Débat militant | ||||||||||
Lettre publiée par des militants de la LCR |
n°37
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10
novembre 2003
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Sommaire : | ||||||||||
Accord LO-LCR : la gauche gouvernementale s'entend pour sauvegarder ses voix | ||||||||||
A propos de deux livres " Ni putes ni soumises " de Fadela Amara et " Vivre libre " de Loubna Méliane | ||||||||||
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Unité des révolutionnaires et mouvement social
" La
première pierre à la construction du grand parti anticapitaliste
a donc été posée à l'issue des quatre jours du congrès
de la LCR lorsque les deux tiers des militants ont entériné un
accord électoral avec l'autre principale formation trotskiste du paysage
politique français: Lutte ouvrière. " tel était
le sens que Radio France Internationale donnait au dernier congrès de
l'organisation.
Indiscutablement, les faits sont là et donnent raison à ceux,
dont nous sommes, qui partagent cette compréhension de ce qui s'est passé
et, est-il besoin de le dire, pour notre part, nous nous en réjouissons.
Ou, plus précisément, c'est dans ce sens que nous voulons agir.
Ni la direction de LO qui, jusqu'alors a classé dans ses archives l'appel
d'Arlette à un parti des travailleurs en 95, ni la majorité de
la direction de l'organisation qui s'est refusée à inscrire l'accord
avec LO dans notre démarche pour une force nouvelle, ne font leur cette
analyse. Pourtant, pour la presse comme pour tous ceux qui s'intéressent
à l'extrême-gauche, l'accord avec LO est bien plus qu'un simple
accord électoral.
C'est bien logique d'ailleurs, comment un accord entre révolutionnaires
pourrait-il n'être qu'électoral ?
L'unité entre la Ligue et LO correspond aux besoins du moment et constitue
un possible point de départ pour une renaissance du mouvement révolutionnaire,
sa transformation en un véritable mouvement de masse enraciné
dans le monde du travail.
Elle est l'aboutissement d'une longue évolution entamée en 95
qui a vu le renouveau des luttes se combiner avec le progrès de l'influence
des idées de l'extrême-gauche. Et, de ce point de vue, elle est
l'expression politique de l'aile marchante du mouvement du printemps dernier.
Parallèlement au discrédit des partis de la gauche gouvernementale
et en particulier à l'effondrement du Parti communiste, une nouvelle
conscience de classe s'est forgée. Ce double mouvement s'est exprimé
le 21 avril à l'occasion du premier tour de l'élection présidentielle
par la sanction des candidats de la gauche gouvernementale et par les trois
millions de voix qui se sont portées sur les candidats de l'extrême-gauche.
Il a abouti au puissant mouvement pour le retrait du projet Fillon et la défense
des retraites.
Ce dernier a été le produit de la convergence des nouvelles solidarités
qui se nouent au sein du monde du travail face à l'offensive libérale
et réactionnaire. La volonté de dépasser les clivages corporatistes,
l'aspiration à un tous ensemble, la volonté aussi de dépasser
les divisions syndicales se sont manifestées dans la mise en place ou
la recherche de nouvelles formes de représentation démocratique
du mouvement.
Une riche expérience s'est accumulée. Elle nourrit un nouveau
militantisme en rupture avec les routines antidémocratiques des vieux
appareils plus soucieux d'eux-mêmes que des intérêts généraux
du mouvement. Ce nouveau militantisme entend faire valoir les intérêts
collectifs du monde du travail en tournant le dos aux calculs politiques des
partis de la gauche gouvernementale et parlementaire.
Il exprime un rejet de la politique de ces partis qui n'aspirent qu'à
aller au gouvernement pour gérer les affaires des classes privilégiées.
Il veut faire une autre politique, autrement, c'est-à-dire défendre
en toute indépendance de classe les intérêts du monde du
travail.
Il est porteur en même temps de l'aspiration à une transformation
radicale de la société.
Quelles que soient les limites que semblent vouloir lui donner tant la direction
de LO que celle de la Ligue, l'accord entre nos deux organisations est une réponse
aux exigences du mouvement. Il en est aussi la conséquence, aucune des
deux organisations ne pouvant prendre la responsabilité de la division.
Certes, un parti de lutte ne peut naître d'un simple accord électoral
pas plus que d'un appel, mais l'un comme l'autre peuvent y contribuer, populariser
les idées et le programme dont naîtra ce nouveau parti, être
un encouragement pour tous ceux qui pensent que le capitalisme n'est pas le
seul horizon indépassable pour la société.
Certes, un nouveau parti naîtra des initiatives des travailleurs eux-mêmes
prenant en main la défense de leurs propres intérêts, du
regroupement de ceux qui ont pris en main l'organisation de la grève
de mai-juin. Mais, les militants révolutionnaires, militants du mouvement
lui-même, les organisations révolutionnaires ont un rôle
déterminant à jouer.
Elles peuvent largement contribuer à redonner toute leur crédibilité
aux idées d'une transformation révolutionnaire de la société
pour la libérer de la tyrannie des financiers et des gros actionnaires,
de la propriété capitaliste.
Ces idées, ce sont les idées du socialisme et du communisme. Elles
ont été caricaturées par les reniements social-démocrate
ou stalinien et il nous appartient de contribuer à leur redonner tout
leur contenu démocratique et révolutionnaire.
Les échéances électorales de 2004, élections régionales
et européennes, seront l'occasion d'aider à la cristallisation
des évolutions entamées en 95. Une nouvelle donne politique est
en train de se dessiner dont l'élément essentiel sera l'émergence
de ce parti d'extrême-gauche dont LO et la LCR, dans leur diversité,
sont les deux composantes principales. C'est le début d'un retour de
balancier à gauche, à gauche vraiment, c'est-à-dire dans
le camp des travailleurs, seule réponse à la menace du Front national.
Ces élections ne changeront certes pas le rapport de force entre la classe
des salariés et celle des patrons et gros actionnaires, mais elles peuvent
contribuer à défendre et populariser un programme pour les luttes,
encourager de nombreux travailleurs à se regrouper autour de ce programme
qu'ensemble, LO et la LCR, nous défendrons.
Il faut mettre fin aux drames du chômage et de la précarité,
enlever au patronat et aux financiers le contrôle absolu qu'ils exercent
sur l'économie.
Il faut interdire les licenciements, prendre sur les profits pour créer
les milliers d'emplois qui font défaut dans les services publics, répartir
le travail pour en finir avec l'exclusion et l'insécurité sociale.
Il faut abroger les lois Raffarin-Fillon-Balladur sur les retraites.
Il faut une revalorisation globale des salaires et des retraites. Personne ne
devrait être condamné à vivre avec moins que le SMIC.
Nous dénonçons et combattons le redéploiement impérialiste,
financier, militaire des grandes puissances au détriment des travailleurs
et des peuples, de la démocratie et de la paix et qui provoque d'irréparables
dégâts dans l'environnement et la nature.
Nous affirmons notre solidarité avec les luttes anti-impérialistes.
Au sein du mouvement altermondialiste, nous voulons faire vivre les idées
d'un internationalisme des exploités et des opprimés.
Nous militons pour que les travailleurs et les peuples s'unissent par delà
les frontières pour défendre leurs intérêts communs.
Nous militons pour des Etats unis socialistes d'Europe, débarrassés
des frontières comme de la dictature des groupes industriels et financiers.
Nous nous opposons au projet de constitution qui vise à masquer cette
dictature derrière des grandes phrases pseudo-démocratiques.
Bien des travailleurs, des groupes de militants, des jeunes sauront, sur les
lieux de travail, les quartiers, les villes, s'emparer de ce programme, se l'approprier,
l'enrichir de leurs propres expériences.
Ce programme pour les luttes que définit l'accord entre nos deux organisations
pourrait constituer un programme pour construire un front des révolutionnaires.
Les divergences qui existent au sein du mouvement révolutionnaire ne
sauraient justifier les existences séparées.
Nous pensons que nos divergences sont secondaires au regard de ce qui nous unit,
la commune volonté de lutter pour la défense des salariés,
des exploités, des exclus.
Aucune organisation ne peut prétendre, seule, être l'axe du nouveau
parti en gestation. Un tel raisonnement relèverait d'ailleurs d'une étrange
conception du parti dont le monde du travail a besoin. Ce parti naîtra
du brassage d'expériences différentes, de l'irruption sur la scène
politique de nouvelles générations, jeunes, en rien comptables
du passé des uns ou des autres. Il s'unifiera à travers les confrontations
politiques, les débats, les luttes, sélectionnera par une large
vie démocratique ses responsables
Mais il ne saurait se conformer
à quelque modèle que ce soit.
Non seulement, aucune organisation ne peut prétendre être l'axe
de ce futur parti mais il serait illusoire de penser que le cadre organisationnel
qu'elles offrent puisse correspondre aux besoins naissants.
Dans le cours même de la campagne à venir, il nous faudra essayer
de mettre en place ce cadre unitaire permettant de regrouper la nouvelle génération
qui rejoint la lutte et celle qui reprend confiance. Il nous faudra surmonter
les sectarismes, les craintes et méfiances, fruits des années
de recul dont nous sortons pour jeter les bases d'un front démocratique
et révolutionnaire.
Cela ne se fera pas sans crise. Répondre aux besoins de la nouvelle période
suppose de rompre avec bien des idées préconçues héritées
du gauchisme, avec des schémas sans rapport avec la situation actuelle,
accepter les rapports démocratiques, sortir du cadre de penser de l'auto-construction
pour penser l'organisation comme un instrument pour l'émancipation des
travailleurs par eux-mêmes
Une nouvelle page des luttes pour l'émancipation des opprimés
s'ouvre, un nouvel espoir est en train de naître. Nous pouvons, ensemble,
la Ligue communiste révolutionnaire, Lutte ouvrière et les organisations,
les militants, les travailleurs qui partagent nos perspectives nous donner les
moyens d'inverser le rapport de force, de mettre un coup d'arrêt à
l'offensive des classes dominantes pour ouvrir la perspective d'une transformation
sociale.
Relever ce défi, c'est engager à tous les niveaux le débat
sur les voies et moyens pour y parvenir.
Yvan Lemaitre
Accord LO-LCR : la gauche gouvernementale s'entend pour sauvegarder ses voix
Aucun n'a manqué
à l'appel. À peine l'alliance avec LO était-elle approuvée
par le XVe congrès de la LCR que les dirigeants de la gauche gouvernementale
se pressaient déjà pour en dénoncer, et les termes, et
les conséquences. On n'en avait vu ni entendu autant se répandre
dans les médias depuis leur déroute du 21 avril 2002.
Même Robert Hue, débarqué de la place du Colonel-Fabien
après ses 3,37 % à la présidentielle, a trouvé là
l'occasion d'un retour sur le devant de la scène. L'ex-président
du PCF a vilipendé une " grosse opération de marketing " :
" l'essentiel de cet accord est de stériliser les voix de
gauche ", a martelé le responsable communiste. Marie-Christine
Blandin, naguère présidente de région, incarnant, aux yeux
de certain, l'aile gauche des Verts, n'est pas plus amène avec la Ligue :
" En se pacsant avec LO, elle renonce à ce rôle d'interlocuteur
et rejoint le camp des aboyeurs. "
La secrétaire nationale du PCF, Marie-George Buffet, moque " Un
mariage à l'ancienne sans témoin ". Pourquoi alors
s'y opposer avec véhémence, et rameuter le ban et l'arrière-ban
?
La politique anti-ouvrière du gouvernement Raffarin mobilise beaucoup
moins d'énergie au PS, au PCF et chez les Verts, et pour cause :
elle s'inscrit dans la lignée des mesures adoptées par la gauche
plurielle pendant cinq ans et, au-delà, par les différentes équipes
qui se sont succédées au pouvoir depuis 1981. L'unité électorale
de l'extrême gauche apparaît, elle, autrement menaçante :
sont en jeu les positions institutionnelles des différents appareils
de la gauche gouvernementale. Défendre les positions acquises, et leurs
prébendes, motive
En 1998, l'extrême gauche totalisait déjà - on l'oublie
trop souvent - 4,37 % des suffrages et avait obtenu vingt-trois conseillers
régionaux. Ses listes avaient dépassé la barre des 5 %
dans neuf régions sur les vingt-deux de métropole, dont la Bretagne
(6,94 %), la Picardie (6,83 %) et la Haute-Normandie (6,41 %).
On mesure mieux, dès lors, l'acharnement des uns et des autres :
cette fois l'extrême gauche sera unie ; et depuis 1998, l'influence
des révolutionnaires progresse dans les rues comme dans les urnes.
Déduire les scores à venir des listes LO-LCR de ceux de la présidentielle
serait hasardeux. Néanmoins, les 10 % réalisés alors
par les trois candidats trotskystes attestent de la marge de progression des
listes communes. Sur la base des résultats du premier tour de la présidentielle
de 2002, les révolutionnaires seraient en mesure de se maintenir au second
tour en mars 2004 dans seize régions (1). Dans les six autres, ils obtiendraient
entre 5 et 10 % des voix. D'où l'inquiétude montante dans
les rangs socialistes, communistes et écologistes. Le PCF et les Verts
pourraient les premiers en faire les frais, en se retrouvant derrière
l'extrême gauche, mais surtout en ne franchissant pas la barre fatidique
des 5 % des suffrages exprimés qui seule autorise leur fusion au
second tour avec une autre liste qualifiée, c'est-à-dire avec
les socialistes - ceux-ci étant partout assurés de dépasser
les 10 % requis.
Les 2,74 % comptabilisés par les révolutionnaires aux élections
législatives qui avaient suivi la présidentielle interpellent
évidemment, mais encore ne faut-il pas oublier que les scores de 2002
sont loin devant ceux de 1997. Justement
Nous ne sommes plus en 1997,
ni même en 2002. Les maigres illusions dans la gauche plurielle se sont
évanouies ; la pression de l'après-21 avril s'est éventée ;
et le rempart du vote Chirac s'est effondré. Le mouvement du printemps
a souligné que l'alternative à la droite se situe désormais
à l'extrême gauche. Et d'ailleurs le rôle d' " opposant
numéro un " à Jean-Pierre Raffarin joué par
le centriste François Bayrou témoigne, sur l'autre front, de l'effacement
de la gauche social-libérale devant ceux qui défendent sans complexe
cette politique depuis toujours.
L'emballement de la gauche gouvernementale traduit particulièrement bien
ce risque que le rejet de Raffarin et de sa politique ne profite ni au PS, ni
à ses alliés.
L'extrême gauche " ne montre aucun signe qu'elle préférerait
la victoire de la gauche à celle de la droite aux régionales ",
s'alarme Bruno Le Roux, secrétaire national du PS aux élections.
D'autres s'inquiètent du prétendu ralliement de la Ligue aux conceptions
de LO sur le deuxième tour, négligeant que cette position est
celle de notre organisation depuis 2001 et qu'elle s'est bel et bien appliquée
lors des législatives en 2002.
" L'alliance de Lutte ouvrière et de la Ligue communiste
révolutionnaire, si leur stratégie fonctionne, donnera finalement
une victoire à la droite ", prévient la porte-parole
du PS, Annick Lepetit. C'est l'argument que reprennent en boucle les chantres
de l'union de la gauche, sans manquer d'y ajouter celui de la menace FN qui
pèse sur nombre de régions. Le candidat des Verts à l'élection
présidentielle de 2002, Noël Mamère, condamne ainsi un " réflexe
de chapelle qui va nourrir un peu plus la rhétorique du "tous pourris" ".
En bref, nous serions les alliés objectifs du FN !
La démonstration se retourne d'elle-même contre ses auteurs. Les
leaders de la gauche plurielle prêtent aux révolutionnaires une
influence qu'ils n'ont pas. L'irruption du FN ne date pas d'hier, mais de 1983.
La progression de Le Pen et de ses idées s'est nourrie de la politique
de régression sociale conduite par la gauche gouvernementale depuis plus
de vingt ans. Expliquer que voter pour ceux-là mêmes qui ont permis
à Le Pen d'être en lice au second tour de la dernière présidentielle
est une solution ne convainc personne. Seul un changement radical de politique
est susceptible de contrer Le Pen en résolvant la crise sur laquelle
il prospère.
Pareillement, la mobilisation du printemps a confirmé que les révolutionnaires
étaient aux avant-postes face à la politique de Raffarin. La gauche
gouvernementale était, elle, aux abonnés absents.
Les leçons de morale des Mamère et consorts témoignent
d'abord de leur propre impuissance politique. Elles révèlent ensuite
leur cynisme. L'extrême gauche rassemblée
divise, et ce faisant
ferait le jeu de la droite et de l'extrême droite. Mais que dire alors
du PCF et des Verts qui s'apprêtent dans nombre de régions à
aller seul devant les électeurs ? Un " réflexe de
chapelle " peut-être ? Les écologistes se sont
déjà prononcés pour des listes autonomes dans onze régions,
seuls les militants de PACA et de Poitou-Charentes en ont décidé
autrement. " Et le mouvement va s'accentuer ", notait
malicieusement Gilles Lemaire, leur secrétaire national, récemment.
Les Verts de l'Île-de-France devraient en effet choisir fin novembre de
faire campagne sous leur propre couleur. Et les communistes prendront le même
chemin mi-décembre, sans parler de l'initiative " Pour une
alternative citoyenne en Île-de-France " lancée le
7 novembre par Patrick Braouezec avec quelques amis signataires comme lui de
l'appel de Ramulaud .
Les petits calculs du PS, du PCF, des Verts et des autres permettront peut-être
à certains de gagner quelques sièges. Les résultats valideront
ou non les stratégies des différentes familles de la gauche plurielle,
c'est largement indifférent, pour nous mêmes, mais surtout pour
la masse des travailleurs et des jeunes en attentes d'un débouché
politique au mouvement du printemps. Les manuvres en cours ne seront pas
pour autant sans conséquences. Elles apportent une nouvelle confirmation
de la faillite de cette gauche qui se présentera divisée dans
l'espoir de gérer ensemble les régions - parfois même
de continuer à le faire comme en Île-de-France, dans le Nord-Pas-de-Calais,
le Limousin, le Midi-Pyrénées, etc. -, comme ils ont gouverné
le pays pendant cinq ans. Ils n'ont tiré aucun bilan ; ils se sont
bornés à substituer la gauche unie à la gauche plurielle.
N'en déplaise à Marie-George Buffet, la classe ouvrière
saura apprécier ce " mariage à l'ancienne sans témoin ".
Et ce n'est pas l'opération Braouezec qui changera quoi que ce soit.
L'appel Ramulaud lancé en juin avait implosé à la rentrée.
La nouvelle mouture apparaît clairement comme un contre-feu à l'accord
LO-LCR. Il se consumera tout aussi vite. " Les partis de la gauche
dans son ensemble, de ceux de l'ex gauche plurielle au bloc LCR-LO, n'ont tirés
les enseignements ni de leurs échecs ni de leur enfermement dans une
attitude protestataire, tranche-t-il : ils ne peuvent plus prétendre
porter seuls les couleurs de la résistance et de l'alternative. "
L'offre de service ne pouvait être plus explicite, mais comment pourrait-elle
l'être quand ses signataires gèrent déjà avec les
partis de la gauche plurielle régions, départements et mairies
quand ils n'en sont pas eux-mêmes membres. Les références
à l'anticapitalisme ne suffiront pas. Elles soulignent d'autant mieux,
ce que la fortune des expressions " anticapitalisme "
et " anticapitaliste " doit aux ambiguïtés
qu'elles renferment. " Comment et avec qui porter avec le plus
d'efficacité et de pertinence les objectifs qui identifient clairement
une politique anticapitaliste en Île-de-France " s'interrogent-ils.
Leurs pratiques et leurs alliances répondent pour eux.
Hommage du vice à la vertu, les exagérations de la gauche gouvernementale
sur l'impact de l'extrême gauche et le danger qu'il comporte éclairent
nos nouvelles responsabilités. La gauche gouvernementale s'inquiète
de l'union LO-LCR ? Faisons tout pour que les quelques mois de campagnes
communes renforcent un peu plus ses craintes.
Nous ne serons jamais ses ramasseurs de balles. Nous ne jouons pas sur le même
terrain.
Serge Godard
(1) L'Aquitaine
(10,5 %), l'Auvergne (12,45 %), la Bourgogne (10,82 %), la Bretagne (12,42 %),
le Centre (10,76 %), la Champagne-Ardenne (11,09 %), la Franche-Comté
(10,79 %), le Limousin (12,01 %), la Lorraine (12,30 %), le Midi-Pyrénées
(12,66 %), le Nord-Pas-de-Calais (12,56 %), la Basse-Normandie (12,70 %), la
Haute-Normandie (13,09 %), les Pays de la Loire (11,81 %), la Picardie (12,58
%) et le Poitou-Charentes (12,24 %)
A
propos des livres " Ni putes ni soumises " de Fadela Amara
et " Vivre libre " de Loubna Méliane : le renouveau
du féminisme dans les milieux populaires
A
travers ces deux livres, deux générations militantes se battent
contre un même problème : la double exploitation des femmes dont
les effets sont accrus " par un effet de loupe "
dans les banlieues à forte population immigrée. Leur combat est
le nôtre. Il est l'expression d'un renouveau du féminisme dans
les milieux populaires parallèle aux prises de conscience et ruptures
survenues face au social libéralisme et à l'accroissement de l'exploitation
des opprimé(e)s dans ces milieux depuis une dizaine d'années.
La première génération, c'est celle de Fadela. Elle a 39
ans. Elle a connu le mouvement antiraciste autour de la gauche dans les banlieues
ouvrières et a même connu par ce biais le mouvement féministe
des années 70 en France. Elle en a retiré une expérience,
des idées qu'elle a vu reculer durant les 20 dernières années
avec une accentuation à partir des années 90 : " Au-delà
du chômage qui frappe plus durement les jeunes des cités, de la
pauvreté qui sévit dans les familles quelles que soient leurs
origines, de l'exclusion culturelle et politique qui marginalise leurs habitants,
des discriminations dont sont victimes quotidiennement les jeunes issus de l'immigration,
des violences propres aux quartiers laissés à l'abandon, une lente
dégradation sociale est en marche dans les banlieues. Une lente dérive
vers le ghetto qui a déjà ses premières victimes : les
filles. " Les quartiers vivaient déjà beaucoup de
difficultés mais il y avait des militants pour s'organiser, et aussi
des éducateurs de rue pour discuter. Ce recul politique et social est
le produit d'une aggravation des conditions de vie due au chômage endémique
des jeunes qui faisait suite aux licenciements des plus anciens, des pères
de famille venus du pays avec leur tradition patriarcale. Du coup, " passant
le temps constamment entre eux à ressasser leurs rancurs et leurs
échecs, ces garçons ont commencé à devenir autoritaires
puis, sous prétexte de les contrôler, à faire preuve de
violences verbales à l'encontre des filles, à les insulter (...)
Après s'être arrogés l'autorité au sein des familles,
les garçons l'ont exercée dans la cité (
) et la liberté
(des filles) qui avait été acquise durant les mouvements beurs
et les manifestations anti-racistes des années 80 s'est vue de plus en
plus rognée. " Les banlieues, désertées par
les services publics, aux associations de moins en moins subventionnées,
sont devenues des ghettos où les familles d'origine étrangère
sont parquées entre elles avec comme seule échappatoire l'école
revue au rabais faute de moyens. Fadela, qui a commencé par être
militante de SOS Racisme, s'oppose à l'influence grandissante des islamistes
radicaux sur le terreau de la misère et de la démission des militants
politiques : " Assez subitement, dans les années 1990-1995,
ces imams radicaux sont devenus une référence dans certaines cités.
Les pouvoirs locaux, les élus des collectivités territoriales
et notamment les maires de toutes tendances politiques les ont reconnus et installés
comme interlocuteurs privilégiés.(
) L'imam s'est métamorphosé
en nouveau régulateur social. Reconnu à l'extérieur, son
autorité s'est renforcée dans les cités. "
Du coup, avec le recul social, c'est le retour de l'ordre moral, du poids des
traditions, la sexualité en cachette au fond des caves, les certificats
de virginité réclamés par les parents aux médecins
au moment de marier leurs filles
C'est aussi, pour certaines, le port
du voile, " ce foulard synonyme d'oppression et d'enfermement des
femmes ". Pour la troisième génération immigrée,
c'est-à-dire les jeunes d'aujourd'hui, le bilan politique de la génération
militante de Fadela est très négatif : " Combien
de fois ai-je participé à des réunions au cours desquelles
ils nous faisaient remarquer que, certes, nous avions lutté, réclamé
des droits, mais qu'en retour, les politiques ne nous avaient parlé que
de nos devoirs, et en particulier de notre devoir de nous intégrer. (
)
Ils pensent que nous sommes battus pour pas grand-chose, que nous n'avons presque
rien obtenu (
) Ils nous reprochent d'avoir été pris sur
les listes municipales comme les Blacks, les Rebeus ou les Beurettes de service
"
Dès 1994, elle s'aperçoit, avec la montée de la violence
dans les quartiers, " que cela ne suffisait pas. Qu'on ne pouvait
agir sur cette violence tant qu'on n'arrêterait pas ce processus de ghettoïsation.
" Cela a entraîné aussi un autre état d'esprit chez
ces militant(e)s féministes : " Il faut cesser de se penser en femme
victime et de n'envisager le combat qu'en termes de guerre des sexes. (
)
En France, les femmes bénéficient normalement des acquis des mouvements
féministes. Les droits existent. Il faut maintenant les appliquer à
toutes, y compris aux filles des quartiers. (
) Ces dernières années,
les féministes ont mené presque des luttes " réservées
" : en se focalisant sur la bataille pour la parité, elles ne se
sont adressées qu'aux classes moyennes et supérieures et ont oublié
les femmes des milieux populaires. (
) Ce combat universaliste (sur tous
les terrains où l'égalité des sexes n'est pas respectée)
doit être mené par l'ensemble des femmes. Et aussi par les hommes. "
La seconde génération, c'est celle de Loubna. Elle a 25 ans. Elle
n'a pas connu l'époque où les militants de gauche agissaient dans
les banlieues populaires. De la gauche, elle n'a connu que quelques aménagements
urbains, façades de HLM repeintes ou paniers de basket dans les cités,
alors que les jeunes ont besoin de vivre, soif de culture, de voyages et pas
qu'au bled
Elle a vécu enfermée dans sa cité, sans
possibilité de s'en sortir, petite mère de famille adolescente,
vive, rebelle et objet du qu'en dira-t-on du quartier bien qu'ayant des parents
plutôt libéraux. Car dans sa cité, l'autorité des
pères au chômage, déchus du fait de ne plus pouvoir subvenir
aux besoins de leurs familles, a été remplacée par celle
des fils devenus les gardiens de leurs surs
La violence s'est développée
dans les familles, entre jeunes, entre sexes. Certaines femmes parmi les plus
âgées ne sortent pratiquement plus de chez elles que pour les courses
et amener les enfants à l'école. De plus en plus de jeunes filles
ne veulent plus s'habiller de façon " trop féminine ",
ne portent que des survêtements, se mettent à parler de façon
agressive pour se protéger. Des piscines sont ouvertes à certaines
heures uniquement pour les femmes, souvent voilées. Dans ce contexte,
il arrive que certaines, comme Loubna, acceptent à peine sorties de l'adolescence
un mariage arrangé pour changer de vie, mais sans y croire
Les
féministes ? Pour Loubna adolescente, c'étaient des " Amazones "
qui voulaient la guerre des sexes, elle n'en a jamais vu dans sa cité.
Et comment envisager un instant une lutte des femmes sans les hommes, leurs
frères et compagnons de misère et de souffrance, ceux avec lesquels
la violence éclate car il n'y a plus de mots ? " On
crève d'amour dans les quartiers " dit Loubna, il ne faut
pas seulement se battre pour que l'on parle de sexualité à l'école
mais aussi " du désir, du plaisir, du respect du partenaire,
quel que soit le partenaire, et pas seulement de la prévention du Sida,
même si c'est encore aujourd'hui extrêmement important ".
Loubna a commencé à militer au lycée, lors du mouvement
lycéen de 1999, à la FIDL : " militer, contester
les règles injustes, c'est pour moi une manière d'avancer et de
ne pas passer ma vie à me regarder le nombril ", écrit-elle.
Elle reflète cette nouvelle génération militante, jeune
et féminine issue des banlieues, qui, en prenant la parole, en se battant,
veut encourager les femmes à ne plus subir le " pouvoir "
de certains jeunes qui " croient exister en l'exerçant sans
contrôle, alors qu'ils régressent lamentablement et se privent
eux-mêmes de tout espoir de vie heureuse. Leur avenir sentimental, leur
capacité à être des maris ou des amants, des pères
et des citoyens responsables, est dramatiquement bloquée. Ils estiment
pouvoir tout se permettre, se cachent derrière de prétendues traditions
culturelles et religieuses parce qu'ils vivent dans la frustration, dans la
misère sociale et sexuelle. "
C'est lors de la Marche des femmes des quartiers de mars 2003 que ces
deux générations militantes se sont rejointes. Loin d'elles toute
" victimisation ", même si le point de départ
de la marche " contre le ghetto et pour l'égalité "
(6 filles et 2 garçons) a été la mort de la jeune Sohane
brûlée vive dans un local à poubelles d'une cité
de Vitry. Elles combattent pour la participation des femmes à la vie
sociale et en particulier des plus défavorisées d'entre elles,
pour leur accès au travail et à la culture, à des relations
amoureuses librement assumées, pour qu'elles s'émancipent. Elles
sont conscientes que, sans s'en prendre aux causes économiques et sociales
de la ghettoïsation moderne de certaines banlieues, il n'y aura jamais
de solution collective pour les opprimés et surtout pour les plus fragiles
d'entre eux, les femmes et les jeunes. Elles saisissent toutes les occasions,
y compris une entrevue à Matignon, pour défendre leurs revendications,
en sachant que seule la mobilisation et la lutte des femmes et des opprimés
eux-mêmes permettront d'avancer. Ce sont des actrices d'un mouvement féministe
issu des quartiers défavorisés qui ouvre la voie à un féminisme
populaire, parallèle à la renaissance de la contestation sociale
et ouvrière actuelle.
Sophie
Candela