Nos
vux pour 2005 : une nouvelle solidarité internationale entre les
peuples
La
fin de 2004 aura été marquée par la terrible catastrophe
naturelle survenue en Asie du sud-est. Les raz de marée qui ont ravagé
à partir du 26 décembre les côtes de l'Océan indien
laissent aujourd'hui, et pour longtemps, une plaie vive dont il est difficile
d'évaluer les suites comme les conséquences.
Cette catastrophe est révélatrice du dénuement, de l'abandon,
de la misère, du sous-équipement des pays d'Asie dont les peuples
souffrent au plus profond d'eux-mêmes.
Au regard des sommes fabuleuses englouties dans les guerres, les spéculations
ou le luxe, de bien modestes investissements auraient sûrement permis
de sauver des milliers de vies humaines.
Elle révèle aussi et de façon dramatique à quel
point les discours sur la solidarité, l'humanitaire, sont pour les Etats
des grandes puissances des phrases creuses. Dans cette société
rien n'est fait pour assurer, garantir la solidarité humaine. L'égoïsme
des Etats, des classes dirigeantes, contraste avec l'élan de solidarité
dont les populations font preuve après la catastrophe.
Nous voulions, dans ce numéro de DM, revenir sur la décennie qui
s'achève, cette décennie qui a donné toute son ampleur
à l'expansion libérale et impérialiste.
Le drame que vivent les populations misérables d'Asie la dénonce,
la met en accusation, la condamne au regard de l'opinion mondiale.
Ce
premier numéro de l'année 2005 voudrait revenir sur les transformations
survenues depuis le début des années 90 dont il nous faut, par
delà les ravages et la catastrophe sociale qu'elles engendrent, essayer
de saisir la signification du point de vue des possibilités de transformation
du monde.
Après la chute du mur de Berlin en 89, cette décennie commence
avec l'offensive contre les classes ouvrières et les peuples dans laquelle
s'engagent les bourgeoisies impérialistes après la récession
de 1990, la première guerre contre l'Irak. L'effondrement de l'URSS sous
la pression des contradictions mêmes de la bureaucratie provoque une réaction
en chaîne, l'effondrement des faibles digues que les travailleurs et les
peuples avaient, par leurs luttes, leurs résistances, au prix de sacrifices
immenses, réussi à construire pour s'opposer à la rapacité
des classes dominantes impérialistes. Digues fragiles car construites
sous la direction de bureaucraties usurpatrices et parasitaires ou de forces
nationalistes bourgeoises.
Paradoxe, cet effondrement, c'était aussi l'effondrement de ces directions
étrangères aux classes populaires, s'imposant à elles par
leur dictature, en particulier le stalinisme étouffant toute vie démocratique
au sein du mouvement ouvrier.
D'où les traits contradictoires qui, du point de vue du mouvement ouvrier,
s'opposent et se conjuguent dans les reculs mais aussi les avancées qui
rythment ces années.
Ces contradictions sont au cur du contraste qui oppose 2003 à 2004.
2003, c'est le mouvement du printemps, l'apogée de la remontée
des luttes engagée depuis 95 mais aussi leur impuissance, enfermées
dans les cadres des vieilles organisations, à aller jusqu'au bout de
leur possibilité pour inverser le rapport de force. 2004, c'est le contrecoup
de cet échec, le succès du social-libéralisme qui se révèle
le meilleur soutien de la droite pour que patronat et gouvernement s'engagent
dans une nouvelle, plus large et plus profonde, offensive contre le monde du
travail.
Cette collusion, il y a peu appelée cohabitation, s'exprime sans ambages
dans leur oui commun à l'Europe financière et impérialiste
qu'ensemble ils ont construite.
Cette nouvelle étape à laquelle est confronté le mouvement
ouvrier ne signifie nullement un recul du mécontentement, de la révolte,
de la combativité, elle est plus simplement la concrétisation
de l'incurie des directions en place dominées par le social-libéralisme.
La combativité est présente dans tous les conflits en cours. Celui
d'H&M en est une des démonstrations dans le même temps que
l'incapacité des directions apparaît face à la remise en
cause des 35 heures. Dès janvier, l'exigence qui monte, pas uniquement
chez les fonctionnaires, d'une revalorisation des salaires, posera à
nouveau l'impérieuse nécessité de l'émergence de
nouvelles directions capables d'organiser une riposte de l'ensemble des salariés.
Malgré ses propres faiblesses, l'extrême gauche fait sienne cette
perspective, la place au cur de ses propres tâches. Elle se confond
avec le travail en vue de l'émergence d'un nouveau parti du monde du
travail.
On ne saurait dissocier les luttes et résistances quotidiennes du combat
général pour l'émancipation sociale.
Ce dernier donne leur sens à tous les combats partiels dans lesquels
chacun s'implique, il participe aussi et surtout de la conscience de classe
sans laquelle même les combats partiels sont compromis.
Nous avons bien des raisons d'avoir confiance. Cette confiance, c'est la confiance
dans le mouvement social lui-même qui saura, collectivement, trouver les
réponses à ses propres problèmes. Elle se nourrit d'une
volonté unitaire et démocratique.
L'heure est à resserrer les rangs, l'offensive réactionnaire nous
y oblige, les conditions politiques en existent. Les idées défendues
par Arlette Laguiller et Olivier Besancenot en 2002 ont trouvé un large
écho bien qu'il n'existe pas dans le pays un réel parti pour les
ancrer au sein du monde du travail. Les revers électoraux de 2004 ne
l'amoindrissent pas, ils s'inscrivent dans le revers qu'a connu l'ensemble du
mouvement social. Ils ne sauraient masquer l'écho rencontré par
les campagnes communes de la Ligue et de LO.
Aujourd'hui, nous nous retrouvons sur les mêmes orientations politiques.
Notre Non à la constitution de l'Europe financière et impérialiste
s'inscrit dans la continuité de notre campagne des Européennes.
Il doit permettre de nouveaux rapprochements comme chaque lutte ou résistance
locale en est aussi l'occasion au moment où s'opèrent de nouveaux
rapprochements avec bien des militants du Parti communiste ou proches de lui,
voire même des militants en rupture avec la social-démocratie devenue
social-libérale.
La
décennie passée est riche d'acquis et d'expérience. Certes,
bien des occasions ont été manquées, mais si nous savons
en tirer les leçons, de riches perspectives s'ouvrent devant nous.
Ce premier numéro de Débat militant de l'année 2005 voudrait
y contribuer.
Alors, camarades et amis, bonne lecture et tous nos vux pour que des bouleversements
en cours, des drames qu'ils engendrent, émergent cette solidarité,
cette coopération entre les peuples qui est l'avenir de l'Humanité.
Yvan
Lemaitre
L'effondrement
de l'URSS, prélude à l'offensive libérale et impérialiste
Il
y a quinze ans, à la fin de l'année 1989, alors que s'effondraient
en moins de trois mois, l'ensemble des dictatures staliniennes à l'est
de l'Europe, dirigeants impérialistes et presse occidentale célébraient
l'avènement d'un " nouvel ordre mondial ", la "
victoire de la démocratie contre le totalitarisme communiste ".
Le 9 novembre 1989, c'était la chute du Mur de Berlin. La monstrueuse
barrière érigée en plein cur de Berlin n'était
que la partie la plus visible de la frontière qui séparait en
deux, depuis la Guerre froide, l'Allemagne et sa population, familles et amis.
L'événement se produisit au terme de manifestations massives et
fut salué par une véritable liesse populaire. Quelques jours plus
tard, le 29 novembre, c'était la " révolution de velours
" en Tchécoslovaquie, et, du 21 au 25 décembre, le renversement
de la dictature des Ceaucescu en Roumanie.
Tous ces régimes étaient haïs de la population, ce qui permit
à la presse et aux dirigeants occidentaux d'accréditer l'idée
d'une " révolution contre le communisme ".
En réalité, il n'y eut de révolution que décidée
par en haut, les dirigeants de la bureaucratie soviétique s'étant
résolus ou résignés à lâcher leurs satellites
de l'Europe de l'Est. Le 7 octobre 1989, Gorbatchev qui s'était rendu
en RDA, s'était fait ovationner par les manifestants de Berlin qu'il
venait saluer. Quelques semaines plus tard, les 2 et 3 décembre, il était
invité par George Bush père, à Malte, pour discuter de
la transition à l'Est. Trois semaines plus tard, fin décembre,
éclatait la " révolution " roumaine, une révolution
soigneusement orchestrée au cours de laquelle on put voir se profiler,
derrière les nouveaux dirigeants " démocratiques " issus
de l'appareil de l'ancien régime, les visages des dirigeants de la sinistre
police politique de Ceaucescu.
Pour importants qu'ils fussent en eux-mêmes, ces bouleversements n'étaient
que la conséquence la plus visible des transformations qui s'opéraient
alors en URSS même. S'y était engagée, en effet, sous la
pression des contradictions internes à la bureaucratie soviétique,
la dernière phase de la contre-révolution commencée dans
les années 1920. Elle allait conduire à la restauration du capitalisme
en URSS et à l'intégration de l'ancien bloc soviétique
dans le monde impérialiste, faisant tomber les derniers obstacles au
développement du libéralisme impérialiste.
L'achèvement
de la dernière phase de la contre-révolution en Russie
Ce processus dont on peut dire qu'il a été complètement
achevé avec le vote par le parlement russe, en juin 2002, d'une loi autorisant
la propriété privée des terres agricoles, avait débuté
une quinzaine d'années auparavant à travers la crise politique
ouverte par la succession de Brejnev.
Les transformations opérées par Gorbatchev, les évolutions
entraînées ensuite par la surenchère nationaliste et réactionnaire
entre Gorbatchev et Eltsine, s'inscrivaient dans le contexte des débuts
de la mondialisation capitaliste, de l'offensive engagée par les trusts
et leurs Etats à la suite de la récession du début des
années 1980, pour éliminer les obstacles à leur pénétration
dans les sphères de l'économie mondiale qui leur échappaient.
Avec l'éviction de Gorbatchev par Eltsine et la dislocation de l'URSS,
en décembre 1991, il était évident à l'époque
que ces événements pouvaient conduire à la restauration
du capitalisme et de la propriété privée dans l'ancienne
Union soviétique. Mais on ne pouvait hypothéquer alors le fait
qu'une possible résistance des travailleurs soviétiques puisse
non seulement stopper cette évolution, mais même déboucher
sur une crise révolutionnaire. Tel avait été du moins le
raisonnement militant qui avait poussé Trotsky à ne pas remettre
en cause le caractère "ouvrier" de l'Union soviétique
alors même que les masses ouvrières et paysannes avaient perdu
depuis longtemps le pouvoir politique et que la contre-révolution bureaucratique
avait ramené le vieux fatras des privilèges bourgeois, sans pour
autant réussir à restaurer la propriété privée
ni même tenter de le faire.
Même 50 ans plus tard, alors que la bureaucratie soviétique était
devenue un des éléments déterminants du maintien de l'ordre
impérialiste à l'échelle mondiale et qu'une fraction d'entre
elle, militant ouvertement pour la restauration capitaliste en URSS, était
parvenue au pouvoir, cet achèvement de la contre-révolution n'était
pas encore accompli. Tout en étant orientée de façon prioritaire
en fonction des besoins de la bureaucratie, l'économie soviétique
ne reposait encore ni sur la propriété privée ni sur le
marché et sa concurrence.
Il y eut des résistances importantes à la dégradation des
conditions de vie entraînée par la désétatisation
de l'économie. En 1993, sous la forme d'une mobilisation contre le coup
de force de Eltsine contre le Parlement, puis à travers de nombreuses
grèves de salariés, en particulier en 1995, avant que Eltsine
ne réussisse à se faire élire Président de la Fédération
de Russie en 1996.
Mais ces mobilisations ne furent ni assez étendues ni assez profondes
pour pouvoir déboucher sur un mouvement convergent et conscient de ses
intérêts propres. Il y manquait surtout une perspective politique.
L'objectif du seul maintien de l'ordre existant, qui se confondait pour beaucoup
avec la dictature de la bureaucratie et la pénurie, ne pouvait en constituer
une capable de mobiliser les énergies.
Le pouvoir de Eltsine conforté par sa réélection en 1996,
le mouvement de privatisation qui avait marqué le pas jusqu'alors, s'accéléra.
Avec la restauration de la propriété privée du sol et,
parallèlement, l'intégration de la Russie en tant que membre permanent
au G8 dont elle assurera la présidence en 2006, comme son admission au
sein de l'OMC, s'est définitivement close la période ouverte par
la révolution de 1917.
Les
contradictions de la nouvelle période ouvrent des possibilités
nouvelles
Il fallut ainsi une dizaine d'années pour effacer ce qui restait encore
des traces de la révolution dans les rapports sociaux.
Dans les pays du glacis, l'étatisation de l'économie n'avait été
qu'imposée de l'extérieur par la bureaucratie soviétique
et elle s'était accompagnée d'une terreur comparable à
celle que faisait régner Staline en URSS même. Réalisée
dans le cadre des frontières étriquées imposées
par le traité de Versailles après la Première guerre mondiale,
elle n'avait pas permis le développement économique qu'avait connu
l'Union soviétique. Les régimes des démocraties populaires,
d'emblée vomis par la population, ne tenaient que parce qu'ils étaient
soutenus militairement par l'URSS. C'est ce qui explique la rapidité
de leur effondrement en 1989, à partir du moment où les dirigeants
de la bureaucratie décidèrent de les lâcher.
Autrement plus vivaces ont été les rapports sociaux en URSS, parce
qu'issus de l'initiative même des masses, de l'expropriation des classes
dirigeantes, d'une révolution s'inscrivant consciemment dans le combat
mondial des opprimés pour leur émancipation.
Même après qu'elle eut réduit les masses ouvrières
et paysannes au silence, au début des années 1930, au terme de
ce qu'on pourrait appeler une véritable guerre civile à rebours,
la bureaucratie n'osa pas opérer une restauration du système capitaliste.
C'est dans le cadre des rapports sociaux hérités de la révolution
qu'elle était contrainte d'exercer son pouvoir et ses privilèges,
se sentant menacée aussi bien par l'impérialisme que par un sursaut
de la classe ouvrière qu'elle craignait plus encore.
Non seulement l'économie soviétique fut soustraite, pendant plusieurs
décennies, à l'emprise de l'impérialisme, mais elle permit
aux peuples qui s'étaient révoltés contre la domination
coloniale, d'y échapper également dans une certaine mesure. Non
que la bureaucratie ait fait quoi que ce soit pour venir en aide aux peuples
lorsqu'ils se révoltaient mais du fait de l'existence même de l'URSS,
d'une économie avec qui commercer.
C'est ainsi qu'à l'inverse, la disparition de l'URSS permit à
l'impérialisme de reprendre pied dans nombre de ces pays et d'ouvrir
leur économie au pillage de ses trusts. Il l'a fait d'autant plus facilement
que les régimes issus des révolutions coloniales qui avaient été
dirigées par des forces nationalistes bourgeoises, n'étaient pas
anti-impérialistes, mais cherchaient simplement à négocier,
auprès de l'impérialisme, la possibilité d'un développement
économique indépendant. La force de la révolution anti-coloniale
leur avait permis d'y prétendre, comme la force de la révolution
russe d'y parvenir.
Car ces obstacles dressés contre la pénétration de l'impérialisme
l'ont été par les peuples, par leur révolte et leur résistance.
Ils ont finalement été renversés par le libre-échange
impérialiste et son offensive politique et militaire, mais auparavant,
ils avaient été sapés tant par la bureaucratie soviétique
que par leurs nouvelles classes dirigeantes qui protégeaient leur parasitisme
par des dictatures.
Ce sont ces éléments contradictoires qui ouvrent de nouvelles
possibilités dans la situation créée par l'effondrement
de l'URSS. Ce verrou sautant, les barrières que les peuples avaient opposées,
dans le cadre des rapports de force issus de la révolution russe puis
les révolutions coloniales, au pillage impérialiste, ont cédé
et sont abattues les unes après les autres.
Mais en même temps, la bureaucratie soviétique a constitué,
pendant la dernière période, un élément clé
de la stabilité de la domination impérialiste. Elle contribuait
au maintien de l'ordre social contre les révoltes ouvrières et
populaires, dans sa zone d'influence, tandis que bouc émissaire idéal,
la " menace communiste " servait à justifier toutes les guerres
impérialistes contre les peuples. Aujourd'hui, même s'il a remplacé
la " lutte contre le communisme " par la " lutte contre le terrorisme
", l'impérialisme est incapable de trouver une légitimité
aux yeux des populations, il se montre à nu, dans toute sa violence et
sa rapacité, il ne peut que susciter la révolte et le besoin d'armer
cette révolte des idées de l'émancipation sociale. La disparition
du stalinisme qui avait défiguré celles-ci après les avoir
usurpées ouvre la voie à une renaissance des idées révolutionnaires,
communistes et internationalistes.
Galia
Trépère
De
la récession du début 90 au krach des nouvelles technologies,
vers une nouvelle phase du vieillissement du capitalisme
Au milieu de l'année
2000, krach des nouvelles technologies et récession économique
concluaient une décennie marquée par l'accélération
de l'offensive libérale menée contre les travailleurs et les peuples
par les bourgeoisies des pays impérialistes depuis les années
80.
Ces dix années ont été celles de l'avènement de
la mondialisation, la généralisation au monde entier d'un nouveau
capitalisme de libre concurrence, caractérisé par la domination
du capital financier et l'exacerbation de la concurrence entre firmes multinationales.
Bien loin de la prospérité, de la démocratie et de la paix
promises, le "triomphe de l'économie de marché",
célébré après l'effondrement de l'URSS, a conduit
le monde dans un nouvel enchaînement de booms spéculatifs et de
crises, de tensions internationales et de guerres.
La
mondialisation libérale et impérialiste, résultat de 20
ans d'offensive contre le monde du travail
Confrontée à la baisse de ses taux de profits dans les années
70, la bourgeoisie s'était depuis lancée dans une vaste offensive
contre le monde du travail et les peuples pour diminuer leur part dans la répartition
des richesses, en revenant sur toutes les concessions qu'elle avait dû
leur faire dans le passé.
Au début des années 1980, les gouvernements des grandes puissances,
à l'initiative des Etats-Unis, entreprirent de lever toutes les barrières,
règlements financiers, droits de douanes, qui s'opposaient à la
libre circulation des capitaux. A la fin de cette décennie, toutes les
spéculations étaient devenues possibles 24h sur 24 à travers
toute la planète, ouvrant la voie à la marchandisation du monde.
Cela s'accompagna de la remise en cause de tout ce qui pouvait limiter le droit
des capitalistes à faire du profit, secteurs publics, couvertures sociales,
législations du travail.
Cette offensive connut une nouvelle accélération, ou bien plutôt,
une véritable fuite en avant après la récession des années
1990-92. L'espace de développement capitaliste étant clos, cette
nouvelle phase a vu l'exacerbation de la concurrence entre les firmes multinationales
et des attaques contre les peuples et la classe ouvrière mais aussi une
montée des rivalités internationales pour la domination du monde.
Une nouvelle
concentration gigantesque du capital : le monde mis en coupe réglée
par les géants de la finance et de l'industrie
Sous l'impulsion de cette concurrence exacerbée, de gigantesques fusions,
rachats et autres OPA, ont donné naissance à des groupes industriels
et financiers qui, à quelques dizaines, contrôlent aujourd'hui
toute l'économie mondiale.
Grâce à la révolution des moyens de transport et de communication,
ces firmes multinationales organisent leurs activités à l'échelle
de toute la planète. En position de monopole, elles imposent les prix
des matières premières, déterminent la production de pays
entiers, la vie de centaines de millions d'hommes.
Leurs profits colossaux ne pouvant se réinvestir dans la production sont
l'objet de vastes opérations financières, monétaires ou
boursières. Les firmes multinationales sont avant tout des groupes financiers
à la recherche de la meilleure rente pour leurs capitaux. Toute la vie
sociale, la politique des Etats sont subordonnées aux intérêts
à très court terme de la finance.
Loin d'ouvrir une période de croissance pour l'ensemble de la société,
la libre circulation des capitaux financiers à l'échelle du monde
a engendré une croissance destructrice pour la majorité de la
population.
Le parasitisme
de la finance ravage les économies des pays pauvres
Ainsi, le pillage colonial a fait place à un nouveau colonialisme financier
qui, par le biais de la dette aux intérêts exorbitants, entraîne
un flux de richesses des pays les plus pauvres vers les pays riches.
Et les ravages de la finance ne touchent pas que les pays pauvres
Des
pays qui, il y a quelques années, étaient présentés
comme des modèles de réussite économique, comme l'Argentine,
ont subi dans la dernière décennie une série de krachs
et d'effondrements financiers quand les capitaux qui y avaient afflué
à l'affût de profits rapides se sont retirés brutalement
pour aller s'investir ailleurs.
La finance est une arme dans les mains des bourgeoisies des grandes puissances
et avant tout, celle des Etats-Unis, pour soumettre les Etats et les peuples
et leur imposer leurs volontés. La logique destructrice du développement
capitaliste s'applique maintenant à l'échelle de toute la planète,
l'accumulation de richesses entre les mains d'une minorité entraîne
un recul général pour le reste de l'Humanité.
Une envolée
des profits qui repose sur un endettement généralisé
Cette croissance de la finance déconnecte de plus en plus le capital
de l'activité productive, car la seule chose qui compte pour la bourgeoisie,
c'est la rente financière. C'est elle qui se redistribue et se concentre
sur les marchés financiers.
Ces masses grandissantes de capitaux ne correspondent plus à la production
de biens matériels qui, elle, reste limitée par la consommation
réelle, d'autant plus que celle-ci est réduite par les attaques
contre les classes populaires.
La bulle financière qui dévore l'économie réelle
et menace de l'étouffer repose sur le crédit, sur un endettement
généralisé. Les entreprises comme les Etats dont le plus
puissant, les Etats-Unis, sont endettés sur les places financières
où ils commercialisent leurs dettes comme autant de droit à exiger
des dividendes sur les profits à venir.
Si l'espoir dans
la possibilité de faire de nouveaux profits existe, l'endettement peut
continuer, de nouveaux crédits alimentent de nouvelles dettes faisant
gonfler la bulle financière. Mais si le doute s'installe, les capitaux
s'enfuient encore plus vite qu'ils ne sont venus et c'est le krach.
Des illusions
dans la " nouvelle économie " au krach des nouvelles technologiques
C'est ainsi que les réelles transformations apportées dans toute
l'activité économique par le développement de l'informatique
et des télécommunications ont entraîné une fièvre
spéculative sur les "nouvelles technologies" qui, selon les
économistes, étaient la base d'une "nouvelle économie"
devant permettre une croissance sans fin. Dans les années 90, des masses
de capitaux énormes se sont investies dans ce secteur lui donnant un
essor sans commune mesure avec la réalité. Les start-up se sont
multipliées, en quelques mois elles ont été cotées
à la Bourse puis ont vu rapidement le cours de leurs actions s'envoler.
Mais l'illusion n'a duré qu'un temps, derrière ce nouveau miracle
économique il y avait certes une réelle révolution technologique
mais surtout une nouvelle frénésie spéculative, une nouvelle
bulle venant alimenter la bulle financière globale qui a fini par éclater.
Le boom des nouvelles technologies s'est achevé par le krach des années
2000 2001 qui a vu les cours de la Bourse chuter après des années
de hausse record, et une nouvelle récession toucher l'économie
mondiale.
La ruine des illusions dans les possibilités ouvertes par la "nouvelle
économie" a laissé la place à une nouvelle offensive
libérale qui s'est traduit à l'échelle du monde par un
redéploiement militaire de l'impérialisme suite aux attentats
du 11 septembre 2001.
2000-2001, le
"nouvel ordre mondial", cadre de l'exacerbation des rivalités
entre les nations
La création d'un vaste marché unique n'a pas fait disparaître
la lutte pour le partage du monde et l'appropriation des richesses, bien au
contraire, la mondialisation a entraîné la mise en concurrence
de toutes les nations.
Si, de par leur puissance économique, les Etats-Unis ont imposé
leur hégémonie depuis l'après-guerre, cette position dominante
concentre sur elle toutes les rivalités, les remises en cause. Plus aucune
région du monde n'échappant aux rapports capitalistes, la concurrence
est devenue plus dure entre les vieilles puissances impérialistes, les
Etats-Unis, et l'Europe mais aussi entre elles et de nouvelles puissances économiques
comme la Chine.
Le monde est en train de se réorganiser autour de nouvelles zones d'influences,
en fonction d'un rapport de force économique en pleine transformation.
Dans cette redéfinition des rapports internationaux, les Etats-Unis sont
à l'offensive économique et militaire pour défendre leur
hégémonie. Les vieilles puissances européennes tentent
de surmonter leur division en construisant une Europe libérale, machine
de guerre dans leur concurrence contre les Etats-Unis.
Mais de nouvelles nations en plein essor économique comme la Chine peuvent
modifier ces vieux rapports impérialistes. La Chine, en quelques années,
est devenue "l'usine du monde", réalisant une part croissante
de la production mondiale et des exportations vers les Etats-Unis et l'Europe.
Cet essor économique qui attire bien des investisseurs, se traduit par
une augmentation des prix des matières premières qui a des répercussions
sur les économies des Etats-Unis et de l'Europe.
Ainsi, dans la redéfinition des rapports internationaux, engendrée
par la mondialisation, chacun cherche à peser pour élargir sa
propre zone d'influence. Ces rivalités, ces tensions à travers
lesquelles s'évaluent les rapports de forces économiques ne font
qu'accroître l'instabilité et les tensions.
L'offensive
libérale a abouti à une phase du capitalisme qui combine la libre
concurrence des capitaux et des nations et la violence impérialiste pour
la domination du monde et le pillage des peuples. La mondialisation financière
de la décennie précédente a entraîné une mondialisation
militaire qui crée un état de guerre permanent.
L'émergence
d'une classe ouvrière internationale
Cette décennie d'offensive libérale a considérablement
modifié les rapports entre les peuples. Les mouvements de capitaux ont
contribué à faire naître partout dans le monde de nouvelles
entreprises travaillant pour le même marché mondial, créant
une véritable classe ouvrière internationale.
La mondialisation contribue à développer et unifier cette classe
ouvrière, d'autant que sa principale conséquence est la mise en
concurrence à l'échelle de la planète des salariés
de tous les pays. Et cette mise en concurrence touche aujourd'hui toutes les
catégories de salariés, même celles qui avaient pu se considérer
comme privilégiées dans les pays riches du fait de leurs qualifications.
C'est cette mise en concurrence sur un même marché mondial par
les mêmes firmes multinationales, des salariés des pays riches
et pauvres qui peut être la base de l'émergence de la conscience
d'appartenir à une même classe soumise à la même exploitation.
Parce que la folie de la course au profit ne connaîtra d'autres limites
que celles que lui imposeront les luttes des travailleurs et des peuples, parce
que toutes les luttes contre les différentes conséquences de la
mondialisation ne peuvent être menées sans une remise en cause
de fond du fonctionnement même du système capitaliste, la mondialisation
crée les conditions objectives d'un renouveau du mouvement ouvrier révolutionnaire
international.
Charles
Meno
1995-2004
: le renouveau du mouvement social confronté à ses propres limites
politiques
Les
grèves de novembre-décembre 1995, précédées
des 5 % d'Arlette Laguiller aux Présidentielles, ont constitué
un tournant pour le mouvement social. Alors que Chirac succède à
Mitterrand, les salariés se remobilisent face à l'offensive de
la bourgeoisie. Les militants de gauche, en particulier PC et CGT, libérés
des solidarités gouvernementales, sont partie prenante du premier grand
mouvement social depuis le début de la crise. La chape qui pesait sur
les travailleurs depuis quinze ans se soulève.
Cette remontée ouvrière se fait dans un contexte nouveau :
le discrédit des syndicats, l'effondrement du stalinisme et l'achèvement
de l'évolution social libérale du PS. Le mouvement social se transforme,
une nouvelle conscience se forge à travers les luttes contre les dégâts
de l'offensive capitaliste.
Retour
sur 1980-1995 : quand la gauche initie l'offensive libérale et désarme
la classe ouvrière
Dans les années 80, face à la crise de l'économie, tous
les gouvernements s'attaquent aux travailleurs. En France, c'est le gouvernement
Mitterrand-Mauroy, avec quatre ministres communistes, qui prend en charge la
libéralisation de l'économie. C'est la " réconciliation
du socialisme avec la Bourse " selon les mots de Bérégovoy.
En 1983, Mitterrand appelle à " redoubler d'énergie
et de ténacité pour le redressement national " :
les salaires sont bloqués, les dépenses publiques réduites.
Les plans de licenciements débutent. Face aux OS de l'automobile en grève,
dont beaucoup sont immigrés, Mauroy et Deferre utilisent la démagogie
la plus crasse, parlant de " chiites ", " étrangers
aux réalités sociales de la France ".
En avril 1984, alors que la Lorraine est paralysée par la grève
de la sidérurgie, les députés communistes votent la confiance
au gouvernement. Dans les syndicats, la contestation est étouffée :
des militants sont écartés, des sections entières sont
exclues, tant de la CFDT que de la CGT. La démoralisation s'empare de
bien des militants confrontés aux reniements de leurs partis. Dans les
couches populaires, le désarroi gagne : en 1983, à Dreux,
le FN fait pour la première fois 17,6 % aux Municipales.
La bourgeoisie utilise la pression de la crise pour baisser le coût de
la force de travail en restructurant et licenciant (entre 1980 et 1998 la productivité
augmente de 55 %). Les syndicats, eux, se vident : alors que 23,1 %
des salariés étaient syndiqués en 1973, ils ne sont plus
que 12,3 % en 1988 et 9,1 % en 1995.
1995 :
" Tous ensemble ! ", une liberté retrouvée
Après 15 ans de coups encaissés sous le carcan imposé par
le social-libéralisme et le stalinisme, 1995 marque une rupture, le début
de la remontée des luttes ouvrières.
Il y a bien eu, entre 1986 et 1988, la lutte pour les salaires des cheminots
et des hospitaliers qui ont vu, à l'initiative de militants d'extrême-gauche,
la constitution de " coordinations " en marge des syndicats
discrédités et paralysés. Mais malgré leur combativité,
ces luttes sont restées dominées par le corporatisme.
En 1995, l'arrivée de Chirac et de Juppé libère les militants.
L'annonce de l'allongement des cotisations retraites des salariés du
public (que Balladur a imposé au privé en 1993 sans réaction
des syndicats) déclenche le mouvement. C'est un grand bol d'air pour
les militants, en particulier CGT et PC de la SNCF, qui se mesure à l'ampleur
des manifestations, leur dynamisme et le slogan repris dans tous les cortèges
du pays pendant plusieurs semaines : " Tous ensemble, tous
ensemble ! ", même si, à quelques exceptions
près, la grève ne dépasse pas le secteur public.
La classe ouvrière se retrouve. Malgré l'absence de perspectives
des directions syndicales et l'empressement de la CGT à appeler à
la reprise du travail à la SNCF qui provoque l'amertume d'un certain
nombre de militants, la grève a fait reculer le gouvernement sur les
retraites. Des dizaines de milliers de travailleurs ont vérifié
que l'action collective peut transformer le rapport de forces.
1997-2001,
la gauche " plurielle " revient au gouvernement et continue
l'offensive
En 1997, Jospin succède à Juppé
et continue l'offensive
avec la participation de ministres communistes dont Gayssot au Transport. Alors
que la bourgeoisie licencie, confrontée à une aggravation de sa
crise, les lois Aubry sur les 35 h imposent l'annualisation du temps de travail,
la flexibilité et remettent en cause de nombreux droits. Jospin commande
le rapport Roché qui prépare les attaques contre les fonctionnaires.
Dans l'Education, Allègre s'en prend au " Mammouth ",
provoquant un large mouvement.
Et la gauche repart à l'offensive sur les retraites : le rapport
Charpin préconise 42,5 annuités pour tous. Le Medef, enthousiaste,
en demande 45. Thibault, lui, demande " que le gouvernement ouvre
un nouvel espace de négociations permettant aux organisations syndicales
de s'exprimer sur le contenu du rapport et sur les alternatives qui n'ont pas
forcément été étudiées à fond "
Et alors que, de 1997 à 2001, plus de 1000 plans sociaux sont annoncés
chaque année, Guigou instaure le Pare contre les chômeurs accusés
de ne pas chercher de travail.
Une
nouvelle conscience se construit dans la lutte contre les licenciements
La lutte contre les licenciements est devenue la question sociale et politique
essentielle. En 97, contre la fermeture de Renault Vilvorde, 70 000 personnes
manifestent à Bruxelles. Un an plus tard, Aubry explique : " des
entreprises ont aujourd'hui besoin de licencier parce qu'elles perdent des marchés,
qu'elles ont besoin de se moderniser ". Fin 1999, Michelin annonce
7500 suppressions d'emplois et l'augmentation de 20 % de ses profits. Jospin
déclare alors : " Je ne crois pas que l'on puisse désormais
administrer l'économie (
) Ce n'est pas par la loi, les textes,
qu'on régule l'économie.(...) Tout le monde admet le marché ".
En 2001, la crise s'amplifie après le krach de la nouvelle économie.
Le "marché" exige de nouveaux licenciements : Lu-Danone,
Marks & Spencers, Moulinex, les plans "sociaux" se multiplient.
Jospin présente sa loi de "modernisation sociale" : " Nous
n'irons pas dans le sens d'une interdiction des licenciements parce que nous
serions alors le seul pays au monde à imaginer qu'on puisse interdire
par décret les licenciements ". Mais il annonce "des
assouplissements" de la loi sur les 35 heures et vante " le
dialogue nécessaire avec les syndicats car ce n'est pas seulement le
législateur qui peut régler les problèmes sociaux dans
les entreprises "
Pour le PCF, Hue est on ne peut plus clair :
" S'agissant
des amendements communistes -préparés avec les organisations syndicales,
notamment la CGT-, ils ne justifient nullement l'accusation de "surenchère" :
aucun ne demande l'interdiction des licenciements notamment boursiers ni ne
propose un droit de veto pour les comités d'entreprises ".
Le PC va voter la loi tout en appelant, sous la pression des militants, à
la manifestation du 9 juin 2001 à l'initiative de sections syndicales
LU en lutte contre les licenciements. Malgré le boycott des confédérations
syndicales, la manifestation rassemble plusieurs dizaines de milliers de personnes.
L'interdiction des licenciements défendue par Arlette Laguiller en 95
est devenue la revendication d'une fraction du monde du travail " contre
la dictature des actionnaires ". Le débat traverse tous
les milieux militants et pose le problème de la propriété
capitaliste : est-il possible d'interdire les licenciements, comment contrôler
les comptes des entreprises ?
De nouveaux secteurs de la classe ouvrière entrent en lutte, parmi les
plus exploités et les plus jeunes : les précaires de chez
MacDo, Pizza Hut, EuroDysney, les femmes de ménage immigrées du
groupe Accor
Parallèlement, le mouvement altermondialiste qui affirme
qu'un " autre monde est possible " attire un nombre
grandissant de jeunes.
En avril 2002, la combativité montante de la classe ouvrière s'exprime
dans le vote pour l'extrême-gauche qui dépasse les 10 %. C'est
la déroute pour les partis de gauche : au deuxième tour, ils se
rangent derrière Chirac "contre" Le Pen.
Mai-juin
2003, apogée de la remontée ouvrière
Fort d'un tel ralliement, Chirac amplifie l'offensive contre le monde du travail.
La "réforme" des retraites est engagée. La gauche l'a
préparée et les syndicats y participent au sein du Conseil d'orientation
des retraites. Début 2003, un front intersyndical comprenant CGT et FSU
se constitue sur les positions de la CFDT, affirmant en préambule " la
nécessité d'une réforme ".
Mais la mécanique qui semble bien huilée est bousculée
par le vote des salariés d'EDF qui refusent l'accord que les syndicats,
dont la CGT, les appellent à ratifier. Ce désaveu encourage l'ensemble
des salariés au moment même où, dans l'Education nationale,
démarre un puissant mouvement de grève contre les effets de la
décentralisation. Les enseignants contraignent la FSU à suivre
le mouvement qui est tiré en avant par les jeunes professeurs. Des coordinations
se créent à l'initiative de militants d'extrême-gauche,
de même que des collectifs interpro : bien que minoritaires, ils
affirment l'unité nécessaire des salariés du public et
du privé et le besoin de la prise en main de la lutte par ses acteurs
eux-mêmes. Dans les manifestations, les " 37,5 ans pour tous "
s'imposent malgré les directions syndicales. Au " Tous ensemble "
de 1995 s'ajoutent de nouveaux slogans : " Partage des richesses "
et " Grève générale ! ".
En face, Raffarin claironne que " ce n'est pas la rue qui gouverne ".
La gauche lui fait écho, sur son propre registre. Au soir du 13 mai,
Hollande déclare " notre travail d'opposant ne se limite
pas à contester, il est de proposer une alternative, une véritable
réforme ". Buffet explique que " plus la mobilisation
est forte, plus cela donne de moyens aux parlementaires pour s'opposer au projet ".
Pour tous, l'urgence est de passer de la rue au Parlement. Le 12 juin, Thibault
annonce
une " grande consultation nationale des salariés,
de notre pays, à l'adresse des députés et des sénateurs ".
Le
mouvement social rattrapé par ses limites politiques : l'absence
d'un projet de transformation sociale
Au moment où Thibault demande aux travailleurs de remettre leur sort
entre les mains du Parlement, le mouvement marque le pas face à ses propres
limites. Il y a une méfiance réelle dans les appareils syndicaux
et politiques mais, en l'absence de direction alternative, en absence de son
propre projet social, la classe ouvrière est désarmée.
Pourtant, en plein été au Larzac, Bové promet un " mois
de septembre brûlant ". Beaucoup voudraient y croire, mais
tous les militants sentent que la situation leur a échappé au
moment où il aurait fallu franchir une autre étape, lier la lutte
à la contestation de l'ensemble de la société, faire le
lien entre la question sociale et la question politique. Faute de cela, le mouvement
se trouve dépossédé de lui-même, soumis à
ceux qui, comme Bové, flattent l'apolitisme à coup de proclamation
et gomment ainsi les responsabilité des appareils, refusant de tirer
les bilans de l'échec.
Aussi, quand le gouvernement, fort de l'avantage, s'attaque à la Sécu
et à la privatisation d'EDF, le mouvement social se trouve dans l'incapacité
de l'affronter. A nouveau, les directions syndicales se placent sur le terrain
du gouvernement, partageant son " diagnostic " et demandant
une " bonne réforme ".
Pris au piège des limites de la lutte syndicale et du corporatisme, ne
parvenant pas à se dégager du poids de l'idéologie social-libérale,
les travailleurs ne peuvent faire face à la détermination de la
bourgeoisie. La combativité des salariés d'EDF ne peut compenser
l'absence de perspectives politiques.
Plus que jamais, l'échec du mouvement et la guerre menée par la
bourgeoisie au monde du travail posent le problème de lier la lutte quotidienne
à la contestation de la société capitaliste.
Carole
Lucas
1991-2002
: d'une guerre du Golfe à l'autre, libéralisme et militarisme,
le vrai visage du nouvel ordre mondial
L'aventure
de la deuxième guerre contre l'Irak dans laquelle Bush s'engagea suite
aux attentats du 11 septembre, illustre les difficultés de l'Administration
américaine à définir des objectifs politiques à
ses grandes manuvres. Mensonges, fuite en avant, violence, sont les ressorts
de cette politique aveugle dont ni Bush ni le Pentagone ne sont capables de
prévoir les conséquences. Leurs troupes dont ils laissaient croire
qu'elles allaient être accueillies en libératrices par le peuple
irakien, s'enlisent aujourd'hui dans le bourbier de l'occupation militaire,
confrontées à la résistance de l'ensemble de la population
irakienne.
Cette situation est un nouvel épisode de l'offensive libérale
et impérialiste ouverte par la première guerre contre l'Irak,
en 1991. Cette guerre, selon le secrétaire de la défense d'alors,
Dick Cheney, représentait la " préfiguration du genre
de conflit que nous pourrions connaître dans la nouvelle ère
Outre l'Asie du Sud-Ouest, nous avons des intérêts importants en
Europe, en Asie, dans le Pacifique et en Amérique latine et centrale.
Nous devons configurer nos politiques et nos forces de telle sorte qu'elles
dissuadent ou permettent de vaincre rapidement de semblables menaces régionales
futures ".
Redéploiement
impérialiste
L'effondrement de l'URSS au début des années 90 privait les Etats-Unis
de la puissance rivale mais complice avec laquelle ils partageaient le maintien
de l'ordre mondial. Ils devaient faire face à ce vide, juguler leurs
propres alliés pour maintenir et consolider leur hégémonie,
contenir les peuples.
Saddam, la créature des Américains, qui avait mené pour
leur compte huit ans de guerre contre l'Iran islamiste de Khomeiny hostile aux
USA, devenait un allié encombrant, incontrôlé. Croyant pouvoir
agir en toute impunité, il envahit le Koweït le 2 août 1990
pour faire face à une dette colossale que les banquiers américains
rechignaient à reéchelonner, par l'annexion de ce petit Etat,
ancienne partie de son territoire décrété indépendant
par le colonisateur britannique et renfermant 10 % de ses ressources pétrolières.
L'impérialisme américain saisit l'occasion de la violation du
territoire de l' " Etat souverain " du Koweït, pour
se retourner contre Saddam.
Les puissances impérialistes coalisées derrière leur chef
de file, Bush-père, agitèrent alors l'épouvantail du nouvel
Hitler, à la tête de la quatrième armée du monde,
menaçant l'ordre mondial, pour préparer l'opinion de leurs populations
à la guerre. Sept cent mille soldats de 26 pays, 4000 chars, 1500 avions
et 300 navires de guerre furent massés autour de l'Irak, avant que soit
lancée l'offensive terrestre sur le sol irakien, du 24 au 28 février
1991. Cette première manifestation du "nouvel ordre mondial"
se fit sous l'égide de l'ONU, les USA ayant besoin de soutien et de faire
s'engager les puissances occidentales, ses alliées-rivales.
Le 6 août 90, au lendemain de l'invasion du Koweït, la résolution
661 de l'ONU instaurait un embargo commercial, financier et militaire contre
l'Irak, et le 25 août, la résolution 665 autorisait le recours
à la force pour faire respecter cet embargo.
Les dirigeants impérialistes affirmèrent que leurs objectifs étaient
la libération du territoire du Koweït et le respect des frontières
mises en place par les puissances coloniales, mais aussi celle du peuple irakien,
et la démocratisation de l'Irak, débarrassée de son dictateur.
Il n'en fut rien. La population irakienne paya le prix fort de cette guerre
"chirurgicale", "ciblée" et de ses conséquences,
qui coûtèrent la vie à près de 280 000 Irakiens,
pour la plupart civils. Elle subit ensuite les conséquences de l'embargo
qui la privait des produits alimentaires de base et de médicaments, qui
entraîna en trois ans la mort de plus de 500 000 enfants.
Durant près de dix ans, les USA maintinrent sous pression un Irak exsangue,
dont une grande partie de la population était réduite à
la famine, dont les infrastructures étaient détruites et l'économie
dévastée. Saddam Hussein était devenu le point de tension,
le défi permanent à l'autorité américaine, cynisme
accompli, un obstacle au progrès de la démocratie et de l'économie
de marché dans le monde. Point de tension, défi, provocation,
" l'état-voyou " permettait la justification d'un
militarisme de plus en plus arrogant. Le Pentagone, dans son "Défence
policy guidance" de 1992-1994 en définissait les objectifs :
" empêcher toute puissance hostile de dominer des régions
dont les ressources lui permettraient d'accéder au statut de grande puissance
de décourager les pays industrialisés avancés de toute
tentative visant à défier notre leadership ou à renverser
l'ordre politique et économique établi ", et de
" prévenir l'émergence future de tout concurrent
global ".
Après
les attentats du 11 septembre, un pas de plus vers les aventures guerrières
Les attentats intervinrent au moment où l'économie mondiale et
plus particulièrement l'économie américaine, subissait
un revers. Ils marquèrent un nouveau basculement du monde dix ans après
la fin de la guerre froide. Au décours de ces dix années, l'ère
Clinton avait voulu laisser croire qu'il était possible d'ouvrir les
marchés par la seule force du dollar. Celle de Bush fut le constat que
cela était une pure illusion démagogique. Les dollars ne pouvaient
pas se passer du Pentagone. Dans le nouveau contexte mondial, il était
plus difficile à Bush qu'à Clinton de laisser croire que la seule
logique des marchés suffit à apporter la démocratie et
le bonheur au monde. Mais l'un et l'autre n'avaient pas d'objectif différent
que celui de faire accepter, de légitimer, de contribuer à mettre
en uvre une politique visant à perpétuer la domination des
multinationales américaines sur le monde.
L'impérialisme américain venait de prendre acte, avec les transformations
opérées par la mondialisation, de l'ouverture d'une période
plus tendue de contestation de son hégémonie. S'ensuivirent les
discours de Bush sur la "croisade" et "l'état de guerre"
permanent dont la guerre en Afghanistan fut la première répétition
avant l'hystérie de la deuxième guerre en Irak.
Sans la moindre preuve d'un quelconque lien entre le régime de Saddam
et Al Quaïda, le secrétaire américain à la Défense,
Donald Rumsfeld, désigna immédiatement le régime de Saddam
Hussein comme une "menace immédiate". Bush déclara que
" aucun Etat terroriste ne pose de menace plus grave et plus immédiate
pour la sécurité de notre peuple et la stabilité du monde ".
L'hystérie du mensonge au service des armées devint le langage
officiel de la première puissance mondiale.
Ainsi, Powell insista : " Le meilleur moyen d'obtenir le désarmement
est un changement de régime ". Les responsables de l'Administration
américaine orchestrèrent toute une campagne sur les armes de destruction
massive de l'Irak, dont des mois d'investigation d'une commission spéciale
de l'ONU ne parvinrent pas à fournir les preuves. Mais qu'importe les
preuves, l'ennemi était désigné, il devait être anéanti.
Libéralisme
et militarisme
La guerre en Afghanistan n'a jamais eu comme objectif la libération de
la population afghane des talibans, pas plus que la guerre en Irak, la libération
de la population irakienne. L'objectif de ces deux guerres visait à l'installation
à demeure de fortes concentrations de troupes en Asie centrale, à
proximité d'alliés qui pourraient se révéler menaçants
comme la Chine et la Russie, et en Irak, au cur du Moyen-Orient, la région
de la planète la plus riche en pétrole. En dévastant l'Irak,
l'Administration américaine prenait le risque de créer une situation
d'instabilité aux conséquences imprévisibles, risque qu'elle
n'hésita pas à prendre pour justifier l'état de guerre
permanent à travers lequel elle comptait sauvegarder sa domination. "
, les Etats-Unis, commentait La Tribune, ont un besoin impérieux
de s'assurer une nouvelle base sûre pour leurs approvisionnements pétroliers
au Proche-Orient. Et compte tenu de la sensible dégradation de leurs
relations avec l'Arabie Saoudite, l'Irak constitue un "enjeu énorme,
sinon vital", selon Nicolas Sarkis, le directeur de la revue Pétrole
et gaz arabes. Les USA font planer la menace d'une guerre contre l'Irak pour
dessiner un nouveau Moyen-Orient (deux tiers des réserves prouvées
de pétrole de la planète), et limiter au minimum leur dépendance
vis-à-vis de " l'allié " saoudien. "
L'impérialisme américain prépare aujourd'hui la prochaine
étape de son redéploiement, avec le plan " initiative
pour le Grand Moyen-Orient ". Ce plan s'accompagne de la proposition
de créer " une force internationale de maintien de la paix "
des pays membres du G8, de plus de 50 000 hommes dans les années
à venir, susceptible de mener " des opérations de
combat contre les forces qui cherchent à infléchir par la violence
l'avenir politique de l'Irak, leur internement si nécessaire pour des
raisons impératives de sécurité et la poursuite de la recherche
et du contrôle d'armes qui menaceraient la sécurité de l'Irak ".
Les dirigeants impérialistes voudraient laisser croire au " retour
au droit international " en Irak et à " la
restauration de tous les attributs de souveraineté aux Irakiens ",
comme l'a déclaré Michel Barnier, le ministre français
des Affaires étrangères, lors du dernier sommet du G8. Mais contredisant
ces discours sur la fin de l'occupation, la situation de l'Irak est aujourd'hui
celle d'un champ de ruines livré au terrorisme des forces rivales qui
se disputent le pouvoir sur le dos de la population abandonnée à
son sort, en proie aux pires privations et souffrances. Le nouveau pouvoir à
la solde de l'occupant est bien incapable de recueillir l'assentiment des différentes
forces du pays et de rétablir l'ordre dans le pays.
La
" guerre sans limites " définit ses contours
Plusieurs Etats voyous ont été désignés comme les
futures cibles après l'Irak. D'ores et déjà, la Corée
du Nord a été sommée, lors du dernier sommet du G8, de
procéder à un désarmement " complet, vérifiable
et irréversible " par les Etats-Unis sous peine de recours
au Conseil de sécurité de l'ONU, selon un scénario qui
ressemble fort à celui qui a débouché sur l'offensive contre
le peuple irakien. La guerre permanente, " large, politique, économique,
diplomatique, militaire,
non conventionnelle ", annoncée
par Colin Powell définissant la nouvelle stratégie globale de
l'impérialisme après le tournant de 2001, est le prix qu'auront
à payer les peuples de la planète pour la libre circulation du
dollar et des capitaux avides de plus-value. Le libre marché s'ouvre
et se construit sous la botte des armées impérialistes, exacerbant
les tensions internationales entre puissances rivales et entre les anciennes
et nouvelles puissances en développement comme la Chine et l'Inde.
Les peuples doivent être sous contrôle pour que se perpétuent
les rapports de classe, de domination des possédants, sur les masses
laborieuses. Au-delà du champ d'action irakien, le militarisme impérialiste
continue d'être à l'uvre en Afghanistan où les troupes
américaines et leurs alliées assurent l'ordre des multinationales
du pétrole. Le Proche-Orient et la Palestine restent plus que jamais
au cur des tensions internationales, le peuple palestinien en butte aux
destructions massives perpétrées par l'armée israélienne.
Le peuple tchétchène est maintenu sous la botte armée de
Poutine.
Mais la force de la puissance hégémonique américaine est
aussi sa faiblesse, point de convergence de la révolte et des luttes
des peuples. La logique de guerre, le pillage des richesses, qui sèment
partout la misère et la désolation créent les conditions
d'une évolution collective, internationale des consciences des masses,
l'émergence d'une nouvelle solidarité internationale et mûrit
les conditions d'une nouvelle montée des luttes d'émancipation.
Catherine
Aulnay
1995-2004
: L'extrême gauche en progrès mais incapable de surmonter ses divisions
Depuis
1995, la remontée des luttes a ouvert une nouvelle période avec,
en parallèle, un renouveau de l'extrême gauche sur le plan des
luttes comme sur le plan électoral. Le discrédit des partis de
la gauche gouvernementale, dont le Parti communiste atteint en outre par l'effondrement
de l'ex-URSS, s'est exprimé par un renouveau des luttes dans lesquelles
les révolutionnaires ont pris toute leur place.
Aujourd'hui, l'extrême gauche marque le pas en même temps que le
mouvement social. Ce qui s'est traduit sur le plan électoral par la victoire
du Parti socialiste, en corollaire de la double défaite que le mouvement
social a subie sur la question de l'assurance maladie et de la privatisation
d'EDF-GDF.
La période ouverte par 1995 connaît une pause nécessaire
pour que le mouvement social refasse des forces. Il est nécessaire de
discuter de façon critique de la politique des révolutionnaires
dans la décennie 1995-2004 qui s'achève.
Malgré le pas franchi à travers la défense d'un programme
d'urgence sociale et démocratique en lien avec les luttes, n'y a-t-il
pas eu des occasions manquées pour aller de l'avant dans la perspective
d'une force nouvelle en affirmant l'actualité du projet de transformation
révolutionnaire, en "extériorité" au social-libéralisme
et à ses alliés ?
1995
: un bouleversement de la donne sociale et politique
Au premier tour de la Présidentielle d'avril 1995, pour la première
fois à des élections nationales, la candidature d'Arlette Laguiller,
présentée par Lutte ouvrière, dépassait la barre
des 5 % (5,3 %), alors que Hue, le candidat du Parti communiste, faisait
8,4 %. Une partie de l'électorat du PC, et plus largement de l'électorat
populaire en train de rompre avec les partis de gauche, s'était reconnue
dans les idées et le programme du " plan d'urgence pour les
travailleurs " défendus par la candidate de LO. Au soir du
premier tour, dans sa déclaration à la télé, elle
appelait à " un nouveau parti des travailleurs, des jeunes,
des femmes, des exclus "
dont la base sociale existait potentiellement.
La LCR, restée prisonnière de sa politique passée d'un
hypothétique regroupement " à la gauche de la gauche ",
et de ses recherches d'alliances avec des organisations qui n'ont rien à
voir avec la classe ouvrière, appelait à voter indifféremment
Arlette, Hue ou Voynet, politique qualifiée de " vote ouvrier ".
Le score d'Arlette en 95, même s'il n'a pas été confirmé
dans les Municipales qui ont suivi, était bien le signe d'une transformation
des consciences d'une fraction de la classe ouvrière et de la jeunesse,
résultat de l'évolution de la situation sociale sous les coups
de la crise économique et des désillusions vis-à-vis de
la politique des partis de gauche.
Du fait même du succès électoral d'Arlette, la direction
de LO se trouvait devant de nouvelles responsabilités. Mais au moment
où il aurait fallu proposer une politique pour toute l'extrême
gauche, s'ouvrir largement à ceux et celles qui se radicalisaient, elle
s'est dérobée, déclarant l'appel à un nouveau parti
" propagandiste " avant de le ranger aux oubliettes, sous
prétexte qu'il était un objectif permanent mais éloigné
dans le temps. Les 10 % de militants qui avaient pris cet appel au sérieux
et voulaient en faire une politique ont été exclus en mars 97.
Après les Législatives de mai 97, suite à la bévue
de la dissolution de l'Assemblée nationale par Chirac, si le retour de
la gauche au gouvernement, peut faire croire que l'alternance fonctionne dans
le cadre de la cohabitation droite-gauche, le gouvernement Jospin est bien impuissant
à susciter un réel soutien dans les rangs du monde du travail.
Le mouvement des chômeurs de décembre 97 révèle le
gouffre qui s'est creusé avec les classes populaires. Et pour bien des
militants du PC qui s'étaient jurés qu'ils ne recommenceraient
pas la politique des années 81, la rupture avec leur direction s'approfondit.
Les Régionales de mars 98 qui donnent des élus à LO comme
à la LCR témoignent de la permanence d'un électorat qui
se détourne des politiques faillies de la gauche institutionnelle.
1999-2002
: la question d'un nouveau parti du monde du travail et de la jeunesse est posée
Aux Européennes de 1999, la dynamique d'une candidature commune, et d'une
loi moins inique qu'en 2004, jouent dans le sens de l'élection, pour
la première fois, de cinq députés révolutionnaires
au Parlement européen. Mais LO et la LCR restent prisonnières
d'une contradiction : la candidature commune accrédite l'idée
du regroupement nécessaire des révolutionnaires alors qu'aucune
des deux organisations ne se donne cette perspective.
Aux municipales de mars 2001, à nouveau, l'extrême gauche, malgré
sa division, marque des points en envoyant des élus révolutionnaires
dans les conseils municipaux.
La situation nouvelle ouverte par les luttes de 95 et l'accélération
des ruptures des salariés avec la gauche transforment en profondeur l'extrême
gauche. La Ligue se repositionne clairement en extériorité à
la gauche gouvernementale.
En 2000, la fusion-intégration des militants de Voix des Travailleurs,
issus de LO, dans la Ligue se fait dans une logique de regroupement des forces
révolutionnaires, à rebours des politiques passées de scissions
et d'exclusions.
Le basculement politique est confirmé à l'occasion du premier
tour de la Présidentielle de 2002 par la sanction des candidats de la
gauche et les trois millions de voix qui se sont portées sur les candidatures
d'Olivier Besancenot et d'Arlette Laguiller.
Une candidature unique LO-LCR n'a pas été possible, du fait de
la décision prise par LO sans discussion préalable avec la LCR.
Les 10,5 % des voix obtenus par LO, la LCR et le PT sont un score inédit
pour l'extrême gauche.
Malheureusement, la présence de Le Pen au 2è tour, qualifiée
de " séisme politique ", va occulter les résultats
de l'extrême gauche.
La Ligue appellera à battre Le Pen " dans les urnes et dans
la rue " par solidarité avec les milieux de gauche mais
sans arriver à se démarquer nettement du Front républicain,
et elle n'assumera pas la prise de position contre le vote Chirac des JCR. LO
affirmera son refus de voter Chirac mais de façon sectaire. Face au Front
républicain uni de la droite et de la gauche qui vise à faire
de Chirac, le " défenseur de la République ",
l'extrême gauche ne pourra pas exprimer, ensemble, un " non
de classe " à Le Pen, à travers un " front
révolutionnaire " en toute indépendance des politiques
qui ont donné du crédit à Le Pen.
Pourtant, la jeunesse mobilisée entre les deux tours et les manifestations
du Premier mai qui rassemblent 1,5 million de manifestants, témoignent
d'une politisation en cours, mais sans véritable boussole politique.
2003-2004
: l'extrême gauche au milieu du gué
Au printemps 2003, le mouvement contre la réforme des retraites et la
décentralisation témoigne d'une nouvelle radicalité du
mouvement social, une partie se libérant du vote Chirac qui lui avait
été imposé. Face au refus des directions syndicales de
préparer la grève générale, les militants d'extrême
gauche se retrouvent les initiateurs et animateurs des collectifs de lutte,
des interpros, qui voient le jour.
Malgré ses limites, c'est ce profond mouvement qui pousse la LCR et LO
à se présenter unie aux élections Régionales et
Européennes de 2004 sur la base d'un programme d'urgence sociale et démocratique
en s'affirmant pour " le parti des luttes et des grèves ".
Malgré leur faible score, les listes communes LCR-LO ont porté
largement les revendications et les aspirations du mouvement du printemps.
Mais, reflet des échecs du mouvement social, les résultats électoraux
n'ont pas été à la hauteur des espérances, sans
être pour autant négligeables.
Prisonnières d'une conception d'auto-construction, héritée
de leur passé de groupes rivaux face au stalinisme, les organisations
révolutionnaires ont limité l'accord au seul plan électoral,
la LCR ne l'intégrant pas dans la perspective d'une force politique nouvelle,
LO arguant des faibles forces, même unies, de l'extrême gauche.
* * *
Aujourd'hui, l'extrême
gauche est au milieu du gué. Elle a progressé sur le plan militant
et électoral, certes avec des hauts et des bas, durant la période
1995-2004. Mais elle n'a pas pu capitaliser politiquement les avancées
qui lui ont plus été imposées par la situation objective
qu'elle n'en a fait une politique consciente de construction vers un parti révolutionnaire.
Pour que les pas en avant effectués sous la pression de la situation
puissent être une étape vers l'ébauche d'un nouveau parti
du monde du travail, les organisations révolutionnaires n'ont d'autre
choix que, dans le cadre d'une politique en rupture avec le social-libéralisme,
contribuer au regroupement politique des forces du monde du travail qui s'impose
dans le contexte actuel.
Pour aller dans ce sens, les révolutionnaires ont besoin d'appréhender
la situation nouvelle, les nouveaux clivages, pour se transformer et apprendre
par la pratique les relations démocratiques en sachant en permanence
mettre de côté ce qui est secondaire pour s'appuyer sur l'essentiel,
les intérêts du monde du travail et les intérêts généraux
du mouvement révolutionnaire.
La situation est ouverte car, comme cela est apparu à chaque nouvelle
mobilisation, des réseaux de lutte existent qui n'ont pas été
démantelés, et où l'extrême gauche agit dans le sens
de l'unité. Dans les syndicats, les associations, parmi les militants
de gauche en rupture comme parmi les salariés et la jeunesse, l'idée
de l'unité de ceux qui ont les mêmes intérêts est
une idée-force.
Cette idée-là, seuls des révolutionnaires qui n'ont pas
de fil à la patte à cause de préoccupations et d'intérêts
d'appareils, peuvent contribuer à lui donner vie.
Cette unité sur des bases de classe, autour d'un programme pour les luttes
et d'un projet de transformation sociale, s'exprime à travers la perspective
d'un parti révolutionnaire et démocratique dont on a vu les contours
dans les grèves et les mobilisations mais dont il manque une conscience
claire dans les rangs mêmes de ceux qui peuvent en être parmi les
initiateurs.
Il ne peut émerger autour d'un regroupement selon un axe d'une " gauche
de gauche ", dont les différentes moutures ont déjà
été expérimentées mais en rupture claire avec le
social-libéralisme et ses satellites qui cherche à regagner du
crédit dans la perspective de la Présidentielle de 2007.
Sophie
Candela- Valérie Héas
Contre
la mondialisation libérale et impérialiste,
le socialisme, le communisme
La
période que nous venons de vivre devait être celle de la " fin
de l'histoire ". L'effondrement de l'URSS allait enfin laisser
le champ libre à l'économie de marché pour ouvrir une ère
de paix et de démocratie sans limite. Et il ne manqua pas de bons esprits
pour expliquer que c'en était fini des idées du socialisme et
du communisme, que toute révolution engendrait un totalitarisme, que
le temps des " utopies " était passé
Concentration du pouvoir entre quelques multinationales, renforcement de l'hégémonie
américaine, le règne démocratique annoncé est celui
des conseils d'administration des groupes financiers et des rapports de forces
impérialistes. Guerres en Yougoslavie, en Irak, en Somalie, la nouvelle
ère de paix commençait bien
pour les marchands de canons.
Du coup, la contestation sociale et politique a retrouvé une nouvelle
jeunesse, notamment avec le mouvement alter mondialisation, mais aussi avec
les luttes ouvrières. Et si l'effondrement du stalinisme a laissé
croire aux tenants de la démocratie de marché qu'ils en avaient
fini avec les idées communistes, de nombreux travailleurs et jeunes ont
porté leurs suffrages vers l'extrême gauche, affirmant ainsi que
la lutte pour transformer le monde était toujours d'actualité.
Dix années d'intensification des attaques patronales et gouvernementales
font de l'unité des travailleurs une évidence, pour défendre
leurs intérêts, pour conquérir leur indépendance
de classe. De ce point de vue, la question du parti et la discussion sur son
programme sont pratiques, concrètes. Quels bilans tirer de la période
passée ? Vers où mène le développement du capitalisme ?
Quelle est la logique de l'évolution du mouvement ouvrier ? Comment agir
pour faire évoluer les consciences dans le sens de la perspective révolutionnaire ?
Pour répondre à ces problèmes, le marxisme est une méthode
indispensable, pour agir, anticiper en comprenant comment les rapports de forces
entre les classes déterminent les évolutions en cours. Une nouvelle
page est à écrire. Cela ne peut se faire que collectivement, en
menant les débats largement, avec l'ensemble du mouvement social, et
en priorité en confrontant et échangeant entre révolutionnaires
de tous courants.
Les
salariés, seule force démocratique et progressiste face à
l'anarchie du marché
La violence de l'exploitation salariée et de l'anarchie du marché
se révèle tout particulièrement dans ses conséquences
les plus dévastatrices : vagues de licenciements, paupérisation,
populations démunies face aux catastrophes. Mais au quotidien, l'appropriation
du travail des salariés par la bourgeoisie montre de plus en plus son
caractère parasitaire qui fait reculer la société, alors
que dans des périodes de croissance forte, ce caractère était
plus masqué.
Chaque événement révélant la brutalité du
capitalisme fait ressentir à quel point ce système est devenu
décadent, qu'il faudrait tout changer. Il montre aussi quelle force pourrait
le faire, car c'est le travail collectif de millions d'hommes et de femmes,
avec le dévouement simple de la conscience professionnelle, qui produit
les richesses et répare les dégâts.
Ce ne sont pas les lois du marché, l'offre et la demande, qui créent
les richesses. C'est le travail. Le marché n'est qu'un moyen pour transformer
les biens produits en argent et permettre aux patrons qui vendent le produit
du travail des salariés de réaliser leur plus-value. Il est anarchique,
gaspilleur, parasitaire, et provoque en permanence des crises. Le marché,
dominé par la concurrence aveugle et l'appropriation privée, ne
fonctionnerait pas sans son contraire, l'organisation collective et internationale
du travail, une production de plus en plus socialisée. Cette contradiction,
inséparable de l'exploitation salariée, est au cur de tous
les problèmes
et indique la solution : une production socialisée,
débarrassée du marché et de la propriété
privée, sous le contrôle des travailleurs.
Marx écrivait dans le Manifeste " la bourgeoisie n'a pas
seulement forgé les armes qui la mettront à mort ; elle a
produit aussi les hommes qui manieront ces armes, les ouvriers modernes, les
prolétaires ". Pour ne pas rester dominés par l'idéologie
de l'adversaire, pour faire reculer le fatalisme, il faut affirmer cette perspective
révolutionnaire, la faire partager largement, oser dire aux travailleurs
que face à ce système fini, seule leur force collective luttant
pour leurs droits sociaux et démocratiques est porteuse d'avenir.
La
mondialisation capitaliste développe les conditions de la révolution
internationale
La décennie qui s'achève a révélé aussi les
conséquences de la mondialisation financière, à travers
notamment le développement du militarisme et le renouveau des politiques
impérialistes.
Les politiques de la canonnière, le pillage des pays pauvres, avec la
complicité de leurs propres dirigeants, suscitent la révolte.
Le 15 février 2003, nous étions 15 millions dans la rue contre
la guerre impérialiste en Irak. Cette mobilisation internationale sans
précédent révèle que la mondialisation a développé
son contraire, une classe ouvrière internationale, dont les intérêts
sont les mêmes, par-delà les frontières.
En combattant le capitalisme, Marx et Engels ont montré qu'il avait un
caractère révolutionnaire, celui de bouleverser en permanence
les rapports sociaux. Une des conséquences révolutionnaires de
la mondialisation capitaliste est bien la création des conditions mêmes
d'une nouvelle vague révolutionnaire, à l'échelle de la
planète. Le mouvement ouvrier n'existe pas seulement dans les pays riches
qui dominent le monde, mais aussi dans les pays dominés, même dans
ceux qui sont les plus écrasés par l'impérialisme, comme
l'Irak.
" Prolétaires de tous les pays, unissons-nous ",
écrivaient Marx et Engels en 1847. C'est aujourd'hui que la formulation
de l'internationalisme révolutionnaire prend tout son contenu.
Militer
pour l'émancipation des travailleurs par eux-mêmes
De même, l'idée que " l'émancipation des travailleurs
sera l'uvre des travailleurs eux-mêmes " gagne de
nouvelles perspectives aujourd'hui.
Les évolutions récentes du capitalisme plongent dans la crise
tous les appareils du mouvement ouvrier que la bourgeoisie avait peu à
peu intégré dans la gestion de son système (PS et PC, confédérations
syndicales). Leur intégration les a rendus dépendants de l'Etat
et de la bourgeoisie, sur les plans politique, matériel et financier.
Les travailleurs qui ont besoin de leur liberté d'action pour se défendre
font l'expérience concrète que ces appareils sont des freins ou
des adversaires et cherchent à s'en dégager. L'expérience
de ces dernières années montre que les salariés et la jeunesse
ne manquent pas d'énergie pour cela.
Dans les années qui viennent, les ruptures entamées avec ces appareils
devenus des appendices de l'Etat dans le mouvement ouvrier, vont se poursuivre.
Elles ont pour l'instant un double caractère, fatalisme et démoralisation
d'un côté ; révolte, colère, volonté d'agir
de l'autre. Les révolutionnaires ont un rôle irremplaçable
à jouer dans cette évolution, dans ces transformations des consciences,
pour que de l'action et des résistances mêmes se développe
une conscience révolutionnaire et démocratique de plus en plus
large, car la seule façon de conquérir une réelle indépendance,
est de le faire au nom d'une politique de classe qui se donne pour objectif
l'abolition de la propriété privée.
Là encore, le marxisme conserve toute son actualité. Dans le Manifeste,
Marx explique que les communistes " n'ont point d'intérêts
qui les séparent de l'ensemble du prolétariat ".
Dans tous les mouvements " ils mettent en avant la question de
la propriété à quelque degré d'évolution
qu'elle ait pu arriver, comme la question fondamentale du mouvement ".
C'est à l'origine de la démarche transitoire définie par
Trotsky, par laquelle il s'agit d'établir les liens entre les luttes
immédiates et le programme révolutionnaire, de faire prendre conscience
au travers des luttes partielles que se jouent les contradictions fondamentales
du capitalisme qui renvoient en fait aux questions du renversement de la propriété
privée et de l'Etat.
* * *
Ces
idées sont notre fil conducteur. Lutte de classe, internationalisme,
émancipation des travailleurs par eux-mêmes, capitalisme qui rend
lui-même possible et nécessaire le socialisme, le communisme, notre
lutte s'inscrit dans cette continuité du marxisme révolutionnaire,
en toute solidarité et fidélité avec ceux qui ont mené
ce combat dans les siècles passés. Comprendre, débattre,
tirer les bilans de ce passé, comme de la décennie qui vient de
s'écouler, est indispensable pour définir les tâches qu'impose
la situation actuelle. Le débat nécessaire pour construire un
nouveau parti démocratique et révolutionnaire du monde du travail
implique le regroupement de tous ceux qui partagent cette perspective.
L'histoire du mouvement ouvrier est riche des luttes et de l'énergie
pour conquérir son indépendance de classe. Cette énergie
n'est pas entamée et se renouvelle sans cesse avec les nouvelles générations.
A nous de nous emparer de ces idées et de les faire partager !
Franck
Coleman