Débat militant
Lettre publiée par des militants de la LCR
n°57
4 janvier 2005

Sommaire :

Nos vœux pour 2005 : une nouvelle solidarité internationale entre les peuples

L'effondrement de l'URSS, prélude à l'offensive libérale et impérialiste
De la récession du début 90 au krach des nouvelles technologies,
vers une nouvelle phase du vieillissement du capitalisme
1995-2004 : Le renouveau du mouvement social confronté à ses propres limites politiques
1991-2002 : d'une guerre du Golfe à l'autre, libéralisme et militarisme, le vrai visage du nouvel ordre mondial
1995-2004 : L'extrême gauche en progrès mais incapable de surmonter ses divisions
Contre la mondialisation libérale et impérialiste, le socialisme, le communisme

Nos vœux pour 2005 : une nouvelle solidarité internationale entre les peuples

La fin de 2004 aura été marquée par la terrible catastrophe naturelle survenue en Asie du sud-est. Les raz de marée qui ont ravagé à partir du 26 décembre les côtes de l'Océan indien laissent aujourd'hui, et pour longtemps, une plaie vive dont il est difficile d'évaluer les suites comme les conséquences.
Cette catastrophe est révélatrice du dénuement, de l'abandon, de la misère, du sous-équipement des pays d'Asie dont les peuples souffrent au plus profond d'eux-mêmes.
Au regard des sommes fabuleuses englouties dans les guerres, les spéculations ou le luxe, de bien modestes investissements auraient sûrement permis de sauver des milliers de vies humaines.
Elle révèle aussi et de façon dramatique à quel point les discours sur la solidarité, l'humanitaire, sont pour les Etats des grandes puissances des phrases creuses. Dans cette société rien n'est fait pour assurer, garantir la solidarité humaine. L'égoïsme des Etats, des classes dirigeantes, contraste avec l'élan de solidarité dont les populations font preuve après la catastrophe.
Nous voulions, dans ce numéro de DM, revenir sur la décennie qui s'achève, cette décennie qui a donné toute son ampleur à l'expansion libérale et impérialiste.
Le drame que vivent les populations misérables d'Asie la dénonce, la met en accusation, la condamne au regard de l'opinion mondiale.

Ce premier numéro de l'année 2005 voudrait revenir sur les transformations survenues depuis le début des années 90 dont il nous faut, par delà les ravages et la catastrophe sociale qu'elles engendrent, essayer de saisir la signification du point de vue des possibilités de transformation du monde.
Après la chute du mur de Berlin en 89, cette décennie commence avec l'offensive contre les classes ouvrières et les peuples dans laquelle s'engagent les bourgeoisies impérialistes après la récession de 1990, la première guerre contre l'Irak. L'effondrement de l'URSS sous la pression des contradictions mêmes de la bureaucratie provoque une réaction en chaîne, l'effondrement des faibles digues que les travailleurs et les peuples avaient, par leurs luttes, leurs résistances, au prix de sacrifices immenses, réussi à construire pour s'opposer à la rapacité des classes dominantes impérialistes. Digues fragiles car construites sous la direction de bureaucraties usurpatrices et parasitaires ou de forces nationalistes bourgeoises.
Paradoxe, cet effondrement, c'était aussi l'effondrement de ces directions étrangères aux classes populaires, s'imposant à elles par leur dictature, en particulier le stalinisme étouffant toute vie démocratique au sein du mouvement ouvrier.
D'où les traits contradictoires qui, du point de vue du mouvement ouvrier, s'opposent et se conjuguent dans les reculs mais aussi les avancées qui rythment ces années.
Ces contradictions sont au cœur du contraste qui oppose 2003 à 2004.
2003, c'est le mouvement du printemps, l'apogée de la remontée des luttes engagée depuis 95 mais aussi leur impuissance, enfermées dans les cadres des vieilles organisations, à aller jusqu'au bout de leur possibilité pour inverser le rapport de force. 2004, c'est le contrecoup de cet échec, le succès du social-libéralisme qui se révèle le meilleur soutien de la droite pour que patronat et gouvernement s'engagent dans une nouvelle, plus large et plus profonde, offensive contre le monde du travail.
Cette collusion, il y a peu appelée cohabitation, s'exprime sans ambages dans leur oui commun à l'Europe financière et impérialiste qu'ensemble ils ont construite.
Cette nouvelle étape à laquelle est confronté le mouvement ouvrier ne signifie nullement un recul du mécontentement, de la révolte, de la combativité, elle est plus simplement la concrétisation de l'incurie des directions en place dominées par le social-libéralisme. La combativité est présente dans tous les conflits en cours. Celui d'H&M en est une des démonstrations dans le même temps que l'incapacité des directions apparaît face à la remise en cause des 35 heures. Dès janvier, l'exigence qui monte, pas uniquement chez les fonctionnaires, d'une revalorisation des salaires, posera à nouveau l'impérieuse nécessité de l'émergence de nouvelles directions capables d'organiser une riposte de l'ensemble des salariés.
Malgré ses propres faiblesses, l'extrême gauche fait sienne cette perspective, la place au cœur de ses propres tâches. Elle se confond avec le travail en vue de l'émergence d'un nouveau parti du monde du travail.
On ne saurait dissocier les luttes et résistances quotidiennes du combat général pour l'émancipation sociale.
Ce dernier donne leur sens à tous les combats partiels dans lesquels chacun s'implique, il participe aussi et surtout de la conscience de classe sans laquelle même les combats partiels sont compromis.
Nous avons bien des raisons d'avoir confiance. Cette confiance, c'est la confiance dans le mouvement social lui-même qui saura, collectivement, trouver les réponses à ses propres problèmes. Elle se nourrit d'une volonté unitaire et démocratique.
L'heure est à resserrer les rangs, l'offensive réactionnaire nous y oblige, les conditions politiques en existent. Les idées défendues par Arlette Laguiller et Olivier Besancenot en 2002 ont trouvé un large écho bien qu'il n'existe pas dans le pays un réel parti pour les ancrer au sein du monde du travail. Les revers électoraux de 2004 ne l'amoindrissent pas, ils s'inscrivent dans le revers qu'a connu l'ensemble du mouvement social. Ils ne sauraient masquer l'écho rencontré par les campagnes communes de la Ligue et de LO.
Aujourd'hui, nous nous retrouvons sur les mêmes orientations politiques. Notre Non à la constitution de l'Europe financière et impérialiste s'inscrit dans la continuité de notre campagne des Européennes. Il doit permettre de nouveaux rapprochements comme chaque lutte ou résistance locale en est aussi l'occasion au moment où s'opèrent de nouveaux rapprochements avec bien des militants du Parti communiste ou proches de lui, voire même des militants en rupture avec la social-démocratie devenue social-libérale.

La décennie passée est riche d'acquis et d'expérience. Certes, bien des occasions ont été manquées, mais si nous savons en tirer les leçons, de riches perspectives s'ouvrent devant nous.
Ce premier numéro de Débat militant de l'année 2005 voudrait y contribuer.
Alors, camarades et amis, bonne lecture et tous nos vœux pour que des bouleversements en cours, des drames qu'ils engendrent, émergent cette solidarité, cette coopération entre les peuples qui est l'avenir de l'Humanité.

Yvan Lemaitre

 

L'effondrement de l'URSS, prélude à l'offensive libérale et impérialiste

Il y a quinze ans, à la fin de l'année 1989, alors que s'effondraient en moins de trois mois, l'ensemble des dictatures staliniennes à l'est de l'Europe, dirigeants impérialistes et presse occidentale célébraient l'avènement d'un " nouvel ordre mondial ", la " victoire de la démocratie contre le totalitarisme communiste ".
Le 9 novembre 1989, c'était la chute du Mur de Berlin. La monstrueuse barrière érigée en plein cœur de Berlin n'était que la partie la plus visible de la frontière qui séparait en deux, depuis la Guerre froide, l'Allemagne et sa population, familles et amis. L'événement se produisit au terme de manifestations massives et fut salué par une véritable liesse populaire. Quelques jours plus tard, le 29 novembre, c'était la " révolution de velours " en Tchécoslovaquie, et, du 21 au 25 décembre, le renversement de la dictature des Ceaucescu en Roumanie.
Tous ces régimes étaient haïs de la population, ce qui permit à la presse et aux dirigeants occidentaux d'accréditer l'idée d'une " révolution contre le communisme ".
En réalité, il n'y eut de révolution que décidée par en haut, les dirigeants de la bureaucratie soviétique s'étant résolus ou résignés à lâcher leurs satellites de l'Europe de l'Est. Le 7 octobre 1989, Gorbatchev qui s'était rendu en RDA, s'était fait ovationner par les manifestants de Berlin qu'il venait saluer. Quelques semaines plus tard, les 2 et 3 décembre, il était invité par George Bush père, à Malte, pour discuter de la transition à l'Est. Trois semaines plus tard, fin décembre, éclatait la " révolution " roumaine, une révolution soigneusement orchestrée au cours de laquelle on put voir se profiler, derrière les nouveaux dirigeants " démocratiques " issus de l'appareil de l'ancien régime, les visages des dirigeants de la sinistre police politique de Ceaucescu.
Pour importants qu'ils fussent en eux-mêmes, ces bouleversements n'étaient que la conséquence la plus visible des transformations qui s'opéraient alors en URSS même. S'y était engagée, en effet, sous la pression des contradictions internes à la bureaucratie soviétique, la dernière phase de la contre-révolution commencée dans les années 1920. Elle allait conduire à la restauration du capitalisme en URSS et à l'intégration de l'ancien bloc soviétique dans le monde impérialiste, faisant tomber les derniers obstacles au développement du libéralisme impérialiste.

L'achèvement de la dernière phase de la contre-révolution en Russie
Ce processus dont on peut dire qu'il a été complètement achevé avec le vote par le parlement russe, en juin 2002, d'une loi autorisant la propriété privée des terres agricoles, avait débuté une quinzaine d'années auparavant à travers la crise politique ouverte par la succession de Brejnev.
Les transformations opérées par Gorbatchev, les évolutions entraînées ensuite par la surenchère nationaliste et réactionnaire entre Gorbatchev et Eltsine, s'inscrivaient dans le contexte des débuts de la mondialisation capitaliste, de l'offensive engagée par les trusts et leurs Etats à la suite de la récession du début des années 1980, pour éliminer les obstacles à leur pénétration dans les sphères de l'économie mondiale qui leur échappaient.
Avec l'éviction de Gorbatchev par Eltsine et la dislocation de l'URSS, en décembre 1991, il était évident à l'époque que ces événements pouvaient conduire à la restauration du capitalisme et de la propriété privée dans l'ancienne Union soviétique. Mais on ne pouvait hypothéquer alors le fait qu'une possible résistance des travailleurs soviétiques puisse non seulement stopper cette évolution, mais même déboucher sur une crise révolutionnaire. Tel avait été du moins le raisonnement militant qui avait poussé Trotsky à ne pas remettre en cause le caractère "ouvrier" de l'Union soviétique alors même que les masses ouvrières et paysannes avaient perdu depuis longtemps le pouvoir politique et que la contre-révolution bureaucratique avait ramené le vieux fatras des privilèges bourgeois, sans pour autant réussir à restaurer la propriété privée ni même tenter de le faire.
Même 50 ans plus tard, alors que la bureaucratie soviétique était devenue un des éléments déterminants du maintien de l'ordre impérialiste à l'échelle mondiale et qu'une fraction d'entre elle, militant ouvertement pour la restauration capitaliste en URSS, était parvenue au pouvoir, cet achèvement de la contre-révolution n'était pas encore accompli. Tout en étant orientée de façon prioritaire en fonction des besoins de la bureaucratie, l'économie soviétique ne reposait encore ni sur la propriété privée ni sur le marché et sa concurrence.
Il y eut des résistances importantes à la dégradation des conditions de vie entraînée par la désétatisation de l'économie. En 1993, sous la forme d'une mobilisation contre le coup de force de Eltsine contre le Parlement, puis à travers de nombreuses grèves de salariés, en particulier en 1995, avant que Eltsine ne réussisse à se faire élire Président de la Fédération de Russie en 1996.
Mais ces mobilisations ne furent ni assez étendues ni assez profondes pour pouvoir déboucher sur un mouvement convergent et conscient de ses intérêts propres. Il y manquait surtout une perspective politique. L'objectif du seul maintien de l'ordre existant, qui se confondait pour beaucoup avec la dictature de la bureaucratie et la pénurie, ne pouvait en constituer une capable de mobiliser les énergies.
Le pouvoir de Eltsine conforté par sa réélection en 1996, le mouvement de privatisation qui avait marqué le pas jusqu'alors, s'accéléra. Avec la restauration de la propriété privée du sol et, parallèlement, l'intégration de la Russie en tant que membre permanent au G8 dont elle assurera la présidence en 2006, comme son admission au sein de l'OMC, s'est définitivement close la période ouverte par la révolution de 1917.

Les contradictions de la nouvelle période ouvrent des possibilités nouvelles
Il fallut ainsi une dizaine d'années pour effacer ce qui restait encore des traces de la révolution dans les rapports sociaux.
Dans les pays du glacis, l'étatisation de l'économie n'avait été qu'imposée de l'extérieur par la bureaucratie soviétique et elle s'était accompagnée d'une terreur comparable à celle que faisait régner Staline en URSS même. Réalisée dans le cadre des frontières étriquées imposées par le traité de Versailles après la Première guerre mondiale, elle n'avait pas permis le développement économique qu'avait connu l'Union soviétique. Les régimes des démocraties populaires, d'emblée vomis par la population, ne tenaient que parce qu'ils étaient soutenus militairement par l'URSS. C'est ce qui explique la rapidité de leur effondrement en 1989, à partir du moment où les dirigeants de la bureaucratie décidèrent de les lâcher.
Autrement plus vivaces ont été les rapports sociaux en URSS, parce qu'issus de l'initiative même des masses, de l'expropriation des classes dirigeantes, d'une révolution s'inscrivant consciemment dans le combat mondial des opprimés pour leur émancipation.
Même après qu'elle eut réduit les masses ouvrières et paysannes au silence, au début des années 1930, au terme de ce qu'on pourrait appeler une véritable guerre civile à rebours, la bureaucratie n'osa pas opérer une restauration du système capitaliste. C'est dans le cadre des rapports sociaux hérités de la révolution qu'elle était contrainte d'exercer son pouvoir et ses privilèges, se sentant menacée aussi bien par l'impérialisme que par un sursaut de la classe ouvrière qu'elle craignait plus encore.
Non seulement l'économie soviétique fut soustraite, pendant plusieurs décennies, à l'emprise de l'impérialisme, mais elle permit aux peuples qui s'étaient révoltés contre la domination coloniale, d'y échapper également dans une certaine mesure. Non que la bureaucratie ait fait quoi que ce soit pour venir en aide aux peuples lorsqu'ils se révoltaient mais du fait de l'existence même de l'URSS, d'une économie avec qui commercer.
C'est ainsi qu'à l'inverse, la disparition de l'URSS permit à l'impérialisme de reprendre pied dans nombre de ces pays et d'ouvrir leur économie au pillage de ses trusts. Il l'a fait d'autant plus facilement que les régimes issus des révolutions coloniales qui avaient été dirigées par des forces nationalistes bourgeoises, n'étaient pas anti-impérialistes, mais cherchaient simplement à négocier, auprès de l'impérialisme, la possibilité d'un développement économique indépendant. La force de la révolution anti-coloniale leur avait permis d'y prétendre, comme la force de la révolution russe d'y parvenir.
Car ces obstacles dressés contre la pénétration de l'impérialisme l'ont été par les peuples, par leur révolte et leur résistance. Ils ont finalement été renversés par le libre-échange impérialiste et son offensive politique et militaire, mais auparavant, ils avaient été sapés tant par la bureaucratie soviétique que par leurs nouvelles classes dirigeantes qui protégeaient leur parasitisme par des dictatures.
Ce sont ces éléments contradictoires qui ouvrent de nouvelles possibilités dans la situation créée par l'effondrement de l'URSS. Ce verrou sautant, les barrières que les peuples avaient opposées, dans le cadre des rapports de force issus de la révolution russe puis les révolutions coloniales, au pillage impérialiste, ont cédé et sont abattues les unes après les autres.
Mais en même temps, la bureaucratie soviétique a constitué, pendant la dernière période, un élément clé de la stabilité de la domination impérialiste. Elle contribuait au maintien de l'ordre social contre les révoltes ouvrières et populaires, dans sa zone d'influence, tandis que bouc émissaire idéal, la " menace communiste " servait à justifier toutes les guerres impérialistes contre les peuples. Aujourd'hui, même s'il a remplacé la " lutte contre le communisme " par la " lutte contre le terrorisme ", l'impérialisme est incapable de trouver une légitimité aux yeux des populations, il se montre à nu, dans toute sa violence et sa rapacité, il ne peut que susciter la révolte et le besoin d'armer cette révolte des idées de l'émancipation sociale. La disparition du stalinisme qui avait défiguré celles-ci après les avoir usurpées ouvre la voie à une renaissance des idées révolutionnaires, communistes et internationalistes.

Galia Trépère


De la récession du début 90 au krach des nouvelles technologies, vers une nouvelle phase du vieillissement du capitalisme

Au milieu de l'année 2000, krach des nouvelles technologies et récession économique concluaient une décennie marquée par l'accélération de l'offensive libérale menée contre les travailleurs et les peuples par les bourgeoisies des pays impérialistes depuis les années 80.
Ces dix années ont été celles de l'avènement de la mondialisation, la généralisation au monde entier d'un nouveau capitalisme de libre concurrence, caractérisé par la domination du capital financier et l'exacerbation de la concurrence entre firmes multinationales.
Bien loin de la prospérité, de la démocratie et de la paix promises, le "triomphe de l'économie de marché", célébré après l'effondrement de l'URSS, a conduit le monde dans un nouvel enchaînement de booms spéculatifs et de crises, de tensions internationales et de guerres.

La mondialisation libérale et impérialiste, résultat de 20 ans d'offensive contre le monde du travail
Confrontée à la baisse de ses taux de profits dans les années 70, la bourgeoisie s'était depuis lancée dans une vaste offensive contre le monde du travail et les peuples pour diminuer leur part dans la répartition des richesses, en revenant sur toutes les concessions qu'elle avait dû leur faire dans le passé.
Au début des années 1980, les gouvernements des grandes puissances, à l'initiative des Etats-Unis, entreprirent de lever toutes les barrières, règlements financiers, droits de douanes, qui s'opposaient à la libre circulation des capitaux. A la fin de cette décennie, toutes les spéculations étaient devenues possibles 24h sur 24 à travers toute la planète, ouvrant la voie à la marchandisation du monde.
Cela s'accompagna de la remise en cause de tout ce qui pouvait limiter le droit des capitalistes à faire du profit, secteurs publics, couvertures sociales, législations du travail.
Cette offensive connut une nouvelle accélération, ou bien plutôt, une véritable fuite en avant après la récession des années 1990-92. L'espace de développement capitaliste étant clos, cette nouvelle phase a vu l'exacerbation de la concurrence entre les firmes multinationales et des attaques contre les peuples et la classe ouvrière mais aussi une montée des rivalités internationales pour la domination du monde.

Une nouvelle concentration gigantesque du capital : le monde mis en coupe réglée par les géants de la finance et de l'industrie
Sous l'impulsion de cette concurrence exacerbée, de gigantesques fusions, rachats et autres OPA, ont donné naissance à des groupes industriels et financiers qui, à quelques dizaines, contrôlent aujourd'hui toute l'économie mondiale.
Grâce à la révolution des moyens de transport et de communication, ces firmes multinationales organisent leurs activités à l'échelle de toute la planète. En position de monopole, elles imposent les prix des matières premières, déterminent la production de pays entiers, la vie de centaines de millions d'hommes.
Leurs profits colossaux ne pouvant se réinvestir dans la production sont l'objet de vastes opérations financières, monétaires ou boursières. Les firmes multinationales sont avant tout des groupes financiers à la recherche de la meilleure rente pour leurs capitaux. Toute la vie sociale, la politique des Etats sont subordonnées aux intérêts à très court terme de la finance.
Loin d'ouvrir une période de croissance pour l'ensemble de la société, la libre circulation des capitaux financiers à l'échelle du monde a engendré une croissance destructrice pour la majorité de la population.

Le parasitisme de la finance ravage les économies des pays pauvres
Ainsi, le pillage colonial a fait place à un nouveau colonialisme financier qui, par le biais de la dette aux intérêts exorbitants, entraîne un flux de richesses des pays les plus pauvres vers les pays riches.
Et les ravages de la finance ne touchent pas que les pays pauvres… Des pays qui, il y a quelques années, étaient présentés comme des modèles de réussite économique, comme l'Argentine, ont subi dans la dernière décennie une série de krachs et d'effondrements financiers quand les capitaux qui y avaient afflué à l'affût de profits rapides se sont retirés brutalement pour aller s'investir ailleurs.
La finance est une arme dans les mains des bourgeoisies des grandes puissances et avant tout, celle des Etats-Unis, pour soumettre les Etats et les peuples et leur imposer leurs volontés. La logique destructrice du développement capitaliste s'applique maintenant à l'échelle de toute la planète, l'accumulation de richesses entre les mains d'une minorité entraîne un recul général pour le reste de l'Humanité.

Une envolée des profits qui repose sur un endettement généralisé
Cette croissance de la finance déconnecte de plus en plus le capital de l'activité productive, car la seule chose qui compte pour la bourgeoisie, c'est la rente financière. C'est elle qui se redistribue et se concentre sur les marchés financiers.
Ces masses grandissantes de capitaux ne correspondent plus à la production de biens matériels qui, elle, reste limitée par la consommation réelle, d'autant plus que celle-ci est réduite par les attaques contre les classes populaires.
La bulle financière qui dévore l'économie réelle et menace de l'étouffer repose sur le crédit, sur un endettement généralisé. Les entreprises comme les Etats dont le plus puissant, les Etats-Unis, sont endettés sur les places financières où ils commercialisent leurs dettes comme autant de droit à exiger des dividendes sur les profits à venir.

Si l'espoir dans la possibilité de faire de nouveaux profits existe, l'endettement peut continuer, de nouveaux crédits alimentent de nouvelles dettes faisant gonfler la bulle financière. Mais si le doute s'installe, les capitaux s'enfuient encore plus vite qu'ils ne sont venus et c'est le krach.

Des illusions dans la " nouvelle économie " au krach des nouvelles technologiques
C'est ainsi que les réelles transformations apportées dans toute l'activité économique par le développement de l'informatique et des télécommunications ont entraîné une fièvre spéculative sur les "nouvelles technologies" qui, selon les économistes, étaient la base d'une "nouvelle économie" devant permettre une croissance sans fin. Dans les années 90, des masses de capitaux énormes se sont investies dans ce secteur lui donnant un essor sans commune mesure avec la réalité. Les start-up se sont multipliées, en quelques mois elles ont été cotées à la Bourse puis ont vu rapidement le cours de leurs actions s'envoler.
Mais l'illusion n'a duré qu'un temps, derrière ce nouveau miracle économique il y avait certes une réelle révolution technologique mais surtout une nouvelle frénésie spéculative, une nouvelle bulle venant alimenter la bulle financière globale qui a fini par éclater. Le boom des nouvelles technologies s'est achevé par le krach des années 2000 2001 qui a vu les cours de la Bourse chuter après des années de hausse record, et une nouvelle récession toucher l'économie mondiale.
La ruine des illusions dans les possibilités ouvertes par la "nouvelle économie" a laissé la place à une nouvelle offensive libérale qui s'est traduit à l'échelle du monde par un redéploiement militaire de l'impérialisme suite aux attentats du 11 septembre 2001.

2000-2001, le "nouvel ordre mondial", cadre de l'exacerbation des rivalités entre les nations
La création d'un vaste marché unique n'a pas fait disparaître la lutte pour le partage du monde et l'appropriation des richesses, bien au contraire, la mondialisation a entraîné la mise en concurrence de toutes les nations.
Si, de par leur puissance économique, les Etats-Unis ont imposé leur hégémonie depuis l'après-guerre, cette position dominante concentre sur elle toutes les rivalités, les remises en cause. Plus aucune région du monde n'échappant aux rapports capitalistes, la concurrence est devenue plus dure entre les vieilles puissances impérialistes, les Etats-Unis, et l'Europe mais aussi entre elles et de nouvelles puissances économiques comme la Chine.
Le monde est en train de se réorganiser autour de nouvelles zones d'influences, en fonction d'un rapport de force économique en pleine transformation. Dans cette redéfinition des rapports internationaux, les Etats-Unis sont à l'offensive économique et militaire pour défendre leur hégémonie. Les vieilles puissances européennes tentent de surmonter leur division en construisant une Europe libérale, machine de guerre dans leur concurrence contre les Etats-Unis.
Mais de nouvelles nations en plein essor économique comme la Chine peuvent modifier ces vieux rapports impérialistes. La Chine, en quelques années, est devenue "l'usine du monde", réalisant une part croissante de la production mondiale et des exportations vers les Etats-Unis et l'Europe. Cet essor économique qui attire bien des investisseurs, se traduit par une augmentation des prix des matières premières qui a des répercussions sur les économies des Etats-Unis et de l'Europe.
Ainsi, dans la redéfinition des rapports internationaux, engendrée par la mondialisation, chacun cherche à peser pour élargir sa propre zone d'influence. Ces rivalités, ces tensions à travers lesquelles s'évaluent les rapports de forces économiques ne font qu'accroître l'instabilité et les tensions.
L'offensive libérale a abouti à une phase du capitalisme qui combine la libre concurrence des capitaux et des nations et la violence impérialiste pour la domination du monde et le pillage des peuples. La mondialisation financière de la décennie précédente a entraîné une mondialisation militaire qui crée un état de guerre permanent.

L'émergence d'une classe ouvrière internationale
Cette décennie d'offensive libérale a considérablement modifié les rapports entre les peuples. Les mouvements de capitaux ont contribué à faire naître partout dans le monde de nouvelles entreprises travaillant pour le même marché mondial, créant une véritable classe ouvrière internationale.
La mondialisation contribue à développer et unifier cette classe ouvrière, d'autant que sa principale conséquence est la mise en concurrence à l'échelle de la planète des salariés de tous les pays. Et cette mise en concurrence touche aujourd'hui toutes les catégories de salariés, même celles qui avaient pu se considérer comme privilégiées dans les pays riches du fait de leurs qualifications.
C'est cette mise en concurrence sur un même marché mondial par les mêmes firmes multinationales, des salariés des pays riches et pauvres qui peut être la base de l'émergence de la conscience d'appartenir à une même classe soumise à la même exploitation.
Parce que la folie de la course au profit ne connaîtra d'autres limites que celles que lui imposeront les luttes des travailleurs et des peuples, parce que toutes les luttes contre les différentes conséquences de la mondialisation ne peuvent être menées sans une remise en cause de fond du fonctionnement même du système capitaliste, la mondialisation crée les conditions objectives d'un renouveau du mouvement ouvrier révolutionnaire international.

Charles Meno

1995-2004 : le renouveau du mouvement social confronté à ses propres limites politiques

Les grèves de novembre-décembre 1995, précédées des 5 % d'Arlette Laguiller aux Présidentielles, ont constitué un tournant pour le mouvement social. Alors que Chirac succède à Mitterrand, les salariés se remobilisent face à l'offensive de la bourgeoisie. Les militants de gauche, en particulier PC et CGT, libérés des solidarités gouvernementales, sont partie prenante du premier grand mouvement social depuis le début de la crise. La chape qui pesait sur les travailleurs depuis quinze ans se soulève.
Cette remontée ouvrière se fait dans un contexte nouveau : le discrédit des syndicats, l'effondrement du stalinisme et l'achèvement de l'évolution social libérale du PS. Le mouvement social se transforme, une nouvelle conscience se forge à travers les luttes contre les dégâts de l'offensive capitaliste.

Retour sur 1980-1995 : quand la gauche initie l'offensive libérale et désarme la classe ouvrière
Dans les années 80, face à la crise de l'économie, tous les gouvernements s'attaquent aux travailleurs. En France, c'est le gouvernement Mitterrand-Mauroy, avec quatre ministres communistes, qui prend en charge la libéralisation de l'économie. C'est la " réconciliation du socialisme avec la Bourse " selon les mots de Bérégovoy.
En 1983, Mitterrand appelle à " redoubler d'énergie et de ténacité pour le redressement national " : les salaires sont bloqués, les dépenses publiques réduites. Les plans de licenciements débutent. Face aux OS de l'automobile en grève, dont beaucoup sont immigrés, Mauroy et Deferre utilisent la démagogie la plus crasse, parlant de " chiites ", " étrangers aux réalités sociales de la France ".
En avril 1984, alors que la Lorraine est paralysée par la grève de la sidérurgie, les députés communistes votent la confiance au gouvernement. Dans les syndicats, la contestation est étouffée : des militants sont écartés, des sections entières sont exclues, tant de la CFDT que de la CGT. La démoralisation s'empare de bien des militants confrontés aux reniements de leurs partis. Dans les couches populaires, le désarroi gagne : en 1983, à Dreux, le FN fait pour la première fois 17,6 % aux Municipales.
La bourgeoisie utilise la pression de la crise pour baisser le coût de la force de travail en restructurant et licenciant (entre 1980 et 1998 la productivité augmente de 55 %). Les syndicats, eux, se vident : alors que 23,1 % des salariés étaient syndiqués en 1973, ils ne sont plus que 12,3 % en 1988 et 9,1 % en 1995.

1995 : " Tous ensemble ! ", une liberté retrouvée
Après 15 ans de coups encaissés sous le carcan imposé par le social-libéralisme et le stalinisme, 1995 marque une rupture, le début de la remontée des luttes ouvrières.
Il y a bien eu, entre 1986 et 1988, la lutte pour les salaires des cheminots et des hospitaliers qui ont vu, à l'initiative de militants d'extrême-gauche, la constitution de " coordinations " en marge des syndicats discrédités et paralysés. Mais malgré leur combativité, ces luttes sont restées dominées par le corporatisme.
En 1995, l'arrivée de Chirac et de Juppé libère les militants. L'annonce de l'allongement des cotisations retraites des salariés du public (que Balladur a imposé au privé en 1993 sans réaction des syndicats) déclenche le mouvement. C'est un grand bol d'air pour les militants, en particulier CGT et PC de la SNCF, qui se mesure à l'ampleur des manifestations, leur dynamisme et le slogan repris dans tous les cortèges du pays pendant plusieurs semaines : " Tous ensemble, tous ensemble ! ", même si, à quelques exceptions près, la grève ne dépasse pas le secteur public.
La classe ouvrière se retrouve. Malgré l'absence de perspectives des directions syndicales et l'empressement de la CGT à appeler à la reprise du travail à la SNCF qui provoque l'amertume d'un certain nombre de militants, la grève a fait reculer le gouvernement sur les retraites. Des dizaines de milliers de travailleurs ont vérifié que l'action collective peut transformer le rapport de forces.

1997-2001, la gauche " plurielle " revient au gouvernement et continue l'offensive
En 1997, Jospin succède à Juppé… et continue l'offensive avec la participation de ministres communistes dont Gayssot au Transport. Alors que la bourgeoisie licencie, confrontée à une aggravation de sa crise, les lois Aubry sur les 35 h imposent l'annualisation du temps de travail, la flexibilité et remettent en cause de nombreux droits. Jospin commande le rapport Roché qui prépare les attaques contre les fonctionnaires. Dans l'Education, Allègre s'en prend au " Mammouth ", provoquant un large mouvement.
Et la gauche repart à l'offensive sur les retraites : le rapport Charpin préconise 42,5 annuités pour tous. Le Medef, enthousiaste, en demande 45. Thibault, lui, demande " que le gouvernement ouvre un nouvel espace de négociations permettant aux organisations syndicales de s'exprimer sur le contenu du rapport et sur les alternatives qui n'ont pas forcément été étudiées à fond "…
Et alors que, de 1997 à 2001, plus de 1000 plans sociaux sont annoncés chaque année, Guigou instaure le Pare contre les chômeurs accusés de ne pas chercher de travail.

Une nouvelle conscience se construit dans la lutte contre les licenciements
La lutte contre les licenciements est devenue la question sociale et politique essentielle. En 97, contre la fermeture de Renault Vilvorde, 70 000 personnes manifestent à Bruxelles. Un an plus tard, Aubry explique : " des entreprises ont aujourd'hui besoin de licencier parce qu'elles perdent des marchés, qu'elles ont besoin de se moderniser ". Fin 1999, Michelin annonce 7500 suppressions d'emplois et l'augmentation de 20 % de ses profits. Jospin déclare alors : " Je ne crois pas que l'on puisse désormais administrer l'économie (…) Ce n'est pas par la loi, les textes, qu'on régule l'économie.(...) Tout le monde admet le marché ".
En 2001, la crise s'amplifie après le krach de la nouvelle économie. Le "marché" exige de nouveaux licenciements : Lu-Danone, Marks & Spencers, Moulinex, les plans "sociaux" se multiplient.
Jospin présente sa loi de "modernisation sociale" : " Nous n'irons pas dans le sens d'une interdiction des licenciements parce que nous serions alors le seul pays au monde à imaginer qu'on puisse interdire par décret les licenciements ". Mais il annonce "des assouplissements" de la loi sur les 35 heures et vante " le dialogue nécessaire avec les syndicats car ce n'est pas seulement le législateur qui peut régler les problèmes sociaux dans les entreprises "… Pour le PCF, Hue est on ne peut plus clair : " 
S'agissant des amendements communistes -préparés avec les organisations syndicales, notamment la CGT-, ils ne justifient nullement l'accusation de "surenchère" : aucun ne demande l'interdiction des licenciements notamment boursiers ni ne propose un droit de veto pour les comités d'entreprises ".
Le PC va voter la loi tout en appelant, sous la pression des militants, à la manifestation du 9 juin 2001 à l'initiative de sections syndicales LU en lutte contre les licenciements. Malgré le boycott des confédérations syndicales, la manifestation rassemble plusieurs dizaines de milliers de personnes.
L'interdiction des licenciements défendue par Arlette Laguiller en 95 est devenue la revendication d'une fraction du monde du travail " contre la dictature des actionnaires ". Le débat traverse tous les milieux militants et pose le problème de la propriété capitaliste : est-il possible d'interdire les licenciements, comment contrôler les comptes des entreprises ?
De nouveaux secteurs de la classe ouvrière entrent en lutte, parmi les plus exploités et les plus jeunes : les précaires de chez MacDo, Pizza Hut, EuroDysney, les femmes de ménage immigrées du groupe Accor… Parallèlement, le mouvement altermondialiste qui affirme qu'un " autre monde est possible " attire un nombre grandissant de jeunes.
En avril 2002, la combativité montante de la classe ouvrière s'exprime dans le vote pour l'extrême-gauche qui dépasse les 10 %. C'est la déroute pour les partis de gauche : au deuxième tour, ils se rangent derrière Chirac "contre" Le Pen.

Mai-juin 2003, apogée de la remontée ouvrière
Fort d'un tel ralliement, Chirac amplifie l'offensive contre le monde du travail. La "réforme" des retraites est engagée. La gauche l'a préparée et les syndicats y participent au sein du Conseil d'orientation des retraites. Début 2003, un front intersyndical comprenant CGT et FSU se constitue sur les positions de la CFDT, affirmant en préambule " la nécessité d'une réforme ".
Mais la mécanique qui semble bien huilée est bousculée par le vote des salariés d'EDF qui refusent l'accord que les syndicats, dont la CGT, les appellent à ratifier. Ce désaveu encourage l'ensemble des salariés au moment même où, dans l'Education nationale, démarre un puissant mouvement de grève contre les effets de la décentralisation. Les enseignants contraignent la FSU à suivre le mouvement qui est tiré en avant par les jeunes professeurs. Des coordinations se créent à l'initiative de militants d'extrême-gauche, de même que des collectifs interpro : bien que minoritaires, ils affirment l'unité nécessaire des salariés du public et du privé et le besoin de la prise en main de la lutte par ses acteurs eux-mêmes. Dans les manifestations, les " 37,5 ans pour tous " s'imposent malgré les directions syndicales. Au " Tous ensemble " de 1995 s'ajoutent de nouveaux slogans : " Partage des richesses " et " Grève générale ! ".
En face, Raffarin claironne que " ce n'est pas la rue qui gouverne ". La gauche lui fait écho, sur son propre registre. Au soir du 13 mai, Hollande déclare " notre travail d'opposant ne se limite pas à contester, il est de proposer une alternative, une véritable réforme ". Buffet explique que " plus la mobilisation est forte, plus cela donne de moyens aux parlementaires pour s'opposer au projet ". Pour tous, l'urgence est de passer de la rue au Parlement. Le 12 juin, Thibault annonce… une " grande consultation nationale des salariés, de notre pays, à l'adresse des députés et des sénateurs ".

Le mouvement social rattrapé par ses limites politiques : l'absence d'un projet de transformation sociale
Au moment où Thibault demande aux travailleurs de remettre leur sort entre les mains du Parlement, le mouvement marque le pas face à ses propres limites. Il y a une méfiance réelle dans les appareils syndicaux et politiques mais, en l'absence de direction alternative, en absence de son propre projet social, la classe ouvrière est désarmée.
Pourtant, en plein été au Larzac, Bové promet un " mois de septembre brûlant ". Beaucoup voudraient y croire, mais tous les militants sentent que la situation leur a échappé au moment où il aurait fallu franchir une autre étape, lier la lutte à la contestation de l'ensemble de la société, faire le lien entre la question sociale et la question politique. Faute de cela, le mouvement se trouve dépossédé de lui-même, soumis à ceux qui, comme Bové, flattent l'apolitisme à coup de proclamation… et gomment ainsi les responsabilité des appareils, refusant de tirer les bilans de l'échec.
Aussi, quand le gouvernement, fort de l'avantage, s'attaque à la Sécu et à la privatisation d'EDF, le mouvement social se trouve dans l'incapacité de l'affronter. A nouveau, les directions syndicales se placent sur le terrain du gouvernement, partageant son " diagnostic " et demandant une " bonne réforme ".
Pris au piège des limites de la lutte syndicale et du corporatisme, ne parvenant pas à se dégager du poids de l'idéologie social-libérale, les travailleurs ne peuvent faire face à la détermination de la bourgeoisie. La combativité des salariés d'EDF ne peut compenser l'absence de perspectives politiques.
Plus que jamais, l'échec du mouvement et la guerre menée par la bourgeoisie au monde du travail posent le problème de lier la lutte quotidienne à la contestation de la société capitaliste.

Carole Lucas


1991-2002 : d'une guerre du Golfe à l'autre, libéralisme et militarisme,
le vrai visage du nouvel ordre mondial

L'aventure de la deuxième guerre contre l'Irak dans laquelle Bush s'engagea suite aux attentats du 11 septembre, illustre les difficultés de l'Administration américaine à définir des objectifs politiques à ses grandes manœuvres. Mensonges, fuite en avant, violence, sont les ressorts de cette politique aveugle dont ni Bush ni le Pentagone ne sont capables de prévoir les conséquences. Leurs troupes dont ils laissaient croire qu'elles allaient être accueillies en libératrices par le peuple irakien, s'enlisent aujourd'hui dans le bourbier de l'occupation militaire, confrontées à la résistance de l'ensemble de la population irakienne.
Cette situation est un nouvel épisode de l'offensive libérale et impérialiste ouverte par la première guerre contre l'Irak, en 1991. Cette guerre, selon le secrétaire de la défense d'alors, Dick Cheney, représentait la " préfiguration du genre de conflit que nous pourrions connaître dans la nouvelle ère… Outre l'Asie du Sud-Ouest, nous avons des intérêts importants en Europe, en Asie, dans le Pacifique et en Amérique latine et centrale. Nous devons configurer nos politiques et nos forces de telle sorte qu'elles dissuadent ou permettent de vaincre rapidement de semblables menaces régionales futures ".

Redéploiement impérialiste
L'effondrement de l'URSS au début des années 90 privait les Etats-Unis de la puissance rivale mais complice avec laquelle ils partageaient le maintien de l'ordre mondial. Ils devaient faire face à ce vide, juguler leurs propres alliés pour maintenir et consolider leur hégémonie, contenir les peuples.
Saddam, la créature des Américains, qui avait mené pour leur compte huit ans de guerre contre l'Iran islamiste de Khomeiny hostile aux USA, devenait un allié encombrant, incontrôlé. Croyant pouvoir agir en toute impunité, il envahit le Koweït le 2 août 1990 pour faire face à une dette colossale que les banquiers américains rechignaient à reéchelonner, par l'annexion de ce petit Etat, ancienne partie de son territoire décrété indépendant par le colonisateur britannique et renfermant 10 % de ses ressources pétrolières.
L'impérialisme américain saisit l'occasion de la violation du territoire de l' " Etat souverain " du Koweït, pour se retourner contre Saddam.
Les puissances impérialistes coalisées derrière leur chef de file, Bush-père, agitèrent alors l'épouvantail du nouvel Hitler, à la tête de la quatrième armée du monde, menaçant l'ordre mondial, pour préparer l'opinion de leurs populations à la guerre. Sept cent mille soldats de 26 pays, 4000 chars, 1500 avions et 300 navires de guerre furent massés autour de l'Irak, avant que soit lancée l'offensive terrestre sur le sol irakien, du 24 au 28 février 1991. Cette première manifestation du "nouvel ordre mondial" se fit sous l'égide de l'ONU, les USA ayant besoin de soutien et de faire s'engager les puissances occidentales, ses alliées-rivales.
Le 6 août 90, au lendemain de l'invasion du Koweït, la résolution 661 de l'ONU instaurait un embargo commercial, financier et militaire contre l'Irak, et le 25 août, la résolution 665 autorisait le recours à la force pour faire respecter cet embargo.
Les dirigeants impérialistes affirmèrent que leurs objectifs étaient la libération du territoire du Koweït et le respect des frontières mises en place par les puissances coloniales, mais aussi celle du peuple irakien, et la démocratisation de l'Irak, débarrassée de son dictateur. Il n'en fut rien. La population irakienne paya le prix fort de cette guerre "chirurgicale", "ciblée" et de ses conséquences, qui coûtèrent la vie à près de 280 000 Irakiens, pour la plupart civils. Elle subit ensuite les conséquences de l'embargo qui la privait des produits alimentaires de base et de médicaments, qui entraîna en trois ans la mort de plus de 500 000 enfants.
Durant près de dix ans, les USA maintinrent sous pression un Irak exsangue, dont une grande partie de la population était réduite à la famine, dont les infrastructures étaient détruites et l'économie dévastée. Saddam Hussein était devenu le point de tension, le défi permanent à l'autorité américaine, cynisme accompli, un obstacle au progrès de la démocratie et de l'économie de marché dans le monde. Point de tension, défi, provocation, " l'état-voyou " permettait la justification d'un militarisme de plus en plus arrogant. Le Pentagone, dans son "Défence policy guidance" de 1992-1994 en définissait les objectifs : " empêcher toute puissance hostile de dominer des régions dont les ressources lui permettraient d'accéder au statut de grande puissance… de décourager les pays industrialisés avancés de toute tentative visant à défier notre leadership ou à renverser l'ordre politique et économique établi ", et de " prévenir l'émergence future de tout concurrent global ".

Après les attentats du 11 septembre, un pas de plus vers les aventures guerrières
Les attentats intervinrent au moment où l'économie mondiale et plus particulièrement l'économie américaine, subissait un revers. Ils marquèrent un nouveau basculement du monde dix ans après la fin de la guerre froide. Au décours de ces dix années, l'ère Clinton avait voulu laisser croire qu'il était possible d'ouvrir les marchés par la seule force du dollar. Celle de Bush fut le constat que cela était une pure illusion démagogique. Les dollars ne pouvaient pas se passer du Pentagone. Dans le nouveau contexte mondial, il était plus difficile à Bush qu'à Clinton de laisser croire que la seule logique des marchés suffit à apporter la démocratie et le bonheur au monde. Mais l'un et l'autre n'avaient pas d'objectif différent que celui de faire accepter, de légitimer, de contribuer à mettre en œuvre une politique visant à perpétuer la domination des multinationales américaines sur le monde.
L'impérialisme américain venait de prendre acte, avec les transformations opérées par la mondialisation, de l'ouverture d'une période plus tendue de contestation de son hégémonie. S'ensuivirent les discours de Bush sur la "croisade" et "l'état de guerre" permanent dont la guerre en Afghanistan fut la première répétition avant l'hystérie de la deuxième guerre en Irak.
Sans la moindre preuve d'un quelconque lien entre le régime de Saddam et Al Quaïda, le secrétaire américain à la Défense, Donald Rumsfeld, désigna immédiatement le régime de Saddam Hussein comme une "menace immédiate". Bush déclara que " aucun Etat terroriste ne pose de menace plus grave et plus immédiate pour la sécurité de notre peuple et la stabilité du monde ". L'hystérie du mensonge au service des armées devint le langage officiel de la première puissance mondiale.
Ainsi, Powell insista : " Le meilleur moyen d'obtenir le désarmement est un changement de régime ". Les responsables de l'Administration américaine orchestrèrent toute une campagne sur les armes de destruction massive de l'Irak, dont des mois d'investigation d'une commission spéciale de l'ONU ne parvinrent pas à fournir les preuves. Mais qu'importe les preuves, l'ennemi était désigné, il devait être anéanti.

Libéralisme et militarisme
La guerre en Afghanistan n'a jamais eu comme objectif la libération de la population afghane des talibans, pas plus que la guerre en Irak, la libération de la population irakienne. L'objectif de ces deux guerres visait à l'installation à demeure de fortes concentrations de troupes en Asie centrale, à proximité d'alliés qui pourraient se révéler menaçants comme la Chine et la Russie, et en Irak, au cœur du Moyen-Orient, la région de la planète la plus riche en pétrole. En dévastant l'Irak, l'Administration américaine prenait le risque de créer une situation d'instabilité aux conséquences imprévisibles, risque qu'elle n'hésita pas à prendre pour justifier l'état de guerre permanent à travers lequel elle comptait sauvegarder sa domination. " …, les Etats-Unis, commentait La Tribune, ont un besoin impérieux de s'assurer une nouvelle base sûre pour leurs approvisionnements pétroliers au Proche-Orient. Et compte tenu de la sensible dégradation de leurs relations avec l'Arabie Saoudite, l'Irak constitue un "enjeu énorme, sinon vital", selon Nicolas Sarkis, le directeur de la revue Pétrole et gaz arabes. Les USA font planer la menace d'une guerre contre l'Irak pour dessiner un nouveau Moyen-Orient (deux tiers des réserves prouvées de pétrole de la planète), et limiter au minimum leur dépendance vis-à-vis de " l'allié " saoudien. "
L'impérialisme américain prépare aujourd'hui la prochaine étape de son redéploiement, avec le plan " initiative pour le Grand Moyen-Orient ". Ce plan s'accompagne de la proposition de créer " une force internationale de maintien de la paix " des pays membres du G8, de plus de 50 000 hommes dans les années à venir, susceptible de mener " des opérations de combat contre les forces qui cherchent à infléchir par la violence l'avenir politique de l'Irak, leur internement si nécessaire pour des raisons impératives de sécurité et la poursuite de la recherche et du contrôle d'armes qui menaceraient la sécurité de l'Irak ".
Les dirigeants impérialistes voudraient laisser croire au " retour au droit international " en Irak et à " la restauration de tous les attributs de souveraineté aux Irakiens ", comme l'a déclaré Michel Barnier, le ministre français des Affaires étrangères, lors du dernier sommet du G8. Mais contredisant ces discours sur la fin de l'occupation, la situation de l'Irak est aujourd'hui celle d'un champ de ruines livré au terrorisme des forces rivales qui se disputent le pouvoir sur le dos de la population abandonnée à son sort, en proie aux pires privations et souffrances. Le nouveau pouvoir à la solde de l'occupant est bien incapable de recueillir l'assentiment des différentes forces du pays et de rétablir l'ordre dans le pays.

La " guerre sans limites " définit ses contours
Plusieurs Etats voyous ont été désignés comme les futures cibles après l'Irak. D'ores et déjà, la Corée du Nord a été sommée, lors du dernier sommet du G8, de procéder à un désarmement " complet, vérifiable et irréversible " par les Etats-Unis sous peine de recours au Conseil de sécurité de l'ONU, selon un scénario qui ressemble fort à celui qui a débouché sur l'offensive contre le peuple irakien. La guerre permanente, " large, politique, économique, diplomatique, militaire, … non conventionnelle ", annoncée par Colin Powell définissant la nouvelle stratégie globale de l'impérialisme après le tournant de 2001, est le prix qu'auront à payer les peuples de la planète pour la libre circulation du dollar et des capitaux avides de plus-value. Le libre marché s'ouvre et se construit sous la botte des armées impérialistes, exacerbant les tensions internationales entre puissances rivales et entre les anciennes et nouvelles puissances en développement comme la Chine et l'Inde.
Les peuples doivent être sous contrôle pour que se perpétuent les rapports de classe, de domination des possédants, sur les masses laborieuses. Au-delà du champ d'action irakien, le militarisme impérialiste continue d'être à l'œuvre en Afghanistan où les troupes américaines et leurs alliées assurent l'ordre des multinationales du pétrole. Le Proche-Orient et la Palestine restent plus que jamais au cœur des tensions internationales, le peuple palestinien en butte aux destructions massives perpétrées par l'armée israélienne. Le peuple tchétchène est maintenu sous la botte armée de Poutine.
Mais la force de la puissance hégémonique américaine est aussi sa faiblesse, point de convergence de la révolte et des luttes des peuples. La logique de guerre, le pillage des richesses, qui sèment partout la misère et la désolation créent les conditions d'une évolution collective, internationale des consciences des masses, l'émergence d'une nouvelle solidarité internationale et mûrit les conditions d'une nouvelle montée des luttes d'émancipation.

Catherine Aulnay

1995-2004 : L'extrême gauche en progrès mais incapable de surmonter ses divisions

Depuis 1995, la remontée des luttes a ouvert une nouvelle période avec, en parallèle, un renouveau de l'extrême gauche sur le plan des luttes comme sur le plan électoral. Le discrédit des partis de la gauche gouvernementale, dont le Parti communiste atteint en outre par l'effondrement de l'ex-URSS, s'est exprimé par un renouveau des luttes dans lesquelles les révolutionnaires ont pris toute leur place.
Aujourd'hui, l'extrême gauche marque le pas en même temps que le mouvement social. Ce qui s'est traduit sur le plan électoral par la victoire du Parti socialiste, en corollaire de la double défaite que le mouvement social a subie sur la question de l'assurance maladie et de la privatisation d'EDF-GDF.
La période ouverte par 1995 connaît une pause nécessaire pour que le mouvement social refasse des forces. Il est nécessaire de discuter de façon critique de la politique des révolutionnaires dans la décennie 1995-2004 qui s'achève.
Malgré le pas franchi à travers la défense d'un programme d'urgence sociale et démocratique en lien avec les luttes, n'y a-t-il pas eu des occasions manquées pour aller de l'avant dans la perspective d'une force nouvelle en affirmant l'actualité du projet de transformation révolutionnaire, en "extériorité" au social-libéralisme et à ses alliés ?

1995 : un bouleversement de la donne sociale et politique
Au premier tour de la Présidentielle d'avril 1995, pour la première fois à des élections nationales, la candidature d'Arlette Laguiller, présentée par Lutte ouvrière, dépassait la barre des 5 % (5,3 %), alors que Hue, le candidat du Parti communiste, faisait 8,4 %. Une partie de l'électorat du PC, et plus largement de l'électorat populaire en train de rompre avec les partis de gauche, s'était reconnue dans les idées et le programme du " plan d'urgence pour les travailleurs " défendus par la candidate de LO. Au soir du premier tour, dans sa déclaration à la télé, elle appelait à " un nouveau parti des travailleurs, des jeunes, des femmes, des exclus 
" dont la base sociale existait potentiellement.
La LCR, restée prisonnière de sa politique passée d'un hypothétique regroupement " à la gauche de la gauche ", et de ses recherches d'alliances avec des organisations qui n'ont rien à voir avec la classe ouvrière, appelait à voter indifféremment Arlette, Hue ou Voynet, politique qualifiée de " vote ouvrier ".
Le score d'Arlette en 95, même s'il n'a pas été confirmé dans les Municipales qui ont suivi, était bien le signe d'une transformation des consciences d'une fraction de la classe ouvrière et de la jeunesse, résultat de l'évolution de la situation sociale sous les coups de la crise économique et des désillusions vis-à-vis de la politique des partis de gauche.
Du fait même du succès électoral d'Arlette, la direction de LO se trouvait devant de nouvelles responsabilités. Mais au moment où il aurait fallu proposer une politique pour toute l'extrême gauche, s'ouvrir largement à ceux et celles qui se radicalisaient, elle s'est dérobée, déclarant l'appel à un nouveau parti " propagandiste " avant de le ranger aux oubliettes, sous prétexte qu'il était un objectif permanent mais éloigné dans le temps. Les 10 % de militants qui avaient pris cet appel au sérieux et voulaient en faire une politique ont été exclus en mars 97.
Après les Législatives de mai 97, suite à la bévue de la dissolution de l'Assemblée nationale par Chirac, si le retour de la gauche au gouvernement, peut faire croire que l'alternance fonctionne dans le cadre de la cohabitation droite-gauche, le gouvernement Jospin est bien impuissant à susciter un réel soutien dans les rangs du monde du travail. Le mouvement des chômeurs de décembre 97 révèle le gouffre qui s'est creusé avec les classes populaires. Et pour bien des militants du PC qui s'étaient jurés qu'ils ne recommenceraient pas la politique des années 81, la rupture avec leur direction s'approfondit.
Les Régionales de mars 98 qui donnent des élus à LO comme à la LCR témoignent de la permanence d'un électorat qui se détourne des politiques faillies de la gauche institutionnelle.

1999-2002 : la question d'un nouveau parti du monde du travail et de la jeunesse est posée
Aux Européennes de 1999, la dynamique d'une candidature commune, et d'une loi moins inique qu'en 2004, jouent dans le sens de l'élection, pour la première fois, de cinq députés révolutionnaires au Parlement européen. Mais LO et la LCR restent prisonnières d'une contradiction : la candidature commune accrédite l'idée du regroupement nécessaire des révolutionnaires alors qu'aucune des deux organisations ne se donne cette perspective.
Aux municipales de mars 2001, à nouveau, l'extrême gauche, malgré sa division, marque des points en envoyant des élus révolutionnaires dans les conseils municipaux.
La situation nouvelle ouverte par les luttes de 95 et l'accélération des ruptures des salariés avec la gauche transforment en profondeur l'extrême gauche. La Ligue se repositionne clairement en extériorité à la gauche gouvernementale.
En 2000, la fusion-intégration des militants de Voix des Travailleurs, issus de LO, dans la Ligue se fait dans une logique de regroupement des forces révolutionnaires, à rebours des politiques passées de scissions et d'exclusions.
Le basculement politique est confirmé à l'occasion du premier tour de la Présidentielle de 2002 par la sanction des candidats de la gauche et les trois millions de voix qui se sont portées sur les candidatures d'Olivier Besancenot et d'Arlette Laguiller.
Une candidature unique LO-LCR n'a pas été possible, du fait de la décision prise par LO sans discussion préalable avec la LCR.
Les 10,5 % des voix obtenus par LO, la LCR et le PT sont un score inédit pour l'extrême gauche.
Malheureusement, la présence de Le Pen au 2è tour, qualifiée de " séisme politique ", va occulter les résultats de l'extrême gauche.
La Ligue appellera à battre Le Pen " dans les urnes et dans la rue " par solidarité avec les milieux de gauche mais sans arriver à se démarquer nettement du Front républicain, et elle n'assumera pas la prise de position contre le vote Chirac des JCR. LO affirmera son refus de voter Chirac mais de façon sectaire. Face au Front républicain uni de la droite et de la gauche qui vise à faire de Chirac, le " défenseur de la République ", l'extrême gauche ne pourra pas exprimer, ensemble, un " non de classe " à Le Pen, à travers un " front révolutionnaire " en toute indépendance des politiques qui ont donné du crédit à Le Pen.
Pourtant, la jeunesse mobilisée entre les deux tours et les manifestations du Premier mai qui rassemblent 1,5 million de manifestants, témoignent d'une politisation en cours, mais sans véritable boussole politique.

2003-2004 : l'extrême gauche au milieu du gué…
Au printemps 2003, le mouvement contre la réforme des retraites et la décentralisation témoigne d'une nouvelle radicalité du mouvement social, une partie se libérant du vote Chirac qui lui avait été imposé. Face au refus des directions syndicales de préparer la grève générale, les militants d'extrême gauche se retrouvent les initiateurs et animateurs des collectifs de lutte, des interpros, qui voient le jour.
Malgré ses limites, c'est ce profond mouvement qui pousse la LCR et LO à se présenter unie aux élections Régionales et Européennes de 2004 sur la base d'un programme d'urgence sociale et démocratique en s'affirmant pour " le parti des luttes et des grèves ". Malgré leur faible score, les listes communes LCR-LO ont porté largement les revendications et les aspirations du mouvement du printemps.
Mais, reflet des échecs du mouvement social, les résultats électoraux n'ont pas été à la hauteur des espérances, sans être pour autant négligeables.
Prisonnières d'une conception d'auto-construction, héritée de leur passé de groupes rivaux face au stalinisme, les organisations révolutionnaires ont limité l'accord au seul plan électoral, la LCR ne l'intégrant pas dans la perspective d'une force politique nouvelle, LO arguant des faibles forces, même unies, de l'extrême gauche.


* * *

Aujourd'hui, l'extrême gauche est au milieu du gué. Elle a progressé sur le plan militant et électoral, certes avec des hauts et des bas, durant la période 1995-2004. Mais elle n'a pas pu capitaliser politiquement les avancées qui lui ont plus été imposées par la situation objective qu'elle n'en a fait une politique consciente de construction vers un parti révolutionnaire.
Pour que les pas en avant effectués sous la pression de la situation puissent être une étape vers l'ébauche d'un nouveau parti du monde du travail, les organisations révolutionnaires n'ont d'autre choix que, dans le cadre d'une politique en rupture avec le social-libéralisme, contribuer au regroupement politique des forces du monde du travail qui s'impose dans le contexte actuel.
Pour aller dans ce sens, les révolutionnaires ont besoin d'appréhender la situation nouvelle, les nouveaux clivages, pour se transformer et apprendre par la pratique les relations démocratiques en sachant en permanence mettre de côté ce qui est secondaire pour s'appuyer sur l'essentiel, les intérêts du monde du travail et les intérêts généraux du mouvement révolutionnaire.
La situation est ouverte car, comme cela est apparu à chaque nouvelle mobilisation, des réseaux de lutte existent qui n'ont pas été démantelés, et où l'extrême gauche agit dans le sens de l'unité. Dans les syndicats, les associations, parmi les militants de gauche en rupture comme parmi les salariés et la jeunesse, l'idée de l'unité de ceux qui ont les mêmes intérêts est une idée-force.
Cette idée-là, seuls des révolutionnaires qui n'ont pas de fil à la patte à cause de préoccupations et d'intérêts d'appareils, peuvent contribuer à lui donner vie.
Cette unité sur des bases de classe, autour d'un programme pour les luttes et d'un projet de transformation sociale, s'exprime à travers la perspective d'un parti révolutionnaire et démocratique dont on a vu les contours dans les grèves et les mobilisations mais dont il manque une conscience claire dans les rangs mêmes de ceux qui peuvent en être parmi les initiateurs.
Il ne peut émerger autour d'un regroupement selon un axe d'une " gauche de gauche ", dont les différentes moutures ont déjà été expérimentées mais en rupture claire avec le social-libéralisme et ses satellites qui cherche à regagner du crédit dans la perspective de la Présidentielle de 2007.

Sophie Candela- Valérie Héas

Contre la mondialisation libérale et impérialiste,
le socialisme, le communisme

La période que nous venons de vivre devait être celle de la " fin de l'histoire ". L'effondrement de l'URSS allait enfin laisser le champ libre à l'économie de marché pour ouvrir une ère de paix et de démocratie sans limite. Et il ne manqua pas de bons esprits pour expliquer que c'en était fini des idées du socialisme et du communisme, que toute révolution engendrait un totalitarisme, que le temps des " utopies " était passé…
Concentration du pouvoir entre quelques multinationales, renforcement de l'hégémonie américaine, le règne démocratique annoncé est celui des conseils d'administration des groupes financiers et des rapports de forces impérialistes. Guerres en Yougoslavie, en Irak, en Somalie, la nouvelle ère de paix commençait bien… pour les marchands de canons.
Du coup, la contestation sociale et politique a retrouvé une nouvelle jeunesse, notamment avec le mouvement alter mondialisation, mais aussi avec les luttes ouvrières. Et si l'effondrement du stalinisme a laissé croire aux tenants de la démocratie de marché qu'ils en avaient fini avec les idées communistes, de nombreux travailleurs et jeunes ont porté leurs suffrages vers l'extrême gauche, affirmant ainsi que la lutte pour transformer le monde était toujours d'actualité.
Dix années d'intensification des attaques patronales et gouvernementales font de l'unité des travailleurs une évidence, pour défendre leurs intérêts, pour conquérir leur indépendance de classe. De ce point de vue, la question du parti et la discussion sur son programme sont pratiques, concrètes. Quels bilans tirer de la période passée ? Vers où mène le développement du capitalisme ? Quelle est la logique de l'évolution du mouvement ouvrier ? Comment agir pour faire évoluer les consciences dans le sens de la perspective révolutionnaire ? Pour répondre à ces problèmes, le marxisme est une méthode indispensable, pour agir, anticiper en comprenant comment les rapports de forces entre les classes déterminent les évolutions en cours. Une nouvelle page est à écrire. Cela ne peut se faire que collectivement, en menant les débats largement, avec l'ensemble du mouvement social, et en priorité en confrontant et échangeant entre révolutionnaires de tous courants.

Les salariés, seule force démocratique et progressiste face à l'anarchie du marché
La violence de l'exploitation salariée et de l'anarchie du marché se révèle tout particulièrement dans ses conséquences les plus dévastatrices : vagues de licenciements, paupérisation, populations démunies face aux catastrophes. Mais au quotidien, l'appropriation du travail des salariés par la bourgeoisie montre de plus en plus son caractère parasitaire qui fait reculer la société, alors que dans des périodes de croissance forte, ce caractère était plus masqué.
Chaque événement révélant la brutalité du capitalisme fait ressentir à quel point ce système est devenu décadent, qu'il faudrait tout changer. Il montre aussi quelle force pourrait le faire, car c'est le travail collectif de millions d'hommes et de femmes, avec le dévouement simple de la conscience professionnelle, qui produit les richesses et répare les dégâts.
Ce ne sont pas les lois du marché, l'offre et la demande, qui créent les richesses. C'est le travail. Le marché n'est qu'un moyen pour transformer les biens produits en argent et permettre aux patrons qui vendent le produit du travail des salariés de réaliser leur plus-value. Il est anarchique, gaspilleur, parasitaire, et provoque en permanence des crises. Le marché, dominé par la concurrence aveugle et l'appropriation privée, ne fonctionnerait pas sans son contraire, l'organisation collective et internationale du travail, une production de plus en plus socialisée. Cette contradiction, inséparable de l'exploitation salariée, est au cœur de tous les problèmes… et indique la solution : une production socialisée, débarrassée du marché et de la propriété privée, sous le contrôle des travailleurs.
Marx écrivait dans le Manifeste " la bourgeoisie n'a pas seulement forgé les armes qui la mettront à mort ; elle a produit aussi les hommes qui manieront ces armes, les ouvriers modernes, les prolétaires ". Pour ne pas rester dominés par l'idéologie de l'adversaire, pour faire reculer le fatalisme, il faut affirmer cette perspective révolutionnaire, la faire partager largement, oser dire aux travailleurs que face à ce système fini, seule leur force collective luttant pour leurs droits sociaux et démocratiques est porteuse d'avenir.

La mondialisation capitaliste développe les conditions de la révolution internationale
La décennie qui s'achève a révélé aussi les conséquences de la mondialisation financière, à travers notamment le développement du militarisme et le renouveau des politiques impérialistes.
Les politiques de la canonnière, le pillage des pays pauvres, avec la complicité de leurs propres dirigeants, suscitent la révolte. Le 15 février 2003, nous étions 15 millions dans la rue contre la guerre impérialiste en Irak. Cette mobilisation internationale sans précédent révèle que la mondialisation a développé son contraire, une classe ouvrière internationale, dont les intérêts sont les mêmes, par-delà les frontières.
En combattant le capitalisme, Marx et Engels ont montré qu'il avait un caractère révolutionnaire, celui de bouleverser en permanence les rapports sociaux. Une des conséquences révolutionnaires de la mondialisation capitaliste est bien la création des conditions mêmes d'une nouvelle vague révolutionnaire, à l'échelle de la planète. Le mouvement ouvrier n'existe pas seulement dans les pays riches qui dominent le monde, mais aussi dans les pays dominés, même dans ceux qui sont les plus écrasés par l'impérialisme, comme l'Irak.
Prolétaires de tous les pays, unissons-nous ", écrivaient Marx et Engels en 1847. C'est aujourd'hui que la formulation de l'internationalisme révolutionnaire prend tout son contenu.

Militer pour l'émancipation des travailleurs par eux-mêmes
De même, l'idée que " l'émancipation des travailleurs sera l'œuvre des travailleurs eux-mêmes " gagne de nouvelles perspectives aujourd'hui.
Les évolutions récentes du capitalisme plongent dans la crise tous les appareils du mouvement ouvrier que la bourgeoisie avait peu à peu intégré dans la gestion de son système (PS et PC, confédérations syndicales). Leur intégration les a rendus dépendants de l'Etat et de la bourgeoisie, sur les plans politique, matériel et financier. Les travailleurs qui ont besoin de leur liberté d'action pour se défendre font l'expérience concrète que ces appareils sont des freins ou des adversaires et cherchent à s'en dégager. L'expérience de ces dernières années montre que les salariés et la jeunesse ne manquent pas d'énergie pour cela.
Dans les années qui viennent, les ruptures entamées avec ces appareils devenus des appendices de l'Etat dans le mouvement ouvrier, vont se poursuivre. Elles ont pour l'instant un double caractère, fatalisme et démoralisation d'un côté ; révolte, colère, volonté d'agir de l'autre. Les révolutionnaires ont un rôle irremplaçable à jouer dans cette évolution, dans ces transformations des consciences, pour que de l'action et des résistances mêmes se développe une conscience révolutionnaire et démocratique de plus en plus large, car la seule façon de conquérir une réelle indépendance, est de le faire au nom d'une politique de classe qui se donne pour objectif l'abolition de la propriété privée.
Là encore, le marxisme conserve toute son actualité. Dans le Manifeste, Marx explique que les communistes " n'ont point d'intérêts qui les séparent de l'ensemble du prolétariat ". Dans tous les mouvements " ils mettent en avant la question de la propriété à quelque degré d'évolution qu'elle ait pu arriver, comme la question fondamentale du mouvement ". C'est à l'origine de la démarche transitoire définie par Trotsky, par laquelle il s'agit d'établir les liens entre les luttes immédiates et le programme révolutionnaire, de faire prendre conscience au travers des luttes partielles que se jouent les contradictions fondamentales du capitalisme qui renvoient en fait aux questions du renversement de la propriété privée et de l'Etat.

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Ces idées sont notre fil conducteur. Lutte de classe, internationalisme, émancipation des travailleurs par eux-mêmes, capitalisme qui rend lui-même possible et nécessaire le socialisme, le communisme, notre lutte s'inscrit dans cette continuité du marxisme révolutionnaire, en toute solidarité et fidélité avec ceux qui ont mené ce combat dans les siècles passés. Comprendre, débattre, tirer les bilans de ce passé, comme de la décennie qui vient de s'écouler, est indispensable pour définir les tâches qu'impose la situation actuelle. Le débat nécessaire pour construire un nouveau parti démocratique et révolutionnaire du monde du travail implique le regroupement de tous ceux qui partagent cette perspective.
L'histoire du mouvement ouvrier est riche des luttes et de l'énergie pour conquérir son indépendance de classe. Cette énergie n'est pas entamée et se renouvelle sans cesse avec les nouvelles générations. A nous de nous emparer de ces idées et de les faire partager !

Franck Coleman