La
démocratie de l'Empire ou les menaces du populisme
Bush l'a donc emporté, et cette fois, sans conteste. Le cow-boy l'a emporté
sur celui qui jouait au gentleman. Ce dernier s'est retiré avant la fin
du dépouillement, geste que Bush a qualifié, non sans ironie,
d'élégance. Élégance du compère, " un
adversaire admirable et digne ", qui s'est empressé d'appeler
Bush à " faire le nécessaire pour réunir le
pays " pour se répandre sur " l'indispensable
besoin d'unité pour trouver un terrain d'entente ".
La victoire de Bush est d'autant plus significative que les Républicains
ont renforcé leur majorité tant au congrès qu'au Sénat.
Elle est l'aboutissement de l'offensive sociale, militaire, idéologique,
de la bourgeoise américaine, ce que les médias ont appelé
" la révolution conservatrice ".
Tous ceux qui s'échinent à faire vivre les illusions sur les capacités
du bulletin de vote à décider du sort de la planète, se
lamentent. " Sale temps pour le monde " titre l'Huma
laissant à penser que l'élection de Kerry aurait pu apporter des
temps meilleurs. Et cette opinion est assez largement partagée bien au-delà
des milieux dits de gauche. Certes, si Kerry l'avait emporté, son élection
aurait signifié un désaveu d'une fraction de l'opinion américaine
à l'égard de la politique de Bush en Irak. Mais, c'est bien Kerry
lui-même qui a tout fait pour écarter les voix des pacifistes et
nous pouvons être certains que, si jamais il avait été élu,
il se serait empressé de souligner sa volonté de poursuivre la
politique de son prédécesseur, au nom de la continuité
de l'Etat et de la Nation.
Lui et ses amis démocrates ne se sont jamais opposés à
la guerre en Irak, ils l'ont même approuvée par leur vote au congrès.
Et c'est bien pour ça que Kerry n'avait que peu de chance de gagner.
Il a lui-même contribué au succès de son adversaire.
D'ailleurs, la politique de Bush est elle-même la continuité, dans
un contexte mondial changé, de la politique de Clinton. Il est plus difficile
à Bush qu'à Clinton de laisser croire que la seule logique des
marchés suffirait à apporter la démocratie et le bonheur
au monde comme il lui est plus difficile de présenter la deuxième
guerre d'Irak comme une opération humanitaire
Mais l'un et l'autre
n'ont pas d'objectif différent. Ils n'ont d'autre fonction à la
tête de l'Etat qui les dirige, l'administration américaine, que
de faire accepter, de légitimer, de contribuer à mettre en uvre
une politique impérialiste visant à perpétuer la domination
des multinationales américaines sur le monde.
Clinton vendait le libéralisme de l'économie de marché,
Bush vend l'arrogance en flattant la peur du terrorisme. À travers leurs
différentes personnalités s'expriment les différences de
politique de l'Etat américain face à l'aggravation des tensions
internationales, aux contestations croissantes de l'hégémonie
américaine. Mais ces politiques sont soumises à la même
exigence, défendre l'hégémonie de l'impérialisme
américain.
Et, comme la politique de Clinton avait préparé le terrain à
Bush, la campagne de Kerry a, au final, contribué à renforcer
les idées conservatrices, réactionnaires, dont se nourrit Bush
pendant que ce dernier chassait sur les terres de l'extrême-droite.
D'une certaine façon, il est assez logique que le plus conséquent
des deux l'emporte. S'il faut faire la guerre aux peuples comme aux travailleurs,
mobiliser les énergies, galvaniser le patriotisme, flatter l'obscurantisme
religieux, le cow-boy semblait mieux placé que le gentleman.
Mais en aucun cas, il ne s'agissait de choisir une politique. En aucun cas,
Kerry pouvait être pris sérieusement pour un candidat contestant
la politique des USA dans la guerre en Irak. Tout au plus pouvait-il critiquer
l'attitude personnelle de Bush, mais, sur ce terrain-là, il n'avait guère
de chance de convaincre.
La victoire de Bush inquiète, à juste titre, mais cela ne veut
nullement dire que Kerry était un moindre mal.
Leur discours relève de la pensée unique, il est un méli-mélo
populiste assaisonnant, plus ou moins bien du point de vue de leur électorat,
les valeurs réactionnaires et conservatrices, les mythes des valeurs
morales, de la famille, de la nation, de la propriété et de l'esprit
d'entreprise.
Et il y a une certaine cohérence dans l'attitude de Bush vis-à-vis
de la religion. Le mythe de la démocratie et de la liberté usé
jusqu'à la corde, la religion est seule capable de donner à la
défense des intérêts nationaux des USA la dimension universelle
qu'exige leur position dominante dans le monde.
Kerry se situait exactement sur le même terrain, maniant le même
populisme réactionnaire et conservateur.
Et c'est bien ce qui est inquiétant, les deux campagnes n'ont pu que
contribuer à façonner l'opinion publique bourgeoise et petite-bourgeoise
dans le même sens. Ce nouvel emballement de messianisme, à la sauce
Coca Cola religieux et militariste, qu'a connu pendant les longs mois de la
campagne l'Amérique et dont Bush et ses amis sont l'expression aujourd'hui
la plus achevée, crée un terrain propice à de nouvelles
dérives.
Cette poussée réactionnaire aura des répercussions à
l'échelle internationale, agit sur l'opinion mondiale, renforce les tendances
réactionnaires qui s'expriment dans la montée des populismes en
Europe ou, en réaction à l'offensive libérale et impérialiste,
dans les pays dominés, par la montée d'un populisme qui prend
la forme de l'intégrisme religieux.
Elle est la conséquence, l'arme idéologique, du redéploiement
du libéralisme impérialiste qui ne rencontre d'autre résistance
que celle de mouvements dirigés par des hommes issus des classes dominantes,
réactionnaires, voire de mouvements intégristes. Les deux convergent
dans le même sens contre les travailleurs et les peuples et réussissent,
au profit du désarroi intellectuel et moral que nous connaissons, à
semer la confusion jusque dans les rangs mêmes du mouvement altermondialiste.
Les salariés et les classes pauvres des USA résistent à
leur manière à cette arrogance conservatrice des classes dominantes,
par l'abstention.
C'est eux qui sont la force capable de transformer la Babel impérialiste,
" le monde des abîmes " pour reprendre l'expression
de Jack London, femmes et hommes venus de tous les continents.
Esclaves des temps modernes, ils sont écartés de cette démocratie
impériale réservée aux classes privilégiées,
dominée et dirigée à leur seul profit. Cette démocratie
n'est que le masque de la domination économique, financière, militaire,
de la bourgeoise américaine. Elle ne trouve d'autre langage pour faire
passer son mensonge que le populisme, vulgarisation à des fins électorales
et démagogiques de la pensée unique.
C'est au maniement de ce même populisme que s'exercent ici les Raffarin,
Sarkozy mais aussi les Hollande et Fabius.
Oui, la victoire de Bush est inquiétante. Elle exprime, au moment même
où Arafat, symbole de la résistance des peuples, quitte définitivement
la scène politique mondiale, la défaite des opprimés, des
parias de ce monde dominé par la violence du fric et des armées.
Mais Kerry n'était qu'un comparse car c'est bien la terrible logique
des intérêts financiers, économiques des classes dominantes
qui menace l'avenir de la planète toute entière et qui trouve
son arrogante expression idéologique dans les élucubrations de
Bush.
Une nouvelle période commence, celle du lent, tenace et patient renouveau
des luttes d'émancipation.
Le renouveau de la pensée et de l'action démocratique, l'espoir
de rompre la logique dangereuse qui se met en route, viendront d'en bas, des
salariés, des classes opprimés, il ne peut être que révolutionnaire.
Yvan
Lemaitre
Face
au choc des barbaries impérialistes et intégristes
Avec le peuple Irakien contre l'exploitation et l'oppression !
Vingt-mois après l'invasion impérialiste, l'Irak s'enfonce chaque
jour un peu plus dans le chaos. Les images de désolation se répètent,
inlassablement. Ici, ce sont des hélicoptères lanceurs de roquettes
des forces anglo-américaines pulvérisant des habitations ;
là-bas, des attaques à la voiture piégée de groupes
islamistes visant la foule : dans le plus grand nombre des cas, les victimes
sont des civils.
Et tout indique que dans les jours à venir, les atrocités vont
redoubler, bombardements et attentats s'enchaîner : rassérénées
par la réélection de Bush les forces d'occupation intensifient
depuis quelques heures leur offensive contre le bastion sunnite de Fallouja.
L'intervention militaire aurait fait -selon l' " estimation prudente "
de l'hebdomadaire médical britannique The Lancet - plus de
cent mille victimes civiles depuis la chute du régime de Saddam Hussein
en mars 2003, parmi lesquelles une majorité de femmes et d'enfants. Jusqu'ici,
les rares estimations concernant les pertes irakiennes dénombraient moins
de 16 000 civils et 6 370 militaires.
" L'essentiel des opérations militaires est terminé "
annonçait triomphalement George W. Bush six semaines après le
début de la guerre ; en réalité, c'est un déluge
de fer et de feu qui s'abat sur l'Irak depuis près de deux ans, désorganisant
chaque jour un peu plus encore un pays exsangue après douze années
d'embargo et de bombardements - les frappes aériennes n'ont pas cessé
depuis la première guerre du Golfe en 1991.
Les infrastructures du pays ont été atteintes. Les routes sont
défoncées. Le réseau électrique fonctionne seulement
par intermittence, tout comme celui de l'eau. Le système de santé
est, lui, dévasté, suite aux bombardements des hôpitaux
et aux pillages qui ont suivi la chute du régime baasiste. Jusqu'au pétrole
dont regorge pourtant l'Irak qui vient à manquer dans les centres urbains
L'Irak de Saddam Hussein était présenté, il y a encore
vingt ans, par les États-Unis comme par la France, comme un modèle
pour les différents régimes du Moyen-Orient, un pays industrialisé
et urbanisé, les ressources renfermées dans son sous-sol lui assurant
un développement durable. Le pays est aujourd'hui un champ de ruine.
La misère gagne du terrain. Même les autorités du pays concèdent
qu'au moins 40 % de la population est actuellement au chômage. Les
organisations de chômeurs et de chômeuses avancent de leur côté
le chiffre de 70 %, à l'instar de l'Union des chômeurs en
Irak (UUI) constituée en mai 2003 à Bagdad pour défendre
la masse des travailleurs privés d'emploi et se trouvant dès lors
sans ressource dans un pays dépourvu d'assurance chômage.
L'UUI que préside Qasim Hadi et la Fédération des conseils
ouvriers et des syndicats irakiens (FWCUI) revendiquent aujourd'hui près
de 300 000 membres et mobilisent pour obtenir une indemnité de 100
dollars par mois pour les chômeurs et chômeuses. L'UUI et la FWCUI
sont notamment implantés à Bagdad, Kirkuk, Bassora, Nassiriya,
Mosul et Sharanban. Malgré les années de dictature et l'agression
impérialiste, le mouvement ouvrier irakien se (re)structure. Les travailleurs
du monde entier doivent soutenir cette expression indépendante de la
classe ouvrière en Irak qui seule dessine une issue progressiste face
au choc des barbaries impérialistes et intégristes.
Une organisation de défense des femmes, l'Organisation pour la libération
des femmes irakiennes (OWFI), a vu également le jour. Le mouvement de
Yanar Mohamed a mis en place des foyers à Bagdad et à Kirkouk
pour protéger les femmes menacées de violence et de " crime
d'honneur ". Les conditions de vie des femmes n'ont cessé de
se dégrader depuis mars 2003, obligeant nombre d'entre-elles à
vivre recluses pour éviter les exactions des troupes anglo-américaines
ou celles des groupes islamistes.
" Beaucoup de femmes et de jeunes filles vivent dans la peur permanente
d'être harcelées, battues, enlevées, violées ou tuées ",
s'inquiétait Amnesty International début 2004. Le 8 mars dernier,
à l'occasion de la journée internationale des femmes, un millier
de femmes ont pourtant défilé à Bagdad avec des drapeaux
et des banderoles rouges dont l'une représentait une femme les cheveux
flottant au vent, défiant ainsi le pouvoir à la solde des impérialistes
et les intégristes islamistes. Pour son combat en faveur des femmes,
Yanar Mohammed, la dirigeante de l'OWFI, est visée par une fatwa la condamnant
à mort.
Malgré la détérioration de la situation, le mouvement ouvrier
irakien n'est pas sans perspective. Mieux, la FWCUI organise une conférence
ouvrière le 25 novembre 2004 à Bassorah dans le sud de l'Irak
à laquelle devraient participer plus de vingt-cinq syndicats et organisations
de travailleurs de divers secteurs (pétrole, électricité,
gaz, transports, dockers, bâtiment, etc.), venus de Bassorah, Imara, Nassiryah,
Najaf et Samawa. Cette réunion a pour objectif d'unifier à l'échelle
du pays la lutte des travailleurs et des travailleuses contre l'occupant et
les islamistes et de structurer ce combat en élisant une direction nationale.
La désorganisation du pays n'a pas tout emporté
En revanche, les troupes anglo-américaines ont amené avec elles
le poison de l'intégrisme islamiste, chiite et sunnite. En quelques mois,
des milices armées islamistes ont été levées, à
l'image de " L'armée du Mahdi " du leader musulman
chiite Moqtada-Al-Sadr à Najaf. Elles étaient inexistantes avant
la guerre
Forts de la haine légitime que suscitent les frappes
aveugles et les exactions des forces de la coalition dans la population et en
particulier chez les jeunes, les groupes intégristes islamiques de différentes
obédiences pullulent et tentent d'imposer la charia sur les territoires
tombés sous leur contrôle : port du foulard islamique, ségrégation
entre hommes et femmes, interventions dans les actes médicaux, etc. L'islam
radical détourne ainsi des milliers de travailleurs et de jeunes de la
lutte pour l'émancipation.
Le pouvoir à la solde des impérialistes n'est pas en reste :
le 29 décembre 2003, le Conseil de gouvernement - présidé
à cette occasion par Abdel Aziz al-Hakim, le leader du Conseil suprême
de la révolution islamique en Irak (CSRII) - avait adopté
une résolution abolissant le code irakien de la famille en vigueur depuis
1959 et introduisant la loi islamique ; mais le 29 janvier 2004, le Ministère
de la Justice faisait marche arrière sous la contrainte de la mobilisation
populaire. C'est cette voie que les révolutionnaires encouragent et soutiennent
en Irak. Les résistants, ce sont ces hommes et ces femmes qui luttent
au péril de leur vie contre toute forme d'exploitation et d'oppression,
nullement les groupes armés qui les menacent de mort et les assassinent.
" L'armée du Mahdi " et les courants intégristes
islamiques sont les ennemis de la classe ouvrière ; et dans le combat
contre l'occupant, nous ne pouvons trouver auprès d'eux des alliés
politiques : la révolution iranienne dont c'est le 25e anniversaire
le rappelle tristement. Chercher simplement à conclure avec ces forces
des blocs militaires temporaires sur des objectifs limités apparaît
même hors de propos : le 3 janvier dernier, entre autre exemple,
le groupe islamiste " Al-initfadah Al sha'baaniah " a tiré
sur une manifestation de chômeurs, faisant quatre morts et plusieurs blessés.
Il ne s'agit nullement d'exclure par principe toute organisation d'inspiration
musulmane de la lutte contre l'impérialisme, comme le reproche le SWP
à nombre de courants révolutionnaires, mais bien de préserver
l'indépendance politique de la classe ouvrière
Dans La maladie infantile du communisme, le gauchisme, Lénine
revendiquait la " nécessité absolue pour l'avant-garde
du prolétariat, pour sa partie consciente, pour le Parti communiste,
de louvoyer, de réaliser des ententes, des compromissions avec les différents
groupes de prolétaires, les divers partis d'ouvriers et de petits exploitants
Le tout est de savoir appliquer cette tactique de manière à élever
et non à abaisser le niveau de conscience général du prolétariat,
son esprit révolutionnaire, sa capacité de lutter et de vaincre ".
Les promoteurs de l'islam politique n'entrent pas dans ce cadre. Nous ne pouvons
nous trouver aux côtés de mouvements islamistes tirant sur les
manifestations, menaçant les militants et imposant aux populations - à
commencer par les femmes - des conditions de vie aux antipodes de celles
que nous défendons ; s'allier à ces forces réactionnaires,
ce serait renoncer à notre indépendance de classe et à
notre politique, sinon à nos vies. Ce serait réduire à
zéro " le niveau de conscience général du
prolétariat ", l'arrimer à celui des secteurs les
plus réactionnaires de la société.
La tactique du front unique anti-impérialiste développée
par l'Internationale communiste est aux antipodes des positions du SWP. L'indépendance
de classe est au cur de cette politique. Les " Thèses
générales sur la question d'Orient " adoptées
au IVe congrès de l'IC ne souffrent d'aucune ambiguïté :
les communistes n'ont aucune illusion sur la capacité des directions
bourgeoises ou petites-bourgeoises à mener jusqu'au bout la lutte anti-impérialiste,
et encore moins de celles des courants " féodalo-réactionnaires " ;
ils entendent au contraire dissocier les masses des classes dirigeantes en défendant
le programme de la révolution permanente, l'indépendance et l'autonomie
politique et organisationnelle du mouvement ouvrier étant la précondition
absolue de la transcroissance de la lutte contre l'impérialisme en révolution
socialiste.
Oui, nous sommes pour la défaite des impérialistes, là-bas
comme ailleurs. Dans la guerre de l'impérialisme états-unien et
de ses alliés contre l'Irak, nous ne sommes pas neutres. Mais nous entendons
que cette défaite politique et militaire résulte de la mobilisation
ouvrière, non de celle des intégristes islamistes. Notre objectif
est le socialisme. Le combat anti-impérialiste n'exclue nullement celui
contre la réaction islamiste et ses projets anti-ouvriers ; au contraire,
c'est sur les deux fronts que la classe ouvrière mène la lutte,
afin que la défaite des uns n'entraînent pas la victoire des autres
sur le prolétariat. Au risque de se répéter : la révolution
iranienne est le contre-exemple à méditer.
Nous militons pour le retrait immédiat et sans condition des troupes
de la coalition de l'Irak et de tout le Moyen-Orient. Et nous condamnons par
avance toute ingérence étrangère dans les affaires irakiennes,
notamment le déploiement de " casques bleus " sous
l'égide de l'ONU. La présence de l'impérialisme renforce
les islamistes ; son départ lèvera un obstacle majeur dans
la lutte contre l'obscurantisme religieux et pour une solution progressiste,
socialiste, féministe et internationaliste dans la région.
La priorité est l'armement de la population au sein de milices ouvrières
à même de protéger les quartiers contre les incursions des
forces impérialistes comme celles des intégristes islamistes.
La FWCUI développe déjà cette politique dans quelques zones
de Bagdad. Cette perspective n'est " ni ridicule ou absurde ",
pour reprendre une formule de Lénine. Une autre priorité est la
défense des intérêts des travailleurs, des chômeurs
et des femmes, en traçant une perspective révolutionnaire. La
lutte de classe ne connaît pas de temps mort. " Les socialistes
doivent profiter de la guerre que se font les brigands pour les renverser tous "
écrivait Lénine dans Le socialisme et la guerre. Le rapport
de force demeure certes défavorable au mouvement ouvrier en Irak, mais
les marxistes-révolutionnaires misent sur une issue révolutionnaire
et la préparent.
uvrer au renforcement d'un mouvement ouvrier indépendant en Irak
est la tâche à laquelle les travailleurs du monde entier doivent
contribuer. Cela passe par un soutien politique, militant et financier aux différentes
organisations de femmes et de travailleurs s'engageant pour le retrait des troupes
impérialistes et la dispersion des milices islamistes d'Irak. Lutter
contre la guerre dans les métropoles impérialistes est une chose.
Affirmer une solidarité concrète avec les femmes et les travailleurs
d'un pays dominé en est une autre. Nouer des liens entre syndicats, associations
et partis par-delà les frontières, c'est la première expression
d'un internationalisme et d'un anti-impérialisme militant
Serge
Godard
Quelle
politique dans les syndicats face à la dérive libérale
des directions ?
En signant à
la SNCF l'accord sur la réglementation du droit de grève, la CGT,
qui en a fait un geste calculé, lui donnant toute la publicité
nécessaire, vient de franchir un pas de plus, fortement symbolique, dans
l'accompagnement du libéralisme, engagé par l'équipe Thibault,
en fait dès le lendemain des grèves de 95 de la Fonction publique.
Cette signature, ressentie douloureusement par de nombreux militants, et au-delà,
par bien des salariés, apporte un trouble supplémentaire dans
les rangs de la CGT. Trouble que l'on mesure encore mal aujourd'hui, masqué
par l'apparente unanimité dont se réclame la direction pour justifier
cette signature (plus de 60 oui et un seul non, lors d'une réunion de
la Commission exécutive fédérale des Transports, s'il faut
en croire ce qu'a annoncé la presse), mais trouble profond et qui va
laisser des traces profondes.
Ce pas en arrière supplémentaire ne peut que reposer la question
de quelle politique défendre aujourd'hui pour des révolutionnaires
dans la CGT, mais au-delà de celle-ci, quelle politique défendre
dans toutes les grandes Confédérations, toutes alignées,
sur des créneaux divers, sur l'accompagnement du libéralisme.
Avec cette signature, c'est le syndicat lui-même qui tend le cou et accepte
de limiter le seul élément qui le mettait en position de force
pour négocier : la grève, le rapport de forces. Désormais,
à la SNCF, comme à la RATP (où les préavis de grève
déposés ont été divisés par trois depuis
la signature d'un accord semblable en 96), il faudra 11 jours de préavis
et de soi-disant négociations, au lieu de 5, avant d'appeler à
la grève. Tout le temps sera laissé au gouvernement et aux directions
pour manuvrer, intimider ou isoler les récalcitrants.
Le gouvernement a aussitôt exprimé sa satisfaction. Dans ces conditions,
a fait savoir De Robien, il ne sera sans doute pas nécessaire de faire
une loi sur le service minimum, puisque par la seule négociation, un
texte a été obtenu sur la " prévention des
conflits ".
La CGT se félicite, sans rire : " En s'asseyant autour
de la table des discussions, en apportant des propositions, la CGT a rendu plus
difficile la tâche du gouvernement, sans se couper de l'opinion publique ".
Dérisoire justification alors que la CGT, par sa signature, va exactement
au devant des souhaits du MEDEF qui ne jure que par la " négociation "
et feint de tempêter contre l'intervention de l'Etat.
Force Ouvrière, non-signataire de l'accord, mais qui ne représente
que peu de choses à la SNCF, justifie ainsi son refus : " Ce
protocole marque un net recul par rapport aux dispositions actuelles en créant
de nouvelles obligations aux organisations syndicales, sans en créer
aucune pour l'entreprise ".
La reculade à la SNCF vient après la défaite d'EDF, autre
" bastion " de la CGT, où celle-ci a laissé,
malgré la combativité de la base, les salariés isolés,
sans rien tenter pour étendre le mouvement, pas plus qu'elle ne l'avait
fait quelques mois avant au cours de la lutte pour les retraites. C'est tout
un symbole. Thibault, ancien de la SNCF, n'a-t-il pas établi sa notoriété
sur la combativité des luttes de 95 de la Fonction publique ? Cette
notoriété dont il s'est aussitôt servi pour engager avec
son équipe, les Dumas, Cohen, le Reste, le Duigou et autres, le recentrage
de la Confédération vers un " syndicalisme de proposition "
et vers l'unité avec la CFDT.
La
fin des mythes
Pendant bien longtemps, il était de bon ton dans la CGT de parler de
" notre grande organisation révolutionnaire "
(de plus en plus rarement, il est vrai) pour l'opposer à toutes les autres,
" réformistes "
Aujourd'hui, la coupure apparaît clairement entre les équipes de
base combatives (refus du " oui " au référendum
sur la privatisation d'EDF, revendication des " 37,5 années
de cotisation " imposée dans les manifs pour les retraites)
et la direction qui ne cherche qu'à éteindre cette combativité
pour pouvoir mener en paix son jeu des négociations avec les gouvernements,
main dans la main (et cependant en concurrence) avec la CFDT.
Non seulement d'ailleurs avec les gouvernements de gauche, politique traditionnelle,
mais tout aussi bien, comme on le voit aujourd'hui, avec celui de droite.
Ce qui apparaît aux yeux de beaucoup aujourd'hui, c'est que toutes les
directions syndicales ont renoncé, même aux simples luttes pour
ne serait-ce que préserver les acquis, préférant se ranger,
mondialisation financière oblige, sur le terrain des " réformes "
imposées par le MEDEF et les gouvernements contre les travailleurs.
Les travailleurs sont laissés à eux-mêmes, dans une période
de terrible recul, tentant partout où ils le peuvent de s'opposer aux
licenciements, à la baisse du niveau de vie et à l'aggravation
de leurs conditions de travail. Le patronat est partout à l'offensive
et veut marquer de nouveaux points, s'attaquant au Code du travail, aux 35 heures,
aux faibles protections restantes contre les licenciements et aux services publics.
A travers la signature à la SNCF, c'est un pas de plus des syndicats
vers la soumission, c'est la démoralisation de la base qui est visée
pour mieux imposer le recentrage. La campagne de syndicalisation insistante
de Thibault, et d'intimidation des militants, s'inscrit dans ce contexte.
Le recentrage, c'est l'alignement de tous les syndicats " responsables "
collaborant encore plus ouvertement avec l'Etat, c'est la mise au pas d'une
base trop remuante pour imposer un syndicalisme d'accompagnement, comme le faisait
déjà ouvertement la CFDT.
Les syndicats nouveaux, adaptés au libéralisme, dans un univers
capitaliste indépassable, ne peuvent que gérer les reculs, accompagner
les attaques patronales contre lesquelles il n'y a rien à faire puisqu'un
mouvement d'ensemble est impossible (" la CGT n'a jamais appelé
à la grève générale ").
Mais à quoi servent donc aujourd'hui pour les salariés de tels
syndicats ? La CGT rejoignant le même créneau que la CFDT,
y a-t-il place pour deux organisations menant cette même politique ?
Et l'on ne peut que s'interroger sur le mot d'ordre de la CGT : " aller
vers le million de syndiqués ". Combien de travailleurs
sont-ils prêts aujourd'hui à donner 1 % de leur salaire, déjà
bien bas, pour des organisations syndicales incapables non seulement de faire
progresser salaire, niveau de vie et conditions de travail, mais encore de défendre
le peu d'acquis restants puisqu'elles organisent leur bradage dans des négociations
truquées où elles jouent le rôle de dupe.
Et même si cela s'avérait possible : être un million
au lieu de 700.000 (chiffre " annoncé " par la CGT),
ça changerait quoi, si c'est pour défendre la politique de Chérèque
?
Des illusions s'écroulent. Faut-il les regretter ?
Certes, le coup est rude. Après la fin des illusions dans la gauche politique,
concrétisée par le très faible score de Jospin à
la Présidentielle, beaucoup de militants, notamment du PC, avaient trouvé
refuge dans le travail syndical, espérant y garder un point d'appui pour
la lutte de classe.
Force est bien aujourd'hui de déchanter à nouveau. Pour la lutte
de classe, il ne faut pas non plus compter sur la CGT !
Du coup, une réelle désillusion se fait sentir dans les équipes
syndicales.
Mais ce n'est pas nous, révolutionnaires, qui allons regretter que les
illusions fassent place nette. Les choses seront plus claires.
Et puis, aucun problème n'est insoluble et chaque situation nouvelle
porte en elle des éléments de solution. Face à l'inertie
des directions syndicales et des partis de la gauche plurielle, les enseignants,
les intermittents du spectacle, les chercheurs, les militants syndicaux, ont
commencé à inventer d'autres formes d'organisations, plus proches
d'eux, sous leur contrôle : collectifs interpro, comités de
défense de la santé, collectifs de luttes groupant plusieurs usines
ou groupes en grève. Certes, ce n'est qu'embryonnaire. Mais c'est le
début, ça peut renaître très vite et c'est la voie
de l'avenir.
Ces dernières semaines, face à l'inertie des directions syndicales
allemandes, on a vu les travailleurs balayer les préavis de grève
et autres obstacles et mettre tout le monde devant le fait accompli de grèves
sauvages, provoquant une trouille salutaire des patrons, ainsi que de la social-démocratie
et des Verts qui mènent ensemble la politique antisociale au gouvernement.
Ils ont même réussi, ce qui n'est pas mince, à obliger les
dirigeants de l'IG-Metall à faire mine de sortir de leur inertie. Tout
comme ils ont été capables de commencer à concrétiser
l'idée d'une Europe des travailleurs et des luttes en appelant à
la grève de l'automobile dans six pays en même temps, mobilisant
des dizaines de milliers de travailleurs le même jour.
Que
faire pour les révolutionnaires aujourd'hui dans les syndicats ?
Il ne s'agit ni d'être nostalgique d'une situation qui ne reviendra pas,
ni de se désoler.
Militer à la base, reconstruire le mouvement syndical n'est possible
qu'en s'appuyant sur cette nouvelle conscience de cette minorité des
travailleurs, des militants, nombreux à être dans les grandes confédérations
syndicales, à la CGT, à la CFDT, à la FSU, à FO
mais aussi sur ceux qui n'y sont plus ou n'ont pas envie d'y être.
Il faut reconstruire une conscience politique.
Les luttes ne pourront peser pour inverser le rapport de force que si leurs
animateurs ont conscience qu'entre le patronat, son Etat et les salariés,
il n'y a pas d'entente possible et qu'ils s'emparent du projet de changement
global de la société. Comme le dit un militant allemand, cité
dans Rouge du 28 octobre : " sans vision au-delà
de l'économie de marché capitaliste, il est très difficile
de s'opposer à l'argument de la concurrence
"
Les directions syndicales et politiques ont capitulé de la lutte pour
changer la société. Ce n'est pas nouveau. Quand, dans un passé
pas très lointain, elles faisaient mine de parler de socialisme, ou de
communisme, ce n'était que pour se servir des voix des classes populaires
pour nous mettre à la remorque de gouvernements faisant la même
politique que la droite.
Alors, aujourd'hui, tous ceux, et ils sont nombreux, qui n'ont pas capitulé
de défendre les acquis, les intérêts de notre classe, doivent
se préparer et préparer les travailleurs autour d'eux à
une nouvelle offensive générale contre les patrons et les gouvernements,
quels qu'ils soient.
Cela veut dire que c'est aux travailleurs, à la base, de se préparer
à prendre en main eux-mêmes leurs luttes et de n'en laisser la
direction à personne d'autre.
Il s'agit d'uvrer à l'auto-organisation de notre classe. Si nous
le pouvons, nous contraindrons les directions des syndicats à se mettre
au service de ces luttes, sinon, nous nous passerons d'elles.
Mais pour mener ces luttes jusqu'au bout, pour regagner le terrain perdu et
accéder à un niveau de vie et des conditions de travail " modernes "
selon l'expression à la mode, il nous faut être prêt à
aller jusqu'au bout. Nous devrons mettre la main sur les comptes des entreprises
et exercer notre contrôle. Nous devrons imposer, sans attendre, l'interdiction
des licenciements et le partage du travail entre toutes les mains ouvrières.
Et, pour ne pas permettre aux bourgeoisies, déjà organisées
contre nous au niveau européen (et même mondial) de nous isoler
de nos frères des autres pays, nous devons trouver les voies pour organiser
nous aussi nos luttes au niveau de l'Europe, comme cela a déjà
commencé d'une certaine façon.
En somme, il s'agit de s'emparer du plan d'urgence sociale et démocratique
qu'ont défendu ensemble les révolutionnaires ces dernières
années, Lutte Ouvrière et la LCR, programme qui avait recueilli,
lors des Présidentielles de 2003, 10 % de voix.
Les révolutionnaires sont en bonne position pour défendre ce programme
de lutte dans leur classe, puisque tous ces combats, ces reculs et ces défaites,
ces résistances, ils les ont vécus et les vivent au coude à
coude avec tous leurs collègues de travail, avec les militants ouvriers
syndicaux ou politiques, dans les mêmes syndicats ou associations.
Gérard
Villa
Argentine : un nouveau régime progressiste ?
La
réalité de la lutte des classes en Argentine apparaît et
disparaît dans la presse française d'une manière un peu
capricieuse. Après un long silence, les commentaires se sont multipliés
dans les dernières semaines à propos du film " Mémoires
d'un saccage " de F. Solanas (voir par exemple Rouge du
7 octobre). Au-delà de la qualité de cette uvre cinématographique,
le message politique de ces commentaires et du film lui-même est intéressant
et mérite une analyse critique. On peut le résumer de la façon
suivante : la crise argentine est une affaire du passé ; elle
est le résultat du néolibéralisme ; le peuple et le
gouvernement actuel en Argentine sont en conflit avec l'impérialisme
et " tout va mieux ". Toutes ces idées sont fausses.
Le
cadre actuel de la crise
Il est intéressant de situer la crise argentine dans une perspective
mondiale et de déterminer exactement ce qui est en jeu.
L'économie capitaliste argentine est entrée dans une situation
de faillite courant 2001. Toute situation de faillite exige une redéfinition :
les créditeurs et les débiteurs doivent négocier. Essentiellement,
il s'agit de redéfinir les relations avec l'économie mondiale,
ou plutôt une position dans l'économie mondiale.
À son tour, cette redéfinition s'effectue dans un contexte de
crise politique du régime bourgeois, en raison du soulèvement
populaire qui a mis fin au gouvernement de De La Rua en décembre 2001 ;
les masses ont pris possession de la rue et ce fait politique capital continue
à peser sur la situation politique nationale malgré la stabilisation
relative qui a suivi l'élection de Kirchner en mai 2003.
La différence fondamentale entre l'Argentine et le Brésil se situe
dans cette irruption révolutionnaire des masses et dans l'apparition
du mouvement piquetero en tant que forme nouvelle d'organisation du secteur
le plus combatif des exploités. Au Brésil, l'encadrement politique
et social de la classe ouvrière et des masses est resté à
la charge du PT ; en Argentine, le péronisme a échoué
dans cette tâche et la bourgeoisie a été confrontée
à une situation inédite : reconstruire sa domination politique
dans un contexte de crise et d'effondrement national, face à un mouvement
combatif des masses dans la rue qui se caractérise par une expérience
nouvelle d'indépendance politique de classe.
Kirchner et son ministre de l'Economie, Lavagna, sont en train de renégocier
la dette externe pour un montant de 140 milliards de dollars et de façon
plus générale, la place de la bourgeoisie nationale et les conditions
de soumission à la domination du capital impérialiste et financier.
Dans ce sens, le gouvernement de Kirchner peut être caractérisé
comme un gouvernement " nationaliste " qui se propose de
préserver les intérêts de la classe capitaliste nationale.
Souvenons-nous par ailleurs que l'origine de la situation actuelle est la dévaluation
de début 2002 qui, après avoir porté la valeur du dollar
de 1 à 3 pesos, a permis une liquidation des dettes et a donné
un ballon d'oxygène à une partie du capital et de l'industrie.
La bourgeoisie et l'impérialisme ont pour eux le fait qu'ils opèrent
maintenant pendant une phase favorable du cycle économique - après
la récession qui a commencé en 1998 - et dans une période
d'essor circonstanciel des exportations, surtout grâce à la vente
de soja à la Chine, à l'augmentation des prix du pétrole
et, en général, des matières premières.
La
renégociation de la dette externe
La renégociation de la dette externe est une question fondamentale pour
le capitalisme mondial, pour les intérêts du grand capital, pour
le gouvernement de Kirchner et pour le régime bourgeois.
L'émission et l'accroissement de la dette externe ont été
des caractéristiques majeures du développement capitaliste argentin
dans la période néolibérale des années 90. Cet accroissement
ne peut se prolonger indéfiniment et la dette, ou du moins une partie
de celle-ci, doit aussi être payée pour que le capital financier
puisse poursuivre son cycle. Pour cela, l'économie " nationale "
doit obtenir les dollars nécessaires et l'Etat doit réaliser un
excédent. La dette a augmenté de façon explosive et en
2000-2001, elle était impayable. Le default a été une étape
nécessaire.
La renégociation actuelle de la dette souveraine est la plus importante
de toute l'histoire, ce qui lui confère une importance fondamentale pour
le système capitaliste mondial. Le gouvernement de Kirchner est en train
de remplir toutes les conditions susceptibles de satisfaire le système
financier international pour sauver le système de la dette. Il est sur
le point de sortir victorieux de cette négociation avec l'appui des banques
et des groupes financiers. La dette avec le FMI est acquittée religieusement
en dépit du default. Les titres de la dette valent aujourd'hui sur le
marché davantage qu'ils ne valaient dans la période antérieure
à la déclaration du default. La renégociation a profité
au système bancaire et au système de fonds de pension privés
en Argentine même. Le gouvernement des Etats-Unis et les grands groupes
financiers soutiennent les positions du gouvernement argentin et bien sûr,
veulent également une part toujours plus grande du gâteau et exigent
toujours plus. Le budget de l'Etat connaît un excédent de 4 %,
pendant que la population et le pays vivent un véritable désastre
Finalement, le grand capital et le gouvernement argentin, en tant que représentants
des intérêts de la bourgeoisie, sont en passe d'aboutir à
un accord qui va " sauver " une dette de 100 milliards de
dollars. Les créditeurs privés acceptent une " dépréciation "
de la valeur nominale de la dette qui semble importante (75 %) mais qui
était en fait d'ores et déjà incluse dans la valeur de
marché de ces titres pour le grand capital avant le default. Les seuls
à subir un préjudice, en réalité, ce sont quelques
centaines de milliers de commerçants et de retraités italiens,
japonais et allemands, qui ont acheté ces titres en pensant réaliser
une grande affaire. Alors qu'en réalité, ce ne fut une affaire
que pour les banques et les intermédiaires financiers.
En 2005, l'Argentine paiera la dette et pourra continuer à s'endetter.
Ce sera le début d'un nouveau cycle.
L'autre point capital
que le gouvernement est en train de " renégocier "
est celui des entreprises privatisées, qui ont constitué l'une
des plus grandes affaires de l'impérialisme pendant la période
ouvertement libérale (des années 90). Les " contrats "
de privatisation ont liquidé les services publics, ont imposé
les conditions d'une spoliation, ont transformé le pays en une gigantesque
roulette. La poursuite de ce système était impossible dans les
conditions politiques et économiques nouvelles. Le gouvernement n'a annulé
dans les faits aucun contrat, n'a exproprié aucune entreprise, n'a empêché
aucun marché. Il a convenu d'une renégociation des contrats qui
est encore en cours. Le capital a sauvé ce qu'il pouvait sauver. Dans
le pire des cas, quelque entreprise quittera le pays après avoir fait
une grande affaire. Pendant ce temps, les contrats se négocient et les
entreprises ont lancé des procédures contre le gouvernement argentin
auprès du CIADI - tribunal arbitral de la Banque Mondiale dont le
siège est à Paris - pour un montant de 16 milliards de dollars.
Le règlement de la situation des entreprises privatisées est une
des exigences fondamentales du FMI et surtout des gouvernements français
et espagnol et de l'Union Européenne dans son ensemble. Ces puissances
impérialistes sont en mesure d'accepter sans grande difficulté
un pourcentage plus ou moins élevé de dépréciation
de la dette externe, mais elles exigent que soit affermie la présence
du capital européen par l'intermédiaire des entreprises privatisées.
Pour le moment, le gouvernement argentin a donné les garanties nécessaires,
bien évidemment en passant par le processus de " renégociation "
toujours en cours.
Le gouvernement de Lula garantit également le paiement de la dette externe,
mais selon une autre méthode : il n'a pas déclaré
le default et il a garanti d'emblée un excédent d'au moins 5 %.
Il s'agit là encore d'une politique criminelle pour la population, mais
qui conduit à une augmentation nominale de la dette et à l'accumulation
de passifs. La méthode argentine peut se révéler plus efficace
que la brésilienne, mais Lula a le mérite d'avoir assuré
les paiements dans une période critique et d'avoir ainsi évité
l'extension de la crise au moment du default argentin.
Une appréciation
générale
La position révolutionnaire ne consiste pas à nier le tournant
politique que représente le gouvernement de Kirchner par rapport aux
gouvernements antérieurs. D'une manière ou d'une autre, le mode
de domination politique adopté par l'Etat bourgeois doit se conformer
à de nouvelles conditions créées par l'argentinazo de décembre
2001. La position révolutionnaire consiste à déterminer
les conditions et les limites de ce tournant et surtout à souligner la
nécessité d'une position indépendante de la classe ouvrière
et des exploités et de leur mobilisation contre le gouvernement, à
proposer une alternative socialiste au gouvernement et une lutte pour un programme
de revendications immédiates, pour une rupture avec l'impérialisme,
pour la défense des conditions de vie des masses, pour une augmentation
des salaires.
Maintenant, le plus important par rapport au gouvernement de Kirchner est de
comprendre que son virage nationaliste ne satisfait aucune des revendications
nationales et anti-impérialistes. Il conduit au contraire une politique
de compromis et de soumission au grand capital et à l'impérialisme.
Il met en évidence les limites d'une politique nationaliste. Le gouvernement
n'a initié absolument aucune action qui puisse affecter les intérêts
impérialistes et le grand capital, ou qui soit en mesure de renverser
la situation de misère et d'effondrement que vit le pays.
Il renégocie la dette externe, il renégocie les contrats des entreprises
privatisées, il renégocie l'exploitation du pétrole, il
renégocie une issue à la dévaluation, etc
Dans chacun
de ces cas, pour chaque point, pour chaque question, ce qui est en jeu c'est
la " renégociation " dans les termes favorables à
la préservation du régime capitaliste et à la domination
impérialiste.
Le gouvernement de Kirchner présente deux aspects essentiels : ce
n'est pas un gouvernement néolibéral, mais au contraire un gouvernement
plutôt nationaliste et interventionniste ; c'est un gouvernement qui a
le soutien de l'ensemble des fractions de la bourgeoisie et de l'impérialisme.
C'est le gouvernement à la fois de Bush et de la bourgeoisie nationale
; c'est un gouvernement réactionnaire et populiste.
Un gouvernement bourgeois, favorable aux intérêts du grand capital
et de l'impérialisme, dans le contexte d'un pays arriéré,
d'une semi-colonie, n'est pas nécessairement un gouvernement néolibéral
orthodoxe. Un ensemble de conditions politiques et économiques peuvent
imposer, et de fait elles le font, une politique avec un degré plus ou
moins important d'interventionnisme de l'Etat et de développement de
l'industrie, quoique très limités. On est loin d'une politique
véritablement anti-impérialiste et plus loin encore d'une politique
révolutionnaire.
Kirchner,
Chavez, Lula
.
L'évolution politique en Argentine doit être située bien
sûr dans le cadre mondial de la domination impérialiste mais plus
précisément dans les développements des régimes
politiques de la bourgeoise en Amérique Latine.
La domination impérialiste sur le continent a provoqué dans les
10 dernières années une aggravation considérable des conditions
de vie des masses et de spoliation nationale : endettement externe, chômage,
chute des salaires, privatisations, destruction des services publics
Au
même moment, les luttes de masse, la résistance sociale, les mobilisations
contre l'impérialisme, ont provoqué une désagrégation
des gouvernements bourgeois. Soulèvements populaires et crises politiques
sont à l'ordre du jour si on regarde les événements avec
une perspective historique.
Une des réponses de la bourgeoise - avec l'accord et même
l'intervention active de l'impérialisme - a été de
s'adapter à des gouvernements de la gauche ou à associer la gauche
au gouvernement. Et ce sont ces gouvernements de gauche ceux qui doivent exécuter
la politique de soumission au grand capital et à l'impérialisme.
C'est le cas de Lula au Brésil. Le gouvernement du PT a associé
des partis de la bourgeoisie et paye la dette extérieure rubis sur l'ongle,
envoie des troupes à Haïti, mène une politique économique
" néolibérale "
Ce sont des gouvernements
d'union nationale, avec des politiques clairement favorables au grand capital,
à l'impérialisme, mais à travers des gouvernements dont
la colonne vertébrale est constituée par les partis et organisations
de gauche.
Le gouvernement Kirchner est une variante de ce type. Il émerge directement
du système politique des partis bourgeois et associe au pouvoir de petites
organisations de gauche et des personnalités " progressistes ".
Kirchner, l'éternel opportuniste, peut ainsi parler d'un nouvel arc politique
en Amérique Latine : Chavez, Lula, Kirchner et maintenant Vazquez
en Uruguay.
La différence fondamentale entre Kirchner et Chavez est que ce dernier
a bouleversé l'ordre politique au Venezuela, en s'appuyant originalement
sur le soulèvement de 1989 et en appelant les masses à s'organiser
et défaire le régime politique existant. Mais en même temps,
Chavez et Kirchner font partie de ce nouveau phénomène des gouvernements
nationalistes et de gauche. Chavez pour ces raisons politiques est situé
à la gauche et a eu des affrontements directs avec l'impérialisme
et les forces bourgeoises - coup d'Etat d'avril 2002, référendum -
et Lula et Kirchner se situent à la droite et essayent de pacifier les
relations entre Chavez et l'impérialisme.
Mais si les différences sont claires au niveau de la mobilisation et
organisations des masses et de conflit avec le régime politique bourgeois
existant, il ne faut pas oublier que le " programme " de
Chavez - comme celui des autres gouvernements progressistes de l'Amérique
Latine - n'attaque pas les fondements de la domination bourgeoise et impérialiste
du pays. Pour donner un seul exemple : Chavez continue à payer la
dette extérieure et l'exploitation privée du pétrole s'est
développée dans le pays jusqu'à atteindre 40 %.
Les relations entre le gouvernement et les mouvements de masses sont différentes
en Argentine et au Venezuela et cette évidence doit être prise
en considération quand on essaye de fixer la politique des révolutionnaires.
Une condition s'impose dans tout les cas : l'indépendance politique,
un programme de mots d'ordre indépendant de mobilisation pour les masses,
ce que n'est pas une liste de conseils et de recommandations au gouvernement...
En Argentine, les masses ont été les protagonistes de l'Argentinazo
et Kirchner était dans la tranchée d'en face. L'organisation des
piqueteros est née et s'est développée en imbrication avec
les partis de gauche. Ces mêmes partis - et surtout le Parti Ouvrie r-
ont été en conditions - par leur programme et leur place
dans la lutte de masse s- de structurer une opposition ouvrière
et populaire à la politique bourgeoise de Kircher et à sa soumission
à l'impérialisme. L'analyse des conditions et des difficultés
du développement d'une politique révolutionnaire d'organisation
et de mobilisations ouvrières et populaires en Argentine est la tâche
essentielle. Au Venezuela, il s'agit d'un stade beaucoup plus primaire :
assurer un cadre politique et un programme socialiste pour les militants et
organisations, avancer un programme de revendications indépendant du
gouvernement, de contrôle ouvrier, de nationalisations, d'organisation
de la classe ouvrière et de la population pauvre en conseils.
La politique indépendante de la classe ouvrière devient l'élément
clé de la situation non seulement dans un sens historique mais aussi
immédiat. Le gouvernement recrée les conditions du sous-développement
et de la misère dans le pays ; les masses luttent pour leurs revendications
et doivent s'organiser autour de leur propre programme. Ces questions exigent
une analyse détaillée. Nous y reviendrons dans Débat
militant.
Marcelo.
N
Délocalisations : à la politique de la bourgeoisie, opposer celle des travailleurs
Sarkozy
vient d'annoncer, à l'occasion de la présentation du projet de
budget 2005, un " plan contre les délocalisations ".
Il s'y pose en défenseur de l'emploi et de l'avenir de la France en tant
que grande puissance. " Refusant la fatalité ",
il annonce comme remède miracle
une batterie de mesures fiscales,
nouveaux cadeaux aux patrons et aux plus riches et nouvelle série d'attaques
contre les salariés.
Ce plan se veut une réponse à une situation politique et sociale
marquée, depuis le début de l'année, par le retour sur
le devant de la scène politique et sociale des délocalisations.
Au début de l'été dernier, la direction de Siemens, en
Allemagne, avait lancé une offensive brutale contre ses salariés.
Il s'agissait, sous la menace de délocaliser une partie de la production,
d'imposer aux salariés baisses de salaire et augmentations de la durée
du temps de travail. Ce chantage aux délocalisations a fait école,
en Allemagne comme en France. Face à ces attaques, et malgré la
combativité des salariés, les syndicats, considérant cette
situation comme une fatalité, conséquence de lois économiques
contre lesquelles on ne pourrait rien, ont accepté les conditions des
patrons, pour " éviter le pire ".
Les luttes récentes que les salariés d'Opel à Bochum en
Allemagne ont lancé contre la vague de licenciements qui les vise montrent
évidemment la seule voie permettant de sortir de cette fausse alternative
entre la résignation des organisations syndicales et le " volontarisme "
populiste et réactionnaire d'un Sarkozy. Mais sur quelles revendications
se battre contre les délocalisations ? Et d'abord, quel est l'impact
réel des délocalisations sur la dégradation sociale dans
les anciens pays industrialisés comme la France ? Peut-on isoler les
délocalisations des autres causes de licenciements ? Et quelle en est
l'évolution prévisible ?
Faire
baisser le coût du travail
Les délocalisations ont commencé entre 1965 et 1980. Concernant
d'abord des entreprises américaines et japonaises, elles se sont ensuite
étendues aux entreprises européennes. En France, le secteur du
textile était particulièrement touché. Après une
période de relative accalmie, les délocalisations se sont de nouveau
développées à partir de la fin des années 80, intimement
liées au développement des multinationales. Au cours des restructurations
massives qui ont suivi la crise des nouvelles technologies de 2001, les effets
des délocalisations se sont confondus avec ceux des plans de licenciements
et des fermetures d'entreprises destinées à réduire des
effectifs rendus soi-disant pléthoriques sous prétexte de la crise
de surproduction.
Depuis quelques mois, alors que l'économie mondiale connaît une
nouvelle phase de croissance, le phénomène des délocalisations
revient, avec brutalité, au premier plan de l'actualité sociale
et politique. Cas parmi d'autres, fin 2003, les salariés de STMicroelectronics
de Rennes apprenaient que leur site allait être fermé et sa production
transférée à Singapour. En mai 2004, l'usine a été
vidée de ses machines, sous la protection de la police, sous les jets
de pierre des salariés.
Ce qui pousse les multinationales à déplacer des usines entières
d'une contrée dans une autre est bien évidemment la recherche
du profit. " Les entreprises délocalisent tout d'abord pour
abaisser leurs coûts de production
C'est pour cette raison que le
volailler Doux s'est implanté au Brésil et a fini par fermer ses
usines de Bretagne : le prix de revient d'un poulet y serait 50 % inférieur
et les coût salariaux trois fois moindres. Quant un salarié coûte
à l'entreprise en moyenne 22 dollars de l'heure à New York ou
14 à Paris, il ne lui coûte que 1,8 dollar à Rio de Janeiro
ou 2,2 dollars à Varsovie
" (Alternatives économiques,
octobre 2004 - Dossier sur les délocalisations).
Mais elles cherchent aussi à disposer d'une main d'uvre la plus
flexible possible, ne bénéficiant d'aucune protection sociale,
et qu'il soit possible d'embaucher et de licencier sans qu'aucune procédure
ne vienne s'y opposer. C'est la possibilité que leur offrent, en plus
d'exonérations fiscales " maquiladoras " mexicaines,
" zones économiques spéciales " chinoises
et autres " zones franches ".
Une enquête,
réalisée en janvier 2004, auprès de cinquante grands groupes
européens donne une idée des perspectives que se donnent leurs
patrons pour les années à venir : " 42 %
d'entre eux (contre 15 % actuellement) réaliseront plus de 10 %
de leurs achats dans les pays bon marché. Un sur cinq (contre 6 %
actuellement) y achètera plus de 20 % de ses approvisionnements
et les deux tiers (contre un tiers aujourd'hui) plus de 5 % [
] Sur
les sociétés interrogées, qui pèsent 260 milliards
d'euros de chiffre d'affaires, cela correspond à un doublement des volumes
d'achat dans les pays à bas coût [...] C'est une vague de fond
inquiétante, violente puisqu'elle surviendra dans les deux ans : les
groupes fermeront des usines en France ou en Europe ". (La Tribune).
Bien sûr, un certain nombre de facteurs interviennent, à la manière
d'un frein, dans cette évolution. Les délocalisations ne sont
rentables qu'à la condition qu'existent des réseaux de transport
fiables et bon marché, une main d'uvre aux qualifications adaptées,
éventuellement des débouchés locaux pour une partie des
marchandises produites
Ces conditions ne se mettent pas en place du jour
au lendemain, mais le capitalisme a depuis longtemps montré sa capacité
à résoudre ces problèmes. Le fait que l'Inde ait détrôné
la Californie, en quelques années, comme paradis des informaticiens et
que la Chine soit devenue le premier pays exportateur de produits manufacturés
en est la preuve concrète.
Quelques chiffres, tirés du numéro déjà cité
d'Alternatives économiques, permettent de se faire une idée
de la rapidité et de l'ampleur du phénomène. En Chine,
le total des exportations de marchandises est passé de 20 milliards de
dollars en 1980 à pratiquement 450 milliards en 2003. Au cours de la
même période, les exportations de matières premières
ont baissé en pourcentage du total des exportations, passant de 54 à
12 %, tandis que la part des produits manufacturés a fait un bond
spectaculaire : électronique, de 1 à 22 % ; produits
de moyenne technologie dont automobile, de 9 à 17 %...
Les délocalisations ne se font pas uniquement des pays industrialisés
vers les pays pauvres. En France, la politique de " développement
économique " que mènent les grandes villes et les Régions,
en offrant aux entreprises qui s'implantent sur leur territoire terrains viabilisés
et exonérations de charges, a suscité une autre forme de délocalisation.
On a ainsi pu voir des entreprises fermer dans une région pour aller
s'implanter quelques centaines de kilomètres plus loin, afin de bénéficier
des avantages à l'implantation. L'intégration récente à
l'Europe de pays pauvres va offrir aux industriels européens de nouvelles
opportunités. " Les PME françaises se bousculent
en Tchéquie. Chaque jour, deux ou trois entreprises françaises
se renseignent sur les conditions d'installation de bureaux ou d'une usine "
(La Tribune, septembre 2004).
L'impact des
délocalisations
Pour les économistes, " une délocalisation est le
transfert de capacité de production d'un site national vers un site étranger
afin d'importer, pour satisfaire la consommation nationale, des biens et des
services jusqu'alors produits localement ". Selon cette définition,
et si l'on en croit les statistiques, les délocalisations n'auraient,
en Europe, qu'un impact minime sur la situation sociale et économique.
En France, la part des produits consommés sur le marché intérieur
et issus d'entreprises délocalisées (c'est-à-dire d'entreprises
à capitaux français implantées à l'étranger)
ne représenterait que 2,5 % de la production manufacturière
française, et 12,5 % des importations. Et seul un faible pourcentage
(5 %) des licenciements aurait pour cause directe une délocalisation
réelle.
Mais ces statistiques sont, de l'aveu même de ceux qui les produisent,
sujettes à caution. Elles ne peuvent rendre compte de l'importance des
conséquences économiques et sociales et des répercussions
politiques que peut avoir la fermeture d'entreprises autour desquelles s'était
organisée, au fil des ans, la vie sociale et économique de régions
entières.
Depuis sa naissance, au 18ème siècle, le capitalisme industriel
a étendu son emprise, à travers crises et guerres, à l'ensemble
de la planète. Le siècle dernier a été celui de
l'organisation impérialiste du monde. Une poignée de puissances
(Angleterre, France, Allemagne, Japon, Etats-Unis
) possédaient
le quasi monopole de la production industrielle des produits manufacturés,
tandis qu'elles réduisaient, par la force de leurs armées, les
autres pays au rôle de fournisseurs de matières premières.
La structure économique et sociale, la façon dont la société
des pays riches est organisée - bassins industriels " historiques ",
réseaux de sous-traitance et de distribution qui leur sont associés,
structures collectives et services publics,
-, est le produit de cette
histoire, histoire sur laquelle les luttes de la classe ouvrière pour
l'amélioration de ses conditions de travail ont largement pesé.
Tout cela a contribué à construire, au sein des pays impérialistes,
une codification des rapports sociaux, des traditions politiques et syndicales,
ainsi qu'un certaine " conscience nationale ", dont le mouvement
ouvrier était loin d'être émancipé.
Le développement des multinationales, dans le contexte de la mondialisation,
en implantant des sites de production de produits manufacturés et de
services dans les anciennes colonies, ne pouvait que bouleverser la base même
sur laquelle repose l'organisation sociale des pays impérialistes. A
partir du moment où une marchandise peut-être fabriquée
n'importe où dans le monde, les pays industrialisés perdent leur
rôle " à part ". Il s'ensuit une redistribution
des cartes à l'échelle mondiale qui a d'importantes répercussions
au sein des anciennes puissances impérialistes. Les " délocalisations ",
le départ pour l'étranger ou pour une autre région, d'usines
que " l'on avait toujours connues chez nous ", avec toutes
les conséquences que cela entraîne à l'échelle d'une
ville ou d'une région, sont une des expressions de ce phénomène
destructeur.
Pas plus que
les progrès techniques, les délocalisations ne sont, en elles-mêmes,
la cause des licenciements
Les délocalisations, tout comme les progrès techniques, sont associés,
dans l'esprit de bien des travailleurs, aux licenciements, comme par une relation
de cause à effet qu'il serait impossible de contourner. D'où le
réflexe des replis localistes : protégeons-nous des licenciements
en interdisant aux capitalistes de délocaliser, voire d'investir des
capitaux " français " à l'étranger.
Le PC s'en fait le porte-parole politique. Dans un projet de loi " visant
à instaurer des mesures d'urgence contre les délocalisations "
déposé à l'Assemblée nationale en février
2004, Gremetz refuse que " les délocalisations menacent
le potentiel productif de la France " et, pour s'y opposer, renoue
avec ses anciennes amours du " il faut produire et créer
français "
Mais il ne faut pas compter faire tourner la roue de l'histoire à l'envers.
Les délocalisations, en contribuant à industrialiser de nouvelles
régions, en y introduisant les technologies les plus modernes, en permettant
à une nouvelle classe ouvrière de s'y développer, sont
un important élément de progrès pour l'humanité
toute entière. De nouveaux moyens de production et d'échange sont
créés qui permettraient de satisfaire de nouveaux besoins, d'améliorer
de façon considérable des conditions de vie de millions d'êtres
humains.
Mais, dans une société basée sur la recherche du meilleur
taux de profit et régie par les lois du marché et de la concurrence,
ces progrès se transforment en calamité pour les travailleurs,
tout comme l'amélioration des techniques de production s'accompagne de
chômage et de sur-exploitation, de catastrophe écologique. Tandis
que l'immense majorité de la population des pays pauvres continue à
croupir dans la misère, au pied d'usines ultramodernes, des usines ferment
dans les pays industrialisés, sous prétexte qu'elles ne sont pas
" compétitives ". Une entreprise qui ferme en Europe
ne ferme pas parce qu'une entreprise équivalente ouvre au Mexique, en
Roumanie ou en Chine, elle ferme parce que ses actionnaires jugent qu'elle ne
produit pas assez de profits et choisissent d'en retirer leurs capitaux.
Un chantage
politique
Le transfert de productions dans les pays à " bas coût
de main d'uvre " n'est pas la seule stratégie des capitalistes
des pays industrialisés et de leurs gouvernements pour diminuer leurs
coûts de production et maintenir leurs taux de profits. La crainte pour
l'emploi que suscitent les délocalisations, expression de la mise en
concurrence des salariés à l'échelle mondiale, pèse
lourdement dans le rapport des forces en faveur de la bourgeoisie contre la
classe ouvrière " locale ", afin d'obtenir de nouveaux
reculs des salaires, de rendre les travailleurs plus flexibles, de simplifier
les procédures de licenciement.
Le patronat européen, à la suite de la direction de Siemens, l'a
bien compris. Il profite de la situation pour exercer un chantage à l'emplo
: ou vous acceptez nos conditions, ou nous délocalisons. Dernier exemple
en date : le conflit Volkswagen, en Allemagne, dans lequel, le syndicat
IG Metall vient d'accepter un blocage des salaires de 28 mois et une augmentation
de la flexibilité contre la promesse qu'il n'y aurait pas de plan de
licenciement avant 2011.
Les mesures que Sarkozy présente dans son plan ne sont, bien entendu,
en aucune façon, un barrage contre les effets sociaux des délocalisations.
Sa véritable préoccupation est de permettre à certaines
catégories sociales, petits patrons, membres des professions libérales,
commerçants, cadres, petite bourgeoisie aisée
qui n'accèdent
pas directement aux mannes de la mondialisation mais sont au contraire touchées
par la baisse du pouvoir d'achat des salariés, de maintenir leurs revenus.
D'où toute une série d'avantages fiscaux, financés par
l'augmentation des impôts qui frappent les plus pauvres. De fait, tout
comme les " patrons voyous " qu'il dénonce,
Sarkozy utilise le prétexte des délocalisations pour justifier
un nouveau hold-up sur les salaires, par le biais de l'impôt.
Les autres membres du gouvernement ne sont pas en reste. Larcher et Borloo,
sous couvert de " cohésion sociale ", proposent, entre autres,
de créer un " contrat d'avenir ", contrat
précaire destiné aux RMIstes et assorti " d'aides
aux employeurs ", et une réforme de la législation
sur les licenciement économiques, dans laquelle pourrait apparaître
le droit de " licenciement pour sauvegarde de la compétitivité ".
La bourgeoisie
a sa politique, les travailleurs doivent avoir la leur
A la politique de la bourgeoisie, nous devons opposer la nôtre, un plan
d'urgence sociale et démocratique, notre programme pour les luttes :
interdiction des licenciements, réquisition des entreprises qui licencient,
arrêt du démantèlement et embauches massives dans les services
publics, répartition du travail entre tous, des salaires décents
pour tous.
Mais ce combat débouche nécessairement sur une remise en cause
du capitalisme. Il n'y a pas de " bonne " revendication
face aux délocalisations qui ne sont qu'une des multiples facettes de
la politique de la bourgeoisie, c'est l'ensemble de cette politique qu'il faut
remettre en cause. Nous n'avons pas plus à craindre de l'expliquer et
de le dire aux travailleurs dans notre activité politique, que dans notre
activité syndicale.
Lutter contre les licenciements et défendre nos acquis suppose être
capable de nous opposer à la politique de la bourgeoisie. Dire non aux
délocalisations, c'est dire non à cette politique et refuser d'entrer
dans un marché de dupes où il faudrait accepter, pour ne pas être
délocalisés, baisses de salaire, flexibilité et allongement
du temps de travail.
Les délocalisations, les attaques massives contre les salaires et le
temps de travail, suscitent un peu partout des réactions de travailleurs,
les luttes des salariés de STMicroemectronics en France, des salariés
d'Opel à Bochum, en Allemagne, et bien d'autres, en sont l'illustration.
Cette volonté de lutte, de refuser la fatalité, manifestée
pas des dizaines de milliers de travailleurs, est la réponse, sur le
terrain de la lutte des classes, de la classe ouvrière, par-dessus les
frontières, aux attaques de la bourgeoisie. Elle illustre la façon
dont nous pouvons nous opposer à sa politique, la retourner contre elle.
Cela suppose que nous ayons une nette conscience de nos intérêts
de classe, c'est-à-dire que nous soyons émancipés de toute
vision localiste, nationaliste, de nos intérêts. De ce point de
vue, les délocalisations, en bouleversant les rapports sociaux, contribuent
à créer les conditions d'une conscience et de luttes surmontant
les divisions nationales pour remettre en cause la propriété privée
capitaliste.
Eric
Lemel
Mondialisation impérialiste, nouvelle période et renouveau du mouvement ouvrier
Un
des arguments qui fonde pour nous la perspective de travailler à l'émergence
d'un nouveau parti est que cette perspective ne relève pas du simple
volontarisme moral ou militant mais de transformations objectives. Il y a longtemps
que la formule de Trostky " la crise historique de l'humanité
se réduit à la crise de direction révolutionnaire "
ne correspond plus à une réalité objective. En fait, cela
est vrai depuis la deuxième guerre mondiale et la participation pleine
et entière de la social-démocratie et du stalinisme à la
politique impérialiste, même si la formule a continué à
nourrir bien des convictions ou bien des illusions militantes.
L'issue de la crise historique de l'humanité exige une renaissance du
mouvement ouvrier. C'est bien ce qui est à l'ordre du jour, ce dont il
s'agit de discuter.
Cette renaissance du mouvement ouvrier résulte de transformations objectives
du capitalisme lui-même et des rapports entre les classes, y compris à
l'échelle internationale.
La décennie qui a suivi l'effondrement de l'ex-URSS et des scories du
stalinisme a dessiné de nouveaux rapports de force économiques,
sociaux et politiques. La restauration de la propriété privée
dans l'ancienne URSS, la conversion de la social-démocratie au social-libéralisme
au moment où les classes capitalistes s'engageaient à travers
la mondialisation dans une offensive libérale et impérialiste,
guerre sociale et guerre militaire, ont posé comme une question pratique
et concrète la nécessité d'un nouveau parti du monde du
travail.
Une nouvelle combativité s'est exprimée dans les grèves,
dans le mouvement du printemps 2003, dans le mouvement altermondialiste, dans
la floraison des forums sociaux ou les manifestations contre la guerre en Irak,
dans les manifestations de la jeunesse contre la menace de l'extrême droite
Cette renaissance se heurte aux limites des idées du passé dominé
par le réformisme, cherche une politique qui lui permette de renouer
avec la lutte de classe, la démocratie.
Une
nouvelle période s'ouvre pour le mouvement ouvrier.
Réformes, nouvelle économie, nouvel âge, révolution
informatique, révolution de la communication, marché et démocratie,
les nouvelles croyances au nom desquelles la bourgeoisie financière,
aidée par les États, justifiait son offensive contre les peuples
et la classe des salariés, se révèlent de cyniques impostures.
Jamais les inégalités n'ont été aussi grandes, la
misère aussi présente, l'insécurité, la détresse,
l'inquiétude aussi corrosives. Les phases même de croissance accentuent
injustices et inégalités.
La période ouverte en Octobre 1917 par la victoire des travailleurs russes
et la vague révolutionnaire mondiale qui a donné naissance aux
Partis communistes et à la Troisième Internationale, est close.
S'ouvre maintenant une nouvelle période lourde de menaces pour l'avenir
de l'humanité mais aussi grosse de possibilités révolutionnaires.
Ce basculement politique uvre à la renaissance d'un mouvement ouvrier
authentiquement socialiste et communiste, c'est-à-dire à l'émergence
d'un parti révolutionnaire.
L'accord entre la Ligue communiste révolutionnaire et Lutte ouvrière
à l'occasion des élections régionales et européennes
de 2004 a pris, dans ce contexte, une signification qui dépassait ses
simples objectifs électoraux. Malgré son relatif échec
électoral, il a dessiné l'ébauche de ce futur parti, cette
gauche des luttes, cette gauche révolutionnaire qui était au cur
du mouvement du printemps 2003 comme elle est au cur de toutes les résistances.
Ce qui a été semé n'est pas près de disparaître
bien que de l'ébauche à la concrétisation pratique et militante
d'un front des révolutionnaires, il y a bien des difficultés.
Les regroupements, les convergences, les luttes ne pourront aboutir spontanément
à la naissance d'une nouvelle force politique sans un réel et
profond débat sur les orientations politiques et programmatiques.
Quelle compréhension avons-nous de la période achevée,
quels enseignements en tirons-nous ? Quelles transformations objectives,
sociales et politiques rendent cette renaissance du mouvement ouvrier possible ?
Qu'est-ce qui fonde la crédibilité de la perspective révolutionnaire ?
Quel contenu subversif donner aujourd'hui aux idées du socialisme et
du communisme ?
Au
début du siècle dernier, le capitalisme parvenu à son stade
impérialiste avait plongé l'humanité dans la barbarie de
la Première guerre mondiale, aboutissement sanglant des rivalités
entre grandes puissances pour le partage du monde, puis, après la crise
de 29, dans le chômage et la misère, résultats de sa faillite
économique. Dans cette même période, la classe ouvrière
s'affirmait à l'échelle mondiale comme la classe porteuse de l'avenir
de l'humanité face à la décadence bourgeoise.
En 1917, la classe ouvrière russe, bien que minoritaire, s'emparait,
avec le Parti bolchevique, à la tête des masses paysannes, de la
direction d'un pays vaste comme un continent. Dans les premiers mois de la révolution
encore vivante et féconde, la force démocratique et révolutionnaire
de l'État soviétique permettait aux masses d'exercer directement
leur propre pouvoir, leur dictature démocratique contre les exploiteurs.
Puis, elle démontra dans les faits la supériorité du collectivisme
et de la planification sur l'anarchie capitaliste.
Dans le monde entier, se déchaîna contre les classes exploitées
une vague de réaction dont l'ampleur était à la mesure
de la menace que la vague révolutionnaire avait fait peser sur la domination
bourgeoise.
La montée réactionnaire enrôla à son service, bon
gré mal gré, toutes les forces qui ne se rangeaient pas consciemment
dans le camp des travailleurs et de la révolution et plongea le monde,
après avoir accouché du fascisme et du stalinisme, dans une nouvelle
apocalypse de violences, la Deuxième guerre mondiale.
Loin de conquérir repos et stabilité, la bourgeoisie mondiale
dut faire face à une nouvelle vague de soulèvements révolutionnaires,
celle des peuples coloniaux. Elle ne put ni l'endiguer ni la vaincre, malgré
les milliards de dollars et les tonnes de matériels en tout genre engloutis
dans des guerres infâmes.
L'héroïsme des masses et leur solidarité par-delà
les frontières, de même qu'ils avaient sauvé la révolution
russe au lendemain de la Première guerre mondiale, vinrent à bout,
malgré les trahisons et les crimes de la social-démocratie et
du stalinisme, malgré l'impasse de la politique des directions nationalistes
bourgeoises ou petites bourgeoises, de l'acharnement des classes impérialistes
à nier aux peuples le simple droit à une existence nationale indépendante.
Ces décennies ont écrit la faillite de la classe bourgeoise dans
le sang et la souffrance des opprimés qui ont démontré
leur légitimité à prétendre liquider la vieille
classe réactionnaire et parasitaire et leur capacité à
accomplir leur tâche historique.
Les soulèvements révolutionnaires qui ont fait le siècle
passé n'ont pu venir à bout de la domination impérialiste.
Pourtant, non seulement ils ont écrit des pages riches d'enseignements
pour les combats à venir, mais ils ont transformé la face de la
planète. Malgré l'anarchie, le gaspillage et la barbarie capitalistes,
l'humanité a poursuivi sa marche en avant tant sur le plan des sciences
et des techniques que des possibilités d'unifier les peuples.
Tous ces progrès sont le fruit du travail humain et de sa révolte
contre les entraves que lui imposent la propriété privée
bourgeoise et les États nationaux qui la protègent. Les échecs
passés sont des moments dans l'affrontement sans cesse renouvelé,
élargi, approfondi entre le capital et le travail.
Tant que le capital garde le pouvoir de diriger le travail et de s'en approprier
les fruits, c'est entre ses mains que se concentrent tous ces progrès,
soumettant sans cesse de plus larges masses à son exploitation, étendant
sur toute la planète sa domination.
C'est ainsi que le capital financier a réussi à briser les digues
que les travailleurs soviétiques puis les peuples opprimés avaient
dressées pour mettre un frein à son pouvoir, dans le même
temps qu'il s'attaquait aux protections sociales que les salariés des
pays riches avaient pu imposer.
Il a cru triompher dans l'euphorie de la " nouvelle économie ",
de la boulimie financière et boursière. Durant cette nouvelle
phase de développement, l'impérialisme a imposé, sous l'emprise
des États-Unis, un capitalisme de libre concurrence à l'échelle
de toute la planète. Dans cette uvre dévastatrice de la
mondialisation, il se heurte aux intérêts nationaux des différentes
bourgeoisies et crée les conditions d'une nouvelle vague révolutionnaire,
tant les travailleurs et les peuples sont les premiers sacrifiés à
la folle course aux profits qui subjugue les bourgeoisies comme les États
emportés dans une fuite en avant aveugle.
Cette nouvelle période de développement de l'impérialisme
reproduit-elle, aggrave-t-elle les contradictions de cette société ?
En quoi la socialisation croissante de la production, sa mondialisation se heurtent-elles
à la propriété privée capitaliste et aux États
nationaux ? Pourquoi s'accompagnent-elles de l'aggravation des inégalités,
de la concentration croissante des richesses entre quelques mains ?
En quoi ces évolutions créent-elles les conditions objectives
d'une nouvelle montée révolutionnaire ainsi que les conditions
d'un renouveau du mouvement ouvrier ?
En quoi la mondialisation élargit son caractère international
et lui donne une puissance sans précédent, riche de l'expérience
des combats passés ?
Autant de questions auxquels il nous faut répondre pour tenter d'écrire
la continuité programmatique de notre combat. Cet article voudrait apporter
des éléments de réponse, les soumettre à la discussion.
Le triomphe de l'économie de marché,
une catastrophe pour l'humanité
Jamais,
l'écart entre les possibilités matérielles et techniques
dont dispose l'humanité et le dénuement terrible qui en frappe
la majeure partie, n'a été aussi flagrant.
Les progrès extraordinaires réalisés ces dernières
décennies dans les domaines de la science et de la technique, l'augmentation
non moins prodigieuse de la productivité du travail, permettraient sans
peine d'éradiquer de la planète la misère et son cortège
de calamités, famine, épidémies, violence des guerres locales.
C'est à l'évidence de son organisation sociale que l'humanité
est malade, du système capitaliste. La critique qu'en a faite Marx au
XIXe siècle est d'une criante actualité. Des millions d'hommes,
de femmes, de jeunes ou d'enfants en font la cruelle expérience alors
que journaux et télévision en diffusent les statistiques comme
les éléments de compréhension.
La
critique du salariat, clé de la critique de la marchandisation du monde
Tout est marchandise, dans cette société, produit pour être
vendu afin de rapporter une plus-value, un profit.
Mais si certains peuvent faire des plus-values en dormant, ce n'est pas leur
sommeil qui la produit ni même le vol que permet la propriété
privée ou le monopole.
Cette plus-value est produite par le travail humain. Elle résulte du
rapport d'exploitation qui est la base même de toute la société,
de sa division en classes, le salariat qui transforme la force de travail, selon
les mots de Marx, la capacité de travail musculaire et intellectuel en
une marchandise.
Contrairement à ce que voudraient faire croire les tenants de la participation
ou de l'actionnariat salarié, le salariat n'est pas un libre contrat
qu'il suffirait de rendre plus juste en donnant aux salariés un titre
de propriété sur une parcelle de leur entreprise et quelques miettes
des fruits de leur propre travail. C'est un rapport social, un rapport de domination
et d'exploitation qui permet au capitaliste de s'approprier légalement
le produit du travail de l'ouvrier dont il a acheté la force de travail
en échange d'un salaire dont la valeur est inférieure à
la valeur qu'il crée.
Le prix de la marchandise force de travail, le salaire, n'a rien à voir
avec le travail et la richesse produits par l'ouvrier, mais correspond, comme
pour toutes les autres marchandises, au coût de sa production et de son
entretien. Le salaire varie en fonction de différents facteurs, en particulier
du niveau de développement économique, mais à l'intérieur
de ce cadre général, c'est le rapport de forces entre les classes
qui le détermine. Plus le salaire est bas, en effet, plus le profit du
capitaliste, qui correspond à la différence entre la valeur des
marchandises que les ouvriers produisent et le salaire qu'ils reçoivent,
est élevé, et inversement.
C'est le vol légal de cette différence, l'appropriation de ce
sur-travail non payé, qui est le moteur du système capitaliste,
sa raison d'être, motif de son " insatiabilité ".
La
" nouvelle économie ", les progrès techniques au service
des profits par l'aggravation et l'extension des rapports d'exploitation
Cette différence entre la valeur produite par les ouvriers et leur salaire
s'est d'autant plus accentuée que les industriels ont mis en uvre
depuis trente ans de nouveaux moyens techniques qui leur ont permis de réaliser
d'énormes gains de productivité (+ 55 % entre 1980 et
1998 en France, d'après l'OCDE).
C'est à cette condition qu'ils soient sûrs d'en tirer avantage
que les capitalistes ont investi dans les nouvelles technologies. La nouvelle
révolution technologique, la révolution de l'informatique et de
la communication, n'a pu commencer à grande échelle, alors que
l'essentiel des connaissances qui l'a rendu possible datent des années
soixante, qu'avec la garantie pour les capitalistes qu'elle ouvrait de nouvelles
sources de profit, leur seule raison d'investir.
Cette reprise des affaires a été interprétée par
ceux qui peinaient hier à faire l'apologie d'un capitalisme à
bout de souffle comme l'avènement d'une " nouvelle économie ",
le début d'une expansion sans limite. En réalité, cette
" nouvelle économie " n'était rien d'autre
que les vieux rapports d'exploitation, dopés par les gains liés
au développement de l'informatisation tant dans l'administration, la
gestion, la recherche, que dans la production, la communication et la distribution.
La nouvelle révolution technologique (informatique, électronique,
télécommunications), alors même qu'elle pourrait être
un instrument formidable pour l'organisation rationnelle de l'économie,
sa planification démocratique en fonction des besoins humains, pour une
diffusion sans précédent de la culture et la participation de
tous aux décisions économiques et politiques, est utilisée
par les capitalistes dans le seul but de créer de nouveaux marchés
et de gonfler les profits par l'augmentation de la productivité du travail
et de la plus-value relative. Ainsi inféodé à cette loi
du profit, le progrès technique aggrave les rapports d'exploitation et
leur soumet un nombre toujours plus grand d'êtres humains.
Entre
les mains des capitalistes, le progrès technique fabrique la pauvreté
et l'exclusion, renforce les inégalités
Les apôtres de la " nouvelle économie " assuraient
que les dernières technologies entraînaient la société
vers une nouvelle prospérité. C'est le contraire qui se passe.
Les nouvelles machines et les gains de productivité qu'elles permettent
servent à justifier les sureffectifs et les licenciements. L'informatisation,
les machines programmables, la gestion des stocks par Internet, offrent la possibilité
de flexibiliser la production, c'est-à-dire d'essayer de coller au mieux
à la demande. C'est une arme supplémentaire contre les salariés,
auxquels les capitalistes ont imposé annualisation et flexibilité,
ici, en France, notamment par l'application de la loi dite des 35 heures, dont
le volet réduction du temps de travail est aujourd'hui remis en cause,
et surtout par l'emploi massif des contrats précaires.
Ainsi est apparue une nouvelle catégorie, les " travailleurs
pauvres ", surtout des travailleuses car les femmes représentent
80 % de ceux à qui sont imposés des contrats à temps
partiels (Alternatives économiques). En France, 2,2 millions de salariés
sont au SMIC, 1,2 million sous le seuil de pauvreté (581 €).
Dans le cadre de l'exploitation capitaliste, le progrès technique a pour
conséquence immédiate de jeter des milliers de travailleurs au
chômage tandis que les autres voient s'aggraver leurs conditions de travail.
La technologie n'y est pour rien. Au contraire, c'est elle qui permet d'envisager
une création massive de richesses pour satisfaire enfin tous les besoins
de l'humanité.
Mondialisation
de la concurrence entre les salariés
La baisse des coûts de transports, la rapidité des communications,
comme l'ouverture forcée des frontières, permettent au capital
de mettre en concurrence les salariés de l'ensemble de la planète.
Les délocalisations se multiplient : textile d'abord, puis automobile,
électronique, informatique, tous les secteurs sont touchés. Le
patronat déplace les usines vers les pays " à bas coût
de main d'uvre " pour relever les taux de profits. En 1993,
une étude de la Direction de la recherche économique a montré
que le salaire horaire moyen français était de 8,38 euros. Ce
même salaire est de 2,29 euros en Tunisie, de 1,67 euros en Hongrie, de
1,37 euros en Chine, et descend jusqu'à 0,23 euros au Viêt-nam
et 0,18 euros à Madagascar (46 fois moins).
Cette politique des groupes industriels se combine avec le développement
des zones franches, recensées dans environ soixante-dix pays, " maquiladoras "
en Amérique du Sud, " zone économique spéciale "
en Chine etc. imposées par la pression des multinationales et des États
riches aux pays pauvres. Dans ces zones, les capitalistes voudraient faire régner
l'absence de droit du travail et les conditions d'exploitation les plus dures.
Les bourgeoisies ont renforcé cette concurrence internationale entre
les salariés sous la férule de la concurrence qui les oppose entre
elles. Cette concurrence mondialisée sape les bases du compromis social
qui assurait la relative stabilité des grandes puissances. Les surprofits
tirés de l'exploitation des pays pauvres ne permettent plus d'entretenir
dans les pays riches une " aristocratie ouvrière ",
pour reprendre l'expression de Lénine, même si le niveau de vie
des travailleurs des pays riches reste bien supérieur encore à
celui des pays pauvres. La crise du capitalisme sape les bases économiques
du réformisme qui avait regagné du crédit pendant les " Trente
glorieuses ".
En imposant la libre circulation du capital, le capitalisme mondialisé
développe l'internationalisation de la production, du commerce et de
la finance, mais en même temps, il affaiblit la puissance de son " bras
armé ", les États nationaux, contraints de maintenir
un ordre social de plus en plus brutal, avec de moins en moins de moyens.
En accentuant la concurrence entre les salariés de la planète,
il développe aussi la classe qui le renversera. La classe ouvrière
est devenue réellement mondiale aujourd'hui. Sur une population active
mondiale de 2,5 milliards de femmes et hommes en 1990, 1,3 milliard sont des
salariés de l'industrie et des services, dont 186 millions de chômeurs
cherchant un emploi et 550 millions de travailleurs pauvres gagnant 1 $ ou moins
par jour (données BIT, 2003).
La concurrence entre salariés anglais et français, au XIXe siècle,
avait provoqué les prises de contact et la conscience d'appartenir à
une même classe, débouchant sur la naissance de l'Association Internationale
des Travailleurs. Aujourd'hui, l'offensive mondiale de la finance contre les
travailleurs provoque en réaction un renouveau des luttes. Au cours de
ces dernières années, à plusieurs reprises, les jeunes
classes ouvrières des " nouveaux pays industrialisés "
ont pris le chemin de la lutte de classes pour leurs conditions de travail et
leurs salaires. Au point qu'une partie des industriels ont poursuivi leur logique
de délocalisation, quittant par exemple la Corée pour s'installer
aux Philippines ou au Viêt-nam.
La remise en cause du compromis social dans les pays riches, les attaques qui
touchent l'ensemble des salariés de la planète, uvrent à
la naissance d'une conscience mondialisée d'appartenir à une seule
et unique classe ouvrière internationale.
La
concentration des richesses provoque une paupérisation croissante
La concurrence qui élimine impitoyablement les plus faibles des entreprises
capitalistes, voire des trusts eux-mêmes, a accéléré
prodigieusement le mouvement de concentration des capitaux, provoquant la fièvre
des fusions et acquisitions, par lesquelles les trusts cherchent à se
donner une force de frappe accrue.
À la faveur de la crise, la richesse s'est concentrée entre les
mains d'une minorité toujours plus infime de la population. Le monde,
aujourd'hui, est dirigé par moins de 300 trusts, derrière les
sigles anonymes desquels se cachent les titulaires des grosses fortunes, une
oligarchie richissime et parasitaire, qui ne joue plus aucun rôle dans
la production, ou la distribution, ni même dans l'organisation de celles-ci.
En France, 1 % des ménages les plus riches possèdent 21 %
du patrimoine total du pays, d'après l'INSEE. 800 familles possèdent
plus de 15 millions d'euros de patrimoines. La 1ère, Mme Bettencourt,
dépasse les 15 milliards.
Cette concentration de la richesse se fait au prix d'une paupérisation
accélérée de la population du monde entier. Pendant la
période d'expansion, la paupérisation de la population n'était
que relative : le niveau de vie augmentait, mais il le faisait dans des
proportions moindres que l'augmentation des richesses produites.
Aujourd'hui, la paupérisation s'aggrave, et pour une immense majorité
de la population, les conditions de vie se dégradent. Même dans
les pays les plus riches, le chômage exclut de toute vie sociale une fraction
de la classe ouvrière, avec en France, 4,2 millions de personnes vivant
sous le seuil de pauvreté.
Dans les pays impérialistes, la dégradation des conditions d'existence
touche maintenant non seulement la classe ouvrière, mais également
des couches toujours plus larges de la petite bourgeoisie, artisans, commerçants
ou paysans, et surtout, la couche supérieure de la classe ouvrière
dont la promotion sociale avait assuré une certaine stabilité
à la domination de la bourgeoisie.
" L'économie
de casino ", ou le parasitisme exacerbé du capital
Le capital est d'abord et avant tout un rapport social entre les deux classes
fondamentales de la société, la bourgeoisie et la classe des salariés
dont la lutte pour l'appropriation des richesses conditionne l'évolution
économique et sociale.
Confrontée à la tendance à la baisse du taux de profit,
l'oligarchie financière ne peut continuer à maintenir la rentabilité
de ses capitaux qu'en aggravant l'exploitation de la classe ouvrière
ou en drainant des richesses, prélevées sur le dos des autres
classes sociales, bourgeoises ou petites-bourgeoises, par une concentration
accrue des capitaux.
Ce qui s'est fait à partir des années 80 à travers la flambée
des Bourses jusqu'alors délaissées, puis du développement
de tous les marchés financiers qui visent à drainer les épargnes,
même des plus modestes, pour nourrir la soif insatiable de profits d'une
masse de capitaux sans cesse croissante.
Plus la production se ralentissait, plus l'économie devenait une économie
à crédit. Les capitaux ne peuvent attendre que les marchandises
produites soient vendues pour empocher leurs intérêts, leurs dividendes,
ou leurs surprofits boursiers et spéculatifs. Non seulement il faut toujours
faire plus de profits, mais il faut anticiper ces profits, les réaliser
avant même qu'ils ne se soient réalisés par la vente de
marchandises.
Ainsi s'enfle une bulle financière qui envahit toute la production, avide
de capter la moindre parcelle de travail humain pour le compte des capitalistes
et dévore de l'intérieur les forces vives de la société.
Ces masses énormes de capitaux se déplacent sur les marchés
boursiers et financiers du monde entier, spéculant sur les perspectives
de profit que trusts et sociétés financières peuvent escompter
de tel ou tel secteur industriel ou commercial, tel ou tel pays, " émergent
" ou non, et gonflent par-là même le crédit qui leur
est accordé. Ce crédit est illimité tant que les affaires
marchent mais se tarit au moindre signe de fermeture des débouchés.
Cette masse de crédits, de capitaux, alimente la phase du boom de la
production et des profits, en même temps qu'elle retarde la vérification
par le marché que la production trouvera acheteur.
La crise n'en est alors que plus brutale et dévastatrice. Lorsque les
débouchés manquent, ou au moindre signe qu'ils peuvent se fermer,
les capitaux refluent précipitamment pour aller à la recherche
d'autres sources de profits, laissant derrière eux faillites et ruines,
fermetures d'usines et chômage, et une misère terrible pour les
populations ainsi frappées, comme ce fut le cas dans les pays du Sud-est
asiatique, en 1997-1998 et en Amérique latine.
Puisqu'ils ne peuvent plus augmenter leurs profits en augmentant la masse des
marchandises vendues, ou relativement peu au regard de la masse des capitaux
avides de plus-values nouvelles, les capitalistes réduisent la part qu'ils
concèdent à la classe ouvrière restreignant ainsi les capacités
de consommation.
La concurrence est de plus en plus acharnée, tant sur les marchés
des biens réels que sur les marchés financiers. Elle aboutit à
une lutte permanente pour baisser le coût du travail. Il n'est pas question
pour les financiers de prendre sur les énormes profits accumulés,
leurs gains dans les opérations financières n'étant possibles
que si la production génère toujours plus de profits. C'est pourquoi
l'annonce de licenciements par les dirigeants d'un trust est aussitôt
accompagnée par la hausse du cours de ses actions en Bourse, tandis que
la baisse du chômage, qui met les travailleurs en meilleure position d'obtenir
des salaires un peu plus élevés, provoque le mouvement inverse.
La croissance capitaliste ne peut apporter le bien-être mais, à
l'opposé, elle renforce l'exploitation, étend l'oppression et
se nourrit du recul de la société jusqu'au krach.
La politique des États est toute entière soumise à cet
objectif : nourrir sans cesse les appétits du Moloch boursier qui
dévore les fruits du travail humain.
Croissance
destructrice, crise permanente, le mode de fonctionnement d'un système
failli
La production capitaliste est nécessairement anarchique et aveugle, puisque,
soumise à la concurrence, elle est destinée à un marché
dont il est impossible de prévoir les limites. La vérification
comme quoi la production trouvera acheteur ne peut se faire qu'après
coup, son mode de régulation, c'est la crise.
Lorsque le marché se révèle saturé, une partie de
la production que les capitalistes, dans leur concurrence les uns avec les autres,
ont tendance à élargir sans cesse, reste invendue, inutilisée.
Les capitaux refluent précipitamment du secteur, la production s'adapte
aux besoins solvables. La loi des marchés est une loi aveugle qui fait
que les hommes sont dominés par leurs propres produits devenus marchandises.
La crise est l'unique moyen de régulation et impose à la production
une marche anarchique et cyclique.
Dans la période qui a suivi la Deuxième guerre mondiale jusqu'à
la fin des années 60, l'impact de ces crises était masqué
par l'expansion générale de l'économie, sa complexité
croissante et l'intervention de l'État. Au point que les propagandistes
de la bourgeoisie et des partis réformistes ont pu accréditer
l'idée que le système capitaliste était devenu capable
de stabilité et de progrès.
L'économie capitaliste connaissait alors une nouvelle phase d'expansion.
Les énormes destructions de la guerre avaient ouvert d'immenses marchés
et les États, en particulier le plus puissant d'entre eux, l'État
américain, avaient financé le redémarrage de la production
et la reconstruction des infrastructures. Ils avaient pris à leur charge,
à travers subventions, prêts et nationalisations, tous les investissements
qui n'intéressaient pas les capitalistes parce que n'étant pas
générateurs de profits immédiats et suffisants. Affaiblies
par la guerre, confrontées à l'existence de l'URSS et à
la vague des soulèvements révolutionnaires des peuples coloniaux,
les différentes bourgeoisies ne pouvaient faire face et sortir de cette
période de crises, de guerres et de révolutions ouverte par la
crise de 29, qu'en s'appuyant sur les États.
Parce que la bourgeoisie, pour augmenter ses profits, concédait à
la classe ouvrière une part augmentant de façon bien moindre que
la richesse produite, les capacités de consommation de la population
n'augmentaient pas dans la même proportion que la production.
À la fin des années 60, les marchés ont commencé
à se saturer et la croissance de l'économie capitaliste s'est
ralentie. L'économie fut entraînée dans une crise, rythmée
par le cycle des récessions, des reprises, des krachs
L'offensive libérale fut la réponse de la bourgeoisie à
sa propre crise.
Plus de vingt ans plus tard, les profits dégagés sur les marchés
financiers, comme les économies liées aux fusions d'entreprises
qui se traduisent systématiquement par des licenciements, ont contribué
à mettre à la disposition des multinationales une masse considérable
de capitaux dont une partie est investie aujourd'hui dans la production (les
investissements ont progressé de près de 8 % par an en 1998
et en 1999, d'après l'INSEE).
Pour répondre à la demande de consommation des classes moyennes,
toute une partie de l'industrie s'était remise en marche, nouveaux marchés
comme les téléphones portables, mais aussi " ancienne
économie ", automobile, ou les chantiers navals de Saint-Nazaire
par exemple dont le planning de construction de paquebots de luxe s'était
bien rempli. Pour faire face à la demande, les embauches avaient repris
(465 000 emplois créés en 1999) et le taux de chômage
officiel diminuait.
Mais cette croissance ne faisait que préparer la crise suivante. La consommation ?
Elle se faisait à crédit et sur la base des retombées de
la Bourse. L'emploi ? Précarité, CDD, intérim, bas
salaires des jeunes embauchés. Reposant sur l'appauvrissement des travailleurs,
les créations d'emplois n'entraînaient pas un développement
significatif de la consommation de masse. Le prétendu cercle vertueux
" consommation - création d'emploi " patinait et
n'avait pas la force de résoudre les problèmes de la période
précédente. Le redémarrage de la production allait se trouver
confronté très vite aux limites d'un marché qui ne se développait
pas suffisamment. La croissance de la fin des années 90, c'était
la croissance combinée de la misère et des profits, elle renforçait
l'exploitation et les inégalités, détruisait des millions
d'emplois d'un côté pour en créer quelques centaines de
milliers d'un autre.
Incapable d'améliorer le niveau de vie des millions de pauvres que le
capitalisme a créé, elle se nourrissait du recul de la société
et ne pouvait déboucher que sur une crise généralisée.
Cette crise a éclaté début janvier 2001 dans les secteurs
de l'électronique. Elle s'est répercutée à tous
les secteurs de l'économie. Le miracle de la " nouvelle économie "
n'a pas résisté à l'anarchie du marché capitaliste.
C'est au prix de milliers de licenciements, d'une nouvelle et vaste offensive
contre les acquis des salariés sur le terrain même de la production
que s'opère une reprise qui est avant tout une reprise des profits, une
reprise sans création d'emploi ou si peu, une reprise qui nourrit les
conditions d'une crise plus globalisée, encore, plus mondialisée,
plus profonde.
La
" mondialisation ", un nouvel âge du capitalisme, le libéralisme
impérialiste
Au
lendemain de la chute du mur de Berlin, les trusts impérialistes et leurs
États triomphaient - victoire de la " liberté "
et de la " démocratie ", prétendaient-ils -.
La désintégration de l'URSS ouvrait la voie au rétablissement
de leur mainmise sur les États des pays pauvres qui avaient pu un tant
soit peu y échapper. Dans ce " nouvel ordre mondial ",
sous hégémonie américaine, le développement des
multinationales, dans un marché mondial soumis à la seule libre
concurrence, devait apporter partout la prospérité, en générant
sans fin de nouveaux profits, et la démocratie, en assurant les opérations
de maintien de l'ordre contre les peuples sous couvert de l'ONU.
La signification réelle de cette politique, maintenir l'hégémonie
mondiale des États-Unis à travers une offensive militaire globale
contre les peuples, s'est affirmée dans la première guerre contre
l'Irak puis dans celle contre l'ex-Yougoslavie. La guerre moderne engageant
d'énormes moyens techniques et humains a remplacé la vieille politique
de la canonnière des débuts de l'impérialisme pour ouvrir
les marchés aux capitaux avides d'exploitation et de pillage.
Ce " nouvel ordre " impérialiste, c'est le règne
sans partage des groupes financiers, libéré de tous les freins
qui avaient pu limiter leur rapacité. La domination des firmes multinationales
a atteint une échelle bien plus grande qu'à l'époque où
Lénine caractérisait l'impérialisme. Leur développement
a combiné des traits de l'impérialisme, la lutte pour le partage
du monde entre les grandes puissances du capital financier, à un renouveau
de la libre concurrence à l'échelle mondiale.
Le capitalisme sénile combine ses traits de jeunesse, la libre concurrence,
avec ceux de la vieillesse, la folie destructrice de la violence impérialiste
pour soumettre les peuples.
Libre
concurrence et lutte pour les fruits du pillage du monde
" Les monopoles, notait Lénine, n'éliminent
pas la libre concurrence dont ils sont issus ; ils existent au-dessus et
à côté d'elle, engendrant ainsi des contradictions, des
frictions, des conflits particulièrement aigus et violents. Le monopole
est le passage du capitalisme à un régime supérieur
". L'échec momentané de luttes d'émancipation a laissé
libre un nouvel espace au développement des monopoles et de la concurrence
qui a abouti à la constitution des multinationales rivalisant à
l'échelle mondiale pour s'approprier les richesses et les marchés.
C'est cette combinaison entre multinationales et libre concurrence mondialisée
qui définit le nouveau stade du capitalisme.
Elle aboutit à la main mise sur l'économie mondiale des multinationales,
à l'émergence d'un capital financier de plus en plus dégagé,
élevé au-dessus de la production qu'il parasite, à la généralisation
d'une économie de spéculation et d'endettement, à une recrudescence
de la concurrence pour un nouveau partage du monde entre les multinationales
et leurs États, à une industrialisation des ex-pays coloniaux
ou semi-coloniaux entièrement soumise aux besoins de ces derniers.
Les luttes de libération n'ont pas permis une réelle libération
des peuples car les économies des anciennes colonies ne pouvaient se
développer de façon indépendante sur un marché mondial
entièrement sous la coupe des trusts impérialistes. Les populations
des pays pauvres n'ont pu échapper à l'exploitation et au pillage
de leurs richesses, ni même à des régimes de dictatures
le plus souvent étroitement liés aux anciennes puissances coloniales.
Cette mainmise s'est encore accrue dans la dernière décennie.
À la faveur du recul politique général des classes ouvrières
et des peuples, l'impérialisme s'est libéré des obstacles
qui constituaient un frein à sa domination. De là, la " mondialisation ",
comme le disent les économistes, une sorte de capitalisme de libre concurrence
à l'échelle de la planète ne connaissant aucune frontière
ni aucune limite à l'exploitation des travailleurs et des peuples. Tout
ce que la pression du monde du travail et des peuples avait imposé comme
concessions à la bourgeoisie dans la période précédente
a été systématiquement remis en cause : règlements
financiers, droits de douane, service public, couverture sociale, droit du travail,
conventions collectives
L'ensemble de la planète est devenu le terrain d'une terrible concurrence
pour l'appropriation des fruits de ce pillage par les groupes financiers et
les multinationales.
Le
capital financier, " l'exubérance irrationnelle ",
parasitisme et prédation
Ce capital financier spéculatif, foncièrement parasitaire, n'est
porteur d'aucun développement réel et soumet les économies
à une instabilité dévastatrice pour les plus fragiles et
les plus dépendantes d'entre elles.
Il n'y a plus d'empires coloniaux, mais le pillage des peuples continue pour
les plus grands profits des groupes financiers de quelques pays riches et avec
la complicité des classes dirigeantes du tiers-monde. Le colonialisme
a fait place à un néocolonialisme financier, au pillage par la
dette.
L'écart entre les revenus des pays pauvres et des pays riches n'a cessé
de se creuser : de 1 à 38 en 1960, il est passé, selon la
Banque mondiale, de 1 à 52 en 1985 et de 1 à 78 en 1994. Le parasitisme
du néocolonialisme financier s'exprime par l'endettement généralisé
qui règne aujourd'hui. Si les médias stigmatisent souvent la dette
des pays pauvres, ils taisent celle des pays impérialistes, sans commune
mesure, à commencer par le premier d'entre eux, les États-Unis.
La dette totale et cumulée des ménages, des entreprises et de
l'État y est passée de 4 000 milliards de dollars en 1980
à 31 000 milliards en 2002 (source Wall Street Journal).
Elle équivaut à 295 % du PIB annuel. Le déficit commercial
a atteint le chiffre record de 484 milliards de dollars en 2003. 1,5 milliards
rentreraient quotidiennement aux USA pour faire tourner la machine, aspirant
véritablement les capitaux du reste du monde, Japon et Europe, mais aussi
des nouveaux pays industrialisés et des pays pauvres. La bourgeoisie
états-unienne exporte le déficit de son économie, la fait
financer par les banques et les États du monde, qui n'ont pas le choix
que de jouer le jeu, pour éviter qu'une trop grande crise des USA ne
les frappe en retour.
Au début du XXe siècle, Lénine soulignait comme caractéristique
de l'impérialisme " l'exportation des capitaux, [
]
à la différence de l'exportation des marchandises à l'époque
du capitalisme non monopoliste ", ce qui permettait aux capitaux
impérialistes de tirer une plus-value du travail dans les pays pauvres,
et plus seulement un bénéfice commercial. Un siècle après,
le pillage s'est aggravé. Au parasitisme commercial, à l'exploitation
du travail, s'est ajoutée la razzia de la rente financière. L'exportation
des capitaux des pays impérialistes vers les pays dominés a fait
place au mouvement inverse, l'importation de capitaux en faveur des USA.
Le développement de bourgeoisies compradores dans les États dominés
permet à l'impérialisme de sous-traiter les frais, de leur laisser
le soin de faire régner l'exploitation, de prélever sa rente grâce
à ses propres investissements pour en retour, bénéficier
des investissements de ces bourgeoisies compradores en mal d'investissements
sûrs et rentables.
Cette rente financière alimente en retour l'exportation des capitaux
impérialistes, les " investissement directs à l'étranger ".
Avec la crise de ces dernières années, ceux-ci ont certes baissé,
passant de 1 200 milliards de dollars en 2000 (année record) pour
les 30 pays de l'OCDE (pays les plus riches et leurs satellites), à 576
milliards en 2003. Mais ces IDE restent le vecteur de l'exploitation des richesses
des pays dominés, en partie financée par eux-mêmes.
Dans cette généralisation de l'économie à crédit,
seul le rapport de forces, économique, politique et, de plus en plus,
militaire, permet aux pays impérialistes de vivre en drainant les finances
des plus pauvres.
2001-2003,
le basculement du monde
Les attentats du 11 septembre 2001 à New York ont marqué un tournant
dans le développement de la mondialisation. Ces attentats sont la conséquence
directe de la politique de l'impérialisme américain dans le monde.
En effet, pour faire face à la disparition de l'URSS, les États-Unis
ont dû trouver de nouveaux alliés susceptibles d'assurer le maintien
de l'ordre contre les peuples. Ben Laden, tout comme le régime des Talibans,
comme bien d'autres régimes dictatoriaux, sont directement les créatures
des manuvres diplomatiques et militaires des États-Unis, d'abord
pour contrer l'influence de l'URSS puis pour combler le vide laissé par
son effondrement.
Mais depuis, ces attentats servent à justifier une accélération
sans précédent de la politique militariste de redéploiement
des États-Unis à travers le monde.
Dès le lendemain des attentats, le secrétaire d'État, Collin
Powell annonçait que la riposte allait être " large,
politique, économique, diplomatique, militaire, [
] non conventionnelle ".
Il annonçait le nouveau " concept de guerre préventive "
contre tout État considéré comme une menace, c'est-à-dire
la guerre permanente contre les peuples.
Ces attentats sont le révélateur d'un retournement de conjoncture
bien plus profond. Pendant toute la décennie 90, les défenseurs
du libéralisme soutenaient que la mondialisation allait créer
un cadre idyllique où la domination des multinationales ouvrait une période
de paix et de prospérité pour toute la planète. La mise
en place d'un marché mondial libéré de toutes entraves
devait permettre de résoudre tous les conflits, de faire disparaître
toutes les zones de tensions comme au Proche Orient. Au nom de la paix et de
la démocratie, il s'agissait de mettre en place des zones de libre échange
en Amérique, en Asie, au Proche Orient. Derrière les discours,
les États-Unis, forts de leur suprématie économique et
politique, redessinaient le monde en fonction de leurs intérêts
par la seule force du dollar et des lois du marché. Mais cette période
n'a débouché que sur une crise généralisée :
crise économique avec l'effondrement de la " nouvelle économie "
des années 2001 2002 et explosion des nouvelles tensions accumulées
entre les classes et les nations le 11 septembre 2001.
Depuis, sous couvert de lutte contre le terrorisme, les États-Unis ont
entrepris une gigantesque offensive militaire, un redéploiement de leurs
forces à l'échelle mondiale pour gagner de nouvelles positions,
s'assurer de nouvelles alliances plus solides, asseoir leur domination sur tous
les points du globe. C'est dans le cadre de ce redéploiement que l'impérialisme
américain est intervenu militairement en Afghanistan puis en Irak. Derrière
les discours religieux d'une croisade contre " le mal ",
c'est le besoin d'ouvrir de nouveaux marchés, de s'assurer le contrôle
des sources d'approvisionnement en pétrole, d'organiser le monde en fonction
des appétits du capital financier.
Les dirigeants américains et leurs alliés sont incapables de prévoir
et de mesurer les conséquences de cette politique qui redéfinit
les rapports des grandes puissances entre elles comme avec les autres États.
Concurrence
interimpérialiste et Guerres sans limites ", la civilisation
menacée
En réponse à ceux qui opposent à l'hégémonie
américaine l'idée d'un monde équilibré, multipolaire,
Zbigniev Brzezinski, ancien conseiller du président Carter, déclarait :
" Un monde multipolaire, c'est le nom de code de l'affrontement
politique pour l'influence ".
En effet, la mondialisation est le cadre d'une " guerre globale "
pour maintenir l'hégémonie économique et politique américaine
qui est contestée par ses rivaux impérialistes comme par les peuples
qui subissent son pillage. Jamais un État n'est apparu aussi puissant
que les États-Unis, mais cette puissance pourrait bien constituer leur
faiblesse, car elle concentre sur elle toutes les rivalités, toutes les
révoltes.
Aucune région du monde n'échappe aujourd'hui aux rapports capitalistes.
L'espace de développement capitaliste est clos, accroissant l'âpreté
de la concurrence entre vieilles puissances mais aussi entre elles et les peuples
qui ont conquis leur indépendance.
La politique de chaque État n'a d'autre but que de façonner le
monde en fonction des besoins de ses multinationales pour leur permettre de
s'accaparer toujours plus de richesses. Pour cela, tous les moyens sont bons :
des investissements financiers pour mettre sous dépendance des économies
entières, les plans d'ajustement du FMI pour les ouvrir aux razzias des
spéculateurs
Mais ce pillage, dans lequel multinationales et États
sont en concurrence, ne peut aujourd'hui se mener sans un renforcement du militarisme.
La conquête militaire est devenue le complément indispensable de
la liberté de pillage financier contre les peuples à l'époque
du libéralisme impérialiste.
Dans l'arène créée par la mondialisation, les États-Unis
ont assuré leur hégémonie mais l'ensemble de leurs alliés
impérialistes la contestent et négocient leur soutien. Le monde
est en train de se restructurer autour de nouvelles zones d'influences. Chacun
rediscute sa place dans le nouvel ordre mondial. Comme l'ont montré les
manuvres diplomatiques autour de la guerre en Irak, les puissances européennes,
la Chine, la Russie voire des puissances de moindre envergure cherchent à
intervenir dans ce remodelage des rapports internationaux pour élargir
leur propre zone d'influence, aggravant instabilité et tensions.
*
* *
Les
contradictions qui naissent de cette situation nouvelle sont lourdes de menaces
pour le monde. Le monde est peut-être en train de plonger dans un état
de guerre endémique dont rien n'exclut qu'il puisse se transformer en
conflits régionaux voire en une menace de nouvelle guerre mondiale.
Dans le même temps, la domination de la superpuissance américaine
est contestée, les anciens pays coloniaux connaissent un développement
économique réel quoique anarchique et aux prix de souffrances
terribles, de ces bouleversements monte une exigence de paix et de démocratie.
A l'arrogance impérialiste symbolisée par Bush s'opposent les
aspirations des travailleurs, des opprimés, des pauvres.
Nous reviendrons
dans le prochain numéro de Débat militant sur les réponses
de l'impérialisme français et des bourgeoisies européennes
à cette nouvelle donne et leurs conséquences pour le mouvement
ouvrier.