Débat militant | ||||||||||
Lettre publiée par des militants de la LCR |
n°30
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30
mai 2003
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Sommaire : | ||||||||||
Polémique et discussion, faux et vrais problèmes à propos du premier numéro des Cahiers de critique communiste | ||||||||||
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Le mouvement face à lui-même, un défi
Au moment où
chacun refait des forces pour préparer la journée du 3 juin, le
mouvement ressent le besoin de prendre la mesure du chemin parcouru pour évaluer
les enjeux de la nouvelle étape devant laquelle il se trouve.
Un pas aux conséquences incalculables vient d'être franchi, qui
modifie l'ensemble de la situation sociale et politique. Les salariés
ont rompu, par la grève et les manifestations, avec leurs armes propres,
le ronron institutionnel et le consensus auquel les directions des grandes confédérations
syndicales s'intégraient. Les cartes ont été redistribuées
mais le gouvernement garde la main. Il entend bien utiliser l'avantage que lui
laissent tant ces directions syndicales que les partis de la gauche plurielle.
Commentant la situation à l'issue du conseil des ministres de mercredi,
Fillon a déclaré : " Cette réforme a été
obtenue grâce à une concertation qui a débouché sur
un accord avec plusieurs organisations syndicales. Le débat n'est pas
clos, on entre maintenant dans une nouvelle phase qui est la phase parlementaire.
" Et d'ajouter " Je l'attends avec beaucoup d'impatience parce
qu'elle va permettre de mesurer qu'il n'y a pas d'alternative à la réforme
que nous proposons. "
Le gouvernement connaît bien son avantage. Partis sociaux-libéraux
et directions syndicales, quand bien même ils viennent d'affirmer publiquement,
sous la pression des salariés en lutte, le rejet du projet Fillon, acceptent
le principe de la réforme. Ils négocient ou discutent à
la marge sans contester le bien fondé de la démarche de la droite
et pour cause : la politique qu'ils mènent ou soutiennent est, quant
au fond, la même que celle que la droite poursuit. C'est ainsi que le
dirigeant de la CGT, Thibault, et les dirigeants du PS se trouvent en accord
avec la droite quant à l'allongement de la durée de cotisation
des salariés du public à 40 annuités. Or, là est
bien l'essentiel pour le gouvernement qui sait bien que, une fois le verrou
des 37,5 annuités enlevé, le reste suivra en son temps.
Voilà qui donne confiance à Fillon. Raffarin peut se réjouir,
il réussit à contenir l'explosion sociale latente et peut espérer
piéger la gauche dans un débat parlementaire où elle n'a
rien à dire tout en anesthésiant le mouvement pour le retrait
du projet Fillon.
Rompre avec
l'illusion parlementaire
Seul un nouvel essor du mouvement peut venir contrarier les manuvres de
Raffarin-Fillon et bousculer le calendrier de la réforme que, soit dit
en passant, les directions syndicales ont par avance accepté. Cela suppose
que le mouvement réussisse à prendre la mesure de ce qu'il a osé
faire, en assume les conséquences, c'est à dire conteste la légitimité
du Parlement, des " représentants mandatés du peuple
", selon les mots de Raffarin, à décider.
Relever ce défi implique une prise de conscience claire qui rompe avec
les illusions parlementaires et le respect des institutions qui en découlent.
Imposer au parlement de reculer et de rejeter le plan Fillon, c'est rompre avec
les raisonnements par lesquels la gauche gouvernementale a justifié son
ralliement à Chirac et a, par là-même, donné une
majorité à la droite, à l'UMP. Il s'agit de comprendre
que le rapport de force entre les classes ne relève pas des accords parlementaires,
que voter pour son propre adversaire ne peut être qu'une trahison de soi-même,
qu'une capitulation lourde inévitablement de conséquences. Il
s'agit de comprendre que le mouvement ouvrier doit préserver son indépendance
de classe par rapport aux jeux et combinaisons parlementaires pour garder toute
liberté d'action non seulement sur le terrain social mais aussi sur le
terrain politique.
Ce qui importe pour lui, c'est de savoir qu'il ne doit compter que sur lui-même,
que les partis gouvernementaux ne cherchent qu'à le berner comme il l'ont
fait pendant les vingt années de cohabitation, les vingt ans d'offensive
libérale qui ont préparé le terrain à la politique
actuelle. En conséquence, il doit se donner les moyens, sur le plan tant
social que politique, d'exercer sa pression sur les gouvernements quels qu'ils
soient pour faire valoir ses intérêts, participer de plain-pied
au débat politique.
Assumer sa propre
audace
Pour affronter cette " nouvelle phase parlementaire " de la
lutte, c'est à dire politique, les animateurs du mouvement ont à
tirer les enseignements des deux premières phases : du 9 janvier, le
" non " des salariés d'EDF, au 13 mai, le non de l'ensemble
des salariés, la rupture du consensus puis, du 13 mai au 3 juin, la maturation
des forces qui assument cette rupture et se prépare à l'épreuve
de force qui s'annonce.
La principale leçon du mouvement est qu'à chaque étape
ce sont les salariés qui ont osé et su s'emparer des initiatives
des directions syndicales pour leurs donner leur propre contenu. Cette intervention
directe des salariés s'est faite spontanément pour l'essentiel
même si le rôle du mouvement enseignant a été déterminant
sans oublier celui de " l'extrême-gauche syndicale ".
D'une certaine façon, les enseignants, ou du moins la fraction la plus
militante d'entre eux, a joué le rôle de parti politique du mouvement.
La parallèle avec le rôle des cheminots en 95 ne rend pas compte
des différences concrètes des deux mouvements. En 95, les cheminots
ont été l'axe de la grève, la grande majorité des
salariés faisant grève par procuration. Aujourd'hui, les enseignants
jouent le rôle d'initiateurs politiques, voire d'organisateurs, d'un mouvement
militant qui tend à rompre les corporatismes tant professionnels que
syndicaux. L'unité interprofessionnelle est réellement une aspiration
collective d'une large fraction des salariés. Ce qui exprime une prise
de conscience que le mouvement est un mouvement politique de l'ensemble des
salariés.
C'est cette prise de conscience qu'il faut renforcer pour que le mouvement surmonte
l'obstacle du conformisme parlementaire qu'il a devant lui et que les directions
syndicales n'ont pas l'intention de surmonter. En corollaire, il aura à
s'émanciper de ceux qui voudront se faire au Parlement ses avocats en
particulier les avocats sociaux-libéraux qu'il devra considérer
comme des faux-amis qu'il peut utiliser mais dont il ne saurait être dupe.
D'un sentiment de méfiance, largement partagé, mais ressenti plus
ou moins confusément, il doit passer à une lucidité clairement
assumée.
La légitimité
de la rue et de la lutte face à celle du Parlement
La logique même de la lutte favorise ces prises de conscience mais elles
n'en seraient que plus profondes et radicales si au cur même du
mouvement un parti des luttes pouvait les aider, les amplifier, leurs donner
des armes tout en aidant le mouvement à prendre conscience de lui-même
et de ses possibilités.
Ce sont ces possibles évolutions spontanées et surtout, à
travers elles, l'émergence d'une extrême-gauche politique et syndicale
qui inquiètent gouvernement, syndicats et partis sociaux-libéraux.
Blondel exprimait cette inquiétude en s'adressant à Raffarin avant
le conseil des ministres de mercredi pour qu'il prenne le temps et évite
de " passer en force " : " Il a les moyens de passer
en force puisqu'il est majoritaire au parlement. Mais il aura derrière
la réforme de la sécurité sociale plus dure et beaucoup
plus urgente. Or, si les gens se sentent spoliés sur les retraites et
s'aperçoivent ensuite qu'on casse la Sécu, ça ne va pas
être triste. " Lucidité cynique !
Blondel définit les limites de son action, le respect de la légitimité
parlementaire, et en conséquence se refuse à imaginer que le mouvement
social puisse sortir vainqueur du bras de fer avec le gouvernement. Il est cependant
lucide qu'une telle issue ne fera que mûrir les prises de conscience.
De ce point de vue, un succès parlementaire de la droite ne serait pas
une défaite pour le mouvement social, il pourrait même lui donner
une leçon de chose politique qui sera utile pour mener les batailles
à venir.
Cette leçon de chose est en premier lieu que l'on ne peut pas compter
sur les directions syndicales. Raffarin les disqualifie, à moins qu'elles
ne réagissent, pour mieux tenter de se les soumettre en les prenant au
piège de leur politique d'acceptation et de la réforme et des
règles du jeu fixées par le gouvernement seul.
Raffarin entend aussi disqualifier les dirigeants de la gauche plurielle en
les obligeant à assumer et leur politique passée et leur choix
actuel. Au moins pour le PS dont le premier secrétaire ne cesse de répéter
qu'il faut une réforme, certes une réforme juste, mais une réforme
qui implique l'allongement de la durée de cotisation. " Il
ne faudrait pas que l'idée même de réforme soit entamée "
explique Hollande.
Raffarin entend bien utiliser jusqu'au bout la logique de la cohabitation, de
" l'esprit de mai ".
La seule intervention qui peut rompre cette logique, c'est l'intervention du
mouvement lui-même relevant le défi de mener le débat politique,
obligeant les directions syndicales à se battre, occupant le terrain
qu'on voudrait lui interdire pour contester la légitimité du Parlement
à décider en lieu et place des intéressés.
Oui, il faudra faire entendre la voix de la rue jusque dans les murs de l'Assemblée
nationale.
Le mouvement en lui-même est déjà un succès riche
de promesses pour les batailles à venir. Blondel, de ce point de vue
a raison. Mais la " phase parlementaire " n'est pas perdue. "
Nous allons gagner " n'est pas une simple incantation, mais bien une possibilité.
Elle engage le mouvement sur le terrain directement politique.
Galia Trépère
Polémique
et discussion, faux et vrais problèmes à propos du premier numéro
des Cahiers de critique communiste
Nous publions ci-dessous un article de Michel Husson, disponible sur son site, écrit en réponse à l'article d'Yvan Lemaitre paru dans le précédent numéro de Débat militant et la réponse d'Yvan. Cette réponse a été par ailleurs envoyée au camarade Husson de sorte que, s'il souhaitait la publier pour la clarté du débat, il puisse le faire.
La
méthode de lecture rapide de maître Yvan.
Michel Husson,
mai 2003
Le camarade Lemaitre
a parfaitement le droit de nous alimenter régulièrement en longs
commentaires à vocation programmatique, ou de nous faire le récit
circonstancié de ses vacances en caravane des années passées.
En revanche, les leçons assénées sur la base de lectures
hâtives ou partiales ont pour contrepartie un droit de réponse.
Dans Débat militant n°29 du 21 mai 2003, un assez long article est
consacré au premier numéro des Cahiers de critique communiste,
intitulé " Mondialisation et impérialisme ". Ce compte-rendu
exprime une profonde déception par rapport à une publication qui
" se limite trop à une dénonciation qui ne dépasse
pas l'anticapitalisme " et " dont on aimerait pouvoir dégager
une cohérence ". Il faut au passage donner quelques clés
de vocabulaire. Pour Yvan Lemaitre, la conception réformiste est "
aujourd'hui le plus souvent désignée par l'anticapitalisme ",
et la position révolutionnaire doit donc aller au-delà. Là
encore, Yvan Lemaitre est déçu : les Cahiers discutent insuffisamment
l'idée que " la mondialisation financière et impérialiste
vide de tout contenu le réformisme ". Il déplore que cette
publication reste " au milieu du gué ", faute d'" assumer
la continuité des idées du socialisme et du communisme pour formuler
un nouveau programme révolutionnaire ".
Il se trouve que ce n'était pas son objet, même si un certain nombre
d'indications étaient clairement énoncées. Malheureusement,
elles sont elles-mêmes entachées d'ambiguïtés aux yeux
d'Yvan Lemaitre qui reproduit par exemple l'extrait suivant : " L'une des
tâches prioritaires du mouvement ouvrier est d'intégrer cette dimension
internationale nouvelle. Il n'est pas hors de sa portée d'engager une
lutte résolue pour contrer l'offensive d'un Etat bourgeois donné
et lui imposer d'autres "critères", et en particulier une nouvelle
"régulation" du marché du travail garantissant les intérêts
des travailleurs. Mais cette lutte sera d'autant plus puissante qu'elle pourra
être étendue à un cadre plus large que l'Etat-nation, au
moins européen, voire mondiale ".
Yvan Lemaitre commente ce passage en disant que " s'il s'agit de dire qu'il
serait possible d'inverser le rapport de force en faveur des salariés
à long terme sans transformation politique de fond remettant en cause
cet "Etat bourgeois", il y a là plus qu'une ambiguïté
". Voilà bien le fondement même du révolutionnarisme
qui repose sur une logique binaire tournant résolument le dos à
la dialectique. Il suffit de relire cette phrase pour se convaincre qu'elle
ne veut rien dire. D'où peut venir en effet cette " transformation
politique de fond " préalable, qui dissiperait toute ambiguïté,
si ce n'est des luttes engagées en faveur d'un autre fonctionnement de
l'économie ?
Avec la définition d'Yvan Lemaitre, le mot d'ordre d'interdiction des
licenciements est réformiste, ou du moins ambigu. Il suffit de le paraphraser
: " s'il s'agit de dire qu'il serait possible d'interdire les licenciements
sans révolution sociale, il y a là plus qu'une ambiguïté
". Quant aux retraites, n'en parlons même pas : que peut bien signifier
cette mobilisation contre le plan Fillon, ou cette demande de faire baisser
les revenus financiers ? Seul le socialisme pourra garantir un bon niveau de
retraites, voilà le seul langage révolutionnaire ! Le reste n'est
que " réformisme anti-capitaliste ".
La conception stratégique implicite d'Yvan Lemaitre consiste à
délimiter absolument ce qu'il appelle le programme révolutionnaire
par rapport aux luttes réelles, entachées de scories et d'ambiguïtés
réformistes. Le premier problème est l'idéalisme d'une
telle position, puisque le fameux programme n'est pas encore écrit. C'est
d'ailleurs Yvan Lemaitre qui devrait s'y coller, mais il risque bien de s'en
tenir à une longue déclaration de principe réaffirmant
que rien n'est possible avant d'avoir renversé le capitalisme.
Une stratégie de transformation sociale ne peut s'en tenir à l'incantation.
Elle consiste à mener jusqu'au bout de leur logique les luttes réelles
en montrant qu'elles ne peuvent pleinement aboutir qu'en remettant en cause
les racines mêmes du capitalisme, autrement dit la propriété
privée et la marchandisation généralisée. Le souci
constant d'être plus révolutionnaire que le roi conduit au contraire
Yvan Lemaitre à cette affirmation inédite selon laquelle : "
pour les marxistes, l'anticapitalisme ne saurait constituer un programme ".
C'est quand même une bonne base de départ ! Même si notre
perspective est le socialisme et le communisme, cette perspective nécessite
quelques médiations, qu'Yvan Lemaitre s'attache à déconsidérer
systématiquement, et d'un peu de modestie.
On voit bien en revanche l'isolement dogmatique auquel une telle posture peut
conduire. Au lieu de profiter de l'énorme chance qui s'offre à
nous - aujourd'hui où le discours anti-capitaliste acquiert une audience
de masse - les professeurs ès révolution placent la barre un peu
plus haut et somment les nouveaux anti-capitalistes de se prononcer immédiatement
pour la révolution. C'est, entre parenthèses, décerner
un brevet d'anti-capitalisme immérité à ceux qui, effectivement
réformistes, bornent leur horizon à une improbable régulation
du capitalisme. Or, vouloir réguler une économie chaotique et
inégalitaire est un combat parfaitement légitime. Ce qui ne l'est
pas, c'est de véhiculer des illusions sur la possibilité de le
faire en préservant les bases du système. Les positions binaires
à la Yvan Lemaitre ne peuvent que nous plomber dans ce débat.
Notre discours à l'égard de ceux qui veulent réellement
réguler le système, n'est pas en effet de leur dire : " moi,
révolutionnaire, toi, réformiste " mais, en un dialogue un
peu plus élaboré (et plus attentif à l'autre) de répondre
: " chiche, battons-nous ensemble ", tout en ajoutant : " quant
à moi, je suis convaincu que ce combat ne peut aboutir sans remettre
en cause les fondements du capitalisme, mais je n'en fais pas un préalable
".
Il se trouve d'ailleurs que ces Cahiers de Critique communiste ne portaient
pas sur la stratégie révolutionnaire, ni sur le socialisme que
nous voulons, mais sur la mondialisation capitaliste. Pourtant, même quand
il en reste à ce sujet, Yvan Lemaitre ne se montre pas convaincu. Son
dogmatisme profond conduit par exemple à cette véritable perle
: " l'anti-impérialisme ne saurait se réduire à une
rupture avec le marché mondial, rupture au demeurant impossible. La ondialisation
dans ce qu'elle a de phénomène objectif lié au développement
des nouvelles technologies, des échanges, entraînant une nouvelle
division internationale du travail rend impossible cette rupture avec le marché
mondial qui, si elle devenait une réalité, serait réactionnaire
".
Impossible sinon réactionnaire, une rupture avec le marché mondial
? Réactionnaire par exemple la proposition d'un " monopole du commerce
extérieur " très classique et récemment reprise par
les économistes de gauche en Argentine ? Yvan Lemaitre ne répond
pas à cette question, mais enfonce le clou : " Notre internationalisme,
ce n'est pas la rupture avec le marché mondial, mais la prise de conscience
que le développement de la production et des échanges créent
les conditions objectives d'une lutte commune par delà les frontières
". Ce discours abstrait ne débouche évidemment sur rien.
Des personnalités de gauche viennent d'écrire à Lula pour
lui demander de prendre ses distances par rapport à l'Alca. Yvan Lemaitre
réprouve sans doute une telle campagne sous prétexte du "
développement des nouvelles technologies " qui rend impossible la
rupture avec le marché mondial. Entre la soumission aux Etats-Unis dans
le cadre de l'Alca et, par exemple, une refondation du Mercosur, Yvan Lemaitre
ne voit probablement aucune différence et beaucoup d'illusions. En somme,
c'est la révolution mondiale ou rien ! Cette position s'accompagne de
surcroît d'une acceptation de fait de la division internationale du travail
qui s'instaure effectivement, comme si les critiques multiformes du mouvement
alter-mondialisation étaient nulles et non avenues. Les mesures prises
par Chavez au Venezuela qui visent à contrôler les mouvements spéculatifs
sont une forme de rupture avec le marché mondial. Si elles réussissaient,
ce serait réactionnaire, dit Yvan Lemaitre. Il faut donc les combattre
? On voit bien que cette rhétorique desséchée conduit à
des absurdités incompatibles avec une insertion réelle dans les
luttes. " On connaît les principaux éléments d'un programme
de développement : il faut donner la priorité à la satisfaction
des besoins du plus grand nombre, dénoncer la dette, organiser la réforme
agraire, réorienter les ressources vers le marché intérieur
et contrôler le commerce extérieur, répartir les revenus
de manière plus égalitaire, mettre en oeuvre une réforme
fiscale. Sur chacun de ces points, on voit qu'un tel programme s'oppose aux
intérêts des bourgeoisies locales " . Dans ce passage, je
voulais signifier deux choses : 1) que, contrairement à ce qui nous est
souvent reproché, nous ne sommes pas dépourvus d'alternative et
que 2) ce programme se heurte aux intérêts de la bourgeoisie. Là
encore, je n'ai pas dû employer les formules cabalistiques propres à
satisfaire Yvan Lemaitre qui m'assène, tel un accusateur public, une
série de questions : " Qui peut mettre en oeuvre ces mesures ? Sont-elles
applicables sans un programme visant à exproprier les expropriateurs
? Comment contrôler le système financier et les banques ? Est-ce
l'Etat bourgeois qui pourrait le faire ? Un autre Etat ? ".
J'avais oublié de préciser, par exemple, que " l'issue dépend
de la capacité des opprimés à s'ériger en classe
dominante ". J'aurais pu également souligner que si la route est
droite, la pente est rude, car il s'agit bien d'une raffarinade qui revient
à dire : " le prolétariat gagnera s'il a les capacités
de l'emporter ". Mais cela se décidera à l'issue d'un processus
qui n'est pas réglé par avance. Il faut donc commencer par rompre,
répondre aux demandes les plus élémentaires, et s'affronter
aux résistances de la bourgeoisie. L'une des issues possibles, c'est
la révolution socialiste, sur laquelle déboucherait une mobilisation
de masse portant jusqu'au bout les revendications émanant des couches
sociales les plus exposées aux dérives du néolibéralisme.
Enfin, la lecture de ce compte-rendu montre que la rhétorique révolutionnariste
repose sur une détestable condescendance à l'égard de toutes
celles et de tous ceux qui cherchent à mieux comprendre ce monde pour
pouvoir le transformer (qui se double en l'occurrence d'une évidente
ignorance des débats en cours sur le thème traité). Cette
attitude ne nous aide pas vraiment à progresser et nous éloigne
des interrogations réelles des travailleurs. Ce qu'il y a de plus désolant
dans cette méthode de débat, pour qui le point de vue révolutionnaire
se construit à coup de délimitations, c'est qu'elle engendre forcément
une prise de distance symétrique, non dépourvue de légitimité.
Rapide
réponse à une mauvaise polémique
Yvan Lemaitre
Le jeu des miroirs
est bien utile pour renvoyer à celui qui vous attaque l'image qu'il donne
de lui-même. Pour ma part, je n'ai pas l'intention de discuter d'attaques
ad hominem gratuites et sans sommation. Michel Husson agit comme s'il était
pressé de rompre toutes relations de courtoisie dans la discussion alors
que mes interrogations comme mes critiques sont connues de tous depuis longtemps.
Au lieu de discuter, il se croit obligé de m'agresser. Dont acte et chacun
jugera.
Cependant, le débat de fond est bien réel. Le camarade Husson
développe des raisonnements dont il est nécessaire de discuter.
A l'aide de citations, Michel Husson construit un raisonnement qu'il m'attribue.
Lecture rapide dirait-il ou peut-être trop soucieuse de démontrer
ce qui, dés le début de sa réponse, est posé en
acte d'accusation : " Voilà bien le fondement du révolutionnarisme
qui repose sur une logique binaire tournant résolument le dos à
la dialectique. " Tout fier de son attaque, M. Husson nous sert
aussitôt
un sophisme de la plus belle espèce !
Voyez-vous, selon mon raisonnement, l'interdiction des licenciements serait
un mot d'ordre réformiste. En effet " s'il s'agit de dire
qu'il serait possible d'imposer l'interdiction des licenciements sans révolution
sociale, il y a là plus qu'une ambiguïté "
écrit-il croyant me paraphraser. Avancer ce mot d'ordre ne signifie pas
croire qu'il serait possible de l'imposer comme un " autre critère "
à l'Etat bourgeois, pour reprendre l'idée que je conteste. C'est
formuler la seule réponse à une attaque inacceptable, c'est légitimer
le droit des travailleurs à refuser les licenciements. Il est clair qu'une
telle limitation du droit de la propriété privée à
exercer ses pouvoirs est difficilement compatible avec l'ordre bourgeois et
avec son Etat qui en est le garant.
Cette revendication formule une exigence, un besoin légitime des salariés.
Nous savons qu'elle est incompatible avec la domination de la loi du profit
qui ne peut se priver de mettre les travailleurs en concurrence par le biais
du chômage, mais c'est à travers la lutte que les travailleurs
en feront eux-mêmes l'expérience à condition qu'ils trouvent
à leur côté des militants pour leur dire la vérité.
Quant à la lutte pour le retrait du plan Fillon, nous sommes en train
de faire l'expérience avec des millions de salariés que cette
revendication, somme toute modeste, le maintien d'un acquis, a un pouvoir de
contestation de l'ordre bourgeois, de la répartition des richesses et
des " critères " auxquels elle obéit dans
le mode de production capitaliste qui conduit le mouvement même à
une confrontation directe avec le Parlement et l'Etat.
Oui, bien évidemment, les révolutionnaires avancent, défendent
et luttent pour des revendications anticapitalistes mais ils savent, et leur
programme le dit, que ces revendications ne peuvent se satisfaire dans le cadre
du système. Dire la vérité, ce n'est pas faire la leçon
et cela n'empêche nullement de se battre au coude à coude pour
construire un rapport de force. Sauf pour un esprit dogmatique qui ne comprendrait
rien à la dialectique réelle et concrète de la lutte
Michel Husson poursuit : " la conception stratégique implicite
d'Yvan Lemaitre consiste à délimiter absolument ce qu'il appelle
le programme révolutionnaire par rapport aux luttes réelles, entachées
de scories et d'ambiguïtés réformistes ". CQFD
! Mais M. Husson peut-il trouver cette idée dans le texte qu'il critique ?
C'est " implicite " ! Là, nous ne sommes plus dans le
domaine de la discussion sérieuse de ce qui est dit mais dans l'interprétation
du sens premier ou second de ce qui est dit
Domaine de prédilection
de l'argument d'autorité !
" Une stratégie de transformation sociale, poursuit
Michel Husson, ne peut s'en tenir à l'incantation. Elle consiste à
mener jusqu'au bout de leur logique les luttes réelles en montrant qu'elles
ne peuvent pleinement aboutir qu'en remettant en cause les racines mêmes
du capitalisme, autrement dit la propriété privée et la
marchandisation généralisée. " On souscrit
même si on a le " souci constant d'être plus révolutionnaire
que le roi "
Ceci dit, avec modestie, juste une petite question : cette logique des luttes
réelles, c'est quoi ? Ne serait-ce pas, par un hasard fort peu royaliste,
l'affrontement avec l'appareil d'Etat garant des privilèges de la propriété
privée ?
Il me semble que même le camarade Husson pourrait s'arrêter trente
secondes sur son propre raisonnement au lieu de me prêter des idées
qui n'existent que dans sa propre expérience du gauchisme mais qui ne
sont pas les miennes. Nous sommes prêts à nous battre avec tous
ceux qui le souhaitent sans aucune condition même s'ils ne souhaitent
même pas réguler le capitalisme ! Et nous le faisons tous
les jours ! Mais cela ne nous empêche nullement de dire ce que nous
pensons.
C'est M. Husson qui a un préjugé et ne connaît de révolutionnaires
que gauchistes et dogmatiques mais il se trompe d'interlocuteur.
Mais revenons au texte de M. Husson. La dialectique semble décidément
lui poser un problème. J'ai écrit que notre internationalisme
ne saurait se réduire à une rupture avec le marché mondial,
que cette rupture était au demeurant impossible et que, si elle se réalisait,
elle serait réactionnaire. Husson en conclut : Chavez essaie de libérer
son pays du marché mondial, s'il réussit, ce serait réactionnaire
d'après Yvan, donc Yvan combat Chavez ! Vous avez dit dialectique !
M. Husson continue dans le même genre d'attaque. On lui pose des questions,
et on devient accusateur public ! Il répond cependant car finalement
le goût de la discussion l'emporte. " L'une des issues possibles,
c'est la révolution socialiste, sur laquelle déboucherait une
mobilisation de masse pourtant jusqu'au bout les revendications émanant
des couches sociables les plus exposées aux dérives néolibérales
". Puis-je encore me permettre une dernière question ? Cette
issue possible n'est-elle pas celle que nous préparons ?
Et pour conclure, n'est-il pas légitime de s'interroger sur ce qui, dans
les rapports entre mondialisation et impérialisme, fonde ou non les perspectives
de transformations révolutionnaires de la société ?
L'évolution de la société comme des rapports entre les
nations donne-t-elle une nouvelle actualité aux idées révolutionnaires
ou au contraire invalide-t-elle nos raisonnements ? N'est-on pas aussi
en droit de se demander en quoi le raisonnement capitalisme ou révolution
est plus binaire que le raisonnement capitalisme ou anticapitaliste ?
Je persiste et signe, je ne crois pas que notre programme puisse se contenter
d'être anticapitaliste car il a pour fonction, entre autres, de faire
le lien entre revendications sociales et luttes politiques, mobilisations sociales
et luttes politiques et de poser la question de l'Etat et du pouvoir.
Le propre même du raisonnement réformiste est de dissocier les
deux dans une dialectique qui respecte l'Etat bourgeois et, en conséquence,
pose une limite aux luttes sociales alors que la logique même de leur
développement les confronte au gouvernement et à l'Etat comme
on le voit aujourd'hui. Les révolutionnaires n'invoquent pas tous les
matins la révolution comme les anticapitalistes le font avec
l'anticapitalisme,
simplement ils savent que la logique des luttes c'est la confrontation avec
l'Etat. Ils s'y préparent et essaient d'y préparer la classe des
salariés, sans ultimatisme ni donner des leçons, mais, au coude
à coude, dans les luttes quotidiennes.
Notre programme doit donner une forme globale à l'ensemble du raisonnement.
Pour ma part, je n'agresse personne ni n'accuse les Cahiers de critique communiste
de réformisme mais je regrette que les raisonnements ne soient pas développés
jusqu'au bout de leur logique, c'est à dire celle
des luttes sociales.
Quant à ce qui concerne les liens avec le mouvement ouvrier réel
et les travailleurs, les jugements " d'une détestable condescendance "
ne convainquent que ceux qui ont l'habitude de plier devant les arguments d'autorité.
En souhaitant, très sincèrement, que cette polémique cède
la place à la discussion