Débatmilitant
Lettre publiée par des militants de la LCR
n°68
24 juin 2005

Sommaire :

Prendre appui sur le Non des travailleurs pour ne pas être enfermés dans l'impasse du 21 juin

De Raffarin à Villepin-Sarkozy ou la montée du populisme

La direction du PC prisonnière de ses préoccupations électorales et gouvernementales

Bolivie : la longue marche de la rébellion populaire

1905 en Russie : Forces motrices de la révolution et naissance du bolchevisme

 

Prendre appui sur le Non des travailleurs pour ne pas être enfermés
dans l'impasse du 21 juin


Malgré le profond mécontentement et le camouflet infligé aux " libéraux " de tous bords le 29 mai, la journée de grèves et de manifestations du 21 juin à l'initiative de la CGT n'a mobilisé que la fraction la plus militante des salariés, de même que la veille, la journée intersyndicale contre la privatisation d'EDF-GDF. Mais malgré les limites de ces journées, tous les manifestants étaient venus redire Non et affirmer dans la rue les exigences du monde du travail. Et se discutaient les perspectives nécessaires pour affronter l'offensive redoublée et les provocations du gouvernement et de la bourgeoisie.

Les confédérations syndicales " discutent "

Le 8 juin, Thibault avait appelé après le discours de Villepin à " une large mobilisation pour l'emploi, les salaires, la protection sociale et les services publics " pour le 21, soit 12 jours après, donnant à la CFDT et à FO l'occasion de " ne pas répondre à l'injonction " (!) selon l'expression de Chérèque (Solidaires et la FSU se joignant à l'appel). Les militants qui aspiraient à donner un prolongement au 10 mars et au 29 mai, ont tenté de faire de cette journée un succès, tout en ayant pour beaucoup, le sentiment d'être piégés, sans perspectives après le 21, tandis qu'en même temps, les dirigeants syndicaux affirmaient leur volonté de " discuter ".

Ainsi, alors que Sarkozy, Breton et Villepin multiplient les agressions, Le Digou (CGT), commentait le 20 juin les mesures du gouvernement : " ces mesures ne sont pas à la hauteur du problème du chômage "… " Nous ne sommes pas partisans du tout ou rien. Nous sommes prêts à faire des propositions. Jean-Louis Borloo et Gérard Larcher nous ont convié à des discussions, nous nous y rendrons en essayant de faire avancer les choses… ". Et, emporté par l'élan : " nous pensons que le Premier ministre annonce aussi avec précipitation la privatisation de Gaz de France et d'EDF "…

En réponse à cette platitude, les manifestations du 21 ont témoigné de la volonté d'une fraction du monde du travail de répondre dans la rue au mépris et aux provocations, alors que le décalage entre le mécontentement, les possibilités ouvertes par le Non et l'absence de volonté des directions de donner une suite est patent.

Regrouper le Non de classe

Depuis le début de l'année, les luttes pour les salaires, le million de manifestants dans la rue le 10 mars et la mobilisation de la jeunesse lycéenne ont porté le Non. Les aspirations sociales et démocratiques se sont nourries réciproquement, encourageant la contestation de la société, du capitalisme.

Cette l'impulsion n'est pas aujourd'hui assez forte pour obliger les directions syndicales à donner une suite au 21 juin. Le mouvement se trouve devant une étape nouvelle à franchir : regrouper les forces sur le terrain de classe pour exercer sa pression, reprendre l'initiative pour ne pas laisser le terrain à l'adversaire. Les travailleurs ont à se réapproprier leurs propres organisations.

Cela ne peut se faire qu'en opposition avec la politique du " diagnostic partagé " qui amène aujourd'hui les dirigeants syndicaux en file indienne chez Villepin, et en tournant le dos aux agitations politiciennes des partis de l'ex-gauche gouvernementale qui préparent leur hypothétique retour. Les négociations y vont bon train si on en croit l'intronisation de Fabius comme meilleur candidat pour 2007 par Mélenchon, qui se veut lui-même le " trait d'union avec toute la gauche "…

Ne pas se laisser voler le succès du Non par les appareils, c'est en assumer toute sa signification sociale et politique en contribuant au regroupement des forces du monde du travail et à la convergence des luttes, en encourageant le débat pour aider au mûrissement des consciences. En ce sens, les collectifs unitaires peuvent jouer un rôle, s'ils se pensent eux-mêmes comme un outil démocratique pour unir les forces sur la base des revendications du monde du travail, et non en faisant dépendre leur propre existence du calendrier institutionnel et des appareils.

Face à l'offensive de la bourgeoisie, l'urgence sociale et démocratique

Breton, Villepin et Sarkozy ont multiplié ces derniers jours les déclarations de guerre aux pauvres, aux travailleurs, aux immigrés. Maniant l'arrogance et la crasse populiste, Sarkozy entend " nettoyer les cités au karcher ". Breton, lui " discute sans tabou " : pour ce grand patron qui touchait 112 000 euros mensuels chez France Télécom avant d'arriver à Bercy, " la France vit au dessus de ses moyens ". Il faut donc " changer les mentalités " et " travailler plus […] tout au long de sa vie […] au-delà de 65 ans ".
Si les caisses sont vides, c'est que l'argent public, nos impôts, sont dilapidés par la bourgeoisie pour ses propres " besoins " et pour alimenter la spéculation financière qui plonge la société entière dans la crise.

Le monde du travail a ses propres réponses à leur faillite politique et financière : l'exigence sociale et démocratique, pas de salaires inférieurs à 1500 €, le partage du travail entre tous. Ces droits élémentaires remettent en cause la propriété capitaliste et ils posent le problème du contrôle des salariés eux-mêmes sur l'économie et sur la société.

Carole Lucas

 

De Raffarin à Villepin-Sarkozy
ou la montée du populisme


Rien ne va plus pour Chirac. Après le camouflet du 29 avril et le fiasco du conseil européen qui révèle la crise profonde que traverse l'Europe financière, il semble comme en sursis, point d'équilibre dans un rapport de force né des années de la cohabitation droite-gauche, aujourd'hui dépassé. Ravivée par le vote du 5 mai 2002, la complicité droite-gauche est aujourd'hui déstabilisée par la victoire du Non. Chirac tient comme suspendu dans le vide tant que cette complicité entre la droite libérale et la gauche sociale libérale n'a pas définitivement volé en éclats sous la pression de la montée du mécontentement populaire.

Chirac a inauguré la cohabitation quand il devint, en 1986, Premier ministre de François Mitterrand. Il en est le produit, produit des circonstances que son opportunisme allié à une soif de pouvoir sans limite ont réussi à imposer. Le 21 avril 2002 a été le premier moment de l'effondrement de cette cohabitation dans les échecs de Chirac et de Jospin.

Après le 5 mai, Chirac a pu se rêver Bonaparte, porté au-dessus des partis par le vote populaire. Il n'était que l'homme du quiproquo dont le Premier ministre, provincial madré, renvoyait une image assez peu flatteuse, celle de la duplicité et du mensonge cherchant à se cacher derrière l'arrogance et le mépris. Ses prétentions de petit Bonaparte ne trouvaient de force que dans l'accord de la droite et de la gauche pour renforcer le régime présidentiel qu'avait illustré la réforme du quinquennat. Et surtout dans la soumission des partis de gouvernement aux exigences du patronat, la nécessité des réformes, " la réforme de gauche " pour Hollande, la politique dite du " diagnostic partagé " pour les directions syndicales.

La montée du mécontentement, le mouvement du printemps 2003 jusqu'à la journée du 10 mars 2004 et le mouvement des lycéens et son point d'orgue sur le plan politique, le 29 mai, ont sapé définitivement les bases de cet équilibre des forces.

Le gouvernement Raffarin avait " la mission " de tenter de donner une crédibilité à l'imposture du 5 mai en invoquant un populisme dépassant la droite et la gauche à travers le dialogue social, nouveaux atours de la pensée unique du libéralisme.

Il cède la place à un gouvernement où, à travers les ambitions rivales, s'affrontent, au sein de la droite, la période qui s'achève et celle qui commence sous la présidence d'un Chirac sans autorité qui assure la transition vers sa propre fin…

Villepin, c'est l'homme du président, celui qui assume l'héritage et la… transition, Sarkozy, c'est l'adversaire de toujours, celui qui veut liquider la cohabitation et postule pour l'avenir. S'accrochant au pouvoir bien que rejetés, ils n'ont qu'une issue la fuite en avant, l'agression, les ordonnances, essayer de subjuguer une opinion publique désarmée, s'imposer, passer en force…

L'un reste dans le registre de Raffarin, en pire, l'autre se déplace sur les terres de Le Pen… Le populisme du dialogue social ouvre la porte au populisme de la droite extrême : démantèlement du droit du travail en liquidant le contrat à durée indéterminée, politique sécuritaire, culpabilisation et criminalisation des classes populaires au nom de l'intérêt général de l'ensemble de la population !

L'activisme populiste de Sarkozy, la politique du " nettoyage au karcher ", donne une idée de la façon dont la bourgeoisie et son personnel politique imaginent les années à venir, années d'affrontement et de tensions sociales exacerbées.

C'est à cela qu'elle se prépare et entend préparer l'opinion. De ce point de vue, les procès intentés aux jeunes lycéens comme les poursuites à l'égard des postiers de Bègles ne sont pas circonstancielles ou de simples coïncidences.

La stigmatisation du mouvement social, des immigrés, la culpabilisation des chômeurs, le tout sécuritaire, sont le corollaire indissociable du capitalisme de libre concurrence à l'heure de la mondialisation. Libéralisme et renforcement de l'Etat vont de paire.

La mise en concurrence des salariés, la généralisation de la précarité, l'instabilité sociale et la dégradation des conditions d'existence grippent les rouages de la démocratie parlementaire et accentuent les fonctions répressives de l'appareil d'Etat. Les mécanismes habituels grâce auxquels la bourgeoisie entretient l'illusion d'un progrès possible dans le cadre du système sont en panne. C'est ce qui s'est exprimé, plus ou moins consciemment, dans le Non.

Une telle situation est riche de possibilités si le monde du travail surmonte les obstacles à son unité, si son aile la plus radicale et la plus consciente sait unir et coordonner ses forces. Elle est aussi lourde de menaces. Nous connaissons un moment où se mélangent les traits de la cohabitation usée jusqu'à la corde et les traits d'une nouvelle offensive réactionnaire, libérale, d'une droite extrême. Sauf intervention du monde du travail sur le terrain des luttes sociales et politiques, c'est cette logique qui s'imposera contre l'opinion des classes populaires, pour la combattre, la soumettre.

Nous n'en sommes pas là. Aujourd'hui, c'est le pouvoir qui est en position de faiblesse, mais il ne faudrait pas lui laisser reprendre l'initiative. Des échéances décisives approchent.

Les mois que nous avons devant nous seront décisifs pour avancer dans le sens et de l'unité des travailleurs et de l'unité de tous ceux qui veulent préparer une mobilisation d'ensemble. La victoire du Non est un point d'appui pour construire cette unité, les collectifs qui sont nés de la campagne peuvent en être un instrument.

Agir dans ce sens suppose que nous prenions la mesure de ce qui s'est passé comme des nouvelles potentialités.

Demander comme le fait le PCF à Chirac de respecter le mandat du peuple français, outre un regain de chauvinisme latent, est une façon de trahir le sens du Non. Dévaloriser les possibilités dont le Non est porteur soit pour lui opposer formellement les luttes soit pour l'enfermer dans une alternative de gauche est aussi une façon d'abdiquer des tâches du mouvement révolutionnaire. Le peu d'ampleur des manifestations du 21 juin attestent, en négatif, de la nécessité d'ouvrir une perspective globale. Certes, il ne s'agit pas d'idéaliser le 29 mai et de laisser croire qu'il y aurait des automatismes hors de l'intervention consciente et organisée des travailleurs. Ce serait une autre forme de renoncement.

Mais, justement, l'importance du 29 mai est qu'il ouvre de nouvelles possibilités de mobilisation, d'organisation, d'intervention des travailleurs.

L'ampleur du défi comme une lucide conscience des obstacles que nous aurons devant nous nourrissent l'enthousiasme de ceux qui veulent mettre en œuvre une politique pour le monde du travail pour qu'il puisse résister collectivement, répondre aux provocations, déjouer les piéges, se regrouper pour contre-attaquer.

Face à la montée du populisme de droite, le mouvement ouvrier ne pourra reprendre l'offensive qu'en allant jusqu'au bout de la signification du 29 mai, le rejet des partis institutionnels comme du capitalisme. Du rejet et de la protestation, il s'agit de passer à la compréhension lucide de la nécessité de transformer la société pour liquider l'économie de marché et de libre concurrence, c'est-à-dire le capitalsime.

Reprendre l'offensive signifie reprendre l'offensive politique pour contrer, sur le terrain, l'offensive populiste. Le populisme repose sur l'idée qu'il n'y a qu'un système social possible, le capitalisme, la société d'exploitation et que le rôle de l'Etat et de ceux qui le dirigent est de gérer techniquement les problèmes de la société. Il n'y a pas de solution de droite ou de gauche, mais des solutions nationales, ou aujourd'hui, européennes qui dépasseraient les vieux camps politiques.

A cette offensive réactionnaire, nous répondons qu'il y a deux camps : le capital et le travail et qu'ils sont irréconciliables. La crise à laquelle il n'y aurait que des réponses techniques, ni de droite ni de gauche, est, bien au contraire, la crise de la domination de l'aristocratie financière sur la marche de la société. Elle ne peut être résolue que par l'intervention consciente du monde du travail pour imposer ses propres choix sociaux contre la logique de rentabilité financière imposée par le capital.

La convergence des politiques menées au gouvernement par la droite et la gauche accrédite le populisme, comme chacun a pu encore le vérifier à travers la campagne du référendum. Le rejet par les classes populaires de cette gauche de gouvernement ouvre de nouvelles possibilités à la contestation sociale et politique du populisme, masque idéologique de l'offensive contre les travailleurs.

Il y a bien une bataille politique entre le capital et le travail, les luttes en elles-mêmes ne sont pas une réponse, elles ne peuvent l'être que comme instrument au service d'une politique posant la question du pouvoir : qui dirigent ? Les multinationales commerciales, industrielles et financières ou la population ?

Yvan Lemaitre

La direction du PC prisonnière de ses préoccupations électorales et gouvernementales
 

Un clin d'œil à feu le traité et son droit de pétition ! " C'est ainsi que Marie-George Buffet présente l'objectif du Parti communiste français de réunir un million de signatures pour " Faire respecter les choix du peuple français ". " Le 29 mai, le suffrage universel a rejeté le traité constitutionnel européen et s'est prononcé pour une autre Europe, dégagée des politiques libérales. Ce verdict, qui est devenu la décision de la France, doit être respectée " fait valoir le texte de la pétition.

Et le rapport de Marie-George Buffet soumis au conseil national du PCF, réuni du 10 au 12 juin à Paris, martèle cette priorité pour les militants communistes dans les prochaines semaines : " nous devons tout faire pour que le vote des Françaises et des Français soit respecté et mis en œuvre ". Tout faire ? La secrétaire nationale du PCF propose - parallèlement à la campagne de signatures - " à tous les parlementaires de gauche qui ont soutenu la campagne du non de s'adresser ensemble au président de la République pour qu'il respecte la volonté populaire et retire du traité la signature de la France. "

Bref, l'ambition de la Place du Colonel Fabien est de rallier de nouveau " au président de la République " les millions d'hommes et de femmes qui, lors du référendum, se sont affranchis de l'union nationale qui prévalait entre les deux tours en 2002. Mobiliser citoyens, députés et sénateurs pour en appeler à Chirac : c'est peut-être " un clin d'œil à feu le traité et son droit de pétition ! " ; c'est assurément un pied de nez à celles et ceux qui, le 29 mai, ont désavoué dans les urnes, et Chirac, et sa politique.

Les prétentions du PCF ne sortent pas du cadre des institutions républicaines. Pire, la formation de Marie-George Buffet entend y enfermer la mobilisation contre l'Europe libérale et contre les politiques libérales et social-libérales dans les États membres, à commencer par la France où, de droite comme de gauche, les gouvernements qui se succèdent depuis 25 ans démantèlent le droit du travail, la protection sociale, les services publics, etc.

De nombreux militants communistes ne peuvent être que désarçonnés face à une orientation qui, de fait, aboutit à relégitimer un pouvoir massivement rejeté. Quelle illusion de penser que Chirac puisse se faire le représentant des aspirations sociales et démocratiques du monde du travail ! Et plus encore, à l'heure où le gouvernement Villepin-Sarkozy redouble les agressions contre les acquis ouvriers et adopte un discours sécuritaire dont témoigne l'acharnement contre les lycéens ou les postiers embastillés pour avoir contesté les projets réactionnaires de l'UMP.

Chirac, à l'instar de tous les gouvernants, défend des intérêts antagonistes à ceux des travailleurs. Il ne peut en aucune façon être le porte voix des aspirations ouvrières. Faire accroire l'inverse, c'est entrer dans le piège tendu par la démocratie représentative qui voudrait instiller l'idée que le président, et derrière lui l'appareil d'État dans son ensemble, serait au-dessus des classes, sinon à gommer tout bonnement la lutte de classe elle-même. C'est le b.a.-ba bien sûr. Mais c'est une évidence qu'il convient de ne pas oublier justement…

Le résultat du référendum confirme la fracture entre ceux d'en haut et ceux d'en bas. Élection après élection, depuis le début des années 90, les sortants sont sortis, aucune majorité n'arrivant à se maintenir au pouvoir. La victoire de Chirac en 2002 fait formellement exception : mais c'est en réalité l'amplification du cycle de l'alternance privant Jospin de second tour qui seul explique la réélection de Chirac - le piètre résultat au premier tour du locataire de l'Élysée le confirme. Et cette parenthèse du 5 mai 2002 s'est refermée lourdement le 29 au soir, laissant certes Chirac sur le ring, mais KO.

Pourtant, l'équipe Buffet tente de le remettre en selle !

La direction communiste est à contretemps des évolutions de fond qui travaillent les consciences, et dont témoignent les militants et sympathisants du PCF. Les meetings unitaires, tout au long de la campagne du " non ", attestent de l'écart séparant, d'un côté, le point de vue de l'appareil désireux de capitaliser sur un plan électoral et négocier au mieux avec les partenaires socialistes et écologistes les échéances de 2007 et d'un autre côté, celui de la base du parti applaudissant à tout rompre Olivier Besancenot évoquant les mobilisations sociales et repoussant toutes alliances avec les sociaux-libéraux.

C'est sur ce terrain, celui des luttes, qu'il faut engager les collectifs unitaires - et bien au-delà d'eux - pour repousser Villepin et ses projets ; l'audience des révolutionnaires peut contribuer à ce que cette frange significative des militants communistes qui refusent de rééditer en 2007 ce qui n'a pas marché dix ans plus tôt avec la gauche plurielle participe de ce combat.

C'est la perspective que les révolutionnaires défendent dans les collectifs en toute indépendance des divers courants dont le PCF qui gouvernent au plan municipal, départemental et régional avec les socialistes du Oui. Il n'y a pas de solution gouvernementale sans rupture révolutionnaire ; on ne peut résister à la déferlante libérale et social-libéral qu'au travers de luttes sociales convergentes ; le seul outil pour le combat contre la bourgeoisie est un parti des travailleurs n'ayant pas d'autres intérêts que la satisfaction des revendications ouvrières : ce sont les idées autour desquelles il devient possible de rassembler largement. L'extrême gauche doit prendre toutes ses responsabilités.

La volonté répétée de Buffet de s'adresser à toute la gauche, et par conséquent de renouer avec la rue de Solferino afin de négocier les bases d'un retour aux affaires du PS, des Verts et du PCF, participe de la même logique que l'appel à Chirac. Place du Colonel Fabien, ce sont la préservation des 12 000 élus communistes et, le cas échéant, l'accroissement de leur nombre qui prévalent. Rompre avec le social-libéralisme, ce serait perdre les prébendes qu'assurent les majorités PS-PCF-Verts dans les municipalités, les départements et les régions.

Face aux aspirations populaires qu'exprime le " non " de gauche, Buffet se veut radicale, adoptant même ce discours aux relents populistes et nationalistes dont étaient coutumiers les Thorez et Marchais. " Je le redis aujourd'hui : ces exigences sont celles du peuple français. Nos gouvernants doivent s'y soumettre ou se démettre. " Mais au-delà des mots, c'est une toute autre perspective qui se dégage. De ce point de vue, la lecture du rapport de Buffet devant le dernier conseil national est édifiant : il n'est question ni de dissolution ni du départ de Chirac mais au contraire de 2007… Le respect des institutions et du calendrier électoral prime !

Le mécano pour un retour au pouvoir de la " gauche durable " prend consistance. Ainsi " le Conseil national propose dès aujourd'hui l'objectif de forger à gauche une union populaire pour changer la vie " et préconise " la co-élaboration populaire d'un véritable programme politique de transformation sociale " (souligné dans le texte !). Les partenaires ne sont pas nommés, mais ils se reconnaîtront immanquablement : " Nous voulons élargir le rassemblement en nous tournant vers ces hommes et ces femmes de gauche qui ont voté OUI, en nous adressant, sans aucune exclusive, à toutes les forces de gauche, syndicales et associatives au plan local comme au plan national, précise le relevé de décision du conseil national. Nous proposons à toutes celles et ceux qui le souhaitent de co-organiser des forums pour poser la question d'une autre Europe, de l'alternative politique et de l'élaboration d'un programme anti-libéral pour la gauche avec la perspective d'un rendez-vous national à Paris en novembre prochain. "

Du côté du PCF, le cadre est en place. Aux révolutionnaires d'en imposer un autre, celui d'un pôle de radicalité, le pôle des luttes.

L'équipe dirigeante du Parti communiste est prisonnière d'une conception institutionnelle du combat politique. Elle s'avère incapable de miser sur la mobilisation de masse, celles des travailleurs et de la jeunesse, sur les luttes sociales pour mettre à bas la société de classe. Ce n'est pas nouveau évidemment et, une fois encore, l'appareil du PCF se met en ordre de marche pour tenter de détourner la dynamique née de la campagne référendaire au profit de visée gouvernementale. Les révolutionnaires tout en recherchant l'alliance sur les revendications du monde du travail, dénoncent cette politique contraire aux intérêts du mouvement.

Et c'est un débat que nous avons, en toute loyauté et franchise, avec les militants communistes impliqués dans la bataille du " non " à la recherche d'une alternative véritable.

Serge Godard

Bolivie : la longue marche
de la rébellion populaire

Les événements en Bolivie constituent un chapitre remarquable de la lutte de la classe ouvrière et des peuples opprimés contre le système capitaliste et l'oppression impérialiste. En tant que tels, ils méritent toute notre attention et le peuple bolivien a besoin aussi de toute notre solidarité.

Il y a des raisons plus précises encore pour cet effort. À travers sa longue histoire de combat et de vie politique révolutionnaire, (en 1946, 52, 67, 71) les Boliviens ont gardé un lien direct avec le mouvement ouvrier et révolutionnaire international et avec le mouvement pour la IV International. Les exploités de ce pays pauvre et arriéré ont été à l'avant-garde de ce mouvement.

La lutte actuelle en Bolivie souligne la signification des méthodes politiques de la révolution prolétarienne et de la lutte de masses : grève, manifestation, occupation de rues, occupation de routes, utilisation de la dynamite, affrontements avec les forces de la répression, organisation en comités. On peut dire que la Bolivie est une source pour nous tous parce qu'elle est marquée par l'intervention de masse et toutes les questions que cette intervention pose.

La domination impérialiste

Les affrontements en Bolivie se situent dans le cadre d'une instabilité croissante en Amérique Latine et d'une opposition chaque jour plus directe avec l'impérialisme de Bush. A la différence d'autres régions dans lesquelles l'impérialisme intervient directement, en Amérique Latine, il est confronté à l'activité de masses : Équateur, Bolivie, Venezuela, Argentine...

Les gouvernements soi-disant progressistes sont en train d'échouer dans leur tâche d'assurer la tranquillité et la stabilité de la domination bourgeoise et impérialiste. C'est le sens profond des événements.

Pour l'instant, l'impérialisme n'a pas pu obtenir aucune victoire décisive, comme dans les années 70, qui puisse clôturer cette période d'instabilité et de rébellion de masse. D'un autre coté, la révolution prolétarienne et le gouvernement ouvrier et populaire n'ont pas pu renverser le régime bourgeois. Dans ce sens, on est dans une situation historique totalement instable et transitoire qui va développer devant nous toutes ces facéties dans les prochains mois et les prochaines années.

La domination impérialiste et capitaliste dans cette période donne lieu à une exacerbation de toutes les formes d'exploitation. Les investissements impérialistes - y compris français - articulent la dégradation sociale et nationale. L'exploitation des matières premières se combine avec les formes de capital financier. Les grandes entreprises pétrolières mondiales exploitent la Bolivie et le pays croule en même temps sous le poids de la dette extérieure, avec un État en décomposition.

Les revendications populaires

Un fil conducteur est très important pour comprendre la Bolivie : la revendication de la " nationalisation du gaz ". En réalité, on peut situer le début de la période actuelle au moment de la bataille de l'eau de Cochabamba, en avril 2000. Le peuple occupe la ville, la grève s'installe, pour demander l'expulsion de l'entreprise étrangère qui gère le service d'eau privatisé. La puissance du mouvement oblige le gouvernement à reculer. Victoire politique et sociale des masses. Elles ont obtenu satisfaction à leur revendication. Un autre chapitre tourne autour de la défense de la part de paysans de la culture de la coca contre l'intervention des États-Unis et le gouvernement bolivien à Chapare.

En octobre 2003, un vrai soulèvement populaire éclate contre le gouvernement de Sanchez de Lozada et sa gestion affairiste de l'exploitation du gaz pour fournir les États-Unis. La défense du gaz est la défense des conditions élémentaires de vie du peuple bolivien. C'est une revendication sociale, nationale, anti-impérialiste, démocratique. Elle provoque une lutte directe avec le pouvoir politique, un soulèvement populaire. Ce soulèvement fait fuir le Président et ouvre une longue période d'instabilité politique dans laquelle nous nous trouvons encore aujourd'hui. Le vice-président, Carlos Mesa, prend la présidence pour assurer une solution " institutionnelle ". Il promet un nouveau cadre légal pour l'exploitation du gaz.

Le point clé de cette " solution " est l'accord du MAS, le Mouvement au Socialisme de Evo Morales. Le dirigeant paysan de Chapare est devenu la principale figure politique du pays et le MAS est le grand parti gouvernemental de la gauche. Morales a l'appui de Kirchner, Lula, Castro et Chavez. Morales assure sa loyauté au régime politique et accepte le nouveau cadre légal pour le gaz qu'impose Mesa et qui ne change rien sur le fond. Les entreprises privées peuvent continuer l'exploitation en payant théoriquement un impôt de 50%. Elles gardent tout le contrôle.

La nouvelle crise éclate en mai et une nouvelle fois, le Président doit quitter son poste, le Congrès finit par nommer le Président de la Cour Suprême, Rodriguez Veltzé, qui assume la Présidence de la République, en assurant qu'il y aura des élections avant la fin de l'année. Morales garantit une nouvelle fois la trêve.

Les questions de la nationalisation, de la régionalisation du pays et de la convocation d'une Assemblée Constituante restent en suspense. La Bolivie a un gouvernement de pacotille qui résulte de la décision de l'impérialisme américain de renoncer pour le moment à un régime " fort ", de l'intervention de Lula et Kirchner pour assurer la continuité bourgeoise et de la domination impérialiste et du choix de Morales de se soumettre à tous ses dictats. Les masses peuvent renverser les Présidents et empêcher la stabilité du régime dans la continuité de leurs luttes, mais n'arrivent pas à définir un programme politique propre pour un gouvernement ouvrier et populaire, paysan et indigène.

L'exploitation du gaz a donné lieu à une aggravation des conditions de misère et de saccage du pays. Tous les déséquilibres se sont aggravés et même l'unité nationale est en question. Avec l'appui impérialiste, la bourgeoisie " compradore " de Sauta Cruz demande l'autonomie pour profiter du gaz et pour constituer une enclave étatique de nature réactionnaire, militariste, dans le cœur de l'Amérique Latine.

La longue lutte de masses boliviennes

Les masses boliviennes luttent contre la catastrophe sociale et politique qui s'est aggravé ces dix dernières années alors que le pays prenait une nouvelle place comme producteur de pétrole et de gaz, avec un rôle de puissance régionale.

Elles le font avec leur histoire et leur diversité sociale. Comprendre cette diversité, c'est comprendre les formes du développement du capitalisme dans un pays arriéré. Le prolétariat minier concentré n'existe plus et El Alto, cette " commune d'exploités " de presque un million d'habitants, est devenu le centre de la lutte. Elle est située dans les hauteurs de La Paz, avec une population pauvre, ouvrière, paysanne, indigène. C'est à El Alto qui se sont constitué les formes les plus avancées d'organisation. C'est une combinaison d'organisations sociales et territoriales. La Centrale Ouvrière de El Alto a adopté, le 13 juin, une résolution dans laquelle elle manifeste sa décision de continuer la lutte pour la nationalisation et qualifie le MAS comme un parti " traître " et demande la fermeture du Congrès. Le Président Rodriguez a dû faire une visite à El Alto pour obtenir un arrêt de la mobilisation.

La COB - Central Obrera Boliviana - est l'organisation nationale de la classe ouvrière de Bolivie, mais vidée d'une partie importante de sa substance. Les syndicats en lutte comme les enseignants se manifestent de façon autonome. Mais la COB continue à " représenter " une tradition. La centralisation de lutte ne passe pas par elle, mais on ne peut pas l'ignorer.

Les organisations paysannes et indigénistes ont toute leur importance. Elles ne sont pas un simple appendice des organisations urbaines. Les revendications démocratiques ont pris un nouvel essor comme réaction à la dégradation nationale. Le mot d'ordre d'Assemblée Constituante doit structurer l'intervention politique de cette composante.

La difficulté est que ce mot d'ordre ne doit pas être utilisé pour empêcher et différer la lutte pour la nationalisation du gaz et la centralisation des organisations ouvrières et populaires. Cette centralisation permet de donner une expression concrète au " pouvoir des exploités " : pour un gouvernement des organisations, qui convoque une Assemblée Constituante.

La question du pouvoir

Bien sûr que la question du pouvoir est posée en Bolivie. Mais on doit la poser seulement en relation avec l'évolution politique de masses et ses formes d'organisation. La rébellion populaire est un chapitre de la révolution prolétarienne, mais la prise de pouvoir ne peut pas être décrétée.

Pour l'instant, le mouvement vers les Assemblées Populaires (forme politique apparue en 1971) est très faible. Une réunion de l'Assemblée Populaire dite " originaire ", en référence aux indigènes, a eu lieu a El Alto le 8 juin, sans lendemain. Cette forme d'organisation et d'expression politique va-t-elle être reprise dans une prochaine offensive des masses ? Il n'y a pas de réponse évidente à cette question et encore moins à partir de Paris.

Manifester contre Total et empêcher la privatisation de Gaz de France, défendre l'expropriation des entreprises et la nationalisation du gaz et du pétrole ; discuter sur la Bolivie, diffuser et débattre les documents des organisations et militants, proposer des orientations. Voilà des tâches concrètes liées à la Bolivie auxquelles nous essayons de contribuer...

Marcelo N.

 

1905 en Russie
Forces motrices de la révolution et naissance du bolchevisme

C'est dans le pays le plus arriéré d'Europe, en Russie, que se produisit l'événement sans doute le plus important de l'année 1905, la première grande révolution moderne de l'histoire, première révolution populaire conduite, à la différence de la grande révolution française, par une classe opprimée, la classe des salariés des villes.

Le paradoxe n'est qu'apparent.

Née du choc entre le passé et l'avenir, à la charnière de deux mondes, la révolution de 1905 annonce et préfigure le choc général qui mit aux prises, à l'échelle internationale, les deux grandes classes de la société moderne à travers la guerre de 1914-18, de la vague révolutionnaire qui s'ensuivit, puis de la contre-offensive de la réaction débouchant sur la deuxième guerre mondiale.

Elle ouvre le " cycle de guerres et de révolutions ", selon l'expression de Lénine, suscité par le développement de l'impérialisme durant les vingt années précédentes.

Cette nouvelle phase de la domination capitaliste, caractérisée entre autres par l'exportation de capitaux dans toutes les régions du monde, avait suscité en Russie une industrialisation fiévreuse. Trusts et sociétés par actions occidentales, attirés par les immenses richesses renfermées par le sol russe y avaient réalisé des investissements massifs, décuplés qui plus est par la spéculation effrénée des places financières européennes. La dictature tsariste, le formidable appareil de répression né du retard du développement social de la Russie, semblait devoir y garantir la docilité d'une main d'œuvre surexploitée.

Ce fut l'inverse qui se produisit. La classe ouvrière russe, arrachée aux conditions moyenâgeuses de la paysannerie pour être plongée brutalement dans l'univers de l'industrie et de la grande ville moderne, franchit à travers ses luttes, en quelques années seulement, des étapes décisives pour son organisation et sa conscience politique. Très tôt, dès le début des années 1900, elle se trouva, dans les grandes régions industrielles, à la tête de la contestation politique et de la révolte contre l'absolutisme tsariste, en même temps qu'elle combattait pour sa dignité et ses conditions d'existence.

Au cœur de ces luttes et résistances quotidiennes se regroupèrent les éléments les plus avancés du prolétariat au sein d'un parti social-démocrate et formèrent en particulier son aile la plus radicale, le bolchevisme. Ces premiers regroupements furent les signes avant-coureurs de la révolution qui allait faire exploser la vieille société féodale. C'est à l'histoire de ces prémisses de la révolution qu'est consacré ce premier article sur la révolution de 1905.

Galia Trépère

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