développement capitaliste
est clos d'où l'âpreté de la concurrence non seulement entre
vieilles puissances mais aussi entre elles et les peuples qui ont conquis leur
indépendance.
La " guerre
sans limites " comme moyen de régulation de l'économie
de marché
C'est la logique de ce développement d'une nouvelle phase du capitalisme
qui explique la guerre en Irak après la guerre en Afghanistan. La folie
de Bush ou Rumsfeld exprime la logique même du système, le besoin
d'ouvrir de nouveaux marchés, de s'assurer le contrôle des sources
d'approvisionnement en pétrole, d'organiser le monde en fonction des
besoins mêmes du capital financier.
Comme au XIX° siècle, l'impérialisme naissant s'ouvrit les
marchés du Japon et de la Chine par la politique de la canonnière,
les armées américano-britanniques abattent toutes les barrières
qui peuvent s'opposer à la libre circulation du capital financier.
Se développe pleinement ce que le conseiller de Madeleine Albright, Thomas
Friedman décrivait en 1999 : " La main invisible du marché
ne fonctionnera jamais sans un poing invisible. MacDonald's ne peut se répandre
dans le monde sans MC Donnel Douglas, le concepteur de F 15. Et le poing invisible
qui garantit l'ouverture du monde pour les technologies de la Silicon Valley,
s'appelle l'armée, la force aérienne, la force navale et le corps
des marines des Etats-Unis. "
Il y a bien sûr une cause immédiate, directe et évidente
à ces deux guerres, le pétrole, le contrôle des sources
d'approvisionnement. Cette cause directe se conjugue à des causes plus
globales, celles de la défense des intérêts généraux
du capital financier international : assurer l'ordre impérialiste, garantir
la libre circulation des capitaux et des marchandises, donner à l'industrie
militaire son espace
Le poing invisible !
Les nouveaux buts de guerre visant la Syrie annoncés par Bush au décours
de la guerre contre l'Irak ne sont pas la seule conséquence de " l'ivresse
de la victoire " mais de façon plus générale,
de l'ivresse de l'expansionnisme du capital financier qui ne circule pas que
par la simple logique de la main invisible des marchés mais par la force
des armées.
" La démocratisation du Moyen-Orient " vise
à y établir une vaste zone de libre-échange capitaliste
dont la plaque tournante, le centre serait le grand Israël. Ce que les
accords d'Oslo ont été impuissants à réaliser, les
armées impériales alliées à Israël prétendent
y réussir.
Cette politique pour façonner le monde en fonction des besoins des multinationales
utilise tous les moyens, l'aide financière au Brésil après
avoir pratiqué l'asphyxie financière avec l'Argentine, accords
diplomatiques créant des zones de libres échanges, l'OMC et les
plans d'ajustement du FMI
La mondialisation militaire s'impose aujourd'hui
comme une composante indispensable de cette politique de mondialisation financière.
Comme l'écrit Claude Serfati dans Rouge, l'administration Bush " ouvre
une étape nouvelle dans les formes de domination de la planète
par les impérialismes ". Le libéralisme impérialiste
conjugue, dans sa soif de domination globale, la liberté du pillage financier
et de la conquête militaire
Le déploiement militaire est au cur même du fonctionnement
économique et politique du capitalisme aujourd'hui, il est organiquement
lié au libéralisme-impérialiste.
L'apogée
de l'hégémonie américaine crée de nouvelles difficultés
Cela ne signifie pas que soit en train de se constituer un nouvel empire tel
que Negri le décrit, éclaté en différents centres,
multipolaire, ni que va s'imposer un superimperialisme imposant sa " paix "
au reste de la planète. L'offensive de l'empire américain pour
asseoir son hégémonie tout en imposant le libéralisme du
capital international inévitablement provoque les réactions et
les résistances des autres nations.
Les USA n'ont pu éviter de heurter les intérêts de leurs
alliés contrairement à ce qu'ils prétendaient faire après
la fin de l'URSS. Brzezinski le résumait ainsi : " Le problème
central, pour l'Amérique, est de construire une Europe fondée
sur des relations viables avec les Etats-Unis afin d'étendre le système
international de coopération démocratique dont dépendra
l'exercice de l'hégémonie américaine ". Une
revue du Pentagone expliquait : " Nous devons suffisamment prendre
sur nous les intérêts des pays industriels avancés afin
de les décourager de défier notre leadership ou de chercher à
renverser l'ordre politique ou économique établi. En fin de compte,
nous devons maintenir le mécanisme qui empêche d'éventuels
concurrents d'aspirer à jouer un rôle régional ou global
plus large ".
La mise en uvre d'une telle politique supposait trouver et soumettre à
ses propres objectifs des forces locales afin de les utiliser pour maintenir
l'ordre.
" Les attentats marquent " un nouveau basculement du monde ",
dix ans après la fin de la guerre froide, écrivait Débat
militant au lendemain du 11 septembre. L'impérialisme ne bénéficie
plus de cet allié, cause expiatoire de tous les maux du monde qui acceptait
de faire la police contre les peuples et les travailleurs, la bureaucratie stalinienne.
Ce facteur réactionnaire, élément indispensable du maintien
de l'ordre impérialiste, s'est effondré, privant les USA de cet
allié complaisant, irremplaçable, à la fois bouc émissaire,
excuse, justification et gendarme. Pour faire face à ce vide, les USA
ont utilisé pour leur propre compte les restes recyclés des appareils
d'Etats du camp soumis à la bureaucratie ou dépendant d'elle,
comme dans l'ex-Yougoslavie. Ils ont aussi utilisé les forces réactionnaires
susceptibles de soumettre les peuples comme en Afghanistan ".
Ces alliés se sont retournés contre leurs maîtres comme
Saddam Hussein lui-même l'avait fait, obligeant les USA à modifier
leur stratégie.
" Le fait que les USA ne peuvent seuls assurer le maintien de l'ordre
mondial, écrivait Débat militant, a pour conséquences
la recherche d'alliés, donc le besoin d'associer à sa politique
non seulement le monde occidental mais aussi la Russie, la Chine, l'Inde
George W. Bush a ainsi déclaré : "Nous allons continuer à
collaborer avec le Pakistan et l'Inde. Nous allons aussi travailler avec la
Russie. Nous comptons tisser des liens avec des nations qui nous étaient
hostiles, il y a quelques années. " Mais qui dit allié dit
concessions, et en conséquence vont se redessiner de nouvelles zones
d'influence. Le monde se dégage de la division en deux blocs pour tendre
à se restructurer autour des nations dominantes.
Cette redéfinition des rapports internationaux est l'inévitable
conséquence de la mondialisation. Au centre de ces redéfinitions,
se trouvent la question de la construction de l'Europe et, en corollaire, celle
des rapports Europe-Amérique, et la question de qui dominera l'Asie,
du Japon ou de la Chine. Ces questions vont se poser avec plus d'acuité
ayant pour effets immédiats, tensions, pressions, remontée nationaliste
Les effets en retour de la nouvelle situation politique mondiale sur la situation
économique sont difficiles à apprécier, si ce n'est qu'il
y a accélération et amplification des facteurs convergeant vers
une récession voire un krach. Les tensions entre Etats et les tensions
sociales qui vont en résulter amèneront les Etats à une
intervention croissante dans le domaine économique pour soutenir l'effort
d'investissement de leur bourgeoisie, de leurs multinationales afin de faire
face à une lutte plus âpre pour les marchés. Cette intervention
visera à alimenter les sources de profits du capital financier, sa voracité
parasitaire, en aggravant la contradiction fondamentale de l'économie.
La construction d'une Europe politique, " étatique " devient
une nécessité pressante pour que celle-ci cesse de rester spectatrice,
avec tout ce que cela peut avoir comme effet déstabilisant, de crises
pour les différents Etats rivaux ".
L'ensemble des alliés des USA négocient leur soutien quitte à
aller jusqu'aux affrontements diplomatiques comme ce fut le cas au cours des
tractations diplomatiques qui ont précédé la deuxième
guerre contre l'Irak. Chacun rediscute sa place dans le nouvel ordre mondial.
Les dirigeants de l'empire américain négociant le rapport de force
pour imposer des relations de vassalité.
Des guerres
locales à une menace de conflit généralisé
Les contradictions qui naissent de cette politique sont lourdes de menaces pour
le monde. L'offensive des USA qui se voudraient un nouvel empire suscite au
cur des masses opprimées les sentiments de révoltes qui
tendent à unifier dans une nouvelle conscience les sentiments hérités
du colonialisme et ceux qui se sont forgé à travers les frustrations
et des déceptions nées de l'échec de la révolution
coloniale puis des humiliations face à l'offensive impérialiste.
Cette nouvelle révolte peut nourrir des aspirations révolutionnaires
modernes et démocratiques, elle peut être aussi dévoyée
par des forces réactionnaires religieuses et intégristes mais
elle ne laissera pas de répit au nouveau colonialisme financier et militaire.
Il est probable que l'Irak est entré dans une longue période d'instabilité
qui contraindra les armées d'occupation à demeurer sur place,
comme elles le font en Afghanistan, contre une population qui les rejette.
L'Asie centrale, le Moyen-Orient sont ainsi déstabilisés, terrains
favorables à toutes les démagogies.
Parallèlement à cette mise sous tension des peuples, des puissances
comme l'Europe, la Chine, la Russie voire des puissances de moindre envergure
chercheront à intervenir dans ce remodelage des rapports internationaux
pour élargir leur propre zone d'influence, aggravant instabilité
et tensions.
Quelles seront les conséquences des bouleversements en cours, quels enchaînements
militaires pourraient en résulter ? Probablement un état de guerre
endémique dont rien n'exclue qu'il puisse se transformer en conflits
régionaux voire en une menace d'une nouvelle guerre mondiale.
Retournement
de conjoncture
et basculement du monde
Les deux dernières années ont vu se conjuguer le krach chronique
qui touche l'ensemble des places boursières avec la fin des spéculations
sur la nouvelle économie et le redéploiement militaire de l'impérialisme
conséquence de l'évolution des relations internationales depuis
l'effondrement de l'URSS.
Par la logique même de l'interdépendance des rapports politiques
et économiques, le redéploiement s'impose comme une réponse
au krach et devient la composante essentielle de la politiques de l'empire dominant.
Il n'y a pas de retour en arrière possible. L'effet stimulant de la guerre
sur le complexe militaro-industriel ne peut nullement entraîner une réelle
reprise au sens où l'argent qui finance ce stimulant est pris sur le
pouvoir d'achat donc la consommation des classes populaires. L'expédient
alimente la crise à laquelle il est censé trouver une solution.
L'expédient devient, ainsi, le nouveau mode de domination de l'empire
américain. Le néocolonialisme financier se combine avec un nouveau
colonialisme militaire et entraîne l'ensemble des nations à participer
à cette montée du militarisme.
Les maîtres du monde sont dominés par leur propre puissance dont
ils n'ont nullement la maîtrise. Le besoin d'expansion, inhérent
organiquement au système lui-même, secrète le militarisme
et une idéologie agressive, moraliste et fascisante. Les discours sur
la paix et la liberté de Clinton ont cédé la place à
la croisade contre l'axe du mal de Bush.
Cette paranoïa des faucons résulte de la contradiction entre une
politique d'expansion, de conquête, de violence, d'agression et les grandes
phrases, les discours moraux à prétention universelle qui prétendent
la justifier. Elle est l'expression du mensonge et du cynisme au service du
parasitisme social, du pillage et de l'oppression.
Les mois de crises que vient de connaître le monde auront largement contribué
à ouvrir les yeux aux millions de travailleurs, de jeunes qui se sont
dressés et mobilisés contre la guerre. La guerre contre les peuples
se révèle comme une composante de la politique des classes dominantes
pour faire face à la crise organique du capitalisme. Elle apparaît
comme un complément de la guerre sociale contre les classes travailleuses.
En réponse émerge une nouvelle conscience révolutionnaire
qui unit la lutte pour les droits des peuples à la lutte pour les droits
des salariés.
Il nous faut l'aider à s'affirmer, à agir politiquement, lui fournir
les armes politiques de son propre combat et les moyens de s'organiser. Il y
a là une nécessité impérieuse qui oblige chacun
au dépassement des raisonnements hérités de la période
antérieure pour prendre la mesure des enjeux, sortir des vieux clivages
pour regrouper et unir.
Yvan Lemaitre
XXXIIème
Congrès du PCF
Une page nouvelle de la mutation
Marie-George Buffet
a gagné son pari. Laisser passer l'orage s'est avéré payant.
Le XXXIIe congrès du PCF, réuni du 3 au 6 avril, à la Plaine-Saint-Denis
a tourné la page Robert Hue tout en confirmant la mutation du parti.
Les "conservateurs" emmenés par Nicolas Marchand et les "
orthodoxes " regroupés derrière Jean-Claude Danglot ont animé
le congrès mais sans en changer le cours. La secrétaire nationale
ne cachait pas sa satisfaction au terme de quatre jours de débats agités
où elle a confié à d'autres le soin de s'escrimer contre
les réfractaires à la social-démocratisation du Parti communiste.
Dans son discours de clôture, Marie-George Buffet s'est efforcée
de communiquer sa " confiance " aux 769 délégués
élus par les congrès départementaux des 96 fédérations
que compte encore le PCF. " Notre congrès n'est pas une
potion miracle, a-t-elle noté modestement, mais il nous a permis
de réunir quelques bonnes cartes pour aller de l'avant, pour travailler
à une nouvelle dynamique, à un nouvel élan ".
Et d'ajouter avec assurance : " Nous sortons de cette démarche
avec des choix forts et clairs concernant le communisme, concernant notre stratégie
et les questions du rassemblement, concernant la vie de notre parti ".
On ne peut que s'interroger sur les " choix forts et clairs "
du XXXIIe congrès. Mais il est indiscutable que les options arrêtées
lors des congrès précédents, celui de La Défense
en octobre 2001, celui de Martigues en mars 2000, sont réaffirmées
sans ambiguïté !
L'équipe Buffet sort même renforcée de l'épreuve
de force, et ce malgré les 45 % réunis en février
par les " conservateurs " et les " orthodoxes " sur leurs
textes alternatifs. L'incapacité des partisans de Marchand et de Danglot
à infléchir les positions du document majoritaire - le seul débattu
à la Plaine-Saint-Denis - est patent pour tous, à commencer par
les courants oppositionnels eux-mêmes. Certains s'interrogeaient publiquement
dès le 6 avril sur leur avenir au sein du PCF. Les résultats des
minoritaires ont, de plus, soudé l'appareil autour de Buffet, parfois
jusqu'aux contestataires, à l'instar de l' " orthodoxe " Danglot,
préférant ne pas s'engager plus avant dans une entreprise menaçant
sa fédération du Pas-de-Calais et au-delà le parti tout
entier.
L'attitude de Buffet a dissuadé pendant la phase préparatoire
du congrès national les dissidences, sans les empêcher (1). Elle
encourage aujourd'hui les ralliements des cadres qui refuseraient la rupture
avec le PCF. Significativement, la participation de la secrétaire nationale
aux travaux du congrès s'est limitée à une mise en garde
contre les dangers d'éclatements du Parti communiste dans la nuit du
5 au 6 avril au moment de l'incident créé par la présentation
d'une liste alternative de candidats à la direction. Cette posture d'arbitre
a permis à Marie-George Buffet d'asseoir son autorité sur de nombreux
responsables comprenant que " l'unité du parti "
est la condition de leur survie électorale et militante. Marchand et
Danglot, les soi-disant porte-drapeaux des contestataires, n'ont pas insisté,
abandonnant sans préavis Jean-Jacques Karman, le dirigeant de la Gauche
communiste, qui parle de " trahison ".
Désormais seule aux commandes, après le retrait de Robert Hue
de la présidence du PCF, Buffet a les coudées franches pour écrire
une page nouvelle de la mutation. Et depuis le 6 avril, elle ne chôme
pas.
Une orientation
confirmée
Un simple coup d'il à la résolution adoptée par le
XXXIIe congrès du PCF publiée dans L'Humanité le
10 avril (2) suffit pour mesurer l'ampleur des modifications apportées
par les congressistes au projet débattu tout au long du mois de mars
par les militants - quelques 1 103 assemblées générales
de section puis 96 congrès départementaux rassemblant 6 818
délégués ont amendé la " base commune "
ratifiée par le conseil national le 28 février. Les parties en
gras qui signalent les changements effectués dominent. Les évolutions
sont encore plus flagrantes, si l'on compare " Communisme : écrire
ensemble une page nouvelle " avec la première monture de
la " base commune ", rédigée par Francis
Wurtz et Patrice Cohen-Seat, en décembre : il n'en reste plus grand-chose.
L'impression est cependant trompeuse. Un examen plus attentif du texte souligne
que les 2 000 amendements discutés à la Plaine-Saint-Denis
changent moins le fond que la forme du document.
L'influence des " conservateurs " et des " orthodoxes "
dans la version finale se limite à quelques gages, sans conséquence,
apportés par la majorité, sur la nature " révolutionnaire "
et " communiste " du PCF et de sa politique. On cerne parfaitement
le caractère artificiel et factice de l'exercice quand le journal L'Humanité
devient dans le document adopté le " journal communiste
L'Humanité " ou bien encore quand l'affirmation que, face
à la mondialisation, " Plus que jamais la recherche de dépassement
radical est indispensable " est corrigée par " Plus
que jamais la recherche d'un dépassement radical du capitalisme est indispensable ".
Le seul élément qui tranche véritablement est la place
réservée désormais à la nécessité
de maintenir l'" autonomie " du PCF qui inonde littéralement
" Communisme : écrire ensemble une page nouvelle ",
et dont les " conservateurs " et les " orthodoxes " avaient
fait leur cheval de bataille. Mais cette idée sert ici le projet majoritaire
d'une alliance privilégiée avec le PS : elle ferme la porte à
un possible rapprochement avec l'extrême gauche aux Européennes
et aux Régionales en 2004 que condamnaient Marchand et Danglot ; le principe
de liste " autonome " du PCF au premier tour des élections
est retenu tout en laissant ouvert un accord avec le PS au second tour puis
dans les exécutifs (mairies, départements, régions, etc.).
" Conservateurs " et " orthodoxes "
dénoncent de concert les " gauchistes " comme au
temps des Maurice Thorez, Waldeck Rochet et Georges Marchais dont ils se revendiquent
fièrement.
La réécriture de la partie du document sur la mutation illustre
également l'aspect anecdotique des amendements intégrés.
Dans le texte soumis à la discussion il est écrit : " Nous
réaffirmons notre attachement au principe fondamental de la mutation
: innovation et transformations pour faire vivre une conception de notre temps
et de la transformation de la société et du monde, et du communisme,
et du parti lui-même ". La version approuvée stipule
: " Nous réaffirmons notre attachement au principe fondamental
de la mutation : rompre avec une conception ancienne du communisme pour fonder
une conception moderne du processus révolutionnaire de transformation
de la société et du monde, du communisme, et du parti lui-même ".
Ces corrections apportées pour contenir les minoritaires ne transforment
nullement l'orientation du PCF. L'essentiel tient dans la confirmation par le
XXXIIe congrès des axes fondamentaux autour desquels les amis de Buffet,
Hue et Martelli se sont regroupés. On vient de noter le premier d'entre
eux : la mutation. Deux autres points éminemment importants l'attestent :
l'union de la gauche et la participation gouvernementale. L'unité est
abordée sans détour : " nous décidons
de travailler à la constitution de majorités politiques, permettant
de l'emporter sur les forces conservatrices et de confier des responsabilités,
à tous les niveaux possibles, à des forces progressistes ".
Les relations avec les socialistes ne sont pas traitées de front, mais
aucune équivoque n'est permise sur la nature des " forces
progressistes " en question. La formule retenue sur la participation
de communistes à un futur gouvernement laisse songeur sur les leçons
apprises de la faillite de la gauche plurielle : " le Parti
communiste a vocation à participer à une majorité, à
un exécutif, à un gouvernement, dès lors que les communistes
en décident ". En 1997, déjà, les communistes
ont été amenés à ratifier le choix d'envoyer quelques-uns
des leurs au pouvoir, avec le succès que l'on sait
Et pour l'unité
avec le PS ou le pouvoir d'État, le PCF s'en remet - comme toujours -
au " mouvement populaire ". CQFD !
Buffet remercie
ses opposants
" Les communistes n'ont donné un chèque en blanc
à personne ", soulignait Marie-George Buffet dans sa conclusion
aux travaux du XXXIIe congrès. La secrétaire nationale a, elle,
présenté immédiatement l'addition à ses opposants.
Elle a attendu juste cinq jours pour faire payer aux " conservateurs "
et aux " orthodoxes " leur fronde, le temps séparant
la fin du congrès de la réunion du nouveau Conseil national censée
élire l'exécutif du PCF. Les partisans de Marchand et Danglot
étaient déjà notoirement sous-représentés
au Conseil national; ils se voient amputés de leurs têtes pensantes
au sommet du parti, à commencer par Marchand qui ne retrouve pas sa place
au Comité exécutif. Il figurait en tête de la liste " alternative "
de 31 noms proposée par les opposants à la mutation ; il paye
son outrecuidance. " C'est une éviction incompréhensible
et irresponsable ", s'est insurgé l'ex-patron de la fédération
du Val-de-Marne du temps de Georges Marchais. Mais il précise qu'il ne
regrette pas ses " gestes d'union ", espérant
peut-être faciliter ainsi un retour en grâce auprès de la
secrétaire nationale. Buffet est visiblement plus rancunière que
lui.
Yves Dimicoli, l'économiste du PCF, compagnon de Marchand, subit le même
sort. Les refondateurs font également les frais de l'opération.
L'historien Roger Martelli, l'ancien directeur de L'Humanité Pierre
Zarka et le sociologue Alain Bertho sont écartés de la direction.
Ces évictions soulignent le sens politique de l'opération engagée
par l'équipe dirigeante : Buffet remercie tous ceux chez qui elle a puisé
ses idées et qui, chemin faisant, risquaient de se mettre en travers
de sa route. C'est une technique éculée au PCF : on intègre
les positions de ses adversaires pour mieux se débarrasser de leurs auteurs.
Yves Dimicoli disparaît alors que sa proposition d'une " sécurité
d'emploi ou de formation " figure au rang des " novations
théoriques "
du XXXIIe congrès - selon les communistes s'entend ! Inversement,
la place importante réservée aux huïstes au Conseil national
comme au Comité exécutif accrédite l'idée d'une
direction resserrée autour de l'appareil, de celles et de ceux dont les
voix n'ont jamais manqué, ni à Robert Hue, ni à Marie-George
Buffet. Dans une période où l'avenir du parti n'est pas assuré,
l'équipe entourant Buffet prend les devants ; mieux vaut prévenir
que guérir.
La menace des " conservateurs " et des " orthodoxes "
était pour le moins limitée. Nicolas Marchand est l'archétype
du bureaucrate, manuvrant en coulisse pour s'assurer une place, quitte
à rester dans l'ombre comme au long du secrétariat de Georges
Marchais. Les critiques contenues dans " Ensemble, une nouvelle
orientation pour un nouvel élan du PCF " défendu
par 200 militants dont Nicolas Marchand, Yves Dimicoli et Maxime Gremetz comme
dans " Reconstruire le PCF et réunifier les communistes
sur des bases révolutionnaires " présenté
par le Conseil départemental du Pas-de-Calais auquel se sont ralliées
la Gauche communiste et la Fédération nationale des associations
pour la renaissance communiste (FNARC) sont superficielles (4). Elles soulignent
particulièrement bien les filiations idéologiques des deux courants.
Ils n'ont absolument rien inventé. Ils ont simplement recopié
les documents défendus naguère par le Parti communiste, reprenant
la politique de Thorez pour les " orthodoxes ", celle de
Marchais pour les " conservateurs ". Leur seule originalité
est de les défendre encore en 2003 alors que le PCF cherche à
rompre avec son passé stalinien et à devenir un parti réformiste
comme un autre.
" La participation gouvernementale : une stratégie suicidaire "
développent les " orthodoxes ". Mais ils limitent
leur récrimination à l'expérience de la gauche plurielle,
passant sous silence et la participation de ministres communistes au pouvoir
dans l'immédiat après-guerre (1944-1947), et celle renouvelée
après la victoire de François Mitterrand (1981-1984). La proximité
avec les conceptions majoritaires est flagrante, dès qu'il s'agit de
définir une " stratégie " pour le pouvoir.
Les partisans de Danglot défendent l'idée réformiste classique
d'" un processus menant à la rupture avec le capitalisme ",
réduisant leur ambition à " une autre constitution qui
instaurerait une démocratisation de la République ".
Les " conservateurs ", quant à eux, filent l'idée
d'un " dépassement du capitalisme " que reprend
à son compte " Communisme : écrire ensemble une page
nouvelle ", se détachant des thèses majoritaires
uniquement dans les références à la classe ouvrière
et au rôle du parti.
Même sur une question aussi sensible que l'union avec le PS, les deux
textes ne diffèrent guère du texte adopté. Significativement,
les alliances avec les socialistes au niveau local ne sont pas intégrées
à la réflexion des opposants. " La question de l'union
renvoie à trois conditions essentielles, expliquent les " orthodoxes " :
l'union ne doit pas favoriser la confusion entre nous, le PS ou d'autres forces
politiques ; l'union se construit dans un rapport de forces. Nous disions autrefois
" l'union est un combat ". Commençons donc par créer
un rapport de forces plus favorable ; l'union se fait sur un contenu partagé
par le mouvement populaire, qui doit être garant de son application. Éviter
la confusion, pour ne plus être perçu comme l'aile gauche du PS,
cela veut dire revenir sur le concept de gauche, arrêter de parler uniquement
au nom de la gauche et parler plus souvent au nom du Parti Communiste Français.
Cela veut dire également éviter les candidatures uniques aux premiers
tours dans les scrutins nationaux au suffrage universel : législatives,
présidentielles, européennes. La construction de l'union passe
par la remontée de l'influence de notre parti ; à 3,5 %
le tête à tête avec le PS n'a pas beaucoup de sens ".
La position de Danglot comme celle de Marchand ne propose nullement de rompre
avec l'électoralisme du PCF et avec la gestion des affaires de la bourgeoisie ;
ils contestent simplement son intérêt hors d'un meilleur rapport
de force. Comme en 1981 ?
Tourner la page
!
Le conseil national a amorcé la reprise en main du parti. La direction
referme le piège qu'elle a tendu à ses opposants : d'abord
sommés de faire connaître leurs désaccords ; aujourd'hui
amenés à se soumettre ou partir. " Pour moi l'exécutif
n'a pas vocation à "reproduire" à "poursuivre"
ou à "défaire" les débats du Conseil national ",
a déclaré Buffet le 11 avril. " Je crois qu'il nous
faut tenir compte de la couverture médiatique qui a porté l'accent
sur nos divisions, et nos confrontations. Il nous faut montrer ce "tous
ensemble" qui se construit. Ce n'est pas une unité de façade ",
a-t-elle précisé à l'adresse de ceux qui auraient encore
des velléités à contester son orientation.
" Il va y avoir de nouveaux départs du parti, vous le verrez ! ",
professait Jean-Jacques Karman dans la nuit du 5 au 6 avril. Le 6, la FNARC
enjoignait celles et ceux qui s'étaient retrouvés derrière
" Reconstruire le PCF et réunifier les communistes sur des
bases révolutionnaires " à organiser avec elle un
congrès à l'automne pour créer " un pôle
de renaissance communiste ". D'autres initiatives devraient voir
le jour.
Le XXXIIe congrès témoigne des difficultés de la direction
communiste à assurer la transformation du PCF en parti social-démocrate.
Pour accomplir sa mutation, le Parti communiste ne doit pas seulement gérer
docilement le système au profit de la bourgeoisie, il doit rompre avec
des secteurs entiers de la classe ouvrière qui lui étaient traditionnellement
acquis, soit avec une partie importante de sa base sociale et électorale.
L'offensive contre " l'aile dure " est liée
à cet objectif.
L'auto-transformation que vise la direction s'est heurtée jusqu'alors
aux socialistes qu'elle cherchait à concurrencer sur le terrain occupé
par la social-démocratie depuis des décennies ; aujourd'hui,
la percée de l'extrême gauche complique un peu plus une orientation
qui nécessite une rupture avec les discours révolutionnaires - discours
dont l'actualité apparaît pleinement après cinq années
d'un gouvernement social-libéral dominé par le PS et le PCF !
Cela explique les hésitations et les atermoiements qui traversent l'appareil
communiste depuis la chute du mur de Berlin ; et cela éclaire les débats
nourris par des " conservateurs " et des " orthodoxes "
en quête d'un mythique " vrai " Parti communiste lors
du congrès.
Marchand et Danglot ne sont pas une alternative. Les seuls à même
de tracer les contours de ce parti ne sont pas au PCF. Laisser croire que l'issue
de la crise qui travaille le parti communiste puisse se trouver à l'intérieur
des rangs du PCF serait une erreur de perspective. Aucun des courants constitués
ne porte en germe un projet rompant avec le réformisme, social-démocrate
ou stalinien. Et l'essentiel des forces vives que comptait le parti a déserté,
ce qui entrave l'apparition de fraction gauche en son sein. L'abstention massive
des militants communistes en est le signe le plus tangible : les 45 %
des oppositionnels ne peuvent faire oublier que seulement 18 682 adhérents
sur les 133 767 que revendique le PCF ont reporté leur voix sur
eux, soit moins de 15 %.
Que sortira-t-il de la crise du Parti communiste ? La réponse pour
l'essentiel tient à la capacité de l'extrême gauche à
offrir un débouché crédible aux dizaines de milliers de
travailleurs encore au PCF et aux centaines de milliers qui s'en sont détachés.
Si les révolutionnaires misent sur leurs propres forces plutôt
que de s'épuiser à chercher à tout prix un courant oppositionnel
sur lequel s'appuyer, alors tout est possible. De nombreux militants et sympathisants
communistes expriment depuis 1995 dans les urnes leur défiance à
l'égard de la mutation en reportant leurs suffrages sur les candidats
trotskystes ; il s'agit désormais de les gagner à la perspective
d'un parti révolutionnaire des travailleurs, un nouveau parti communiste
défendant jusqu'au bout les travailleurs et la jeunesse, une force nouvelle
tournant résolument le dos à la politique du PCF.
Entamer une discussion franche sur les combats passés contre le stalinisme
ou la participation gouvernementale est primordial ; dégager un
programme d'urgence sociale et démocratique répondant aux tâches
de l'heure tout autant. Proposer des cadres de confrontation et d'élaboration,
débattant du passé pour mieux aborder l'avenir : les révolutionnaires
sont les seuls en mesure de le réaliser. La LCR et l'ensemble de l'extrême
gauche ont une responsabilité collective sur ce plan, historique à
bien des égards.
Les militants communistes ne tourneront pas la page du stalinisme sans nous.
Nous ne tournerons pas la page du gauchisme sans eux.
Serge Godard
(1) Cf. Débat
militant, n°22, vendredi 20 décembre 2002.
(2) CommunisteS, n°83, supplément à L'Humanité,
10 avril 2003.
(3) Cf. Débat militant, n°27, vendredi 11 avril 2003.
(4) Les trois textes sont parus dans CommunisteS, n°74, supplément
à L'Humanité, 6 février 2003.