Débat militant
Lettre publiée par des militants de la LCR
n°28
30 avril 2003

Sommaire :

Un an après le 21 avril et le 5 mai, dans la rue et par la grève, rompre le consensus, révéler l'imposture

Libéralisme impérialiste et offensive impériale, les nouvelles contradictions du capitalisme à l'œuvre

XXXIIe Congrès du PCF, une page nouvelle de la mutation


Un an après le 21 avril et le 5 mai,
Dans la rue et par la grève, rompre le consensus, révéler l'imposture

Il y a un an, le 21 avril, le premier tour de la Présidentielle révélait l'ampleur du discrédit qui atteint les partis qui se partageaient le pouvoir depuis 20 ans. Le Parti socialiste au premier chef. Son candidat, Jospin, est éliminé dès le premier tour, mais le score de Chirac ne dépasse pas 20 %. C'est l'extrême droite, avec Le Pen qui fait irruption au premier tour, profitant à plein aussi bien du discrédit des partis de la cohabitation que de la campagne sécuritaire que les uns et les autres ont menée.
Selon les sondages, 75% des électeurs ne voyaient pas de différence entre les programmes de Jospin et de Chirac. A juste titre. Et comment auraient-ils pu se différencier alors que la gauche et la droite cohabitaient à la tête de l'Etat, sans heurt, et participaient d'un commun accord, par exemple, de toutes les décisions prises lors des sommets européens, comme celui de Barcelone sur les retraites.
Dans la logique de cette cohabitation à l'origine de la crise du 21 avril, le PS et ses alliés, incapables d'un quelconque sursaut, trop préoccupés de masquer leurs responsabilités dans l'émergence de Le Pen, intronisent Chirac et la droite au pouvoir, en lui assurant au deuxième tour, le 5 mai, un score plébiscitaire, 82 % des voix.

Face au vide laissé par la gauche, la droite endosse les habits du populisme
Un an après, la gauche reste sans force, vidée de toute substance. Les socialistes en sont toujours au stade de " l'introspection ", affirme Hollande à deux semaines du congrès du PS. La " thérapie de groupe n'est pas terminée ", surenchérit Cambadélis. A la tête des municipalités des grandes villes ou des Conseils régionaux, les dirigeants socialistes continuent leur politique de cohabitation. C'est Collomb, le maire de Lyon, qui reproche à la direction du PS un trop grand " conservatisme ". Jospin a perdu, selon lui, parce qu'il n'a pas su abandonner " ses glorieuses références au passé ". Jospin lui-même pense qu'il faut laisser le temps au gouvernement. Martine Aubry, conviée à l'émission de Fillon, " 100 minutes pour convaincre ", a décliné l'invitation. Quant à Ségolène Royal, qui y était, elle, présente, Fillon n'a eu aucun mal à la plonger dans l'embarras, dès sa première intervention. N'a-t-elle pas prétendu que le PS aurait remis à plat la réforme Balladur de 1993, s'il avait été reconduit au pouvoir ? Fillon n'a eu qu'à lui demander pourquoi, dans ce cas, le PS ne l'avait pas fait pendant les 5 ans où il était au gouvernement. Il a d'ailleurs confié à la presse, après l'émission, que Rocard, à l'origine de la réforme sur les retraites par son " Livre blanc ", lui avait téléphoné plusieurs fois pour l'encourager à mener celle-ci jusqu'au bout.
Mais, pour contrer le gouvernement sur les retraites, on n'entend pas davantage les tenants de Nouveau monde ou du Nouveau parti socialiste. Pas plus que les dirigeants des Verts qui prônent le rassemblement avec le PS, ou du PC, dont Marie-George Buffet a sèchement mis fin aux débats du congrès au nom de " l'action ".

Face à une gauche tétanisée et sans voix, parce que, elle-même convertie au libéralisme, elle n'a aucune alternative à offrir, la droite occupe tout le terrain parlementaire. Forte du front républicain du 5 mai, puis de la position pseudo-pacifiste adoptée par la diplomatie française dans la guerre contre l'Irak, elle prétend dépasser les clivages parlementaires. Elle comble le vide laissé par une opposition inexistante en menant une politique populiste inconsistante. Démagogie sécuritaire musclée d'un côté, " dialogue social " de l'autre, dans la continuité de la méthode Jospin.
La volonté de consensus qu'elle a rencontrée parmi les directions syndicales, réduites à l'impuissance parce qu'incapables de remettre en cause un système auquel elles se sont adaptées, a particulièrement servi le gouvernement pour mener son offensive sur le plan social. Pendant des mois, les confédérations se sont prêtées à une concertation de dupes sur les retraites, alors même qu'aucun doute n'était possible sur les objectifs que voulait, dès le début, atteindre le gouvernement. C'est seulement grâce à la pression des salariés qui a commencé à se manifester avec le rejet par les salariés de l'EDF d'une réforme qu'avait approuvée la CGT, le 9 janvier dernier, qu'elles viennent d'appeler à une journée de grève interprofessionnelle le 13 mai prochain, non sans réaffirmer dans leur communiqué d'appel commun qu'une " réforme était nécessaire pour sauvegarder l'avenir de nos retraites ". Que les salariés s'emparent de cette initiative pour lui donner un autre contenu que celui auquel voudraient le limiter les directions syndicales, qu'ils en fassent le point de départ d'un mouvement général de grève reconductible, sera décisif pour le rapport de forces général et pour toute une période à venir.

La droite se libère de l'esprit de mai pour passer à un populisme musclé
Car, dans le même temps, le gouvernement et la droite ont résolu de clore une année que le ministre de l'Economie, Mer, a qualifiée de " symbolique " pour engager une " année de rupture ". Par une série d'annonces - sur le RMA, les déremboursements de médicaments, le non remplacement de la moitié des fonctionnaires partant à la retraite -, le gouvernement a indiqué sa volonté de durcir sa politique. Dans la tribune qu'il a fait publier dans plusieurs journaux régionaux, le 17 avril, Raffarin a donné le ton. " L'impuissance politique est la première cause du mal d'avril ", a-t-il souligné, avant de vanter les " progrès de l'autorité " et d'égrener la longue série des réformes qu'il veut mener à bien. Il entend prouver, aux yeux de la bourgeoisie et de ses représentants du Medef, que son gouvernement est capable, le cas échéant, de passer en force.
Il y est d'ailleurs poussé, maintenant, par l'ensemble de la droite. " Ne calez pas sur les réformes ", a ainsi indiqué à l'adresse de Raffarin, Juppé, le président de l'UMP, lors d'un colloque des droites européennes où figurait un des plus fidèles alliés de Bush, Aznar. Et Debré, le président du groupe UMP à l'Assemblée, s'est revendiqué de cette apostrophe, en ajoutant qu'il n'hésiterait pas à le dire " entre quatre yeux " à Raffarin. Soucieuse de laisser le moins de terrain possible à l'extrême droite, dans la perspective des prochaines élections, la droite veut se libérer de " l'esprit de mai ", de ses ambiguïtés, de ses faux-semblants.

La tendance au regroupement des forces les plus conscientes est à l'œuvre dans le mouvement
L'accentuation de la politique sécuritaire menée par Sarkozy, l'aggravation des attaques contre les immigrés, avec entres autres, l'institutionnalisation des charters et des interventions policières musclées contre des Sans-papiers en lutte, indique sur quel terrain la droite entend regagner du terrain sur le Front national. Le gouvernement n'hésitera pas, non plus, à user de la matraque contre les mouvements sociaux.
Il y a bien un réel danger. Si elle ne rencontre pas une opposition véritable, sérieuse, dont la force ne peut provenir que de la mobilisation et de l'organisation des travailleurs, cette politique renforcera l'extrême droite qui attend son heure en 2004, à l'occasion des Régionales.
Pour y répondre, le seul moyen est de tourner le dos au front des capitulations, à ce front républicain dont la gauche prétendait qu'il était un rempart contre Le Pen, et à l'ombre duquel le gouvernement a préparé la mise en œuvre de son offensive contre la population.
En partie paralysées ces derniers mois par ce consensus, les forces vives des luttes, celles qui ont manifesté dans la rue entre les deux tours, celles qui ont manifesté contre la guerre, s'en dégagent aujourd'hui, en entamant, sur la question des retraites, une lutte décisive.
Les trois millions d'électeurs qui avaient porté leurs suffrages sur les candidats d'extrême gauche dont les commentateurs politiques ont oublié l'existence, avaient bien pourtant constitué le vrai événement de l'élection présidentielle, l'événement porteur d'avenir.
Au moment où la mascarade du consensus et du plébiscite se révèle, où les yeux se dessillent, nombreux sont ceux qui se sont retrouvés dans la lutte contre la mondialisation guerrière ou pour la défense des retraites et contre les plans sociaux.
Les militants révolutionnaires sont au cœur des mouvements qui ont démarré dans l'Education nationale et dans d'autres secteurs, ils agissent pour leur approfondissement et leur développement en en éclairant l'enjeu politique : face à la conjugaison de toutes les attaques, dans tous les secteurs, bloquer l'offensive gouvernementale sur les retraites en imposant le retrait du projet Fillon, est décisif. Alors que de nombreux travailleurs sont conscients de la politique des directions syndicales, ils contribuent à réunir toutes les forces disponibles pour la lutte en aidant les salariés à prendre en main leur propre mouvement et à se libérer du verrouillage des bureaucraties syndicales en donnant à la lutte une organisation démocratique.
Galia Trépère


Libéralisme impérialiste et offensive impériale,
les contradictions du capitalisme à l'œuvre

Impérialisme libéral " titrait un éditorial du Monde commentant le discours de Bush parlant, le 26 février, dernier de l'après-guerre en Irak qui devait apporter " la démocratisation du Proche-Orient ". L'auteur de cet éditorial parlait de " l'expansionnisme messianique de la démocratie ", argument des néo-impérialistes de l'administration Bush pour justifier leur expansionnisme économique et militaire qui serait en rupture avec la politique du démocrate Clinton.
Il y a certes rupture mais dans une continuité beaucoup plus grande, dans les faits, que les discours ou plutôt les sermons de Bush le laissent percevoir. La politique de Clinton était elle-même en continuité avec celle de Bush père. Quand Clinton déclarait dans son discours sur l'Etat de l'union en 99 " Voyez-vous, aucun pays dans l'histoire n'a eu l'occasion et la responsabilité que nous avons maintenant de façonner un monde plus pacifique, plus sûr, plus libre ", il reprenait l'idée du " nouvel ordre mondial " qui aujourd'hui dessine plus précisément ses contours.
Cette continuité, c'est l'expansionnisme impérialiste. La rupture, c'est le messianisme de la démocratie et du " devoir moral " chers à Clinton qui s'est heurté à la réalité du monde capitaliste. Le rêve d'une nouvelle économie générant sans fin de nouveaux profits dans un monde libéré de la menace communiste où fleurirait la démocratie du marché s'est brisé sur la réalité même de cette économie de marché, les limites du marché solvable et la concurrence entre les multinationales et entre les Etats.
Les mythes et la propagande s'usent sous l'effet de la réalité des rapports entre les classes et les peuples. Le messianisme américain, cette prétention à l'universel qui idéalisait la force du dollar et de l'économie de marché se transforme en une idéologie fascisante idéalisant la force des armées, instrument concret de la barbarie de l'économie de marché.
La rupture, c'est la fin d'une décennie à travers laquelle s'est constitué cet impérialisme libéral, c'est-à-dire une nouvelle phase du capitalisme résultat de vingt ans d'offensive menée par les classes dominantes des puissances impérialistes pour relever le taux de profit en libérant le capital de toutes les entraves, de tous les freins que lui avaient opposé les résistances et les luttes des travailleurs et des peuples, en particulier les conséquences de la révolution russe puis de la vague de luttes de libération nationale.
Cette offensive mondialisée a abouti à une crise économique, à de nouvelles tensions entre les classes et les nations qui ont brutalement explosé à la face du monde le 11 septembre 2001. L'onde de choc, c'est la nouvelle offensive impériale ; les bombes, les chars, la soldatesque dessinent le visage de cette démocratie que l'économie de marché devait apporter au monde.
Nous sommes devant un nouveau stade du développement du capitalisme caractérisé par un libre-échange à l'échelle mondiale qui s'opère dans le cadre de rapports impérialistes, c'est-à-dire la lutte pour le partage du monde.
La puissance hégémonique, acteur principal de ces transformations, anticipe aujourd'hui les menaces de contestation de sa puissance dans une offensive globale, préventive.
Les chars déblaient les derniers obstacles au libre expansionnisme du capital en même temps qu'ils construisent un protectorat américain. Mais chaque obstacle libéré en fait surgir un nouvel…
Il nous faut tenter de prendre la mesure de l'étape qui vient d'être franchie et des puissantes contradictions qui sont en œuvre, autant de failles ou de points d'appui pour les luttes des travailleurs et des peuples.

" Le nouvel ordre mondial " ou le libéralisme impérialiste
Chaque président incarne plus ou moins bien la politique des multinationales américaines : Clinton, la démocratie du dollar, Bush, la démocratie du Pentagone. Bien des commentateurs politiques sont dupes et voient dans le discours de Bush ou des " faucons " la cause des actes que ces derniers ont pour tâche de justifier, de faire accepter par leur propre opinion et par l'opinion mondiale. Certes, le discours politique a sa propre logique qui peut entraîner le monde dans la folie, mais cette logique s'inscrit dans la logique même des rapports capitalistes.
Ceux-ci ont été profondément bouleversés dans les deux dernières décennies. Le résultat est une concentration croissante des moyens de production, du capital et un parasitisme financier qui déconnecte de plus en plus le capital de l'activité productive, ce qu'il est convenu d'appeler le capitalisme patrimonial, capitalisme rentier. La rente financière définit une nouvelle aristocratie mondiale. C'est cette rente financière qui se joue, se redistribue, se concentre sur les marchés financiers.
L'exportation et la circulation des capitaux ont très largement pris le dessus sur l'exportation et la circulation des marchandises.
Pour satisfaire aux besoins sans cesse croissants des capitaux en plus-values, le crédit ne connaît plus de limite. L'endettement généralisé et les spéculations alimentent une bulle financière qui dévore l'économie réelle et menace de l'étouffer. Les pressions exercées sur les classes populaires limitent la consommation et, en conséquence, les possibilités d'extension de la production.
Ce nouveau stade est celui du capitalisme arrivé à un stade où les monopoles se sont transformés en multinationales aux activités diversifiées, intégrées au marché mondial et qui s'interpénètrent. Elles se sont soumises les Etats et façonnent le monde en fonction de leurs intérêts.
La nouvelle économie ne se laisse pas réduire à la spéculation financière. La révolution informatique est bien une réalité, base technique de cette nouvelle phase du capitalisme qui permet des gains de productivité considérables y compris dans l'activité directement productive. Elle permet une réorganisation de la production en fonction de la recherche des moindres coûts, facilite les externalisations et les délocalisations. La conséquence en est une internationalisation croissante de la production et une nouvelle division du travail.
La déréglementation de la circulation des capitaux aboutit à un nouveau colonialisme financier qui s'empare de toutes les sources de richesses et saigne les peuples par le biais de la dette.
Le libéralisme des multinationales opère un nouveau partage d'un monde entièrement dominé par les rapports capitalistes. Il n'y a plus de nouvelles frontières, l'espace de développement capitaliste est clos d'où l'âpreté de la concurrence non seulement entre vieilles puissances mais aussi entre elles et les peuples qui ont conquis leur indépendance.

La " guerre sans limites " comme moyen de régulation de l'économie de marché
C'est la logique de ce développement d'une nouvelle phase du capitalisme qui explique la guerre en Irak après la guerre en Afghanistan. La folie de Bush ou Rumsfeld exprime la logique même du système, le besoin d'ouvrir de nouveaux marchés, de s'assurer le contrôle des sources d'approvisionnement en pétrole, d'organiser le monde en fonction des besoins mêmes du capital financier.
Comme au XIX° siècle, l'impérialisme naissant s'ouvrit les marchés du Japon et de la Chine par la politique de la canonnière, les armées américano-britanniques abattent toutes les barrières qui peuvent s'opposer à la libre circulation du capital financier.
Se développe pleinement ce que le conseiller de Madeleine Albright, Thomas Friedman décrivait en 1999 : " La main invisible du marché ne fonctionnera jamais sans un poing invisible. MacDonald's ne peut se répandre dans le monde sans MC Donnel Douglas, le concepteur de F 15. Et le poing invisible qui garantit l'ouverture du monde pour les technologies de la Silicon Valley, s'appelle l'armée, la force aérienne, la force navale et le corps des marines des Etats-Unis. "
Il y a bien sûr une cause immédiate, directe et évidente à ces deux guerres, le pétrole, le contrôle des sources d'approvisionnement. Cette cause directe se conjugue à des causes plus globales, celles de la défense des intérêts généraux du capital financier international : assurer l'ordre impérialiste, garantir la libre circulation des capitaux et des marchandises, donner à l'industrie militaire son espace… Le poing invisible !
Les nouveaux buts de guerre visant la Syrie annoncés par Bush au décours de la guerre contre l'Irak ne sont pas la seule conséquence de " l'ivresse de la victoire " mais de façon plus générale, de l'ivresse de l'expansionnisme du capital financier qui ne circule pas que par la simple logique de la main invisible des marchés mais par la force des armées.
La démocratisation du Moyen-Orient " vise à y établir une vaste zone de libre-échange capitaliste dont la plaque tournante, le centre serait le grand Israël. Ce que les accords d'Oslo ont été impuissants à réaliser, les armées impériales alliées à Israël prétendent y réussir.
Cette politique pour façonner le monde en fonction des besoins des multinationales utilise tous les moyens, l'aide financière au Brésil après avoir pratiqué l'asphyxie financière avec l'Argentine, accords diplomatiques créant des zones de libres échanges, l'OMC et les plans d'ajustement du FMI… La mondialisation militaire s'impose aujourd'hui comme une composante indispensable de cette politique de mondialisation financière.
Comme l'écrit Claude Serfati dans Rouge, l'administration Bush " ouvre une étape nouvelle dans les formes de domination de la planète par les impérialismes ". Le libéralisme impérialiste conjugue, dans sa soif de domination globale, la liberté du pillage financier et de la conquête militaire
Le déploiement militaire est au cœur même du fonctionnement économique et politique du capitalisme aujourd'hui, il est organiquement lié au libéralisme-impérialiste.

L'apogée de l'hégémonie américaine crée de nouvelles difficultés
Cela ne signifie pas que soit en train de se constituer un nouvel empire tel que Negri le décrit, éclaté en différents centres, multipolaire, ni que va s'imposer un superimperialisme imposant sa " paix " au reste de la planète. L'offensive de l'empire américain pour asseoir son hégémonie tout en imposant le libéralisme du capital international inévitablement provoque les réactions et les résistances des autres nations.
Les USA n'ont pu éviter de heurter les intérêts de leurs alliés contrairement à ce qu'ils prétendaient faire après la fin de l'URSS. Brzezinski le résumait ainsi : " Le problème central, pour l'Amérique, est de construire une Europe fondée sur des relations viables avec les Etats-Unis afin d'étendre le système international de coopération démocratique dont dépendra l'exercice de l'hégémonie américaine ". Une revue du Pentagone expliquait : " Nous devons suffisamment prendre sur nous les intérêts des pays industriels avancés afin de les décourager de défier notre leadership ou de chercher à renverser l'ordre politique ou économique établi. En fin de compte, nous devons maintenir le mécanisme qui empêche d'éventuels concurrents d'aspirer à jouer un rôle régional ou global plus large ".
La mise en œuvre d'une telle politique supposait trouver et soumettre à ses propres objectifs des forces locales afin de les utiliser pour maintenir l'ordre.
" Les attentats marquent " un nouveau basculement du monde ", dix ans après la fin de la guerre froide, écrivait Débat militant au lendemain du 11 septembre. L'impérialisme ne bénéficie plus de cet allié, cause expiatoire de tous les maux du monde qui acceptait de faire la police contre les peuples et les travailleurs, la bureaucratie stalinienne. Ce facteur réactionnaire, élément indispensable du maintien de l'ordre impérialiste, s'est effondré, privant les USA de cet allié complaisant, irremplaçable, à la fois bouc émissaire, excuse, justification et gendarme. Pour faire face à ce vide, les USA ont utilisé pour leur propre compte les restes recyclés des appareils d'Etats du camp soumis à la bureaucratie ou dépendant d'elle, comme dans l'ex-Yougoslavie. Ils ont aussi utilisé les forces réactionnaires susceptibles de soumettre les peuples comme en Afghanistan ".
Ces alliés se sont retournés contre leurs maîtres comme Saddam Hussein lui-même l'avait fait, obligeant les USA à modifier leur stratégie.
Le fait que les USA ne peuvent seuls assurer le maintien de l'ordre mondial, écrivait Débat militant, a pour conséquences la recherche d'alliés, donc le besoin d'associer à sa politique non seulement le monde occidental mais aussi la Russie, la Chine, l'Inde… George W. Bush a ainsi déclaré : "Nous allons continuer à collaborer avec le Pakistan et l'Inde. Nous allons aussi travailler avec la Russie. Nous comptons tisser des liens avec des nations qui nous étaient hostiles, il y a quelques années. " Mais qui dit allié dit concessions, et en conséquence vont se redessiner de nouvelles zones d'influence. Le monde se dégage de la division en deux blocs pour tendre à se restructurer autour des nations dominantes.
Cette redéfinition des rapports internationaux est l'inévitable conséquence de la mondialisation. Au centre de ces redéfinitions, se trouvent la question de la construction de l'Europe et, en corollaire, celle des rapports Europe-Amérique, et la question de qui dominera l'Asie, du Japon ou de la Chine. Ces questions vont se poser avec plus d'acuité ayant pour effets immédiats, tensions, pressions, remontée nationaliste… Les effets en retour de la nouvelle situation politique mondiale sur la situation économique sont difficiles à apprécier, si ce n'est qu'il y a accélération et amplification des facteurs convergeant vers une récession voire un krach. Les tensions entre Etats et les tensions sociales qui vont en résulter amèneront les Etats à une intervention croissante dans le domaine économique pour soutenir l'effort d'investissement de leur bourgeoisie, de leurs multinationales afin de faire face à une lutte plus âpre pour les marchés. Cette intervention visera à alimenter les sources de profits du capital financier, sa voracité parasitaire, en aggravant la contradiction fondamentale de l'économie. La construction d'une Europe politique, " étatique " devient une nécessité pressante pour que celle-ci cesse de rester spectatrice, avec tout ce que cela peut avoir comme effet déstabilisant, de crises pour les différents Etats rivaux 
".
L'ensemble des alliés des USA négocient leur soutien quitte à aller jusqu'aux affrontements diplomatiques comme ce fut le cas au cours des tractations diplomatiques qui ont précédé la deuxième guerre contre l'Irak. Chacun rediscute sa place dans le nouvel ordre mondial. Les dirigeants de l'empire américain négociant le rapport de force pour imposer des relations de vassalité.

Des guerres locales à une menace de conflit généralisé
Les contradictions qui naissent de cette politique sont lourdes de menaces pour le monde. L'offensive des USA qui se voudraient un nouvel empire suscite au cœur des masses opprimées les sentiments de révoltes qui tendent à unifier dans une nouvelle conscience les sentiments hérités du colonialisme et ceux qui se sont forgé à travers les frustrations et des déceptions nées de l'échec de la révolution coloniale puis des humiliations face à l'offensive impérialiste.
Cette nouvelle révolte peut nourrir des aspirations révolutionnaires modernes et démocratiques, elle peut être aussi dévoyée par des forces réactionnaires religieuses et intégristes mais elle ne laissera pas de répit au nouveau colonialisme financier et militaire.
Il est probable que l'Irak est entré dans une longue période d'instabilité qui contraindra les armées d'occupation à demeurer sur place, comme elles le font en Afghanistan, contre une population qui les rejette.
L'Asie centrale, le Moyen-Orient sont ainsi déstabilisés, terrains favorables à toutes les démagogies.
Parallèlement à cette mise sous tension des peuples, des puissances comme l'Europe, la Chine, la Russie voire des puissances de moindre envergure chercheront à intervenir dans ce remodelage des rapports internationaux pour élargir leur propre zone d'influence, aggravant instabilité et tensions.
Quelles seront les conséquences des bouleversements en cours, quels enchaînements militaires pourraient en résulter ? Probablement un état de guerre endémique dont rien n'exclue qu'il puisse se transformer en conflits régionaux voire en une menace d'une nouvelle guerre mondiale.

Retournement de conjoncture… et basculement du monde
Les deux dernières années ont vu se conjuguer le krach chronique qui touche l'ensemble des places boursières avec la fin des spéculations sur la nouvelle économie et le redéploiement militaire de l'impérialisme conséquence de l'évolution des relations internationales depuis l'effondrement de l'URSS.
Par la logique même de l'interdépendance des rapports politiques et économiques, le redéploiement s'impose comme une réponse au krach et devient la composante essentielle de la politiques de l'empire dominant.
Il n'y a pas de retour en arrière possible. L'effet stimulant de la guerre sur le complexe militaro-industriel ne peut nullement entraîner une réelle reprise au sens où l'argent qui finance ce stimulant est pris sur le pouvoir d'achat donc la consommation des classes populaires. L'expédient alimente la crise à laquelle il est censé trouver une solution.
L'expédient devient, ainsi, le nouveau mode de domination de l'empire américain. Le néocolonialisme financier se combine avec un nouveau colonialisme militaire et entraîne l'ensemble des nations à participer à cette montée du militarisme.
Les maîtres du monde sont dominés par leur propre puissance dont ils n'ont nullement la maîtrise. Le besoin d'expansion, inhérent organiquement au système lui-même, secrète le militarisme et une idéologie agressive, moraliste et fascisante. Les discours sur la paix et la liberté de Clinton ont cédé la place à la croisade contre l'axe du mal de Bush.
Cette paranoïa des faucons résulte de la contradiction entre une politique d'expansion, de conquête, de violence, d'agression et les grandes phrases, les discours moraux à prétention universelle qui prétendent la justifier. Elle est l'expression du mensonge et du cynisme au service du parasitisme social, du pillage et de l'oppression.
Les mois de crises que vient de connaître le monde auront largement contribué à ouvrir les yeux aux millions de travailleurs, de jeunes qui se sont dressés et mobilisés contre la guerre. La guerre contre les peuples se révèle comme une composante de la politique des classes dominantes pour faire face à la crise organique du capitalisme. Elle apparaît comme un complément de la guerre sociale contre les classes travailleuses.
En réponse émerge une nouvelle conscience révolutionnaire qui unit la lutte pour les droits des peuples à la lutte pour les droits des salariés.
Il nous faut l'aider à s'affirmer, à agir politiquement, lui fournir les armes politiques de son propre combat et les moyens de s'organiser. Il y a là une nécessité impérieuse qui oblige chacun au dépassement des raisonnements hérités de la période antérieure pour prendre la mesure des enjeux, sortir des vieux clivages pour regrouper et unir.
Yvan Lemaitre


XXXIIème Congrès du PCF
Une page nouvelle de la mutation

Marie-George Buffet a gagné son pari. Laisser passer l'orage s'est avéré payant. Le XXXIIe congrès du PCF, réuni du 3 au 6 avril, à la Plaine-Saint-Denis a tourné la page Robert Hue tout en confirmant la mutation du parti. Les "conservateurs" emmenés par Nicolas Marchand et les " orthodoxes " regroupés derrière Jean-Claude Danglot ont animé le congrès mais sans en changer le cours. La secrétaire nationale ne cachait pas sa satisfaction au terme de quatre jours de débats agités où elle a confié à d'autres le soin de s'escrimer contre les réfractaires à la social-démocratisation du Parti communiste.
Dans son discours de clôture, Marie-George Buffet s'est efforcée de communiquer sa " confiance " aux 769 délégués élus par les congrès départementaux des 96 fédérations que compte encore le PCF. " Notre congrès n'est pas une potion miracle, a-t-elle noté modestement, mais il nous a permis de réunir quelques bonnes cartes pour aller de l'avant, pour travailler à une nouvelle dynamique, à un nouvel élan ". Et d'ajouter avec assurance : " Nous sortons de cette démarche avec des choix forts et clairs concernant le communisme, concernant notre stratégie et les questions du rassemblement, concernant la vie de notre parti ". On ne peut que s'interroger sur les " choix forts et clairs " du XXXIIe congrès. Mais il est indiscutable que les options arrêtées lors des congrès précédents, celui de La Défense en octobre 2001, celui de Martigues en mars 2000, sont réaffirmées… sans ambiguïté !
L'équipe Buffet sort même renforcée de l'épreuve de force, et ce malgré les 45 % réunis en février par les " conservateurs " et les " orthodoxes " sur leurs textes alternatifs. L'incapacité des partisans de Marchand et de Danglot à infléchir les positions du document majoritaire - le seul débattu à la Plaine-Saint-Denis - est patent pour tous, à commencer par les courants oppositionnels eux-mêmes. Certains s'interrogeaient publiquement dès le 6 avril sur leur avenir au sein du PCF. Les résultats des minoritaires ont, de plus, soudé l'appareil autour de Buffet, parfois jusqu'aux contestataires, à l'instar de l' " orthodoxe " Danglot, préférant ne pas s'engager plus avant dans une entreprise menaçant sa fédération du Pas-de-Calais et au-delà le parti tout entier.
L'attitude de Buffet a dissuadé pendant la phase préparatoire du congrès national les dissidences, sans les empêcher (1). Elle encourage aujourd'hui les ralliements des cadres qui refuseraient la rupture avec le PCF. Significativement, la participation de la secrétaire nationale aux travaux du congrès s'est limitée à une mise en garde contre les dangers d'éclatements du Parti communiste dans la nuit du 5 au 6 avril au moment de l'incident créé par la présentation d'une liste alternative de candidats à la direction. Cette posture d'arbitre a permis à Marie-George Buffet d'asseoir son autorité sur de nombreux responsables comprenant que " l'unité du parti " est la condition de leur survie électorale et militante. Marchand et Danglot, les soi-disant porte-drapeaux des contestataires, n'ont pas insisté, abandonnant sans préavis Jean-Jacques Karman, le dirigeant de la Gauche communiste, qui parle de " trahison ".
Désormais seule aux commandes, après le retrait de Robert Hue de la présidence du PCF, Buffet a les coudées franches pour écrire une page nouvelle de la mutation. Et depuis le 6 avril, elle ne chôme pas.

Une orientation confirmée
Un simple coup d'œil à la résolution adoptée par le XXXIIe congrès du PCF publiée dans L'Humanité le 10 avril (2) suffit pour mesurer l'ampleur des modifications apportées par les congressistes au projet débattu tout au long du mois de mars par les militants - quelques 1 103 assemblées générales de section puis 96 congrès départementaux rassemblant 6 818 délégués ont amendé la " base commune " ratifiée par le conseil national le 28 février. Les parties en gras qui signalent les changements effectués dominent. Les évolutions sont encore plus flagrantes, si l'on compare " Communisme : écrire ensemble une page nouvelle " avec la première monture de la " base commune ", rédigée par Francis Wurtz et Patrice Cohen-Seat, en décembre : il n'en reste plus grand-chose. L'impression est cependant trompeuse. Un examen plus attentif du texte souligne que les 2 000 amendements discutés à la Plaine-Saint-Denis changent moins le fond que la forme du document.
L'influence des " conservateurs " et des " orthodoxes " dans la version finale se limite à quelques gages, sans conséquence, apportés par la majorité, sur la nature " révolutionnaire " et " communiste " du PCF et de sa politique. On cerne parfaitement le caractère artificiel et factice de l'exercice quand le journal L'Humanité devient dans le document adopté le " journal communiste L'Humanité " ou bien encore quand l'affirmation que, face à la mondialisation, " Plus que jamais la recherche de dépassement radical est indispensable " est corrigée par " Plus que jamais la recherche d'un dépassement radical du capitalisme est indispensable ".
Le seul élément qui tranche véritablement est la place réservée désormais à la nécessité de maintenir l'" autonomie " du PCF qui inonde littéralement " Communisme : écrire ensemble une page nouvelle ", et dont les " conservateurs " et les " orthodoxes " avaient fait leur cheval de bataille. Mais cette idée sert ici le projet majoritaire d'une alliance privilégiée avec le PS : elle ferme la porte à un possible rapprochement avec l'extrême gauche aux Européennes et aux Régionales en 2004 que condamnaient Marchand et Danglot ; le principe de liste " autonome " du PCF au premier tour des élections est retenu tout en laissant ouvert un accord avec le PS au second tour puis dans les exécutifs (mairies, départements, régions, etc.). " Conservateurs " et " orthodoxes " dénoncent de concert les " gauchistes " comme au temps des Maurice Thorez, Waldeck Rochet et Georges Marchais dont ils se revendiquent fièrement.
La réécriture de la partie du document sur la mutation illustre également l'aspect anecdotique des amendements intégrés. Dans le texte soumis à la discussion il est écrit : " Nous réaffirmons notre attachement au principe fondamental de la mutation : innovation et transformations pour faire vivre une conception de notre temps et de la transformation de la société et du monde, et du communisme, et du parti lui-même ". La version approuvée stipule : " Nous réaffirmons notre attachement au principe fondamental de la mutation : rompre avec une conception ancienne du communisme pour fonder une conception moderne du processus révolutionnaire de transformation de la société et du monde, du communisme, et du parti lui-même ".
Ces corrections apportées pour contenir les minoritaires ne transforment nullement l'orientation du PCF. L'essentiel tient dans la confirmation par le XXXIIe congrès des axes fondamentaux autour desquels les amis de Buffet, Hue et Martelli se sont regroupés. On vient de noter le premier d'entre eux : la mutation. Deux autres points éminemment importants l'attestent : l'union de la gauche et la participation gouvernementale. L'unité est abordée sans détour : " nous décidons de travailler à la constitution de majorités politiques, permettant de l'emporter sur les forces conservatrices et de confier des responsabilités, à tous les niveaux possibles, à des forces progressistes ". Les relations avec les socialistes ne sont pas traitées de front, mais aucune équivoque n'est permise sur la nature des " forces progressistes " en question. La formule retenue sur la participation de communistes à un futur gouvernement laisse songeur sur les leçons apprises de la faillite de la gauche plurielle : " le Parti communiste a vocation à participer à une majorité, à un exécutif, à un gouvernement, dès lors que les communistes en décident ". En 1997, déjà, les communistes ont été amenés à ratifier le choix d'envoyer quelques-uns des leurs au pouvoir, avec le succès que l'on sait… Et pour l'unité avec le PS ou le pouvoir d'État, le PCF s'en remet - comme toujours - au " mouvement populaire ". CQFD !

Buffet remercie ses opposants
Les communistes n'ont donné un chèque en blanc à personne ", soulignait Marie-George Buffet dans sa conclusion aux travaux du XXXIIe congrès. La secrétaire nationale a, elle, présenté immédiatement l'addition à ses opposants. Elle a attendu juste cinq jours pour faire payer aux " conservateurs " et aux " orthodoxes " leur fronde, le temps séparant la fin du congrès de la réunion du nouveau Conseil national censée élire l'exécutif du PCF. Les partisans de Marchand et Danglot étaient déjà notoirement sous-représentés au Conseil national; ils se voient amputés de leurs têtes pensantes au sommet du parti, à commencer par Marchand qui ne retrouve pas sa place au Comité exécutif. Il figurait en tête de la liste " alternative " de 31 noms proposée par les opposants à la mutation ; il paye son outrecuidance. " C'est une éviction incompréhensible et irresponsable ", s'est insurgé l'ex-patron de la fédération du Val-de-Marne du temps de Georges Marchais. Mais il précise qu'il ne regrette pas ses " gestes d'union ", espérant peut-être faciliter ainsi un retour en grâce auprès de la secrétaire nationale. Buffet est visiblement plus rancunière que lui.
Yves Dimicoli, l'économiste du PCF, compagnon de Marchand, subit le même sort. Les refondateurs font également les frais de l'opération. L'historien Roger Martelli, l'ancien directeur de L'Humanité Pierre Zarka et le sociologue Alain Bertho sont écartés de la direction. Ces évictions soulignent le sens politique de l'opération engagée par l'équipe dirigeante : Buffet remercie tous ceux chez qui elle a puisé ses idées et qui, chemin faisant, risquaient de se mettre en travers de sa route. C'est une technique éculée au PCF : on intègre les positions de ses adversaires pour mieux se débarrasser de leurs auteurs. Yves Dimicoli disparaît alors que sa proposition d'une " sécurité d'emploi ou de formation " figure au rang des " novations théoriques 
" du XXXIIe congrès - selon les communistes s'entend ! Inversement, la place importante réservée aux huïstes au Conseil national comme au Comité exécutif accrédite l'idée d'une direction resserrée autour de l'appareil, de celles et de ceux dont les voix n'ont jamais manqué, ni à Robert Hue, ni à Marie-George Buffet. Dans une période où l'avenir du parti n'est pas assuré, l'équipe entourant Buffet prend les devants ; mieux vaut prévenir que guérir.
La menace des " conservateurs " et des " orthodoxes " était pour le moins limitée. Nicolas Marchand est l'archétype du bureaucrate, manœuvrant en coulisse pour s'assurer une place, quitte à rester dans l'ombre comme au long du secrétariat de Georges Marchais. Les critiques contenues dans " Ensemble, une nouvelle orientation pour un nouvel élan du PCF " défendu par 200 militants dont Nicolas Marchand, Yves Dimicoli et Maxime Gremetz comme dans " Reconstruire le PCF et réunifier les communistes sur des bases révolutionnaires " présenté par le Conseil départemental du Pas-de-Calais auquel se sont ralliées la Gauche communiste et la Fédération nationale des associations pour la renaissance communiste (FNARC) sont superficielles (4). Elles soulignent particulièrement bien les filiations idéologiques des deux courants. Ils n'ont absolument rien inventé. Ils ont simplement recopié les documents défendus naguère par le Parti communiste, reprenant la politique de Thorez pour les " orthodoxes ", celle de Marchais pour les " conservateurs ". Leur seule originalité est de les défendre encore en 2003 alors que le PCF cherche à rompre avec son passé stalinien et à devenir un parti réformiste comme un autre.
La participation gouvernementale : une stratégie suicidaire " développent les " orthodoxes ". Mais ils limitent leur récrimination à l'expérience de la gauche plurielle, passant sous silence et la participation de ministres communistes au pouvoir dans l'immédiat après-guerre (1944-1947), et celle renouvelée après la victoire de François Mitterrand (1981-1984). La proximité avec les conceptions majoritaires est flagrante, dès qu'il s'agit de définir une " stratégie " pour le pouvoir. Les partisans de Danglot défendent l'idée réformiste classique d'" un processus menant à la rupture avec le capitalisme ", réduisant leur ambition à " une autre constitution qui instaurerait une démocratisation de la République ". Les " conservateurs ", quant à eux, filent l'idée d'un " dépassement du capitalisme " que reprend à son compte " Communisme : écrire ensemble une page nouvelle ", se détachant des thèses majoritaires uniquement dans les références à la classe ouvrière et au rôle du parti.
Même sur une question aussi sensible que l'union avec le PS, les deux textes ne diffèrent guère du texte adopté. Significativement, les alliances avec les socialistes au niveau local ne sont pas intégrées à la réflexion des opposants. " La question de l'union renvoie à trois conditions essentielles, expliquent les " orthodoxes " : l'union ne doit pas favoriser la confusion entre nous, le PS ou d'autres forces politiques ; l'union se construit dans un rapport de forces. Nous disions autrefois " l'union est un combat ". Commençons donc par créer un rapport de forces plus favorable ; l'union se fait sur un contenu partagé par le mouvement populaire, qui doit être garant de son application. Éviter la confusion, pour ne plus être perçu comme l'aile gauche du PS, cela veut dire revenir sur le concept de gauche, arrêter de parler uniquement au nom de la gauche et parler plus souvent au nom du Parti Communiste Français. Cela veut dire également éviter les candidatures uniques aux premiers tours dans les scrutins nationaux au suffrage universel : législatives, présidentielles, européennes. La construction de l'union passe par la remontée de l'influence de notre parti ; à 3,5 % le tête à tête avec le PS n'a pas beaucoup de sens ". La position de Danglot comme celle de Marchand ne propose nullement de rompre avec l'électoralisme du PCF et avec la gestion des affaires de la bourgeoisie ; ils contestent simplement son intérêt hors d'un meilleur rapport de force. Comme en 1981 ?

Tourner la page !
Le conseil national a amorcé la reprise en main du parti. La direction referme le piège qu'elle a tendu à ses opposants : d'abord sommés de faire connaître leurs désaccords ; aujourd'hui amenés à se soumettre ou partir. " Pour moi l'exécutif n'a pas vocation à "reproduire" à "poursuivre" ou à "défaire" les débats du Conseil national ", a déclaré Buffet le 11 avril. " Je crois qu'il nous faut tenir compte de la couverture médiatique qui a porté l'accent sur nos divisions, et nos confrontations. Il nous faut montrer ce "tous ensemble" qui se construit. Ce n'est pas une unité de façade ", a-t-elle précisé à l'adresse de ceux qui auraient encore des velléités à contester son orientation.
Il va y avoir de nouveaux départs du parti, vous le verrez ! ", professait Jean-Jacques Karman dans la nuit du 5 au 6 avril. Le 6, la FNARC enjoignait celles et ceux qui s'étaient retrouvés derrière " Reconstruire le PCF et réunifier les communistes sur des bases révolutionnaires " à organiser avec elle un congrès à l'automne pour créer " un pôle de renaissance communiste ". D'autres initiatives devraient voir le jour.
Le XXXIIe congrès témoigne des difficultés de la direction communiste à assurer la transformation du PCF en parti social-démocrate. Pour accomplir sa mutation, le Parti communiste ne doit pas seulement gérer docilement le système au profit de la bourgeoisie, il doit rompre avec des secteurs entiers de la classe ouvrière qui lui étaient traditionnellement acquis, soit avec une partie importante de sa base sociale et électorale. L'offensive contre " l'aile dure " est liée à cet objectif.
L'auto-transformation que vise la direction s'est heurtée jusqu'alors aux socialistes qu'elle cherchait à concurrencer sur le terrain occupé par la social-démocratie depuis des décennies ; aujourd'hui, la percée de l'extrême gauche complique un peu plus une orientation qui nécessite une rupture avec les discours révolutionnaires - discours dont l'actualité apparaît pleinement après cinq années d'un gouvernement social-libéral dominé par le PS et le PCF ! Cela explique les hésitations et les atermoiements qui traversent l'appareil communiste depuis la chute du mur de Berlin ; et cela éclaire les débats nourris par des " conservateurs " et des " orthodoxes " en quête d'un mythique " vrai " Parti communiste lors du congrès.
Marchand et Danglot ne sont pas une alternative. Les seuls à même de tracer les contours de ce parti ne sont pas au PCF. Laisser croire que l'issue de la crise qui travaille le parti communiste puisse se trouver à l'intérieur des rangs du PCF serait une erreur de perspective. Aucun des courants constitués ne porte en germe un projet rompant avec le réformisme, social-démocrate ou stalinien. Et l'essentiel des forces vives que comptait le parti a déserté, ce qui entrave l'apparition de fraction gauche en son sein. L'abstention massive des militants communistes en est le signe le plus tangible : les 45 % des oppositionnels ne peuvent faire oublier que seulement 18 682 adhérents sur les 133 767 que revendique le PCF ont reporté leur voix sur eux, soit moins de 15 %.
Que sortira-t-il de la crise du Parti communiste ? La réponse pour l'essentiel tient à la capacité de l'extrême gauche à offrir un débouché crédible aux dizaines de milliers de travailleurs encore au PCF et aux centaines de milliers qui s'en sont détachés. Si les révolutionnaires misent sur leurs propres forces plutôt que de s'épuiser à chercher à tout prix un courant oppositionnel sur lequel s'appuyer, alors tout est possible. De nombreux militants et sympathisants communistes expriment depuis 1995 dans les urnes leur défiance à l'égard de la mutation en reportant leurs suffrages sur les candidats trotskystes ; il s'agit désormais de les gagner à la perspective d'un parti révolutionnaire des travailleurs, un nouveau parti communiste défendant jusqu'au bout les travailleurs et la jeunesse, une force nouvelle tournant résolument le dos à la politique du PCF.
Entamer une discussion franche sur les combats passés contre le stalinisme ou la participation gouvernementale est primordial ; dégager un programme d'urgence sociale et démocratique répondant aux tâches de l'heure tout autant. Proposer des cadres de confrontation et d'élaboration, débattant du passé pour mieux aborder l'avenir : les révolutionnaires sont les seuls en mesure de le réaliser. La LCR et l'ensemble de l'extrême gauche ont une responsabilité collective sur ce plan, historique à bien des égards.
Les militants communistes ne tourneront pas la page du stalinisme sans nous. Nous ne tournerons pas la page du gauchisme sans eux.

Serge Godard

(1) Cf. Débat militant, n°22, vendredi 20 décembre 2002.
(2) CommunisteS, n°83, supplément à L'Humanité, 10 avril 2003.
(3) Cf. Débat militant, n°27, vendredi 11 avril 2003.
(4) Les trois textes sont parus dans CommunisteS, n°74, supplément à L'Humanité, 6 février 2003.