Débatmilitant | ||||||||||
Lettre publiée par des militants de la LCR |
n°81
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17
novembre 2005
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Sommaire : | ||||||||||
La réponse à la crise, c'est la lutte pour l'urgence sociale et démocratique | ||||||||||
Brésil : Après le Parti des travailleurs, le " parti anticapitaliste large " ? | ||||||||||
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La
réponse à la crise, c'est la lutte
pour l'urgence sociale et démocratique
Alors que le gouvernement
vient de franchir une étape de plus dans sa politique de répression
vis-à-vis des jeunes et d'intimidation vis à vis de l'ensemble
de la population en faisant voter la prolongation pour 3 mois de l'état
d'urgence, Chirac a essayé de prendre la posture au-dessus de la mêlée.
Lundi soir, après avoir réaffirmé la politique de répression
du gouvernement et prévenu les jeunes qu'on " ne viole pas
impunément la loi ", il découvrait " le
poison que sont les discriminations ", en appelant à la
République qui doit " offrir partout et à chacun
les mêmes chances ". Il a même poussé le cynisme
en rappelant aux communes l'obligation d'offrir au moins 20 % de logements
sociaux !
Chirac se voudrait l'homme de l'union sacrée, au dessus des partis et
des rivalités au sein de son propre camp, le défenseur de la République
comme lors de la présidentielle de 2002 pour mieux faire accepter l'état
d'urgence et les attaques contre le monde du travail et les classes populaires.
Nouvelle trouvaille, le " Service civil volontaire " pour
50 000 jeunes, qui renforce des mesures déjà prises en septembre
par le gouvernement en collaboration avec la Défense et l'Intérieur.
Parmi ces plans, 20 000 postes de " cadets de la République "
seront créés pour " développer chez les jeunes
une meilleure connaissance de l'institution policière et diversifier
la composition des gardiens de la paix ". Avec le retour de l'apprentissage
à 14 ans, on voit vite le sens de " l'idéal Républicain "
ou de " l'égalité des chances " !
Dans ses déclarations, la défense des institutions s'accompagne
d'une propagande réactionnaire contre le regroupement familial, contre
les sans-papiers et aussi contre les familles : " L'autorité
parentale est capitale. Les familles doivent prendre toute leur responsabilité.
Celles qui s'y refusent doivent être sanctionnées comme le prévoit
la loi "
Alors que lui et les gouvernements successifs ont
plongé ces familles dans des situations désastreuses.
Et cela donne des ailes à certains, à l'image de Tron, maire UMP
de l'Essonne, qui vient de décider de suspendre les aides versées
par le centre communal d'action sociale aux familles " dont un
des membres aura été à l'origine d'un acte de violence
ou de dégradation ".
Sarkozy quant à lui continue de provoquer les jeunes et s'adresse à
l'électorat réactionnaire. A l'assemblée, lors du débat
sur la prolongation de l'état d'urgence, il appelle à " rompre
et j'emploie ce mot à dessein avec les mensonges
(...) derrière lesquels les conservatismes et les blocages prospèrent ".
Jouant la politique du pire, il réclame des lois sur la récidive,
persiste et signe dans ses déclarations devant les caméras sur
la " racaille ", annonce lors du débat à
l'Assemblée que dix procédures d'expulsion d'étrangers
ayant participé à ces explosions des banlieues ont été
engagées.
Villepin enfin, après avoir laissé monter Sarkozy au créneau
pour lui laisser le rôle du provocateur, applique la loi d'urgence et
la fait voter au Parlement pour 3 mois supplémentaires alors même
que la situation se calme. Provocations et fuite en avant là encore,
il condamne à la loi d'exception tous les habitants des quartiers populaires,
s'attaquent aux droits démocratiques pour demain s'en prendre aux grévistes
de Marseille ou d'ailleurs.
Le gouvernement ne vise pas que la jeunesse des quartiers populaires mais cherche
à profiter du désarroi général pour imposer son
autorité, pour mettre sous pression le monde du travail et tenter d'empêcher
que les solidarités s'expriment.
Tout cela ne peut que créer les conditions des surenchères réactionnaires,
à l'image du député UMP Garaud qui non content de vouloir
expulser les jeunes étrangers en situation régulière, vient
d'annoncer qu'il allait déposer une proposition de loi donnant aux tribunaux
la possibilité de " déchoir de la nationalité
française " les étrangers naturalisés " qui
participent à la guérilla urbaine ".
La
gauche complice de l'état d'urgence
Pour mener sa politique, le gouvernement sait qu'il peut compter sur la complicité
ou la couardise de la gauche et en particulier du PS. La semaine dernière,
celui-ci soutenait l'état d'urgence en expliquant qu'il ne voulait pas
en faire une question " politicienne " et que la
priorité était le retour à l'ordre.
Lors du débat à l'Assemblée sur la prolongation de 3 mois,
Ayrault a déclaré : " nous ne voterons pas contre
ce projet par angélisme ou parce qu'il émane de votre gouvernement,
mais parce que son efficacité ne nous paraît pas adaptée
à la situation ". Ses déclarations sont de fait
un soutien à cet état d'urgence et une allégeance à
la politique sécuritaire sur le fond qui consiste à envoyer les
CRS contre les " sauvageons " de Chevènement,
pour rappeler les anciennes formules.
Certains députés ont d'ailleurs été plus clairs
en soutenant le couvre-feu, à l'image de Vaillant, ancien ministre de
l'intérieur sous Jospin, disant qu'il craignait entretenir " une
certaine ambiguïté " ou comme Gorce déclarant :
" En votant contre, nous risquons d'apparaître comme cautions
du désordre ".
Alors que la gauche détient la très grande majorité des
conseils régionaux, qu'elle a de nombreux élus et municipalités
en particulier dans les quartiers populaires, celle-ci se tait face à
l'état d'urgence quand elle ne le soutient pas.
Elle pourrait se battre du point de vue des droits démocratiques contre
l'état d'exception qui est une attaque contre toute la population des
quartiers populaires et contre le mouvement social.
A partir des mairies, il y aurait la possibilité de s'appuyer démocratiquement
sur la population, pour s'adresser aux jeunes tout en assurant la défense
des biens collectifs dans les cités comme les écoles, etc. Et
cela en refusant la police de " Sarkozy l'incendiaire "
au sein des quartiers.
Alors que la répression se développe, que les arrestations sont
brutales et destinées à intimider toute la population et que les
juges sanctionnent lourdement, les élus de gauche n'apportent même
pas leur soutien aux familles.
Une fois de plus la gauche laisse les mains libres au gouvernement.
L'urgence sociale
dans les entreprises et les quartiers
Cette jeunesse qui, désemparée, se bat avec les seules armes qu'elle
croit posséder, avec des méthodes qui se retournent contre ses
propres intérêts, entre, de fait, " en politique "
face à l'Etat. Le mouvement social, s'il n'accepte pas la violence contre
des biens collectifs, doit cependant savoir affirmer sa solidarité avec
les jeunes face aux tribunaux.
Au travers de cette crise, une politisation en profondeur a lieu. Alors que
le mouvement ouvrier est paralysé par les préjugés réformistes
et le syndicalisme de " proposition ", qui n'imagine
rien de possible en dehors du cadre préétabli des institutions,
les jeunes révèlent l'ampleur des ruptures et à quel point
est nécessaire aujourd'hui de construire une conscience de classe politique,
qui ose penser ses intérêts en toute indépendance de la
bourgeoisie, de ses institutions, de son Etat.
Affirmer sa solidarité vis-à-vis de la jeunesse ne prend sens
qu'en affirmant les revendications d'urgence du monde du travail et des classes
populaires. Défendre un plan d'urgence pour les banlieues, c'est poser
la question du chômage, des salaires, du logement, des services publics.
Il nous faut rediscuter largement de l'interdiction des licenciements et de
l'embauche massive dans les services publics avec de vrais emplois. Rediscuter
des salaires et des 300 € d'augmentation pour tous indispensables pour
vivre aujourd'hui. Pour toutes ces revendications, poser le problème
politique du contrôle des opprimés sur la marche de la société,
à tous les niveaux.
De même, dans les quartiers populaires, discutons des revendications d'urgence
des habitants qui passent par le retour à des services publics, sous
contrôle des salariés et de la population, qui passent par le droit
au logement décent et par la réquisition des logements vides.
C'est aussi poser la question des moyens pour la petite enfance, pour l'école
et pour l'éducation en général.
Pour tout cela, il faut discuter des moyens de regrouper les forces et de préparer
un vrai mouvement d'ensemble et quels en sont les obstacles. Au moment du 4
octobre, alors que le mouvement de grève s'étendait à Marseille
en pleine grève de la SNCM, les confédérations syndicales
ont refusé de donner la moindre suite au mouvement, craignant ses conséquences.
Pourtant, la question des privatisations était largement posée
et le gouvernement faisait déjà mine de faire machine arrière
pour la mise en Bourse de l'EDF. Mais sitôt la grève terminée,
il a repris l'initiative en annonçant les ouvertures du capital d'EDF,
des autoroutes, de l'aéroport de Paris.
La CGT a dénoncé la mise en place de l'état d'urgence en
revendiquant " l'urgence, c'est le social et la démocratie "
et en se prononçant pour une journée d'action interprofessionnelle
et unitaire sur ces revendications, contre les mesures Villepin. Mais depuis,
plus rien et surtout aucune date d'avancée. Thibault interviewé
dans la presse se contente de répondre à la question des non suites
du 4 octobre : " Il ne faut pas s'arrêter là
et continuer de travailler le rapport de forces. Même si, au stade actuel,
toutes les confédérations syndicales ne semblent pas aussi disponibles.
La CGT n'attendra pas qu'il y ait unanimité syndicale "
Certes, mais de toute évidence, la CGT craint de prendre l'initiative
parce qu'au moment de la révolte des jeunes cela la mettrait en position
d'affronter l'Etat.
En conséquence, elle aussi, comme l'ensemble des confédérations,
laisse les mains libres au gouvernement au lieu de prendre l'initiative pour
le mettre en position d'accusé, retourner l'opinion.
Pour imposer ces revendications d'urgence sociale, qui sont la seule issue à
la crise qui explose à travers la révolte des jeunes, il est clair
qu'il faut préparer un mouvement d'ensemble qui ne craigne pas de franchir
les limites que l'Etat fixe aux luttes. Comme on a pu le voir avec le Pascal
Paoli au moment de la grève des marins de la SNCM, la lutte elle-même
pose le problème de dépasser la légalité, alors
même que la bourgeoisie n'hésite pas à utiliser tous les
moyens.
Le contrôle sur l'outil de travail, sur les sociétés, sur
les comptes, ne peut être appliqué sans franchir les limites de
la propriété privée et donc sans une confrontation avec
l'Etat.
Aujourd'hui, face à l'explosion des jeunes, bien des militants ouvriers
discutent de l'impuissance du mouvement social et de la politique des syndicats,
englués dans les " diagnostics partagés " et les journées
d'actions sans lendemain. Tout cela contribue à une politisation profonde
pour une politique indépendante, de lutte de classe discutant des moyens
de franchir les obstacles pour que le mouvement ouvrier soit en situation politique
de reprendre l'initiative, de faire l'opinion, d'ouvrir une perspective collective
à la jeunesse.
Denis
Seillat
L'ordre
s'impose au Parti socialiste
Et
maintenant la synthèse ? Le congrès du Parti socialiste s'ouvre
demain vendredi au Mans. Pendant trois jours, les 614 délégués
socialistes vont tenter de resserrer les rangs d'un parti déchiré
depuis son référendum interne sur le projet de constitution européenne.
C'est du moins le sens des déclarations qui se multiplient de part et
d'autre depuis le vote des militants sensé départager les cinq
motions en lice le 9 novembre dernier.
Dans Le Journal du Dimanche, Claude Bartolone, le député
fabiusien de Seine-Saint-Denis, estimait ce week-end que " la synthèse
générale est possible entre Hollande, Fabius et le NPS ".
L'argument tombe : " Afin de donner les chances au PS en 2007,
je préfère mettre en avant ce qui nous rassemble plutôt
que nos différences ". Dans la foulée, François
Hollande sur Canal + et Dominique Strauss-Kahn sur Radio J ont
abondé en ce sens. Julien Dray, le porte-parole du parti, résume
dans Le Parisien : " Ce qui nous unit est plus important
que ce qui nous divise. Il n'y a pas de coupure irrémédiable entre
deux socialismes ". Reste à recoller les morceaux.
C'est ce à quoi s'emploient les fabusiens. Et ils ne ménagent
pas leur peine. La désignation du candidat socialiste prévue en
novembre 2006 par l'équipe Hollande était un casus belli, il y
a quelques jours encore, pour les partisans de Laurent Fabius qui souhaitent
organiser le vote des militants dès le printemps : " la
question du calendrier de désignation du candidat n'est pas un obstacle "
tranche désormais Bartolone. Les socialistes doivent " montrer
qu'ils sont capables de se rassembler en assumant leurs différences "
explique Fabius, l'il rivé sur 2007.
L'ancien Premier ministre se plait à rappeler qu'il était numéro
2 du PS il y a encore six mois et qu'il a, par conséquent, façonné
l'orientation du parti ces trois dernières années. Les désaccords
ne sont donc pas insurmontables
Proche de Dominique Strauss-Kahn, également
candidat déclaré à l'investiture du PS, Jean-Christophe
Cambadélis fait valoir de son côté qu'" un
rassemblement authentique n'est pas impossible ", même en
l'absence de synthèse.
Les tractations vont bon train, et elles devraient s'accélérer
d'ici la nuit de samedi à dimanche où la traditionnelle " commission
des résolutions " se réunira à huit clos
pour accoucher d'un accord. Et depuis quelques jours déjà, François
Hollande multiplie les conciliabules avec les représentants du Nouveau
Parti socialiste du trio Peillon-Montebourg-Emmanuelli comme avec Laurent Fabius
et sa garde rapprochée. Les résultats des votes du 9 novembre
les poussent à s'entendre. Avec 56,63 % des suffrages, Hollande
ne rassemble pas suffisamment pour donner de la voix. Les minorités demeurent
divisées, mais la majorité ne peut rester sourde aux attentes
de 45 % d'adhérents à la veille d'échéances
électorales nécessitant un parti en ordre de marche - avec
23,54 % des mandats NPS arrive en seconde position ; avec 21,17 %
Fabius en troisième.
Si la synthèse entre les différentes motions n'est écartée
à cette étape ni par Hollande ni Fabius, il s'avère cependant
plus probable que l'" unité " se fasse sur une déclaration
commune sur la crise des banlieues, un " appel " solennel
du congrès à l'adresse des français. Au vue des interventions
des dirigeants socialistes ces dernières semaines sur le sujet, la synthèse
ne devrait poser aucun problème
Le président du groupe socialiste à l'Assemblée nationale,
Jean-Marc Ayrault a donné le ton. Il souhaite un " pacte
de non-agression " durant cette " période
difficile " avec
le gouvernement de Dominique de Villepin
et de Nicolas Sarkozy. Hollande le répète : il " ne
veut rien faire qui puisse empêcher le gouvernement de retrouver les conditions
d'un retour à l'ordre ".
Oui, les socialistes se sont démarqués sur le vote permettant
au pouvoir de prolonger l'état d'urgence, mais sans en récuser
le principe. " On a un arsenal juridique qui peut être d'une
extrême sévérité, a ainsi martelé Ayrault.
Pour le couvre-feu, la loi propose que les maires le décident s'ils
le souhaitent, il n'y a pas besoin d'une mesure d'exception pour ça ".
Julien Dray s'interroge lui : " à ce stade pourquoi
prolonger " l'état d'urgence et le couvre-feu. À
ce stade !
Et les opposants d'Hollande ne sont pas en reste. Vincent Peillon, leader du
Nouveau Parti socialiste, estime que " demander la démission
de Sarkozy, serait donner raison aux émeutiers ", Laurent
Fabius stipulant que l'application des mesures de couvre-feux devait être
" maîtrisée de très près ".
Les jeunes ont pu vérifier " de très près "
avec quelle " maîtrise " les forces de l'ordre
intervenaient pour mater l'esprit de rébellion dans les cités.
Les travailleurs de la SNCM quelques jours auparavant à Marseille l'ont
eux aussi constaté.
Fabius est assurément un homme d'État : il défend
pied à pied les intérêts de l'État bourgeois face
à la contestation sociale s'exprimant dans les quartiers populaires ou
sur les lieux de travail. Et ces déclarations, comme celles des dirigeants
du PS tenant du " oui " ou bien du " non "
au référendum du printemps, rappellent ô combien les socialistes
furent et restent fidèles au système capitaliste, n'hésitant
jamais a recourir à la police, sinon à l'armée au besoin.
L'histoire en témoigne.
Au-delà des gesticulations d'Hollande et de ses opposants, c'est la nature
profonde du PS qui transpire. Et l'accord recherché par Fabius avec la
majorité hollandaise confirme la convergence fondamentale des opinions
au sein du Parti socialiste. Le 29 mai est déjà loin. Comme la
scission que certains pronostiquaient. La perspective qui domine dorénavant
c'est 2007, avec le secret espoir rue de Solferino d'un retour aux affaires
à la faveur du cycle de l'alternance qui veut que les gouvernants soient
systématiquement défaits au bout de leurs mandats.
Les résultats du PS, en 2004, lors des élections régionales,
européennes et cantonales, nourrissent les ambitions et encouragent le
rassemblement des socialistes, et ce malgré les rivalités entre
les prétendants à l'investiture du parti pour la présidentielle.
Sur ce point, comme sur d'autres, Fabius est sans ambiguïté :
il n'y aura qu'un candidat socialiste en lice dans deux ans. Le respect de la
discipline commune est l'unique garantie d'un succès pour l'ensemble
des socialistes. CQFD !
C'est une tout autre solidarité qui se noue et se renforce dans les luttes
ouvrières. Celle-là est étrangère à la lutte
des places prévalant au sein du PS. Elle dessine un tout autre chemin
que celui d'un retour de la gauche gouvernementale au pouvoir ; elle trace la
perspective d'un combat d'ensemble contre des décennies de recul des
acquis des travailleurs et dont témoigne la situation dans les quartiers
où dominent chômage et précarité.
Notre solidarité avec la jeunesse des banlieues n'a d'égal que
notre aversion pour cette " gauche " socialiste et ses alliés
qui ont laissé faire quand ils n'étaient pas eux-mêmes aux
commandes.
Serge
Godard
Brésil : Après le Parti des travailleurs, le " parti anticapitaliste large " ?
Le Parti des travailleurs,
principal soutien au gouvernement de Lula, est en crise. C'est la fin, pour
une fraction de la gauche et de l'extrême gauche brésilienne, de
25 ans d'espoirs en la possibilité de construire un parti ouvrier indépendant
à l'échelle de masse, qui avait la particularité de faire
se côtoyer autour d'un même projet, sur la longue durée,
des réformistes et des révolutionnaires.
Depuis plus d'un an a été fondé à l'initiative de
plusieurs parlementaires exclus du PT (dont Heloisa Helena) un nouveau parti,
le P-SOL, avec l'objectif affirmé de sauver ce qui peut l'être
du PT en tant que parti ouvrier, combatif, et formellement anticapitaliste.
Ce projet, où la question de la réforme et de la révolution
est volontairement laissée en suspend, pose à son tour bien des
questions. S'agit-il d'un compromis inévitable ou d'une option stratégique
durable ? Faut-il y voir un choix raisonnable, le seul possible dans le
contexte actuel, ou s'agit-il d'une impasse assurée ? Le débat
ne fait que commencer
Du côté
du PT, la faillite est consommée, mais pas aux yeux d'une partie de sa
gauche
Au sein du Parti des Travailleurs, la situation ne s'est guère éclaircie
après l'élection de sa direction et celle du président
du parti.
Le candidat de l'équipe luliste l'a emporté de peu au deuxième
tour face à Raul Pont, l'un des dirigeants de la DS(1) . Mais la campagne
de Raul Pont, soutenue par les autres minorités de gauche qui n'ont pas
encore quitté le PT, n'a pas permis de dégager une véritable
alternative à l'équipe Lula.
Malgré un certain nombre de critiques, le soutien au gouvernement ne
s'est jamais démenti. Aux yeux de cette opposition, l'essentiel reste
en effet de sauver le parti et de lui redonner un semblant de crédibilité
afin de " préparer le gouvernement et le parti pour affronter
un second mandat "(2) . C'est le seul argument que ces militants
ont trouvé pour essayer de convaincre Lula de changer de politique :
avoir un visage un peu plus présentable aux yeux des travailleurs d'ici
2006 afin de les persuader qu'avec la droite ce serait pire, ce qui revient
à les tromper une deuxième fois !
A l'évidence, un courant révolutionnaire devrait avoir bien d'autres
priorités que celui de défendre un appareil au nom du " moindre
mal ". Son rôle devrait être avant tout d'aider le
camp des travailleurs à se renforcer, et faire en sorte qu'il soit un
peu plus lucide sur la défense de ses intérêts et sur sa
capacité à inverser le cours des choses en ne comptant que sur
ses propres forces.
Ce choix est évidemment incompatible avec un soutien au gouvernement
Lula et l'illusion qu'il pourrait mener une autre politique. L'avenir dépend
avant tout des luttes et du rapport de forces entre les classes sociales, pas
du maintien au pouvoir d'un parti qui a basculé définitivement
du côté de l'ordre bourgeois.
Au P-SOL, rien
n'est tranché
La situation actuelle devrait avoir des effets contradictoires sur le P-SOL.
Sa légalisation acquise courant septembre a accéléré
un certain nombre de départs du PT, mais cela a concerné de manière
significative bon nombre de députés, d'élus divers et de
notables du parti soucieux d'assurer leur réélection et leur place
(d'autant que la direction du P-SOL a annoncé que son sigle serait ouvert
non seulement à ceux qui adhèrent à l'ensemble de ses propositions,
mais aussi à ceux des secteurs de la gauche qui sont " critiques "
sur l'orientation néolibérale du gouvernement Lula et qui en auraient
besoin
).(3)
D'un autre côté, le score élevé de Raul Pont dans
les élections internes du PT peut avoir comme effet de retenir au sein
du parti bon nombre de militants de gauche qui auraient encore l'illusion de
pouvoir changer le cours des choses de l'intérieur. Ceux qui rejoindront
le P-SOL auront sans doute à faire davantage le tri de ces illusions,
ce qui n'est pas plus mal.
La légalisation du P-SOL a nécessité une campagne qui de
fait a mobilisé toutes les forces du nouveau parti pendant plus d'un
an. Désormais, le P-SOL va être davantage confronté à
sa propre réalité et à ses choix véritables :
parti électoral ou parti de lutte de classe ; parti en continuité
avec le PT des origines, ou au contraire parti qui se construit en rupture avec
un certain nombre de d'orientations qui ont présidé à la
construction du PT et qui ont abouti à une faillite.
Il est évidemment difficile d'avoir une appréciation sur toutes
ces questions, non seulement parce que ce nous sommes loin, mais également
parce que cela reste une bataille politique à mener.
De ce point de vue, rien ne serait plus faux que de préjuger de la suite,
soit en décrétant qu'il n'y a à priori pas de soucis à
se faire puisque la direction du nouveau parti est entre les mains de militants
révolutionnaires ; soit en décrétant à l'inverse
que le P-SOL serait d'ores et déjà un parti réformiste
et donc un obstacle à la construction d'un véritable parti révolutionnaire,
sous prétexte que cette direction, marquée par les habitudes institutionnelles
du PT qui a été son seul horizon pendant des années, serait
incapable de dépasser cet héritage.
En particulier, certains compromis assumés par les camarades du P-SOL
ne permettent pas de trancher cette question, du moins dans l'immédiat,
lorsqu'ils répondent à une préoccupation juste : celle
de gagner des militants issus du PT, en rupture avec l'orientation libérale
du gouvernement Lula, qui peuvent être anticapitalistes sans être
forcément gagnés au programme d'un parti révolutionnaire,
du moins pour l'instant.
Car à l'inverse, le bilan passé et présent du PSTU, et
surtout la politique qu'il mène actuellement, ne sont pas suffisamment
probants pour représenter une alternative crédible au P-SOL dans
la perspective de gagner ces militants(4) .
mais
pour combien de temps ?
Cela dit, il est possible quand même d'avoir quelques doutes sur l'avenir
du P-SOL en tant que force capable de dépasser les ambiguïtés
d'un " parti anticapitaliste large ".
La première question concerne la place prise par les élections :
elle est manifestement déterminante dans les préoccupations de
ses dirigeant(E)s, qui misent sur la personnalité d'Héloisa Helena
pour faire un bon score en 2006 et misent surtout sur ce score pour exister
en tant que parti.
Que les élections occupent une place incontournable dans la situation
actuelle, même pour des révolutionnaires, n'est pas en soi critiquable
(on en sait quelque chose à la LCR, dont la crédibilité
face au PCF a longtemps été obérée par son insignifiance
électorale). Quelles deviennent un élément central de construction
du parti, compte tenu surtout du passé et des défauts accumulés
dans le PT, pose par contre davantage de problèmes, surtout lorsque cela
ne fait l'objet apparemment d'aucune critique. On peut en effet s'engager dans
ce genre de voie, mais ce n'est pas la même chose si l'organisation est
éduquée à en connaître les pièges ou non.
Cette préoccupation (du moins en l'état de nos connaissances)
n'est guère perceptible vue de l'extérieur.
L'autre question concerne le bilan que l'on tire du passé. Elle est évidemment
directement liée à la question précédente, tant
le processus d'institutionnalisation du PT est lié justement à
l'histoire de ses succès électoraux.
De ce point de vue, l'article de Luciana Genro, une dirigeante trotskyste du
P-SOL, publié dans le n° 28 du bulletin Avanti !, est assez
éclairant. Sa critique du PT tel qu'il est aujourd'hui est impitoyable.
Sa réflexion sur le passé et surtout sur les remèdes à
apporter pour lutter contre le processus de dégénérescence
du PT est par contre des plus superficiels : " Il faut changer
les règles électorales, permettre les candidatures issues de la
société organisée, rechercher des mécanismes de
plus grande participation populaire pour empêcher que les élus
ne commettent de véritables escroqueries électorales : référendums
sur toutes les décisions politiques importantes dans le pays, à
commencer par le maintien ou non de ce gouvernement et de ce parlement, délégitimés
non seulement par la corruption mais aussi par la trahison des engagements qui
avaient permis au PT de remporter les élections de 2002. Il faut lever
le secret fiscal et bancaire pour tous les hommes politiques et chefs d'entreprises
en relations avec les pouvoirs publics. En finir avec les milliers de postes
" de confiance " utilisés comme monnaie d'échange
dans les transactions frauduleuses entre partis, alors que les travailleurs
du secteur public sont traités comme de sacs-poubelles.
Ce ne sont là que quelques exemples de ce qui est nécessaire pour
entreprendre une véritable refondation. Non pas du PT, qui n'a plus rien
à voir avec nous, mais en revanche de notre pays, des institutions de
ce Brésil rongé par les pouvoirs putréfiés d'une
République étrangère aux intérêts de son peuple
"(5) .
Il serait évidemment stupide de polémiquer en laissant croire
que cette conclusion résume à elle seule l'état de la réflexion
au sein du P-SOL. Comme le précise Luciana Genro, " ce ne
sont là que quelques exemples ". Mais les exemples en questions
sont assez peu probants. Car il ne s'agit après tout que de mesures démocratiques
utilisées bien des fois par des dirigeants bourgeois pour lutter contre
la corruption, sans beaucoup de résultats en général.
La lutte contre la corruption n'a de sens que si la machine à corrompre,
c'est à dire la classe capitaliste elle même, est mise sous contrôle
et si ce contrôle est directement exercé par la population elle
même.
Un tel processus n'a rien d'institutionnel. C'est un épisode de la lutte
de classe qui a sa logique politique propre. Un tel processus, pour qu'il ait
une chance de bousculer réellement le jeu politique traditionnel, ne
peut que déboucher rapidement sur une situation de double pouvoir où
la population s'organise pour commencer à en contrôler les différents
rouages. Cette situation de double pouvoir, même à l'état
embryonnaire, crée une situation forcément instable qui ne peut
se résoudre que par le renversement de l'Etat bourgeois ou par la défaite
du prolétariat.
Un tel processus est bien peu compatible avec la création d'un parti
qui laisserait dans l'ombre la question de l'Etat et de la révolution.
Cette question peut sembler un peu lointaine aujourd'hui, dans le sens où
elle ne peut faire pour l'instant que l'objet de débats et de discussions
sur les idées, et donc sur le programme. Mais elle a en même temps
bien des implications pratiques, car la pire des illusions serait de croire
que l'ont peut construire sur une période assez longue un parti non délimité,
où la question de la réforme et de la révolution ne serait
pas tranchée. Parce que la vie s'en charge elle même, en fonction
de la lutte de classe et des opportunités qu'elle ouvre ou pas, et des
tendances inhérentes à la société bourgeoise (même
dans des pays comme le Brésil !) à intégrer les organisations
du mouvement ouvrier. Toute l'histoire récente du PT est là pour
le confirmer.
Or ce n'est ni un cas particulier, ni un " accident " de
l'histoire. C'est un fait que jusqu'à présent, on n'a jamais vu
dans l'histoire un parti large qui maintiendrait durablement cette ambiguïté
de parti non délimité. Au contraire, un parti qui ne s'oriente
pas rapidement sur la voie d'une orientation vraiment révolutionnaire
a toute les chances de se transformer, sinon en parole du moins dans les faits,
en un parti réformiste. On peut difficilement faire l'impasse sur cette
question et ne pas trancher. C'est le défi auquel sont confrontés
les camarades du P-SOL.
Jean-François CABRAL
1-
Démocratie socialiste est une tendance liée à la IV°
Internationale. Une partie de ses militants est restée au PT, une autre
partie en a été exclue ou l'a quitté pour rejoindre le
P-SOL
2- Interview de Raul Pont traduit dans Inprecor n°510-octobre 2005
3- D'après la contribution de Felix Sanchez, Fernando Kinas et José
Corrêa Leite dans le même numéro d'Inprecor : La
faillite du PT et les bases de la reconstruction de la gauche brésilienne.
4- Article publié dans Débat Militant n° 76 : Quelle
réponse à la crise du parti des travailleurs ? Le PSTU est
une organisation trotskyste indépendante du PT depuis 1992.
5- Conclusion de
l'article publié de Luciana Genro traduit dans Avanti ! n°28
: Comprendre le processus de dégénérescence du PT.