Débat militant
Lettre publiée par des militants de la LCR
n°37
10 novembre 2003

Sommaire :

Unité des révolutionnaires et mouvement social

Accord LO-LCR : la gauche gouvernementale s'entend pour sauvegarder ses voix
A propos de deux livres " Ni putes ni soumises " de Fadela Amara et " Vivre libre " de Loubna Méliane


Unité des révolutionnaires et mouvement social

La première pierre à la construction du grand parti anticapitaliste a donc été posée à l'issue des quatre jours du congrès de la LCR lorsque les deux tiers des militants ont entériné un accord électoral avec l'autre principale formation trotskiste du paysage politique français: Lutte ouvrière. " tel était le sens que Radio France Internationale donnait au dernier congrès de l'organisation.
Indiscutablement, les faits sont là et donnent raison à ceux, dont nous sommes, qui partagent cette compréhension de ce qui s'est passé et, est-il besoin de le dire, pour notre part, nous nous en réjouissons. Ou, plus précisément, c'est dans ce sens que nous voulons agir.
Ni la direction de LO qui, jusqu'alors a classé dans ses archives l'appel d'Arlette à un parti des travailleurs en 95, ni la majorité de la direction de l'organisation qui s'est refusée à inscrire l'accord avec LO dans notre démarche pour une force nouvelle, ne font leur cette analyse. Pourtant, pour la presse comme pour tous ceux qui s'intéressent à l'extrême-gauche, l'accord avec LO est bien plus qu'un simple accord électoral.
C'est bien logique d'ailleurs, comment un accord entre révolutionnaires pourrait-il n'être qu'électoral ?
L'unité entre la Ligue et LO correspond aux besoins du moment et constitue un possible point de départ pour une renaissance du mouvement révolutionnaire, sa transformation en un véritable mouvement de masse enraciné dans le monde du travail.
Elle est l'aboutissement d'une longue évolution entamée en 95 qui a vu le renouveau des luttes se combiner avec le progrès de l'influence des idées de l'extrême-gauche. Et, de ce point de vue, elle est l'expression politique de l'aile marchante du mouvement du printemps dernier.
Parallèlement au discrédit des partis de la gauche gouvernementale et en particulier à l'effondrement du Parti communiste, une nouvelle conscience de classe s'est forgée. Ce double mouvement s'est exprimé le 21 avril à l'occasion du premier tour de l'élection présidentielle par la sanction des candidats de la gauche gouvernementale et par les trois millions de voix qui se sont portées sur les candidats de l'extrême-gauche.
Il a abouti au puissant mouvement pour le retrait du projet Fillon et la défense des retraites.
Ce dernier a été le produit de la convergence des nouvelles solidarités qui se nouent au sein du monde du travail face à l'offensive libérale et réactionnaire. La volonté de dépasser les clivages corporatistes, l'aspiration à un tous ensemble, la volonté aussi de dépasser les divisions syndicales se sont manifestées dans la mise en place ou la recherche de nouvelles formes de représentation démocratique du mouvement.
Une riche expérience s'est accumulée. Elle nourrit un nouveau militantisme en rupture avec les routines antidémocratiques des vieux appareils plus soucieux d'eux-mêmes que des intérêts généraux du mouvement. Ce nouveau militantisme entend faire valoir les intérêts collectifs du monde du travail en tournant le dos aux calculs politiques des partis de la gauche gouvernementale et parlementaire.
Il exprime un rejet de la politique de ces partis qui n'aspirent qu'à aller au gouvernement pour gérer les affaires des classes privilégiées. Il veut faire une autre politique, autrement, c'est-à-dire défendre en toute indépendance de classe les intérêts du monde du travail.
Il est porteur en même temps de l'aspiration à une transformation radicale de la société.
Quelles que soient les limites que semblent vouloir lui donner tant la direction de LO que celle de la Ligue, l'accord entre nos deux organisations est une réponse aux exigences du mouvement. Il en est aussi la conséquence, aucune des deux organisations ne pouvant prendre la responsabilité de la division.
Certes, un parti de lutte ne peut naître d'un simple accord électoral pas plus que d'un appel, mais l'un comme l'autre peuvent y contribuer, populariser les idées et le programme dont naîtra ce nouveau parti, être un encouragement pour tous ceux qui pensent que le capitalisme n'est pas le seul horizon indépassable pour la société.
Certes, un nouveau parti naîtra des initiatives des travailleurs eux-mêmes prenant en main la défense de leurs propres intérêts, du regroupement de ceux qui ont pris en main l'organisation de la grève de mai-juin. Mais, les militants révolutionnaires, militants du mouvement lui-même, les organisations révolutionnaires ont un rôle déterminant à jouer.
Elles peuvent largement contribuer à redonner toute leur crédibilité aux idées d'une transformation révolutionnaire de la société pour la libérer de la tyrannie des financiers et des gros actionnaires, de la propriété capitaliste.
Ces idées, ce sont les idées du socialisme et du communisme. Elles ont été caricaturées par les reniements social-démocrate ou stalinien et il nous appartient de contribuer à leur redonner tout leur contenu démocratique et révolutionnaire.
Les échéances électorales de 2004, élections régionales et européennes, seront l'occasion d'aider à la cristallisation des évolutions entamées en 95. Une nouvelle donne politique est en train de se dessiner dont l'élément essentiel sera l'émergence de ce parti d'extrême-gauche dont LO et la LCR, dans leur diversité, sont les deux composantes principales. C'est le début d'un retour de balancier à gauche, à gauche vraiment, c'est-à-dire dans le camp des travailleurs, seule réponse à la menace du Front national.
Ces élections ne changeront certes pas le rapport de force entre la classe des salariés et celle des patrons et gros actionnaires, mais elles peuvent contribuer à défendre et populariser un programme pour les luttes, encourager de nombreux travailleurs à se regrouper autour de ce programme qu'ensemble, LO et la LCR, nous défendrons.
Il faut mettre fin aux drames du chômage et de la précarité, enlever au patronat et aux financiers le contrôle absolu qu'ils exercent sur l'économie.
Il faut interdire les licenciements, prendre sur les profits pour créer les milliers d'emplois qui font défaut dans les services publics, répartir le travail pour en finir avec l'exclusion et l'insécurité sociale.
Il faut abroger les lois Raffarin-Fillon-Balladur sur les retraites.
Il faut une revalorisation globale des salaires et des retraites. Personne ne devrait être condamné à vivre avec moins que le SMIC.
Nous dénonçons et combattons le redéploiement impérialiste, financier, militaire des grandes puissances au détriment des travailleurs et des peuples, de la démocratie et de la paix et qui provoque d'irréparables dégâts dans l'environnement et la nature.
Nous affirmons notre solidarité avec les luttes anti-impérialistes.
Au sein du mouvement altermondialiste, nous voulons faire vivre les idées d'un internationalisme des exploités et des opprimés.
Nous militons pour que les travailleurs et les peuples s'unissent par delà les frontières pour défendre leurs intérêts communs.
Nous militons pour des Etats unis socialistes d'Europe, débarrassés des frontières comme de la dictature des groupes industriels et financiers. Nous nous opposons au projet de constitution qui vise à masquer cette dictature derrière des grandes phrases pseudo-démocratiques.
Bien des travailleurs, des groupes de militants, des jeunes sauront, sur les lieux de travail, les quartiers, les villes, s'emparer de ce programme, se l'approprier, l'enrichir de leurs propres expériences.
Ce programme pour les luttes que définit l'accord entre nos deux organisations pourrait constituer un programme pour construire un front des révolutionnaires.
Les divergences qui existent au sein du mouvement révolutionnaire ne sauraient justifier les existences séparées.
Nous pensons que nos divergences sont secondaires au regard de ce qui nous unit, la commune volonté de lutter pour la défense des salariés, des exploités, des exclus.
Aucune organisation ne peut prétendre, seule, être l'axe du nouveau parti en gestation. Un tel raisonnement relèverait d'ailleurs d'une étrange conception du parti dont le monde du travail a besoin. Ce parti naîtra du brassage d'expériences différentes, de l'irruption sur la scène politique de nouvelles générations, jeunes, en rien comptables du passé des uns ou des autres. Il s'unifiera à travers les confrontations politiques, les débats, les luttes, sélectionnera par une large vie démocratique ses responsables… Mais il ne saurait se conformer à quelque modèle que ce soit.
Non seulement, aucune organisation ne peut prétendre être l'axe de ce futur parti mais il serait illusoire de penser que le cadre organisationnel qu'elles offrent puisse correspondre aux besoins naissants.
Dans le cours même de la campagne à venir, il nous faudra essayer de mettre en place ce cadre unitaire permettant de regrouper la nouvelle génération qui rejoint la lutte et celle qui reprend confiance. Il nous faudra surmonter les sectarismes, les craintes et méfiances, fruits des années de recul dont nous sortons pour jeter les bases d'un front démocratique et révolutionnaire.
Cela ne se fera pas sans crise. Répondre aux besoins de la nouvelle période suppose de rompre avec bien des idées préconçues héritées du gauchisme, avec des schémas sans rapport avec la situation actuelle, accepter les rapports démocratiques, sortir du cadre de penser de l'auto-construction pour penser l'organisation comme un instrument pour l'émancipation des travailleurs par eux-mêmes…
Une nouvelle page des luttes pour l'émancipation des opprimés s'ouvre, un nouvel espoir est en train de naître. Nous pouvons, ensemble, la Ligue communiste révolutionnaire, Lutte ouvrière et les organisations, les militants, les travailleurs qui partagent nos perspectives nous donner les moyens d'inverser le rapport de force, de mettre un coup d'arrêt à l'offensive des classes dominantes pour ouvrir la perspective d'une transformation sociale.
Relever ce défi, c'est engager à tous les niveaux le débat sur les voies et moyens pour y parvenir.
Yvan Lemaitre


Accord LO-LCR : la gauche gouvernementale s'entend pour sauvegarder ses voix

Aucun n'a manqué à l'appel. À peine l'alliance avec LO était-elle approuvée par le XVe congrès de la LCR que les dirigeants de la gauche gouvernementale se pressaient déjà pour en dénoncer, et les termes, et les conséquences. On n'en avait vu ni entendu autant se répandre dans les médias depuis leur déroute du 21 avril 2002.
Même Robert Hue, débarqué de la place du Colonel-Fabien après ses 3,37 % à la présidentielle, a trouvé là l'occasion d'un retour sur le devant de la scène. L'ex-président du PCF a vilipendé une " grosse opération de marketing " : " l'essentiel de cet accord est de stériliser les voix de gauche ", a martelé le responsable communiste. Marie-Christine Blandin, naguère présidente de région, incarnant, aux yeux de certain, l'aile gauche des Verts, n'est pas plus amène avec la Ligue : " En se pacsant avec LO, elle renonce à ce rôle d'interlocuteur et rejoint le camp des aboyeurs. "
La secrétaire nationale du PCF, Marie-George Buffet, moque " Un mariage à l'ancienne sans témoin ". Pourquoi alors s'y opposer avec véhémence, et rameuter le ban et l'arrière-ban ?
La politique anti-ouvrière du gouvernement Raffarin mobilise beaucoup moins d'énergie au PS, au PCF et chez les Verts, et pour cause : elle s'inscrit dans la lignée des mesures adoptées par la gauche plurielle pendant cinq ans et, au-delà, par les différentes équipes qui se sont succédées au pouvoir depuis 1981. L'unité électorale de l'extrême gauche apparaît, elle, autrement menaçante : sont en jeu les positions institutionnelles des différents appareils de la gauche gouvernementale. Défendre les positions acquises, et leurs prébendes, motive…
En 1998, l'extrême gauche totalisait déjà - on l'oublie trop souvent - 4,37 % des suffrages et avait obtenu vingt-trois conseillers régionaux. Ses listes avaient dépassé la barre des 5 % dans neuf régions sur les vingt-deux de métropole, dont la Bretagne (6,94 %), la Picardie (6,83 %) et la Haute-Normandie (6,41 %). On mesure mieux, dès lors, l'acharnement des uns et des autres : cette fois l'extrême gauche sera unie ; et depuis 1998, l'influence des révolutionnaires progresse dans les rues comme dans les urnes.
Déduire les scores à venir des listes LO-LCR de ceux de la présidentielle serait hasardeux. Néanmoins, les 10 % réalisés alors par les trois candidats trotskystes attestent de la marge de progression des listes communes. Sur la base des résultats du premier tour de la présidentielle de 2002, les révolutionnaires seraient en mesure de se maintenir au second tour en mars 2004 dans seize régions (1). Dans les six autres, ils obtiendraient entre 5 et 10 % des voix. D'où l'inquiétude montante dans les rangs socialistes, communistes et écologistes. Le PCF et les Verts pourraient les premiers en faire les frais, en se retrouvant derrière l'extrême gauche, mais surtout en ne franchissant pas la barre fatidique des 5 % des suffrages exprimés qui seule autorise leur fusion au second tour avec une autre liste qualifiée, c'est-à-dire avec… les socialistes - ceux-ci étant partout assurés de dépasser les 10 % requis.
Les 2,74 % comptabilisés par les révolutionnaires aux élections législatives qui avaient suivi la présidentielle interpellent évidemment, mais encore ne faut-il pas oublier que les scores de 2002 sont loin devant ceux de 1997. Justement… Nous ne sommes plus en 1997, ni même en 2002. Les maigres illusions dans la gauche plurielle se sont évanouies ; la pression de l'après-21 avril s'est éventée ; et le rempart du vote Chirac s'est effondré. Le mouvement du printemps a souligné que l'alternative à la droite se situe désormais à l'extrême gauche. Et d'ailleurs le rôle d' " opposant numéro un " à Jean-Pierre Raffarin joué par le centriste François Bayrou témoigne, sur l'autre front, de l'effacement de la gauche social-libérale devant ceux qui défendent sans complexe cette politique depuis toujours.
L'emballement de la gauche gouvernementale traduit particulièrement bien ce risque que le rejet de Raffarin et de sa politique ne profite ni au PS, ni à ses alliés.
L'extrême gauche " ne montre aucun signe qu'elle préférerait la victoire de la gauche à celle de la droite aux régionales ", s'alarme Bruno Le Roux, secrétaire national du PS aux élections. D'autres s'inquiètent du prétendu ralliement de la Ligue aux conceptions de LO sur le deuxième tour, négligeant que cette position est celle de notre organisation depuis 2001 et qu'elle s'est bel et bien appliquée lors des législatives en 2002.
L'alliance de Lutte ouvrière et de la Ligue communiste révolutionnaire, si leur stratégie fonctionne, donnera finalement une victoire à la droite ", prévient la porte-parole du PS, Annick Lepetit. C'est l'argument que reprennent en boucle les chantres de l'union de la gauche, sans manquer d'y ajouter celui de la menace FN qui pèse sur nombre de régions. Le candidat des Verts à l'élection présidentielle de 2002, Noël Mamère, condamne ainsi un " réflexe de chapelle qui va nourrir un peu plus la rhétorique du "tous pourris" ". En bref, nous serions les alliés objectifs du FN !
La démonstration se retourne d'elle-même contre ses auteurs. Les leaders de la gauche plurielle prêtent aux révolutionnaires une influence qu'ils n'ont pas. L'irruption du FN ne date pas d'hier, mais de 1983. La progression de Le Pen et de ses idées s'est nourrie de la politique de régression sociale conduite par la gauche gouvernementale depuis plus de vingt ans. Expliquer que voter pour ceux-là mêmes qui ont permis à Le Pen d'être en lice au second tour de la dernière présidentielle est une solution ne convainc personne. Seul un changement radical de politique est susceptible de contrer Le Pen en résolvant la crise sur laquelle il prospère.
Pareillement, la mobilisation du printemps a confirmé que les révolutionnaires étaient aux avant-postes face à la politique de Raffarin. La gauche gouvernementale était, elle, aux abonnés absents.
Les leçons de morale des Mamère et consorts témoignent d'abord de leur propre impuissance politique. Elles révèlent ensuite leur cynisme. L'extrême gauche rassemblée… divise, et ce faisant ferait le jeu de la droite et de l'extrême droite. Mais que dire alors du PCF et des Verts qui s'apprêtent dans nombre de régions à aller seul devant les électeurs ? Un " réflexe de chapelle " peut-être ? Les écologistes se sont déjà prononcés pour des listes autonomes dans onze régions, seuls les militants de PACA et de Poitou-Charentes en ont décidé autrement. " Et le mouvement va s'accentuer ", notait malicieusement Gilles Lemaire, leur secrétaire national, récemment. Les Verts de l'Île-de-France devraient en effet choisir fin novembre de faire campagne sous leur propre couleur. Et les communistes prendront le même chemin mi-décembre, sans parler de l'initiative " Pour une alternative citoyenne en Île-de-France " lancée le 7 novembre par Patrick Braouezec avec quelques amis signataires comme lui de l'appel de Ramulaud .
Les petits calculs du PS, du PCF, des Verts et des autres permettront peut-être à certains de gagner quelques sièges. Les résultats valideront ou non les stratégies des différentes familles de la gauche plurielle, c'est largement indifférent, pour nous mêmes, mais surtout pour la masse des travailleurs et des jeunes en attentes d'un débouché politique au mouvement du printemps. Les manœuvres en cours ne seront pas pour autant sans conséquences. Elles apportent une nouvelle confirmation de la faillite de cette gauche qui se présentera divisée dans l'espoir de gérer ensemble les régions - parfois même de continuer à le faire comme en Île-de-France, dans le Nord-Pas-de-Calais, le Limousin, le Midi-Pyrénées, etc. -, comme ils ont gouverné le pays pendant cinq ans. Ils n'ont tiré aucun bilan ; ils se sont bornés à substituer la gauche unie à la gauche plurielle. N'en déplaise à Marie-George Buffet, la classe ouvrière saura apprécier ce " mariage à l'ancienne sans témoin ".
Et ce n'est pas l'opération Braouezec qui changera quoi que ce soit. L'appel Ramulaud lancé en juin avait implosé à la rentrée. La nouvelle mouture apparaît clairement comme un contre-feu à l'accord LO-LCR. Il se consumera tout aussi vite. " Les partis de la gauche dans son ensemble, de ceux de l'ex gauche plurielle au bloc LCR-LO, n'ont tirés les enseignements ni de leurs échecs ni de leur enfermement dans une attitude protestataire, tranche-t-il : ils ne peuvent plus prétendre porter seuls les couleurs de la résistance et de l'alternative. " L'offre de service ne pouvait être plus explicite, mais comment pourrait-elle l'être quand ses signataires gèrent déjà avec les partis de la gauche plurielle régions, départements et mairies quand ils n'en sont pas eux-mêmes membres. Les références à l'anticapitalisme ne suffiront pas. Elles soulignent d'autant mieux, ce que la fortune des expressions " anticapitalisme " et " anticapitaliste " doit aux ambiguïtés qu'elles renferment. " Comment et avec qui porter avec le plus d'efficacité et de pertinence les objectifs qui identifient clairement une politique anticapitaliste en Île-de-France " s'interrogent-ils. Leurs pratiques et leurs alliances répondent pour eux.
Hommage du vice à la vertu, les exagérations de la gauche gouvernementale sur l'impact de l'extrême gauche et le danger qu'il comporte éclairent nos nouvelles responsabilités. La gauche gouvernementale s'inquiète de l'union LO-LCR ? Faisons tout pour que les quelques mois de campagnes communes renforcent un peu plus ses craintes.
Nous ne serons jamais ses ramasseurs de balles. Nous ne jouons pas sur le même terrain.

Serge Godard

(1) L'Aquitaine (10,5 %), l'Auvergne (12,45 %), la Bourgogne (10,82 %), la Bretagne (12,42 %), le Centre (10,76 %), la Champagne-Ardenne (11,09 %), la Franche-Comté (10,79 %), le Limousin (12,01 %), la Lorraine (12,30 %), le Midi-Pyrénées (12,66 %), le Nord-Pas-de-Calais (12,56 %), la Basse-Normandie (12,70 %), la Haute-Normandie (13,09 %), les Pays de la Loire (11,81 %), la Picardie (12,58 %) et le Poitou-Charentes (12,24 %)


A propos des livres " Ni putes ni soumises " de Fadela Amara
et " Vivre libre " de Loubna Méliane : le renouveau du féminisme dans les milieux populaires

A travers ces deux livres, deux générations militantes se battent contre un même problème : la double exploitation des femmes dont les effets sont accrus " par un effet de loupe " dans les banlieues à forte population immigrée. Leur combat est le nôtre. Il est l'expression d'un renouveau du féminisme dans les milieux populaires parallèle aux prises de conscience et ruptures survenues face au social libéralisme et à l'accroissement de l'exploitation des opprimé(e)s dans ces milieux depuis une dizaine d'années.
La première génération, c'est celle de Fadela. Elle a 39 ans. Elle a connu le mouvement antiraciste autour de la gauche dans les banlieues ouvrières et a même connu par ce biais le mouvement féministe des années 70 en France. Elle en a retiré une expérience, des idées qu'elle a vu reculer durant les 20 dernières années avec une accentuation à partir des années 90 : " Au-delà du chômage qui frappe plus durement les jeunes des cités, de la pauvreté qui sévit dans les familles quelles que soient leurs origines, de l'exclusion culturelle et politique qui marginalise leurs habitants, des discriminations dont sont victimes quotidiennement les jeunes issus de l'immigration, des violences propres aux quartiers laissés à l'abandon, une lente dégradation sociale est en marche dans les banlieues. Une lente dérive vers le ghetto qui a déjà ses premières victimes : les filles. " Les quartiers vivaient déjà beaucoup de difficultés mais il y avait des militants pour s'organiser, et aussi des éducateurs de rue pour discuter. Ce recul politique et social est le produit d'une aggravation des conditions de vie due au chômage endémique des jeunes qui faisait suite aux licenciements des plus anciens, des pères de famille venus du pays avec leur tradition patriarcale. Du coup, " passant le temps constamment entre eux à ressasser leurs rancœurs et leurs échecs, ces garçons ont commencé à devenir autoritaires puis, sous prétexte de les contrôler, à faire preuve de violences verbales à l'encontre des filles, à les insulter (...) Après s'être arrogés l'autorité au sein des familles, les garçons l'ont exercée dans la cité (…) et la liberté (des filles) qui avait été acquise durant les mouvements beurs et les manifestations anti-racistes des années 80 s'est vue de plus en plus rognée. " Les banlieues, désertées par les services publics, aux associations de moins en moins subventionnées, sont devenues des ghettos où les familles d'origine étrangère sont parquées entre elles avec comme seule échappatoire l'école revue au rabais faute de moyens. Fadela, qui a commencé par être militante de SOS Racisme, s'oppose à l'influence grandissante des islamistes radicaux sur le terreau de la misère et de la démission des militants politiques : " Assez subitement, dans les années 1990-1995, ces imams radicaux sont devenus une référence dans certaines cités. Les pouvoirs locaux, les élus des collectivités territoriales et notamment les maires de toutes tendances politiques les ont reconnus et installés comme interlocuteurs privilégiés.(…) L'imam s'est métamorphosé en nouveau régulateur social. Reconnu à l'extérieur, son autorité s'est renforcée dans les cités. " Du coup, avec le recul social, c'est le retour de l'ordre moral, du poids des traditions, la sexualité en cachette au fond des caves, les certificats de virginité réclamés par les parents aux médecins au moment de marier leurs filles… C'est aussi, pour certaines, le port du voile, " ce foulard synonyme d'oppression et d'enfermement des femmes ". Pour la troisième génération immigrée, c'est-à-dire les jeunes d'aujourd'hui, le bilan politique de la génération militante de Fadela est très négatif : " Combien de fois ai-je participé à des réunions au cours desquelles ils nous faisaient remarquer que, certes, nous avions lutté, réclamé des droits, mais qu'en retour, les politiques ne nous avaient parlé que de nos devoirs, et en particulier de notre devoir de nous intégrer. (…) Ils pensent que nous sommes battus pour pas grand-chose, que nous n'avons presque rien obtenu (…) Ils nous reprochent d'avoir été pris sur les listes municipales comme les Blacks, les Rebeus ou les Beurettes de service… " Dès 1994, elle s'aperçoit, avec la montée de la violence dans les quartiers, " que cela ne suffisait pas. Qu'on ne pouvait agir sur cette violence tant qu'on n'arrêterait pas ce processus de ghettoïsation. " Cela a entraîné aussi un autre état d'esprit chez ces militant(e)s féministes : " Il faut cesser de se penser en femme victime et de n'envisager le combat qu'en termes de guerre des sexes. (…) En France, les femmes bénéficient normalement des acquis des mouvements féministes. Les droits existent. Il faut maintenant les appliquer à toutes, y compris aux filles des quartiers. (…) Ces dernières années, les féministes ont mené presque des luttes " réservées " : en se focalisant sur la bataille pour la parité, elles ne se sont adressées qu'aux classes moyennes et supérieures et ont oublié les femmes des milieux populaires. (…) Ce combat universaliste (sur tous les terrains où l'égalité des sexes n'est pas respectée) doit être mené par l'ensemble des femmes. Et aussi par les hommes. "
La seconde génération, c'est celle de Loubna. Elle a 25 ans. Elle n'a pas connu l'époque où les militants de gauche agissaient dans les banlieues populaires. De la gauche, elle n'a connu que quelques aménagements urbains, façades de HLM repeintes ou paniers de basket dans les cités, alors que les jeunes ont besoin de vivre, soif de culture, de voyages et pas qu'au bled… Elle a vécu enfermée dans sa cité, sans possibilité de s'en sortir, petite mère de famille adolescente, vive, rebelle et objet du qu'en dira-t-on du quartier bien qu'ayant des parents plutôt libéraux. Car dans sa cité, l'autorité des pères au chômage, déchus du fait de ne plus pouvoir subvenir aux besoins de leurs familles, a été remplacée par celle des fils devenus les gardiens de leurs sœurs… La violence s'est développée dans les familles, entre jeunes, entre sexes. Certaines femmes parmi les plus âgées ne sortent pratiquement plus de chez elles que pour les courses et amener les enfants à l'école. De plus en plus de jeunes filles ne veulent plus s'habiller de façon " trop féminine ", ne portent que des survêtements, se mettent à parler de façon agressive pour se protéger. Des piscines sont ouvertes à certaines heures uniquement pour les femmes, souvent voilées. Dans ce contexte, il arrive que certaines, comme Loubna, acceptent à peine sorties de l'adolescence un mariage arrangé pour changer de vie, mais sans y croire… Les féministes ? Pour Loubna adolescente, c'étaient des " Amazones " qui voulaient la guerre des sexes, elle n'en a jamais vu dans sa cité. Et comment envisager un instant une lutte des femmes sans les hommes, leurs frères et compagnons de misère et de souffrance, ceux avec lesquels la violence éclate car il n'y a plus de mots ? " On crève d'amour dans les quartiers " dit Loubna, il ne faut pas seulement se battre pour que l'on parle de sexualité à l'école mais aussi " du désir, du plaisir, du respect du partenaire, quel que soit le partenaire, et pas seulement de la prévention du Sida, même si c'est encore aujourd'hui extrêmement important ".
Loubna a commencé à militer au lycée, lors du mouvement lycéen de 1999, à la FIDL : " militer, contester les règles injustes, c'est pour moi une manière d'avancer et de ne pas passer ma vie à me regarder le nombril ", écrit-elle. Elle reflète cette nouvelle génération militante, jeune et féminine issue des banlieues, qui, en prenant la parole, en se battant, veut encourager les femmes à ne plus subir le " pouvoir " de certains jeunes qui " croient exister en l'exerçant sans contrôle, alors qu'ils régressent lamentablement et se privent eux-mêmes de tout espoir de vie heureuse. Leur avenir sentimental, leur capacité à être des maris ou des amants, des pères et des citoyens responsables, est dramatiquement bloquée. Ils estiment pouvoir tout se permettre, se cachent derrière de prétendues traditions culturelles et religieuses parce qu'ils vivent dans la frustration, dans la misère sociale et sexuelle. "
C'est lors de la Marche des femmes des quartiers de mars 2003 que ces deux générations militantes se sont rejointes. Loin d'elles toute " victimisation ", même si le point de départ de la marche " contre le ghetto et pour l'égalité " (6 filles et 2 garçons) a été la mort de la jeune Sohane brûlée vive dans un local à poubelles d'une cité de Vitry. Elles combattent pour la participation des femmes à la vie sociale et en particulier des plus défavorisées d'entre elles, pour leur accès au travail et à la culture, à des relations amoureuses librement assumées, pour qu'elles s'émancipent. Elles sont conscientes que, sans s'en prendre aux causes économiques et sociales de la ghettoïsation moderne de certaines banlieues, il n'y aura jamais de solution collective pour les opprimés et surtout pour les plus fragiles d'entre eux, les femmes et les jeunes. Elles saisissent toutes les occasions, y compris une entrevue à Matignon, pour défendre leurs revendications, en sachant que seule la mobilisation et la lutte des femmes et des opprimés eux-mêmes permettront d'avancer. Ce sont des actrices d'un mouvement féministe issu des quartiers défavorisés qui ouvre la voie à un féminisme populaire, parallèle à la renaissance de la contestation sociale et ouvrière actuelle.

Sophie Candela