Débat militant | ||||||||||
Lettre publiée par des militants de la LCR |
n°53
|
22
octobre 2004
|
||||||||
|
||||||||||
Sommaire : | ||||||||||
A propos de la mondialisation libérale et impérialiste, retour sur " l'impérialisme " de Lénine | ||||||||||
Venezuela : retour sur la " révolution bolivarienne " de Chávez ou les limites de l'anti-impérialisme | ||||||||||
|
||||||||||
Débattre,
unir et regrouper pour un parti des travailleurs
Aujourd'hui, le profond mouvement de renouveau des luttes engagé depuis
novembre-décembre 95 marque le pas. Les luttes des enseignants et celles
pour la défense des retraites du printemps 2003 ont été
le puissant aboutissement de ce renouveau mais sans réussir à
faire reculer le patronat et le gouvernement. Ces derniers en ont profité
pour pousser l'avantage, engager la privatisation d'EDF-GDF comme la réforme
de la sécu et préparent une nouvelle offensive contre le droit
du travail avec la remise en cause des trente-cinq heures ou la loi sur les
licenciements.
Pourtant, ce gouvernement a non seulement été désavoué
par la rue mais aussi et par deux fois dans les urnes. Illégitime, il
réussit à imposer sa politique rétrograde grâce,
pour l'essentiel, à la complicité de son opposition parlementaire
social-libérale.
Depuis les élections régionales s'est mis en place une nouvelle
cohabitation, l'Etat et le gouvernement à la droite, les régions
aux sociaux-libéraux, en attendant 2007, la Présidentielle, qui
aiguise les ambitions et rivalités de tout bord. La bataille qui agite
le petit monde parlementaire autour de la question de l'Europe, du référendum
ou de l'adhésion de la Turquie en témoigne.
N'ayant pas réussi à faire reculer l'Etat et le patronat, le mouvement
social, les résistances, sont confrontés à de nouveaux
obstacles, interpellés par leurs échecs.
Les convergences de nouvelles solidarités qui se sont nouées au
sein du monde du travail, les volontés de dépasser les clivages
corporatistes, les divisions syndicales, l'aspiration à un tous ensemble
comme la recherche de nouvelles formes de représentation démocratique
constituent une riche expérience, même si elles sont restées
encore trop faibles pour pouvoir faire basculer le rapport de force.
Ces acquis des dernières luttes sont riches de potentialités pour
l'avenir. Ils expriment un rejet de la politique des partis de la gauche gouvernementale
comme des directions des grandes confédérations syndicales, politique
social-libérale. Ils expriment l'aspiration à faire de la politique
autrement, loin du carriérisme et des flatteries de pouvoir, une politique
solidaire et démocratique, fidèle aux intérêts des
opprimés.
Ils sont aussi porteurs d'une volonté de transformation radicale de la
société.
C'est en les étayant, en les renforçant, en les développant
que le mouvement social, dans sa diversité, pourra reprendre l'offensive
à un niveau plus élevé pour préparer un mouvement
d'ensemble, seul capable d'inverser le rapport de force.
Cela nécessite le regroupement dans un cadre politique commun, ouvert,
démocratique de toutes celles et de tous ceux qui entendent combattre
la politique du patronat et de la droite sans accorder la moindre confiance
aux partis de la gauche gouvernementale.
L'heure est au débat sur les voies et moyens de donner au mouvement social
son expression, sa représentation politique.
Le mouvement social a besoin d'un parti politique, pleinement indépendant
des partis parlementaires, porteur des exigences et des revendications du monde
du travail, pleinement solidaire et engagé dans toutes ses luttes, défendant
un programme d'urgence sociale et démocratique en rupture avec le capitalisme.
Il faut mettre fin au drame du chômage et de la précarité,
interdire les licenciements, répartir le travail entre tous pour en finir
avec l'exclusion et l'insécurité sociale.
Il faut enlever au patronat et aux financiers le contrôle absolu qu'ils
exercent sur l'économie, prendre sur les profits pour créer les
milliers d'emplois qui font défaut dans les services publics.
Il faut abroger les lois Raffarin-Fillon-Balladur sur les retraites comme les
plans Juppé et Douste-Blazy sur la sécu, revenir sur les privatisations
Il faut une revalorisation des salaires et des retraites. Personne ne devrait
vivre avec moins de 1500 euros.
La défense des droits des femmes, la lutte pour les droits des travailleurs
d'origine étrangère, de tous les sans-papiers, sont essentielles
dans la lutte contre cette société d'oppression.
Ce combat s'inscrit dans le cadre de l'Europe, mais il se revendique d'une Europe
sociale, démocratique, une Europe de la paix, l'Europe des travailleurs
et des peuples. Et c'est pourquoi il dit non à la constitution de l'Europe
libérale et impérialiste.
Internationaliste, le parti dont les classes populaires ont besoin s'inscrit
dans le mouvement contre la guerre qui le 15 février dernier a su se
manifester dans le monde entier contre la guerre en Irak.
Il se revendique des droits à l'autodétermination des peuples
et de relations internationales démocratiques fondées sur la coopération.
Il dénonce tous les intégrismes et le terrorisme, en premier lieu
le terrorisme des grandes puissances contre les peuples.
Ces exigences de progrès, de démocratie et de paix sont celles
de la grande majorité de la population. Elles sont les raisons pour des
dizaines de milliers de femmes et d'hommes, de jeunes, de résister et
lutter chaque jour sur leur lieu de travail, leur quartier, leur ville
Il s'agit d'aider à leur regroupement pour qu'ils deviennent réellement
une force capable de peser.
Cela suppose un large débat sur l'appréciation, la compréhension,
que les différents acteurs du mouvement social ont " de la période
et des tâches ". Unir, se regrouper, exige un accord non seulement
sur un programme d'action, les exigences immédiates du monde du travail,
mais, plus profondément, sur les perspectives générales
du mouvement.
Une leçon essentielle des derniers mouvements est bien qu'il n'est pas
possible de mener les luttes, les résistances quotidiennes, a fortiori
les batailles pour des revendications essentielles comme la défense des
retraites ou des services publics, sans affirmer la perspective globale d'une
autre société. Cette perspective, c'est celle dont est porteur
le monde du travail, que lui seul pourra construire, la perspective d'un autre
monde, débarrassé de la domination de la propriété
privée et des rapports d'oppression.
Le mouvement social doit se réapproprier le projet d'émancipation
sociale dont il est porteur depuis ses origines. Se réapproprier, c'est
assimiler les riches expériences du passé pour leur redonner vie
dans notre programme comme dans les luttes quotidiennes.
Débat militant entend être partie prenante de ce travail de réappropriation
qui suppose un débat sans barrières ni exclusives, unitaire et
démocratique. Il s'agit de définir ce qui unit, regroupe, rassemble.
C'est pour participer pleinement à ce " temps du débat "
qui s'impose au mouvement social pour refaire ses forces et préparer
une nouvelle offensive, que nous soumettrons à la discussion dans nos
prochains numéros des éléments pour contribuer à
l'élaboration d'un programme pour un nouveau parti.
Nous espérons ainsi être utiles en participant au... débat
militant.
Yvan
Lemaitre
A
propos de la mondialisation libérale et impérialiste,
retour sur " l'impérialisme " de Lénine
Mondialisation,
" nouvel ordre mondial ", " nouvelle
économie ", autant de formules d'économistes et
de journalistes pour décrire la nouvelle phase de développement
de l'impérialisme en cours depuis une vingtaine d'année.
Cette mondialisation n'est pas la mise en uvre d'un " modèle "
libéral. Les théories libérales ne sont que la justification
idéologique d'un rapport de classe. Les méfaits de la mondialisation
ne sont pas les mauvais côtés d'un système que l'on pourrait
réguler, ils sont le produit direct des contradictions du capitalisme
qu'il faut resituer dans l'évolution qu'il a connue depuis deux siècles.
L'évolution du capitalisme de ces 20 dernières années s'inscrit
fondamentalement dans la continuité de celle décrite par Lénine
au début du XXème siècle, quand la transformation du capitalisme
de libre concurrence en impérialisme allait aboutir à la constitution
des empires coloniaux puis à la première guerre mondiale.
Et c'est du point de vue du monde du travail que Lénine décrivait
cette évolution du capitalisme en 1916 dans le cadre de l'analyse du
capitalisme faite par Marx. Il s'agissait à la fois de comprendre les
causes de la faillite des organisations ouvrières dont les directions
s'étaient ralliées à leur bourgeoisie nationale au moment
de la guerre mais aussi d'armer les consciences et préparer les explosions
sociales que la guerre allait entraîner.
Aussi
est-il important de revenir sur l'analyse que Lénine faisait de l'impérialisme,
comme un nouveau stade du développement du capitalisme, reposant sur
les mêmes contradictions que celles décrites par Marx mais développant
des traits nouveaux, conséquence de ses contradictions internes.
Il faut revenir sur cette analyse pour mieux appréhender la nature des
transformations que le capitalisme a subies depuis.
Dans
sa brochure écrite en 1916, Lénine donne de l'impérialisme
la définition suivante : " L'impérialisme est
le capitalisme arrivé à un stade de développement où
s'est affirmé la domination des monopoles et du capital financier, où
l'exportation des capitaux a acquis une importance de premier plan, où
le partage du monde a commencé entre les trusts internationaux et où
s'est achevé le partage de tout le territoire du globe entre les plus
grands pays capitalistes ".
Cette définition englobe les cinq caractères fondamentaux de l'impérialisme :
1
" Concentration de la production et du capital parvenue à
un degré de développement si élevé qu'elle a créé
les monopoles, dont le rôle est décisif dans la vie économique "
2 " Fusion du capital bancaire et du capital industriel, et création,
sur la base de ce " capital financier ", d'une oligarchie
financière "
3 " L'exportation des capitaux, à la différence de
l'exportation des marchandises, prend une importance toute particulière "
4 " Formation d'unions internationales monopolistes de capitalistes
se partageant le monde "
5 " Fin du partage territorial du globe entre les plus grandes
puissances capitalistes "
Il
nous faut confronter cette définition à l'évolution qu'a
connu le capitalisme pour essayer de dégager les traits nouveaux qui
se sont développés afin de comprendre les contradictions qui travaillent
le capitalisme d'aujourd'hui dans cette nouvelle phase qui conjugue libéralisme
et impérialisme. Ces contradictions sont-elles fondamentalement les mêmes ?
En conséquence, le programme révolutionnaire dont Lénine
se revendiquait, en continuité avec les idées élaborées
par Marx, garde-t-il sa pertinence ? Les traits nouveaux donnent-ils une
nouvelle validité aux raisonnements des marxistes ou au contraire les
invalident-ils ?
1-
Concentration de la production et du capital, des monopoles aux multinationales
Toute l'évolution actuelle du capitalisme contribue à porter à
une échelle gigantesque cette concentration de la production et du capital
que Lénine décrivait en 1916. La concurrence qui, au début
du XXème siècle, éliminait les petites entreprises au profit
des plus grandes, joue aujourd'hui à l'échelle de la planète
entière sur les plus grandes entreprises elles-mêmes. Cette concentration
s'est prodigieusement accéléré à travers la multiplication
des fusions et acquisitions qui entraînent une restructuration permanente
des firmes multinationales qui s'affrontent pour le contrôle des marchés
mondiaux.
L'augmentation de la productivité du travail a contribué à
accentuer cette concentration de la production dans tous les domaines de l'économie
Aujourd'hui, la production s'organise à l'échelle de la planète,
les firmes multinationales peuvent contrôler tout un secteur de la production,
directement ou par une multitude de filiales sous traitantes, grâce au
développement des moyens de transport et de communication.
Ainsi, dans nombre de secteurs industriels comme les logiciels, les composants
électroniques, l'aérospatiale, les cinq premières multinationales
se partagent plus de la moitié de la production mondiale. Les chiffres
d'affaires des plus grandes multinationales dépassent les budgets d'Etats
comme la Hollande. General Motors emploie plus de 700 000 personnes dans
le monde et pèse sur le plan financier autant qu'un pays comme la Suède.
Quelle
est la conséquence de la concentration de la production à ce degré
? Cela a contribué à créer une véritable classe
ouvrière internationale. La production industrielle implique aujourd'hui
la participation de millions de travailleurs de plusieurs continents, travaillant
sur les mêmes machines, pour fabriquer les mêmes produits pour les
mêmes trusts.
2-
Domination d'une oligarchie financière, de la formation du capital financier
à la bulle financière et au capital rentier
L'imbrication du capital industriel et des banques que décrit Lénine
a atteint des proportions bien supérieures du fait de l'explosion de
la finance à travers le crédit, la Bourse et les spéculations
financières et monétaires, 24h sur 24h à l'échelle
de toute la planète, rendue possible grâce à la révolution
technologique de l'informatique. Aujourd'hui, les grandes firmes multinationales
sont avant tout des groupes financiers à la recherche du meilleur taux
de profit pour leurs immenses capitaux. Le caractère parasitaire de ce
capital financier pèse sur toute la société. Toute la vie
sociale, la politique des Etats sont subordonnées aux intérêts
à très court terme de la finance comme l'a montré, par
exemple, la multiplication des licenciements boursiers.
Lénine cite comme exemple de ce parasitisme le fait qu'en Angleterre,
les revenus financiers sont cinq fois plus élevés que ceux du
commerce extérieur. Le total des actions cotées en Bourse en février
1999 était de 130 000 milliards de dollars, 20 fois plus que tous les
échanges de marchandises et de services réalisés en 1998
qui se montaient à 6500 milliards de dollars. On estime qu'aujourd'hui
moins de 5 % des capitaux en circulation ont une fonction productive, l'essentiel
ne correspondant qu'à des opérations financières.
Le parasitisme de cette oligarchie financière fait que les inégalités
entre les pays, mais surtout entre les classes, ne cessent d'augmenter. Ainsi
les 225 personnes les plus riches du monde disposaient d'autant de richesses
que les 2,5 milliards les plus pauvres.
Cela a porté à un niveau extrême cette contradiction fondamentale
du capitalisme entre une production socialisée, organisée à
l'échelle de la planète et l'appropriation privée par une
poignée d'actionnaires. Partout, les travailleurs sont victimes d'une
même oligarchie financière, une minorité de parasites qui
est pour l'essentiel issue des pays riches, en premier lieu les Etats-Unis mais
qui a trouvé des relais dans les classes dominantes de tous les pays.
A cette oligarchie financière internationale s'oppose une classe ouvrière
internationale qui commence à prendre conscience d'elle-même.
3
- De l'exportation des capitaux aux délocalisations qui aboutit à
la concurrence internationale entre les salariés
Lénine décrit comment l'exportation des marchandises a fait place
à l'exportation des capitaux dans les empires coloniaux. Ce qui a permis
aux trusts et aux banques des puissances impérialistes de réaliser
des surprofits colossaux sur la base de la surexploitation de la main-d'uvre
et du pillage des richesses des colonies.
Les colonies n'existent plus mais le pillage impérialiste s'est accentué
tout en prenant de nouvelles formes.
L'endettement forcé des pays pauvres, soit disant au nom de l'aide au
développement, a abouti à un véritable pillage par la dette.
Cela a entraîné un flux de richesses des pays pauvres vers les
pays riches, flux de richesses faibles par rapport aux masses de capitaux que
la bourgeoisie mondiale brasse mais suffisants pour plonger les trois-quarts
de la population mondiale dans la catastrophe. Ainsi, la Banque mondiale estime
qu'en 1988, le transfert des pays pauvres vers les pays riches était
de 30 milliards de dollars par an et qu'il serait passé à 52 milliards
de dollars.
Ainsi, le pillage impérialiste s'est accentué et diversifié,
il ne s'agit plus d'une simple exportation de capitaux vers des colonies protégées,
chasse gardée de la puissance coloniale. Les déréglementations
financières ont créé un marché financier mondial,
cadre d'une concurrence acharnée entre firmes financières multinationales
pour s'accaparer une part toujours plus grande des richesses produites. Des
masses énormes de capitaux se déplacent sur les marchés
boursiers et financiers du monde entier, spéculant sur les perspectives
de profits que trusts et sociétés financières peuvent escompter
de tel ou tel secteur industriel ou commercial ou de tel ou tel pays. Ce capital
financier spéculatif, foncièrement parasitaire, soumet les économies
à une instabilité dévastatrice pour les plus fragiles et
les plus dépendantes d'entre elles.
Mais une autre caractéristique de la période actuelle est que
toute l'économie repose sur un endettement généralisé.
L'endettement des pays pauvres même s'il est catastrophique pour ses populations,
est dérisoire par rapport à l'endettement atteint par les pays
riches et en particulier, par le plus puissant, les Etats-Unis. Cet endettement
atteignait en 2002, 31 000 milliards de dollars, ce qui représente
295 % du PIB annuel.
Le rapport de forces économique est tel que les Etats-Unis exportent
leur déficit en le faisant financer par les banques et les Etats du reste
du monde qui n'ont d'autres choix que de jouer le jeu, pour éviter qu'un
effondrement de l'économie américaine n'entraîne celui de
toute l'économie mondiale.
Les rapports impérialistes ont évolué, du pillage direct
des richesses des colonies à l'exportation des capitaux pour organiser
la production et le pillage colonial jusqu'à aujourd'hui, la création
d'un marché financier international à travers lequel ce pillage
se poursuit. Cela a considérablement modifié les rapports entre
les peuples, les mouvements de capitaux ont fait naître partout dans le
monde de nouvelles entreprises travaillant pour le marché mondial contribuant
à créer partout une classe ouvrière moderne, finalement
bien plus homogène qu'au début du XXème siècle.
Pour les travailleurs, la conséquence c'est avant tout une mise en concurrence
à l'échelle de la planète notamment entre travailleurs
des pays riches et travailleurs des pays pauvres. Mais cette mise en concurrence
peut être la base même de l'émergence de la conscience d'appartenir
à une même classe car soumis à la rapacité de la
même minorité de privilégiés. L'internationalisme
n'est pas un simple sentiment de solidarité avec les travailleurs des
différents continents. Pour des millions de travailleurs, c'est devenu
une nécessité concrète pour s'opposer à leur mise
en concurrence, pour se défendre collectivement contre les intérêts
des actionnaires. La mondialisation a ainsi créé les bases matérielles
pour un renouveau de l'internationalisme ouvrier en lui donnant un contenu vivant
et concret.
4- Union
internationale monopolistes de capitalistes : les firmes multinationales
La tendance à la création de monopole décrite par Lénine
s'est amplifiée : les multinationales sont responsables des trois-quarts
du commerce international, d'autant que 40 % de ce commerce correspond à
des transferts de produits au sein même de ces firmes géantes.
Ainsi, l'économie mondiale est dominée par quelques centaines
de firmes multinationales gigantesques qui, grâce à la révolution
des moyens de communication et de moyens de transport, peuvent organiser leurs
activités à travers toute la planète en mettant en concurrence
les travailleurs des pays riches et des pays pauvres.
En position de monopoles, ces multinationales contrôlent la recherche
et les nouvelles technologie qu'elles décident d'utiliser ou pas. De
leurs choix économiques dépendent les prix des matières
premières, la production de pays entiers, et donc la vie de centaines
de millions d'hommes et de femmes à travers le monde.
Cette position de monopole leur permet de réaliser des profits colossaux
en imposant leurs prix aux petits producteurs comme aux consommateurs, en imposant
une dégradation des conditions de travail aux salariés et en imposant
leurs lois aux Etats.
La mondialisation, c'est la libre concurrence acharnée à l'échelle
de la planète entre des firmes multinationales qui imposent leur dictature
sur toute l'économie et prennent les peuples en otage.
5- De
la lutte pour le partage territorial du globe au " nouvel ordre mondial "
A l'époque de Lénine, le développement impérialiste
a abouti au partage du monde en Empires coloniaux entre les grandes puissances
de l'époque. Deux guerres mondiales, la révolution russe et les
révolutions coloniales ont totalement bouleversé le partage territorial
du globe tel qu'il s'était construit au début du XX siècle.
Les rapports de forces ont changé entre les vieux impérialismes
comme la France et l'Angleterre et les Etats-Unis
L'hégémonie des Etats-Unis s'est imposée dans l'après-guerre
d'autant qu'avec la fin de l'URSS, cette hégémonie est devenue
totale. Jamais une puissance impérialiste n'a été dans
une telle position de domination à l'échelle de toute la planète
mais, du fait même de cette puissance, les Etats-Unis concentrent sur
eux toutes les rivalités, toutes les révoltes.
La mondialisation a fait tomber toutes les barrières pour créer
un vaste marché unique. Mais cela n'a pas fait disparaître la lutte
pour la domination du monde. Bien au contraire, cette mondialisation est le
cadre " d'une guerre globale " pour d'un côté,
maintenir cette hégémonie économique et politique américaine,
de l'autre, essayer de la contester.
Aujourd'hui, plus aucune région du monde n'échappe aux rapports
capitalistes, ce qui fait que la concurrence entre les grandes puissances est
devenue plus âpre comme la pression contre le monde du travail et les
peuples. C'est pour cela que le libéralisme économique qui caractérise
la mondialisation s'accompagne d'un militarisme sans précédent.
Il n'y a plus d'empires coloniaux mais les Etats-Unis, comme d'ailleurs à
une échelle moindre les autres puissances impérialistes, sont
déployés militairement à travers le monde pour y défendre
les intérêts de leurs multinationales contre les peuples, pour
contrôler les sources de matières premières comme le pétrole.
Fondamentalement,
l'impérialisme, c'est la politique du capital financier qui se soumet
les Etats. En ce sens, la mondialisation est bien une nouvelle phase de l'impérialisme
sur la base des bouleversements qu'a connu le monde depuis l'époque de
Lénine.
De
l'impérialisme au libéralisme impérialiste
A travers les transformations entraînées par la mondialisation,
il y a bien persistance de cette contradiction fondamentale du capitalisme,
décrite par Marx puis par Lénine, entre la socialisation de la
production qui s'est généralisée aujourd'hui à l'échelle
du monde entier et l'appropriation privée qui se concentre entre les
mains des actionnaires de quelques groupes financiers.
A l'époque de l'impérialisme, le courant réformiste discutait
de la capacité d'adaptation du capitalisme. La généralisation
du crédit, la formation des premiers trusts semblaient lui avoir permis
de surmonter ses défauts de jeunesse et de lui avoir donner une plus
grande stabilité. A cela, Rosa Luxembourg répondait dans sa brochure
Réforme ou Révolution ? : " Dans l'ensemble
les cartels, tout comme le crédit, apparaissent donc comme des phases
déterminées du développement qui ne font, en dernière
analyse, qu'accroître encore l'anarchie du monde capitaliste, manifestant
en eux-mêmes et portant à maturité toutes ses contradictions
internes. Ils aggravent l'antagonisme existant entre le mode de production et
le mode d'échange en exaspérant la lutte entre les producteurs
et les consommateurs (
). Ils aggravent en outre la contradiction entre
le mode de production et le mode d'appropriation en opposant à la classe
ouvrière, de la manière la plus brutale, la force supérieure
du capitalisme organisé, exaspérant ainsi à l'extrême
l'antagonisme entre le capital et le travail. "
En
1914, avec le début de la Première guerre mondiale, les contradictions
accumulées par l'impérialisme ont éclaté à
travers la remise en cause du partage du monde entre puissances impérialistes.
Face à cette barbarie dans laquelle l'impérialisme plongeait l'humanité,
la classe ouvrière s'est affirmée comme la classe porteuse d'un
autre avenir. La révolution russe de 1917 a ouvert une période
de crise révolutionnaire qui a balayé le monde dans les années
20. En Russie, pendant les premiers mois de la révolution, les masses
purent exercer elles-mêmes directement leur propre pouvoir, montrant tout
ce que le collectivisme et la planification de l'économie pouvaient permettre
de réaliser face à l'anarchie capitaliste.
Mais la vague révolutionnaire vaincue, la réaction se déchaîna
entraînant la montée des nationalismes et des fascismes et par
contre coup, la victoire du stalinisme en URSS, pour finalement plonger l'humanité
à nouveau dans la barbarie de la Seconde guerre mondiale. La fin de la
guerre fut marquée par le soulèvement des peuples coloniaux qui,
malgré des années de sales guerres coloniales, gagnèrent
leur indépendance.
A travers ces décennies de guerres et de révolution, le monde a été bouleversé. Si les révolutions des années 20, puis celles des peuples coloniaux, n'ont pas renversé l'impérialisme, elles ont créé un rapport de force, ne serait-ce qu'à travers l'existence même de l'URSS, qui lui ont imposé quelques concessions comme dans les pays riches, à travers les législations sociales et la mise en place de services publics, concessions qui étaient autant de freins inacceptables à la soif de profits de l'oligarchie financière.
Cette période de 70 ans s'est achevée avec la fin de l'URSS dans les années 80. Et depuis, l'offensive de la bourgeoisie pour revenir sur ces concessions a redoublé. La mondialisation n'est que la conséquence de ces vingt années d'attaques contre le monde du travail et les peuples. A travers cette offensive, l'impérialisme a imposé, sous la domination des Etats-Unis, un capitalisme de libre concurrence à l'échelle de toute la planète.
Cette nouvelle période de développement de l'impérialisme a aggravé toutes les contradictions du capitalisme en les portant à un niveau sans précédent. Plus que jamais la concentration des richesses entre quelques mains s'oppose à l'aggravation de la misère pour le plus grand nombre. Plus que jamais la socialisation grandissante de la production se heurte aux limites que lui impose la propriété capitaliste, cette contradiction déjà décrite par Marx au début du capitalisme, s'étale aujourd'hui à l'échelle de toute la planète.
Cela
ruine aux yeux du plus grand nombre les illusions dans la possibilité
d'un développement capitaliste débarrassé de ses contradictions
les plus criantes.
Dans sa brochure de 1916, Lénine montrait comment les surprofits réalisés
par le pillage colonial, avaient été la base des concessions faites
à la classe ouvrière des pays riches par la bourgeoisie. Dans
les décennies qui précèdent la guerre de 14, le développement
du mouvement syndical et de nombreuses luttes ont permis à la classe
ouvrière d'améliorer progressivement ses conditions de vie. Sur
la base de ces progrès, s'est développé un courant réformiste
qui a paralysé le mouvement ouvrier au moment décisif.
Aujourd'hui, cette conception réformiste comme quoi il serait possible
d'améliorer le sort du monde du travail en obtenant des concessions de
la bourgeoisie a fait long feu. La bourgeoisie mène bien au contraire
une offensive tout azimut pour mettre tous les travailleurs à travers
le monde en concurrence pour liquider tous les acquis sociaux, tout ce qui pourrait
être un frein à l'accumulation de profit.
Le réformisme du début du XXème siècle a fait place
au social libéralisme qui est totalement converti à l'idéologie
libérale de la bourgeoisie et ne prétend qu'accompagner la mondialisation,
que lui donner un visage plus humain, en corriger les excès, ce qui apparaît
de plus en plus illusoire face à l'accélération des ravages
de la mondialisation.
Mais
il apparaît de plus en plus clairement que les ravages de la mondialisation
ne sont pas des dérives, des " dommages collatéraux ",
mais bien la conséquence inévitable du développement de
l'impérialisme.
Et c'est bien pour cela que le développement même de la mondialisation
prépare les conditions d'une nouvelle crise mondiale, car l'impérialisme
n'a d'autres choix qu'une fuite en avant pour imposer sa domination et son pillage
par la force à l'ensemble des peuples.
C'est ainsi qu'avec la mondialisation le capitalisme sénile combine des
traits de sa jeunesse, la libre concurrence, avec ceux de la vieillesse, la
folie destructrice de la violence impérialiste pour soumettre les peuples.
La mondialisation financière se double d'une mondialisation militaire
contre les peuples, qui, à l'instabilité économique, rajoute
un état de guerre permanent qui pourrait aboutir à une situation
de guerre généralisée.
Les
travailleurs et les peuples sont les premières victimes de cette folle
course au profit qui ne connaîtra d'autres limites que celles que lui
imposeront les luttes des opprimés. Aujourd'hui, la moindre lutte contre
telle ou telle conséquence de la mondialisation ne peut être menée
sans une remise en cause de fond de toute la logique impérialiste libérale
dont elle n'est que la conséquence.
La mondialisation crée les conditions objectives d'une nouvelle montée
révolutionnaire.
C'est pour cela que dans la remontée des luttes à venir, les idées
révolutionnaires nées des combats des générations
passées ne pourront que reprendre vie et se développer mais à
une échelle bien plus grande.
Ces luttes ne peuvent qu'aboutir à une remise en cause du pouvoir exorbitant
de cette oligarchie financière pour libérer toutes les possibilités
techniques et culturelles de la société sur la base de la liberté
et de la démocratie. En ce sens, les idées socialistes et communistes
gardent toute leur actualité dans ce combat pour la transformation de
la société.
Charles Meno
Venezuela
: retour sur la " révolution bolivarienne " de Chávez
ou les limites de l'anti-impérialisme
Seul régime
latino-américain avec Cuba à tenir tête à l'impérialisme
américain, le Venezuela de Chávez intéresse, voire enthousiasme,
comme expérience nouvelle de résistance populaire. C'est ce qu'a
largement démontré le référendum du 15 août
dernier qui a donné plus de voix à Chávez que lors de son
élection en 1999, malgré une campagne sans scrupules et cynique
des secteurs bourgeois les plus réactionnaires et de la presse entre
les mains des " escuálidos " (les maigrichons), à savoir
les riches " blancs " du pays.
La solidarité nécessaire avec le peuple vénézuélien
mobilisé, le soutien à Chávez contre la bourgeoisie réactionnaire,
va de pair avec une compréhension de la nature même de la "
révolution bolivarienne ".
Quel est le moteur des transformations actuelles, faut-il le rechercher du côté
de Chávez ou des mobilisations en cours ? Dans quelle mesure ce
processus est-il révolutionnaire, s'en prend-t-il à la propriété
privée capitaliste ? Quelle politique avoir vis-à-vis de
l'armée ? Quelques questions auxquelles il est important de répondre
et qui, quant au fond, déterminent notre analyse du régime de
Chavez.
Un
mouvement à forte participation populaire
Des millions de personnes, travailleurs, pauvres, femmes, ont attendu pendant
des heures pour voter à ce référendum proposé par
Chávez lui-même pour légitimer encore une fois son pouvoir
par les urnes. Des patrouilles électorales s'étaient auparavant
constituées qui arpentaient le pays pour convaincre les habitants de
voter " non " à la révocation de Chávez,
contrairement à la tradition clientéliste qui veut que les candidats
achètent les voix par des discours et des cadeaux de circonstance.
Ces comités strictement limités au cadre des élections
(un peu comme les Comités pour l'Unité Populaire au Chili en 1970)
sont d'ailleurs en attente d'une autre perspective
qui ne vient pas.
Cette mobilisation fait écho au puissant mouvement populaire parti de
l'émeute du 27 février 1989. Ce jour-là, ne supportant
plus de payer des augmentations de prix des produits de base dans ce pays, 4ème
exportateur mondial de pétrole, les pauvres étaient " descendus
des collines " (des bidonvilles) contre le pouvoir corrompu du
socialiste Carlos Andrés Pérez, avaient saccagé et pillé
les magasins. Ce " Caracazo " qui n'eut pas lieu qu'à
Caracas mais dans l'ensemble du pays, fut réprimé par la police
et l'armée qui déclarèrent l'état de siège
et firent jusqu'à 10 000 morts.
Ce mouvement eut des répercussions dans l'armée, en particulier
chez de jeunes officiers liés à d'ex-guerrilleristes des années
70. C'est ainsi qu'est né le MBR (Mouvement bolivarien révolutionnaire)
dirigé par Chávez.
Ce rejet des partis officiels a aussi permis l'élection légale
de Chávez et sa popularité croissante. Lorsque les secteurs les
plus réactionnaires, alliés aux Etats-Unis, l'ont destitué
par un putsch en 2002, c'est la population qui est allée le rechercher
et l'a imposé à l'armée à la tête du pouvoir.
La population exigea ensuite des peines contre les putschistes qui ne vinrent
jamais.
C'est encore la population qui a fait échec au lock-out pétrolier
orchestré par le syndicat anti-chaviste et bureaucratisé CTV,
main dans la main avec le syndicat patronal, durant l'hiver 2002-2003.
C'est sous sa pression que Chávez se fait fort d'encourager des initiatives
populaires telles que des assemblées consultatives de quartier et qu'il
a pris une série de mesures en faveur de la renationalisation du pétrole,
de la réforme agraire, des artisans pêcheurs ou des petits commerçants.
Ce qui lui a permis de s'attacher certaines couches de la petite bourgeoisie
en plus des milieux les plus populaires.
Chávez a aussi resserré les liens avec Cuba, lui offrant des prix
préférentiels sur son pétrole et acceptant l'aide de milliers
de médecins cubains venus au Venezuela soigner des populations qui n'avaient
jamais eu droit à aucun soin ni à aucune éducation dans
l'un des pays les plus riches d'Amérique latine.
Le capitalisme
maintenu
Cette situation est liée à des particularités du Venezuela
lui-même. Depuis 1958, année où un soulèvement, accompagné
d'une grève générale du pétrole, chassa le dictateur
Pérez Jiménez, des gouvernements dits démocratiques se
succèdent tous les 4 ans. Leurs membres font partie tantôt de l'AD
(PS), tantôt de la démocratie-chrétienne (COPEI) et leurs
alliés respectifs. Seuls sont venus perturber cette alternance des putschs
militaires, sous influence du Parti communiste (PCV), parti de résistance
aux dictatures passées. Ce qui fit le ciment de cette démocratie
là, ce fut la marginalisation du PCV avec l'aide de l'armée, en
particulier lorsqu'il a gagné une certaine sympathie dans les milieux
populaires à la faveur de la révolution cubaine.
Auparavant, c'est sous la férule de dictateurs souvent sanguinaires comme
Gómez ou Pérez Jiménez que le " sang de la terre ",
le pétrole, découvert dans les années 20, fut exploité
entraînant une industrialisation et une urbanisation extraordinaires en
quelques années (10 millions d'habitants en 1972, 24 en 2002).
En 1945, en s'appuyant sur le mécontentement populaire, des généraux
putschistes imposèrent aux compagnies pétrolières anglaises
et américaines la règle du fifty-fifty : 50 % de bénéfices,
50 % de recettes pour l'Etat.
Après avoir créé en 1960 sa première société
nationale du pétrole, le Venezuela qu'on appelait " Venezuela
Saoudite ", créa l'OPEP en 1961 en revendiquant une plus grande
mainmise nationale sur le pétrole, principale richesse du pays, entièrement
aux mains de compagnies étrangères, en particulier pour son raffinage
(une seule compagnie nationale sur 15).
Dans la foulée des événements révolutionnaires de
1958, sous la présidence de l'ex-communiste devenu socialiste, Rómulo
Betancourt, furent dictés des décrets en faveur de la réforme
agraire confiée à l'Institut Agraire National qui installa 82 %
des 100 000 familles concernées sur des terres de l'Etat et ne toucha
les latifundios (grandes propriétés terriennes) que dans une proportion
de 1,69 %...
Enfin, c'est suite aux émeutes des années 68 que le démocrate-chrétien
Caldera nationalisa le gaz naturel. Des concessions limitées furent imposées
pour le pétrole qui, à leur expiration en 1983, devaient confier
à l'Etat du Venezuela non seulement le droit d'exploitation de l'or noir
mais aussi les raffineries, les bâtiments, les installations chimiques
et le parc automobile des compagnies afin de " semer le pétrole ",
c'est-à-dire d'investir dans le pays les énormes capitaux produits
par le pétrole.
Mais il n'en a rien été ; aujourd'hui encore, 82 % de
la population vénézuélienne vit sous le seuil de pauvreté,
la plupart dans les bidonvilles (ranchitos) autour des grandes villes. Péchiney
vient de s'octroyer toute une partie du secteur chimique, le raffinage du pétrole
demeure entre les mains d'Exxon Mobil, de Chevron Texaco et d'autres multinationales.
Il existe donc bien une bourgeoisie nationale richissime qui a essayé
d'acheter les services d'employés du pétrole, et dont la richesse
vient des concessions pétrolières aux trusts impérialistes.
Si Chávez a destitué quelques responsables particulièrement
réactionnaires de la PDVSA (la société vénézuélienne
du pétrole) et même licencié 15 000 employés
soupçonnés de sabotage de la production lors de la " grève "
du pétrole de 2003, les remplaçant même par endroits par
des militaires, ce sont toujours les mêmes qui détiennent la source
des richesses et son exploitation. Il n'y a pas eu d'atteinte à la propriété
capitaliste des moyens de production, pas plus sous Chávez que sous les
régimes précédents.
Chávez,
un militaire nationaliste porté par les masses
Les concessions de Chávez au mouvement populaire, les réformes
annoncées, ont suffi pour effrayer une bourgeoisie arriérée,
anti-communiste et raciste, qui complote en permanence pour chasser le " singe
noir " (allusion à ses origines indiennes abondamment revendiquées
dans un pays dont les soldats sont d'origine populaire, voire indigène
et les gradés riches et " blancs ").
Mais les couches moyennes demeurent divisées, à la fois attirées
par un discours nationaliste, se revendiquant des héros de l'indépendance
nationale bourgeoise comme Bolívar, et en même temps, repoussées
par les concessions faites aux masses. Le tout dans un contexte international
où les USA se sont accommodés de Chávez, dans la mesure
où il demeure leur premier fournisseur en pétrole, alors que celui
provenant des puits du Moyen-Orient sont assez compromis
De fait, Chávez surfe sur le mouvement populaire pour obtenir un minimum
d'indépendance par rapport à l'impérialisme. Son anti-impérialisme
s'arrête là, devant la propriété capitaliste et les
institutions qui en garantissent l'existence : l'Etat, l'armée.
Avec sa " révolution pacifique, mais armée ",
en encadrant la population avec des " comités bolivariens "
pour la surveiller, impulser la production du pétrole et des terres concédées
par la réforme agraire, quand il dit ne pas vouloir de parti entre lui
et le peuple, il ne recherche pas l'organisation de la population en vue de
son organisation et son affrontement avec les capitalistes, l'armée et
l'Etat. Il n'y a pas de double pouvoir au Venezuela aujourd'hui. Le fait qu'une
importante partie de l'armée ait suivi Chávez en désobéissant
à la hiérarchie habituelle ne veut pas dire que l'armée,
c'est le peuple sous l'uniforme, et que le pouvoir lui appartiendrait.
Dans un hommage de Critico à Che Guevara (tombé en octobre
1967 sous les balles d'un dictateur bolivien), Michael Löwy écrivait
en 1977 ces paroles d'une vivante actualité :
" L'histoire récente du continent latino-américain
donna mille fois raison au Che quand il insistait : " Que peuvent
apporter des militaires à la vraie démocratie ? Quelle loyauté
peut-on attendre de ceux qui ont toujours été des instruments
de la domination des classes réactionnaires et des monopoles impérialistes,
d'une caste qui n'existe que grâce aux armes qu'elle possède et
qui ne pense qu'à maintenir ses prérogatives ? "
On peut reconnaître que le Che n'avait pas donné suffisamment d'importance
au travail politique au sein des forces armées de l'Etat bourgeois, travail
qui vise non la " réforme " de cette institution,
mais sa désagrégation de l'intérieur, par l'organisation
clandestine et/ou semi-légale de soldats, sous-officiers ou même
officiers favorables au prolétariat.
Cependant, croire que pour un tel travail on peut faire l'économie d'une
politique d'armement des travailleurs, ou éviter un affrontement violent
entre révolution et contre-révolution, relève de l'illusion
la plus dangereuse.
Comme l'écrivait Trotsky à propos de l'insurrection de 1905, la
majorité des soldats " n'est capable de déposer les
armes ou de diriger les baïonnettes contre la réaction que quand
elle commence à croire à la possibilité de la victoire
populaire. Et ce n'est pas la seule propagande qui peut lui donner cette foi.
Il faut que les soldats constatent que, de toute évidence, le peuple
est descendu dans la rue pour une lutte implacable
"
Or, rien de tout cela au Venezuela aujourd'hui. Le mouvement populaire a été
vaincu dans la rue en 1989. Aujourd'hui, Chávez l'appelle à se
mobiliser au service de la " démocratie participative et
protagoniste, multiethnique et pluriculturelle "
Hugo Chávez, issu d'une famille d'instituteurs provinciaux, est entré
dans l'armée grâce au base-ball. Il a gagné ses galons en
participant, comme toute l'armée de terre, à la répression
des guérillas proches du PCV, tout en complotant avec d'autres officiers
opposés à la corruption de l'armée et du pouvoir. Il a
organisé avec son mouvement de militaires deux putschs avortés
en 1992 pour lesquels il a fait deux ans de prison, puis a été
amnistié. Grâce à son aura d'opposant dans l'armée,
à l'image qu'il s'est faite de descendant d'un " llanero ",
guerrier et paysan indépendant résistant au dictateur Gómez
appelé Maisanta, il en appelle à une armée constitutionnelle
au service de la nation. Il en exalte le nationalisme et développe un
culte autour de sa personne, empreint d'autoritarisme. Ce qui explique qu'encore
récemment un de ses proches conseillers et ami était le néo-nazi
ex-conseiller du dictateur argentin Viola, Norberto Ceresole. D'importants "
amis " militaires ou civils de Chávez sont d'ailleurs très
facilement passés à l'opposition de droite jusqu'à l'aider
à fomenter son renversement violent aujourd'hui.
Rien d'étonnant donc à ce que Hugo Chávez ait déclaré
récemment à Tariq Ali : " Je n'accepte pas que
nous vivions dans une période de révolutions prolétariennes ".
Quel
développement possible pour le mouvement populaire ?
Le mouvement populaire est aujourd'hui face au défi de poursuivre la
mobilisation, l'auto-organisation contre l'impérialisme et la bourgeoisie
nationale en imposant ses droits sociaux et démocratiques propres. Ces
droits ne figurent ni dans la nouvelle " Constitution bolivarienne "
ni dans l'Assemblée qui en est issue, tous respectueux de la propriété
privée capitaliste des trusts pétroliers et des grands propriétaires.
Les organes populaires, assemblées de quartier, comités divers,
ne sont pas à l'heure actuelle des organes d'émancipation consciente
des opprimés, leur objectif est de se battre sur des objectifs patriotiques
et non de classe. Les travailleurs ne possèdent ni les armes ni les usines.
Tous les progrès obtenus sont venus de la mobilisation des masses, ou
de gouvernements marchandant leur influence face à l'impérialisme
sous leur pression. Mais seule la démocratie directe et révolutionnaire
des exploités en lutte imposera leur pouvoir réel en brisant l'Etat
et en s'appropriant toute l'économie, au Venezuela comme ailleurs.
Telle n'est pas la politique de Chávez, et des ruptures sont en train
de se faire dans les milieux populaires. A la veille des élections municipales
de la fin du mois, des membres des comités électoraux ont dénoncé
les candidatures d'hommes de main du système, parfois haïs de la
population, imposées par Chávez dans le cadre de sa politique
d'unité nationale et de respect de la Constitution. Celui-ci les ayant
menacés à son émission hebdomadaire du dimanche " Allô,
Président ", d'être des " franc-tireurs
de l'intérieur " qui n'avaient " qu'à
rejoindre les escuálidos ", certains veulent mettre en
place leurs propres candidatures chavistes, hors de son contrôle
Les militants de l'organisation marxiste révolutionnaire OIR (Option
de gauche révolutionnaire), dont des trotskystes présents en particulier
dans le nouveau syndicat UNT créé dans la foulée du mouvement
chaviste contre le syndicat CTV, expriment aussi leur méfiance.
Les masses font leur expérience. Le processus engagé est inachevé,
les illusions semblent encore fortes. Mais d'ores et déjà se pose
le problème de préparer les prochaines étapes des mobilisations,
c'est-à-dire regrouper les forces qui se libèrent du nationalisme
pour défendre les droits des exploités. Il est difficile de savoir
si le gouvernement des Etats-Unis, s'il parvenait à se débarrasser
du bourbier irakien, ne s'occupera pas alors de régler son sort à
Chávez. Ce qui est certain, c'est que le mouvement populaire ne pourra
contester le pillage des richesses qu'il a lui-même produites qu'en remettant
en cause au Venezuela même la propreté privée capitaliste
et en inscrivant sa propre lutte dans celle de l'ensemble des travailleurs et
des pauvres d'Amérique latine, par delà les frontières
et contre tout nationalisme destiné à soumettre le peuple exploité.
Sophie
Candela