Débatmilitant
Lettre publiée par des militants de la LCR
n°76
6 octobre 2005

Sommaire :
4 octobre, les travailleurs étaient au rendez-vous…

Combinaisons parlementaires et défense des travailleurs sont incomptibles. 2007 : l'équipe Buffet marche sur des oeufs

Retour sur le 25ème anniversaire de la révolte des travailleurs polonais d'août 80 : les travailleurs se battaient pour leurs droits, pas pour l'économie de marché
Brésil : quelle réponse à la crise du Parti des travailleurs ?

 

4 octobre, les travailleurs
étaient au rendez-vous…

Plus d'un million de salariés dans la rue, des manifestations dans près de 150 villes, la journée d'action du 4 octobre s'est imposée à tous comme un succès. Travailleurs du public et du privé, stagiaires, cadres..., se sont retrouvés pour dire leur ras-le-bol des attaques à répétition du patronat et du gouvernement.
Le mouvement de contestation sociale, qui s'était manifesté massivement le 10 mars, puis par le " non " du 29 mai, ressurgit de nouveau, encouragé et renforcé par la lutte des marins de la SNCM. Ceux-ci, par leur audace, ont fait franchir un pas à la révolte qui monte dans toute la classe ouvrière, en renouant avec des méthodes que certains espéraient définitivement rangées au musée de la lutte des classes : occupation de navires, blocage des ports de Marseille et de Bastia, prise d'un navire… Cette audace, passant outre aux freins syndicaux, a imposé sa propre légitimité. Elle constitue, du même coup, un encouragement pour tous les salariés. Un sondage réalisé à la veille de la journée d'action est à ce titre révélateur : trois Français sur quatre étaient solidaires de cette journée de lutte contre la dégradation continue des conditions sociales.
Et ce qui est nouveau, c'est que la grande majorité des manifestants posent maintenant le problème de la nécessité d'une lutte d'ensemble de tous les salariés. Mettant du même coup à l'ordre du jour la question : comment le mouvement peut-il trouver la force de franchir une nouvelle étape, de se transformer en un vaste mouvement d'ensemble, seul capable de faire céder patronat et gouvernement ?

Le mouvement social dicte son ordre du jour au débat politique
Coïncidence ironique, tandis que la contestation occupait les rues des grandes villes, les députés rentraient de vacances. Et c'est sur fond de manifestations que s'est déroulée la séance de " questions au Premier ministre " qui marque l'ouverture de toute nouvelle session parlementaire. Ces questions, posées aussi bien par les députés de droite inquiets que par les quelques députés de gauche qui n'étaient pas dans les manifestations, étaient dictées par la rue. Tout comme les réponses de Villepin, réduit à présenter, avec un cynisme dérisoire, sa politique de casse sociale et de cadeaux aux plus riches comme une réponse aux préoccupations de la population concernant les salaires et l'emploi !
Il prétend être à l'écoute mais il n'entend rien. Pas plus d'ailleurs que son rival Sarkozy paralysé par ses migraines…
Le PS saisit l'occasion de sortir de sa torpeur mais pour exprimer bien plus de méfiance que de solidarité. Hollande, qui manifestait à Tulle, a lancé un appel à toute la gauche : " Il faudra donner au mécontentement une traduction qui aille au-delà de la grève ", " notre rôle, c'est de traduire ces attentes en alternative politique […]…pour 2007 ". Ce petit monde enfermé dans ses préoccupations de pouvoir semble redécouvrir que le monde du travail existe et qu'il sait se battre, mais il ne peut s'empêcher d'exprimer sa crainte. La grève, ça va toujours trop loin, revenons vite aux élections…
Quant à Marie Georges Buffet, elle a profité du meeting de soutien aux marins de la SNCM, lundi 3 à Marseille, pour rappeler que " d'alternance en alternance, la gauche a déçu et la droite est revenue encore plus violente ". Invitant " la gauche à prendre ses responsabilités ", " à s'engager sur le retour d'un grand service public ", elle a affirmé : " il faut que ce soient vos aspirations, vos exigences et votre colère qui constituent notre programme ".
Très bien, mais ce programme, c'est le programme des luttes, un programme pour aujourd'hui gagner par la grève et dans les rues, pas dans les urnes…

Les directions syndicales, engluées dans la " politique de négociation ", font obstacle au mouvement
Les confédérations syndicales, cette fois dans leur ensemble, ont donné au mécontentement général un cadre dans lequel s'exprimer. Mais elles n'ont lancé cet appel commun que contraintes et forcées, poussées par la révolte qui s'exprime de plus en plus dans les rangs des militants. Et les banderoles à peine repliées, elles s'empressent de réclamer des " négociations ".
Il est clair que le rapport de force ne permet pas aujourd'hui de faire céder le gouvernement, mais il est clair aussi que les conditions d'une mobilisation plus forte sont créées. C'est de la prochaine étape de cette mobilisation qu'il faut discuter au lieu de courir pour négocier, donnant crédit au faux recul du gouvernement.
A la SNCM, la détermination des marins à refuser la privatisation et les licenciements qui l'accompagnent a forcé le gouvernement à reculer, à accepter de revoir son plan. Mais la CGT négocie sur des bases qui sont bien en deçà des revendications des marins. Le refus de la privatisation s'est transformé, à l'initiative de Thibault, relayé par Israël, responsable CGT des marins de Marseille, en revendication que l'Etat reste majoritaire avec 51 % des actions. L'" ouverture du capital " acceptée d'avance, le combat des marins se transforme, sur le terrain des " négociations ", en bataille de chiffres : le gouvernement répond qu'il ne peut garder que 25 %, mais que si les salariés représentaient 8 % des actions, l'union des deux constituerait une minorité de blocage de 33 %. Cet " accord " entre le gouvernement et les marins contre lesquels il a envoyé les flics et l'armée serait, parait-il, suffisant pour garantir les intérêts des salariés contre les appétits des repreneurs, Butler et la Connex !
Les interventions de dirigeants syndicaux, à l'issue des manifestations, relèvent de la même logique. " Je ne vois pas d'alternative pour le gouvernement et le patronat que de montrer très précisément et très concrètement, dans les jours qui viennent, par des actes précis, qu'ils ont entendu le message des grèves et des manifestations d'aujourd'hui ", a dit Thibault, commentant le succès des manifestations. Aschierri, secrétaire de la FSU, a exprimé, avec toute sa force de conviction, le désir que le gouvernement " comprenne le message de la rue " et… ouvre, enfin, des négociations. Quant à Mailly, le secrétaire de FO, il " donne 15 jours " à Villepin pour répondre a la revendication… d'ouvrir des négociations.
La gigantesque force de pression que constitue un million de salariés en grève et dans la rue est dilapidée, au prétexte d'exiger du gouvernement la promesse de " négociations " mythiques, dont personne ne définit l'objet.
Mais l'état d'esprit des manifestants, répondant, " pas question d'attendre tout ce temps ", peut ouvrir de toute autres perspectives.

Contribuer à ce que s'organisent les forces pour la riposte
Face à la continuité de la politique du gouvernement et du patronat, contraints de répondre à la révolte croissante des travailleurs, les syndicats devront prendre de nouvelles initiatives. Les partis de gauche n'auront pas d'autre choix que de s'y associer. Le problème qui se pose à nous est de donner un réel contenu à ces initiatives, d'anticiper pour en faire des points d'appui au mouvement, afin qu'il trouve la force, malgré les freins syndicaux et les calculs politiciens, de se transformer en un véritable mouvement d'ensemble.
Disons " chiche " à ceux qui veulent " négocier ", mais sur le terrain des travailleurs pas sur celui du patronat et du gouvernement. Il s'agit d'exiger qu'ils portent réellement les revendications du monde du travail, en les tenant sous le contrôle démocratique du mouvement. De la même façon, disons " chiche " à Buffet, à Hollande, à Fabius, à tous ceux qui semblent découvrir, sous la pression de la rue, l'ampleur des conséquences sociales et de la révolte que leur propre politique a largement contribué à créer. Qu'ils se disent de notre côté contre cette politique, très bien, ils se désavouent eux-mêmes, qu'ils s'engagent sur un programme politique répondant à nos revendications, qu'ils se plient à nos exigences…
Pour cela, il nous faut faire monter d'un cran la pression par l'intermédiaire des réseaux, des liens unitaires et démocratiques, par le canal des collectifs du " non ", réactivant les collectifs interpros qui s'étaient constitués en 2003 à l'occasion de la lutte contre la loi Fillon sur les retraites. C'est un des moyens de répondre au besoin d'unité, intersyndicale, interprofessionnelle et politique, qui se manifeste de toute part. Cela permettrait également de nous préparer à exercer notre contrôle démocratique sur le mouvement, sur les directions syndicales. Cela constituerait un cadre dans lequel pourrait s'exprimer et trouver un moyen de s'organiser le mécontentement que suscite chez de nombreux militants leur politique de " négociation " et de " diagnostic partagé ". Cela permettrait enfin d'offrir aux jeunes travailleurs, en particulier du privé, qui viennent à l'organisation syndicale et à la lutte, un cadre démocratique et attractif.
De la multiplicité de motivations qui ont rassemblé les manifestants du 4 octobre, de la diversité des problèmes de la vie quotidienne auxquels chacun d'entre nous est confronté comme des exigences qui se sont exprimées le 4, se dégagent des revendications fédératrices, capables d'apporter des réponses concrètes à ces situations concrètes : sur l'emploi, par le partage du travail entre tous, l'interdiction des licenciements, le contrôle des salariés sur le comptes des entreprises ; sur les salaires, avec la revendication d'une augmentation générale de 300 € pour tous et pas de revenus inférieurs à 1500 € mensuels…
Il s'agit de contraindre patronat et gouvernement à négocier sur les exigences du monde du travail, sur ses propositions, pas les leurs.

Eric Lemel


Combinaisons parlementaires et défense des travailleurs sont incompatibles
2007 : L'équipe Buffet marche sur des œufs

La candidature de Marie-George Buffet à la présidentielle marque le pas. Rassérénée par la victoire du "non" au référendum le 29 mai dernier, la secrétaire nationale du Parti communiste français envisage dès avant l'été la présence de sa formation au premier tour de la présidentielle : " Il y aura une candidature communiste en 2007 " affirme-t-elle dans Le Monde le 16 juin. Et d'ajouter : " Je crois que cette candidature sera très utile au débat et au rassemblement de la gauche ".
En marge des travaux du conseil national le 21 septembre, la dirigeante communiste corrige le tir. À ses yeux, le PCF pourrait soutenir une candidature non communiste au premier tour de la prochaine présidentielle, même si " pour 2007, nous pensons qu'une candidature communiste pourrait être un atout ", tempère-t-elle. Assurée en juin, la présence d'un communiste dans la course à l'Élysée semble dorénavant en question, conditionné par sa capacité à être… " utile ".
Devant le tollé dans les rangs des parlementaires réunis à Saint-Amand-les-Eaux dans le fief d'Alain Bocquet, la numéro un du PCF opère un premier recul : " Ma conviction est qu'une candidature communiste pourrait être un atout dans la démarche populaire et citoyenne de rassemblement de toute la gauche, précise-t-elle désormais. Mais nous sommes à un an et demi de l'échéance. Quel décalage entre les aspirations des citoyens et l'inflation des candidatures ! Il nous reste à faire la démonstration de cette utilité, en agissant de sorte que les citoyens s'emparent des enjeux politiques comme durant le débat référendaire. "
Mise en minorité lors du conseil national des 2 et 3 octobre 2004 sur les échéances de 2007, l'équipe entourant Buffet revoit d'autant plus vite aujourd'hui sa copie ; elle renvoie le débat au trente-troisième congrès du PCF qui définira officiellement en mars prochain la position du parti. D'ici là, elle mise sur la " dynamique " des " mille forums " lancés pour élaborer " un programme politique alternatif " au libéralisme, et qui s'achèveront par des assises le 26 novembre, pour reprendre la main - ces forums sont ouverts à toute la gauche, direction du PS incluse bien sûr.
Alain Bocquet, le président du groupe communiste à l'Assemblée nationale, traduit l'état d'esprit de l'appareil du parti et de nombres d'élus face à l'hypothèse d'un soutien à une candidature non communiste à la présidentielle. " Pour moi, c'est inenvisageable : une candidature communiste est une nécessité ", clame-t-il. À l'exception notable des refondateurs et de sa garde rapprochée, Marie-George Buffet essuie le tir de toutes les fractions qui composent le PCF aujourd'hui, des partisans de Robert Hue aux orthodoxes, en passant par les conservateurs.
L'ancien secrétaire national, Robert Hue présente Marie-George Buffet comme une " candidate naturelle ". Le député orthodoxe André Guérin ne dit pas autre chose. Et Maxime Gremetz l'assure : " De toute façon, quoi que décide l'appareil, il y aura un candidat communiste ". Pour porter les couleurs du parti, le nom d'Alain Bocquet circule déjà dans le landerneau communiste, même si - évidemment - le patron des parlementaires du PCF estime pour l'heure que " notre secrétaire nationale, Marie-George Buffet, serait bien placée pour les porter ".
Les atermoiements à la tête du PCF témoignent de l'absence de confiance qui gagne un parti pris en étau entre d'un côté un Parti socialiste sorti vainqueur des urnes en 2004 (régionales, européennes et cantonales) et sans lequel un retour au pouvoir est exclu et d'un autre côté une extrême gauche renforcée depuis 1995 sur le plan électoral et militant. L'équipe Buffet cherche à assurer la réélection de ses milliers d'élus en ménageant ses partenaires socialistes dans les municipalités, départements et régions tout en coupant l'herbe sous le pieds aux courants révolutionnaires - la LCR et Lutte ouvrière - dont les portes paroles, Olivier Besancenot et Arlette Laguiller, incarnent l'alternative au social-libéralisme et à la politique d'accompagnement des attaques anti-ouvrières à laquelle a prit part le PCF depuis 1981, et ce directement au gouvernement avec le PS de 1981 à 1984 et de 1997 à 2002. Une broutille !
La secrétaire nationale entend simplement poursuivre l'orientation qu'elle a inaugurée lors des régionales en Île-de-France en s'alliant avec des secteurs de " la gauche de la gauche ", cette " gauche radicale " ralliée aujourd'hui à la tête de la région aux sociaux-libéraux qu'elle vilipendait pourtant la veille encore. Le mécano mis en place en Île-de-France mettait au second plan le logo du PCF au profit de celui de la Gauche populaire et citoyenne, tout en assurant aux communistes le premier rôle - Marie-George Buffet était tête de liste. Renforcer le PCF en le faisant disparaître… CQFD !
La situation en Île-de-France révèle crûment ce qu'il adviendrait aux courants s'engageant dans la recherche de candidatures unitaires sur la base d'une orientation ne tranchant pas avec l'expérience de la gauche au pouvoir, à l'échelle du pays mais également au niveau des municipalités.
Huistes, conservateurs et orthodoxes promeuvent quant à eux une ligne " autonome " - Alain Bocquet faisant valoir les résultats de sa liste estampillée " PCF " dans le Nord lors des Régionales -, mais le cap lui, en revanche, ne varie pas d'un pouce de celui fixé par Marie-George Buffet : stopper l'hémorragie électorale, reconquérir les positions perdues face à l'extrême gauche et, au final, renégocier sa place avec le PS.
Et les partisans de la secrétaire nationale, comme ses opposants, s'emploient à réinscrire les socialistes dans le jeu, ne manquant pas une occasion d'épingler l'extrême gauche. " Moi, rappelait Marie-George Buffet, en clôture de la fête de L'Humanité, ce que je vous propose, ce n'est pas une énième alternance ou une opposition sans débouchés ", renvoyant dos-à-dos sociaux-libéraux et révolutionnaires. Et de souligner que son ambition, " C'est une gauche durable parce qu'elle est portée par un projet politique, parce qu'elle est le résultat d'un élan populaire ". Une gauche durable ? C'est précisément, et ce mot pour mot, la perspective dégagée par… François Hollande.
La dynamique du référendum doit se donner un nouvel objectif, celui d'une majorité à gauche sur un programme de transformation sociale antilibérale ", répète Marie-George Buffet. Alain Bocquet est tout aussi explicite sur les perspectives : " Je tends la main à tout le monde. On peut avoir voté oui et vouloir changer la société, fait-il valoir. Il y a un débat idéologique, c'est clair, il faut le conduire avec tous nos partenaires naturels. Il est trop facile de se retrouver entre soi, entre gens qui pensent la même chose ". Aucune ambiguïté possible sur les intentions véritables de Bocquet et celles des " autonomistes " dans le PCF : " […] au deuxième tour, des alliances sont légitimes en vue d'une alternative de gauche ".
L'extrême gauche doit mener une politique claire et sans faux-semblant. L'unité qui s'est constituée à la base pendant la campagne référendaire et qui s'est renforcée avec la victoire du 29 mai a été imposée à la direction du PCF. Cette dernière, pendant des mois, a entravé la mise en place des comités pour le " non " ; au final, elle s'y est ralliée pour mieux en limiter la portée : l'équipe Buffet, fidèle à une vieille tradition, conçoit l'unité uniquement derrière le PCF - son orientation et ses objectifs.
Personne ne peut être dupe. L'union proposée par Buffet et consort est un ralliement pur et simple. Il ne s'agit pas de s'unir pour les luttes mais pour les élections. Et nombre de militants communistes sont les premiers à rejeter une orientation qui vise à refaire ce qui a été défait en 2002. Beaucoup se sont réinvestis pendant la campagne référendaire et demeurent en attente d'un débouché qui tranche avec une énième mouture d'union de la gauche. D'une certaine façon, c'est de cette rupture à la base, chez ces militants et électeurs traditionnel du PCF et du PS, dont témoigne le développement de l'extrême gauche depuis dix ans. C'est ce coin qu'il convient d'enfoncer.
Le 3 octobre, un meeting unitaire pour soutenir les grévistes de la SNCM avait lieu place de la Joliette à Marseille. Marie-George Buffet militait pour que le socialiste François Hollande et le Vert Yann Wehrling y participent ; ils ne se sont pas déplacés. En revanche, Olivier Besancenot et Arlette Laguiller y étaient, dessinant un autre chemin que l'alternance électorale en 2007, celui des luttes.
Les tentatives du PCF visant à relégitimer la présence des socialistes vont se multiplier ; la gauche révolutionnaire doit impérativement s'en dissocier, sinon à prendre le risque de remettre en scelle des solutions réactionnaires. Derrière le mirage des candidatures unitaires défendues ici ou là se dessine un ralliement à une nouvelle union de la gauche rebaptisée par le PC " union populaire majoritaire ". Les révolutionnaires dénoncent ces manœuvres qui visent à resservir une politique contraire aux intérêts des travailleurs.
Dans une interview donnée au Figaro le 5 octobre, François Hollande renforcé par la signature commune d'un appel à la manifestation du 4 avec les tenants du " non " au référendum, parmi lesquels la LCR, pavoisait : " Nous sommes prêts à fédérer toute la gauche autour d'un contrat de gouvernement qui nous engage devant les Français. J'en ferai la proposition à nos partenaires traditionnels, au lendemain de notre Congrès. Nous, nous voulons changer dès 2007 la réalité de notre pays. Toutefois, le temps presse. Que chacun prenne ses responsabilités. Que ceux qui en veulent toujours plus, prennent conscience du risque d'avoir beaucoup moins. Que ceux qui attendent la révolution permettent déjà aux Français, qui veulent des réformes progressistes, de battre la droite ".
Battre la droite pour continuer la même politique ? Que chacun prenne ses responsabilités, bien sûr. Cela commence pour les militants d'extrême gauche à unir leurs forces pour porter les exigences du monde du travail, et ce dès aujourd'hui dans les mouvements revendicatifs qui émergent ; cela passe par le renforcement du pôle révolutionnaire qui s'affirme depuis 1995 en rupture avec la gauche gouvernementale, estampillée PS ou PCF. Ce parti des luttes défendra les exigences des classes populaires quelque soit le gouvernement qui sortira des prochaines échéances électorales et des futures combinaisons parlementaires, en toute indépendance de classe.

Serge Godard

 

Retour sur le 25ème anniversaire de la révolte des travailleurs polonais d'août 80 :
les travailleurs se battaient pour leurs droits, pas pour l'économie de marché


Le 31 août 1980, une formidable mobilisation ouvrière faisait reculer la dictature polonaise en contraignant son représentant, le vice-premier ministre Jagielski, à signer publiquement les accords de Gdansk à l'intérieur même des chantiers navals, reconnaissant ainsi le syndicat ouvrier Solidarnosc, indépendant du pouvoir et de l'Etat.
A l'occasion du 25ème anniversaire des accords de Gdansk, l'unanimité politique de ceux pour qui l'économie de marché est synonyme de démocratie s'est affichée, détournant au profit d'une propagande mensongère la signification de la lutte des travailleurs polonais. " La fin du communisme " a été à nouveau célébrée. Chirac, dans une lettre à Lech Walesa, ancien dirigeant de Solidarnosc, a parlé d'" un cours nouveau à l'histoire de l'Europe ", entendant par là réaffirmer la légitimité de la concurrence " libre et non faussée " proclamée dans la Constitution européenne. Dans l'Express du 5 septembre, un journaliste a écrit : " de nouvelles démocraties ont vu le jour ; l'économie de marché, avec ses défauts et ses formidables atouts, a conquis de nouveaux pays ; nombre de nations ont recouvré leur souveraineté ; la paix, envers et contre le drame yougoslave, règne sur une Europe élargie. Ces acquis-là ont leurs racines à Gdansk ". Le journaliste Bernard Guetta, présent à Gdansk en 1980, témoigne aujourd'hui : " j'étais là… et je croyais revoir le film à l'envers : retour à 1917, aux soviets, mais changement de scénario. Les mencheviks l'emportent, la révolution prolétarienne ne sera pas bolchevique ".
Les combats menés par la classe ouvrière, une fois celle-ci défaite, sont dénaturés, vidés de leur contenu vivant et démocratique, la bourgeoisie cherchant à se les approprier en en transformant leur véritable objectif. La classe ouvrière polonaise ne se battait pas pour faire progresser l'économie de marché mais pour ses droits et la liberté. Et l'entrée de la Pologne dans l'Union européenne, couronnant la victoire de l'économie de marché, loin d'impulser un cours nouveau, s'est faite sur la base de la référence réactionnaire à la " tradition chrétienne ", et avec le maintien de l'interdiction de l'avortement.

La classe ouvrière riche des leçons de ses combats précédents
Dans toute la Pologne, dans les pays de l'Est, et au-delà, notamment parmi les salariés et les militants ici, les quinze mois de luttes des travailleurs polonais ont été suivis au jour le jour et ont suscité espoir et sympathie : une dictature haïe, se réclamant du communisme pour exploiter durement la classe ouvrière, ennemie des libertés, imposant son ordre à travers un régime de parti unique, le POUP (Parti ouvrier unifié de Pologne), sa milice et son armée, devait accepter l'organisation démocratique des travailleurs dans un syndicat indépendant, Solidarité (Solidarnosc en polonais). Cette victoire ouvrière dans un pays faisant partie de la zone d'influence de l'ex-URSS, conséquence du partage du monde imposé par les puissances victorieuses après la 2ème guerre mondiale, pouvait signifier un renouveau des luttes ouvrières pouvant faire contagion dans d'autres pays d'Europe de l'Est, voire en URSS même.
La victoire de 1980 a été acquise chèrement par une classe ouvrière qui avait une riche expérience de la lutte à partir de ses combats menés en 1956, 1970 et 1976.
Pour elle, il s'agissait de vivre décemment et librement, d'imposer un partage des richesses qui lui soit plus favorable. Et elle a répondu présente chaque fois que le POUP a voulu lui imposer un rapport de forces encore plus défavorable, en décrétant l'augmentation des normes de travail et celle des prix sur les produits alimentaires de base, de l'ordre de 50 à 70 %. La politique anti-ouvrière menée par le parti unique dirigeant était d'autant plus dure qu'il devait satisfaire les intérêts économiques de l'ex-URSS tout en se servant au passage. A chaque fois, la classe ouvrière a répondu par des émeutes, des manifestations, des grèves, en incendiant des locaux du POUP, parfois en cherchant à s'armer. En 1956, en 1970 et en 1976, la répression a fait des centaines de morts, des milliers de travailleurs ont été licenciés ou emprisonnés en même temps que le gouvernement changeait de main, faisant miroiter l'espoir d'un changement de politique qui pouvait être accrédité par le fait que le nouveau dictateur, toujours issu des sphères dirigeantes du POUP, procédait à un retour en arrière sur les augmentations des normes de travail et des prix, le temps que la colère ouvrière soit calmée.
Malgré le risque d'une intervention de l'armée soviétique, stationnée aux portes de la Pologne, les travailleurs ont fait preuve de combativité pour défendre leurs intérêts contre ceux de la clique au pouvoir, à la botte de l'ex-URSS lui garantissant le pillage économique du pays dont l'économie fonctionnait en partie en lien avec celle de son maître.
Grâce à leurs luttes antérieures, les travailleurs polonais avaient une expérience concrète qui leur a servi en 1980.
Ils avaient appris que le remplacement d'un dirigeant par un autre qui, provisoirement, reculait sur les revendications ouvrières, était une duperie : les travailleurs devaient contrôler eux-mêmes les négociations, rester mobilisés pour vérifier l'application des promesses faites quand ils étaient en situation de se faire craindre.
Pour exercer leur pression, quels que soient les changements à la tête de l'Etat, ils avaient besoin de s'organiser de façon permanente, dans des organisations indépendantes du parti et de l'Etat, comme des syndicats officiels, appendices du POUP, de se donner leurs propres organisations de lutte. " Nous savions bien que si nous n'obtenions pas cela, nous n'obtiendrions rien " déclare un gréviste de 1980.
Face à la répression à laquelle les manifestations de rue prêtaient le flanc, ils pouvaient tenter d'y échapper en se mobilisant dans les usines, en les occupant, en faisant appel à la solidarité active de tous ceux qui se reconnaissaient dans leur combat pour les entourer d'un cordon sanitaire de sympathie.
Des salariés et des militants licenciés, emprisonnés, puis relâchés, se sont préparés tout au long des années de dictature. Lech Walesa était un de ceux-là, électricien licencié des chantiers navals Lénine de Gdansk lors des grèves de 1976. Il avait rejoint alors le KOR (Comité de défense des ouvriers) qui s'était constitué pour venir en aide aux licenciés de 1976, leur apporter un soutien matériel et politique.
Parmi les intellectuels de divers horizons qui en étaient à l'initiative, certains étaient proches des milieux catholiques, d'autres de l'extrême gauche trotskyste comme Jacek Kuron, Adam Michnik, d'autres encore sans passé politique. Le KOR était partisan de l'union des forces des étudiants et des ouvriers contre le régime pour que ne se renouvelle pas la situation des grèves de 1970 dont la jeunesse était restée à l'écart, reprochant aux ouvriers de ne pas les avoir soutenu lors de leur mobilisation de 68. Se référant à une idéologie confuse, empreinte de nationalisme, ils luttaient pour les libertés démocratiques et des réformes. L'influence de l'Eglise s'est trouvée renforcée en son sein et dans l'opposition avec l'engagement politique de l'archevêque de Cracovie, Karol Wojtyla, devenu en 1978 le pape Jean Paul II, prônant ouvertement le soulèvement contre le communisme.
Les militants des chantiers navals de Gdansk qui ont préparé la grève de 1980 et ont impulsé le comité de grève étaient membres du KOR.

Avec leurs armes de classe, en 1980, les travailleurs arrachent un important recul au gouvernement…
Le 1er juillet 1980, le gouvernement de Kania impose une hausse brutale de 50 à 80 % du prix de la viande, déclenchant une vague gréviste. La grève démarre parmi les 17 000 ouvriers qui occupent les chantiers Lénine de Gdansk le 14 août, organisés dans un comité de grève élu, pour des hausses de salaires, la réintégration d'Anna Walentynovicz, militante du syndicat clandestin Solidarnosc, la reconnaissance du syndicat. Deux jours après, le gouvernement cède des augmentations de salaires. Sous la pression ouvrière, pour que ne se renouvellent pas les expériences précédentes où sitôt la grève arrêtée, le gouvernement reniait ses promesses, le comité de grève décide la poursuite de la grève tant que les autres entreprises n'auront rien obtenu. Et l'organisation ouvrière franchit un pas en avant en mettant en place un comité de grève régional inter-entreprises, le MKS, regroupant 600 entreprises, qui pose des revendications politiques pour toute la classe ouvrière : la liberté syndicale, le droit de grève, la liberté d'expression. La solidarité ouvrière est contagieuse et bientôt, la grève s'étend à l'ensemble du pays ; les travailleurs sont en situation de force, ils donnent comme objectif à leur lutte de faire céder le gouvernement.
Un programme d'urgence sociale et démocratique en 21 points est élaboré démocratiquement, discuté point par point, en liaison téléphonique. Forts de leur détermination, ils refusent les négociations entreprise par entreprise, exigent des négociations globales avec le MKS, retransmises dans les deux sens par hauts-parleurs, ce qui permet l'expression directe et démocratique des ouvriers et leur contrôle sur les discussions. Le 23 août, le vice-premier ministre, le général Jagielski vient négocier aux chantiers en personne, accompagné de Lech Walesa. Le 30 août, toutes les télés retransmettent sa réponse " j'accepte, je signe " répétée 21 fois à chaque revendication acceptée.
Les travailleurs, unis dans la victoire grâce au rapport de forces qu'ils ont su imposer par en bas au gouvernement sont le symbole de la dignité ouvrière pour toute la Pologne et au-delà. A partir de cette victoire, dans l'ensemble des entreprises, les travailleurs gagneront le droit de créer des syndicats libres et indépendants du pouvoir et du patronat, la garantie du droit de grève, la révision de la situation des licenciés et des militants emprisonnés depuis le mouvement de 1970. Le syndicat Solidarité va voir ses effectifs exploser jusqu'à regrouper 10 millions des 13 millions de salariés, syndicat de luttes, puisant son énergie et son dynamisme dans le dévouement et la combativité de milliers de militants ouvriers qui se sont politisés au décours des combats sociaux et qui ont gagné la sympathie active de différentes couches de la population qui s'organisent à leur tour dans des syndicats Solidarité.
Ce formidable recul imposé à la dictature déconsidérée, affaiblie, discréditée, met à l'ordre du jour la nécessité de continuer à peser sur le rapport des forces pour garantir les concessions arrachées, les généraliser, contrôler leur application et préparer la prochaine étape qui impliquait de s'en prendre directement à l'Etat.
Un gouvernement démocratique des travailleurs et de leurs organisations pouvait être le débouché politique aux luttes. Il aurait tiré sa légitimité de la mobilisation même des travailleurs suscitant celle de la paysannerie qui était en train de s'organiser, et de tous les exploités. Il aurait garanti le contrôle des ouvriers sur les entreprises, légalisant de fait les revendications imposées par les luttes, mettant les moyens de l'Etat au service de la démocratie, garantissant la plus large liberté d'expression et préparant l'affrontement inévitable avec les forces de répression.

… mais leur défaite politique ouvre la voie aux ravages de l'économie de marché
Au lieu de cela, la direction de Solidarité, prisonnière de ses liens avec l'Eglise, de son réformisme, de ses illusions envers le parlementarisme tel qu'il existe dans les pays occidentaux, va louvoyer, démoraliser les travailleurs, les laisser sans perspectives, laissant ainsi libre le chemin à l'adversaire de classe qui exploitera les concessions faites par la direction de Solidarité pour préparer sa revanche. A nouveau, le gouvernement affirme respecter les accords de Gdansk tout en les remettant en cause dans les faits. Les travailleurs toujours mobilisés répondent au coup par coup mais ils épuisent leurs forces dans une situation qu'ils ne contrôlent plus et qui laisse l'initiative à Walesa, dont la légitimité s'appuie sur la grève victorieuse, entouré de ses experts du KOR. Walesa, plus soucieux de reconnaissance officielle renforce ses liens avec l'Eglise et joue selon ses propres dires, le rôle de " pompier " des grèves. Ainsi, lorsqu'en mars 1981, la milice intervient contre les militants de Solidarité en négociation avec les représentants gouvernementaux à Bydgoszcz, il annule la grève générale prévue.
Le POUP est trop déconsidéré pour être en situation de venir à bout de la situation, c'est l'armée, pilier de l'Etat, qui reprend la situation en main en faisant un coup de force, dans la nuit du 12 au 13 décembre 1981, balayant toutes les conquêtes démocratiques ; Solidarité est interdite, ses militants emprisonnés ; la classe ouvrière a perdu tout ce qu'elle avait conquis par ses luttes.
Ce n'est pas la combativité ouvrière qui faisait défaut, le soulèvement spontané du 31 août 1982, pour le deuxième anniversaire des accords de Gdansk en témoigne. Mais la direction réformiste qu'elle s'était donnée ne rêvait que d'intégration au système et la levée de l'état de siège le 23 juillet 1983 allait révéler sa véritable nature sociale.
La crise économique frappait de plein fouet l'économie polonaise, le rapport des forces n'était plus en faveur des travailleurs et l'Etat en place se tournait complaisamment vers le marché occidental. En février 83, des élections étaient organisées qui donnaient l'avantage aux partisans de Solidarité qui dès lors, avançait ouvertement sous le drapeau du libéralisme bourgeois... et Walesa, reconnu par ses pairs, recevait le prix Nobel de la paix.
La chute du Mur de Berlin en novembre 1989 libérait les tendances nationalistes bourgeoises dont Walesa et ses conseillers se sont fait les représentants, faute de l'existence d'une bourgeoisie polonaise conséquente. L'Eglise, avec sa hiérarchie encadrant la population et son représentant papal en symbiose avec les dirigeants du monde capitaliste, ont été les principaux artisans de la remise en selle de l'économie de marché au nom de la sempiternelle lutte contre le communisme et pour la " démocratie ". Walesa a été conséquent dans son reniement, élu Président de la République en décembre 1989, sa politique a contribué à établir un rapport de force en faveur du marché, ne reculant pas devant la répression des grèves ouvrières.
Le rapport des forces internationales avec l'effondrement de l'ex-URSS en décembre 91 a réintégré la Pologne dans l'économie de marché ; la Pologne a été livrée au dépeçage de ses industries, de ses services publics, faisant flamber le chômage, révélant les ravages de la démocratie du marché et du parlementarisme bourgeois avec son cortège de corruption.

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Aujourd'hui, tous les laudateurs de la démocratie à la polonaise veulent faire oublier que la véritable démocratie a existé lorsque les travailleurs luttaient pour leurs droits, pour les libertés, avec le soutien de toute la population.
Ils célèbrent le 25ème anniversaire des accords de Gdansk en en faisant le point de départ vers des lendemains meilleurs prétendant que la classe ouvrière s'est battue pour l'économie de marché alors que c'est sur la base de sa défaite qu'elle s'est développée, apportant son lot de catastrophes sociales qui lui sont inhérentes. Walesa et l'Eglise y ont contribué comme ils se prêtent aujourd'hui à cette imposture.
Les ouvriers polonais, eux, ont écrit une page de l'histoire ouvrière qui appartient au monde du travail.

Valérie Héas

 

Brésil : quelle réponse à la crise
du Parti des travailleurs ?

 

La crise du PT brésilien semble désormais avoir atteint un point de non-retour depuis l'été avec la série de révélations en cascade mettant à jour un immense système de corruption au sommet du parti et de l'Etat. C'est une crise aux dimensions multiples qui dépasse largement le seul problème de corruption ainsi que l'a rappelé l'article précédant publié dans Débat Militant n° 74. Simplement la corruption a joué le rôle d'un révélateur.
L'origine du scandale est en effet directement liée aux choix politiques de Lula et de son gouvernement : il s'agissait d'acheter les voix de dizaines de députés de droite afin d'assurer une majorité au parlement qui permette de faire la politique que ces députés de droite auraient pu tout aussi bien faire… sans le PT ! Ce scandale révèle également à quel point il n'y a plus d'issue dans le parti lui-même : les dirigeants directement mis en cause sont justement ceux qui continuent à représenter l'actuel courant majoritaire, comme si rien ne s'était passé ! Quant à l'opposition, elle mène volontairement la bataille sur un terrain abstrait, au nom de la morale et des idéaux du PT, se refusant toujours à condamner et à se désolidariser de la politique du PT au gouvernement.
L'enjeu de cette crise et le bilan de cette expérience concernent évidemment tous les militants révolutionnaires. En février de cette année, le Comité international de la IV° Internationale publiait un texte qui, sous prétexte de mener une discussion sur la participation au gouvernement en des termes qui évitent les " critères abstraits ", " abstractions doctrinaires " et autres " dogmes ", évitait surtout soigneusement de répondre à la question de fond : est-il possible pour un parti ouvrier de mener une politique qui défende réellement les intérêts des exploités dans le cadre des institutions bourgeoises ? A d'autres époques, même un Jaurès évitait de répondre par l'affirmative, en condamnant le " ministérialisme " d'un Millerand…
Au Brésil, le bilan absolument dramatique de cette expérience du pouvoir pose dans l'immédiat d'autres questions : quelle issue positive donner à la crise du PT ? Et comment en sortir ? Pour faire quoi et avec qui ?
Les réponses que donnent les deux principales organisations trotskystes ou animées par des militants trotskystes sont-elle à la hauteur des enjeux ?

Entre l'abstention révolutionnaire…
Le PSTU est aujourd'hui encore l'une des principales organisations trotskystes (liée au courant moréniste) qui milite au Brésil. Elle s'est construite à l'origine avec des camarades qui avaient été exclus du PT en 1992 pour avoir combattu le cours de plus en plus droitier imposé par Lula déjà à cette époque. Pourtant et assez bizarrement, la crise actuelle du PT n'a pas l'air de beaucoup intéresser ces camarades.
La politique du PSTU est en effet assez paradoxale. La crise de l'heure est celle qui frappe le PT et l'heure n'est pas aux hésitations car c'est évidemment la priorité aujourd'hui d'avoir une politique à offrir aux militants du PT qui auraient encore envie de militer et de le faire avec des révolutionnaires (car il y a quand même peu de chances qu'une telle occasion se reproduise et que les militants qui ne quittent pas le PT aujourd'hui le quittent un jour, en tout cas sur des bases qui permettraient de rejoindre les révolutionnaires ! L'histoire repasse rarement deux fois le même plat…).
Mais ce n'est pas l'urgence pour le PSTU. L'heure est à la " bolchevisation ", à la préparation de " l'explosion " sociale qui devrait inévitablement intervenir dans ce contexte de crise selon eux, alors que tous les indicateurs sont au rouge et que le moral de la classe ouvrière est au plus bas. Il y a manifestement un décalage important entre la crise qui traverse certains milieux militants et l'apathie relative qui a gagné la masse des travailleurs. Mais plutôt que d'essayer de résoudre cette contradiction, c'est manifestement la tentation de contourner la difficulté qui l'a emporté, en privilégiant du même coup des objectifs internes : se construire, serrer les boulons, et se donner l'illusion qu'à un ou deux milliers de " vrais bolcheviques ", on fera face aux grands événements qui ne manqueront pas de frapper à la porte…
Ce choix est d'autant plus paradoxal que ces militants sont justement issus d'une crise du PT, et qu'ils ont essayé récemment encore d'y intervenir durant la période qui a précédé immédiatement la naissance du P-SOL (entre décembre 2003, date de l'exclusion de quatre parlementaires du PT dont Heloisa Helena, et juin 2004, date de la conférence à Brasilia qui a décidé la construction de ce nouveau parti sans le PSTU). Ils ont essayé, mais finalement bien peu, puisque ce fut apparemment et autant qu'on puisse en juger de loin, avec un mélange de critiques justes destinées à délimiter un peu mieux le programme du futur parti, et une série d'ultimatum (notamment sur le parti révolutionnaire " centralisé ") qui ne pouvaient à l'évidence que braquer la plupart des militants et des dirigeants qui venaient tout juste de sortir du PT .
Or fallait-il abandonner aussi vite l'affaire ? Et faut-il désormais se contenter de quelques messages ou " adresses " qui serviront surtout d'alibi dans le cas où le PSTU présentera un candidat contre Heloisa Helena aux présidentielles de 2006, au lieu de chercher réellement à convaincre et à entraîner les militants du P-SOL sur une politique commune ?
Le PSTU est une organisation qui compte et qui a gagné un certain crédit pour avoir pratiquement seule mené une politique indépendante du PT pendant des années. Sa relative absence dans la crise actuelle du PT pèse lourdement mais pas dans le bon sens !

…et l'engagement teinté d'opportunisme
Le P-SOL même dirigé pour l'essentiel par des militants trotskystes, a quant à lui une toute autre histoire. Ce n'est pas un parti révolutionnaire. Mais ce n'est pas non plus le Linkspartei du Brésil.
Car à comparer les deux, ce sont plutôt les différences qui frappent. Certes de nombreux dirigeants et militants du P-SOL ont occupé des postes élus parfois importants lorsqu'ils étaient dans le PT, en tant que maires, députés ou sénateurs, mais ils n'en sont pas devenus pour autant des notables de la Social-démocratie... Les dirigeants trotskystes du P-SOL ont mené une vraie bataille politique durant des années, d'abord dans le cadre de tendances de gauche au sein du PT, puis de manière plus frontale contre la politique menée par le PT au gouvernement, notamment sur la question des retraites (jusqu'à l'exclusion de quatre d'entre eux en décembre 2003).
Mais précisément parce que c'est un parti issu de la crise organique du PT, l'avenir du P-SOL reste complètement ouvert et incertain.
En faisant le choix de construire un " parti anti-capitaliste large " (c'est à dire un parti où la question stratégique de la réforme et de la révolution n'est pas clairement tranchée), les camarades du P-SOL ont peut être fait pour l'instant un choix qui semble adapté à la crise du PT. C'est un choix qui leur permet en tout cas de s'adresser bien plus facilement que le PSTU aux militants du PT qui ne se reconnaissent plus dans la politique de Lula sans être devenus pour autant de " vrais bolcheviques ". Mais c'est évidemment un choix marqué du sceau de l'ambiguïté qui, si il devait se prolonger, poserait évidemment bien plus de problèmes.
Car la crise actuelle du PT vient de loin : il faut sans doute remonter à ses origines de " parti ouvrier ", certes indépendant de la bourgeoisie mais pas de ses institutions. La crise en tout cas pose des problèmes de fond : celui de la bureaucratisation des directions du mouvement ouvrier et de leur intégration à l'Etat. Elle pose également le problème des moyens de les combattre.
De ce point de vue, les réponses actuelles du P-SOL ne sont guère satisfaisante sur le plan programmatique : le retour critique sur le passé est manifestement insuffisant.
Elles ne sont pas satisfaisantes non plus d'un point de vue pratique. Car si le P-SOL existe de fait avec toute une série de militants dans les entreprises et dans la CUT, sa vie pour l'instant et jusque en 2006 est presque exclusivement dominée par la nécessité de se faire reconnaître sur le plan institutionnel et par les échéances des élections présidentielles. De ce point de vue, les risques de reconstruire le PT avec les mêmes défauts mais beaucoup plus vite (le PT était né en 1980 dans un autre contexte marqué par les luttes sociales et par la lutte contre la dictature) sont bien réels. Le danger s'est encore accru avec l'accélération récente de la crise du PT : un nombre croissant de députés qui ne sont pas d'extrême gauche sont en train de rejoindre le P-SOL dans l'espoir sans doute d'éviter le bouillon électoral.
Avec le succès et dans ce contexte, la nécessité d'une clarification politique s'impose plus que jamais.

Le " parti anticapitaliste " pour quoi faire ?
La crise du PT et la nécessité d'y apporter non seulement une réponse politique mais également une réponse sur le plan organisationnel (dans la mesure où de nombreux militants du PT sont aujourd'hui prêts à le quitter) posent un problème qui concerne l'ensemble des militants révolutionnaires : quel type d'organisation construire qui permette effectivement d'offrir un cadre à ces militants qui ne sont pas (encore) révolutionnaires, sans pour autant s'engager dans une voie qui pourrait se révéler très vite être une impasse réformiste ?
La question du " parti anticapitaliste large " fait débat. Mais ce qui frappe à cette occasion, c'est que manifestement on n'y échappe guère : même lorsqu'on se refuse à l'aborder franchement, la question revient comme une sorte de boomerang et sous une forme parfois inattendue.
C'est le cas notamment pour le PSTU : il n'en veut pas, mais il n'est pas complètement insensible non plus à la situation de crise qui affecte en priorité les milieux militants. A défaut d'une " parti large ", le PSTU a donc décidé d'offrir à ces militants une sorte de succédané avec des " syndicats rouges " : le PSTU s'est en effet engagé dans une véritable fuite en avant sur le plan syndical en organisant partout et de manière presque systématique la scission de la CUT et l'organisation de nouveaux syndicats dans le CONLUTAS. La réponse peut se révéler désastreuse sur le plan syndical (même si elle correspond aux aspirations de certains militants). Elle est en tout cas évidemment fausse sur le plan politique, car ce n'est pas dans le cadre de syndicats même rouges que l'on peut le mieux opérer les clarifications nécessaires sur l'histoire du PT et sur le type de parti à construire !
Quant au P-SOL, la question du parti anticapitaliste n'est manifestement pas tranchée ni même discutée jusqu'au bout : s'agit-il d'un détour tactique, ou s'agit-il d'un choix stratégique destiné à reproduire pour l'essentiel les choix qui ont présidé à la création du PT il y a 25 ans ? Dans le premier cas on peut toujours se dire qu'il y a des risques à prendre ; mais dans le second cas c'est un désastre assuré.
Ce qui est sûr, c'est que la question ne peut pas rester indéfiniment dans le flou. Or l'incapacité de l'extrême gauche à débattre et à chercher ensemble des réponses pèse désormais de manière particulièrement négative. Le " chacun chez soi " ne conduit pas -on le voit ici- à une clarification sur la politique des uns et des autres. Il conduit au contraire les uns et les autres à se satisfaire de réponses manifestement insuffisantes.
C'est pourquoi la recherche et la construction d'un cadre unitaire et démocratique pour l'extrême gauche aujourd'hui n'est pas un vœu pieux. C'est une nécessité inscrite dans la situation politique elle-même qui correspond tout simplement aux responsabilités nouvelles qui incombent désormais aux militants révolutionnaires.

Jean-François Cabral