Débat militant
Lettre publiée par des militants de la LCR
n°44
18 mars 2004

Sommaire :

Face à l'impasse du libéralisme et de l'impérialisme, la montée d'une nouvelle conscience sociale et politique

Lever le voile sur les responsabilités des révolutionnaires
Euro et dollar, les nouveaux rapports de force
18 mars, anniversaire de la commune de Paris, " la forme enfin trouvée de la dictature du prolétariat "…
Histoire et techniques, capitalisme et nouvelle technologie

Face à l'impasse du libéralisme et de l'impérialisme, la montée d'une nouvelle conscience sociale et politique


La série d'attentats qui a frappé, le 11 mars dernier, la population de Madrid, a fait 201 morts et 1500 blessés. Deux ans et six mois, jour pour jour, après les attentats du 11 septembre 2001 aux Etats-Unis, c'est l'Europe, cette fois, qui a été atteinte.
La barbarie engendrée par la " guerre sans limites " annoncée par Bush le 20 septembre 2001 n'épargne plus aucun continent. Cette offensive guerrière alimente le terrorisme, qui frappe aujourd'hui l'Europe, et elle s'étend sans cesse à de nouvelles régions du monde. Enlisés dans le bourbier irakien, les Etats-Unis ont relancé l'offensive en Afghanistan et envoyé tout dernièrement des troupes spéciales au sud de l'Algérie, à la frontière malienne.
Les terroristes ont choisi de frapper la population, des travailleurs, des jeunes, venant des banlieues ouvrières de Madrid, dont beaucoup, sans doute, avaient manifesté l'an dernier leur opposition à la guerre contre l'Irak.
Ce drame qui a frappé le peuple espagnol est révélateur du caractère réactionnaire de la politique des intégristes, de leur volonté de dresser les opprimés les uns contre les autres. Les classes dirigeantes, aux Etats-Unis ou en Europe, mettent en avant ce terrorisme aveugle pour justifier les interventions impérialistes contre les peuples, la mise en place d'un arsenal sécuritaire toujours plus répressif, et prôner l'union sacrée au nom de la " sauvegarde de la démocratie ".
Mais la population espagnole n'est pas tombée dans le piège. Il a fallu quelques heures seulement pour que l'union sacrée qu'espérait le gouvernement Aznar soit brisée et se transforme en déroute. C'est au cours même des manifestations que des militants, des travailleurs, des jeunes, ont désigné les responsables de cette tuerie, les dirigeants de l'Etat espagnol qui s'étaient empressés d'apporter leur appui à Bush pour sa sale guerre contre les peuples d'Irak. Drapeaux, banderoles et slogans des protestations anti-guerre ont été ressortis, et un ministre a dû quitter précipitamment la manifestation. Les cyniques mensonges d'Aznar, désignant l'ETA comme coupable de ces attentats, la rétention des éléments de l'enquête, ont fini par faire basculer l'opinion. C'est un camouflet cinglant qu'a reçu le parti d'Aznar, le Parti populaire, donné jusqu'alors grand favori des élections législatives qui se tenaient le 14.
Le PS a été le bénéficiaire de ce basculement de l'opinion, mais ses dirigeants savent qu'ils ont tout à craindre de cette confirmation de la montée d'une contestation qui s'était déjà massivement exprimée tant dans le mouvement anti-guerre que dans les luttes sociales.
En France, Raffarin, sans doute instruit par les déboires d'Aznar, a beau prétendre à la " transparence ", qu'il dira " toute la vérité ", la politique de son gouvernement n'échappera pas à la sanction annoncée par les derniers sondages. La vérité invoquée par Raffarin à propos des menaces terroristes en France est un nouveau mensonge, une tentative de faire diversion, alors que la vérité sur la politique réactionnaire du gouvernement s'affirme dans la rue, dans les luttes, et que la contestation sociale prend confiance en elle.
Les chercheurs ont maintenu leur journée de mobilisation et de manifestation prévue demain, vendredi 19 mars, à deux jours des élections régionales. Manifestation contre les expulsions et pour le droit à un logement pour tous samedi dernier, en liaison avec les intermittents, manifestation hier des travailleurs sociaux refusant de devenir ces délateurs que veulent faire d'eux les lois sécuritaires de Sarkozy, entrée dans la lutte des futurs professeurs d'Education physique et sportive qui dénoncent la suppression massive des postes dans leur discipline, multiplication des occupations d'écoles ou de collèges par les parents d'élèves et les enseignants dont les manifestations, le 12 mars, aux côtés des chercheurs et rejointes par de nombreux cortèges de lycéens, ont surpris par leur ampleur, manifestation des salariés d'Alstom contre les licenciements à la Courneuve, après celle d'Altadis, STM…
La contestation sociale, surmontant l'obstacle constitué par l'inertie des directions des confédérations syndicales, gagne de nouveaux secteurs, de nouveaux militants, tant parmi les salariés et les jeunes que parmi les militants syndicaux, commence à établir des convergences.
La Bourse de Paris vient d'annoncer cyniquement une augmentation moyenne de 20 % des dividendes versés aux actionnaires du CAC40, voilà la vérité de la politique du gouvernement. Les représentants du patronat comme du gouvernement mentent lorsqu'ils prétendent que licenciements, blocage des salaires, restrictions sur la protection sociale, seraient de l'intérêt collectif. Pendant que l'immense majorité de la population subit la dégradation de ses conditions d'existence, la minorité privilégiée concentre entre ses mains toujours plus des richesses créées par le travail.
C'est cette vérité qui s'impose comme une évidence, aujourd'hui à un nombre croissant de travailleurs et de jeunes, la politique du patronat et du gouvernement, leurs " réformes " n'obéissent qu'à une seule préoccupation, servir toujours mieux les actionnaires des trusts de l'industrie et de la finance, enrichir les plus riches. On solde aujourd'hui les comptes des vingt dernières années de gouvernements de droite ou de gauche, en alternance ou en cohabitation. Face à l'arrogance de la droite au pouvoir, le PS ou ses alliés de la gauche plurielle n'ont aucune autre politique à proposer. Leur campagne, basée sur l'idée du " moindre mal ", a été dirigée essentiellement contre les listes LO-LCR.
En gagnant en indépendance par rapport à la propagande et à l'idéologie du patronat et des partis de gouvernement, cette fermentation sociale traduit l'émergence d'une nouvelle conscience politique, la renforce, l'encourage, la développe.
La campagne des listes LCR-LO autour du plan d'urgence qu'elles défendent dans les élections régionales et des idées de l'internationalisme, de la perspective d'une Europe des travailleurs et des peuples qu'elles porteront demain dans le cadre des élections européennes, aide déjà à sa cristallisation.
Elles apportent la démonstration concrète et pratique que commencent à se regrouper, s'unir les militants des luttes et de leur convergence. Elles sont, dans les faits, cette nouvelle force qui tire le bilan de la faillite du capitalisme et des solutions réformistes, l'ébauche d'un parti des travailleurs.
Et il est important d'agir pour que le maximum de voix se porte sur elles. Ce sera un camouflet pour toutes les politiques au service du libéralisme et de l'impérialisme, un encouragement pour les luttes.

Galia Tépère


Lever le voile sur les responsabilités des révolutionnaires

Tous les médias se sont fait l'écho des divisions qui ont marqué la manifestation en faveur des droits des femmes le 6 mars à Paris. En cause : le voile.
Le Collectif national pour les droits des femmes (CNDF) a préféré privilégier la lutte " contre la politique de régression sociale du gouvernement ". Maya Surduts, porte-parole du collectif, a résumé la démarche approuvée par 80 associations, partis et syndicats dont notre organisation la Ligue communiste révolutionnaire : " Nous dénonçons le voile, mais il n'est pas notre unique préoccupation. Les femmes sont les premières victimes des attaques sociales du gouvernement. "
L'association Ni putes ni soumises (NPNS) ne s'est pas ralliée à l'appel unitaire, regrettant que celui-ci ne se prononçait pas clairement sur la loi interdisant les signes religieux à l'école. Sa présidente, Fadela Amara, a explicité le désaccord avec le CNDF : " Aujourd'hui, la priorité, c'est de défendre les valeurs de la République laïque, ce n'est pas de se positionner contre le gouvernement. "
La position de Lutte ouvrière rompant avec le collectif pour appeler à manifester dans le cortège de NPNS en privilégiant la lutte contre le voile a apporté sa caution au front républicain auquel la direction de NPNS a cru bon de se rallier.
Le front unique nécessaire contre tous les intégrismes ne justifie pas une telle position. Elle ne saurait non plus trouver de justifications dans le fait qu'au nom de la lutte contre le racisme et l'exclusion, des militants d'extrême gauche puissent s'allier avec des courants étrangers aux luttes démocratiques et progressistes, à commencer par des groupes se réclamant de l'islam politique et qui promeuvent le port du voile.
Le front unique contre les intégrismes, contre la régression sociale et pour les droits des femmes, a pour condition que nous restions pleinement libres de manifester sous nos propres mots d'ordre.

Les ambiguïtés de Ni putes ni soumises dont se satisfait Lutte ouvrière
Seules les NPNS avaient un langage clair sur le voile ", estiment Arlette Laguiller et LO. L'affirmation mérite d'être précisée ! Car si effectivement NPNS dénonçait explicitement le port du voile, elle défendait aussi la politique gouvernementale en la matière… Il n'est d'ailleurs pas anodin que Nicole Guedj, secrétaire d'État aux programmes immobiliers de la justice dans l'équipe Raffarin et Corinne Lepage, ministre de l'Écologie sous Juppé, trouvent leur place dans le cortège de Ni putes ni soumises. Cette présence anecdotique numériquement l'est moins politiquement, car elle révèle le front républicain que la décision de Jacques Chirac, le 17 décembre 2003, d'interdire les signes religieux à l'école cherchait à imposer.
Etre pleinement solidaire de la lutte de NPNS, c'est aussi critiquer très clairement leur opportunisme politique. Et on ne peut que regretter que LO qui, dans l'entre-deux tour de la présidentielle en 2002, avait su dénoncer le front républicain, ait cru bon de rompre avec le collectif pour apporter un soutien inconditionnel à NPNS. Pourtant les prises de position de Fadela Amara et de son association sont largement connues, comme ses liens avec SOS Racisme, Julien Dray et Malek Boutih dont la sympathie pour Nicolas Sarkozy se répand dans les médias depuis des mois. Cette connivence est un facteur non négligeable d'affaiblissement, et doit être critiquée publiquement comme telle : on ne peut contester sérieusement l'influence des islamistes dans les quartiers les plus défavorisés si l'on ne rompt pas clairement avec la politique sécuritaire et antisociale du pouvoir.
De surcroît, l'ambiguïté de LO vis-à-vis de NPNS, s'alimente d'une part d'une sous-estimation du danger que comporte la stigmatisation des musulmans orchestrée par les débats sur le voile et la loi et d'autre part d'une surestimation du point d'appui que représenterait la loi votée par l'Assemblée puis le Sénat. Bien que LO n'ait jamais approuvé la loi, Lutte ouvrière entretient un flou que d'une certaine façon sa présence aux côtés de NPNS le 6 mars a renforcé. " Et si finalement loi il y a, tant mieux. Car pour toutes ces jeunes filles qui se battent pour pouvoir s'habiller, travailler et vivre comme elles l'entendent, et donc ne pas porter le voile, cela pourra être un point d'appui ", pouvait-on lire dans la presse de LO le 6 février ou encore, le 19 décembre, avant même que le projet gouvernemental ne soit arrêté, dans un article intitulé " Rapport de la commission Stasi : il faut permettre aux femmes de résister à l'oppression ", il était noté d'une manière neutre : " Reste que la commission Stasi a donc estimé qu'il ne faut pas admettre le port du voile à l'école et a recommandé qu'une loi le confirme. Et Chirac s'est prononcé pour. "

Le combat réactionnaire de l'islam radical qu'oublient nombre de militants révolutionnaires
Sur un tout autre plan, et de manière autrement significative, le bref incident, le 6 mars, entre les quelques dizaines de militants du collectif " Une école pour tous-tes/Contre les lois d'exclusion " qui cherchaient à intégrer la manifestation et le service d'ordre de la LCR qui fermait le cortège unitaire précise l'enjeu de la bataille contre les islamistes radicaux : " Une école pour tous-tes " rassemble, outre des militants des associations laïques comme le Centre d'études et d'initiatives de solidarité internationale (Cedetim), l'Association des travailleurs maghrébins de France (ATMF), les Jeunesses communistes révolutionnaires (JCR), le Mouvement de l'immigration et des banlieues (MIB), des organisations se réclamant de l'islam politique dont le Collectif des musulmans de France (CMF) qui évoluent dans la mouvance de Tariq Ramadan.
Leur opposition à l'exclusion des filles voilées et à la loi antivoile conduit ainsi des figures importantes du mouvement féministe telle Christine Delphy à défiler aux côtés de militants qui à l'instar d'un Tariq Ramadan condamnent l'homosexualité et " sa légalisation publique " et se contenterait d'un " moratoire sur la lapidation des femmes ". " Certains savants ont, avec des arguments tirés du Coran et de la sunna, interdit la musique et parfois le dessin et la photographie (et donc la télévision et le cinéma). C'est une opinion parmi d'autres et elle doit être respectée, discute doctement Tariq Ramadan dans son ouvrage Les Musulmans d'Occident et l'avenir de l'islam. […] Les autres, dont nous sommes, devront déterminer une approche sélective dans ces domaines comme dans les autres ". Une approche sélective ? Ce fatras réactionnaire devrait conduire à être autrement sélectif avec Ramadan et ses partisans. La présence de Tariq Ramadan au Forum social européen en novembre est de ce point édifiante. Elle a incontestablement ouvert une brèche dans laquelle le CMF s'est logiquement engouffrée. Elle assure aux tenants du discours aseptisé de l'universitaire genevois qui tranche avec le ton vindicatif de Mohamed Latrèche le leader du Parti des musulmans de France (PMF), une crédibilité inattendue au sein des altermondialistes et des antiguerres. Le concert co-organisé notamment par Agir contre la guerre et le CMF le 14 mars à Paris souligne le danger de cette tolérance qui entourent Ramadan et son milieu : s'afficher aux côtés de courants dont les références idéologiques, historiques et politiques sont à l'opposé des nôtres acquiert un caractère naturel, comme allant de soi.
Le combat contre le voile n'implique nullement un soutien même hypocrite à la loi Chirac Raffarin Sarkozy. De même, le refus de l'exclusion des jeunes filles voilées pour ceux qui dénoncent le voile ne saurait justifier l'alliance avec des courants qui, explicitement ou implicitement, défendent ou légitiment le port du voile.
Le parallèle a bien sûr ses limites. Le positionnement des militantes de NPNS - celui le LO dans son sillage - est discutable, mais nous sommes entièrement solidaire de leur combat et de celui des centaines de milliers de filles qui refusent de porter le voile, de plier devant les injonctions où les pressions d'où quelles viennent. Il en va différemment avec les courants de l'islam politique.

Désigner nos adversaires…
Christine Delphy regrette que " le féminisme ait été instrumentalisé par les partisans de la loi ". N'est-il pas plus regrettable encore que le refus des exclusions amène des militants progressistes, y compris des camarades de la LCR, à s'afficher avec des courants politiques dont les modèles de sociétés s'apparentent aux régimes iraniens ou d'Arabie Saoudite, étrangers à nos idées ? Siham Andalouci, militante voilée du CMF, faisait valoir haut et fort son droit à défiler samedi 6 mars, revendiquant " les mêmes valeurs ", comme si nos combats s'apparentaient. Ce n'est nullement le cas. Nous sommes des adversaires politiques. Les " valeurs " défendues par l'islam politique sont non seulement contraires à celles que nous portons, elles sont leur négation. Vingt-cinq ans après la Révolution iranienne de 1979, le rappeler ne devrait plus être nécessaire, et encore moins apparaître injurieux aux yeux des militants progressistes d'aujourd'hui qui taxent d' " islamophobes " ceux qui s'en tiennent aux faits historiques et aux filiations des idées et des projets de l'islam politique.
Le glissement est gros de dérapages aux conséquences imprévisibles. L'idée qu'un front unique avec de telles forces réactionnaires puisse être le vecteur d'une politisation de larges franges sur les bases de notre combat social et politique exprime au mieux des illusions sur le potentiel d'évolution de ces courants politiques, au pire une complaisance à l'égard d'idées que nous combattons et un renoncement à l'affirmation de notre propre politique. Il crédite, en outre, ces groupes d'une audience qu'ils n'ont heureusement pas, et que les manifestations encadrées par les islamistes organisée le 17 janvier et le 14 février ont démontré. Les centaines de jeunes filles voilées descendues dans les rues lors de ces deux mobilisations des provoiles ne représentent qu'une infime minorité de la population musulmane certes dopée depuis que Nicolas Sarkozy à la tribune du congrès de l'Union des organisations islamiques de France (UOIF) ait rappelé l'obligation de poser tête nue sur les photographies d'identité tricolores le 19 avril 2003. Et tout doit être fait pour empêcher que ces militantes et leur formation politique prospèrent. Car si le voile est un chiffon rouge pour la droite ; il est un drapeau pour les islamistes.
Droite et islamistes entendent de concert détourner l'attention. Partant, lever les ambiguïtés qui entourent le débat et les mobilisations est plus qu'urgent. Et ne nous voilons pas la face : l'extrême gauche a une responsabilité dans cette situation. Il n'y a pourtant aucune fatalité à ce que d'autres que nous prennent la tête de la mobilisation, sur cette question ou sur une autre d'ailleurs. Mieux, les révolutionnaires pendant la guerre au Kosovo ont démontré qu'il était possible de rassembler dans un contexte défavorable des manifestants, tout en garantissant un cadre dans lequel les réactionnaires ne puissent s'intégrer, en l'occurrence les nationalistes serbes à l'époque. C'est ce type d'initiative qu'il faut privilégier. Et nous devons également promouvoir des actions de solidarité concrète avec les populations irakiennes victime de la guerre et de l'occupation impérialistes, initiatives qui rehausseront notre crédit auprès des travailleurs de confession musulmane - là-bas comme ici - sans nous fourvoyer pour autant dans des alliances contre-nature.

…et défendre notre programme
Face à la montée des intégrismes et des discours communautaristes, les révolutionnaires doivent développer les réponses globales qu'ils sont les seuls à pouvoir avancer. Le communautarisme n'est pas un point d'appui. Il est le révélateur de la dégradation des conditions de vie dans les banlieues et de l'effacement du mouvement ouvrier qui l'a accompagné dans les quartiers. Le vote FN en est une des expressions. L'offensive des islamistes une autre.
La position de Le Pen sur le voile révèle d'ailleurs des convergences d'intérêts. Entretenir la division, c'est leur fonds de commerce commun. La responsabilité de l'extrême gauche passe donc d'abord par une remise en cause de ses frontières, ces véritables murailles qui entendent cloisonner la classe ouvrière. On perçoit dès lors tout le danger des raisonnements qui retiennent l'appartenance religieuse avant celle de classe, qui privilégient des cadres de mobilisation où cet élément prévaut.
Les révolutionnaires ont été de tous les combats contre le racisme et contre toutes les intolérances, à commencer par celles qui touchent les travailleurs musulmans. Toute une génération a forgé sa conscience internationaliste dans la lutte contre son propre impérialisme durant les guerres coloniales, en particulier la sale guerre d'Algérie. Nous avons toute légitimité dans le combat contre l'islam politique, sans prêter le flanc à la critique de ceux qui refusant la bataille invoquent le racisme ou l'islamophobie pour justifier leur passivité face à la réaction, au " fascisme vert " que dénonce Ni putes ni soumises.
Les révolutionnaires ne sont pas désarmés. Ils n'ont aucune illusion sur le prétendu modèle " laïque et républicain " français. Pas plus dans les représentants de courant se situant en dehors du mouvement ouvrier. Ils savent que le maintien de l'indépendance de classe est la condition de l'affranchissement de la classe ouvrière de toutes ses servitudes. Et ce combat pour donner une expression représentant les intérêts des travailleurs n'est nullement marginal, au contraire comme en témoigne l'audience de la campagne LO-LCR.
Les manœuvres du gouvernement et des barbus réunis n'ont pas abouti. C'est ce que démontrent les luttes actuelles, ou aux coudes à coudes, sans ce soucier, ni des origines, ni des croyances, hommes et femmes défendent leurs droits.

Serge Godard


Euro et dollar, les nouveaux rapports de forces

Le drame du 11 mars, le retour du PSOE aux affaires, la remise en route du chantier de la constitution comme les échéances électorales contribuent à faire de l'Europe une question décisive. Le lancement de l'euro devait être la clé de voûte de la construction européenne. Les premiers mois de son existence ont été ceux de sa baisse par rapport au dollar, aujourd'hui, sa hausse loin de réjouir les milieux des affaires, inquiète. Elle freine la reprise en Europe, voire serait un facteur de récession. Et qui plus est son taux de change par rapport au dollar ne cesse de varier.
L'euro monte, le dollar baisse, puis le pas s'inverse, mais c'est le dollar qui donne le tempo de cette danse, dite volatilité des taux de changes, qui exprime des rapports de force en pleine évolution, de nouvelles contradictions dont les acteurs eux-mêmes découvrent la réalité en même temps qu'ils l'écrivent.
L'étrange langage des monnaies exprime à la fois les rapports de force, la façon dont les acteurs, banques centrales, Etats, financiers, classe ouvrière, les perçoivent et les comprennent, comment aussi ils y réagissent. Les hauts et les bas de la crise monétaire chronique qui agite le monde depuis les années 70 décrivent l'évolution des rapports entre les puissances impérialistes.
Quelles évolutions s'expriment dans les rapports dollar-euro, quelles contradictions nouvelles ? Quelles implications peuvent-elles avoir pour la politique du mouvement ouvrier ?
La question est d'importance au moment où l'Europe politique marque le pas et où son élargissement aiguise les tensions alors que les USA sont engagés dans une offensive pour maintenir leur hégémonie mondiale.
Dans quelle mesure les rapports euro-dollar reflètent-ils les bouleversements des rapports de force entre puissances ? Y a-t-il un bouleversement des hiérarchies monétaires ? Le dollar est-il en train de perdre son hégémonie ou, au contraire, l'euro n'est-il pas en train de faire la démonstration de son impuissance à le concurrencer ?
Devenues de simples impulsions électriques circulant de places financières en places financières, les monnaies sont libérées de l'économie réelle pour devenir un instrument de la politique du pillage libéral et impérialiste, du parasitisme du capital financier. La domination des USA s'impose, y compris sur le marché des changes. L'offre et la demande y sont polarisées par le dollar.
Mais alors, comment expliquer cette danse du dollar et de l'euro ? Le dollar est le plus faible du couple mais c'est lui qui dirige. Que recouvre ce paradoxe apparent ? Est-ce que l'euro serait en passe de devenir une réelle monnaie internationale susceptible de concurrencer le dollar ou n'est-ce pas au contraire le dollar qui se laisse tranquillement glisser pour le plus grand bonheur des multinationales américaines ?
Quelle nouvelle crise financière le libéralisme impérialisme est-il en train de couver au moment où les monnaies n'ont plus aucune référence directe à une valeur réelle, produit du travail humain. La baisse du dollar sous l'effet de son propre parasitisme et de la concurrence des autres monnaies ne menace-t-elle pas l'ensemble de l'économie mondiale ?

Le paradoxe n'est qu'apparent
Le principe monnaie forte égale économie forte doit être de toute évidence modulé. Les monnaies expriment des rapports entre puissances bien plus que des relations figées, leurs évolutions dessinent la courbe de ces rapports de force, marquent les crises et les ruptures.
La baisse du dollar, sa faiblesse, sont l'expression paradoxale de la domination des USA sur le monde.
Le dollar glisse parce que les Etats-Unis en offrent plus que n'en demandent les investisseurs internationaux pourtant avides. L'offre tend à devenir supérieure à la demande. Les besoins de financement de la nation américaine sont déséquilibrés, les dépenses sont supérieures aux richesses produites, elles augmentent pour financer le déficit budgétaire qui se creuse à toute vitesse depuis le krach de la nouvelle économie, dans les années 2000-2002. Pour financer ces dépenses, les USA importent des capitaux qui achètent toute sorte de produits financiers libellés en dollars. Ce seraient 1,5 milliard de dollars qui, chaque jour, rentrent ainsi aux USA.
Leur position dominante oblige les banques centrales du Japon, de la Chine, des pays asiatiques ou d'Europe à acheter sans cesse plus de dollars pour éviter que leur propre monnaie ne se valorise trop au détriment de leur économie. En luttant contre la baisse du dollar, elles prêtent gratuitement de l'argent aux Etats-Unis. Ce sont elles qui financent les déficits budgétaire et commercial. Depuis le début de 2002, plus de 240 milliards de dollars ont été absorbés par les banques centrales asiatiques dont les réserves de changes atteignent des records. Exportant leur crise, les USA reçoivent en retour la manne de l'épargne mondiale qui y voit une source de profit garantie.
Les Etats-Unis absorbaient déjà 50 % de l'épargne mondiale en 98 ; ce taux a grimpé à 70 % en 2000, puis à prés de 80 % en 2001 ! L'Amérique s'est sauvée comme elle avait vécu : à crédit. Le redressement s'est donc réalisé, non en réduisant certains disfonctionnements antérieurs de l'économie américaine, mais au contraire en s'appuyant sur eux, en les accentuant. S'il y a sortie de crise il aura été payé au prix fort. " (1)
C'est bien la force des USA qui leur permet d'associer des déficits commercial (484 milliards de dollars pour 2003, chiffre record) et budgétaire dont ils diminuent le coût en laissant filer le dollar tout en restant attractif pour tous les capitaux du monde.
Quant à la faiblesse de l'euro qui entraîne… la hausse de son taux de change, c'est de ne pas avoir les moyens de ne pas subir passivement la politique du dollar.
C'est bien la faiblesse de l'Europe et de sa monnaie sans Etat que de devoir maintenir un taux de change élevé quoiqu'il en coûte pour éviter une chute trop brutale dont elle ne pourrait tirer de gain de compétitivité durable compte tenu des différences de productivité entre l'Europe et les USA.
Les mouvements euro-dollar sont la projection dans la sphère monétaire des difficultés du capitalisme mondial, telles qu'elles sont concentrées dans son temple américain. Mais ils reflètent aussi les interrogations sur la place et le rôle planétaire des Etats-Unis. Bien plus à vrai dire qu'un rapport de pouvoir entre Europe et Etats-Unis. Tant il est vrai que le dollar, parce qu'adossé à un Etat, est aussi instrument et expression de la puissance, alors que l'euro n'est que la monnaie d'une zone économique. "(2)

Duplicité américaine, les armes de l'hégémonie
Début février, s'est tenue à Boca Raton en Floride la réunion du G7 où les ministres des Finances avaient jugé " indésirables " la " volatilité excessive et les mouvements désordonnés " sur les marchés des changes pour affirmer leur volonté de " coopérer de façon appropriée ". Il semblait y avoir consensus pour stabiliser les taux de change.
Peu après, Greenspan se félicitait des effets positifs pour l'économie américaine de la baisse du billet vert. " Le déclin du dollar pourrait contribuer à la réduction du déficit courant " déclarait-il.
D'une main, les Etats-Unis se montrent compréhensifs et soucieux des équilibres mondiaux, de l'autre, ils agissent à l'opposé, soucieux de leurs seuls intérêts. Il y a là une même politique visant à maintenir et renforcer leur domination face aux contestations montantes.
Les déclarations de coopération visent à apaiser les opinions alors que les autorités américaines utilisent au maximum ce que De Gaulle appelait " le privilège exorbitant " du dollar.
Ainsi, par delà les fluctuations circonstancielles, en particulier liées au prix du pétrole, la baisse du dollar continue et, en conséquence, la hausse de l'euro aussi.
Tout le monde a en tête le moment où une intervention de la Banque centrale pourrait avoir éventuellement lieu pour ralentir la hausse de l'euro face au dollar afin d'épargner la croissance. " déclarait le ministre allemand de l'Economie. " Les conséquences qui résultent de la force de l'euro posent des problèmes à nos exportations, ajoutait Gérard Schröder. Je pense que, à la Banque centrale européenne, on devrait s'en préoccuper de la manière la plus intensive… " puis d'évoquer une baisse des taux d'intérêt, aussitôt approuvée par Raffarin…

Un euro en porte-à-faux, sans Etat ni politique
Les déclarations d'intention ne suffisent pas à faire une politique. Et là est tout le problème pour les bourgeoisies européennes, prisonnières de leurs propres contradictions dont l'euro est la pierre d'achoppement.
Monnaie unique d'Etats multiples, 25 aujourd'hui, l'euro définit une zone économique de libre échange ouverte sur l'économie mondiale et en particulier les USA. Le marché financier y est éclaté et chaque Etat à défaut de pouvoir jouer des manipulations monétaires joue des déficits que payent les populations.
Les multinationales européennes, elles, sont tournées vers le marché mondial, vers les USA. L'Europe est pour elles une base arrière, un marché important mais leur stratégie est tournée vers les exportations. Elles visent le marché mondial et leur propre besoin en retour s'impose à l'Europe. Leurs échanges commerciaux se faisant essentiellement en leur propre sein, elles ont bien des moyens d'échapper aux contraintes des taux de change et elles se déchargent des frais d'un euro élevé sur les sous-traitants.
L'euro ne peut actuellement être autre chose qu'une monnaie européenne définissant un espace économique dans lequel rivalisent des intérêts économiques et politiques nationaux. Cela la prive de la possibilité de devenir une réelle monnaie internationale capable de concurrencer le dollar.

Un système monétaire sans amarres pour un capitalisme à la dérive
Ces rapports paradoxaux sont les conséquences des transformations qui se sont opérées à l'issue des " trente glorieuses " pour aboutir à la mondialisation libérale et impérialiste.
A la fin de la guerre, les accords de Bretton Woods avaient consacré la suprématie du dollar sur l'économie mondiale en en faisant, sous l'égide de la banque mondiale et du FMI, la seule monnaie de réserve internationale, " as good as gold ", aussi bonne que l'or… Le dollar restait la dernière monnaie échangeable du moins au niveau des banques centrales, contre de l'or. Cela dura jusqu'en 1971, année qui vit Nixon décréter l'inconvertibilité du dollar en or.
Le système monétaire international ne reposait plus dès lors que sur la force du dollar, c'est-à-dire la domination absolue du monde par les Etats-Unis.
Mais les rapports de force ont évolué. Le poids des USA dans l'économie mondiale ne cesse de diminuer alors que celui de l'Europe, du Japon, de la Chine, de l'Inde et des pays dits émergents ne cesse de croître.
Au moment même où les Etats-Unis atteignaient leur apogée après la chute du mur de Berlin et l'effondrement de l'ex-URSS, se préparait le basculement qui allait modifier la donne.
Début 2000 éclatait le krach de la " nouvelle économie ". L'accroissement des investissements entraînait une baisse du taux de profit alors que le marché restait limité. La bulle se dégonfla, ce fut la chute de Wall Street alors que le 11 septembre frappait les USA de plein fouet. Ebranlée par l'effondrement de la bulle spéculative, la puissance américaine était brutalement mise en cause par ceux-là mêmes sur lesquels elle s'était appuyée pour gérer les conséquences de l'effondrement de l'ex-URSS.
La mondialisation libérale aboutissait à l'affaiblissement de la première puissance mondiale qui en avait été la locomotrice. Sous le fouet de la concurrence internationale, des déréglementations, des dérégulations, des délocalisations, l'économie mondiale a été transformée, et en conséquence, les rapports de force.
Les nouveaux déséquilibres mondiaux se sont exprimés dans un nouvel épisode aigu de la crise monétaire chronique que connaît le monde, instabilité des taux de change menaçant le commerce mondial, risque de récession généralisée si la chute du dollar s'approfondissait.
Le développement économique des vingt dernières années ravive les tensions entre puissances sans que le monde capitaliste puisse trouver un facteur régulateur ou un nouvel axe d'équilibre.

Maturation de nouvelles contradictions
En fait, au cours de l'histoire du capitalisme, il n'y a jamais eu de système monétaire international stable qui ne repose pas sur la domination incontestée d'une superpuissance capable d'imposer sa monnaie comme monnaie d'échange international. Ce fut, au XIXième siècle, l'Angleterre et la livre sterling, époque de la pax britannica. L'Angleterre dominait le monde de son industrie, de ses finances et de sa flotte.
A l'ombre de cette domination, se développèrent les autres économies européennes et parallèlement, l'économie américaine dont la concurrence vint, à travers les crises et les guerres, briser l'hégémonie anglaise.
C'est " l'émergence américaine " qui s'affirme à la fin de la deuxième guerre mondiale et des guerres coloniales, la pax americana et la tyrannie du dollar.
C'est cette tyrannie qui permit un relatif équilibre des échanges internationaux et une explosion du commerce mondial. Les conditions mêmes de ce développement et de cette expansion préparaient une nouvelle crise, celle dont nous voyons aujourd'hui les premiers symptômes.
Cette crise de la domination du dollar menace les échanges internationaux et toute l'économie. Elle a d'ores et déjà une ampleur inédite dans toute l'histoire du capitalisme qui semble autoriser à dire que le capitalisme à son stade du libéralisme impérialiste a atteint son stade ultime. Cela veut dire que le capitalisme ne porte plus en lui de solution à sa crise. Sa mondialisation donne à l'opposition socialisme ou barbarie toute sa signification dramatique et historique.
Ce caractère inédit de la crise qui se développe aujourd'hui se manifeste entre autres dans le fait que la puissance dominante est devenue d'abord et avant tout une nation importatrice de capitaux.
Même dans l'Angleterre déclinante, les exportations de capitaux restaient supérieures aux investissements étrangers. Aujourd'hui, les USA vivent de ces investissements étrangers. " La grande contradiction de la situation actuelle est que la santé de l'économie mondiale dépend de plus en plus étroitement de celle des Etats-Unis, mais que celle-ci, à son tour, dépend de la capacité de ce pays à continuer de recevoir des capitaux de ceux-là mêmes qui sont sous sa dépendance économique. " (3)
Il n'est pas dit que le jackpot marche éternellement en faveur des USA. L'idée à première vue stupéfiante d'un effondrement du dollar n'est pas en réalité une vue de l'esprit.
Au final, la baisse du dollar pourrait se retourner contre lui de façon brutale entraînant un krach. Les détenteurs étrangers d'actifs en dollars pourraient s'en défaire par crainte d'une trop grande dévalorisation de leurs avoirs en dollar, les investisseurs étrangers se détourner d'une économie affaiblie par la concurrence. Une hausse des taux d'intérêts en réponse à ces retraits pour attirer les capitaux ne pourrait qu'aggraver une logique de récession. Et c'est l'économie mondiale que le dollar pourrait entraîner dans sa chute.
Les mécanismes de la crise sont dans l'évolution même du capitalisme américain et dans ses rapports au reste du monde bien plus que dans la concurrence que lui opposent les autres nations.
L'euro n'est pas réellement une monnaie internationale susceptible de s'opposer aux visées de l'impérialisme dominant. Probablement, ne pourrait-elle le devenir qu'à travers une crise grave, conséquence de la chute du dollar, unifiant l'Europe impérialiste dans une concurrence ouverte avec les USA et si le mouvement ouvrier n'était pas capable d'apporter ses propres réponses à la crise du capitalisme.

Gouvernance mondiale et révolution
L'inquiétude que suscitent les déséquilibres que crée l'évolution du monde capitaliste ravive les utopies réformistes sur la possibilité de créer une monnaie " unité de compte internationale " tel le Bancor qu'avait imaginé Keynes ou de mettre en place une nouvelle gouvernance mondiale… L'alternative n'est pas de ressasser les vieilles recettes visant à construire sur le papier un monde débarrassé des contradictions de classes, de la concurrence et des rivalités entre puissances, en un mot, des Etats et de la propriété privée.
A chaque étape de la crise du système monétaire international, il n'a pas manqué d'hommes politiques ou d'économistes pour ressortir des cartons ces vieilles recettes. Ernest Mandel leur répondait : " Toutes ces propositions ne sont que l'expression d'un fait fondamental : la socialisation objective de la production et des communications internationales est si avancée qu'elle réclame à grands cris une " monnaie mondiale " détachée de l'or.
Mais comment créer pareille " monnaie de compte pure " dans une économie fondée sur la propriété privée, c'est-à-dire sur la concurrence, fondée sur la recherche du profit par firme séparée, c'est-à-dire sur l'accumulation privés des capitaux qui aboutissent à d'inévitables mouvements d'emballement conjoncturels ? Voilà la contradiction que le système n'est pas prêt de résoudre. […] Cependant un système social dont personne ne peut dire s'il sera capable de passer le cap du XXième siècle ne peut se permettre le luxe de subordonner son action immédiate à des plans et des réflexions conçus à trop long terme. Telle la noblesse de cour avant la révolution française, il est contraint à une politique d'" après nous le déluge ". Et ce parallèle se justifie à bien des égards. " (4)
La pertinence de ces lignes est soulignée par les récentes tensions. " L'espace économique a été homogénéisé, interconnecté " (5), la socialisation s'est accrue, l'internationalisation de la production et des échanges aussi, l'intégration de toute la planète au marché mondial est achevée.
Nous combattons les réponses capitalistes qui pourraient naître de la crise qui s'annonce. Nous sommes contre cette construction d'une Europe impérialiste, agressive, militariste, réponse à l'hégémonie américaine mais nous ne croyons pas aux réponses réformistes qui prétendent réactualiser les idées du keynésianisme.
Oui, c'est " l'économie fondée sur la propriété privée " qu'il faut remettre en cause, pratiquement, dans et par la lutte des classes.
L'idée d'une gouvernance mondiale et d'une monnaie de compte internationale est incluse dans le développement même de la société, elle implique une révolution.

Yvan Lemaitre

1- La puissance américaine et l'euro, Isaac Joshua, Contretemps numéro 9
2- ibid
3- ibid
4- La réponse socialiste au défi américain, Ernest Mandel, Ed Maspéro, 1969
5- La puissance américaine et l'euro, Isaac Joshua, Contretemps numéro 9


18 mars, anniversaire de la commune de Paris, " la forme enfin trouvée de la dictature du prolétariat "…

Le 18 mars 1871, à Paris, pour la 1ère fois dans l'histoire, le monde du travail détenait le pouvoir. 133 ans après, l'audace et l'œuvre des Communards forcent l'admiration et restent riches d'enseignements, notamment sur les questions des rapports entre le mouvement ouvrier et la République et de la dictature du prolétariat, en débat aujourd'hui dans l'extrême gauche.

La Commune de Paris, 1er pouvoir des travailleurs
Le 18 mars 1871, " le prolétariat, armé par le gouvernement bourgeois est, en fait, maître de la ville, dispose de tous les moyens matériels du pouvoir - canons et fusils - mais il ne s'en rend pas compte. La bourgeoisie fait une tentative pour reprendre au géant son arme : elle veut voler au prolétariat ses canons. La tentative échoue. Le Gouvernement s'enfuit en panique de Paris à Versailles. Le champ est libre. Mais ce n'est que le lendemain que le prolétariat comprend qu'il est maître de Paris. " Voilà comment Trotsky (Les leçons de la Commune, 1921) décrit la prise de pouvoir imprévue des travailleurs à Paris. Dans une situation très difficile, après la guerre de 1870 contre la Prusse, plusieurs mois de siège, avec la famine et le chômage, ils instauraient l'embryon d'un état ouvrier appliquant un programme d'urgence sociale et démocratique, d'une modernité sans précédent.
Après l'écrasement de la révolution en juin 1848 où, pour la 1ère fois, la classe ouvrière avait affronté directement la bourgeoisie républicaine, elle avait dû subir le règne de Napoléon III, dictature qui avait libéré la bourgeoisie de tous soucis politiques et avait favorisé son enrichissement et l'essor industriel : " l'escroquerie financière célébrait des orgies cosmopolites ; la misère des masses faisait un contraste criant avec l'étalage éhonté d'un luxe somptueux, factice et crapuleux. Le pouvoir d'état, qui semblait planer bien haut au-dessus de la société, était cependant lui-même le plus grand scandale de cette société et en même temps le foyer de toutes ses corruptions… ". (Marx, La guerre civile en France).
Le régime, pris dans une fuite en avant, provoqua sa propre perte en se lançant en 1870 dans une guerre contre la Prusse, perdue en six semaines. Napoléon III est fait prisonnier, il capitule. Les travailleurs de Paris se soulèvent, l'empire s'effondre. La république est proclamée le 4 septembre. Le mouvement ouvrier qui s'était redéveloppé dans les années 1860, principalement avec la 1ère Internationale, n'était pas préparé à cette situation. Il n'envisageait pas une prise du pouvoir, et il le laissa entre les mains de républicains bourgeois, avocats, beaux parleurs aux phrases radicales.
Du 4 septembre 1870 au 18 mars 1871, la classe ouvrière fait l'expérience jusqu'au bout de la logique de gouvernements bourgeois qui ne voulaient que la désarmer et signer la capitulation avec Bismarck et l'armée prussienne qui entourait Paris. Cela ne lui donne pas pour autant conscience qu'elle doit, elle, prendre le pouvoir et la société en mains. Aucun parti organisé ne défend cette idée en son sein. Pendant cette période, elle reste méfiante vis-à-vis du gouvernement républicain. Les travailleurs sont en armes, ils sont 300 000 organisés dans la Garde Nationale. Ils s'organisent en fédérations de bataillons et élisent leur comité central qui avait pour programme de prévenir toute tentative de renversement de la république, de veiller au maintien de l'armement, de défendre le droit de nommer ses chefs et de les révoquer dès qu'ils auraient perdu la confiance de ceux qui les ont élus.
Face à cette organisation, tout le problème de Thiers, chef du gouvernement républicain, est de réussir à briser cette puissance ouvrière. Il tente le 18 mars de s'emparer des canons de la garde nationale payés par le peuple de Paris. C'est l'insurrection. Le pouvoir bourgeois est obligé de quitter Paris.

" La grande mesure sociale de la Commune, ce fut sa propre existence et son action " (Marx)
Le peuple élit un nouvel organe dirigeant, la Commune, composée de 90 membres révocables à tout moment, essentiellement des travailleurs représentant les différents courants du mouvement ouvrier, véritable gouvernement assumant à la fois le pouvoir législatif et exécutif. Leur paye est fixée à 15 francs par jour, moins que certains fonctionnaires et aucun salaire d'employé de la Commune ne doit dépasser les 6000 francs, le salaire d'un ouvrier.
La Commune a réalisé le Gouvernement à bon marché en supprimant les deux grandes sources de dépense : le fonctionnarisme et l'armée permanente. Elle proclama la Garde Nationale, dont tous les citoyens valides devaient faire partie, comme la seule force armée.
La Commune pratiquait la transparence : " elle ne prétendait pas à l'infaillibilité, ce que font sans exception tous les gouvernements de type ancien ; elle publiait tous ses actes et ses paroles, elle mettait le public au courant de toutes ses imperfections. " (Marx)
Etendant leur contrôle à l'économie, les travailleurs ont pris l'organisation du travail en main : suppression du travail de nuit dans les boulangeries, création de bureaux de placement, suppression des amendes et retenues sur les salaires, doublement de la paye des instituteurs. La Commune a pris en main aussi les ateliers abandonnés, recensé les fabriques arrêtées, élaboré des plans pour que ces entreprises soient gérées par des coopératives, et pour les organiser en fédération.
Ses mesures politiques étaient tout aussi modernes. Les femmes y avaient toute leur place. La Commune était internationaliste, plusieurs de ses membres étaient polonais, hongrois… Elle fit brûler la guillotine et renversa la colonne Vendôme, symbole du chauvinisme et du colonialisme. Elle supprima le budget des cultes, transforma l'enseignement religieux en enseignement laïc, sépara l'église de l'état.
Bien d'autres mesures ont été prises ou en projet. Marx parle " des communards qui partaient à l'assaut du ciel ". Le peuple a déployé une énergie phénoménale mais la Commune n'utilisa pas son pouvoir pour attaquer le gouvernement républicain, celui de la bourgeoisie, en train de se reconstituer aux portes de Paris. Ils ne touchèrent pas au trésor de la Banque de France qui était à leur disposition. Les Communards, imprégnés des idées de l'autonomie des communes, ne voulaient pas que Paris impose quoi que ce soit au reste du pays.
Lénine tirant les leçons de la Commune explique : " mater la bourgeoisie n'en reste pas moins une nécessité. Cette nécessité s'imposait à la Commune, et l'une des causes de sa défaite est qu'elle ne l'a pas fait avec assez de résolution. " (L'Etat et la révolution)
La bourgeoisie, patiemment, préparait son retour. Pendant deux mois, Thiers reconstitua son armée avant de la lancer dans une répression féroce, la semaine sanglante du 21 au 28 mai : plusieurs dizaines de milliers de tués, 40 000 arrestations, 10 000 déportations. La répression n'épargna ni les femmes ni les enfants. Le mouvement ouvrier est décapité. Pour Thiers et la bourgeoisie, animés de la haine provoquée par la peur de tout perdre, il fallait écraser le mouvement ouvrier, extirper tout esprit de révolte pour pouvoir remettre en place l'ordre républicain.

* * * * *

La Commune a eu une portée immense pour le mouvement ouvrier tant dans l'expérience que dans la vérification des idées : la classe ouvrière avait fait la démonstration de la nécessité de briser la vieille machine bureaucratique de l'Etat, même républicain, pour pouvoir imposer son propre pouvoir.
Dans le Manifeste, Marx et Engels avaient écrit en 1847 " la première étape dans la révolution ouvrière est la constitution du prolétariat en classe dominante, la conquête de la démocratie ". La formule restait abstraite, sans contenu social réel. Ce contenu, c'est l'activité pratique des masses qui le précisa et Marx rédigea une nouvelle préface après la Commune : " la classe ouvrière ne peut pas simplement prendre possession du mécanisme politique existant et le mettre en marche pour la réalisation de ses propres buts. La nouvelle commune qui brise le moderne pouvoir de l'état est la forme politique, enfin trouvée, sous laquelle il était possible de réaliser l'émancipation du travail. "
Quand Christian Piquet écrit dans Rouge que " La république n'est donc pas uniquement à défendre dans ses conquêtes, mais à achever en l'affranchissant de ses limites bourgeoises " ou qu'il faut " partir des postulats fondateurs de la république, c'est en appeler, ainsi que le faisait Jaurès, à ce que le salarié devienne aussi souverain dans l'ordre économique que le citoyen l'est, en théorie, dans l'ordre politique " (Oui, la république sociale !, 26 février 2004), il oublie l'expérience des Communards. Elle montre que la république est entièrement bourgeoise, et pas seulement dans ses limites. Et aussi que pour devenir souverain dans l'ordre économique, il lui faut renverser l'ordre politique, même républicain et imposer sa dictature démocratique contre la bourgeoisie.
A ceux qui étaient " saisis d'une terreur salutaire en entendant prononcer le mot dictature du prolétariat ", Engels répondait " Eh bien, Messieurs, voulez-vous savoir de quoi cette dictature a l'air ? Regardez la Commune de Paris. C'était la dictature du prolétariat. " (préface de 1891 à La Guerre civile en France). La formule " dictature du prolétariat ", après des décennies de stalinisme peut poser problème, mais ce qui reste actuel et incontournable, c'est la nécessité de construire un état issu des luttes et de la population qui aura pour tâche de prendre des mesures dictatoriales contre la bourgeoisie à défaut de se faire écraser par elle.
Toute l'histoire du mouvement ouvrier confirme ce fait d'expérience : entre le pouvoir bourgeois, quelle que soit sa forme, et le pouvoir révolutionnaire, produit des luttes des masses pour leur propre émancipation, il n'y a pas de compromis possible.
La dictature du prolétariat, c'est la plus large démocratie mise en œuvre par les masses elles-mêmes, comme la Commune l'a montré, mais pas vis-à-vis de la bourgeoisie dont il s'agit de liquider la propriété.

Franck Coleman

Histoire et techniques, capitalisme et nouvelle technologie…

Nées au cours de la dernière moitié du siècle dernier, les " nouvelles technologies ", l'informatique et les moyens de communication modernes, se sont répandues dans tous les secteurs de la vie au cours des vingt dernières années.
Elles nous ont permis, indiscutablement, de bénéficier de progrès importants, dans le domaine médical, par exemple, ou dans la vie quotidienne, par la production de masse d'ordinateurs personnels, de téléphones mobiles, de services comme Internet, etc.
Les " nouvelles technologies " ont également modifié profondément les moyens de production et d'échange. Dans le cadre des entreprises, l'introduction massive de l'informatique et des réseaux a permis d'augmenter considérablement la productivité des équipements et de les rendre flexibles, c'est-à-dire capables de s'adapter, très vite, aux besoins changeants de la production. Elles ont permis également aux entreprises de communiquer entre elles " en temps réel " quelle que soit la distance qui les sépare. A ce titre, elles constituent la base technologique sur laquelle ont pu se développer les " délocalisations ", c'est-à-dire le transfert de certaines productions des anciens pays industrialisés vers des pays dits " à bas coût de main d'œuvre ", anciennes colonies et pays de l'Est.
Comme à bien d'autres moments de l'histoire du capitalisme, les gains de productivité apportés par les innovations technologiques, au lieu de profiter à l'ensemble des hommes, se transforment en chômage, en aggravation des conditions de travail, en misère. En quelques dizaines d'années, le capitalisme, en exploitant les possibilités offertes par les nouvelles technologies, a profondément bouleversé la façon de vivre des travailleurs du monde entier. Mais ces bouleversements, dont on serait en droit d'attendre une amélioration des conditions de travail et de vie, s'accompagnent, mises au service du capital, d'une véritable régression sociale.
Comment les évolutions technologiques qui démultiplient les capacités de production de biens utiles à tous, peuvent-elles se retourner contre la grande majorité ?
Faut-il revenir en arrière, imposer un moratoire sur le " progrès ", en quelque sorte, afin de s'en protéger ?
Ou existe-t-il au contraire une possibilité de dépassement, dans laquelle nous pourrions, en libérant la société des contraintes que lui impose une organisation sociale soumise aux lois de la propriété privée et de la concurrence, débarrasser les progrès technologiques de la malédiction qui semble les accompagner, et permettre à chacun d'entre nous d'en bénéficier pleinement ?
Ces bouleversements n'ont-ils pas créé les conditions même d'une transformation de la société que le mouvement ouvrier a inscrite dans son programme depuis ses origines ? Ne contribuent-ils pas à créer les conditions d'une société communiste, à faire de ce que certains voudraient ranger au rayon des utopies totalitaires la réalité de demain ?

Eric Lemel

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