Débat militant
Lettre publiée par des militants de la LCR
n°55
26 novembre 2004

Sommaire :

La Côte d'Ivoire : une seule force d'intervention de paix et de progrès, celles des travailleurs et des peuples

Le Proche-Orient après la victoire de Georges W. Bush. Les Palestiniens dos au mur
L'agenda de Lisbonne à mi-parcours : mars 2000, l'UE social-libérale met en selle l'offensive libérale actuelle
Brésil : Après la sanction du PT aux élections municipales, de nouvelles prises de conscience
" Le Parti socialiste veut enterrer Mai 68 " ou plutôt les illusions auxquelles il était le dernier à faire semblant de croire
L'impérialisme français entraîné dans la mondialisation, du pré carré africain à la fuite en avant de la construction européenne

Côte d'Ivoire : une seule force d'intervention de paix et de progrès, celles des travailleurs et des peuples

Le 10ème Sommet de la francophonie s'est ouvert les 26 et 27 novembre à Ouagadougou, capitale du Burkina Faso sur le thème : " un espace solidaire pour un développement durable " en présence d'une trentaine de chefs d'Etat. L'Organisation de la francophonie, mise en place dans les années 70 par les pays des anciennes colonies françaises, regroupe les pays les plus pauvres comme le Burkina Faso classé 175è sur 177è par l'ONU et les plus riches dont la France, le Canada, la Belgique, la Suisse.
En fait, Le Sommet a pour objectif d'assurer à Chirac une légitimité dans l'intervention française en Côte d'Ivoire pour la défense des intérêts économiques de l'ancienne puissance coloniale.
Ce soutien lui est assuré d'avance ; Kofi Annan, le secrétaire général de l'ONU, a déclaré dès son arrivée qu'il faut " suivre les accords de Marcoussis et d'Accra ", ce à quoi, le ministre délégué à la Coopération, Xavier Darcos, a surenchéri : " notre intérêt, c'est que ce soient les instances internationales qui fassent pression, notamment l'Union africaine ".
Laurent Gbagbo, le dictateur ivoirien aujourd'hui déclaré ennemi public n°1, a fait le choix de ne pas se rendre à Ouagadougou pour participer à ce Sommet acquis au maintien de la domination française du fait même des liens tissés au fil des années entre les ex-puissances colonisatrices et les pays ex-coloniaux.
Ce qui est à l'ordre du jour pour la France c'est la tentative de maintenir ses intérêts économiques dans son ancien pré-carré africain alors même que la concurrence des Etats-Unis s'impose, contestant à l'impérialisme français devenu impérialisme de seconde zone, son hégémonie dans la région.
Chirac s'est assuré le soutien de l'ONU, mettant ainsi en pratique ses conseils à Bush lors du conflit irakien, du Parti socialiste toujours soucieux de l'union nationale derrière l'armée française et responsable devant la bourgeoisie et… du colonel Kadhafi, dictateur libyen auquel il avait rendu visite la veille.
La France connaît bien l'Afrique, elle y a des intérêts et des amis " lui a-t-il déclaré en renouant avec ce pays qui a prévu de doubler sa production de pétrole dans les cinq ans à venir.
Une illustration comme quoi les ennemis d'hier peuvent devenir les amis d'aujourd'hui, et vice-versa !
Chirac a feint de s'indigner sur la nature du régime ivoirien pour justifier le renforcement des troupes en Côte d'Ivoire de l'opération baptisée Licorne, en ayant déclaré, " nous ne voulons pas laisser se développer une situation pouvant conduire à l'anarchie ou à un régime de nature fasciste ". Mais, si le même Gbagbo, l'ami d'hier et dictateur de toujours, dont le parti, le FPI (le Front populaire ivoirien) est membre de l'Internationale socialiste, est devenu peu fréquentable, c'est avant tout parce qu'il n'est plus capable d'assurer l'ordre. Et, qui plus est, par démagogie, il se propose d'ouvrir le marché ivoirien aux intérêts américains…

Une intervention française pour le contrôle de richesses… contesté par la mondialisation et les Etats-Unis
Depuis la conquête coloniale, l'armée française n'a jamais quitté la Côte-d'Ivoire. La décolonisation s'y est faite " par le haut ", grâce à la docilité, de 1960 à sa mort en 1993, du dictateur Houphouët-Boigny vis-à-vis des intérêts français. A tel point que la Constitution de la Côte d'ivoire indépendante fut rédigée à Paris dans un bureau de l'Assemblée nationale, sous la tutelle d'un certain François Mitterrand, alors secrétaire d'Etat à l'outre-mer.
Ainsi, la France s'assurait le contrôle de l'économie et de la monnaie, le franc CFA, avec des investissements qui permettaient le rapatriement des bénéfices en métropole sans avoir à acquitter taxes et impôts. Houphouët-Boigny, à la tête d'un régime de parti unique, emprisonnait, torturait, assassinait les opposants, réprimait les manifestations sans que la puissance de tutelle n'y trouve à redire.
A la mort du vieux dictateur, les clans politiques rivaux qui se sont battus pour le pouvoir en prenant les populations en otage ont bénéficié tour à tour, ou en même temps, du soutien français. Lorsque la notion d' " ivoirité " a été introduite dans la Constitution en 1994 pour écarter un des prétendants au pouvoir, ce concept raciste et xénophobe n'a pas soulevé de tollé à Paris.
L'essentiel est la préservation des intérêts des multinationales françaises. Bouygues pour les chantiers de construction et la distribution de l'eau ; Bolloré pour les transports, secteur décisif pour les exportations, avec le contrôle du port d'Abidjan, le plus important de la région, et de l'unique chemin de fer ; EDF, France-Télécom, Saur… Quant à la Société générale, la BNP, le Crédit Lyonnais, etc, ils ont la main-mise sur le secteur bancaire décisif du fait que l'économie ivoirienne représente 40 % du PIB de l'Afrique de l'Ouest. 75 % de la richesse produite sur place est rapatriée en France, par le biais de relations vénales qui reposent sur l'institutionnalisation de la corruption et appauvrissent toute la population.
Il est vital pour la classe politique française, de droite comme de gauche, de garantir la pérennité de profits exorbitants à ses multinationales.
Laurent Gbagbo, qui s'est auto-proclamé président vis-à-vis de son rival, le général Gueï, en octobre 2000 dans des élections largement contestées, a décidé de lancer des appels d'offres internationaux qui ont déjà évincé moult sociétés françaises au profit de groupes américains ou canadiens. Et cette politique qui est un des moyens pour lui de se maintenir au pouvoir vis-à-vis de ses nombreux concurrents, pourrait faire des dégâts supplémentaires du fait que la plupart des contrats des sociétés françaises arrivent à terme en 2004.
Jusqu'à la Chine qui a obtenu en 2003 le marché de la construction d'un troisième pont à Abidjan au détriment de Bouygues.
A l'heure de la mondialisation qui ouvre tous les marchés et sape les bases des vieilles relations de domination, il est impossible pour la France de maintenir ses relations néo-coloniales avec la Côte d'Ivoire, alors même qu'elle les a déjà perdues par rapport à d'autres pays africains.
Alors, ce n'est sûrement pas pour des raisons humanitaires, comme la presse et tous les responsables politiques le proclament, que l'impérialisme français intervient.
L'armée n'est pas là pour sauver les ressortissants, pas plus que pour séparer les belligérants en présence dans un pays coupé en deux… de par la responsabilité de l'opération Licorne.

Solidarité avec la population ivoirienne !
En 2002, Chirac, dans la continuité de la politique de De Gaulle et de Mitterrand, a envoyé une force armée de 3000 soldats de l'opération Licorne pour prendre pied dans une ligne de cessez-le-feu entre le nord et le sud. Ce déploiement militaire dans un " couloir économique " qui consacre une véritable partition du pays permet d'assurer l'acheminement du cacao, -dont la Côte d'Ivoire est le premier producteur mondial-, vers les ports pour que les affaires continuent, malgré la guerre civile.
Son rôle soi-disant pacificateur ne fait que jeter de l'huile sur le feu.
Les partisans de Gbagbo au sud, enrôlés dans des milices, les " patriotes ", défilent avec écrit sur leurs tee-shirts, " Xénophobe, et alors ? " et portant des pancartes " les Français dehors, les Américains dedans " ; ils font régner la terreur dans la capitale, Abidjan. Ils proclament au nom du principe de " l'ivoirité " une politique de purification ethnique insupportable. Leur démagogie anti-impérialiste s'appuie certes sur des sentiments légitimes de la population, la haine de l'oppression coloniale, mais ce n'est que pour mieux la dévoyer.
Au nord et à l'ouest, les milices de chefs de guerre, les Forces nouvelles, soutenues par le Burkina Faso et le Libéria, font régner leur loi dans la ville de Bouaké.
C'est dans la pure tradition colonialiste que le ministre français des Affaires étrangères, de Villepin, convoque à Paris, à Marcoussis, en janvier 2003, les parties en présence pour négocier un accord qui ne lèse pas les intérêts français. Il fait décider et reconnaître par les instances internationales un " accord " comme quoi Laurent Gbagbo restera président et que Seydou Diarra, lié aux forces du nord, deviendra Premier ministre.
Gbagbo rentré en Côte d'Ivoire, déclare : " oui à l'esprit des accords de Marcoussis, mais non à la lettre des dits accords ".
La situation continue à s'envenimer sur place entre les cliques se disputant le pouvoir. Le peuple ivoirien, composée de 80 populations cohabitant de par le rapport de forces imposé par le partage impérialiste, et dont 33 % de la population active est d'origine étrangère, accepte de plus en plus difficilement cette ingérence post-coloniale.
D'autant que depuis les années 80, le cours des matières premières fixé par quelques pays riches s'est effondré, ruinant les petits producteurs de cacao et de café. Fin 1993, la dévaluation du franc CFA de 50 % a réduit de moitié les salaires. Alors que le pays produit 40 % de la production mondiale de cacao, occupe la troisième place mondiale pour la production de café, la détresse de la population est croissante.
En maintenant avec brutalité la présence de l'armée, l'impérialisme français affirme son droit à piller les richesses pour le plus grand bénéfice des trusts, au mépris non seulement de la population ivoirienne mais aussi de la vie des soldats comme des ressortissants français.
Et ce sont ces " accords " de Marcoussis que le Sommet de la francophonie tente à nouveau d'imposer.
La Côte d'Ivoire est victime du pillage impérialiste qui est responsable de la situation de la population et de l'état de guerre civile actuel.
Une force d'interposition africaine serait-elle en mesure de résoudre un tant soi peu la situation ? On ne peut que s'interroger sur la confiance qu'il serait possible d'accorder à une force d'interposition placée sous la responsabilité de l'ONU qui a été jusqu'ici impuissante à protéger le peuple, en Afrique comme ailleurs. L'intervention de pays se réclamant de la " francophonie " peut-elle être une garantie que les droits démocratiques et sociaux seraient pris en compte ? Comment ces régimes corrompus et leurs armées, manipulées par leurs commanditaires, pourraient-ils protéger les populations des massacres ?
L'Europe a des responsabilités écrasantes vis-à-vis de l'Afrique qu'elle a plongée dans une catastrophe sociale. Au lieu d'être porteuse de paix, de démocratie, cette Europe née directement de l'Europe coloniale engendre une situation inextricable pour les populations.
Ce dont il est question aujourd'hui, c'est de l'intervention directe des peuples et des travailleurs, en Afrique, mais aussi ici, pour sortir le monde des conflits sans issue qu'entretiennent les survivances de la domination coloniale comme les ravages du néo-colonialisme financier.
La seule force d'intervention qui peut aider les populations, apporter la démocratie en en finissant avec le pillage impérialiste, c'est la force d'intervention des travailleurs et des peuples.

Valérie Héas

Le Proche-Orient après la victoire de Georges W. Bush
Les Palestiniens dos au mur

Les funérailles de Yasser Arafat à Ramallah n'étaient pas encore achevées que Georges W. Bush indiquait qu'il y avait désormais " de grandes chances d'établir un État palestinien ". Lors d'une conférence de presse commune avec Tony Blair, le 12 novembre, Bush, fraîchement réélu à la Maison Blanche, a informé que sa nouvelle administration aiderait les dirigeants palestiniens à créer les structures d'un État " démocratique, indépendant et viable ".
Bush le va-t-en-guerre se donne jusqu'en janvier 2009 - date à laquelle s'achèvera son second mandat - pour y parvenir, et instaurer une paix durable au Proche-Orient : " […] j'ai l'intention d'employer les quatre prochaines années à dépenser le capital des États-Unis sur un tel État. ", a-t-il précisé. L'objectif n'est pas nouveau, comme les moyens invoqués pour débloquer les relations israélo-palestiniennes.
Le communiqué américano-britannique que la Maison Blanche a diffusé à l'issue de la visite du Premier ministre britannique reprend " la vision globale […] énoncée par le président Bush dans sa déclaration du 24 juin 2002 et figurant dans la Feuille de route ", et qui était restée jusque-là lettre morte, malgré l'appui de l'Union européenne, de la Russie et de l'ONU à la démarche étatsunienne. Pour mémoire, à l'époque, Bush évoquait la création d'un État palestinien en… 2005.
Le processus de paix entamé à Madrid en octobre 1991 et concrétisé par la déclaration de principes d'Oslo en septembre 1993 traçait lui aussi la perspective d'un État palestinien ; et il fixait également, comme préalable à toute avancée dans le règlement du conflit israélo-palestinien, l'arrêt des violences… côté palestinien.
Le secrétaire d'État américain démissionnaire, Colin Powell, a d'ailleurs martelé cette obligation lors de sa tournée d'adieux au Proche-Orient : " Ce que nous voulons, c'est que la nouvelle direction palestinienne fasse la chasse aux terroristes, se prononce contre le terrorisme et utilise ses forces de sécurité pour poursuivre ceux qui se livrent à des actes de terrorisme ".

Une décennie de recul de l'Autorité palestinienne…
La politique défendue par Washington ne peut qu'enfoncer un peu plus la région dans le chaos, à commencer par les territoires occupés où la disparition de Yasser Arafat ravive les tensions entre les différentes factions, et ce, sans qu'émerge de courant lutte de classe à même de contester l'emprise des islamistes sur les masses pauvres.
La mort du raïs, avec lequel George W. Bush avait refusé de négocier lors de son premier mandat, représenterait une " nouvelle opportunité " : c'est l'argument repris en boucle depuis l'annonce du décès du président de l'Autorité palestinienne le 11 novembre dernier - d'aucuns évoquent même une " nouvelle ère ". La communauté internationale accuse, en effet, Yasser Arafat d'avoir saboté le sommet de camp David en juillet 2000 et torpillé les négociations israélo-palestiniennes que Bush cherchait à relancer au printemps 2003.
C'est prêter au président de l'Autorité palestinienne un rôle qui n'est pas le sien.
Oui, le vieux leader de l'Organisation de libération de la Palestine (OLP) symbolise la lutte du peuple palestinien pour la reconnaissance de ses droits et la résistance à l'occupation israélienne de la Cisjordanie et de Gaza depuis 1967. Mais le refus de Yasser Arafat de transiger en 2000 devant les prétentions du travailliste Ehoud Barak ne peut masquer le rôle d' " Abou Ammar " dans le soi-disant processus de paix amorcé après la première guerre du Golfe.
Jusqu'au sommet de camp David, Arafat a lâché, les unes après les autres, les concessions que les dirigeants israéliens et occidentaux cherchaient à lui arracher ; à maintes reprises, il a même préféré négocier avec les impérialistes, et sauvegarder les intérêts de la bourgeoisie palestinienne, plutôt qu'entraîner les masses des pays arabes de la région et déstabiliser les régimes en place, comme en Jordanie en 1970 ou au Liban en 1975.
En réalité, " Abou Ammar " est revenu sur la revendication essentielle de son peuple, en acceptant à Oslo un embryon d'État morcelé en plusieurs territoires isolés. La création de l'Autorité palestinienne n'impliquait nullement la création d'un État, ni même simplement l'arrêt de la politique d'annexion conduite par les gouvernements israéliens, de droite comme de gauche d'ailleurs.
Arafat a su s'accommoder des desiderata des grandes puissances mondiales ou régionales, on le voit ; et y compris si cela allait à l'encontre des intérêts des masses pauvres qui voyaient en lui - et continuent à voir en lui - le défenseur de leur cause.
Mais à camp David, le Premier ministre israélien entendait conserver 10 % de la Cisjordanie sans que ne soit jamais reconnue la souveraineté palestinienne sur les quartiers arabes de Jérusalem et le mont du Temple ; de surcroît, le travailliste comptait limiter le retour des réfugiés à quelques milliers de Palestiniens au mieux - et encore sous le contrôle israélien : en 2000, le raïs pouvait d'autant moins accepter les conditions de Barak qu'aucune garantie n'était donnée sur la création d'un État palestinien.
Il y a dix ans, l'accord d'Oslo avait valu le prix Nobel de la paix à Itzhak Rabin, Shimon Pérès et Yasser Arafat ; sur le terrain, les masses palestiniennes désarmées en payent toujours le prix. L'occupation israélienne et l'expansion des colonies ont redoublé en effet. Depuis 1967, les colons israéliens se sont emparés de 42 % des meilleures terres de Cisjordanie et de la bande de Gaza. En une décennie, le nombre de colons en Cisjordanie est passé de 100 000 à 200 000. Et la situation du prolétariat palestinien se dégrade : le chômage voisine les 25 % ; la moitié de la population vit sous le seuil de pauvreté. Pas moins de 1 500 maisons auraient été détruites par l'armée israélienne uniquement dans la ville et le camp de Rafah situés près de la frontière égyptienne, depuis le déclenchement de la deuxième Intifada en septembre 2000.
Et Sharon - auquel Bush consacre un véritable culte selon les observateurs internationaux - compte pousser l'avantage offert par la politique agressive des États-Unis dans le Grand Moyen-Orient, sous couvert d'un processus unilatéral de retrait de 8 000 colons israéliens d'ici à la fin 2005. Le vote a été acquis à la Knesset grâce au renfort des troupes travaillistes de Shimon Pérès. Une fois de plus, l'union sacrée se noue contre le peuple palestinien entre les frères ennemis que sont Sharon et Pérès.

…que les impérialistes entendent prolonger
Depuis le 11 septembre, l'administration Bush tente d'imposer tout azimut ses solutions réactionnaires, profitant d'un rapport de force qui n'a cessé de se dégrader pour les opprimés du Proche et du Moyen-Orient depuis 1991. L'Afghanistan a été le théâtre des premières opérations. L'Irak a suivi. Le Proche-Orient est une des zones où va probablement se concentrer dorénavant l'attention de Washington : c'est un foyer de tension permanente ; y apporter un semblant de stabilité, même précaire, renforcerait, un peu plus encore, la mainmise des États-Unis sur les champs pétrolifères de la région.
En 1993, il s'agissait pour les dirigeants des Etats-Unis et leurs alliés européens et israéliens de mettre fin à la première Intifada née dans le camp de Jabaliyah, à Gaza, en décembre 1987 ; aujourd'hui, les impérialistes tentent de désamorcer la deuxième Intifada relancée après la parade d'Ariel Sharon sur l'esplanade des Mosquées à Jérusalem en septembre 2000 : le nombre de morts depuis le début de l'Intifada Al-Aqsa dépasse les quatre mille, dont plus de trois mille Palestiniens et près de mille Israéliens. Le terrorisme d'État israélien alimente logiquement le terrorisme des Palestiniens contre Israël ; les attentats aveugles contre les civils israéliens renforcent en retour la cohésion des travailleurs juifs avec leur propre bourgeoisie contre les travailleurs arabes.
Au désastre humain s'ajoute celui des économies palestinienne et israélienne. À Gaza, la détérioration des conditions de vie des masses pauvres et l'absence de perspective jettent de nombreux jeunes dans les bras des groupes islamistes, le Hamas et le Jihad islamique, qui répliquent aux attaques israéliennes par des attentats-suicides. La situation en Israël n'est guère enviable, notamment pour les Israéliens d'origine arabe. Et les investissements massifs dans les colonies sont un fardeau de moins en moins assumable pour la bourgeoisie locale…
Décidée à contourner le président de l'Autorité palestinienne - Arafat étant accusé par Bush d'encourager les attentats -, l'administration étasunienne avait engagé au printemps 2003 les pourparlers avec Mahmoud Abbas, alias Abou Mazen, le Premier ministre palestinien de l'époque, sans succès : reclus à Ramallah, dans son bunker à demi ruiné de la Mouqata'a, Yasser Arafat avait eu le dernier mot dans le bras de fer l'opposant à son Premier ministre, le leader de l'Autorité palestinienne contraignant Mahmoud Abbas à la démission en septembre 2003.
À l'évidence, la disparition d'Arafat remet Abbas au premier plan, nullement la paix.
Je pense que la responsabilité pour arriver à la paix va dépendre du désir des Palestiniens de bâtir une démocratie et de la volonté d'Israël de les y aider ", a relevé le locataire de la Maison Blanche ; sachant que le communiqué de Bush et Blair à la mi-novembre se félicite du plan d'Ariel Sharon " relatif au désengagement de Gaza et de zones précises de la Cisjordanie ", on comprend que c'est aux Palestiniens de faire la preuve de leur volonté de déboucher sur un accord. Et dans le sillage de Bush, Ariel Sharon réclame de Mahmoud Abbas - le nouveau chef de l'OLP - et d'Ahmed Qoreï - maintenu Premier ministre - " une guerre sans merci " contre le terrorisme.
L'impérialisme américain fait reposer - par avance - le poids d'un éventuel échec du processus de négociations sur les épaules des Palestiniens. La balle est dans le camp de l'Autorité palestinienne. Et elle est explosive !
L'imposture est totale. Le projet de Sharon sur lequel s'appuient Bush et Blair est une nouvelle escroquerie qui pourrait se retourner contre lui. D'un côté, il limite le retrait israélien des territoires occupés à 8 000 colons établis dans la bande de Gaza et dans quatre colonies mineures du nord de la Cisjordanie. Les colons israéliens sont quelques milliers sur cet étroit territoire peuplé d'un million et demi de Palestiniens, obligeant la présence coûteuse pour sécuriser les implantations de quatre militaires israéliens pour un colon. D'un autre, il renforce la colonisation de la Cisjordanie où se sont établi 250 000 colons juifs : la construction du soi-disant " mur de sécurité " symbolise ce projet d'un État apartheid, qui cantonne les Palestiniens dans des espaces isolés les uns des autres et sans moyens de communication entre eux. À plus ou moins long terme, ils pourront être intégrés par l'occupant au territoire israélien. Ce sont 4 000 logements de colons qui seraient actuellement en cours d'édification sur ce territoire.
S'il voit le jour, le plan de partitionnement engagé par Sharon ne laisserait, en tout et pour tout, à l'Autorité palestinienne qu'environ 10 % de ce qu'était à l'origine le territoire de la Palestine sous le mandat britannique. Il redessinerait la carte, contraignant nombre de Palestiniens à quitter leur terre, sinon à se trouver séparés du reste de la Cisjordanie.
La viabilité d'un État palestinien est à peu près nulle dans ces conditions. Porter la revendication de deux États, ce serait prêter aux bourgeoisies israélienne et palestinienne un caractère progressiste qu'elles n'ont pas. La seule issue réside dans les classes ouvrières israélienne et palestinienne. Un retour au programme de la révolution permanente est un passage obligé…

Encourager une perspective ouvrière
Faire tomber ce mur surplombant la ligne de classe et la niant entièrement, c'est la perspective que doivent relever tous les militants ouvriers et révolutionnaires de la région. Toute solution progressiste paraît aujourd'hui hors de portée, faute précisément de courants de part et d'autre défendant une orientation indépendante de la bourgeoisie, et d'abord rompant avec la leur. Le projet sioniste, comme celui de la bourgeoise palestinienne, est sans avenir.
La lutte de libération du peuple palestinien n'a pas de solution viable sous le capitalisme. Défendre la perspective de l'émancipation nationale oblige à changer, et de cadre et d'échelle, de se placer sur le terrain de la révolution.
Bush et Sharon misent sur l'équipe qui a succédé à Arafat. Les masses n'ont rien à attendre d'eux. Le processus électoral qui désignera le remplaçant élu d'Arafat le 9 janvier prochain n'aura guère de conséquence positive, de la même façon que celui organisé, à la même époque, en Irak. Les groupes islamistes qui se renforcent face au terrorisme d'État d'Israël et qui gangrène l'Autorité palestinienne ne sont pas plus un recours. Leur intégration au pouvoir palestinien ou leur victoire face aux successeurs d'Arafat marquerait un nouveau recul pour la classe ouvrière, et d'abord pour les femmes.
Il n'est absolument pas certain que l'autorité des nouveaux hommes forts de l'OLP, déjà contestée dans leur propre camp, suffise pour faire avaliser au peuple palestinien les nouvelles concessions exigées par les impérialistes ; de la même façon, il n'y a pas de fatalité au développement des courants islamistes qui, pendant des décennies, n'ont tenu qu'un rôle marginal.
Avoir confiance dans le prolétariat et son programme, miser sur sa force et sa détermination : c'est la solution la plus crédible pour une issue progressive pour l'ensemble des masses du Grand Moyen-Orient, une fédération socialiste des peuples du Proche et du Moyen-Orient !

Serge Godard


L'agenda de Lisbonne à mi-parcours :
Mars 2000, l'UE social-libérale met en selle l'offensive libérale actuelle

Le renouvellement de la Commission européenne, suite aux élections de juin 2004, devait être l'occasion de réaffirmer, avec une certaine solennité, les objectifs de l'agenda de Lisbonne, définis au sommet européen qui s'était tenu en mars 2000 au Portugal. C'est là que les Quinze Etats de l'Union européenne avaient décidé de faire de l'économie de l'UE, d'ici à 2010, " l'économie de la connaissance la plus compétitive du monde ".
La fête aura été quelque peu gâchée ! A peine nommée, la nouvelle Commission européenne était récusée par le Parlement européen. Grande victoire de la démocratie, s'est exclamée à peu près toute la classe politique. Bien plutôt, réflexe de survie : accepter comme commissaire européen Buttiglione, le candidat de Berlusconi qui s'était signalé par ses propos moyenâgeux contre l'homosexualité, c'était couler l'institution elle-même, qui est rien moins que démocratique, c'était discréditer une Union européenne qui n'a déjà pas bonne presse auprès de l'opinion.
Barroso a repris sa copie, accepté quelques remaniements, bien décidé, paraît-il, à mener à son terme les objectifs du sommet de Lisbonne. Seul bémol, lors du dernier sommet européen au début du mois de novembre, les Vingt-Cinq ont réduit leurs ambitions, il ne s'agit plus que de " renforcer considérablement la compétitivité des économies ". Le bluff mis à part, l'objectif reste le même, poursuivre l'offensive libérale contre les protections sociales et les droits du monde du travail. Ou comme le dit un des commissaires, le britannique Mandelson, " Il y a une cause pressante pour laquelle la Commission doit avancer, (...) c'est la poursuite sans relâche et déterminée des réformes économiques ".
Au moment où Fabius cherche à se donner une allure d'opposant à l'Europe libérale en disant " non " à la Constitution et où, d'un autre côté, même les partisans du " oui " affirment que cette constitution n'est " pas parfaite " comme l'Union européenne elle-même d'ailleurs, parce que, voyez-vous, la gauche n'y a pas la majorité, il n'est pas inutile de revenir sur la période 2000-2004, au début de laquelle ce sont les gouvernements sociaux-démocrates, majoritaires dans l'UE à l'époque, qui ont mis en route l'offensive libérale actuelle.

Foin des faux semblants de " l'Europe sociale "
Quelques jours avant le sommet de Lisbonne, Martine Aubry, ministre de l'Emploi et de la Solidarité indiquait au journal économique la Tribune, ce qu'elle attendait de cette rencontre européenne : " Alors que le grand marché des hommes, des marchandises, des capitaux et des services est désormais en place et que nous sommes à la veille d'un élargissement historique de l'Union européenne, il n'est plus possible que le volet social soit le parent pauvre de la construction européenne. Lisbonne doit marquer une nouvelle étape… "
On était à l'époque en pleine cohabitation entre le Président de la République, Chirac, et le gouvernement de la Gauche plurielle dirigé par Jospin. Les autorités françaises, qui se préparaient à prendre à leur tour la présidence de l'Union européenne, se faisaient fort de doter celle-ci d'un volet social, sous la forme d'un " agenda social ", et tant Jospin que Chirac se démarquaient du couple Aznar-Blair qui affichait ouvertement des options libérales.
Mais d'agenda social, il n'en a été question par la suite que sur le papier et ce n'était que l'habillage d'une politique libérale, prônant par exemple pour les entreprises le statut de " société européenne ", et pour les salariés la " formation tout au long de la vie ", nécessaire pour rendre efficace une main d'œuvre condamnée à la " mobilité "…
Par contre, à l'issue même du sommet, la presse soulignait la bonne entente qui s'était manifestée entre les dirigeants européens, y compris sur l'ouverture à la concurrence des services publics. " Chirac et Jospin ont finalement accepté que les "conclusions" du Sommet soulignent la nécessité "d'accélérer la libéralisation dans des secteurs tels que le gaz, l'électricité, les services postaux et les transports ". […] Sur ce sujet très sensible, Jospin a déclaré que "l'adaptation au changement, à la modernité, aux nouvelles technologies doit se faire différemment dans le service public, mais cette nécessité de l'évolution doit se faire" ".
La seule exigence de Jospin et Chirac portait sur le calendrier, qu'on leur laisse un peu de temps pour imposer aux salariés et à la population les réformes de l'EDF-GDF, de la Poste ou des Transports, conduisant à leur privatisation.

2000-2002 Les bienfaits pour le patronat de la cohabitation entre la gauche et la droite
Non que les réformes libérales se soient imposées au gouvernement français de l'extérieur, par un " diktat " de Bruxelles, comme le disent les souverainistes, mais parce que le gouvernement avait besoin de venir à bout de la résistance des salariés qui avaient mis en échec, en novembre-décembre 1995, un premier plan s'attaquant à la Sécurité sociale (le plan Juppé). Depuis cette date, en effet, on assiste en France, à une remontée des luttes, même si, actuellement, celle-ci marque une pause.
D'autre part, le chantier de la déréglementation du travail, par le biais des lois Aubry qui, en même temps qu'elles introduisaient les 35 heures, permettaient aux patrons d'aggraver la flexibilité des horaires de travail, et bien souvent de geler les salaires et de supprimer pauses et primes, était bien avancé. De même, celui de la déréglementation des services publics, en particulier dans les hôpitaux à travers une réforme décentralisatrice.
Deux mois avant le sommet de Lisbonne, début février 2000, le Medef avait lancé un grand chantier de " refondation sociale " dont les objectifs recoupaient ceux de l'Union européenne. Les directions des grandes confédérations syndicales étaient invitées par le patronat à des négociations concernant huit domaines : assurance-chômage ;lutte contre la précarité et insertion des jeunes ; santé au travail ; voies et moyens de l'approfondissement de la négociation collective ; assurance maladie ; adaptation de la formation professionnelle ; évolution des régimes de retraites complémentaires ; égalité professionnelle, place et rôle de l'encadrement, protection sociale. Derrière un langage social, il était clair - et les patrons n'en faisaient pas mystère - que l'objectif du Medef était de parvenir à déréglementer tous les droits sociaux afin " d'abaisser le coût du travail ", et rendre leurs entreprises " compétitives ".
La participation des directions syndicales à ces négociations, quelle que fussent par ailleurs leurs critiques et, pour la CGT et FO, leur refus de signer les accords autres que celui sur la Formation professionnelle, était déjà en soi une capitulation. Le gouvernement Jospin, de son côté, simulait une opposition au patronat pour finir par donner son accord à l'une des dispositions les plus anti-ouvrières du Medef, concernant le système d'indemnisation des chômeurs, adopté en janvier 2001 : le Plan d'aide de retour à l'emploi (Pare), qui oblige les chômeurs sous couvert de les " accompagner dans la recherche de l'emploi " à accepter à peu près n'importe quelle offre d'emploi sous peine de voir dans un premier temps leur indemnisation réduite, puis de se faire radier du système.
C'était la façon dont le patronat et le gouvernement entendaient, comme dans les autres pays de l'UE, la société du " plein emploi " prônée à Lisbonne : augmenter le nombre des travailleurs actifs, la main d'œuvre disponible pour le patronat en imposant précarité et bas salaires.
Le sommet de Lisbonne s'était tenu dans une période de croissance économique, juste avant un retournement de conjoncture qui se manifesta par le dégonflement brutal de la bulle financière dans le domaine des " nouvelles technologies ", clé de voûte, pour les libéraux, de la " nouvelle économie ", et qui donna le signal de l'accentuation de l'offensive libérale.
Les plans de licenciements allaient succéder les uns aux autres, en particulier dans l'année 2001.
De son côté, le gouvernement Jospin avait mis en chantier la réforme des retraites en présidant à la création, en mai 2000, d'un Conseil d'orientation des retraites (COR), composé de représentants syndicaux et patronaux et chargé de trouver des solutions pour " sauver le système des retraites par répartition ", menacé, disait la propagande, par le " vieillissement de la population ".
L'emploi des seniors est une priorité pour les politiques d'emploi et de retraite que conduisent les différents Etats membres de l'Union européenne ", déclarera plus tard le COR qui ne manquera pas de rappeler que les gouvernements européens, au sommet de Lisbonne, s'étaient fixé comme objectif de relever à 50 % en 2010 les taux d'emploi des 55-64 ans.
Entre temps, en avril 2002, avait eu lieu l'élection présidentielle. 75 % des électeurs étaient convaincus, d'après les sondages, qu'il n'y avait pas de différence entre les programmes de Jospin et de Chirac. Les deux rivaux avaient, en particulier, à leur programme, une réforme des retraites à peu près identique.
A la faveur de leur discrédit, et alors que 10 % des électeurs votaient pour les candidats de l'extrême gauche, c'est la figure répugnante du dirigeant d'extrême droite Le Pen qui surgit aux deuxième tour.
Ceci dit, pour Chirac, réélu avec 80 % des voix, ce fut une aubaine. C'est au nom de l'esprit de la République, dans un climat d'union nationale qu'il forma le gouvernement Raffarin, chargé d'imposer les réformes des retraites, de la Sécu et les privatisations d'EDF-GDF et de La Poste.

2003-2004 Le mouvement social face aux réformes libérales
Le gouvernement de droite bénéficia en particulier de la bonne volonté des directions des grandes confédérations syndicales qui lui permirent de mener " dialogue " et " concertation " dans l'objectif affiché et accepté par elles de " procéder aux réformes " nécessaires pour faire de l'économie française une économie " compétitive " dans le cadre défini par Lisbonne.
Mais au début de l'année 2003, un grain de sable est venu gripper cette mécanique : le refus par les salariés de l'EDF de la réforme de leurs retraites, prélude au changement de statut de l'entreprise. Contre l'avis de la direction de la CGT de la branche, militants syndicaux et salariés ont voté " non " au referendum organisé par la direction. Pour la première fois depuis longtemps, on entendait un refus clair et net qui obligea le gouvernement à reculer. Il émanait des salariés et d'équipes de militants syndicaux, en rupture avec la politique de collaboration des directions syndicales.
La réforme Fillon contre les retraites était déjà bien engagée sur les rails de la concertation et tous les partenaires sociaux répétaient qu'il fallait absolument une réforme sans quoi le système des retraites allait à la faillite.
Ce sont les salariés de l'Education nationale, mobilisés d'abord contre la décentralisation, puis contre le plan Fillon sur les retraites, qui en se lançant dans la lutte, ont entraîné tout le personnel du secteur et contraint les directions syndicales à appeler à plusieurs journées de grève massivement suivies dans la Fonction publique et à une manifestation nationale, énorme, le dimanche 25 mai 2003. Mais, tout en accompagnant le mouvement, les directions syndicales n'ont rien fait pour le généraliser, au contraire.
Le mouvement de mai-juin 2003 n'a pas été capable de dépasser cet obstacle. Le gouvernement a pu faire voter sa loi allongeant la durée de cotisation de 37,5 ans à 40 ans d'abord pour tous les salariés - ceux du privé y étaient déjà depuis 1993 -, puis jusqu'à 42 ans et plus.
Après cette défaite, le gouvernement, pourtant largement désavoué lors des élections régionales et européennes, a pu imposer la réforme de la Sécurité sociale qui en prépare la privatisation, et se traduit d'ores et déjà par l'augmentation de la contribution sociale généralisée (CSG) et du forfait hospitalier, la diminution du remboursement des médicaments, en attendant d'autres mesures, tout aussi graves pour les usagers. Il n'y a eu contre cette réforme aucun appel à mobilisation de la part des directions syndicales qui avaient, auparavant, donné leur approbation sous la forme d'un diagnostic partagé du haut Conseil de l'Assurance maladie.
Parallèlement, et malgré leur lutte, les salariés de l'EDF-GDF se sont vus imposer le changement de statut de leur entreprise qui, après l'ouverture du marché des professionnels aux opérateurs privés le 1er juillet dernier, ouvre la voie à la privatisation.

Une offensive tous azimuts
Début septembre, le gouvernement a achevé la privatisation de France Télécom dont " l'ouverture du capital " avait été décidée en 1997 par le gouvernement Jospin. Sur la base des reculs imposés au mouvement social, l'offensive patronale et gouvernementale s'est accélérée. La Poste, depuis longtemps dans le collimateur est à son tour menacée : le gouvernement veut fermer 6000 de ses guichets.
La réforme de l'Etat est en cours. Le gouvernement prévoit de supprimer des milliers de postes de fonctionnaires par l'introduction de nombreux services informatiques et c'est évidemment au statut protégé des fonctionnaires, qualifié de " privilégié " qu'il veut s'attaquer à terme.
L'esprit de Lisbonne est respecté. C'est à travers un plan baptisé de " cohésion sociale ", le plan Borloo, qu'est menée la réforme de l'assurance chômage, destinée elle aussi à être privatisée.
Dans le même temps, c'est au Code du Travail, et en particulier au contrat à durée indéterminé - l'embauche définitive - que le gouvernement prévoit de s'attaquer, tandis que le patronat réclame la fin de toute réglementation en matière de durée du temps de travail, au nom de la " lutte contre les délocalisations ".
Au nom de cette lutte, le gouvernement a prévu de créer des " pôles de compétitivité " dans plusieurs points du territoire qui se verraient spécialisés dans une activité porteuse sur le marché mondial, On y ferait se croiser entreprises, centres de recherche et centres de formation pour répondre aux besoins de cette activité économique et du patronat qui en tire profit, lequel empocherait de nouvelles subventions de l'Etat.
La réforme Fillon de l'Education nationale s'inscrit dans ce schéma. Déjà attaquée par le biais des lois de décentralisation, votées en avril 2004, l'école publique, dispensant -au moins théoriquement- un enseignement égal pour tous est menacée à terme de disparition, ainsi que le statut de fonctionnaire de ses enseignants.
Modeler toute la vie sociale en fonction des intérêts des actionnaires qui décident de l'économie, c'est à cet objectif que répondent toutes les réformes en cours.
C'est à cet enjeu que le mouvement social doit faire face. Les défaites qu'il a subies lui font marquer aujourd'hui une pause, le temps de la réflexion et du débat nécessaires pour analyser les raisons des échecs, s'affranchir de toute illusion et de toute dépendance à l'égard d'un social-libéralisme qui pèse de tout son poids dans le sens de l'acceptation des réformes, quelles que soient les postures qu'il se donne.

Galia Trépère

Brésil : Après la sanction du PT aux élections municipales, de nouvelles prises de conscience

Le Mouvement des Sans-Terre (MST), après une trêve à l'occasion des élections, a repris les occupations de terres et organisé avec d'autres mouvements sociaux une manifestation le 25 novembre " contre la morosité de la réforme agraire ", réforme dirigée par le militant du PT et de DS, Miguel Rossetto. Actuellement, 120 000 familles attendent toujours une terre dans des campements du MST. Le 20 novembre, un commando de 15 hommes masqués et armés à la solde d'un propriétaire terrien qui s'attribue un terrain de l'Etat, s'en est pris à un de ces campements dans la région de Minas Gerais : en une demi-heure, cinq sans-terre, dont un enfant de douze ans, ont été assassinés et trente habitations de fortune incendiées.
Lorsqu'au lendemain des élections, le PT trouve encore le moyen de se réjouir de ses résultats, des militants de gauche du PT ont parlé, propos rapportés par Le Monde, de " mutation génétique " du PT de parti de lutte en machine électorale.
En effet, les élections municipales d'octobre, les premières depuis que Lula est Président, ont été marquées par une sanction importante du PT et un déplacement de ses voix vers le parti social-démocrate, le PSDB, parti de l'ex-président Fernando Henrique Cardoso (FHC).
Les masses se sont détournées de ces élections. Une partie des classes moyennes s'est détournée du PT qui faisait la politique du PSDB, allié à des partis ouvertement bourgeois et de droite. Beaucoup ont moins voté pour le PSDB ou la droite que contre le PT qui les a trompés en gérant le système à leurs dépens.
Pour les milliers de militants qui ont construit pendant des décennies un PT de défense des intérêts des couches populaires face à la dictature et au capitalisme, c'est l'abattement. Mais aussi la colère et la conscience nouvelle qu'il n'y aura pas de changements par en haut, mais par les luttes et la rupture avec la politique de gestion de la société.

Le PT se coupe du monde du travail…
Le PT perd beaucoup d'élus dont le maire d'un bastion, la ville très peuplée de Sao Paulo (10 millions d'habitants) avec sa ceinture industrielle, l'ABC, celle qui avait vu la naissance du PT dans les années 70 à l'issue des luttes dans la métallurgie dont Lula avait été le principal dirigeant.
La candidate du PT, Marta Suplicy, y a été vaincue par José Serra du PSDB. Elle avait eu recours à la campagne marketing du publiciste de Lula, auteur de son slogan " Lula chéri, paix et amour ", campagne qui a coûté des millions de reals, bien sûr… Suplicy a fait appel, pour le second tour, au soutien d'un homme de droite détesté pour sa corruption et son autoritarisme, Maluf, ainsi qu'à des partis conservateurs.
Le PT a aussi perdu la ville de Porto Alegre qu'il dirigeait depuis 1988, et qui avait encore à sa tête le responsable du PT et de Démocratie Socialiste, Raúl Pont, au profit de José Fogaça, candidat du PPS (parti ex-PC pro-Moscou et aujourd'hui de droite).
Pont, confronté à la politique pro-libérale de Lula qui a entraîné une crise profonde de la tendance trotskiste dans le PT, a continué à défendre la politique de Lula. Politique de coupes sombres dans les budgets publics qui a été accompagnée dans les Etats comme celui de Porto Alegre, par le développement de la spéculation immobilière, l'augmentation du prix des transports, la privatisation progressive de la santé. Quant au budget participatif, il se réduit comme peau de chagrin : seulement 5 % de la population de Porto Alegre se réunit pour en discuter aujourd'hui.
Pont a aussi financé sa campagne en payant grassement des publicistes qui employaient des milliers de pauvres payés à faire passer son " message ", à la place des militants pétistes qui n'existent plus. De plus, il s'est fait soutenir par un parti évangéliste. Dans les discours, le mot " camarades " a souvent été remplacé par " frères et sœurs "…
Les candidats PT d'Alternative de gauche, tendance " gauche " non critique envers Lula, ont aussi perdu tous leurs élus.
La rupture ne s'étant pas encore faite entièrement entre la population et le PT, les révolutionnaires du PSTU n'ont recueilli qu'un peu plus de 0,2 % des voix. Il y a eu 20 % d'abstentions, dont celles des camarades du P-SOL - le tout nouveau parti d'Héloísa Helena et de ses camarades exclus du PT - qui n'ont pu se présenter n'ayant pas encore constitué statutairement leur parti (il leur faut pour cela 438 000 signatures d'électeurs).
Par contre, et c'est l'intérêt de ces élections de le montrer, seuls ont tenu les candidats pétistes qui ont clairement affirmé leur désaccord avec la politique de Lula. Ainsi, Luizianne Lins a été élue dans la ville de Fortaleza (2 millions d'habitants). Membre de DS, âgée de 35 ans, cette professeure s'était présentée contre l'avis du PT qui lui avait préféré un candidat du PC do B (PC post-maoïste). Elle avait soutenu les travailleurs en grève contre la politique menée par le PT au gouvernement et avait reçu pour cela le soutien du P-SOL.

La fin d'un cycle : du parti des luttes au parti de gouvernement contre les luttes
Ces élections interviennent dans un contexte d'attaques et de résistance des salariés contre la politique libérale et impérialiste menée par le PT de Lula et ses alliés de droite.
Le chômage, officiellement de 25 %, atteint des sommets : 60 % dans certaines régions. Le salaire minimum que Lula a refusé d'augmenter, est le plus bas d'Amérique latine pour un PIB de 3 000 $, en augmentation de 4 % en 2004 (contre 0,2 % seulement en 2003) grâce à une politique de concessions de l'Etat aux multinationales et aux grandes banques.
C'est pourquoi durant la campagne, les travailleurs des banques se sont mis en grève pendant plus de 15 jours pour des augmentations de salaires et de meilleures conditions de travail. Ils l'ont fait ensemble, ceux de banques d'Etat, dont le patron est donc Lula, et ceux des banques privées, dont la Bradesco et d'autres multinationales. Dans ce contexte de " reprise " pour les plus riches, ils veulent leur part du gâteau. Certains se sont retrouvés face à face avec leur ex-collègue, ex-responsable du syndicat des employés de banques, membre du PT et aujourd'hui Ministre du travail.
En même temps, les salariés du Ministère de la justice ont été en grève durant plus de 91 jours contre le gel des salaires, rejoints par les travailleurs des services publics de l'Etat de Rio de Janeiro. Ils ont été soutenus dans leurs piquets de grève par les travailleurs ruraux du MST.
Une Coordination des Mouvements Sociaux, comprenant en plus des membres du syndicat CUT menacés par une contre-réforme du Code du travail, des enseignants et étudiants menacés par une contre-réforme de l'Education, s'est constituée. A la tête du mouvement enseignant se trouvent Luciana Genro, membre d'un groupe trotskiste partie intégrante du P-SOL, le MES, et José de Almeida, président du PSTU. Ils travaillent au regroupement des salariés en lutte. Le mot d'ordre du P-SOL lors des élections était : " Nous sommes tous des employés de banque ".
En même temps, la situation ne cesse de se tendre. Le 7 septembre, 2 millions de personnes sont descendues dans la rue à l'appel du " Cri des exclus " contre le paiement de la dette et pour la réforme agraire. Ils dénonçaient la situation des exclus auxquels le plan Faim-Zéro de Lula n'a rien apporté. Par contre, ce plan a permis de juteux profits à Nestlé qui commercialise, sous prétexte d'aide humanitaire, du lait de substitution qui atteint gravement la santé des enfants pauvres.
Le Ministre du " développement agraire " PT et DS Miguel Rossetto a promis l'installation de 400 000 sans-terre sur 4 ans. On en est à seulement 28 000 un an après… Le 11 novembre, 200 policiers de l'Etat de Sao Paulo ont investi un campement délogeant 600 familles ; certains activistes ont été emprisonnés et torturés.
Le 24 octobre, des soldats membres de la force " d'interposition " brésilienne aux ordres des Etats-Unis et de l'ONU à Haïti, pour beaucoup originaires de l'Etat de Rio Grande do Sul (celui de Porto Alegre), ont participé à la répression du quartier populaire de Bel-Air, à Port-au-Prince.
Face à cette même armée qui a justifié la torture et l'assassinat récemment révélés du leader communiste Vladimir Herzog pour " avoir choisi le radicalisme et l'illégalité ", Lula, lui-même ex prisonnier des geôles de la dictature, n'en mène pas large. Son Ministre de la Défense ayant demandé la démission du Général auteur de ces propos, s'est retrouvé lui-même démissionné…

Le présent éclaire le passé…
Une page se tourne, irréversiblement. Le PT devenu parti de l'ordre au pouvoir, ne sera plus un parti de contestation sociale. Instrument d'organisation des opprimés contre l'ordre établi, parti de militants, le PT s'est lentement intégré à l'Etat avec, dès les années 90, des milliers d'élus municipaux, régionaux, parlementaires plus influencés par les couches au pouvoir que par les besoins réels des travailleurs et des très nombreux exclus du Brésil.
Auparavant, il s'était constitué sur des bases programmatiques qui laissaient entendre que l'Etat pourrait être sous une bonne gestion " de gauche ", le garant d'acquis démocratiques et sociaux ; qu'en somme, en investissant l'Etat, le PT le transformerait dans le sens des intérêts du plus grand nombre.
C'est tout le contraire qui s'est passé. Le gouvernement et l'Etat, avec de plus en plus d'élus pétistes puis Lula à sa tête, se sont dissous dans la gestion de la mondialisation impérialiste. Car le temps n'est plus où la négociation est possible. Les impérialistes ont besoin de régimes avec des partis ayant une certaine assise populaire et démocratique comme l'avait le PT issu des luttes des travailleurs (lui qui avait créé son propre syndicat, la CUT, et qui avait des liens avec le mouvement des sans-terre) pour mieux asseoir leur domination et faire rentrer les profits.
De gérant loyal, réformiste, du système capitaliste, le PT est devenu un agent de l'impérialisme, totalement étatisé, financiarisé, " social-privatisé ". Beaucoup parmi ses dirigeants ne se contentent pas de côtoyer les capitalistes et de gérer la misère des masses en cherchant à freiner ceux qui luttent. Ils participent directement aux mêmes affaires capitalistes, légalement ou illégalement. Certains, comme le Ministre Dirceu, bras droit de Lula, ont trempé dans des affaires de pots-de-vin qui ont beaucoup fait parler. Mais d'autres, bien plus nombreux, participent quotidiennement à la co-administration du système financier, en toute légalité, en dirigeant des syndicats qui gèrent aujourd'hui des fonds de pension.
Les mêmes défendent auprès des travailleurs et des pauvres l'idée que " L'Etat, c'est notre famille, ne dépensons pas plus que nous ne gagnons ". Ils justifient ainsi les coupes sombres dans les budgets sociaux et la privatisation des services publics, comme cela s'est vu avec la réforme des retraites. Comme cela se prépare avec la réforme de l'Enseignement supérieur.

Un gouvernement sans âme vendu aux marchés
Notre camarade de DS, Joao Machado, disait, quelques mois après l'élection de Lula et avant qu'il ne rejoigne le P-SOL avec les camarades exclus du PT issus de DS et d'autres militants révolutionnaires, que le gouvernement Lula avait " deux âmes ", l'une issue du PT des luttes passées, l'autre socio-libérale. Force est de constater aujourd'hui que le gouvernement Lula est vendu corps et âme aux marchés, et que les militants de DS qui participent encore à un tel gouvernement sont en totale contradiction avec des idées et des objectifs de classe.
L'alliance avec des partis de droite et des secteurs réactionnaires de la société est d'autant plus grande que le parti s'est vidé de ses militants issus des couches exploitées, de son militantisme ouvrier, pour devenir un appareil gestionnaire totalement intégré à l'Etat et au service exclusif des privilégiés et de leur dictature sur le reste de la société.
Rien d'étonnant à ce que, dans les six premiers mois de 2004, le secteur financier ait augmenté ses profits de 14,7 % par rapport à 2003, même avec la baisse des taux d'intérêt.
Ainsi, alors que le manque de terre pour des millions de paysans est criant, les exportations de l'agro-buisness ont augmenté de 44 % en 2004. Les six premiers mois de cette année ont été excellents pour l'industrie de biens durables (énergie, machines, etc) avec une augmentation de 28,2 % par rapport à 2002 alors que celle des biens non durables (de consommation courante) a baissé de 0,8 % dans le même temps.
Fin septembre dernier a été discutée dans le cadre d'accords entre le Mercosur et l'Union européenne une ouverture encore plus grande du marché brésilien aux produits européens. Ainsi, le lait qui était jusqu'à présent taxé à 27 % à son entrée au Brésil ne le serait plus qu'à 0 %, ce qui devrait entraîner encore plus de faillites de producteurs de lait brésiliens qui sont à 82 % des producteurs de petites fermes familiales.
Toute cette politique repose sur un endettement considérable : 55 % du PIB, dette que Lula s'est engagé dès avant son élection à rembourser rubis sur ongle. En 2003, 50 000 millions de dollars ont été affectés au paiement des seuls intérêts de la dette, 5 fois plus que le budget de la santé, 8 fois plus que celui de l'Education et 140 fois celui de la réforme agraire !
Du coup, Lula apparaît aussi de plus en plus comme le laquais de l'impérialisme, allant jusqu'à critiquer récemment le Forum social de Porto Alegre, tancé de " foire idéologique "…

Pour le renouveau des luttes, défendre les intérêts des travailleurs et des pauvres en regroupant les forces en rupture avec le social-libéralisme à la brésilienne
Face à cette politique, ce ne sont plus seulement des intellectuels isolés ou des milieux radicalisés de gauche qui affrontent le gouvernement dans les mouvements sociaux.
Mais il n'y a pas encore d'expression politique claire des prises de conscience qui s'expriment à travers ce mécontentement social. Durant la campagne des municipales, l'extrême gauche révolutionnaire est apparue divisée, le PSTU se présentant seul, sans le soutien du P-SOL, alors que leurs militants œuvrent ensemble à l'unité dans les luttes.
Il apparaît d'autant plus urgent de regrouper les forces dans un parti des luttes, sur la base d'un programme démocratique et révolutionnaire. Les contours de cette force semblent peu précis pour bien des militants comme l'exprimait Luciana Genro du P-SOL dans une déclaration après les élections : " Notre parti est un projet ouvert, un processus de construction pour regrouper la gauche socialiste. Dans ce cadre, le défi c'est de construire un pôle d'attraction pour tous les militants qui veulent continuer à brandir le drapeau de la lutte socialiste ". Il est nécessaire " d'impulser le débat sur le regroupement de la gauche socialiste et discuter du programme nécessaire pour affronter la crise brésilienne. Nous encouragerons, soutiendrons et participerons aux luttes du peuple travailleur en combattant les plans anti-populaires du gouvernement Lula et Fogaça.
Dans ces luttes, nous espérons être ensemble, indépendamment de l'appartenance politique, avec les milliers de combattants qui tout au long des années ont affronté ensemble le néo-libéralisme inauguré par FHC et qui continue encore
".
Regrouper et unir les travailleurs et les pauvres, oui, mais réussir à mettre en œuvre une telle politique suppose un retour critique sur l'histoire du PT, son programme et sa politique dans ses premières années.
Le mouvement ouvrier brésilien est confronté à une crise, des maturations s'opèrent qui seront importantes au-delà du Brésil et de l'Amérique latine. Espérons qu'elles viendront apporter une impulsion au renouveau du marxisme révolutionnaire.

Sophie Candela

Le Parti socialiste veut enterrer Mai 68 " ou plutôt les illusions auxquelles il était le dernier à faire semblant de croire

Héritage de Mai 68 : la fin des dogmes " titrait, le 25 octobre dernier, le Figaro, pour évoquer le rapport d'introduction du débat intitulé " L'individu : quelle place dans la société ", présenté par Laurent Baumel lors du colloque " L'avenir de la France ", organisé par le Parti socialiste.
Comme l'a indiqué Bergougnoux pour l'introduire, " ce colloque sur l'Avenir de la France s'inscrit dans la réflexion ouverte sur le projet des socialistes pour la décennie à venir ", ce fameux projet que le PS doit élaborer en vue des élections de 2007 et de son retour au pouvoir qu'il en espère.
La liberté des uns ne fait pas nécessairement le bonheur des autres, affirme Baumel dans son rapport. La gauche a particulièrement été confrontée, dans la période récente, à cette vérité essentielle mais quelque peu oubliée sur la question névralgique de la sécurité. La liberté des délinquants ou des auteurs de violences, les garanties juridiques dont ceux-ci doivent bénéficier dans un Etat de droit, la compréhension même des déterminismes sociaux qui peuvent expliquer leurs actes doivent s'apprécier au regard de l'atteinte grave portée à la liberté et aux besoins fondamentaux de sécurité, d'intégrité physique de ceux ou celles, souvent pas mieux lotis qu'eux, dont ils pourrissent l'existence. "
Le propos n'étonne guère dans la bouche de cet ancien partisan de Chevènement qui s'était distingué, dans le gouvernement Jospin, par la mise à l'index des " sauvageons " et une politique répressive contre les délinquants. Le successeur de Chevènement, Vaillant, n'a pas fait moins, étant l'auteur d'une loi sur la sécurité intérieure que Sarkozy n'a fait que durcir par la suite. Il y a belle lurette au PS que " l'angélisme " de 68 a été reprouvé. Dray, champion de la tolérance zéro et Jospin lui-même n'ont pas été en reste dans ce registre, comme l'a montré la campagne présidentielle de 2002 où Jospin et Chirac rivalisaient en propos sécuritaires, faisant l'un et l'autre le jeu d'un Le Pen.
Mais même si, -on y reviendra-, l'image d'un " enterrement de Mai 68 " n'est pas tout à fait juste, le Figaro a mis cependant le doigt sur ce qui constitue une inflexion de la politique du PS, ou plutôt une évolution de son langage, vers la droite. Car le rapport de Baumel n'est pas le seul en cause. C'est l'ensemble du colloque, préfigurant le projet du PS, qui a cette tonalité.

De " la réforme heureuse " à la " réforme douloureuse " : le " réformisme de gauche "
Lors du même colloque, après avoir affirmé d'emblée que " nous ne sommes pas comptables du présent ", Hollande a longuement développé ce qu'il entendait par " un réformisme de gauche ", après en avoir ainsi défini le cadre : " Depuis trente ans, la société française vit avec l'idée et même la réalité de la crise. On s'interrogeait sur les effets de génération, sur les socialisations politiques. Or, il y a une césure très importante entre ceux qui sont venus à la politique avant 1974 et les autres. Car, ce n'est pas la même chose que d'avoir été formé à l'idée du changement, du progrès, de la réforme heureuse, tels que nous l'envisagions dans une période de croissance, de développement et de concevoir la politique dans un environnement marqué par le chômage, la peur, la réforme douloureuse ".
Alors dans cette situation où, à entendre Hollande, le Parti socialiste n'aurait aucune responsabilité, " la gauche est une nouvelle fois, c'est un classique dans son histoire, confrontée à ce faux choix entre perdre son âme ou perdre le pouvoir. […] Il faut donc être capable à la fois de garder son âme et de garder le pouvoir. C'est quand même le chemin qu'il faut rendre possible, celui du changement, celui de la politique, celui de l'espoir, celui du progressisme. J'appelle cette voie-là le réformisme de gauche ".
Et de citer " cinq champs possibles à défricher " dont le quatrième " assurer l'égalité " permet de mesurer la nature libérale de ce réformisme ! " Il faut proposer un contrat sur la redistribution. Qu'est-ce que nous voulons, dans les cinq prochaines années, redistribuer ? Du temps, du revenu direct, des transferts, de la solidarité pour les générations futures ? Que voulons-nous distribuer ? Et avec quelle intensité ? La redistribution ne doit pas être considérée simplement annuellement, en fonction des marges qui sont obtenues. Elle doit être d'abord un pacte pour savoir qu'est-ce qui est prioritaire ? Il y a des moments où ce qui est prioritaire, c'est le temps de travail par rapport à une politique d'emploi. À d'autres moments, c'est le revenu direct, à d'autres moments encore, c'est la protection sociale. Il faut qu'il y ait cette clarté dans le contrat de redistribution et la politique fiscale en est à ce moment-là un des instruments ".
Aucun doute, le Parti socialiste est bien décidé à éviter la " tentation de la radicalisation " que Hollande définit ainsi : " La politique ne serait plus qu'une protestation, qu'une véhémence, qu'une contestation. Il y a des ressorts dans la gauche française qui y conduisent. C'est la mythologie de la résistance, dont la culture communiste a été pour beaucoup le produit, au moins pendant un certain temps. Le mouvement alter mondialiste en est le prolongement. Et l'extrême gauche un avatar. C'est, à défaut de la grève générale, le mot d'ordre de la mobilisation collective ".
On l'aura compris, le projet du Parti socialiste pour 2007 sera bien un programme pour un gouvernement de la " réforme douloureuse ", du type de celles que le gouvernement Jospin avait initiées ou préparées avant qu'un Schröder, en Allemagne, se fasse fort de les mener à bien quel que soit le recul qu'elles entraînent pour l'ensemble de la société.

La confiscation des espoirs de Mai 68 : quand le Parti socialiste renaissait des cendres de la SFIO moribonde
Pour le Parti socialiste, un cycle s'achève. Lui-même entend tourner la page sur la période de l'Union de la gauche, consécutive à Mai 68, cette période qui avait vu renaître les illusions dans la perspective de l'arrivée de la gauche au gouvernement.
Ce n'est pas du mouvement de contestation, de la révolte de la jeunesse, de la grève générale, dont le PS est l'héritier. Il ne l'a jamais représenté ni exprimé, bien au contraire. Il a seulement profité du fait que cette révolte n'a pu suffire à briser les carcans bureaucratiques existants, ceux que le PC qui avait, lui, une réelle implantation de masse, militante, maintenait.
De la vieille SFIO, moribonde, discréditée par sa responsabilité dans les guerres coloniales menées par l'Etat français après la deuxième guerre mondiale, est né un nouveau Parti socialiste par la vertu de son alliance avec le PC et de l'Union de la gauche. De la même façon, Mitterrand, de vieux politicien passé par tous les gouvernements de la 4ème République, est devenu l'incarnation pervertie des espoirs et des illusions réformistes.
Grâce au PC dont il s'était juré de réduire l'influence, Mitterrand a pu conduire la politique dont avait besoin la bourgeoisie après la crise du début des années 80, imposant au monde du travail mesures anti-ouvrières et austérité. Ce que Thatcher et Reagan ont fait aux Etats-Unis, Mitterrand l'a fait en France, même si différemment, compte tenu de l'état des forces en présence.
En réalité, cela fait déjà longtemps que les illusions nées à cette époque se sont dissipées, après deux septennats de Mitterrand et l'arrivée au pouvoir de Jospin. Il y a longtemps que la rupture des liens que le PS a entretenus avec les couches populaires pendant la période de l'Union de la gauche est définitivement consommée. Le PS ne peut plus désormais incarner même l'illusion d'une transformation sociale ou d'un simple progrès, c'est en tant que parti joignant sa voix et son poids au concert réactionnaire de tous ceux qui prônent la nécessité de la soi-disant modernisation imposée par la mondialisation, la réforme qu'elle soit de droite ou de gauche, qu'il exerce son influence, bien réelle, sur l'opinion.
Ainsi, la direction du PS met les pendules à l'heure, il n'est pas question d'entretenir la moindre ambiguïté. Pour ceux qui ne l'auraient pas compris, Hollande insiste, oui, le PS est social-libéral.

Galia Trépère

L'impérialisme français entraîné dans la mondialisation,
du pré carré africain à la fuite en avant de la construction européenne

Depuis la crise des années 70-80 puis à travers l'offensive libérale et impérialiste qui a suivi l'effondrement de l'ex-URSS, l'ensemble des relations internationales a été bouleversé. De nouvelles zones d'influences se constituent, l'hégémonie américaine s'impose, révélant à quel point l'impérialisme français n'est plus qu'un impérialisme de seconde zone, accroché à ses chasses gardées de son ancien Empire colonial.
Il essaie cependant de maintenir son influence sur ses anciennes colonies pour continuer à y défendre les intérêts de ses multinationales. La mascarade qui ensanglante la Côte d'ivoire en est la sinistre illustration Mais cette influence est laminée par la concurrence, notamment américaine, à l'heure où la mondialisation ouvre tous les marchés, sapant les bases des vieilles relations de domination.
Pour aider ses trusts à résister à une concurrence exacerbée, l'État français, comme les autres bourgeoisies européennes, n'a d'autre politique possible que de s'engager dans la construction européenne. Avec ses partenaires, il lui faut essayer de donner un semblant de cohérence politique à ce qui n'est qu'un accord commercial entre brigands impérialistes, une zone de libre échange pour le seul profit des multinationales.
Dans quelle mesure la construction de l'Europe affaiblit-elle les Etats nationaux ? Dans quelle mesure en s'imposant à tous les partis gouvernementaux crée-t-elle les conditions d'une crise politique chronique ? Renforce-t-elle les possibilités de luttes des salariés ? Crée-t-elle les conditions objectives d'un renouveau d'une conscience internationaliste et, plus généralement, de la construction d'une nouvelle fédération d'Etats, les Etats Unis socialistes d'Europe ?
Autant de questions dont les réponses sont au cœur d'un projet révolutionnaire.

La France, impérialisme de seconde zone
L'impérialisme français avait pourtant préparé l'indépendance de ses colonies africaines pour y garder une mainmise sur leurs politiques économiques et les soumettre aux intérêts des trusts français comme Total.
De fait, la division internationale du travail si elle a été modifiée ces dernières décennies est restée cependant, comme au temps des colonies, soumise aux besoins des puissances impérialistes, tout particulièrement en Afrique. Les pays africains continuent à exporter vers la France, pour l'essentiel, des matières premières. Ce commerce international est la base d'un échange inégal qui accentue le pillage des anciennes colonies au profit des multinationales françaises. Ainsi l'agriculture et l'artisanat africain sont ruinés par les produits agricoles et industriels subventionnés par l'Etat français et les pays africains doivent s'endetter toujours plus pour importer ceux utiles à leur alimentation. De même les trusts français s'accaparent les matières premières (pétrole, bois, uranium, manganèse, diamants, et autres minerais…) à des prix défiant toute concurrence.
En usant de la pression de la dette, le FMI, l'huissier des banques occidentales, a imposé à la plupart des pays pauvres africains des plans draconiens " d'ajustement structurel ". Ces réformes libérales les ont obligés à vendre leurs industries et services publics aux multinationales françaises, à organiser toute leur production pour l'exportation au détriment des besoins locaux, à pressurer encore leur population. Ainsi les trusts français contrôlent des pans entiers de l'économie des pays africains comme l'eau, l'électricité, les mines.
Pour imposer ce pillage contre les peuples africains, des accords de " coopération militaire " permettent à l'armée française voire à des mercenaires d'intervenir régulièrement pour maintenir au pouvoir des dictateurs " amis de la France ". L'armée française forme, arme et entraîne les gardes présidentielles de nombreux dictateurs, seules armées vraiment organisées et efficaces dont le seul rôle est de maintenir l'ordre, museler les populations, faire taire les opposants. C'est l'État français qui a armé la main des tueurs il y a dix ans au Rwanda, il porte une très lourde responsabilité dans le massacre de centaines de milliers de personnes qui a eu lieu dans ce pays.
Ainsi, la France s'accroche à son dernier pré carré mais la fin des empires coloniaux comme la mondialisation ont ouvert des brèches dans ce monopole des métropoles européennes sur leurs anciennes colonies. La concurrence s'accentue avec les États-Unis et leurs multinationales pour le contrôle de ces régions riches en matières premières.
Dans cette concurrence entre multinationales et États pour le contrôle du marché mondial, c'est l'évolution même du rapport de force entre les différentes puissances qui se discute, posant le problème de la construction de l'Europe, des rapports entre cette Europe et les États-Unis, comme de la concurrence entre le Japon et la Chine pour la domination de l'Asie.

L'Europe des capitalistes, une entente contre les peuples, minée par une contradiction fondamentale
L'internationalisation de l'économie a développé de façon extraordinaire les bases pour une économie organisée de façon rationnelle et consciente à l'échelle mondiale, la coopération du travail humain à une échelle gigantesque, mais celle-ci se heurte aux intérêts privés et à leur traduction sur le plan international, les frontières, les États nationaux, autant d'armes que les bourgeoisies impérialistes utilisent pour la défense de leurs intérêts particuliers.
C'est en Europe que cette contradiction est aujourd'hui la plus aiguë et la plus explosive.
Dans le cadre de l'ouverture des frontières à l'échelle internationale impulsée par les trusts américains et leur État, s'est accélérée depuis le milieu des années 80 la constitution d'un marché unique européen, prélude à une unification économique de l'Europe.
L'accentuation de la concurrence, parallèlement à la libéralisation du mouvement des capitaux, a poussé les États européens à s'engager dans cette fuite en avant qu'a été la création de l'euro. L'existence d'une monnaie unique a l'avantage de limiter les possibilités d'attaques spéculatives et de rendre plus fiables les transactions commerciales en empêchant les fluctuations monétaires.
Elle facilite également le mouvement de restructuration et de concentration du capital en Europe. Les trusts des pays d'Europe ont besoin d'une force de frappe équivalente à celle des trusts américains pour rivaliser avec eux sur le marché mondial, ils ont besoin d'atteindre une taille continentale.
Mais, les ambitions d'un impérialisme européen naissant se heurtent aux prétentions de chacun des Etats, à leurs rivalités, à l'absence d'un État qui puisse constituer pour les groupes financiers un instrument comparable à ce que l'État américain représente pour les trusts américains dans la concurrence mondiale : une arme contre les travailleurs et les peuples.
Cette contradiction s'exprime dans le paradoxe de l'euro. Les déficits américains renforcent la monnaie européenne, jouet des marchés et des spéculations, au détriment même de la compétitivité des trusts sur le marché mondiale alors que la faiblesse du dollar bénéficient à l'économie américaine.
C'est pourquoi les dirigeants impérialistes européens s'efforcent, depuis la mise en place de l'euro, et surtout la guerre en ex-Yougoslavie qui a révélé leur impuissance relative face à l'impérialisme américain, de mettre sur pied des organes d'un pouvoir politique européen. Jusqu'à présent, la seule institution dotée d'un pouvoir réel était la Banque centrale européenne au profit de laquelle les États nationaux se sont départis de leurs prérogatives monétaires. Pour le reste, si la politique de tous les gouvernements est concertée à l'échelle européenne, elle reste du ressort, quant à son application, des États nationaux. Elle se heurte, malgré une même volonté des gouvernements de mener l'offensive libérale exigée par l'oligarchie financière, à la résistance du monde du travail dans chaque pays.
Souhaitées en particulier par la France et l'Allemagne, les coopérations renforcées, instituées par le Traité de Nice, en 2001, permettent au noyau des pays les plus puissants d'exécuter des décisions communes comme la mise sur pied d'un corps d'armée européen, susceptible d'être le bras armé de leurs ambitions impérialistes, ou l'adoption de mesures économiques et sociales battant en brèche les législations sociales en place dans chaque pays et accélérant la privatisation de la protection sociale.
Les bourgeoisies européennes sont incapables de résoudre le problème de l'unification politique de l'Europe de façon harmonieuse, pacifique et démocratique. À la différence de la bourgeoisie américaine dont l'État s'est construit en même temps que son économie se développait à l'échelle d'un continent, les bourgeoisies européennes héritent d'États nationaux, produits de leur passé de puissances concurrentes. Si leurs rivalités se sont fortement atténuées, par la force de l'hégémonie américaine, elles n'en demeurent pas moins, donnant à la construction européenne cette allure chaotique, déterminée avant tout par des rapports de force.

La constitution européenne, manifeste pour une Europe empire
La constitution européenne que les gouvernements des 25 États membres ont adoptée juste après les élections européennes de 2004 est marquée par ces contradictions.
Si tous les États européens, quel que soit leur gouvernement, sont d'accord pour faire de l'Europe un instrument dans leur rivalité avec les États-Unis et un levier de la mondialisation impérialiste contre le monde du travail et les peuples, chacun défend avant tout les intérêts de ses groupes industriels et financiers nationaux. C'est pour cela que cette Constitution est profondément antidémocratique sur le fond comme sur la forme.
Elle n'a d'autre but que de créer le cadre constitutionnel pour la politique libérale contre le monde du travail à l'échelle de tout le continent. Il s'agit de faire de l'Europe " un marché unique où la concurrence est libre et non faussée ". Elle érige en principe fondamentaux tous les poncifs libéraux comme la " libre circulation des biens, des services et des capitaux ", ce qui signifie la remise en cause des services publics à travers leur mise en concurrence puis leur privatisation. Elle prône une " économie sociale de marché hautement compétitive ", en clair la remise en cause des droits sociaux fondamentaux, de la législation du travail, des retraites, de la sécurité sociale, des indemnités chômage.
Leur projet est de faire une " Europe puissance " instrument de la guerre économique que se livrent les multinationales américaines et européennes contre les peuples. Leur Europe c'est une Europe forteresse, fermée à ses frontières, remettant en cause les droits démocratiques fondamentaux par l'effet de mesures policières et sécuritaires prises au nom de la lutte contre le terrorisme.
Avec leur Constitution les gouvernements qu'ils soient libéraux ou sociaux-libéraux voudraient donner un habillage institutionnel à une Europe des multinationales pour la légitimer aux yeux des populations. Cette constitution cherche à faire accepter, comme si elles découlaient de principes universels et naturels, les conséquences de la dégradation du rapport de forces entre la bourgeoisie et le monde du travail depuis 20 ans.
Mais le but de cette constitution, produit d'innombrables marchandages entre États, c'est aussi d'assurer, en fonction du rapport de forces, la domination de la poignée d'États les plus puissants, essentiellement la France et l'Allemagne, sur les autres.
C'est pour cela que les révolutionnaires ne peuvent qu'être opposés à cette Constitution antidémocratique quelle que soit la façon dont chaque État l'entérine, par un référendum ou par un vote dans les Parlements nationaux.
Pour que les populations puissent réellement décider de la forme politique et institutionnelle de l'Europe, c'est une Assemblée constituante qu'elles devraient pouvoir élire au suffrage universel et proportionnel.

La politique des États n'évitera pas une crise, au contraire elle la prépare
L'oligarchie financière qui aurait intérêt à un État supranational est incapable de gagner l'adhésion de larges fractions des populations.
Le mouvement de restructuration du capital s'accompagne de dizaines de milliers de licenciements, de la concentration des moyens de production et des infrastructures dans quelques régions jugées rentables au prix de la désertification et de la ruine d'un grand nombre d'autres. Les gouvernements européens s'emploient à détruire tous les droits des travailleurs, afin d'abaisser le coût du travail, et à réduire toutes les dépenses publiques pour les assujettir aux seuls besoins des trusts.
Une Banque centrale européenne, fondé de pouvoir de l'oligarchie financière qui dicte leur politique libérale aux gouvernements, un corps d'armée capable d'intervenir contre les peuples, tel est le visage que prend aujourd'hui la construction de l'Europe, économique et politique.
La guerre de terreur menée contre les peuples de l'ex-Yougoslavie par les puissances européennes sous la houlette des USA, en 1999, a été la sanglante illustration que cette Europe des banques et des trusts est un cartel impérialiste qui ne peut se construire que contre les peuples.
Les travailleurs, s'ils s'associaient à la construction d'un empire européen rival de l'empire américain ou de l'empire asiatique, œuvreraient contre leurs intérêts.
L'émergence d'une union des peuples est inscrite dans l'histoire mais la façon dont la bourgeoisie y répond est lourde de menaces et de dangers.

La crainte paralyse, l'indignation tout autant, la nostalgie condamne à l'impuissance
Certains opposent à l'offensive libérale de la bourgeoisie française, conduite hier par le Parti socialiste et ses alliés au gouvernement, aujourd'hui par la droite, la nostalgie de l'époque - idéalisée - des " Trente glorieuses ", laissant croire que les quelques progrès sociaux qui s'y étaient réalisés étaient le résultat d'une volonté politique. Ce n'était en fait que le produit d'un rapport de forces, qui avait contraint la bourgeoisie à certaines concessions qu'elle remet en cause aujourd'hui. Ce passé est révolu, mais en même temps que lui, le sont aussi les illusions qu'il avait nourries et sur lesquelles se sont appuyés les partis sociaux-démocrates et staliniens pour légitimer leur servilité à l'égard de la bourgeoisie, leur défense de l'ordre établi. Les mêmes aujourd'hui, ralliés à l'Europe du libéralisme, sont incapables de faire illusion auprès des travailleurs.
Quant à la nostalgie réactionnaire des souverainistes à la Pasqua, Le Pen ou Chevènement, elle n'est que la défense de privilèges nationaux en voie de perdition, et spécule sur les ressentiments et les frustrations d'une partie de la petite-bourgeoisie, menacée de ruine par l'évolution, autant de sentiments dont se nourrit l'influence de l'extrême droite.

L'Europe, nouvelle arène des luttes des travailleurs
Le monde du travail est la seule force capable d'ouvrir une perspective de progrès, de paix, de démocratie et de liberté à l'ensemble des peuples d'Europe.
La bourgeoisie, sous le fouet de la concurrence, a créé l'arène des combats de classes modernes, celle d'un continent. Mais elle est loin d'y être en position de force, car dans le même temps que l'Europe de la Banque centrale européenne et des Bourses affaiblit les pouvoirs de chaque État national, elle n'a pu réussir encore à se doter de l'État européen qui lui serait nécessaire pour mener sa guerre contre les travailleurs.
Les contradictions qui minent l'économie capitaliste à l'échelle européenne sont les mêmes qu'à l'échelle mondiale, avec le caractère plus aigu que lui donne l'évolution récente de la construction européenne, une concentration sans précédent du capital, de la richesse sociale, entre les mains d'une poignée toujours plus restreinte de financiers. Elles préparent inéluctablement des crises sociales et politiques d'une ampleur inégalée.
L'avenir dépend de la capacité du mouvement ouvrier à ouvrir la perspective de l'unification des luttes ouvrières à l'échelle de l'Europe, unification rendue possible par les transformations économiques déjà réalisées, mais qui ne peut devenir effective que sur la base d'une politique de classe, qui remette radicalement en cause la propriété privée capitaliste, fondement de la domination bourgeoise, de ses États.

Non à la constitution pour une Europe libérale et impérialiste
Oui, à une Europe des travailleurs et des peuples

L'agitation que provoque le débat sur la constitution ici comme dans l'ensemble des pays de l'Europe peut contribuer à cette prise de conscience des salariés et des classes populaires de leurs intérêts communs, par delà les frontières, face aux multinationales et à leurs Etats.
Elle peut aussi contribuer, face aux rivalités qui opposent ces Etats et aux volontés d'hégémonie de la France et de l'Allemagne, à la prise de conscience qu'une véritable Europe ne peut pas se construire bureaucratiquement, par en haut mais bien des initiatives et des volontés démocratiques des populations.
Une Europe sociale ne peut pas naître de la politique des classes dirigeantes qui n'ont qu'une obsession, faire diminuer le coût du travail pour augmenter la rentabilité du capital.
Une Europe démocratique ne peut pas naître de la volonté de ceux qui défendent les privilèges d'une minorité ainsi que les privilèges nationaux des puissances dominantes.
Une Europe de la paix ne peut naître de la volonté politique de ceux qui ne rêvent que de protéger leurs zones d'influence ou d'en acquérir de nouvelles, qui voient l'Europe comme un moyen de faire face à la concurrence des USA du Japon ou de la Chine pour leurs seuls intérêts privés au mépris de ceux des populations.
Une Europe sociale, démocratique et pacifiste ne peut naître que de la volonté consciente des classes populaires d'établir des relations d'entraide et de coopération pour assurer leur bien être, le développement de la démocratie et de la culture en accord avec les peuples du monde entier.
Elle naîtra d'une transformation révolutionnaire par l'intervention directe des peuples pour écrire une nouvelle page de l'histoire de l'Europe.
A l'Europe des guerres coloniales et des deux guerres impérialistes mondiales, elle substituera une Europe facteur de paix et de progrès pour le monde entier.