Débat militant
Lettre publiée par des militants de la LCR
n°52
6 octobre 2004

Sommaire :

Le temps du débat…

Contre l'Europe libérale et sa constitution, affirmer une perspective internationaliste et révolutionnaire
De nouveaux arguments pour renforcer l'unité des révolutionnaires
35 heures : déréglementer pour baisser le coût du travail

Rapport De Virville : patronat et gouvernement s'apprêtent à dépecer le Code du Travail


Le temps du débat…

En cette rentrée, le mouvement social est plutôt au creux de la vague, avec des hauts et des bas certes, mais avec une dominante, la difficulté face à la brutalité de la politique du gouvernement et du patronat à reprendre l'offensive. Après le mouvement du printemps 2003 qui n'a pas eu la force de gagner et les deux échecs sur la Sécurité Sociale et EDF-GDF, nombre de ses militants, de salariés, s'interrogent sur les raisons de ces échecs et les possibilités de reprendre l'offensive.
Discuter, au cœur des résistances et des luttes, la politique nécessaire au mouvement social est essentiel pour pouvoir rassembler les forces, construire des points d'appui pour redémarrer.

Une rentrée paradoxale…
" L'économie mondiale aura enregistré une année 2004 exceptionnelle, sans précédent depuis trente ans par l'intensité de la croissance qui aura atteint en moyenne 5 % " (Le Figaro du 30-09). Cette " année exceptionnell " pour les profits se traduit par la hausse de l'indice de la Bourse de 68 % pour les quarante plus grosses entreprises qui totalisent plus de 23 milliards de profits pour les six premiers mois de l'année ! Championnes du CAC 40, elles le sont aussi pour les licenciements -et ceci explique en partie cela- : parmi elles, Danone, Bosch, Perrier, STMélectronic qui se placent au tout premier rang de l'arrogance patronale.
Cette " croissance " est celle du chômage qui a augmenté de 0,5 % au mois d'août - plus de 2,2 % sur les douze derniers mois-. La reprise économique se fait en laissant sur le carreau de plus en plus de salariés victimes de plans dits sociaux, de licenciements individuels, de la précarité. Et le FMI annonce d'ores et déjà un fléchissement de la croissance pour 2005 qui mettra à l'ordre du jour l'aggravation des conditions de vie et de travail.
Dans ce contexte difficile, comment enrayer la machine à faire des profits ?
Les derniers mouvements, comme ceux à La Poste du 21 septembre, ont connu une mobilisation limitée qui reflètent aussi le scepticisme des salariés face à des journées d'action.
En même temps, se poursuit une maturation des consciences qui se traduit par le besoin de débattre dans les syndicats, les associations, les Collectifs.
Si le découragement est parfois bien réel, il s'accompagne souvent d'une profonde révolte voire d'une nouvelle lucidité sur le capitalisme qui ruine bien des illusions passées. Les échéances électorales, tant celle du Référendum sur la Constitution que celle des Présidentielles de 2007 qui dominent la vie politique parlementaire, ne soulèvent, c'est le moins que l'on puisse dire, ni intérêt ni illusions.
Bon nombre de militants s'interrogent sur la période, les possibilités des luttes, leurs limites. La question de redonner vie à la lutte des classes, en toute indépendance vis-à-vis de la bourgeoisie, du Medef, et des politiques d'accompagnement des directions syndicales et des partis de la gauche institutionnelle, est, de mille et une façons, au cœur des préoccupations.

… qui pose la question des évolutions en cours
Le renouveau initié par les grèves de novembre-décembre 95 était le premier pas vers la convergence public-privé, idée qui contestait en elle-même toute la politique passée et toujours actuelle des appareils syndicaux. Mais les consciences n'étaient pas alors suffisamment affranchies pour avoir un autre débouché politique que celui… d'un gouvernement de gauche.
Depuis, les mouvements sociaux ont contribué à poser la question des luttes, de leur programme, du besoin de leur convergence et de leur indépendance par rapport à la gauche gouvernementale de façon bien plus large, sous, d'une part, la pression accrue de la lutte des classes menée par le patronat, du fait, d'autre part, de l'affaiblissement puis de la reconversion de l'appareil stalinien, conséquence de la chute du stalinisme.
Aujourd'hui, la renaissance du mouvement ouvrier à une échelle de masse pour renouer avec une saine politique de lutte de classe échappant à l'emprise des appareils se fait à travers sa propre expérience, inévitablement difficile, l'expérience des reculs, des échecs mêmes.
Le décalage entre les aspirations du mouvement social et la politique des directions syndicales et des partis de la gauche gouvernementale se révèle pleinement.
La situation économique mondiale ne laisse plus de " grain à moudre " pour des politiques réformistes, elle contraint à accompagner les évolutions en cours, à s'en faire les relais, ou à y opposer un projet global de transformation sociale.
Les partis de la gauche institutionnelle vont jusqu'au bout d'une longue évolution qui, de partis ouvriers, les a transformés en partis sociaux-libéraux. Ainsi, il apparaît clairement que si le gouvernement peut mener sa politique dans toute sa brutalité, c'est bien grâce à leur complicité qui se concrétise, entre autres, par la politique menée par le PS dans les Conseils généraux, un nouvel avatar de la cohabitation droite/gauche.
C'est vrai aussi pour les directions syndicales : l'évolution de la CGT pose bien des questions à ses militants.

Faire les bilans pour redéfinir un projet d'ensemble pour le monde du travail
Pour redémarrer, le mouvement social a besoin de faire les bilans, non seulement à travers la critique de la politique des appareils qui prétendent le représenter, mais aussi et surtout de prendre conscience de lui-même en redéfinissant ses propres objectifs.
Face au capitalisme de libre concurrence, c'est la question d'un projet politique global pour l'ensemble du monde du travail qui est posée. Les clivages entre intervention syndicale et intervention politique sont aujourd'hui pour beaucoup obsolètes ; la dimension politique des réponses à formuler pour regrouper les forces face à l'offensive du capitalisme s'impose de fait.
Dans ce cadre, il s'agit de redéfinir un projet, programme de lutte sur la base de mesures d'urgence sociale et démocratique, et programme de transformation sociale à partir de la compréhension de la nouvelle période.
L'existence même de nouvelles formes d'organisation à travers les Collectifs qui perdurent, comme la Santé un droit égal pour tous, les Interpros, ou qui surgissent comme celui de Résistance 2004 contre les licenciements, pose de la même façon la question du besoin de démocratie. Dans les syndicats, les associations, avec les militants du PC ou des groupes de salariés, se mène le débat sans préjugés, loin de réponses toutes faites.
L'heure pour les militants du mouvement ouvrier est de contribuer à poser les jalons d'une remontée des luttes, à travers la clarification des idées, par la discussion, en nous redéfinisssant nous-mêmes pour construire des liens, des réseaux, en toute solidarité pour rassembler tous ceux qui cherchent les moyens d'avancer sur le terrain de l'émancipation sociale.

Valérie Héas

Contre l'Europe libérale et sa constitution, affirmer une perspective internationaliste et révolutionnaire

En décidant la tenue d'un referendum sur la constitution européenne, Chirac aurait voulu, une fois de plus, ressusciter l'union sacrée qu'il avait obtenue des partis de gauche, lors du deuxième tour de l'élection présidentielle, le 5 mai 2002.
Dans la lignée d'une cohabitation qui n'a, en réalité, pas pris fin lors de l'éviction du Parti socialiste du gouvernement, en 2002. Disons qu'elle s'est déplacée, à travers une répartition des pouvoirs différente : gouvernement et Présidence de la république à la droite, pouvoir à la tête des régions au PS qui y a associé ses alliés, même si le PC et les Verts y sont réduits à la portion congrue.
Assuré qu'il aurait été d'une majorité de " oui ", associant droite et PS, Chirac, du même coup, prenait de court Sarkozy qui, dans son souci de se distinguer de son rival, s'était prononcé peu de temps auparavant pour un referendum.
La position qu'a prise Fabius le 13 septembre dernier, en se prononçant pour le " non " à l'issue d'une mise en scène étudiée, est venue bousculer les calculs du Président … et de tous les présidentiables du PS.
Fabius a choisi de se positionner en adversaire direct de Chirac, en rupture avec la cohabitation, exactement de la même façon que Sarkozy, au sein de la droite. Du même coup -et ce n'est certes pas secondaire dans ses préoccupations-, le n°2 du Parti socialiste s'affirme en rival de l'actuel n°1, Hollande.
Depuis, tout ce petit monde s'agite à qui mieux mieux autour de consignes de vote différentes qui sont bien loin de refléter leurs positions réelles, leur politique, leurs actes passés et à venir sur la question de l'Europe, sur le fond identiques.
Il n'échappe à personne que leurs regards sont tournés vers les prochaines échéances électorales de 2007, et en particulier l'élection présidentielle.

Foire d'empoigne au Parti socialiste
Fabius qui, hier, jugeait ringard le PS, lorsque, ministre de l'Economie, il défendait la baisse des impôts, l'allègement de l'Etat et sa loi sur l'épargne salariale qui a ouvert la voie aux fonds de pension, compte aujourd'hui rassembler toute la gauche du PS derrière sa candidature à la candidature pour 2007.
Aussi dénonce-t-il, pour justifier sa position sur la Constitution, le " grignotage des services publics " et s'affirme-t-il partisan d'une Europe " plus sociale, plus fraternelle, plus protectrice, plus humaniste ". Voilà pour le social, quelques fioritures qui ne tromperont personne quand il affirme en même temps : " nous voulons une Europe puissance ".
Et d'emboîter le pas à la propagande gouvernementale contre les " délocalisations ". La constitution européenne est dangereuse, dit-il en substance, parce qu'elle empêche l'harmonisation de la fiscalité des entreprises, puisque celle-ci ne pourra être décidée, comme l'a voulu la Grande Bretagne, qu'à l'unanimité. Un noble combat, selon… Sarkozy lui-même qui reproche seulement à Fabius de vouloir le mener " de l'extérieur " alors que c'est " de l'intérieur " qu'on peut " peser sur les choix européens ".
Qu'à cela ne tienne, " il serait tout à fait dérisoire de faire la fine bouche ", a déclaré Mélenchon, animateur avec Emmanuelli, d'un des courants gauche du PS, Nouveau Monde. " Le non de Laurent Fabius est un formidable point d'appui pour tous ceux qui ne veulent pas de cette Constitution parce qu'ils sont ardemment européens ". Pour Peillon qui dirige, lui, avec Montebourg, l'autre courant gauche, Nouveau Parti socialiste, le " non " constitue bien un clivage essentiel. " Qui se réjouit de cette Constitution ?, s'est-il exclamé. La droite, et M. Seillière -président du Medef-. Cette absence de clivage est une erreur majeure. Celle d'une gauche qui s'abandonne aux libéraux. "
S'il est clair que les tenants du " oui " sont partisans de l'Europe libérale, le " non " ne fait pas pour autant de ses défenseurs des anti-libéraux, c'est le moins qu'on puisse dire. Il est indispensable que les révolutionnaires se démarquent clairement de cette cacophonie politicienne.
Aujourd'hui, dans le jeu de leurs ambitions rivales, et sur le fond d'un très fort mécontentement de la population à l'égard des politiques menées ces dernières années, les dirigeants des partis de gouvernement font tout, à droite et à gauche, pour se distinguer les uns des autres.
Si, à droite, la scène médiatique est occupée par les rivalités entre Chirac, Sarkozy, Raffarin, mais aussi Fillon, Bayrou, Douste-Blazy, on a vu ces dernières semaines, au Parti socialiste, se déchaîner les empoignades en vue de 2007.
Jospin, bien sûr, n'a pas manqué de sortir une énième fois de son silence en faisant publier par le Nouvel Observateur, un long plaidoyer en faveur de la Constitution, de sa politique passée soi-disant anti-libérale et d'un " oui à l'Europe " qui n'est pas un " oui à Jacques Chirac ".
Mais voilà que Strauss-Kahn s'est lui aussi mis de la partie, en prêchant lui, l'union… grâce à un congrès qu'il propose, pour le PS, après le referendum. S'il a réussi à faire l'unité des dirigeants du PS, c'est contre sa " très mauvaise idée " qui a suscité cette réplique d'Emmanuelli : " Je ne sais pas ce qu'il fait dans sa baignoire quand il joue avec son canard en celluloïd (...) Mais ce n'est pas parce qu'il tape dans l'eau que nous sommes obligés de passer la serpillière sur le carrelage ".

Faux débats et vraies questions
Les dirigeants du PS sont d'autant plus prolixes pour ou contre la constitution qu'ils sont silencieux sur la politique qu'ils mèneraient s'ils revenaient au pouvoir et ne se font guère entendre, non plus, contre la politique du gouvernement Raffarin.
Certes, peut bien leur échapper parfois, comme à propos du budget, qu'une " logique de classe " conduit le gouvernement à " favoriser les catégories les plus aisées ", mais la plupart du temps, leur discours se bornent à regretter que la droite n'ait pas continué, selon eux, la politique que faisait le gouvernement Jospin en matière de " lutte pour l'emploi ". C'est ainsi qu'à propos du plan Borloo, le député du Nord, Le Garrec a déclaré : " Depuis deux ans, tous les outils que nous avions mis en place pour lutter contre le chômage et l'exclusion ont été mis en cause : programme Trace pour les jeunes en difficulté, emploi-jeunes, crédits pour les associations d'insertion, validation des acquis ". Et Hollande d'annoncer, lors des journées parlementaires du PS, à Lorient, la semaine dernière, les mesures que les députés de son parti allaient défendre, face au gouvernement : la suppression des niches fiscales créées depuis 2002, le rétablissement de la TIPP (taxe intérieure sur les produits pétroliers) flottante, le doublement de la prime pour l'emploi, un nouveau calcul des cotisations sociales avec la prise en compte de la valeur ajoutée et un bonus-malus lié à l'effort sur l'emploi des jeunes et des seniors.
Et quand, lors de la réunion qui a rassemblé à Douai les minorités appelant à voter " non " à la constitution (Forces militantes dirigée par Marc Dolez, de la Fédération du Nord, NPS et Nouveau Monde), Emmanuelli veut gauchir le projet de la majorité, il se borne à une simple mise en garde : " ce projet n'aura de crédibilité que si nous prenons l'engagement ferme et public d'abroger un certain nombre de lois scélérates mises en oeuvre par la droite ". Il n'est absolument pas question pour lui de revenir, également, sur les mesures " scélérates " mises en œuvre par le gouvernement Jospin.
Quant au PC, dont le " non " à la Constitution recouvre aussi bien celui de ses tendances souverainistes que celles, new look, de la Gauche populaire et citoyenne, il préfère ne pas s'engager sur un programme (il faut, dit Buffet, " des propositions de lois élaborées par les gens eux-mêmes ") et attendre le referendum interne du 1er décembre qui décidera de la position du PS, pour s'engager plus avant, et ne pas compromettre de futures alliances.

En rupture avec cette gauche de gouvernement, affirmer un programme de luttes dans la perspective d'une Europe des travailleurs.
A droite comme à gauche, les positions sur la Constitution ne sont que des postures adoptées dans le cadre des rivalités internes qui déchirent les grands partis à l'approche de 2007. S'y rajoute d'ailleurs aujourd'hui la question de l'adhésion de la Turquie à l'Union européenne, dont Chirac vient de décider qu'elle sera soumise à referendum et à propos de laquelle Raffarin, dans le souci de ratisser sur les terres de Villiers et de l'extrême droite, s'est signalé par des propos pour le moins nauséabonds : " Voulons-nous que le fleuve de l'islam rejoigne le lit de la laïcité ? ", s'est-il interrogé dans le Wall Street Journal Europe. Affirmer aujourd'hui des réticences sur l'adhésion de la Turquie, de façon plus ou moins appuyée, est une façon, pour les dirigeants politiques à qui l'Europe s'est imposée du fait des besoins mêmes de la bourgeoisie, de flirter avec le souverainisme ou les préjugés nationalistes, voire racistes.
Car, de fait, le " non " à la constitution n'a plus la même coloration souverainiste et chauvine que le " non " au traité de Maastricht en 1992. Si on excepte celui de l'extrême droite (le Pen et de Villiers, entre autres) et de la droite souverainiste, il se veut un " non " de gauche et " européen ".
Ceci dit, il ne remet en aucune façon en cause, quoi qu'en disent ses tenants, l'Europe libérale, car tous ceux qui postulent au gouvernement savent bien que c'est dans ce cadre seulement qu'ils seront associés au pouvoir.
A l'opposé, notre refus de la constitution est un refus de l'Europe libérale et capitaliste, il est un élément de notre combat pour une Europe des travailleurs.
En parlant leur propre voix, les révolutionnaires peuvent regrouper largement, mener une campagne unitaire centrée autour des préoccupations des travailleurs et des jeunes qui perçoivent à quel point les attaques menées contre eux par le patronat et le gouvernement sont coordonnées à l'échelle européenne. Une campagne sous-tendue par la question : comment les travailleurs peuvent-ils défendre leurs droits face à cette offensive, empêcher les licenciements, augmenter les salaires, imposer leur contrôle sur l'économie ?
Il s'agit de défendre un programme pour les luttes qui parte des besoins de la population, du monde du travail, dans la continuité, tout simplement, du programme qu'ils ont défendu aux régionales et aux européennes.
C'est sur ces bases que nous devons chercher à associer. Les courants révolutionnaires, bien sûr en premier lieu, comme nos camarades de LO s'ils le souhaitent, mais aussi nombre de militants, de travailleurs, de jeunes, qui cherchent une perspective politique indépendante des partis de gouvernement, quels qu'ils soient.
Et c'est bien aussi sur cette base-là, en nous affirmant clairement, que nous devons mener les discussions avec le Parti communiste, ses militants, et avec les militants du PS qui ne sont pas encore conquis par le social-libéralisme.

Galia Trépère


Les deux campagnes Ligue communiste révolutionnaire Lutte ouvrière
De nouveaux arguments pour renforcer l'unité des révolutionnaires

L'alliance LO-LCR visait à exprimer dans les urnes le regain de combativité constaté dans les rues depuis 1995, et dont rend compte, au-delà des luttes - celles de l'hiver 1995 au printemps 2003 -, le développement du mouvement altermondialiste ou antiguerre. Sur ce plan, l'échec est patent. Tout le monde en convient. Reste à en prendre la mesure et en comprendre les raisons…
Un cycle s'achève. La séquence ouverte en 2002 par les 10 % de l'extrême gauche à la Présidentielle a marqué une pause au printemps. Les derniers résultats électoraux n'annulent pas, pour autant, les avancées enregistrées dans le sillage de la percée électorale d'Arlette Laguiller en 1995, tant sur le plan de l'influence politique des révolutionnaires que du grossissement de leurs rangs.
Partant, il est essentiel de revenir sur les évolutions qui travaillent en profondeur le mouvement ouvrier depuis l'effondrement du stalinisme et qu'exprime le renforcement de l'extrême gauche en France depuis dix ans ; et il est déterminant d'identifier les obstacles qui en entravent aujourd'hui le cours. C'est le meilleur moyen de les surmonter.

Les limites d'un accord électoral
Les chiffres parlent d'eux-mêmes ! ", entend-on - et d'aucuns le martèlent. Cette évidence comporte néanmoins un risque qui n'épargne malheureusement pas les rangs de l'extrême gauche depuis le mois de juin : celui de n'apprécier les deux campagnes LCR LO qu'à l'aune des scores électoraux, comme si elles se réduisaient au nombre des voix accumulées.
Il faut le reconnaître, la LCR et LO ont entretenu cette idée. L'accord conclu entre les deux formations a délibérément cantonné l'unité des révolutionnaires au terrain électoral, empêchant - par avance - que la frange militante de leurs électeurs s'empare d'une campagne commune que ni la direction de la Ligue ni celle de LO n'entendaient assumer. En refusant, dès le départ, l'animation par les deux organisations de comités de soutien - autant de points de convergences pour les luttes à mener, autant de points d'ancrage pour le parti à construire -, on prenait le risque d'une campagne a minima, sans le souffle de 2002.
Le programme d'urgence sociale et démocratique, défendu par Olivier Besancenot et Arlette Laguiller, porté par les militants de la Ligue et de LO, n'est nullement en cause. Ce qui est en jeu, c'est la démarche d'ensemble ; c'est cette incapacité de l'extrême gauche à se penser comme une direction, à faire des propositions concrètes, et d'abord pour favoriser le rassemblement de toutes celles et tous ceux voulant contribuer à l'émergence d'un parti défendant jusqu'au bout les intérêts ouvriers.
La responsabilité n'incombe pas plus à l'une ou à l'autre des organisations. Cette situation dépasse d'une certaine façon la Ligue comme LO ; elle est le produit de l'histoire de l'extrême gauche marquée par des décennies de marginalité, de combats qui ne l'ont pas habituée à se penser comme une alternative crédible à une échelle de masse.
La timidité l'emporte sur l'audace qu'appelle la période.

L'écho de 1995
De ce point de vue, 2004 fait écho à 1995. L'idée du dépassement était alors en germe. Chacun intégrait les nouvelles coordonnées de la situation ouverte par la chute du stalinisme et la réorganisation d'ensemble du mouvement ouvrier qu'elle encourageait. Un monde disparaissait. Un espace se libérait. Une nouvelle expression organisée de la classe ouvrière sur des bases révolutionnaires devenait possible pour la première fois depuis 1945. Les 1 600 000 voix rassemblées par Arlette Laguiller crédibilisaient le projet d'un parti des travailleurs, d'une organisation révolutionnaire de masse.
À l'époque, LO a tenté de tracer cette perspective… Mais aucune suite n'a été donnée à l'appel à un nouveau parti lancé par Arlette Laguiller le soir du premier tour de la présidentielle. " Les conditions ne sont pas réunies ", défendait-on du côté de LO.
Un parti de masse n'aurait à l'évidence pas vu le jour en quelques jours ou semaines. Mais le mouvement aurait été engagé. Rassembler ne serait-ce que les quelques milliers de militants décidés à s'y impliquer aurait permis une action concertée et coordonnée des révolutionnaires, amplifiant d'autant leur voix dans les AG face aux bureaucraties syndicales. C'est d'autant plus vraisemblable que la popularisation lors de la Présidentielle d'un plan d'urgence social et démocratique était pour beaucoup dans le succès d'Arlette Laguiller. La revendication de l'interdiction des licenciements défendue alors s'est imposée et constitue, dix ans après, un acquis programmatique essentiel pour les révolutionnaires et, au-delà, pour la classe ouvrière. De surcroît, le développement rapide d'une organisation comme ATTAC - 30 000 membres revendiqués - souligne la disponibilité d'une frange significative de la jeunesse et du monde du travail pour l'action collective ; elle témoigne également des difficultés de l'extrême gauche à représenter ce renouveau du mouvement ouvrier.
Il ne s'agit pas de réécrire l'histoire. Mais d'en tirer quelques enseignements… L'alliance LCR LO a montré ses limites, et nous devons les dépasser collectivement. L'extrême gauche avait vu son influence grandir, se consolider sans interruption depuis 1995. Le mouvement marque le pas aujourd'hui. Sur le plan électoral s'entend. Car si on élargit l'horizon au-delà des bureaux de vote, l'impression dominante est plutôt celle de deux campagnes réussies.

Prendre la mesure des acquis des campagnes LCR LO…
La déception des militants et des sympathisants de la Ligue et de LO au soir des résultats des régionales et des européennes, après des semaines de campagne, était légitime : les scores venaient comme démentir l'accueil réservé aux portes des entreprises et sur les marchés et qui étaient autant de signe de l'enracinement de l'extrême gauche et de ses idées. À quatre mois de distance, on mesure les avancées.
N'oublions pas le meeting central du Zénith le 6 juin, où près de 4 000 militants et sympathisants de la Ligue et de LO s'étaient donné rendez-vous, attestant de l'écho rencontré par les listes communes. Le fait mérite d'être noté : cette réunion figure parmi les plus massives de la campagne, loin devant celles organisées par la gauche gouvernementale. Cette réussite en rappelle une autre : la Mutualité archi comble qui avait lancé la campagne des Régionales. Cela doit être souligné : car c'est la confirmation qu'au-delà des rangs révolutionnaires un courant militant reste acquis à notre projet et disponible. Simplement, cette sympathie manifestée durant la campagne et après - face aux difficultés financières de la LCR notamment - ne s'est pas toujours traduite dans les votes.
Il y avait deux scrutins. On a tendance à oublier que les listes LCR LO aux Régionales ont rassemblé 1 077 824 voix, soit 140 000 de plus qu'il y a six ans. La progression est limitée certes, mais incontestable. Nous consolidons nos scores de 1998 alors que le " vote utile " jouait dès le premier tour en faveur de la gauche gouvernementale.
La très forte mobilisation au second tour - une augmentation sans équivalent de 1 500 000 suffrages exprimés ; 3 000 000 de voix supplémentaires gagnées par la gauche - a démontré cette volonté d'en finir avec la droite, coûte que coûte, quitte à voter pour ces partis de gauche désertés par les mêmes électeurs lors de la dernière Présidentielle. De surcroît, la présence de listes autonomes, notamment celle du PCF, a détourné une frange de l'électorat qui avait préféré l'extrême gauche en 2002 et en 1998. Alors dans ce contexte, c'est la résistance du vote révolutionnaire qu'il convient de noter !
Les résultats des Européennes ont amplifié ceux des Régionales. Nous en avons fait les frais. Avec 571 514 voix, le recul des listes LCR LO et du PT par rapport à 1999 s'élève à 335 262 (466 725 hors PT). Une part des électeurs qui avaient soutenu les révolutionnaires ont certainement porté leur suffrage sur les candidats de la gauche gouvernementale. Mais elle est infime. Car la donnée majeure, c'est l'abstention. Notre électorat s'est évaporé ? Mais le phénomène touche l'ensemble de l'électorat. La participation constatée lors des Régionales reste l'exception. Faire la théorie du retour en grâce des socialistes sur la base d'un scrutin régional démenti quelques semaines plus tard par les résultats des Européennes ne manque pas de sel.

…sans surestimer les résultats de leurs adversaires
La " vague rose " est une illusion. Le PS n'a pas renoué avec l'électorat populaire et en particulier ouvrier ces deux dernières années. 78 % des moins de 34 ans et 75 % des ouvriers ne se sont pas déplacés le 13 juin. Le PS n'a pas non plus vampirisé les autres forces de gauche ou d'extrême gauche. Il doit son succès électoral à l'abstention et à son prisme déformant sur les résultats.
La gauche gouvernementale a obtenu aux européennes 42,88 % des suffrages et 7 362 741 voix contre 40,31 % et 9 486 362 voix au premier tour des Régionales. Deux millions de voix évaporées ! Autre rappel significatif de l'absence de cette " vague rose " dont on nous vante l'importance : le 21 avril, Lionel Jospin, au soir de ce qui reste l'échec le plus cuisant du PS après les présidentielles de 1969, rassemblait 16,18 % des exprimés, soit 4 610 113 voix. Aux européennes, le PS a rassemblé 28,89 % des exprimés et 4 960 067 voix. Un écart de 300 000 voix entre avril 2002 et juin 2004 !
Il n'y a pas eu de " 21 avril à l'envers ", mais la confirmation des tendances lourdes apparues au grand jour en 2002. L'idée que les travailleurs ne voulaient pas du retour de la droite en 2002, que la déconvenue socialiste n'était qu'un accident électoral, ne tient pas. Si tel avait été le cas, on aurait pu le vérifier lors des Législatives qui ont suivi : les scores du PS et l'abstention démontrent l'inverse. Le PS a bénéficié du rejet de la droite. C'est indéniable. Mais précisément, ce rejet en éclaire la portée : le vote PS aux régionales, cantonales et européennes exprime moins un mouvement d'adhésion à la politique des socialistes que le désaveu de celle conduite par Jean-Pierre Raffarin.
Nous avons assisté au printemps à la réédition du cycle de l'alternance qui frappe toutes les équipes au pouvoir en Europe. Seule l'Espagne fait exception, et pour cause : José Luis Zapatero a remporté une victoire surprise à quelques jours seulement des Régionales françaises ; à l'inverse de Tony Blair et de Gerhard Schröder son bilan antisocial ne l'handicapait pas encore lors des Européennes…
Le 21 avril n'est pas effacé par la triple victoire électorale du parti de François Hollande, pas plus que le bilan des trois gouvernements de gauche depuis 1981.

La portée de la social-libéralisation des organisations traditionnelles
Jusqu'alors une part essentielle de la politique des organisations révolutionnaires reposait sur une analyse des organisations du mouvement ouvrier, politiques comme syndicales. Elle s'épuise avec la disparition du réformisme et son remplacement par le social-libéralisme. Pour apprécier ce qui se joue en profondeur, on doit impérativement écarter la sociologie électorale et oublier les sondages sortis des urnes. Il ne s'agit pas de discuter de la volatilité de l'électorat de gauche, encore moins de celui des révolutionnaires. Ce qu'il faut approcher ce sont rien moins que les évolutions touchant le mouvement ouvrier en France et à l'échelle du monde depuis 25 ans, et qui s'accélèrent notablement depuis l'effondrement du stalinisme il y a 15 ans.
La social-libéralisation est un phénomène touchant l'ensemble du champ politique et syndical. Et il est planétaire. Des changements qualitatifs s'opèrent en chaîne : le réformisme d'antan qui s'accommodait du capitalisme mais maintenait ses références à la transformation sociale laisse la place à un social-libéralisme pour qui le capitalisme est un horizon indépassable et qui entend restreindre les acquis ouvriers au nom de la compétitivité internationale. C'est l'épuisement des marges de manœuvres d'une politique réformiste qui est à l'origine des reclassements intervenus ces quinze dernières années, et dont les conséquences politiques, programmatique et organisationnelle sont d'une importance inégalée depuis la rupture stratégique entre réforme et révolution il y a près d'un siècle.
L'évolution du PT au Brésil est l'exemple le plus frappant d'un mouvement auquel n'échappe aucune des familles réformistes, pas même celles du " réformisme de gauche " ou labellisées comme telle. Sous la houlette de Lula, le PT, dont la création en 1980 représentait une avancée importante dans l'organisation d'un mouvement ouvrier indépendant de la bourgeoisie, applique depuis vingt mois une politique anti-ouvrière qui place le Brésil parmi les meilleures élèves du FMI et de la Banque mondiale.
On pourrait également évoquer nombre de regroupements radicaux en Europe qui loin de rompre sur la gauche avec le social-libéralisme entament, au contraire, un rapprochement avec lui annonçant le ralliement à venir. C'est le cas du Parti de la Refondation Communiste (PRC) en Italie. On pourrait égrainer ainsi la liste des courants qui, depuis les années 80, ont suivi la même trajectoire. La France en regorge…
Et ce mouvement n'épargne pas le mouvement syndical comme en témoignent les prises de positions de la CGT ou le mouvement social comme l'indique la participation de Claire Villiers et consort à l'exécutif régional dirigé par le PS en Île-de-France.

Nouvelle période, nouveau programme, nouveau parti
L'effondrement de l'URSS et du bloc de l'Est a fait sauter la chape de plomb qui pesait depuis des décennies sur le mouvement ouvrier, faisant voler en éclats les structures traditionnelles d'encadrement de la classe ouvrière. Le mouvement ouvrier où dominaient les appareils sociaux-démocrates et staliniens disparaît. Ceux-ci laissent la place sans que rien n'occupe le vide, malgré les tentatives des altermondialistes, des antiguerres et des… révolutionnaires. La tâche est plus difficile désormais, puisqu'il s'agit de redonner une expression au mouvement ouvrier. Elle s'affranchit néanmoins d'un obstacle majeur : ces directions réformistes qui cadenassaient tout.
Insistons : 1995 marque un tournant. La percée électorale d'Arlette Laguiller précède de quelques mois une vague de grèves inédites depuis 1968. Renouveau de l'extrême gauche et des luttes : la concomitance n'est pas fortuite. Elle exprime le rôle qu'assigne désormais aux révolutionnaires une fraction significative de la classe ouvrière combative. Nos scores électoraux le confirment pleinement depuis dix ans. Mais c'est surtout le grossissement interrompu des rangs de l'extrême gauche qui le révèle. L'érosion des effectifs s'était accéléré du début des années 80 jusqu'au milieu des années 90.
Depuis 2002, la Ligue a doublé le nombre de ses militants ; et la tendance n'est pas démentie quatre mois après les Régionales et les Européennes : le rajeunissement, la prolétarisation et la féminisation engagés il y a deux ans se poursuivent. Ce renouveau des organisations révolutionnaires se vérifie à une échelle de masse sur le terrain électoral mais également, et c'est considérable, dans les luttes où leurs militants et leurs idées s'imposent. L'interdiction des licenciements, la suppression des aides aux entreprises qui licencient : ce sont autant de revendications portées par l'extrême gauche et reprises largement aujourd'hui.
La séquence électorale 2002 2004 est refermée. Pas la période ouverte en 1995, en 1989 faudrait-il dire : 1995 étant la manifestation sur le terrain électoral d'évolutions liées à la chute du stalinisme. Nos tâches demeurent celles d'il y a dix ans : contribuer à l'émergence d'un parti révolutionnaire des travailleurs. Ensemble, la Ligue et LO ont popularisé un plan d'urgence social et démocratique. C'est un outil pour construire la résistance ouvrière face aux attaques patronales et gouvernementales. C'est aussi l'ébauche d'un programme pour cette force révolutionnaire dont l'absence pèse pour donner aux luttes une direction.
Les deux campagnes du printemps soulignent les difficultés de l'extrême gauche à se dépasser ; elles n'invalident pas la politique unitaire engagée par la LCR et LO ; les acquis de la décennie sont autant de point d'appui pour les révolutionnaires et leurs idées.
Militants, sympathisants, de la Ligue et de LO, ensemble, nous devons tirer de notre revers de nouveaux arguments pour avancer. Tout simplement…

Serge Godard


35 heures : déréglementer pour baisser le coût du travail

Concernant les 35 heures, Raffarin avait annoncé en septembre : " une décision sera prise avant la fin de l'année " en précisant, " nous recherchons en priorité un accord avec les partenaires sociaux. A défaut, l'Etat prendra ses responsabilités. ". Les rencontres entre " partenaires " viennent donc de commencer (elles portent aussi sur le Code du travail), Larcher, ministre délégué aux Relations du travail, recevant ce mardi 5 octobre la CGT, mercredi, FO et la CFDT, jeudi, le Medef, entre autres.
Derrière la propagande réactionnaire qui affirme vouloir " permettre à ceux qui veulent gagner plus de travailler plus ", le but principal du gouvernement est de déverrouiller la durée annuelle du temps de travail, fixée à 1607 heures, sans toucher formellement aux 35 heures de la loi Aubry.
Il vise l'augmentation du quota d'heures supplémentaires. La loi Fillon du 17 janvier 2003 a déjà permis de relever ce plafond de 130 à 180 heures par an, par des accords de branche. Le gouvernement voudrait dépasser ces 180 heures, et rabaisser le paiement des 4 premières heures supplémentaires de 125 à 110 % (ce qui existe déjà dans les petites entreprises).
Il voudrait mettre en place aussi la mutualisation des heures supplémentaires entre tous les salariés d'une entreprise. Selon Larcher, pour permettre " à une entreprise de 100 salariés de faire 100 fois 180 heures supplémentaires et à son personnel de se les répartir ". Bref, le patron pourrait imposer le quota d'heures supplémentaires des salariés des services qui n'en font pas ou peu, à ceux où il en a le plus besoin. C'est la limitation annuelle du temps de travail qui volerait donc en éclat.
Enfin, il évoque la possibilité de transformer les comptes épargne-temps en système d'épargne salariale ou épargne-retraite. Les jours de congés et les RTT non pris ne se cumuleraient plus dans un compte de congés à prendre dans les cinq ans, mais se transformeraient en produit financier.
Tout un programme d'offensive contre les salariés que les confédérations ont l'air de vouloir écouter poliment. Maryse Dumas (n°2 de la CGT) a commenté son entretien de mardi avec Larcher par un simple constat : " nous avons une logique affirmée du gouvernement de pousser par tous les moyens à l'allongement de la durée effective du travail ".
Seillière (interview du mardi 5 octobre) se permet d'être plus offensif : " Les entreprises ne peuvent pas se contenter de quelques assouplissements… il appartient à chaque entreprise de négocier avec ses salariés la manière dont elle souhaite organiser le temps de travail en son sein. " Et il se félicite que " le dialogue social est loin d'être en panne. … Le dialogue social est quelque chose d'essentiel pour le MEDEF. "

Le but du patronat : déréglementer et baisser le coût du travail
Avec les attaques sur les 35 heures, l'objectif du Medef n'est pas spécialement de revenir aux 39 heures, mais de déréglementer les droits collectifs des salariés, de se débarrasser des limites à la flexibilité, de ce qui restreint la liberté d'exploiter… tout en continuant à percevoir le maximum de subventions.
Les jérémiades de Seillière sur Raffarin qui ne va pas assez vite dans cette voie s'inscrivent dans la partie de poker-menteur avec le gouvernement pour permettre à celui-ci de faire pression sur les organisations syndicales. Dans le même but, le gouvernement a fait publier en juillet 2004 un rapport du député UMP Novelli, sur " l'évaluation des 35 heures ", qui préconise d'aller au-delà, en envisageant, entre autres, la possibilité pour les accords d'entreprises de se substituer aux accords de branches pour fixer le temps de travail, de baisser encore le taux de majoration des heures supplémentaires dans les PME, de généraliser le dispositif de compte épargne-temps dans la Fonction publique… Et aujourd'hui, le gouvernement se présente comme " modéré " au regard du contenu du rapport, selon une méthode éprouvée ces dernières années, depuis le Livre blanc de Rocard sur les retraites.
Le patronat poursuit sa propagande mensongère sur le coût du travail trop élevé, pour obtenir sans cesse de nouveaux allégements et subventions. Il se sert du chantage à l'emploi et aux délocalisations pour s'attaquer aux conditions de travail et de vie, comme chez Bosch, Doux, SEB, Sediver à Saint-Yorre, Armor… qui ont supprimé jours de congés et de RTT, baissé les salaires, généralisé les 3x8, licencié. Et Raffarin lui donne entière satisfaction : un milliard d'euros est prévu dans le budget 2005 qui s'ajoutera aux 750 millions d'aides nouvelles aux entreprises précédemment prévues par Sarkozy.

Une politique continue depuis plus de 20 ans
C'est la poursuite de la politique entamée depuis l'entrée en crise de l'économie mondiale, au tournant des années 70 et 80. Arrivée au pouvoir à ce moment, la gauche mettait en œuvre la libéralisation de l'économie, en commençant à remettre en cause les droits collectifs que les salariés avaient imposé par leurs résistances et leurs luttes. Et elle a initié la politique des exonérations au patronat qui n'ont jamais cessé d'augmenter depuis.
Les lois Auroux de 1982, présentées comme une avancée dans " l'expression des salariés ", prévoyaient déjà la modulation des horaires de travail sur l'année par accord d'entreprise " dérogatoire ", des horaires individuels flexibles " sur demande du personnel ". En compensation, le gouvernement accordait un droit de veto au CE : les syndicats s'en accommodaient, au nom du " donnant, donnant ".
Cette politique se poursuit avec les gouvernements de droite. En 1996, la loi De Robien prévoit des exonérations de charges sociales pour toute entreprise qui diminue le temps de travail de 10 % et fait 10 % d'embauches. Les " accords " signés prévoient une baisse des salaires, ou au mieux le gel, et l'annualisation du temps de travail.
Un des coups les plus importants est ensuite porté par les lois Aubry de 1997 et 1999. Elles généralisent l'annualisation du temps de travail, la flexibilité et le gel, voire la baisse des salaires. Des " aides " sans précédent sont offertes au patronat, avec des conditions encore plus avantageuses que celles prévues par De Robien.
Loin d'être " l'avancée, en matière de réduction du temps de travail, la plus importante obtenue depuis 1936 ", selon Viannet, alors dirigeant de la CGT, les 35 heures d'Aubry ont permis d'ouvrir la voie à la déréglementation des droits sociaux, et à la négociation entreprise par entreprise. Le battage de Seillière à l'époque n'avait pour but que d'obtenir davantage pour le patronat. Et il a été entendu puisque les 35 heures ont permis d'aménager le temps de travail en fonction des aléas de la production, tout en leur distribuant d'énormes subventions. Ce sont elles qui ont coûté cher à la collectivité, pas les 35 heures ! Ce que Martine Aubry a dit crûment : " l'aide de l'Etat sous forme de baisse dégressive des charges patronales, couvre la totalité des coûts induits par la réduction de la durée du travail… Calculez, vous allez voir que vous y gagnez ".
Pour Notat, l'ex-responsable de la CFDT, cette loi était " exactement ce que les chefs d'entreprises avaient envie d'entendre ". Et la CFDT s'est engouffrée dans la possibilité offerte par le " mandatement " pour négocier les accords sur les 35 heures, dans le privé, en l'absence même de sections syndicales.
Les " négociations " par branches et par entreprises, ont paralysé la riposte des travailleurs. Ainsi, les luttes engagées, à la SNCF, à la Poste et dans de nombreuses entreprises, n'ont pu déboucher, les salariés se heurtant à un front commun du patronat, du gouvernement, et de leurs directions syndicales. Dans les entreprises, bien des militants syndicaux se sont trouvés isolés et sans perspective, pris au piège des " accords d'entreprises ", validant contre les travailleurs les attaques du patronat.

Nécessité d'une politique indépendante pour les travailleurs
Cette politique d'accompagnement du social-libéralisme de la gauche plurielle, les confédérations syndicales l'ont poursuivie avec le gouvernement de droite et elles prolongent avec lui le " dialogue social " en partenaires responsables. Mais l'adaptation, la soumission fataliste aux lois prétendument intangibles de l'économie, se révèlent pour ce qu'elles sont, c'est-à-dire le refus de la lutte, la volonté de collaboration. Cela provoque des révoltes, des contestations, des ruptures non seulement au sein du monde du travail mais parmi bien des militants.
L'organisation d'une fraction du monde du travail en collectifs et interpro, montre la méfiance vis-à-vis des directions confédérales. L'influence grandissante des idées révolutionnaires depuis 1995, autour du " plan d'urgence social et démocratique " de la LCR et de LO, révèle aussi cette évolution des consciences.
Avec les attaques sur le temps de travail, c'est le renforcement de l'exploitation qui est en question. Dans le contrat de travail, l'ouvrier vend sa capacité de travail, musculaire et intellectuelle, pour un salaire au capitaliste, qui achète ainsi le droit d'utiliser cette force pendant un certain temps. Le patronat veut aujourd'hui pouvoir utiliser ce temps comme il l'entend, l'augmenter ou le réduire selon ses besoins, par le rallongement du temps de travail ou le chômage, par l'intérim et la flexibilité.
Face à ces attaques, face à la propagande réactionnaire du " travailler plus ", face au chantage à l'emploi et sur les salaires, le courant révolutionnaire est porteur de la vieille revendication, si actuelle, du mouvement ouvrier 
: " partage du travail entre toutes les mains ouvrières ", " l'échelle mobile du temps de travail ". C'est un point d'ancrage pour combattre l'idéologie de la " fatalité économique " et avancer une politique d'ensemble pour le monde du travail, une politique de résistance et de lutte contre l'aggravation de l'exploitation.

Franck Coleman

Rapport De Virville : patronat et gouvernement s'apprêtent à dépecer le Code du Travail

Le patronat se sent en position de force, enhardi par les défaites qu'il nous a imposé depuis des années, et particulièrement depuis deux ans sur les retraites, la Sécu ou le statut public d'EDF. Il entend redoubler ses attaques : campagne de presse sur les délocalisations, visant à accréditer l'idée que le coût du travail, ici, serait trop élevé, attaque contre les 35 heures, plan de cohésion sociale de Borloo…
Seillière disait, après la victoire des recalculés : " Il est inadmissible… que les accords sociaux négociés… soient systématiquement remis en cause, soit par la loi, soit par la rue, soit par les juges ". Il indiquait ainsi un des objectifs essentiels du patronat : dégager le pouvoir de décision des patrons de ce qu'ils considèrent comme des entraves insupportables que constituent les droits acquis des salariés.
Il s'agit pour eux de faire passer les reculs ouvriers dans la loi.
Ainsi, le patronat exige avec force du gouvernement que le Code du Travail soit revu et " toiletté ".
Un certain Michel de Virville, Directeur des ressources humaines chez Renault, (épinglé par la Cour de Cassation, pour le recours massif et illicite de son groupe à l'intérim) a été chargé de préparer un rapport sur une " modernisation " du Code du Travail, " pour aller vers un droit du travail plus efficace ".
Plus efficace pour qui ? C'est ce que l'on comprend en regardant de près ce rapport, attaque en règle contre le Code du Travail.
Ce n'est, ceci dit, pas la première fois que le Code du Travail est revu dans un sens défavorable aux salariés.
Dès juillet 81 par exemple, Mitterrand, par le protocole sur l'aménagement du temps de travail, et l'ordonnance de janvier 82, avait rendu possible que, dans les entreprises ou les branches, des accords dérogatoires ne soient plus supérieurs à la loi. C'était une première brèche.
Aujourd'hui, les 50 " propositions " de Virville, sous une hypocrite phraséologie, représentent un véritable brûlot contre les droits du monde du travail !

" Rendre le Droit du Travail plus accessible "
Le droit est toujours la prise en compte par la loi des rapports de forces gagnés sur le terrain, le résultat de la lutte des classes. Dans le Code du travail se retrouvent les acquis des milliers de victoires, grandes ou petites, de reculs imposés au patronat et qui sont passés dans les textes.
Comme pour tout droit bourgeois, le Code du Travail, avec ses milliers d'articles, de jurisprudences, est tatillon, confus, difficilement applicable pour tout ce qui concerne la protection des salariés. Chaque mesure positive est assortie de restrictions et limitations qui représentent un véritable casse tête pour les juges et les militants ouvriers.
Tel qu'il est, dans sa complexité, il représente pourtant une relative protection, un certain droit à minima pour les salariés et les militants syndicaux. A condition, bien sûr, chaque fois, d'imposer le rapport de forces qui, seul, en permet l'application.
Dénonçant avec démagogie cette complexité, reconnue par tous, De Virville propose " d'élaguer " ces textes, pour les rendre plus lisibles.
Mais les quelques mesures proposées en ce sens sont dérisoires : mettre les textes sur un site en ligne -cela existe déjà largement- émettre des documents de vulgarisation, synthétiser les accords, etc. ne changerait rien pour l'immense majorité des usagers, juges, militants ou salariés. Il ne s'agit là que de quelques mesurettes " alibi " avant de passer à l'essentiel, c'est-à-dire simplifier le Code du travail en effaçant les acquis des salariés !

" Rendre le droit du Travail plus prévisible, plus 'sûr' "
Trop de situations, se plaignent les patrons, sont hors normes juridiques et les temps de jugements trop longs. Il ne faut plus permettre que des jugements cassent des décisions patronales : licenciements, discriminations. Ça leur coûte trop cher !
Raccourcir les délais de forclusion : Les salariés n'auraient plus que 2 mois (comme pour tout recours contre un acte administratif) au lieu de plusieurs années, comme actuellement, pour déposer un recours en annulation contre une Convention, un accord collectif de travail. Prescription ramenée de 30 ans (actuellement) à 10 ans pour déposer un recours sur salaire, indemnités ou dommages et intérêts.
Ce sont là de graves amputations de nos droits de recours, que l'on pense aux victimes de l'amiante, de toute maladie grave contractée en service, ou à la discrimination syndicale.
Limiter les droits de la Cour de Cassation en ne rendant ses arrêts applicables que pour l'avenir (non rétroactifs) ou encore, pour les recours concernant les contrats d'entreprise, mettre le juge sous le contrôle obligatoire d'une " Commission Paritaire " d'entreprise que le patron concocterait avec un ou deux " bons " syndicats.

" Sécuriser les relations de travail "
Rendre obligatoire le contrat de travail écrit (pour l'instant, le bulletin de salaire peut en tenir lieu) ne changera rien pour les salariés. Là où les patrons le font déjà, ils n'y mettent que ce qui contraint les salariés et affirme le pouvoir patronal. Et restent fort vagues sur tout ce qui pourrait être une garantie pour le salarié : horaires, rémunération, congés.
Pour changer les règles de la modification du contrat de travail, le rapport préconise de laisser les mains encore plus libres aux patrons d'adapter le contrat aux intérêts de sa production, sans être inquiétés par les tribunaux.
Par la " rupture négociée ", il était possible (parfois) pour les salariés d'obtenir une transaction plus favorable que la loi. Le rapport propose d'y mettre fin et de permettre au patron de ne donner pas plus que ce qu'impose la loi.
Au sujet des " contrats d'usage " (saisonniers dans l'hôtellerie, par exemple), le rapport préconise -une des rares mesures un peu favorable- de leur accorder les mêmes droits qu'aux CDD. Le MEDEF a aussitôt jugé cet article " inacceptable ". Pas question de mettre fin aux emplois successifs, sans aucun droit, des mêmes salariés, sur le même poste, sans limitation de temps !
L'exonération des charges sociales pour les sociétés d'intérim est envisagée.
Quant au fameux " contrat de projet " -mesure dont la presse a le plus parlé- elle permettrait aux patrons d'embaucher des cadres (des cadres… pour commencer !) pour des missions, des projets, pour une durée pouvant excéder 18 mois, et, bien sûr, sans CDI.
C'est la porte ouverte à la fin du CDI, dans un premier temps pour les cadres, et à l'aggravation de la précarité.

" Préciser la frontière entre travail salarié et travail indépendant "
Il s'agit là de rejeter des travailleurs du statut de salarié à celui de " travailleur indépendant ". Des milliers de salariés se retrouveraient sans aucun droit, ce serait (encore plus) l'explosion de la sous-traitance sans contrainte pour les employeurs.
Ce texte prévoit aussi le prêt de main d'œuvre, l'affectation des CDI vers des entreprises sous traitantes, sans plus aucun risque pour les patrons de passer devant les tribunaux pour " délit de marchandage ".

" Améliorer le dialogue "
Derrière les phrases ronflantes sur la qualité du dialogue, il s'agit de rogner les droits des élus du personnel, en favorisant les négociations dans le champ clos de l'entreprise entre le patron et un ou deux " bons " syndicats de son choix.
Dans les entreprises de 250 salariés, le rapport préconise la création d'un " conseil d'entreprise " qui regrouperait les attributions à la fois des DP, des CE et des délégués syndicaux, présidé par le patron et pouvant négocier les accords d'entreprise.
L'action revendicative disparaît derrière la négociation, voire la gestion " en commun " de l'entreprise !
Une autre proposition envisage de ne plus prendre en compte les salariés des entreprises sous traitantes pour l'élection des DP.
Passage du mandat des élus de 2 à 4 ans et élections groupées, sans plus tenir compte de la notion d' " établissements distincts ".
Toutes ces mesures vont dans le même sens : moins de délégués du Personnel et encore plus loin des yeux des salariés.
Et, pour limer le rôle des CE : plus besoin d'informations régulières (tous les mois ou trimestres, comme actuellement) sur la marche de l'entreprise à fournir aux délégués, un seul rapport annuel suffira. Fini les patrons poursuivis pour délit d'entrave.
Et, pour ne pas léser les actionnaires, plus question d'autoriser la convocation ou la consultation du CE, si cela doit avoir une incidence financière sur les profits, ou risquer de rendre public un plan social envisagé.

" Consolider la réglementation du travail "
La commission, prenant acte que, depuis l'Ordonnance de 82, on est passé d'un " droit de protection des salariés " à la réglementation de l' " organisation du travail dans l'entreprise ", propose de pérenniser cela dans les textes.
C'est-à-dire d'acter les reculs imposés aux salariés.
Revenir dans certaines branches : coiffure, restauration, gardiennage, au temps de travail réel, c'est-à-dire supprimer les avantages du paiement des heures d'astreinte, d'attente, qui étaient acquis.
Supprimer l'obligation pour les patrons d'indiquer la programmation du travail sur l'année : c'est la porte encore plus ouverte à l'adaptation du temps de travail aux aléas de la production.
Etendre à tous les salariés itinérants (des dizaines de milliers) les " forfaits jour ". Exemple : travailler 13 heures par jours, 6 jours par semaine.
Extension des secteurs où les repos hebdomadaires peuvent être imposés par roulement et ceux où le travail du dimanche est possible.
Autre projet, qui amputera gravement le niveau de vie de milliers d'entre nous : les patrons ne seraient plus tenus de payer les congés annuels selon la règle la plus favorable aux salariés, mais selon celle de leur choix.
Toutes ces mesures sont de graves menaces sur la vie, la santé et le niveau de vie de millions de salariés, surtout du privé.

" Réformer le système de sanctions des patrons "
Sous le fallacieux prétexte que la loi est inapplicable, il s'agit d'exonérer les patrons de condamnations sur de nombreux points, tels que : abus du travail précaire, non-respect de la médecine du travail, des droits syndicaux, heures supplémentaires et durée du travail.
La Commission préconise de s'en tenir au droit pénal, dans l'application du Code du travail : derrière cette affirmation vertueuse, il y a la dénonciation du fait que, parfois, le Code du travail est plus sévère pour les patrons que le droit pénal.

" Placer la négociation collective avant la loi "
Il s'agit de remplacer l'application de la loi, trop contraignante, par des règlements décidés localement, au niveau de l'entreprise, là où le salarié est isolé, là où le patron peut concocter, avec des syndicats " à sa botte " tous les règlements, ou conventions, dictés par lui et favorables à ses intérêts.
Pour les rapporteurs, le Code du travail, la loi, ne devrait être là que pour fixer des orientations, des grands principes, mais pour tout ce qui est de la législation quotidienne, réelle, ce serait aux négociateurs, patrons et syndicats, au niveau le plus proche de l'entreprise, de la prononcer. Derrière cette démocratie de façade se cache la remise en cause de toute législation générale imposable à tous pour consacrer le droit divin des patrons.
Plusieurs mesures envisagent, pour " aider " les salariés dans les négociations (dans les petites entreprises) de leur fournir l'aide d'experts, d'appuis techniques.
Tout, pourvu que les syndicats ne viennent pas y mettre le nez.
Le patron pourra aussi ne plus être tenu d'appliquer l'accord de groupe s'il est plus favorable, mais l'accord de l'entreprise négocié sur place.
Pour rétablir nos droits, il faudra changer le rapport de force
On voit à travers cette lecture un peu fastidieuse, la philosophie de cette attaque patronale d'envergure.
Le problème des travailleurs, et c'est bien l'inquiétude partagée par beaucoup d'entre nous lors de cette rentrée, c'est que, face à ces attaques, face au culot et à la détermination du patronat et du gouvernement, ceux qui, dans notre camp, devraient nous appeler au combat, préparer la riposte, n'ont qu'un souci : continuer à négocier quelques contreparties dérisoires en échange de l'acceptation de nouveaux reculs.
Pour défendre les droits acquis, effacer les reculs, le mouvement ouvrier a à rompre avec cette logique de capitulation pour renouer avec la lutte de classe. Etre en mesure d'engager réellement la lutte suppose d'être prêt à contester le pouvoir du patronat, c'est-à-dire lutter contre le droit absolu de la propriété privée capitaliste, pour le droit collectif des salariés et de toute la population.

Gérard Villa