Débatmilitant
Lettre publiée par des militants de la LCR
n°77
13 octobre 2005

Sommaire :
Villepin manœuvre. Il faut le faire céder !

 

Villepin manœuvre. Il faut le faire céder !

 

La reprise du travail ou 2400 lettres de licenciements " : c'est le chantage grossier, cynique et provocateur que répètent depuis mardi Villepin, le Préfet et la direction de la SNCM.
C'est l'heure de vérité […] après le temps du dialogue, c'est maintenant le temps des décisions " a affirmé Villepin. Heure de vérité, certes, qu'écrivent chaque jour depuis trois semaines les travailleurs de la SNCM, en comptant, non pas sur le " dialogue ", mais sur leur cohésion et leur détermination, leur capacité à faire pression, à créer l'opinion. Ils mènent un combat qui est celui de toute la classe ouvrière : le combat contre les privatisations, contre la liquidation des services publics, la liquidation de conditions de travail et de salaires imposés par les luttes et le rapport de forces.
Malgré les manœuvres de Villepin, les reculs et la valse hésitation des dirigeants syndicaux, les travailleurs de la SNCM tiennent bon. Ils ont largement contribué à faire de la journée du 4 octobre un succès, malgré la passivité des directions confédérales.
Grâce à leur culot et à leur détermination, les marins ont fait basculé la situation : les manifestations du 4 se sont faites sous le signe du refus des privatisations et de la nécessaire solidarité des travailleurs en lutte. A Marseille, mais aussi dans tout le pays, les salariés de la SNCM ont su trouver le soutien de la population et du monde du travail, encourageant la résistance. La grève qui continue et se renforce dans les transports en commun de Marseille et de Nancy contre la Connex (prétendante à la reprise de la SNCM) ou à la raffinerie Total de Normandie en grève depuis plus de 3 semaines en sont l'écho, le prolongement.

Des manœuvres rendues possibles par l'attitude des directions syndicales
Depuis le début, Villepin manœuvre, jouant tour à tour de la brutalité et du tapis vert, cherchant à prendre travailleurs et syndicats à contre-pied… avec de fait la complicité des syndicats eux-mêmes, piégés sur le terrain de la négociation à partir d'un " constat commun ".
Le choix de Villepin de faire annoncer par le Préfet le projet de " prise totale de capital " de la SNCM le 19 septembre, puis le 26 septembre le choix du financier Butler, plantait le décor.
Face à cela, dès le 26, les travailleurs ont répondu par la grève, non seulement à la SNCM mais au port pétrochimique et au terminal pétrolier de Fos. Le lendemain, la totalité du Port autonome de Marseille était bloqué et une trentaine de marins s'emparaient du Pascal Paoli, défiant le pouvoir.
La réponse de Villepin a été à la hauteur de l'affront : navires militaires et bataillon du GIGN pour prendre d'assaut le Pascal Paoli, mettant en joue et menottant les marins.
Mais tandis que 4 d'entre eux étaient placés en garde à vue, le jour même Thibault demandait… à rencontrer Villepin en tête à tête. Le lendemain, il expliquait au Monde : " Le premier ministre m'a clairement indiqué que l'Etat resterait présent, et même très présent dans l'entreprise, mais que des contraintes européennes l'empêchaient d'être à la hauteur de ce qu'il souhaitait […] Reste à savoir à quelle hauteur et pour quelles responsabilités ".
A partir de là Villepin a laissé Thibault, Le Digou, puis Israël, de la CGT marins de Marseille, " négocier " la hauteur : 51 % de parts publiques pour la CGT… 25 % pour le gouvernement… Au lieu de faire de la lutte de la SNCM une lutte nationale pour dire Non aux privatisations en s'adressant au million de manifestants dans la rue le 4 octobre, la direction de la CGT s'est lancée dans un marchandage de chiffres… acceptant " l'ouverture du capital ". Villepin a alors mené son jeu de dupes, envoyant à trois reprises deux ministres clés à Marseille, Perben et Breton, " discuter " ou plus exactement " informer " de leur montage financier.
De reculs en " projet alternatif ", Thibault a fini par " interpeller solennellement " Villepin par courrier le week-end dernier. Regrettant que le " consensus sur les constats " entre le gouvernement et la CGT n'ait pas débouché sur " la concertation indispensable pour élaborer les scénario d'avenir ", il appelait Villepin à renouer le dialogue, sans plus parler du préalable des 51 %. Le lendemain, Le Digou se félicitait : " deux ministres se déplacent aujourd'hui à Marseille ; s'ils le font c'est sans doute parce qu'il y a quelque chose à discuter ".
Villepin a pris la CGT à contre-pied : finie la discussion, l'heure est aux " décisions " : l'acceptation de son plan ou le dépôt de bilan.

Construire le rapport de force
Mais le climat est loin d'être favorable à Villepin qui dégringole dans les sondages, bien peu sûr de lui. A tel point qu'il vient de différer l'ouverture du capital d'EDF. Un recul qui témoigne de la crainte qu'ont le gouvernement et le patronat d'une explosion sociale. Quant à la privatisation des autoroutes qui revient en débat au Parlement, même Bayrou la conteste…
Malgré les manœuvres, les agressions, le chantage, les salariés de la SNCM ont, depuis trois semaines, changé le climat politique et social. Leur culot et leur affranchissement ont créé une situation telle que le PS s'est senti obligé d'appeler à descendre dans la rue le 4 octobre… Un 4 octobre, suite du 10 mars que les directions syndicales avaient différé au maximum et qui s'est transformé, bien malgré elles, en démonstration de force et d'unité de la classe ouvrière.
A Marseille, la situation a été celle d'une pré-grève générale. La manifestation regroupait au coude à coude les grévistes de la SNCM, du port autonome, de la régie des transport, tous en lutte contre les privatisations et qui à eux seuls paralysaient la ville ; mais aussi ceux de Nestlé qui ont imposé un recul à la multinationale après 17 mois de lutte contre la fermeture de leur entreprise, ou ceux de STMicroelectronic qui se battent contre 650 suppressions d'emplois.
Non seulement pour la fraction la plus militante mais pour bon nombre de travailleurs, la nécessité de faire converger les luttes, de s'unir face au gouvernement et au patronat est devenue une évidence.
Mais du côté des confédérations, si personne ne peut faire comme si rien ne s'était passé, les dirigeants n'ont d'autre perspective à offrir, tel Thibault, que… " l'ouverture d'un cycle de négociation sur l'emploi et le pouvoir d'achat ". Mailly, lui, a annoncé que FO allait " réunir ses instances pour décider "… Quant à Chérèque il n'était " pas en mesure de dire ce que la CFDT fera dans les semaines qui viennent ".

Rompre avec le syndicalisme d'accompagnement, faire vivre le parti des luttes
Un tel verrou peut sembler bien difficile à faire sauter. Mais pour la première fois avec une telle ampleur, le problème de la suite à donner à cette journée s'est discuté et se discute partout.
Dans les syndicats, les comités, les regroupements militants, se discute comment construire un mouvement d'ensemble. Face à la passivité des directions, des militants font aujourd'hui l'expérience qu'ils ne peuvent compter que sur eux-mêmes, leurs propres dynamisme et initiatives. Ainsi, l'appel discret de la confédération CGT à des rassemblements samedi devant les préfectures (en même temps que la manifestation prévue à Marseille) est en train de se concrétiser essentiellement là où des militants ont pris les choses en main pour que les appels aient lieu.
Des travailleurs, des jeunes qui plongent dans le combat de classe, sont en train de mesurer l'impasse du syndicalisme d'accompagnement, de la " négociation " à froid qui ne peut se faire que sur le terrain de l'adversaire. Des ruptures sont en cours entre cette fraction militante et les appareils. Pour beaucoup de travailleurs et de jeunes, les idées de la lutte de classe reprennent tous leurs droits.
Aujourd'hui, les militants de la lutte pour un mouvement d'ensemble se regroupent, font leur expérience. Il apparaît clairement que les directions syndicales ne répondent pas aux besoins du mouvement, pas plus que les politiciens qui s'agitent pour nous expliquer que les luttes ne peuvent pas tout, vous voyez bien, et qu'il faudra voter pour eux… en 2007.
De la lutte elle-même émerge un nouveau parti qui regroupe ceux qui sont convaincus que l'affrontement avec la bourgeoisie et son gouvernement est inévitable, qu'il faut le préparer.
Le patronat a une politique, un état major, la classe ouvrière doit elle aussi se donner les armes de son combat, avoir sa politique en toute indépendance de classe.

Carole Lucas