Débat militant | ||||||||||
Lettre publiée par des militants de la LCR |
n°35
|
11
septembre 2003
|
||||||||
|
||||||||||
Sommaire : | ||||||||||
Parasitisme de la finance, l'exemple d'Alstom | ||||||||||
Pour contribuer à l'essor du mouvement féministe dans le monde du travail |
||||||||||
|
||||||||||
Les acquis du mouvement ou faire la politique des luttes
Les exagérations
médiatiques, les surenchères d'un radicalisme volontariste et
proclamatoire comme les métaphores liées à la canicule
nous promettaient une rentrée " brûlante " comme si l'enthousiasme
du mouvement pouvait effacer la réalité des rapports de forces,
les conséquences de l'échec. Les choses sont plus complexes et
méritent discussion sur les moyens de créer les conditions politiques
de la prochaine étape du mouvement.
Dans un éditorial intitulé " Le " revival " de
l'extrême-gauche " l'éditorialiste des Liaisons sociales
écrit : " pour parler de rentrée encore aurait-il fallu
qu'il y ait une sortie. Or depuis le printemps la France vit dans un état
d'agitation permanente, les mouvements sociaux s'enchaînent les uns derrières
les autres
"
Au-delà du mythe d'une rentrée explosive, la réalité
est bien là : une vague de contestation sociale et politique agite les
classes populaires. " Le réveil de la gauche radicale et la séduction
qu'exerce son discours simpliste n'aident pas à la pédagogie de
la réforme. " poursuit le même éditorial. Il pose,
au-delà de son hostilité à l'égard de l'extrême-gauche,
le problème dans toute sa dimension politique et éclaire en même
temps la véritable nature des acquis du mouvement, acquis politiques.
Il convient d'abord de noter que les proclamations ont un double effet négatif
: d'abord elles minimisent l'échec et ses conséquences et ensuite
elles gomment les responsabilités politiques des appareils syndicaux
comme les véritables acquis du mouvement.
Ces acquis, quant au fond politiques, sont l'expression d'une nouvelle étape
dans les ruptures qui s'opèrent dans les consciences avec les appareils
syndicaux, leur politique d'adaptation au capitalisme, de trahison des intérêts
des salariés et de la population.
Cette rupture s'opère dans une grande confusion produite par la conjugaison
de l'effondrement des partis de la gauche gouvernementale, des divisions de
l'extrême-gauche, du vote Chirac, de la menace de l'extrême-droite,
des multiples facettes de la politique des confédérations syndicales
comme de celle du gouvernement.
Elle s'opère en même temps qu'une nouvelle conscience de classe
se construit en surmontant progressivement les doutes, les méfiances,
le manque de confiance en eux-mêmes des acteurs mêmes du mouvement.
La méfiance vis à vis des vieux appareils s'exprime de façon
plus générale comme une méfiance vis-à-vis de la
politique dont se font l'écho Attac ou José Bové, même
si c'est à des degrés différents.
De fait, en cette rentrée, les militants du mouvement se trouvent confrontés
aux limites même du mouvement, l'impossibilité devant laquelle
il s'est trouvé à se donner une direction alternative à
celle des directions syndicales réformistes. La perspective de la grève
générale posait et pose cette question d'une direction alternative
pour le mouvement lui-même, une direction démocratiquement représentative
et capable de poser les problèmes en termes politiques. Cela ne veut
pas dire poser la question du débouché politique du mouvement
au sens parlementaire du mot. Cela veut dire accepter et donner au mouvement
tout son contenu de contestation politique et pas uniquement social, ou, plus
précisément, donner à la question sociale tout son contenu
politique.
Le gouvernement lui-même mettait le mouvement devant cette nécessité
de placer la lutte sur le terrain de la contestation politique, la contestation
de la politique des classes dominantes et de leur Etat soumise à la défense
de leurs intérêts dans le cadre de la mondialisation financière
et impérialiste. Cela est vrai quel que puisse être le gouvernement
qui est à la direction des affaires dans le cadre institutionnel et parlementaire.
Les discussions que vient d'ouvrir le gouvernement autour de la question de
la réforme de la sécurité sociale reposent le problème
dans les mêmes termes. Et les directions des grandes confédérations
syndicales se prêtent au jeu dans le cadre de la même politique
de concertation sociale alors que ce sont les intérêts du patronat
qui en déterminent le cadre comme le calendrier.
Le mouvement a représenté un pas en avant considérable
dans le rejet de cette politique, c'est là son acquis principal. Les
pas en avant faits dans le sens de l'auto-organisation, de la démocratie
dans et par la lutte sont les conséquences de ce rejet, d'une crise de
confiance entre les salariés et les directions syndicales, pendant de
la crise du 21 avril. Chacun s'accorde à valoriser les interpros, les
collectifs, toutes les structures qui expriment un besoin de prise en charge
de la lutte par ses propres acteurs, de démocratie comme une des principaux
acquis de l'expérience de mai-juin. Beaucoup partagent la volonté
de perpétuer l'existence de ces structures, la question est comment ?
Dans quel objectif et quel rôle ?
La réponse à ces questions n'est pas une simple pétition
de principe en faveur de la démocratie. La démocratie n'est pas
une question abstraite mais bien sociale et politique.
Consolider les acquis démocratiques du mouvement suppose renforcer les
prises de conscience qui se sont opérées pour discuter des réponses
à apporter aux limites du mouvement, aux raisons de son échec.
Ses limites sont de ne pas avoir pu ou su voir en toute lucidité la politique
des grandes confédérations comme des appareils syndicaux afin
d'en tirer les conclusions pour exercer une pression plus forte sur les organisations
syndicales, voire se donner les moyens de centraliser les organes d'auto-organisation.
Dire cela ne signifie pas concevoir les organes de démocratie du mouvement
comme des instruments hostiles aux organisations syndicales, mais les concevoir
comme des organes de front unique de l'ensemble des organisations ouvrières
dans et pour la lutte.
Des organes de front unique permettent la confrontation des politiques, leur
libre discussion, les initiatives tant locales que nationales. Ils ont pour
fonction de préparer un mouvement d'ensemble en permettant d'unir la
classe des salariés en tenant compte des différents niveaux de
conscience, de mobilisation pour mettre en uvre une politique visant au
regroupement de l'ensemble des forces.
La grève générale, c'est la mobilisation de l'ensemble
des salariés brisant les divisions corporatistes, professionnelles, politiques
pour formuler leurs propres exigences et les imposer à la bourgeoisie.
Les salariés ont les moyens d'imposer leur volonté même
si le rapport de force ne leur permet pas encore d'imposer leur propre réponse
politique, c'est à dire un gouvernement qui les représente réellement
et directement et se soumet, comme l'Etat, à leur contrôle.
Nous ne sommes pas des adeptes du grand soir, tout ou rien. Le rapport de force
se construit. Bien sûr, si la lutte atteint un tel degré d'acuité,
de fait, se trouve posée la question du pouvoir mais le rapport de force
peut se concrétiser de bien des façons que personne n'est en mesure
de prévoir. Et, quoi qu'il en soit, les salariés n'ont aucune
raison d'attendre que le rapport de force leur soit entièrement favorable
pour exercer leur pression, ce qui reviendrait à abdiquer de
changer
ce rapport de force. Ils ont encore moins de raison de remettre leur sort à
un gouvernement qui ne serait pas leur représentation directe, en rupture
avec l'ordre capitaliste.
Au stade actuel du développement des luttes, la question du débouché
politique n'est pas la question du gouvernement mais bien celle de construire
une nouvelle conscience politique au sein du monde du travail.
Concrètement, cela signifie que si nous voulons que les acquis du mouvement
soient préservés, renforcés, mis en situation de féconder
le mouvement, il faut qu'ils se structurent, qu'ils s'organisent pour se constituer
en une force politique nouvelle représentant réellement les intérêts
des travailleurs.
L'émergence de cette force nouvelle est inscrite dans les évolutions
qui ont marqué les luttes de classe depuis que s'est affirmé en
95 leur renouveau. Depuis 95, les progrès de l'extrême gauche politique
se conjuguent avec les progrès de l'extrême gauche sociale, les
progrès de la contestation électorale avec ceux de la contestation
politique parallèlement à l'effondrement su social-libéralisme
et de son flanc gauche le PC.
Le lien entre les deux, c'est l'émergence d'une nouvelle conscience de
classe, politique, sous les effets de la mondialisation financière et
impérialiste.
Cette nouvelle conscience se débat à travers mille problèmes
politiques, conflits entre ses propres faiblesses et illusions et sa lucidité
nouvelle sur les rapports de classes, les rapports politiques. Elle a du mal
à mesurer sa propre influence alors qu'elle bouleverse la donne politique
comme le notait non sans aigreur l'éditorialiste de Liaisons sociales.
Elle fait sa propre expérience, apprend, s'éduque, corrige en
marchant ses propres erreurs, aiguise son regard sur les appareils, les hommes
politiques, le patronat pour se forger une véritable conscience de classe,
révolutionnaire.
Nous ne connaissons pas les rythmes des évolutions à venir pas
plus que le calendrier des luttes sociales. Mais nous savons que les capacités
des salariés d'inverser le rapport de force dépendent de leur
degré de conscience politique et d'organisation.
Faire des acquis du mouvement de mai-juin un point d'appui pour préparer
une riposte d'ensemble, c'est aider à l'approfondissement des évolutions
en cours, à l'émergence d'un nouveau parti des travailleurs. C'est
la tâche essentielle des mois à venir. Les campagnes électorales
qui marqueront le début de 2004 y seront consacrées, l'unité
qui s'amorce à cette occasion entre notre organisation et Lutte ouvrière
en sera un des instruments.
Nous avons devant nous une vaste bataille sociale et politique et les mauvais
coups ne nous seront pas épargnés. On le voit aujourd'hui avec
les litanies sur les symétries entre l'extrême droite et l'extrême
gauche, véritables mensonges, calomnies. L'extrême droite se nourrit
de ses mille liens avec la droite et l'Etat. Mitterrand, pour diviser la droite,
a fait, en 1986, à Le Pen le cadeau d'élections législatives
à la proportionnelle. Non content de favoriser son influence en menant
une politique de droite, la gauche a offert à Le Pen une tribune parlementaire,
juste le temps de le lancer.
L'extrême gauche, elle, est en butte à l'hostilité de ceux
qui ont renié les idées du socialisme et du communisme comme des
appareils syndicaux et s'oppose à la droite et à l'extrême
droite. Mitterrand avait fait le cadeau de la proportionnelle à Le Pen,
Chirac Sarkozy remanie la loi électorale pour essayer de nous empêcher
d'avoir des élus.
Mais nous avons une force imparable, notre fidélité aux intérêts
du monde du travail, à la vérité.
Yvan Lemaitre
Parasitisme de la finance, l'exemple d'Alstom
Depuis lundi 8
septembre, la Commission européenne, par le biais des services chargés
de la concurrence, semble s'opposer en partie au plan d'aide financière
du gouvernement français à Alstom. Des déclarations se
succèdent, plus ou moins contradictoires, certains commissaires européens
soutiennent l'aide à Alstom, d'autres refusent que l'Etat s'engage autrement
que par des prêts à courts termes, d'autres veulent attendre les
résultats d'une enquête qui doit commencer mercredi 17 septembre.
Bref, difficile de dire précisément ce que vont faire la Commission
européenne et le gouvernement à propos d'Alstom. Ces valses-hésitations
plus ou moins tendues révèlent les contradictions de la construction
européenne. De plus en plus, la crise impose aux Etats européens
de sortir du cadre qu'ils s'étaient eux-mêmes fixés à
Maastricht. Les gouvernements enfreignent les règles qu'ils avaient présentées
comme indispensables au fonctionnement de l'économie.
Alors quand l'Etat français intervient directement pour redonner du capital
à Alstom, la presse s'interroge : " Comment le gouvernement
libéral de Jean-Pierre Raffarin a-t-il pu se laisser entraîner
à financer une partie du sauvetage d'une entreprise privée ? "
demande Les Echos au lendemain de l'annonce du plan de Francis Mer (mercredi
6 août). Est-ce une nouvelle politique industrielle de l'Etat ? le
retour des nationalisations ? Le gouvernement est-il en train de tourner
le dos au libéralisme ? Les journaux qui ont posé ces questions
avaient pourtant les réponses sous les yeux : des milliers d'entreprises
font faillite et le gouvernement les laisse jeter à la rue des dizaines
de milliers de travailleurs. Et pour Mer, le " sauvetage "
d'Alstom doit s'accompagner obligatoirement de la poursuite des plans de suppressions
d'emplois.
Ces questions faussement naïves voudraient accréditer l'idée
qu'il y aurait une alternative possible dans le cadre de ce système :
capitalisme libéral contre capitalisme keynésien, la gauche réformiste
ayant contribué à faire croire que le second était plus
social que le premier. En réalité, si parfois les interventions
de l'Etat dans l'économie se sont faites en faveur de la population,
c'est uniquement quand le rapport de forces a permis aux salariés d'imposer
des droits sociaux ou démocratiques à la bourgeoisie, comme par
exemple dans l'après-guerre. Et c'est bien la seule intervention de l'Etat
que combattent les libéraux, celle qui peut se faire en faveur des salariés,
sous leur pression. La fantasmagorie d'un " libéralisme pur ",
d'un capitalisme sans intervention de l'Etat, n'est qu'une réaction à
cette période, l'arme idéologique d'une bourgeoisie en lutte pour
inverser le rapport de forces
et qui a utilisé pleinement son Etat
pour y parvenir.
Au moment où certains aimeraient cantonner la contestation sociale dans
les limites d'un " anti-libéralisme " qui ne remet
pas en cause le système, l'histoire du groupe Alstom qui a profité
tantôt des politiques libérales de l'Etat, tantôt de son
interventionnisme, montre clairement que la bourgeoisie sait exiger de l'Etat
qu'il se soumette à ses intérêts, de quelque façon
que ce soit.
Premier objectif
de l'Etat, éviter la catastrophe pour le système bancaire, injecter
du capital pour faire tourner la machine à profits
Mer l'a dit lui même : " je n'ai pas l'intention de créer
un précédent ni de revenir à la politique industrielle
du passé ". Voilà pour rassurer l'opinion libérale.
D'ailleurs, le " plan de sauvetage " ne consistera aucunement
à préserver des emplois. Il ne s'agit que d'assurer au capital
ses revenus, les plans de suppressions d'emplois en cours seront maintenus.
Le gouvernement se veut " pragmatique ", il ne fait que
se soumettre aux volontés des financiers
qui ont préparé
la ruine d'Alstom. C'est Pébereau, président de la BNP, qui a
lancé l'appel au secours, au moment où des groupes d'assurances
américains faisaient connaître leur volonté de ne plus couvrir
Alstom. Un autre banquier français a appuyé dans le même
sens : " si Alstom saute, c'est tout le système bancaire
français, incapable de récupérer ses créances, qui
va être mis à mal ".
Les banques françaises sont doublement impliquées par les prêts
bancaires et comme principales actionnaires du groupe. La BNP-Paribas est ainsi
engagée pour 1,7 milliard d'euros, le Crédit Agricole-Crédit
Lyonnais pour 1,2 milliard, la Société générale
et le CIC pour 1 milliard chacun. Un dépôt de bilan d'Alstom provoquerait
pour ses banques une perte sèche difficile à supporter.
Le plan prévu (2,8 milliards au total) montre bien les différents
canaux par lesquels l'Etat alimente des groupes privés. Sur les 600 millions
d'euros d'actions qui seront émises, l'Etat en achèterait 300
millions (31,5 % des titres de propriété). Il ferait aussi
un prêt sur le long terme de 200 millions, accompagné d'un prêt
de 1,1 milliard par 30 banques. Autre type d'intervention, il se portera garant
pour 65 % des 3,5 milliards d'euros accordées par ailleurs par les
banques à Alstom. Pour la trésorerie immédiate, l'Etat,
par le biais de la Caisse des dépôts et consignation, fournit 300
millions, tandis que les banques en fournissent 300 autres. Enfin, par l'intermédiaire
de Gaz de France, il assure un nouveau marché à Alstom en commandant
deux navires méthaniers.
Financement direct, prêts, marché public
cette injection
énorme d'argent public dans le groupe est un apport de capital dont le
groupe et les banques chercheront à tirer le maximum de plus-value. Pour
y parvenir, ce plan sera accompagné de restructurations et de la poursuite
des licenciements en cours, dans un groupe déjà fortement touché
depuis quelques années. Sur 110 000 salariés (75000 en Europe,
25000 en France), 10 000 suppressions d'emplois ont déjà
eu lieu en 2000 dans le secteur énergie, suite au rachat du concurrent
ABB. Au printemps 2003, le groupe annonce 3000 suppressions supplémentaires
sur les 10000 en Europe dans le même secteur énergie. Dans le secteur
ferroviaire, Kron, le PDG, annonce fin mai qu'il veut doubler son " taux
de profitabilité " pour atteindre 7 % et donc réduire
les effectifs, au moment où la SNCF va commander 800 locomotives. Voilà
le fameux sauvetage.
L'intervention
de l'Etat dans l'industrie, une succession de cadeaux pour la finance
Philippe Jaffré, ancien PDG d'Elf devenu directeur financier d'Alstom,
prétend que " c'est une bonne affaire pour l'Etat : il pose
sa signature et dans quelques années, il la retire et encaisse ses bénéfices ".
En réalité, il reconnaît lui-même que l'aide de l'Etat
" nationalise le risque ". En " investissant "
dans Alstom, le gouvernement utilise l'argent collectif pour satisfaire les
intérêts privés des financiers à la tête d'Alstom,
alors que ceux-ci ont tellement parasité le groupe industriel qu'ils
sont incapables d'en tirer plus sans cette aide étatique.
Toute l'histoire d'Alstom est d'ailleurs celle d'un groupe industriel qui a
prospéré à l'abri de l'Etat. A l'origine, on trouve en
1898 la création de la Compagnie Générale d'Electricité
qui se développe au moment de la 2ème révolution industrielle
en profitant des commandes d'Etat pour développer l'utilisation de cette
nouvelle énergie.
A la suite de fusions et de rachats dans la première moitié du
20ème siècle, le groupe va élargir sa production, tout
en restant dans le créneau de fournisseur des marchés publics
(locomotives, wagons, TGV, pour la SNCF et la RATP, turbines et centrales pour
EDF), les commandes de l'Etat français servant de vitrine pour obtenir
des marchés dans d'autres pays.
Quand les propriétaires du groupe ont été incapables d'investir
à hauteur suffisante pour rétablir les profits ébranlés
par la crise des années 70, c'est l'Etat qui a pris le relais, par le
biais de la nationalisation en 1982, par le gouvernement Mitterrand-Mauroy,
en même temps que quatre autres grands groupes industriels : Thomson-Brandt,
Rhône-Poulenc, St-Gobain-Pont-à-Mousson, Péchiney-Ugine-Kuhlman.
Dans les années 70, dans le cadre du Programme commun, le PS et le PC
menaient une discussion sur le nombre nécessaire de nationalisations,
présentées comme une mesure de gauche. En réalité,
l'objectif était de moderniser un appareil de production peu compétitif,
en pleine crise, alors que la bourgeoisie se refusait à investir. L'Etat
allait prendre en charge l'investissement, la modernisation, mais aussi les
licenciements, les restructurations pour faire des économies.
Ces nationalisations n'ont rien à voir avec des incursions dans la propriété
privée. D'ailleurs, ce qui importe à la bourgeoisie financière,
ce n'est pas la propriété formelle des entreprises, mais c'est
la rente, le revenu du capital. De ce point de vue, le rachat par l'Etat de
ces cinq groupes qui s'est élevé à 40 milliards de francs
de l'époque (3,5 milliards pour la CGE) fut un beau cadeau, un apport
d'argent frais, disponible immédiatement pour être investi dans
la finance ou des secteurs plus rentables. Ce qui n'a pas empêché
bien sûr quelques patrons de crier au scandale, comme Ambroise Roux, PDG
de la CGE qui démissionna.
La bourgeoisie reçut un deuxième cadeau, ce sont les 50 milliards
de francs injectés par l'Etat entre 1982 et 1985 dans ces cinq groupes
pour les moderniser, ce fut autant de commandes pour des entreprises privées
dans le secteur des moyens de production.
Du côté des travailleurs, les illusions dans les nationalisations
semées par le PS et le PC vont peu à peu se transformer en démoralisation,
c'est le gouvernement du " changement " qui assumait
les restructurations, qui réduisait les effectifs, avec l'appui des confédérations
syndicales.
Quand en 1987, les privatisations du gouvernement Mitterrand-Chirac commencèrent,
le rapport de forces ne permettait déjà plus aux salariés
de s'y opposer. D'ailleurs, la gestion nationalisée n'avait pas montré
pourquoi il aurait fallu la défendre. Ce fut le troisième grand
cadeau à la bourgeoisie, car les entreprises ont été notoirement
vendues en dessous de leur valeur (CGE pour 18 milliards de francs). Ces privatisations,
faites à l'époque à grand renfort de publicité payée
par les groupes eux-mêmes, ont servi aussi à attirer sur le marché
boursier les économies de milliers de gogos, permettant dans les années
qui ont suivi une nouvelle concentration de capital entre les mains des groupes
financiers.
Pendant toute cette période, l'intervention de l'Etat par le rachat ou
la privatisation a essentiellement consisté à mettre du capital
frais à la disposition des financiers.
Les financiers
dépouillent Alstom
Les années 90 sont marquées par le boom du libéralisme
dans le cadre de la mondialisation. Bien sûr, la CGE vit toujours autant
des commandes d'Etat, et les requins de la finance vont essayer de tirer le
maximum du groupe industriel. C'est l'époque des fusions, participations,
accords avec General Electric Company, Fiat, Framatome et bien d'autres. Le
groupe change de nom. La CGE devient Alcatel-Alsthom puis Alcatel quand les
financiers décident de se débarrasser d'Alstom.
Dans le montage financier du groupe, Alcatel et Marconi (ancien GEC) sont actionnaires
à 50 % chacun. Avant la vente en Bourse d'Alstom en 1998, les deux
actionnaires décident de se débarrasser de la Cegelec, une autre
entreprise du groupe, en la faisant racheter par Alstom. Ils fixent le prix
à 1,5 milliard, Alstom n'en retirera que 756 millions quand il la revendra
en 2001. Alcatel et Marconi ponctionnent aussi 1,2 milliard d'euros dans les
caisses d'Alstom juste avant la vente en Bourse. Les actionnaires d'Alcatel
et Marconi sont deux fois gagnant. Les gogos achètent les actions d'un
groupe dépouillé par plus gros qu'eux. L'action d'Alstom achetée
29 € en 1998 perdra 95 % de sa valeur et oscille aujourd'hui
entre 1,5 et 2 euros.
Dépouillé, le groupe sous la pression des banques et des financiers
multiplie les investissements à risques.
Dans le secteur énergie, il rachète pour 5 milliards ABB, un concurrent
fabriquant de turbines de centrales électriques, dont il espère
s'approprier de nouvelles technologies
qui s'avéreront défaillantes.
Les anciens actionnaires d'ABB se frottent les mains.
Dans le secteur maritime, Alstom s'était porté caution pour un
de ses propres clients, Renaissance Cruises, afin de s'assurer une commande
de 8 paquebots de croisières de luxe. Le 27 septembre 2002, le client
fait faillite, les actions d'Alstom perdent 27 % en un jour.
C'est toute cette politique parasitaire pour dégager des profits immédiats
et satisfaire les financiers qui a amené Alstom au bord du dépôt
de bilan. Les banques, qui aujourd'hui réclament l'aide de l'Etat, ont
mené cette politique, par le jeu des participations croisées dans
les conseils d'administration, leurs représentants ont entériné
toutes les décisions prises par Bilger, le PDG de cette époque,
celui dont la presse a récemment parlé, car il a eu " l'honneur "
de ne garder que 1 million d'euros et 170 000 actions d'Alstom, sur les
5,1 millions qui lui étaient promis.
Mer
au secours de l'intérêt collectif
des bourgeois
Alors si Mer a décidé l'intervention de l'Etat, c'est qu'il n'y
avait plus le choix, tant le groupe a été saigné par les
financiers. Quand il prétend qu'" Alstom est une grande
entreprise très saine qui fabrique des produits dont nous avons tous
besoin " et que " l'Etat
décide d'agir
au nom de l'intérêt collectif ", il révèle
très clairement que pour lui, l'intérêt collectif est celui
des actionnaires. Il n'y avait pas d'autres solutions pour que la bourgeoisie
financière puisse poursuivre sa tonte des coupons, son parasitisme.
L'intervention de l'Etat dans Alstom, contrairement à ce que pourraient
faire croire certains anti-libéraux de gauche qui soutiennent le gouvernement,
n'a rien à voir avec une mesure sociale. Au contraire, c'est la poursuite
du financement des intérêts privés par la collectivité.
Les salariés ne s'y sont pas trompés, eux qui manifestaient récemment
pendant une AG des actionnaires pour dénoncer le dernier plan social,
n'ont pas crié de joie à cette annonce. Ceux qui se réjouissent
ce sont les financiers, comme l'a dit un banquier : " Tout risque
de liquidation à court terme est désormais éliminé.
Le groupe va pouvoir honorer ses échéances de remboursement de
2003 et 2004 ".
Franck Coleman
Pour contribuer à l'essor du mouvement féministe dans le monde du travail
La lutte des femmes
pour leur émancipation est indissociable du combat pour la transformation
révolutionnaire de la société. La mondialisation capitaliste,
en jetant des millions de femmes dans l'arène de l'industrie et des services
et en les attaquant plus durement par les licenciements, la précarité,
a créé les conditions pour une renaissance du mouvement féministe
dans les milieux populaires. A la marche mondiale des femmes de 2000 a répondu
en écho celle des femmes des quartiers le 8 mars dernier. En dénonçant
" le débat sur la parité vécu d'aussi loin
que les soldes de chez Hermès ", elles ont montré
que les combats d'une grande partie du mouvement féministe de ces dernières
années ne répondaient pas à leurs attentes. Indépendamment
des réponses qu'elles apportent, des sollicitations politiques dont elles
font l'objet, elles ont eu le mérite de poser de vrais problèmes,
conséquences des évolutions et des transformations qui ont eu
lieu au sein même du monde du travail.
Leur mouvement est précurseur d'un nouvel essor de la lutte des femmes
qui s'inscrit dans la renaissance du mouvement ouvrier qui s'engage.
Comment les révolutionnaires peuvent-ils aider à ce renouveau
des luttes des femmes ? Ce renouveau n'exige-t-il pas un renouveau politique,
un retour aux conceptions transmises par le marxisme ? Quels liens entre
le mouvement pour l'émancipation des femmes et le mouvement social ?
Ces questions pratiques, concrètes, ne peuvent se contenter des réponses
toutes faites héritées de la période antérieure,
elles exigent un retour critique
Des conditions
objectives qui façonnent une nouvelle conscience
Actuellement, des femmes de milieux populaires s'organisent, s'investissent
plus nombreuses dans les luttes du monde ouvrier. Des grèves longues
et dures comme récemment celle des femmes immigrées du groupe
ACCOR en sont un révélateur, de même que l'investissement
de beaucoup de femmes dans le mouvement de ce printemps et de cet été.
" Les femmes des milieux populaires doivent surmonter beaucoup
plus d'obstacles pour briser leurs chaînes ", écrivaient
les marcheuses des quartiers, " la violence faite aux femmes ne
s'arrête pas aux agressions physiques, sexuelles ou morales, c'est également
une violence économique ". Payées 27 % en moyenne
de moins que les hommes, plus nombreuses au chômage ou pauvres, occupant
85 % des temps partiels en France : c'est bien l'exploitation des
femmes dans la société capitaliste qui est à la base de
leur oppression. Les 35 heures sans embauches n'ont fait que dégrader
leurs salaires et conditions de travail. Avec la réforme, leurs retraites
déjà inférieures à celles des hommes du fait des
postes occupés et des congés maternité, vont baisser encore.
C'est sur elles que reposent presque toutes les charges de famille : 86 %
des parents de familles monoparentales sont des mères avec des allocations
misérables. Les gouvernements les incitent à s'occuper des enfants,
voire à s'arrêter de travailler pour les élever. Cela a
été le cas en 1994 avec l'instauration de l'APE pour le 2ème
enfant qui a conduit le taux d'activité des femmes de 2 enfants et plus
de 70 % à 40 % et aujourd'hui avec la réforme qui facilite
l'AFEAMA -allocation encourageant les femmes plus favorisées à
employer quelqu'un- tout en supprimant le Fonds d'aide à la petite enfance
destiné à créer des crèches collectives.
Avec l'offensive contre les classes populaires des 20 dernières années,
la condition des femmes se dégrade aussi sur le plan des libertés,
en particulier dans les milieux immigrés, par un poids accru des intégristes
partisans du port du voile.
L'aggravation de leurs conditions de vie et de travail, la gestion des affaires
par les libéraux de droite comme de gauche ont entraîné
des prises de conscience et des ruptures qui s'expriment aujourd'hui dans un
renouveau de mouvements féministes qui ne se situent plus sur le terrain
du féminisme radical, comme en partie des mouvements comme " Ni
putes ni soumises ".
L'oppression
spécifique des femmes a sa source dans la société de classes
qui conduit à l'exploitation capitaliste
Si l'oppression économique des femmes s'intensifie, leur exploitation
en tant que femmes aussi.
Elle a son origine dans la " défaite historique de la femme ",
selon l'expression d'Engels, c'est-à-dire depuis que, la société
étant devenue capable de produire plus qu'il n'était nécessaire
pour seulement survivre, le surplus produit fut accaparé par quelques
uns, créant la propriété privée des biens puis des
personnes, et, en premier lieu, de l'homme sur sa famille. Elle est née
avec les sociétés de classe, avec l'exclusion de la sphère
publique de la production de la femme dans un premier temps par le mariage monogamique,
l'instauration de la propriété privée et de la morale qui
la justifie. Engels écrivait ainsi dans l'Origine de la famille, de
la propriété privée et de l'Etat : " La
première opposition de classe qui se manifeste dans l'histoire coïncide
avec le développement de l'antagonisme entre l'homme et la femme dans
le mariage conjugal, et la première oppression de classe, avec l'oppression
du sexe féminin par le sexe masculin ".
Considérées comme mineures parce que femmes et quelle que soit
leur classe, elles ont été pliées à des comportements
dits " féminins " de soumission, de censure
de la personnalité, traitées en objets, prostituées...
C'est aussi dans leur couple, au foyer conjugal que les femmes sont, avec les
enfants, le plus souvent victimes de violences comme vient de le montrer la
mort sous les coups de son compagnon de l'actrice Marie Trintignant. Même
privilégiées et d'autant plus qu'elles le sont, elles sont considérées
comme des potiches faites pour plaire aux hommes voire faciliter leurs affaires
(voir l'affaire Elf). Toutes ces formes d'oppression ont été analysées,
dénoncées par le féminisme radical, cela a été
son rôle progressiste car il partait de constats matérialistes.
Les contradictions du capitalisme, et en premier lieu, celle entre la production
de plus en plus sociale, collective et son appropriation privée par de
moins en moins de capitalistes, créent paradoxalement des transformations
dans les conditions de vie et les consciences des opprimés qui favorisent
l'émancipation économique des femmes. En particulier, l'arrivée
massive des femmes dans l'arène de la production sociale, à la
fin de la 2ème guerre mondiale, puis au début des années
soixante. Mais, dans le cadre du capitalisme et de la propriété
privée, la possibilité de gagner sa vie indépendamment
de l'homme, à l'extérieur du foyer, de se procurer des objets
manufacturés, est devenu un puissant facteur d'exploitation. Elle n'a
pas fait disparaître les rapports de domination des femmes des sociétés
de classe antérieures, au contraire.
En même temps que le développement des forces productives capitalistes
a permis que la société, l'Etat, prennent en main toute une série
de tâches domestiques auparavant dévolues à la femme, cette
société, cet Etat au service des capitalistes ne déchargent
ni la femme ni l'homme du fardeau des tâches domestiques. Les moyens matériels,
techniques, l'organisation sociale existent. Mais, et c'est encore plus visible
en période de crise, l'Etat se désengage de plus en plus par la
diminution des services publics (exemple de la fermeture de maternités
de proximité jugées non rentables par les critères des
ARH de Juppé, etc
). C'est la misère matérielle et
morale pour bien des couples qui en découle.
Or, il n'y a pas de retour en arrière possible : la production est aujourd'hui
sociale et mixte comme elle ne l'a jamais été, même si l'oppression
des femmes fait qu'elles sont cantonnées dans 30 métiers majoritairement
contre 300 pour les hommes ! Le progrès économique et social
obtenu au prix de résistances et luttes constantes, accéléré
par la révolution industrielle, élargi à toute la planète,
fait qu'aujourd'hui la femme n'est plus le " citoyen passif "
d'après la Révolution française ! C'est le combat
social qui a instauré une arène plus démocratique. Les
classes dominantes en tirent profit, et elles n'ont pas intérêt
à revenir à l'état de sujétion des anciens systèmes,
ne serait ce que parce que les femmes sont devenues des consommatrices, que
cela nécessite qu'elles accèdent à une certaine autonomie,
même financière.
Comme elles demeurent des opprimées, toutes les femmes ont besoin de
lutter pour des droits démocratiques leur permettant d'être des
individus à part entière. Cela d'autant plus que la société
s'enrichit, que l'horizon humain s'élargit. C'est dans les périodes
où les femmes ont été le plus nombreuses à quitter
la production domestique pour entrer dans la production sociale que les murs
ont le plus évolué et qu'il leur a été possible
d'imposer des lois en leur faveur, malgré toutes leurs limites, comme,
par exemple, à la veille de la 1ère guerre ou dans les années
1970. Ce sont aussi les périodes où le mouvement féministe
s'est le plus développé. C'étaient des périodes
de relatif progrès économique et social. Il a imposé des
avancées, des libertés durement acquises, en butte à bien
des pressions sociales et de préjugés, y compris chez les femmes
éduquées en fonction de ceux ci.
Chaque progrès
des droits des femmes s'intègre dans le progrès général
des opprimés
Mais là où les femmes bourgeoises s'arrêtent, dans la reconnaissance
de leurs droits en tant que femmes, droit à la libre disposition de son
corps, droits civiques égaux à ceux des hommes, les femmes exploitées
ont besoin de s'appuyer sur ces droits pour aller plus loin, pour abattre le
système d'exploitation qui en fait des esclaves avec leurs compagnons
de travail hommes.
Les premiers à se revendiquer féministes furent les socialistes
utopistes Charles Fourier et Flora Tristan. Flora Tristan était une ouvrière
mariée à son employeur et qui, en 1832 revendiqua et imposa la
première son droit au divorce. Une jeune femme issue de milieu modeste,
Julie Daubié, auteure de la première enquête sur le travail
et la misère des ouvrières et des prostituées, fut la première
bachelière en France en 1861. Avec les premières grèves
importantes de secteurs féminins dans les années 1870, le Congrès
de la 1ère Internationale socialiste trancha difficilement pour leur
droit au travail, tant étaient forts les préjugés, mais
surtout la peur de la concurrence des femmes et des enfants dans les usines
et la révolte contre leurs terribles conditions de travail. Marx, Engels
et Lafargue étaient de ceux, peu nombreux à leur époque,
qui exigeaient un salaire égal pour un travail égal par la lutte
commune des ouvriers des deux sexes.
C'est dans des périodes de luttes révolutionnaires que les conquêtes
des femmes ont été le plus importantes dans les textes et dans
les faits. Car elles sont alors intervenues en première ligne pour les
imposer en pratiquant des incursions parfois violentes dans le domaine de la
propriété privée : les femmes du peuple ont ramené
de force le Roi à Paris durant la Révolution française,
les Communardes, qui n'avaient pas plus qu'elles le droit de vote, se sont armées,
comme Louise Michel, ont dirigé des assemblées, des services entiers
pour le compte de la population et contre les institutions bourgeoises ;
c'est un 8 mars -journée internationale des travailleuses- que la grève
générale fut décrétée par les ouvrières
de Pétrograd donnant le signal de la révolution de Février
Ce fut ce régime, émanation de la volonté des masses exploitées
qui, en 1918, décréta non seulement le droit de vote pour toutes
les femmes qui l'avaient d'ailleurs pris en participant activement à
la révolution, mais aussi le droit à l'avortement, l'union libre
sans accord parental, l'aide de l'Etat pour la mère seule et son enfant
jusqu'à l'âge de 17 ans, un programme de crèches et infrastructures
collectives pour dégager la femme du fardeau des tâches domestiques
ainsi que la suppression du Code pénal du " délit
d'homosexualité ". Ces conquêtes furent le produit
d'une lutte commune des ouvriers des deux sexes contre l'ancien système
de classe élitiste et sa morale dépassée. Cette lutte s'est
parfois donnée des structures d'organisation non mixtes, comme par exemple
dans la 3ème Internationale à ses débuts, en direction
des femmes les plus exploitées de confession musulmane, mais elle n'en
faisait ni un préalable, ni un objectif à long terme.
Si le mouvement féministe a parfois trouvé à s'organiser
de manière non mixte, s'il a son autonomie, ses luttes demeurent indispensables
au mouvement de l'ensemble des exploités, elles sont complémentaires
et non opposées à celui-ci. Il est vraiment urgent de rétablir
le lien rompu dans la période de recul des 20 dernières années
entre le mouvement féministe et le mouvement social, ce lien que revendiquent
les marcheuses des quartiers lorsqu'elles disent que " le mouvement
féministe a déserté les quartiers ". Pour
cela, il lui est nécessaire de faire le bilan de ce recul. Pour le comprendre,
partons de la période où le mouvement féministe s'est le
plus développé, dans les années 70.
Du
mouvement féministe radical
Il a d'abord été le produit de l'arrivée massive des femmes
dans les usines, les bureaux. Le développement de la production de masse
en a fait baisser le prix et pratiquement tous les foyers ont pu s'équiper
d'électroménager élémentaire, acheter des produits
tout faits, inscrire les enfants à l'école, à la cantine,
etc. Cela a bien modifié les murs. Il n'est plus concevable depuis
que la femme n'ait pas d'activité professionnelle en France, ce qui n'était
pas acquis à la fin de la 2ème guerre mondiale. Plus autonome
financièrement et globalement un peu moins rivée à son
foyer domestique, la femme a pu ressentir le besoin de revendiquer des droits
en tant qu'individu à part entière et a pu s'organiser pour en
obtenir.
C'est ce qui a été à l'origine du mouvement féministe
après 68. De nombreuses manifestations de rue, interventions illégales,
l'ont popularisé, comme le dépôt d'une gerbe à la
femme du soldat inconnu, le manifeste des 343 " salopes "
-femmes, dont certaines célèbres qui ont publiquement affirmé
avoir avorté-, le procès de Marie Claire défendue par Gisèle
Halimi et bien d'autres actions. Cela a permis la conquête de droits essentiels
comme le droit à la contraception et à l'avortement qui, bien
que restreints -ils n'ont été véritablement reconnus comme
des droits et pas seulement des exceptions qu'en 2001-, permettaient enfin aux
femmes de disposer plus librement de leur corps, ne de pas subir de maternités
non désirées, d'avoir une sexualité plus libre. Cela permit
aussi la conquête d'autres mesures de progrès comme le début
de la répression des viols et des violences conjugales, le droit pour
la femme d'avoir un compte en banque voire une affaire à son nom, de
reconnaître son enfant et de lui donner son nom, l'attribution d'une allocation
de parent isolé, l'instauration de la garde conjointe, etc.
Dans l'ensemble, ce mouvement n'a touché le monde du travail que de manière
superficielle. D'abord, parce que les problèmes sociaux ne se posaient
pas avec autant d'acuité dans une période de relatif progrès
social et économique. Mais aussi, et en partie pour cette même
raison, parce que le mouvement ouvrier était dominé par le réformisme,
en particulier sous sa forme stalinienne qui défendait une conception
conformiste et bourgeoise de la famille. Du coup, le mouvement féministe
s'est développé en marge de celui-ci, dans la mouvance gauchiste,
avec beaucoup d'aspects proclamatoires. Mais aussi, de plus en plus coupé,
au fur et à mesure que le recul social s'accentuait, de la vie, des préoccupations
des femmes travailleuses.
...à
la période de recul
Il s'en est
suivi que le mouvement féministe a fini par s'investir uniquement dans
la lutte politique pour la défense des droits juridiques, domaine dans
lequel il a obtenu des avancées dans les années de crise 80-90.
Ce furent les lois du Ministère de la femme de la socialiste Roudy pour
l'égalité professionnelle ou contre les violences faites aux femmes
et aux enfants dans la famille. Ce fut encore la lutte contre des intégristes
catholiques qui s'en prenaient aux centres pratiquant des avortements sous le
gouvernement Juppé conseillé par un membre de l'association Laissez-les
vivre. Le mouvement féministe s'est finalement investi dans la discussion
sur la parité aux élections.
Faire le bilan du mouvement féministe à l'heure où il renaît
dans les milieux populaires nécessite de prendre la mesure de ce recul,
mais aussi des idées qui en sont l'expression.
Les féministes dites matérialistes radicales ont défini
dans les années 70 le concept de genre en partant d'un constat matérialiste,
la construction de comportements féminins ou masculins inculqués
à tous dès le plus jeune âge. Christine Delphy, porte parole
de ce courant féministe, a trouvé dans le marxisme l'expression
la plus radicale de sa révolte contre la situation faite aux femmes,
elle est donc partie d'un raisonnement matérialiste. Mais voyant le marxisme
à travers sa caricature stalinienne avec laquelle elle a rompu, elle
a construit une analyse de l'oppression de la femme qui tout en se réclamant
du matérialisme rompait avec le marxisme. Elle a ainsi défini
un " mode de production domestique " distinct du
capitalisme dans lequel les femmes -toutes, mêmes les plus favorisées-
fourniraient un surtravail volontaire et non payé à leurs " maris "
dans la sphère privée du foyer : le travail domestique. Tous les
hommes, qui eux s'épanouiraient dans la sphère publique (travail
à l'extérieur du foyer, vie publique), en tireraient profit et
ne pourraient, de ce fait, rejoindre le combat féministe. Du coup, pour
en finir avec l'oppression spécifique des femmes, " les
femmes appartenant à une autre classe que celle de leur mari ",
il faudrait se battre contre le genre, donc, " s'attaquer aux problèmes
de la fausse conscience de classe déterminée par l'appartenance
aux classes capitalistes plutôt qu'aux classes patriarcales (
),montrer
comment cette fausse conscience sert les intérêts du patriarcat
et nuit à la lutte " pour aboutir à une " révolution
de la réalité sociale et de la connaissance " (citations
de C. Delphy dans L'ennemi principal, 1970).
Selon cette théorie, la double exploitation de la femme, c'est-à-dire
son exploitation en tant que femme et en tant que travailleuse est vue de façon
tellement mécanique que le foyer domestique moderne devient la source
du " profit " du mari. Ce travail gratuit aurait
été ignoré de tous les hommes, dont Marx, pour la simple
raison qu'ils en profiteraient aussi !
En 1977, dans Critique communiste, Antoine Artous écrivait en
réponse à des féministes radicales pour lesquelles le travail
domestique de la femme produisait de la valeur : " Il y a là
un tour de passe-passe. Que la production de biens et de services dans le travail
domestique soit utile pour la reconstitution de la force de travail comme marchandise
n'entraîne en rien que cette production soit créatrice de valeur.
Car la femme au foyer ne produit pas une marchandise (la force de travail),
mais des biens et des services qui, consommés par un individu, contribuent
à reproduire une force de travail. Dire que le travail ménager
produit la force de travail, c'est-à-dire une marchandise, c'est escamoter
cette nuance de taille : ce qui détermine le procès du travail
ménager, c'est qu'il est une production privée. Non seulement
parce qu'il s'effectue dans un cadre privé (par rapport au reste de la
production sociale qui s'effectue dans le cadre des rapports capitalistes),
mais parce qu'il s'effectue aussi pour un usage privé. Ce dernier point
le différencie de la production de l'artisan qui produit pour le marché ".
Bien des défenseurs de ces théories ont fini par assimiler l'ensemble
du monde ouvrier aux staliniens, voire par dire qu'Engels et Marx étaient
contre le travail des femmes, qu'ils -et nous- niions l'existence d'un travail
domestique, aveuglés par la lutte des classe vue comme un dogme qui n'explique
pas mais impose. Si le travail domestique et les charges de famille pèsent
encore aujourd'hui essentiellement sur les femmes, ce n'est pas dû à
un quelconque instinct patriarcal inné chez tous les hommes, mais à
l'exploitation des femmes et des hommes dans une société de classe
justifiée par une morale réactionnaire, moyenâgeuse. Ce
n'est pas un mode de production distinct du capitalisme qui l'explique, nous
sommes tous aujourd'hui, hommes et femmes, plongés dans l'arène
sociale du salariat et exploités par lui.
Pour la théorie du genre, il s'agit de mener une lutte des sexes plutôt
qu'une lutte de classe. Elle a fini par être caricaturée par le
mouvement queer jusqu'à nier l'existence du sexe biologique -le sexe
étant considéré comme une construction entièrement
sociale-, revendiquant la liberté de choisir son sexe. Pendant ces années
de recul aussi, le mouvement féministe s'est davantage manifesté
à travers le mouvement des LGTB (lesbiennes, gays, transsexuels et bi-sexuels)
qui revendique des droits démocratiques indispensables pour les homosexuels
victimes des discriminations dans tous les milieux, sans poser le problème
de la transformation de la société par la lutte sociale et politique
des opprimés.
Faire
le bilan de la période de recul, renforcer les acquis du mouvement féministe
L'oppression des femmes a son origine dans la société de classes
et sa morale, dans une réalité matérielle et non dans un
concept rendu moral tel que celui de " patriarcat ". La
théorie du genre fait du patriarcat un concept à la fois a-historique
et a-temporel : il y aurait une source d'oppression des femmes antérieure
à la société de classes -qui se perdrait même dans
la nuit des temps-, le patriarcat, dont l'origine se trouverait dans un rapport
de domination, semble-t-il inné, du sexe masculin sur le sexe féminin.
Selon la féministe radicale Françoise Héritier, les hommes
n'étant pas capables d'enfanter auraient soumis les femmes pour compenser
leur incapacité à le faire ; pour cela, ils auraient utilisé
la violence et les préjugés selon lesquels les femmes étaient
inférieures.
Cette théorie, en dénonçant à juste titre les préjugés
qui assignent aux femmes une situation de domination au nom de la " nature ",
revient à faire violence à la nature, à diviser les sexes
entre eux en dévalorisant constamment le sexe féminin dans une
attitude plaintive, agressive voire hystérique qui ne facilite pas les
rapports entre les sexes. Car le sexe naturel, biologique, complémentaire,
est une réalité physique. Ce sont les sociétés de
classe qui, en réduisant les femmes à une condition d'esclavage
et par la suite d'oppression, en ont fait un être " inférieur ",
lui imposant une image dégradée d'elle-même, comme pour
les enfants d'ailleurs.
Pour une lutte
où les sexes ne sont pas concurrents mais complémentaires, une
lutte du monde du travail uni
L'oppression spécifique des femmes est le produit de la société
de classe ; la combattre nécessite de la décrire, de la définir,
ce qu'on fait les féministes radicales avec la théorie du genre.
Elles ont poursuivi un travail et une expérience militante initiés
par des matérialistes militants, certains socialistes utopistes, puis
Marx et Engels qui y étaient parvenus parce qu'ils n'avaient aucun frein
à leur critique d'une société basée sur l'appropriation
privée du travail collectif, aucune attache à son idéologie
ni à sa morale. Mais, rebutées par le stalinisme auquel elles
assimilaient à tort le marxisme, dans une période de recul politique
et social du mouvement ouvrier, les féministes radicales ont déformé
de manière mécanique le raisonnement matérialiste de départ.
Le caractère spécifique de l'oppression des femmes a fini par
devenir dogme, c'est à dire une compréhension dégagée
de l'histoire. Ce dogme les a aveuglées au point qu'elles ont défini
un " travail domestique " y compris pour des femmes
de la haute société qui emploient elles mêmes des ouvriers
ou des domestiques, femmes ou hommes ! Elles ont défendu l'idée
que les femmes travailleuses ne faisaient pas partie de la même classe
que les hommes avec lesquels elles essaient de résister au quotidien
dans la vie de couple ou au travail, pour les rapprocher de femmes qui peuvent
être leurs patronnes ou les femmes de leurs patrons. D'après cette
théorie aussi, les hommes ne peuvent se battre aux côtés
des femmes que par pur volontarisme, contre leurs propres besoins, eux-mêmes
tirant profit de l'exploitation de " leur " femme.
Nous avons besoin, dans la période d'attaques et de luttes qui s'accélère,
d'idées qui nous permettent de comprendre clairement les intérêts
des différents groupes sociaux pour mieux nous battre pour les droits
spécifiques de tous les opprimés. Ce qui nécessite de comprendre
leur lien, leur source commune dans la société de classe et sa
morale dépassée pour faire l'unité, pour se regrouper et
non pas pour se diviser en une infinité de combats spécifiques.
Le marxisme vivant, et non sa caricature dogmatique stalinienne, part des intérêts
réels des groupes existants, et pas d'une vision morale, volontariste.
C'est une nouvelle actualité que donne aux idées marxistes l'offensive
de la mondialisation capitaliste. Le décalage est croissant entre des
possibilités matérielles et techniques sans précédent
et le recul des conditions sociales comme l'arriération de la morale
qui les justifie.
Combattre pour l'émancipation des femmes, c'est combattre pour la révolution
sociale, pour l'abolition de la société de classes qui transforme
tout progrès en une nouvelle chaîne, qui alimente la division entre
exploités, entre hommes et femmes pour mieux les exploiter, qui impose
la concurrence pour rompre les solidarités.
Certes l'abolition du salariat, si elle en est une condition indispensable,
ne sera pas suffisante, tant est grande la force des préjugés.
" La femme dans le ménage reste encore opprimée.
Pour qu'elle soit réellement émancipée, pour qu'elle soit
vraiment l'égale de l'homme, il faut qu'elle participe au travail productif
commun et que le ménage privé n'existe plus. Alors seulement,
elle sera au même niveau que l'homme ", comme le déclarait
Lénine deux ans après la révolution russe [les objectifs
généraux du mouvement féministe -septembre 1919].
C'est un combat quotidien qu'il nous faut mener contre toutes les formes de
l'aliénation (féminine comme masculine) en encourageant l'intervention
des femmes des milieux populaires dans l'action sociale et politique, à
l'heure où la crise du système démontre à une fraction
importante d'entre elles qu'il n'y a que la lutte pour transformer le monde
qui changera leur propre sort.
Sophie Candela