Débat militant
Lettre publiée par des militants de la LCR
n°39
23 décembre 2003

Sommaire :

Brésil : tirer les leçons des quatre exclusions du Parti des Travailleurs et des douze mois de gouvernement Lula

Feue la "constitution" européenne. Vivent les Etats-Unis socialistes d'Europe
Offrir une perspective aux militants et sympathisants du PC
Sondages et politique révolutionnaire

A propos de l'urgente et nécessaire défense du marxisme


Brésil : tirer les leçons des quatre exclusions du Parti des Travailleurs et des douze mois de gouvernement Lula

Le 14 décembre 2003, la Direction nationale du Parti des Travailleurs a approuvé les mesures disciplinaires visant les quatre élus qui avaient publiquement dénoncé le projet de contre-réforme libérale défendue par le gouvernement Lula sur les retraites. Trois jours seulement après l'adoption définitive de cette loi anti-ouvrière par le sénat, les député(e)s João Batista Araujo dit " Babá ", João Fontes et Luciana Genro ainsi que la sénatrice Heloísa Helena ont été exclus du PT par 55 voix contre 27.
Le 15 décembre, au lendemain de cette purge des " radicaux " du parti, la direction du Fonds monétaire international ratifiait le prolongement de quinze mois de l'emprunt de 30,4 milliards de dollars négocié avec le Brésil en septembre 2002, et que Lula s'était, par écrit, engagé à honorer, avant même sa victoire à l'élection présidentielle. Pure coïncidence ? Sûrement. Le geste du FMI n'en fait pas moins sens. Il témoigne des relations de confiance nouées par le PT avec les institutions financières internationales sur le dos du prolétariat des villes et des campagnes.
Les représentants du FMI et de la Banque mondiale ne peuvent, en effet, que saluer le remplacement de Fernando Henrique Cardoso par Luiz Inacio " Lula " da Silva à la tête du Brésil le 1er janvier 2003 : l'ancien métallo et son équipe ont réussi à imposer, en douze mois, trois réformes auxquelles le Fonds tenait particulièrement : celle des retraites, de la sécurité sociale et de la fiscalité. De surcroît, la direction " pétiste " a imposé l'austérité. Le gouvernement Lula devait dégager un excédent budgétaire permettant de régler les intérêts de la dette publique s'il voulait toucher les 80 % restant du prêt accordé par le FMI. Il fallait que le Brésil comptabilise un solde primaire de 3,75 % du PIB en 2003. Au cours des neuf premiers mois de l'année, son excédent budgétaire dépasse les 5 %… Inversement, la réforme agraire et l'opération " Faim zéro " qui figuraient parmi les priorités " sociales " du nouveau pouvoir accouchent d'une souris faute de crédit.
Les quatre exclusions sont en cohérence avec le ralliement du gouvernement Lula et de la direction du PT aux diktats du FMI et de la Banque mondiale. Nul ne peut s'en étonner. Et aucun courant révolutionnaire ne peut s'affranchir d'un débat public sur la situation au Brésil un an après la victoire " pétiste ".
Le président du PT, José Genoino, a invoqué le 14 décembre " Un intolérable manque de respect à la discipline du parti " pour justifier les sanctions. Se soumettre ou se démettre : le message est explicite. D'autres exclusions pourraient donc suivre… Les quatre pourraient ne pas être les derniers. Ce faisant, José Genoino révèle implicitement l'élément principal que l'on oublie trop facilement : sur les quatre-vingt-dix parlementaires " radicaux " que compte le PT, seuls quatre sont inquiétés. Et pour cause : l'écrasante majorité d'entre eux, à la différence de Babá, João, Luciana et Heloísa, ont justement respecté " la discipline du parti " et se sont résolus à voter, dans les deux chambres, avec les partis de droite, les projets gouvernementaux. C'est notamment le cas de parlementaires de la tendance Démocratie socialiste, courant lié à la Quatrième internationale et à la LCR, dont un des dirigeants, Miguel Rosseto, participe au gouvernement.
La position de DS était déjà intenable il y a un an, alors que le candidat du PT à la Présidentielle misait sur un compromis avec les représentants des couches les plus réactionnaires de la bourgeoisie brésilienne plutôt que de s'en remettre à la mobilisation des masses. Aujourd'hui, les camarades doivent se rendre à l'évidence : on ne peut être solidaire du gouvernement Lula et lutter aux côtés de ceux qui en combattent la politique. Le débat sur " les deux âmes du gouvernement Lula " est tranché, et ce, plutôt deux fois qu'une. Si une contradiction existe bel et bien au Brésil, elle ne traverse pas un gouvernement dont les intentions ne faisaient aucun doute avant même sa constitution. La contradiction se situe entre les aspirations de ceux qui ont porté Lula au pouvoir et la politique anti-sociale d'ajustement structurel commandée par le FMI et la Banque mondiale que le PT et de ses alliés défendent. C'est aux côtés des masses qu'il faut se ranger, sans redouter que la nécessaire rupture politique avec Lula s'accompagne d'une rupture organisationnelle avec le PT.
Déjà, des militants du Parti des Travailleurs, pour une part issue de Démocratie socialiste, ont annoncé qu'ils " n'acceptent pas de rester une minute de plus dans le parti ". Des dirigeants historiques appellent également à la création d'un nouveau parti. Il faut se tourner vers eux, miser sur l'effet d'entraînement que cela pourrait avoir, sans craindre les risques de la marginalisation qui pourrait en découler dans un premier temps. Il n'y a pas d'alternative. S'engager à la manière de la direction de DS dans une bataille démocratique pour obtenir la réintégration de Heloísa Helena est vain. C'est de plus faire peu de cas des député(e)s João Batista Araujo, João Fontes et Luciana Genro également exclus. " L'expulsion de la camarade Heloísa Helena, membre de la Direction nationale du PT et de sa Commission exécutive, est la plus absurde ", estime DS dans une déclaration le 15 décembre. À nos yeux, les quatre exclusions sont condamnables, sans distinction ni hiérarchie. Ce qui est absurde, c'est d'instiller l'idée que certaines seraient plus légitimes que d'autres, c'est de laisser croire que la décision de la Direction nationale du PT n'est pas cohérente avec la politique conduite ces douze derniers mois par le gouvernement Lula.
L'expulsion de parlementaires qui défendent les positions historiques du Parti des Travailleurs, y compris les positions adoptées lors de la dernière Rencontre nationale (congrès) réalisée en décembre 2001, qui refusent les changements d'orientation politique qui n'ont jamais été amplement débattues au sein du parti, n'a pas de légitimité démocratique ", surenchérit DS. Le temps n'est plus à faire la démonstration des renoncements de la direction du PT, moins encore après un vote " légitime " au Parlement engageant les élus de DS comme les autres. Chercher à convaincre Lula et le PT de changer leur politique revient à nier ce qui l'a motivée, à s'illusionner sur la possibilité d'une autre voie que celle de la rupture avec la bourgeoisie. L'évolution du Parti des Travailleurs s'assimile à la trajectoire de toutes les organisations réformistes ; le PT a connu une transformation accélérée faute de marges de manœuvres économiques suffisantes pour entretenir l'illusion sur laquelle ont longtemps prospéré les sociaux-démocrates et leurs alliés staliniens un peu partout sur la planète au XXe siècle.
L'heure est à la création d'un cadre militant pouvant armer la classe ouvrière face à la politique de Lula, un outil qui assure l'indépendance de classe du mouvement ouvrier brésilien. Unifier l'action des masses autour d'un plan d'urgence : c'est l'unique perspective pour toutes celles et ceux qui n'entendent pas que Lula finisse le travail de Cardoso. La leçon vaut pour ici aussi. Et plus encore au moment où l'extrême gauche rencontre un écho grandissant.
Les militants du mouvement ouvrier doivent veiller à préserver leur indépendance de classe, leur liberté d'action. L'intégration progressive du PT à l'appareil d'État brésilien nous le rappelle, comme sa volonté de soumettre les consciences des militants ouvriers qui, au péril de leur vie, avaient participé avec Lula sous la dictature militaire à la construction d'un parti indépendant qui l'a accompagné.
Serge Godard


Feue la " constitution " européenne
Vivent les Etats-Unis socialistes d'Europe

C'est une fin sans gloire qu'a connue la " constitution européenne " de Giscard le 13 décembre dernier, lors du sommet européen de Bruxelles. Berlusconi, qui se faisait fort de conclure l'affaire avant la fin de la présidence italienne n'a pu que passer le relais au Premier ministre irlandais, lequel s'est empressé de déclarer qu'il ne relancerait pas les négociations officielles avant mars 2004.
Cet avortement a été entouré d'un silence aussi assourdissant qu'avaient été tonitruantes les déclarations faisant de l'élaboration du projet de " constitution " un véritable événement historique, acte fondateur d'une Europe politique. Certains ne s'étaient pas épargné le ridicule de comparer la Convention présidée par Giscard à la Convention de Philadelphie qui, en 1776, avait donné naissance à la constitution des Etats-Unis. Ce fut, en fin de compte, pour le vieux routier de la Vème République un canular presque aussi réussi que son entrée à l'Académie française.
Exit donc la " Constitution ". Exit, du même coup, un éventuel réferendum, dont comptaient se servir non seulement les démagogues nationalistes à la de Villiers ou Le Pen, mais également les dirigeants du PC ou des minorités du PS, qui espéraient par une campagne en faveur du " non ", se donner une image d'opposants à une politique -menée aujourd'hui par la droite, hier par le PS- qu'ils avaient soutenue, et pour certains même, mise en œuvre au gouvernement.

Un auto-effondrement qui remet les problèmes à leur vraie place
Le gouvernement Raffarin, comme les dirigeants du PS qui soutenaient le projet de constitution, sont partagés, semble-t-il, entre soulagement et embarras. Ils savent bien, en effet, que le " non " aurait eu de grandes chances d'être majoritaire, les " non " exprimant le mécontentement contre la politique du gouvernement et le sentiment que cette Europe est synonyme de régression sociale s'ajoutant aux " non " des souverainistes. D'un autre côté, l'issue ridicule qu'a trouvée l'élaboration de cette soi-disant " constitution " ruine leur tentative de masquer la véritable nature de la construction européenne par un emballage institutionnel plus légitime aux yeux des populations. Au point même que certains, comme Strauss-Kahn, qui avait exprimé dans une tribune publiée par Le Monde et cosignée par Martine Aubry et Delanoë, son enthousiasme pour le travail de la Convention, a créé la surprise, récemment, en se prononçant pour une Constituante… que serait le nouveau Parlement européen élu en juin 2004 !
Quant à ceux, à gauche, qui criaient à la catastrophe alors même qu'ils avaient approuvé et soutenu aussi bien le traité d'Amsterdam que toutes les décisions et projets des sommets européens lorsqu'ils participaient au gouvernement Jospin, ils sont ramenés à la réalité de leur positionnement sur la scène politique française, qu'ils ont illustré au printemps dernier par leur absence du mouvement contre la loi Fillon sur les retraites et la décentralisation.
Les dirigeants européens n'ont pas besoin de cette " constitution " pour mener une politique catastrophique pour la population. En témoignent suffisamment les dernières mesures du gouvernement français contre les chômeurs ou la série de réformes que Schröder faisait voter par les députés allemands la semaine qui a suivi le sommet de Bruxelles.
Nous ne pouvons bien entendu que dénoncer cette pseudo-constitution, son caractère anti-démocratique, mais nous ne pouvons le faire indépendamment d'un programme de luttes traçant la perspective d'une Europe des travailleurs sous peine de donner du crédit à tous ceux qui se servent de cette bataille à des fins démagogiques, pour faire oublier leur soutien à la politique de la bourgeoisie.

Une nouvelle crise, expression des contradictions de la construction européenne
" Convention ", " constitution ", ces mots grandiloquents ne peuvent cacher la réalité beaucoup plus pragmatique de la construction européenne.
Il ne s'agissait pas pour les bourgeoisies européennes, de créer un Etat européen - les Quinze rechignent même à doter le budget de l'UE de plus de 1% de leur PIB -, tout au plus de bricoler un montage institutionnel qui permette à une Union européenne, élargie à 25 membres, de fonctionner, et au passage, de tenter de créer l'illusion que cette construction serait autre chose qu'un compromis entre les intérêts nationaux de chacune et la coopération à laquelle les contraint la concurrence exacerbée par la mondialisation capitaliste. Une coopération qui a pour objectif de baisser le coût du travail des salariés vivant en Europe, de réduire les dépenses de l'Etat " improductives " comme de peser sur la scène mondiale afin d'y défendre ou gagner des positions pour les trusts d'Europe.
Aucune des bourgeoisies européennes n'entend sacrifier ses intérêts nationaux, c'est-à-dire les privilèges que lui permettent de défendre son Etat et les frontières nationales. Mais aucune, en même temps, n'est de taille, seule, à affronter des rivaux beaucoup plus puissants, en particulier les Etats-Unis. Ces derniers entendent bien, de leur côté, empêcher l'émergence d'une véritable Europe politique, qui constituerait une menace pour leur hégémonie
Ce sont ces contradictions, inhérentes à la construction européenne, qui sont à l'origine des crises qui ont ponctué son existence depuis ses origines.
A Bruxelles, le 13 décembre, aucun compromis n'a pu être trouvé entre les pays -l'Espagne et la Pologne- qui refusaient le nouveau mode de calcul de la majorité et de composition de la Commission européenne, et ceux qui, comme la France, repoussaient toute négociation sur le traité Giscard. En l'absence d'autre traité institutionnel, c'est le traité de Nice, conclu en 2000, qui devrait s'appliquer jusqu'en 2009, si aucune autre solution n'est trouvée d'ici là.
Par contre, les Vingt-Cinq réunis à Bruxelles ont approuvé un nouveau pas dans la construction de la Défense européenne, la mise en place par un noyau de pays constitué autour de la France, l'Allemagne et la Grande-Bretagne, d'une " cellule de planification des opérations " - un QG militaire -, doté d'une certaine autonomie par rapport à l'Otan. C'est d'ailleurs vers la multiplication de ces " coopérations renforcées ", c'est-à-dire la coopération de quelques Etats " pionniers " dans certains domaines que semble s'orienter en particulier le " couple franco-allemand ". Serait ainsi consacrée la prééminence des " poids lourds de l'Europe " au détriment des pays dont le poids est plus faible.
Mais même la pseudo-constitution de Giscard, plus exactement le montage institutionnel bricolé par la Convention n'aurait pas davantage permis de résoudre ces contradictions et d'éviter des crises qui seront d'autant plus fréquentes et aiguës que l'Union européenne s'élargit à 25 membres et que l'essoufflement d'une économie mondiale asphyxiée par l'endettement renforce les exigences des actionnaires des trusts et de la finance en matière de rentabilisation du travail.

Défendre une perspective internationaliste
La construction européenne, pour aussi chaotique qu'elle soit, obéit à une tendance forte de l'économie capitaliste et, plus fondamentalement, de l'évolution de la société, l'extension de la production et de la distribution des richesses au-delà du cadre trop étroit des frontières nationales, leur internationalisation.
Mais les bourgeoisies s'efforcent de concilier cette tendance qui s'impose à elles, en particulier du fait de l'agressivité du capital américain, avec le maintien de frontières et d'Etats nationaux qui protègent leurs privilèges de classes possédantes.
Le mouvement ouvrier n'a pas à craindre la crise inévitable et chronique de l'Europe capitaliste mais bien plutôt à se donner les moyens d'y intervenir pour tracer la perspective d'une autre Europe. Il s'agit d'aider les travailleurs à prendre conscience de leurs intérêts, de leurs droits, pour les imposer par-delà les frontières, d'opposer aux projets de leurs bourgeoisies un autre projet, celui d'une Europe démocratique des travailleurs et des peuples.
Constitution ou pas, nous rejetons cette Europe en tant qu'elle est un des instruments des classes possédantes contre les travailleurs et les peuples d'Europe et du monde. Nous militons pour une coopération égalitaire et démocratique entre les peuples, c'est-à-dire une fédération de Républiques socialistes, sans pour autant vouloir, à l'étape actuelle, opposer une constitution, qui ne pourrait être qu'une abstraction, aux montages institutionnels des gouvernements européens destinés à concilier libéralisme économique et intérêt national de leur bourgeoisie. La constitution des Etats Unis socialistes d'Europe, ce seront les luttes qui l'écriront.
Par contre, dès maintenant, nous saisissons toutes les occasions pour œuvrer à l'union de tous les travailleurs, les exploités, par-delà les frontières. En ce sens, nous nous félicitons que la construction européenne prépare le terrain pour un rapprochement entre tous les salariés d'Europe, élargisse l'arène de leurs luttes.
La crise que connaît l'Europe des multinationales contribue à créer, tant à l'échelle européenne qu'à l'échelle nationale, les conditions de l'émergence d'une force politique qui ait la volonté d'armer les luttes d'un véritable programme d'urgence, de revendications exprimant les besoins des travailleurs et des populations, dont la satisfaction exige de s'attaquer à la propriété capitaliste et de placer sous leur contrôle les grandes entreprises, les banques, les sociétés financières, l'ensemble de l'économie.
C'est un tel programme que défendront les listes LCR-LO aux élections européennes de juin prochain, un programme de luttes lié à une perspective internationaliste, de transformation révolutionnaire de la société, et qui, de fait, constituera un pas en avant dans la construction d'un parti des travailleurs, révolutionnaire et internationaliste.
Galia Trépère


Offrir une perspective aux militants et sympathisants du PC

Dans les différentes régions, les militants du PCF sont appelés, ces jours-ci à se prononcer sur les élections régionales de mars prochain. Mais quelle que soit la configuration retenue (alliance avec le PS dès le premier tour ou liste PCF au 1er tour et désistement au second pour le PS), l'objectif politique fixé par M. G. Buffet est de " faire gagner la gauche ". Le reste c'est, pour la direction, une affaire de tactique électorale : comment sauver le maximum de sièges (en incluant les cantonales et les rapports de forces locaux). Calculs qui risquent bien de se révéler plus désastreux les uns que les autres tant l'espace politique pour le PCF est devenu inexistant. En même temps, les débats reflètent le désarroi des militants.
D'après les résultats actuellement connus, dans la plupart des régions, le PCF ira dès le 1er tour sur des listes où le PS lui laissera une place. C'est la logique d'un appareil qui survit grâce aux financements de ses élus et qui ne présente aucune alternative politique indépendante du PS. Dans trois régions, Nord-Pas de Calais, Picardie et Ile de France, le PCF fera en mars des listes propres. Ces régions représentent 45 % des adhérents du parti, dont bon nombre n'ont pas digéré l'expérience de la " gauche plurielle ". En Ile de France, c'est à plus de 82 % qu'ils ont voté pour des listes indépendantes, " identitaires ".
Qu'est-ce donc que l'identité du PCF ? L'intitulé de la liste en Ile de France sera " rassemblement anti-libéral " ? D'après les déclarations de M.G. Buffet, l'identité communiste, c'est d'abord une démarche, le parti organisant des forums pour que les " vrais gens " fassent " émerger " les propositions ! Toujours d'après M.G. Buffet, ces forums auraient réuni 20 000 personnes et tous les partis de gauche. On peut douter du réalisme des chiffres, en Seine-Saint-Denis, par exemple, le forum départemental a rassemblé environ 250 personnes, venus écouter la brochette des représentants de l'ex-gauche plurielle taper sur la droite, et l'extrême gauche. Dans l'Humanité, M.G. Buffet présente ainsi la liste : " Beaucoup d'entre eux (des électeurs) attendent que des voix s'élèvent pour dire " la gauche mollassonne, ça suffit ". Ils en ont assez de cette gauche qui ne tire pas les enseignements du 21 avril, ils ne veulent pas non plus du sectarisme de l'alliance LO-LCR qui a déjà fermé toutes les portes. Ils ont envie d'une dynamique qui porte des avancées démocratiques (…) ". Autre déclaration, le rôle du PCF serait de " révolutionner la gauche ", ce qui manque totalement de crédibilité : quand le PCF était une force militante et électorale supérieure au PS, il a été incapable de faire autre chose que de désespérer ses militants en s'alignant sur la politique du PS. On a du mal à voir comment dans le rapport de force actuel il pourrait en être autrement.
Ce qui ne figure absolument pas dans les discours de la direction du PCF, c'est la mobilisation du printemps dernier contre la politique du gouvernement Raffarin. Sur le bilan du mouvement, le PCF n'a rien à dire, comme d'ailleurs il n'avait rien à proposer pour construire la mobilisation. Et on peut en dire autant pour le regroupement pour une " initiative citoyenne " initiée par P. Braouezec qui prétend pourtant se situer dans la perspective de construire une " alternative anticapitaliste " qui réponde aux besoins sociaux. Ce regroupement qui, en Ile de France, a pesé pour une initiative indépendante du PCF, se retrouve aujourd'hui pris à contre-pied par la décision de Buffet de conduire la liste PCF. L'autre ancien ministre de Jospin, M. Duffour explique : " Il ne s'agit pas pour nous d'être dans une situation où nous coopterions des personnes qui viendraient se rassembler autour du PCF, mais d'être dans une coconstruction pour bâtir une liste ". Cette initiative n'a finalement pas réussi à regrouper de manière significative des représentants du mouvement social, à part Claire Villiers et les Alternatifs, en tout cas pas ce qui était la cible de Braouezec : des militants ou sympathisants de la LCR rejetant l'accord avec LO. Elle risque donc de faire long feu, car il n'est pas question pour M.G. Buffet dans cette configuration de céder la tête de liste à un non PCF, s'appuyant d'ailleurs sur un réflexe identitaire des militants partisans d'une liste indépendante du PS.
Autant de tensions et sources de conflits, plus ou moins latents (cf. le dernier Conseil National qui a du être interrompu, partisans de Hue et d'une nouvelle union de la gauche, partisans d'une liste identitaire du PCF et amis de Braouezec ont failli en venir aux mains, se traitant de " cocus " et autres noms d'oiseaux aussi politiques) qui ne manqueront pas d'éclater lorsqu'il faudra faire le bilan des élections et qui pourraient bien tourner au dépôt de bilan. En effet pour le PCF, il n'y a, malgré leurs déclarations, pas d'autre alternative que le ralliement à la politique social-libérale du PS même si sa direction cherche aujourd'hui, sans doute en vain, à créer un rapport de force qui lui soit plus favorable.
Pour les militants et les proches du PC, il y a une autre perspective, celle de se regrouper autour d'un plan d'urgence dont les listes LCR-LO se font les porte-parole. C'est de cette perspective que nous aurons à discuter avec eux, que nous avons aussi à rendre crédible.
Et c'est bien le débat qui est engagé avec eux, comme avec nos collègues, les travailleurs et les jeunes qui regardent vers l'extrême gauche pour trouver des réponses politiques. A partir des expériences des mobilisations de ces derniers mois (du printemps contre la décentralisation et le plan Fillon, de l'été contre les attaques sur les régimes d'indemnisations des intermittents, des étudiants contre la réforme de l'université à l'automne, des luttes contre les licenciements…), comment dépasser les obstacles du refus des directions syndicales de construire un rapport de force pour aller à la confrontation avec le gouvernement ? Comment surmonter l'habitude du respect de la légalité parlementaire ? Comment construire des structures d'organisation et de coordination de ceux qui veulent aller jusqu'au bout de la lutte pour inverser le rapport de force avec le gouvernement et le patronat ? Bref, comment renouer avec des réflexes de luttes de classes annihilés et dévoyés par l'ex-gauche plurielle sous toutes ses moutures dans des illusions électoralistes ? Les réponses à construire collectivement ont également besoin d'un cadre de débat, de confrontation et d'expérimentation, d'une nouvelle force politique.
L'un des enjeux des campagnes à venir pour l'extrême gauche, c'est d'apparaître comme un cadre politique et humain que les militants du PCF et d'autres puissent envisager de rejoindre pour préparer les luttes nécessaires. C'est ce qui peut éviter aussi que les militants du PCF en plein désarroi aujourd'hui ne cèdent demain au désespoir.
Isabelle Cazaux

Sondages et politique révolutionnaire

Dans son numéro du 30 novembre, sous le titre : " L'extrême gauche s'impose comme une force de renouvellement ", Le Monde publiait le commentaire d'une enquête Le Monde-Cecop-CSA, portant sur la façon dont l'opinion publique perçoit l'extrême gauche (LO-LCR).
Dès le titre, les auteurs prennent acte du fait que l'extrême gauche constitue désormais une force politique incontournable. C'est que l'accord électoral LO-LCR existe bel et bien, et les résultats du sondage confirment que cette force politique constitue, pour une fraction importante de la population, un moyen de contester la société, d'exprimer sa révolte, son désir de réformes, et qu'elle peut obtenir un score électoral non négligeable, des élus. C'est, effectivement, une réalité qui " s'impose " à tous, les réactions des dirigeants du PS ou du PC sont là pour le confirmer.
En même temps, l'article du Monde montre à ses lecteurs comment on peut s'accommoder de cette réalité dérangeante. Les auteurs insistent sur l'idée que le succès relatif de l'extrême gauche viendrait de ce qu'elle n'est perçue comme " révolutionnaire " que par 11 % des sondés, alors que 41 % la trouvent " contestataire " et 19 % " réformiste ". Même ses militants seraient plus " réformistes " que " révolutionnaires ". Et de citer, à l'appui de ce propos, une phrase prononcée par Olivier Besancenot dans un débat télévisé : " je suis tellement réformiste que je suis révolutionnaire "…
Les auteurs interprètent la situation de l'extrême gauche et les résultats du sondage selon la perception qu'ils ont du " jeu politique ", celui du parlementarisme bourgeois. S'ils ne formulent pas explicitement les conclusions qui découlent de la logique de leur article, le cadre est posé : l'extrême gauche devient incontournable, mais si on peut la considérer comme plus contestataire ou réformiste que révolutionnaire, cela n'est pas bien grave, elle s'intégrera au jeu politique de la démocratie parlementaire…
Sur le terrain électoral, les résultats de ce sondage paraissent encourageants, laissent penser que nos scores électoraux seront bons. C'est possible, mais cela n'a rien d'automatique. Les sondages sont une image à un moment donné d'une " opinion publique " standardisée, en dehors du temps et de toute relation militante. Cette image laisse entrevoir une possibilité, mais les résultats des élections dépendront pour une part de notre capacité à répondre, à travers notre campagne, aux aspirations réelles, et non supposées, de tous ceux qui, aujourd'hui, manifestent leur intérêt pour les listes LO-LCR. Ils dépendront aussi et surtout du choix des électeurs. Nous verrons, mais, pour les révolutionnaires, l'essentiel est la campagne pour défendre les idées et revendications du monde du travail.
Et, si des sondages comme ceux qui sont commentés par l'article du Monde peuvent avoir leur utilité, faut-il prendre le recul nécessaire pour les analyser avec notre propre regard et les confronter à toutes les informations qui nous viennent de nos relations militantes et des analyses que nous avons pu faire de la situation politique et sociale actuelle.
La façon dont les journalistes du Monde interprètent les résultats de leur enquête autour des idées de " réforme " ou " révolution " reflète la conception, dogmatique et simpliste, qu'ils se font des " révolutionnaires ". Pour eux, ces résultats sont le signe que les gens qui regardent vers l'extrême gauche, voire ses propres militants, ne sont pas vraiment pour la " révolution ", qu'ils ne croient pas au " grand soi ". Et s'ils sont pour des réformes, cela ne peut être que sur le terrain du " réformisme ", c'est-à-dire du parlementarisme bourgeois de gauche, et donc pas de la révolution.
Les choses sont bien différentes. On ne voit pas comment pourrait s'exprimer, autrement que sous forme d'un désir de réformes, c'est-à-dire d'un changement de leurs conditions de vie, le besoin pour des millions de salariés et de chômeurs de mettre fin à des situations insupportables. Oui, il faut des réformes radicales, qui soient capables de mettre fin à la dégradation continue de nos conditions de vie. C'est cela que veulent les travailleurs, et c'est normal.
Ces réformes, ce sont justement celles qui sont formulées dans le plan d'urgence démocratique et social qui constitue le fond de la profession de foi de nos listes communes. Ce plan d'urgence exprime, d'une façon concrète, les aspirations, les besoins des travailleurs, des jeunes, des femmes, des exclus, telles que nous pouvons les mesurer tous les jours, à travers nos propres organismes de sondage, c'est-à-dire nos relations militantes, notre propre vie de salariés.
Ce plan d'urgence n'est pas un programme de réformes pour un gouvernement auquel nous pourrions participer dans le cadre de la société actuelle, à condition d'avoir assez de voix. Il n'est pas non plus un programme que nous pourrons appliquer un beau jour, après la " révolution ". Il est un programme pour les luttes d'aujourd'hui.
Nous sommes révolutionnaires parce que nous savons que nous n'obtiendrons les réformes indispensables à changer notre vie qu'en les arrachant à la bourgeoisie et à son Etat, sur le terrain de la lutte des classes, et que nous devrons être prêts à conduire cette lutte jusqu'au bout, jusqu'à " révolutionner " la société, autrement dit jusqu'à mettre fin à la domination de la bourgeoisie. Oui, pour paraphraser Olivier, nous sommes tellement pour les réformes que nous nous préparons mener la lutte pour ces réformes jusqu'à leur ultime conséquence, jusqu'à la révolution.
C'est dans ce cadre général, les idées du marxisme sur la révolution, que nous abordons nos tâches pour la période de campagne électorale qui s'ouvre devant nous, pour répondre aux exigences et aux possibilités de la situation politique et sociale actuelle.
Et permettre que les possibilités, dont les sondages se font de manière déformée le reflet, deviennent une réalité politique, suppose que nos listes apparaissent porteuses d'un projet politique radicalement nouveau.
Dans la conscience de bien des travailleurs, le stade de la rupture avec les organisations politiques (PS, PC) et syndicales est dépassé. La question qui est à l'ordre du jour désormais, pour bien des travailleurs, qui a été très concrètement posée par le mouvement de mai-juin, c'est de savoir comment s'organiser pour mener les luttes nécessaires aussi bien à déjouer les attaques du gouvernement et du patronat qu'à imposer nos propres revendications.
Cela donne un contenu très concret à la " nouvelle force " et à la façon de contribuer à la construire. La campagne électorale, s'appuyant sur le protocole d'accord, sur les professions de foi, peut être l'occasion de proposer largement autour de nous le regroupement de tous les travailleurs qui prennent au sérieux les revendications portées par le plan d'urgence, qui veulent mener la lutte des classes, au sein d'un parti ouvert, démocratique, et, nécessairement, révolutionnaire.
Eric Lemel

A propos de l'urgente et nécessaire défense du marxisme

Bien des militants du mouvement social ne comprennent pas aujourd'hui la nécessité pour les travailleurs de posséder leur propre philosophie sociale et politique indépendante de celle des classes dominantes pour se donner leur propre parti.
Le renouveau des luttes est d'une certaine façon paralysé par cette dilution des idées de la lutte de classe conséquences du long recul du mouvement ouvrier sur le plan politique et théorique au cours des années de domination de la social-démocratie et du stalinisme. Pour bien des militants, ce recul n'apparaît pas comme tel, voire même les idées du mouvement ouvrier leur sont tellement apparues comme les idées du reniement ou des capitulations réformistes puis social-libérales qu'ils les rejettent comme des idéologies de politiciens sans scrupules.
Et ainsi, nombreux sont ceux qui se réfugient dans le syndicalisme, la lutte de classe au quotidien, se détournent de la politique. Au mieux, ils donnent spontanément aux idées d'émancipation le contenu de l'anarcho-syndicalisme.
Dans le même temps, le mouvement du printemps en a été la démonstration, ils se heurtent aux limites évidentes de cette attitude : la question sociale est bien aujourd'hui une question politique, la question politique essentielle.
La nécessité d'une théorie qui fasse le lien entre les deux questions, qui permettent d'aborder la question sociale dans sa globalité, c'est-à-dire du point de vue politique, se pose donc de fait très concrètement.
Cette théorie est le marxisme.

Recul social et reculs politique et théorique
Ce fait qui s'inscrit comme une évidence en filigrane de toute l'histoire du mouvement ouvrier se heurte aujourd'hui à bien des questions. Le marxisme n'est-il pas une idéologie condamnée par l'histoire, une utopie irréalisable parce qu'elle se heurte à la nature humaine ? Le collectivisme ne conduit-il pas au totalitarisme ? Ce retour à Marx n'est-il pas qu'une nostalgie soixanthuitarde archaïque de marginaux qui n'acceptent pas leur échec ? N'est-il pas un refus de la modernité pour défendre une prophétie devenue religieuse ?
Nos adversaires ne ménagent pas leurs attaques en prenant, si l'on peut dire, arguments des échecs et défaites passés. La forme caricaturale qu'a donné le stalinisme au marxisme alimente les doutes ou les hostilités. La difficulté que rencontrent les révolutionnaires pour redonner au marxisme sa force de contestation sociale, d'esprit subversif, de théorie de la lutte de classe, prive souvent leur réponse d'audace. Souvent trop formalistes, moralistes ou sectaires, parfois trop adaptées aux rapports de force défavorable, nos idées ont du mal à trouver le chemin des travailleurs et des jeunes malgré une politisation et une envie de lutter nouvelles.
Il ne manque pas d'intellectuels universitaires qui eux-mêmes reconnaissent l'actualité de la pertinence des analyses de Marx, leur modernité, pour décrire et expliquer la mondialisation financière et impérialiste. La méthode serait bonne à condition bien sûr de lui enlever son tranchant révolutionnaire, politique, social et aussi philosophique, le matérialisme. Leur marxisme reste par trop académique pour convaincre, entraîner ou donner des armes pour la lutte de classe.
Il est cependant évident qu'une des leçons essentielles des années de recul dont commence à sortir le mouvement ouvrier est bien la nécessité d'armer les travailleurs d'une philosophie de classe qui leur permettent de penser leurs propres intérêts en toute indépendance de l'idéologie et de la morale des classes dominantes comme de ses arguments économiques ou techniques.
Pour mener son combat, les travailleurs doivent avoir l'esprit libre des préjugés bourgeois, une claire conscience de classe qui se nourrit d'une compréhension globale de la société, de son histoire et de son avenir.
Sinon dominé politiquement et moralement par l'adversaire, il ne peut être en position de vaincre même partiellement.
Le marxisme n'est ni une utopie archaïque ni une simple science économique, il est bien plus que cela et c'est bien pourquoi il reste cette philosophie, cette conception globale du monde, la plus moderne, révolutionnaire au sens où elle saisit les contradictions et les forces porteuses d'avenir pour la société humaine.

Marx penseur du troisième millénaire ? "
Telle est la question-titre d'un numéro spécial consacré par le Nouvel Observateur à Marx. L'exagération médiatique mise de côté, cette manière de façonner un mythe, Marx prophète, est ridicule et fausse. Cela ne correspond à rien dans la pensée de Marx. Cette caricature vise à construire une image messianique du marxisme pour mieux le combattre en s'appuyant sur les caricatures qu'en on fait les falsificateurs staliniens.
Elle est une façon souriante de perpétuer le mythe d'un marxisme totalitaire
Il convient donc, d'abord, de ramener la théorie à sa juste valeur, sur terre, concrète, au cœur des luttes du mouvement ouvrier.
Ce qui signifie que contribuer à défendre les idées du marxisme nécessite d'écarter tout argument d'autorité qui s'appuie sur une vision morale ou mythique et épargne la réflexion. La paralyse aussi car une pensée qui ne s'est pas mesurée avec l'idéologie dominante, qui n'a pas expérimenté son efficacité pour et dans les luttes est inopérante, dogmatique, figée. Elle n'a pas confiance en elle, elle n'a pas une pleine liberté de manœuvre…
Le marxisme ou si l'on veut la théorie du socialisme et du communisme est " la théorie qui enseigne les conditions de libération du prolétariat " nous dit Engels dans un petit opuscule Qu'est-ce que le communisme ?
Cette définition simple place le marxisme au cœur des luttes et balaie tous les mythes.
C'est en partant de cette définition tournée vers l'action que nous pouvons nous réapproprier le marxisme tout en lui donnant vie à travers la lutte sociale et politique, en le mettant en œuvre pour comprendre l'évolution de la société tant sur le plan scientifique, économique que sociale et en dégager une politique pour les opprimés.
Le marxisme est une philosophie de classe accessible à tout un chacun, d'abord et avant tout destinée aux opprimés. Il ne prend son sens révolutionnaire qu'en tant que telle. Il est la seule façon de réellement faire de la politique autrement, en se dégageant de l'activisme syndical ou politique pour unir les deux dans une même lutte collective d'émancipation des travailleurs par eux-mêmes.

Comment définir le marxisme ?
Théorie qui enseigne les conditions de la libération du prolétariat " nous dit Engels. La définition a l'avantage de tourner le dos aux conceptions dogmatiques ou universitaires pour lui donner son contenu militant, pratique. Elle définit aussi ce qui fait l'unité du marxisme comme théorie des luttes d'émancipation par delà la richesse et la diversité des questions qu'elle aborde, à l'opposé de ceux qui combattent le dogme du marxisme en invoquant " les mille marxismes ". Opposer l'éclectisme au dogmatisme ne peut construire la cohérence de la doctrine. Les deux attitudes restent hors du champ de la lutte sociale et politique concrète.
Ceci dit, cette définition pourrait sembler limiter le marxisme à un aspect étroitement pratique de la lutte de classe, il n'en est rien. Les conditions de libération du prolétariat regroupent inévitablement tous les aspects de la vie sociale dans leurs richesses et diversité. Rien de ce qui est humain ne leur est étranger !
Ceci dit, pour donner à la définition du marxisme son réel contenu, il convient de le situer par rapport aux autres courants de pensée.
Le marxisme s'oppose à toutes les conceptions religieuses ou idéalistes en se situant du point de vue du matérialisme : il considère que ce n'est pas la pensée qui préexiste à la matière mais la matière qui est première, la pensée étant un produit de l'évolution de la matière.
Il est aussi une théorie de l'évolution au sens où il considère que tout est le produit d'une histoire, d'une évolution, rien ne naît de rien et tout se transforme.
Théorie révolutionnaire, elle s'est principalement attachée à développer la théorie matérialiste de l'évolution des sociétés humaines, théorie tournée vers l'action, vers l'avenir, c'est-à-dire vers la tâche de transformation de notre société.
Le marxisme se considère comme une théorie scientifique, non comme une idéologie.
Les idées ne sont pas des constructions plus ou moins artificielles visant à donner une cohérence formelle à une réalité contradictoire et diverse en fonction des intérêts et préjugés de tel ou tel groupe ou classe sociale. Les idées, pour les matérialistes, décrivent la réalité de ce monde dans ses contradictions, pour essayer d'en dégager les possibilités de transformation, les moyens pour agir. Leur preuve est pratique et concrète, empirique, elles se vérifient, évoluent, s'enrichissent dans le travail même de transformation du monde par l'homme.
Ce qui ne signifie pas que le marxisme prétende être la science de tout. Une telle déformation du marxisme relève d'un esprit totalitaire. Le marxisme est serviteur des sciences, il tente de dégager de leurs enseignements une compréhension globale de la place de l'homme dans la nature, de son évolution et des conditions de son émancipation de la société de classe.
Il est en ce sens une philosophie, un humanisme matérialiste et révolutionnaire.
Il est la théorie matérialiste de l'évolution, non au sens où il pense pouvoir apporter des explications à l'évolution en dehors de la science, mais bien plutôt au sens où il tire de ce que nous apprend la science une compréhension plus globale de la place de l'homme.
Il se situe du point de vue révolutionnaire, c'est-à-dire du point de vue des classes opprimées, et peut ainsi intégrer les données de la science en les libérant des interprétations et des préjugés inhérents au point de vue bourgeois.
Ainsi, penser l'émancipation, c'est construire dans la lutte une conception du monde en rupture avec celle qui s'est forgée à travers l'histoire des sociétés de classe, en opposition avec les préjugés sur lesquels elle s'appuie pour lui opposer non quelque dogme ou indignation morale mais les progrès de la connaissance elle-même, des techniques et des sciences.

Une doctrine vivante qui a sa propre histoire
Le marxisme n'est pas un corps d'idées à part, un dogme conçu par quelques clercs et dont certains détiendraient les formules. Il est né de la lutte, dans un même combat philosophique, politique, social et c'est à travers cette lutte qu'il a forgé ses armes, enrichi et élargi sa compréhension du monde. Il tire ses racines dans les faits économiques et sociaux comme dans l'évolution même des idées, il est au cœur du monde et aucun de ces milles ennemis, démocrates ou dictateurs, n'ont pu l'en extirper.
Il est classique de rappeler les trois sources du marxisme :
- La philosophie classique allemande, c'est-à-dire le courant de pensée idéaliste qui intégra dans sa compréhension du monde les bouleversements apportés par la révolution française, l'évolution et son langage, la dialectique.
- L'économie politique anglaise, c'est-à-dire les travaux des économistes comme Adam Smith et Ricardo, qui essayèrent de mettre à nu les mécanismes de l'économie de marché et de l'exploitation capitaliste. Marx s'empara de leurs travaux, pour aller à la racine des problèmes, du point de vue révolutionnaire, décrivant d'autant mieux le rapport d'exploitation qu'il voulait lui tordre le cou.
- Le socialisme français, c'est-à-dire les idées nées de la révolution française une fois qu'elle se fut retournée contre ses acteurs eux-mêmes, le peuple, et qui affirmaient qu'elle était l'avant coureuse d'une révolution bien plus large et bien plus profonde.
Loin d'être des penseurs hors du monde, Marx et Engels plongèrent dans la mêlée des combats de leur temps. Toute leur œuvre est polémique même le monument théorique qu'est Le Capital. Le développement de leur théorie est marqué par les grandes dates des luttes sociales, 1848, 1871… puis le développement des premiers grands partis ouvriers modernes, les partis socialistes.
Marx et Engels disparus, la nouvelle génération de révolutionnaires fit ses armes dans le combat contre le réformisme. " Réforme ou révolution ", le titre d'une brochure de Rosa Luxembourg résume leur combat qu'ils mènent sur le plan politique, social mais aussi économique. L'analyse de l'évolution du capitalisme, au stade de l'impérialisme, est pour eux l'argument essentiel pour affirmer l'actualité de la révolution.
Puis, ce sera la première guerre impérialiste et la première révolution victorieuse, les soviets, la lutte contre le fascisme et le stalinisme, la deuxième guerre mondiale, les luttes de libération nationale…
A travers toutes les grandes luttes du siècle passé, le marxisme a accumulé une large expérience qui est notre propre capital pour faire face aux tâches qui sont devant nous au moment où finissent les longues années de recul.
Mais le marxisme n'est pas seulement enrichi de sa propre histoire, de ses propres combats, il est aussi enrichi de tous les progrès de la science et de la pensée humaine.
Parallèlement au Darwinisme, dont l'origine lui est contemporaine, il a reçu une éclatante confirmation. Ensemble, les deux théories participent de la même révolution philosophique, scientifique, celle de la théorie matérialiste de l'évolution.
L'odyssée de l'espèce " est une donnée universelle devant laquelle sont contraintes de s'incliner toutes les églises, leurs sabres et leurs goupillons… Et elle se poursuit.

Méthode de vérification, la lutte
La validité de la théorie se vérifie dans ses capacités explicatives mais aussi dans ses conclusions et implications pratiques, les deux moments de la démarche étant indissociables. Ils sont deux moments d'une vérification et d'un enrichissement et là encore, l'un ne va pas sans l'autre.
Défendre le marxisme, c'est l'illustrer, le mettre en œuvre dans la pratique militante. Transmettre ses enseignements, c'est se les approprier à travers une confrontation permanente avec la réalité nouvelle.
S'interroger sur les capacités explicatives du marxisme pour savoir dans quelle mesure il constitue un ensemble de données qui permettent de saisir la réalité du monde, pour le comprendre mais aussi pour le transformer, n'est pas une discussion académique. Il s'agit d'un combat politique où la théorie se mesure aux idéologies qui prétendent la combattre, un combat sans compromis qui s'appuie sur toute l'histoire du mouvement ouvrier.
C'est à travers ce combat que se forge une nouvelle conscience révolutionnaire, qu'un nombre croissant de travailleurs s'emparent des idées de leur propre émancipation, leur donnent leur vraie vie, que les volontés se forgent à travers les conflits, qu'elles prennent confiance en elles en reconnaissant chez les autres leurs propres besoins et aspirations.
C'est en éprouvant eux-mêmes à travers leur propre combat l'utilité de la théorie marxiste que les travailleurs peuvent s'en emparer en vérifiant sa validité, sa pertinence de façon pratique et concrète.

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C'est bien parce que le marxisme garde toutes ses capacités explicatives pour l'action, la transformation du monde, qu'il renaît aussi vite que les idéologues bourgeois l'enterrent. Il domine et dépasse les idéologies bourgeoises justifiant les vieux rapports sociaux parce que sa critique est révolutionnaire non au sens d'une utopie mais au sens où elle formule un dépassement du système en partant du système lui-même.
Même pour agir localement, il faut penser globalement pour reprendre la formule des écolos sinon chaque militant est dominé par les tâches immédiates, sans perspectives, sans repère pour formuler une politique indépendante des appareils correspondant aux intérêts généraux des travailleurs. Et c'est à partir des besoins pratiques des militants comme des travailleurs que ces idées peuvent trouver leur chemin vers la conscience du plus grand nombre.
Contrairement à certains préjugés gauchistes, ces idées ne sont en rien des idées élitistes, moralistes, destinées aux minorités éclairées, aux avant-gardes, elles sont bien les idées du monde du travail, de ses luttes, de ses aspirations. Bien au contraire même, le marxisme est la revanche théorique des opprimés à travers laquelle s'opère, pour reprendre l'expression de Marx, l'union de l'humanité pensante et de l'humanité souffrante dans une même lutte pour le bonheur.
Yvan Lemaitre