Débatmilitant
Lettre publiée par des militants de la LCR
n°87
5 janvier 2006

Sommaire :
Pour que 2006 capitalise les acquis de dix ans de lutte…

Les " idées sociales " de Villepin et Sarkosy contre les travailleurs et les chômeurs

La Bolivie après la victoire d'Evo Morales

 

Pour que 2006 capitalise
les acquis de dix ans de lutte …

 

La nouvelle année commence comme si elle n'était qu'un long trimestre supplémentaire pour… 2007. Comme si la vie sociale et politique n'avait plus qu'une raison, l'élection présidentielle. La chronique de la Star'Ac de la politique alimente les médias. Et se dessine tranquillement la physionomie des personnages de ce théâtre d'ombres où se joue le scénario d'une droite et d'une gauche se dégageant d'années de cohabitation, du vote Chirac, pour s'affronter dans un combat qu'on nous annonce décisif.
A gauche, le dispositif se met en place autour du couple Hollande - Ségolène Royal qui préparent leur campagne à l'américaine face à Sarkozy que Cécilia a abandonné à un combat solitaire. Un populisme de gauche social-libéral prend corps face au populisme de la droite extrême. Finies les classes, finies les idéologies, soyons pragmatiques, à l'américaine, le monde de Mr Hulot à l'époque de la mondialisation libérale et impérialiste…
Le PS, fort de ses positions dans les régions, a quelque raison d'espérer gagner la partie et donc de pouvoir convaincre ses anciens partenaires de la gauche plurielle de s'intégrer bon an mal an à son dispositif.
Le mouvement ouvrier a bien d'autres préoccupations. Loin de se laisser subjuguer par les premiers actes ennuyeux du scénario présidentiel, toute son attention se concentre sur lui-même et la défense de ses propres intérêts. Son souci est d'œuvrer à inverser le rapport de force avec le patronat et l'Etat, à préparer un mouvement d'ensemble.
Cela suppose de tirer les enseignements des luttes sociales et politiques des dernières années pour construire une nouvelle conscience de classe pleinement indépendante des jeux parlementaires et institutionnels.
Il est clair que ce n'est pas dans les urnes que se change le rapport de force. Les partis de gauche misent sur un relatif abattement, conséquence des échecs des mouvements sociaux, pour nous convaincre qu'il ne reste qu'à bien voter pour battre la droite.
C'est une illusion. Les années Jospin et de la gauche plurielle ont vu les conditions de vie des classes populaires se dégrader et la gauche privatiser plus que la droite ne l'avait fait auparavant. Après 2004, la gauche a laissé à la droite les mains libres pour continuer ses attaques. Et la victoire du Non le 29 mai ne pouvait transformer le rapport de force.
Elle ne pouvait être qu'un appui au sens où, à travers elle, s'est exprimé le rejet de la politique libérale par le monde du travail. Mais pour que cette conscience puisse déboucher sur des luttes, il eût fallu une politique allant dans ce sens. Les organisations actrices de la victoire du non étaient elles-mêmes, dans leur grande majorité, subjuguées par leur propre succès inattendu.
Aujourd'hui nous sommes ramenés à la réalité des rapports de force.
Le succès de 2005 ne saurait masquer la dégradation du rapport de force, conséquence de l'impuissance des luttes à se généraliser du fait de la politique délibérée des directions syndicales.
La situation politique et sociale est dominée par l'offensive du patronat à laquelle le gouvernement est tout dévoué, les luttes de pouvoir au sein de la majorité et l'impuissance de l'opposition parlementaire ou syndicale.
Le populisme de l'après-5 mai, celui de Raffarin, prétendait concilier la droite et la gauche dans la continuité de la cohabitation en continuant la politique des réformes au nom " du diagnostic partagé ". L'imposture ne pouvait que conduire à un déplacement à droite dont Sarkozy est le moteur, un populisme de droite extrême flattant l'électorat d'extrême droite.
Face à cela, la gauche est impuissante, paralysée par sa propre politique, le vote Chirac et le social-libéralisme, les directions syndicales engagées dans le dialogue social et le diagnostic partagé.
Les luttes n'ont pu donner sa pleine mesure au mécontentement qui s'était exprimé dans la rue le 10 mars et le 4 octobre, dans le mouvement de la jeunesse ou la révolte des cités et dans les urnes le 29 mai.
A partir de là, s'engage un nouveau processus. Le mécontentement n'ayant pas trouvé son débouché politique dans les luttes convergeant vers un mouvement d'ensemble, il aura tendance à un chercher un, plus ou moins crédible, sur le terrain institutionnel, les élections.
C'est ce processus que le PS de la synthèse entend accompagner, dominé, canalisé pour son seul profit dans le cadre d'une nouvelle mouture de l'union de la gauche associant l'ensemble des partis de l'ex-gauche plurielle dont le PC qui cherche à neutraliser l'extrême gauche en l'y associant.
Rien ne dit que cette politique de la gauche gouvernementale aboutira, qu'elle ne sera pas confrontée à une nouvelle explosion sociale avant même 2007, mais elle devient une composante essentielle des rapports de forces comme des débats politiques.
Pour le mouvement ouvrier aujourd'hui, l'essentiel est que s'affirme une opposition de classe non seulement au populisme de droite mais aussi au social-libéralisme qui lui a préparé le terrain.
C'est avec leurs armes et leurs méthodes que les travailleurs pourront changer le rapport de force.

La question de l'unité est au cœur des discussions
Et les partis de l'ex-gauche plurielle ne manqueront pas de tenter de s'imposer comme cadre de cette unité au nom du chantage simpliste, " nous ou Sarkozy ". Pour exercer leur pression, ils pourront à loisir prendre appui sur le raisonnement que toute la gauche syndicale et politique a tenu en 2002 pour justifier la capitulation du vote Chirac.
Ils ont voté Chirac pour se protéger de Le Pen et, maintenant, il faudrait voter pour eux pour se protéger de Sarkozy qui fait la politique de Le Pen…
Le mouvement ouvrier doit rompre avec ces chantages parlementaires qui justifient les capitulations.
L'unité se fera sur le terrain des luttes, des mobilisations, de l'organisation des travailleurs dans leurs syndicats, associations, collectifs, autour des exigences du monde du travail.
Le parti dont le monde du travail a besoin est un parti qui porte cette politique, la défende, la mette en œuvre. Il ne s'agit pas d'un parti électoraliste mais bien d'une organisation ancrée dans le monde du travail, les luttes et les résistances, indépendante de la gauche gouvernementale, en opposition à sa politique, moteur d'une politique de front unique, sur les lieux de travail, dans les quartiers, les syndicats ou les associations.
Pour le parti du monde du travail, les élections sont une tribune, un moyen de populariser ses exigences, de regrouper, d'organiser les travailleurs. Les élus sont des points d'appui au service de cette même politique.
Cette orientation repose sur la compréhension qu'il est impossible de transformer la société capitaliste dans le cadre des institutions qui servent à la préserver.
On ne changera pas le monde par en haut mais bien par en bas, par les mobilisations et l'organisation des classes populaires.
Ce n'est pas par une bonne Constitution que l'on apportera une réponse à la crise de l'Europe parce que cette dernière participe des contradictions organiques du capitalisme. Au cœur des difficultés de l'Europe, il y a la contradiction entre le développement des techniques, des moyens de production et d'échange à travers les multinationales et la survivance des vieux Etats nationaux.
La crise européenne est le résultat même de l'évolution capitaliste. Il ne peut y avoir de bonne Constitution dans le cadre des rapports capitalistes, l'Europe que nous voulons, Europe de paix, de progrès, de liberté, ne peut naître que de l'intervention directe des peuples et des travailleurs pour décider de leur avenir.
L'évolution même du capitalisme contribue à créer les conditions de sa transformation. L'Europe est devenue une réalité économique et commence à se façonner une classe ouvrière européenne. Plus généralement, à travers l'extension du marché mondial du travail se forme une classe ouvrière internationale. La mise en concurrence des travailleurs à l'échelle de la planète crée, en retour, les bases d'une conscience et de luttes communes.
Ces évolutions économiques sapent les bases matérielles du réformisme, dans le même temps qu'elles modifient positivement les conditions de la lutte des classes à l'échelle internationale.
Elles développent et renforcent les traits du capitalisme portant ses contradictions à un niveau inégalé, contrairement à ce que prétendent les antilibéraux qui ne voient dans les maux dont souffre la société que le résultat de la politique libérale et non du capitalisme lui-même.
C'est pourquoi il n'est pas possible de changer la vie en allant au gouvernement dans le cadre des institutions et c'est pourquoi aussi les travailleurs doivent se préparer à porter leurs exigences quel que soit, demain, le gouvernement.
Depuis 95, le mouvement ouvrier a dégagé une riche expérience, le plus souvent à travers ses échecs, en particulier depuis 2003. Ces échecs sont aussi des leçons de choses qui illustrent le besoin de cristalliser ces acquis dans la construction d'un parti des travailleurs tout en prenant appui sur eux pour œuvrer à l'unité du monde du travail.
Les illusions sur la dynamique qu'aurait porté en lui-même le non de gauche cèdent la place à une nouvelle lucidité. La priorité des mobilisations, ce sont les exigences du monde du travail, son organisation pour diriger ses luttes et se préparer à ce qui est au centre de toute politique anticapitaliste conséquente, le contrôle de la population sur l'économie et l'Etat.

C'est bien le défi que nous avons à relever
Cela veut dire que le mouvement ouvrier ait sa propre politique. Accepter la séparation institutionnelle entre la vie politique d'un côté et les organisations syndicales de l'autre, c'est accepter le système, s'y adapter et, en conséquence, comme le montre le triste bilan du syndicalisme d'adaptation, se plier aux exigences du patronat.
La défense les intérêts du monde du travail, c'est-à-dire de l'immense majorité de la population, définit par elle-même une politique. Cette dernière se décline à différents niveaux, dans les syndicats, les associations, dans le cadre des élections ou des institutions, mais elle obéit partout aux mêmes impératifs, la défense des intérêts des travailleurs ne peut être que l'œuvre des travailleurs eux-mêmes.
Certes, les échéances électorales à venir sont importantes. Mais notre capacité à y faire entendre la voix des travailleurs dépendra de notre capacité, en 2006, à organiser et regrouper autour du plan d'urgence sociale et démocratique que la LCR et LO avaient défendu ensemble en 2004. Nous savons bien qu'une campagne commune et unitaire portée par Olivier Besancennot et Arlette Laguiller en 2007 est difficilement envisageable du fait du refus de LO.
Cette division de l'extrême gauche pourrait nous être très préjudiciable au moment où il s'agit de regrouper les forces pour tenir, résister aux pressions, préparer le regain des mobilisations.
Mais l'essentiel n'est pas là.
Il est de formuler une politique unitaire, démocratique, révolutionnaire, pour les travailleurs, les jeunes pour qu'ils puissent devenir dans leur entreprise, leur quartier ou leur ville, les artisans de la construction de leur parti.
Tous nos vœux vont à la réussite de cette entreprise…

Yvan Lemaitre

Les " idées sociales " de Sarkozy et Villepin
contre les travailleurs et les chômeurs

 

Le 31 décembre, Chirac a fait sonner les mots ronflants sur le " patriotisme " et la République, vantant cyniquement " le travail, la volonté, le talent " pour mieux justifier les attaques contre les chômeurs, les travailleurs et les jeunes. Ses vœux au gouvernement ont eux été directs : il l'a appelé à " continuer son action " et a annoncé une réforme du financement de la protection sociale pour " alléger le coût du travail " en diminuant les cotisations patronales pour " favoriser les entreprises qui emploient en France "…
Les bénéfices des entreprises du CAC 40 ont explosé, l'indice boursier a augmenté en 2005 de 23,4 % et pour 2006 les analystes financiers parient sur 7 à 10 % de plus, soit 5 fois plus que la croissance économique. Ils parient ainsi sur une nouvelle intensification de l'exploitation, la réduction des droits du monde du travail.
Le gouvernement entend bien lever toutes les " contraintes " qui " pèsent " sur le patronat et laisser aux actionnaires les mains totalement libres pour déplacer leur mise au gré des opportunités, licencier sans entrave. Tandis qu'il stigmatise les chômeurs (comme en témoigne le décret pris en catimini pendant les fêtes autorisant le ministère du travail à vérifier les données fiscales des chômeurs au nom de la " chasse aux fraudes ") tandis que le système de sanction avec suspension des allocations chômage se met en place et que la réforme en cours de l'Unedic va encore réduire la durée d'indemnisation de nombreux chômeurs, le gouvernement mène l'offensive pour généraliser la " mobilité " des salariés et la flexibilité. Et pour cela, Sarkozy et Villepin viennent de reprendre à leur compte l'idée d'une " Sécurité sociale professionnelle " pour les salariés licenciés jusque là défendue par la gauche et les syndicats.

Les idées sociales de Sarkozy, Borloo, Villepin : la flexibilité et l'insécurité…
Retrouvons le plein emploi grâce à la Sécurité sociale professionnelle " écrivait Sarkozy dans la Tribune du 12 décembre, dénonçant " l'échec du modèle social français " et " la réglementation stricte et complexe du licenciement dans notre pays "… " Il convient que les protections soient désormais attachées aux salariés et non aux emplois qu'ils occupent. La CGT et la CFDT le réclament depuis longtemps, à juste titre ", et il concluait sur la nécessité d'une " réforme ambitieuse, juste et équilibrée entre les exigences de sécurité et de flexibilité ", la " flexisécurité ".
Le même jour, Villepin annonçait l'expérimentation dans 5 régions d'un Contrat de Transition Professionnel (CTP) pour les licenciés économiques d'entreprises de moins de 300 salariés. Contrat de 8 à 12 mois durant lesquels les salariés devront accepter de travailler dans n'importe quelle entreprise, publique ou privée, quels que soient la durée et le poste de travail, sans autre " garantie " que celle d'un revenu (dans tous les cas inférieur à l'ancien salaire). De plus, les salariés licenciés perdront tous les droits liés à leur convention collective.

Ce " parcours professionnel sécurisé " défendu par Villepin (expression également reprise à la gauche et aux syndicats), part de l'idée que les licenciements sont chose normale, qu'il faut donc s'adapter et gérer la précarité, le " parcours " des salariés… Comme le disait Parisot, patronne du Medef, " la vie, la santé, l'amour sont précaires, pourquoi le travail échapperait-il à cette loi ? ".

L'adaptation de la gauche aux " évolutions économiques "
Dans son édition du 23 décembre, la NVO (hebdomadaire de la CGT) écrit : " De Villepin, Borloo, Sarkozy battent la campagne sur le thème de la sécurisation des parcours professionnels. Faisant ainsi ouvertement écho à la revendication formulée depuis plusieurs années par la CGT d'une sécurité sociale professionnelle et d'un nouveau statut du travail salarié. Cela témoigne que le concept sonne juste. Mais attention, il peut être galvaudé pour mieux en contredire le sens "… sous une grande photo présentant Villepin et Borloo souriants face à Bernard Thibault, Maryse Dumas et Mourad Rahbi. Et l'article d'expliquer que " le CTP peut constituer demain un point d'appui pour favoriser la réinsertion professionnelle d'un certain nombre de salariés en rupture d'emploi "… même s'il est " encore loin de répondre à la revendication de la CGT ".
Et il est révélateur que la commission composée par Borloo pour plancher sur la question était composée du directeur général adjoint de la Snecma, du PDG de Communication et système et de Christian Larose, ancien dirigeant de la fédération textile CGT, aujourd'hui président de la section travail du Conseil économique et social.
Les centrales syndicales se retrouvent ainsi piégées au jeu de dupes du gouvernement, discutant de comment s'adapter aux réalités économiques et à la mondialisation.
Il n'est pas question d'ignorer la contrainte de compétitivité des entreprises expliquait ainsi Le Duigou (CGT) dans son dernier livre. L'idée " d'interdiction des licenciements " est de ce point de vue ni réaliste, ni ambitieuse. Sa mise en œuvre se retournerait très vite contre les salariés. Il faut être beaucoup plus ambitieux et créer un droit d'intégration dans l'emploi ". Et, plus loin, " c'est le sens de la proposition CGT d'une " sécurité sociale professionnelle " qui vise à articuler de manière nouvelle marché du travail et protection sociale et par là à en faire évoluer le contenu. "
Les licenciements ne seraient pas le fruit de la lutte de classe, de la soif de profits d'une minorité mais seraient inscrits dans le contexte économique mondial : la direction de la CGT " propose " de fait de s'y adapter… et donne des armes au gouvernement qui peut se payer le luxe d'expliquer, tel Borloo, qu' " il faut qu'un salarié privé d'emploi ne vive pas cette période comme un traumatisme mais comme une mutation vers un nouvel emploi ou un nouveau métier "… Et l'éditorialiste de la Tribune de demander : " peut-on aller jusqu'à espérer que les organisations syndicales sauront à leur tour se montrer coopératives afin que tout le monde tire dans le même sens, celui de l'intérêt des Français désireux de retrouver un travail ? "
C'est le " constat commun " cher à Parisot, le " diagnostic partagé " dont la fonction est de paralyser les salariés et les chômeurs, tentant de faire admettre une communauté d'intérêt face à des " contraintes " économiques s'imposant à tous…

Interdiction des licenciements, partage du travail entre tous !
Face à l'offensive du patronat et du gouvernement, le monde du travail, les militants syndicaux ont besoin de se dégager du piège du diagnostic partagé, nous avons besoin de toute notre indépendance pour exiger le respect des droits fondamentaux qui sont les nôtres.
Rien ne peut justifier quelque licenciement que ce soit, si ce n'est la recherche de profit.
" Le statut du salarié " ou " la sécurité sociale professionnelle " n'ont aucun sens hors du droit à l'emploi, à un salaire décent, à des garanties collectives. Ils supposent l'interdiction des licenciements et le partage du travail entre tous.
Il ne pourra y avoir de sécurité sociale professionnelle sans le contrôle des salariés et de leurs organisations sur la marche des entreprises, sur la production elle-même et sur le fonctionnement de toute la société. Assurer à tous un emploi stable et un véritable salaire, interdire les licenciements remet en cause la propriété capitaliste, le droit que s'est attribué une poignée de parasites qui jouent la vie des travailleurs au Monopoly, tel Alsthom qui vient de vendre les chantiers navals de l'Atlantique au groupe Aker Yards, mettant les 6000 salariés qui y travaillent devant le fait accompli. Parmi eux, plus de la moitié sont précaires ou employés par des sous-traitants, et le " repreneur " s'est bien gardé de s'engager à quoi que ce soit à leur sujet. Par contre, l'action Alsthom (qui a plus que doublé en 2005 : + 117 %) a augmenté de 6,72 % à la Bourse dès l'annonce de la vente des Chantiers.
Le problème n'est pas d'imaginer un bon " statut du salarié " ou la " sécurisation du parcours professionnel " que Villepin et Sarkozy veulent utiliser pour faire accepter les licenciements et dégager les patrons de toute responsabilité, mais de regrouper nos forces, salariés, précaires, chômeurs pour changer le rapport de forces, interdire les licenciements, exiger d'avoir notre mot à dire en vue d'imposer notre contrôle sur la société.

Carole Lucas

La Bolivie après la victoire d'Evo Morales

La victoire d'Evo Morales aux élections du 18 décembre crée une nouvelle situation politique en Bolivie et a provoqué la sympathie et attiré l'attention des militants et organisations en France. On perçoit qu'une nouvelle situation favorable à la lutte d'émancipation des opprimés est en train de se créer en Amérique Latine. Elle est aussi un point d'appui pour les luttes dans ce pays. Finalement, toute défaite de Bush - et la Bolivie en est une - est une joie.
Morales, à peine élu, visite la France après l'Espagne, pour discuter avec Chirac et Zapatero des conditions de la présence de Total et de Repsol et de leur exploitation des ressources naturelles, du pétrole et du gaz. Il a entamé une tournée mondiale qui l'a conduit déjà à Cuba et au Venezuela, passe par l'Europe pour finir au Brésil avec Lula. Après ces négociations à droite et à gauche, il prendra ses fonctions de Président de la République le 22 janvier.
Quelles sont les perspectives ? Une nouvelle vague révolutionnaire ou une impasse pour les luttes et la préparation d'une lourde défaite ? La réponse n'est pas écrite à l'avance et ne dépend pas seulement d'Evo Morales.

Une victoire éclatante et une défaite écrasante
En Bolivie, la victoire de Morales était prévisible une fois le processus électoral lancé. Ce qui mérite réflexion, c'est l'ampleur de cette victoire.
Morales est le premier président indigène de la Bolivie (où la population indigène est majoritaire) et il gagne, au premier tour, avec 54 % des voix. Toutes les couches et classes populaires se sont manifestées en votant pour le candidat du MAS.
Morales a aussi obtenu la majorité parlementaire et la moitié des gouvernements régionaux. C'est un résultat politique important parce qu'il réduit, dans des semaines clés, la marge de manœuvre de la droite et de l'ambassade américaine. Et l'on peut aller plus loin. Cette situation politique nous montre que les révolutionnaires ne doivent pas ignorer que les masses vont utiliser les élections dans certaines conditions pour se manifester et frapper leurs adversaires...
La victoire électorale de Morales apparaît comme une solution circonstancielle à la crise politique du pays mais en réalité c'est un élément d'aggravation de cette même crise.
L'impérialisme et ses alliés n'ont pas pu reprendre l'initiative depuis octobre 2003.
Un soulèvement populaire chassait alors le gouvernement de Sanchez de Losada au prix de plus de 60 morts, suite à une répression féroce. Un gouvernement néolibéral tombait comme résultat de la mobilisation de la population et de l'occupation de rues et de villes. Le vice-président Carlos Mesa prit le relais. En juin 2005, des nouvelles manifestations provoquent la chute de Mesa. Le Congrès essaye d'imposer un gouvernement " fort " en connivence avec les militaires mais c'est un échec. Des élections sont annoncées par le gouvernement intérimaire du Président de la Cour Constitutionnelle, qui arrivent le 18 décembre après 6 mois d'instabilité. A chaque affrontement, les masses, le mouvement des ouvriers, des paysans, des " voisins ", la COB (Central Obrera Boliviana), les syndicats, les organisations paysannes, les comités des quartiers d'El Alto (banlieue récente de La Paz, 800 000 habitants, qui rassemble d'anciens mineurs, des paysans, des précaires de toute sorte), arrivent par l'action directe à défaire la politique de leurs ennemis. Mais ils n'arrivent pas à imposer un programme propre, parce qu'ils ne l'ont pas. A ce moment de leur mouvement, ils s'adaptent au régime politique et ne trouvent pas les moyens et l'énergie pour le dépasser.
Au cours de ces 3 ans d'affrontements, le MAS et Evo Morales sont toujours en deuxième ligne, pour la conciliation, pour diluer les revendications, pour arriver à des accords bâtards, avec comme objectif la tenue des élections pour faire valoir leur jeu politique. Ce parti est maintenant la structure la plus importante du pays, la seule capable d'encadrer les paysans et les couches pauvres des villes, avec la bienveillance de la petite-bourgeoise nationaliste et démocratique.
L'intelligence du MAS a été de profiter de cette situation dans laquelle, finalement, les élections ne se sont pas opposées aux aspirations de masses mais sont apparues comme un instrument politique.

Quelles revendications ?
Bien sûr, ces événements s'inscrivent dans une longue histoire de luttes et d'explosions révolutionnaires, sur lesquelles on ne peut donner que quelques indications. En avril 1952, un soulèvement ouvrier et populaire bat l'armée et le MNR (Mouvement Nationaliste Révolutionnaire, le parti du président Sanchez de Losada), prend le pouvoir et procède aux nationalisations des mines d'étain, la principale richesse du pays. En 1971, nous avons un nouveau chapitre révolutionnaire, avec l'Assemblée Populaire. Pendant plus d'un demi-siècle, le prolétariat minier et la COB ont joué un rôle d'avant garde et les organisations trotskistes ont été des acteurs politiques centraux. Ce petit pays pauvre de majorité indienne a été un des points les plus avancés des luttes sociales et anti-impérialistes.
En 2000, la ville de Cochabamba est le lieu d'un soulèvement populaire contre la privatisation des services d'eaux et l'augmentation des tarifs. Dans la même région, les paysans s'organisent pour défendre la culture de la coca contre l'intervention impérialiste, y compris militaire. La politique de privatisation et de soumission aux diktats de Washington a soulevé la résistance des masses, qui se dressent avec les méthodes classiques de la grève politique et de l'endurance paysanne. La lutte contre la politique néolibérale met en question le régime politique, la propriété capitaliste et l'armée.
Un saut qualitatif se produit quand le gouvernement du MNR décide d'exporter le gaz, dont l'exploitation est à la charge des grandes entreprises capitalistes étrangères, aux États-Unis à travers un port péruvien, en favorisant aussi le Chili. La réaction est immédiate : dehors le gouvernement, nationalisation du gaz et du pétrole, Assemblée constituante pour imposer un changement total de législation. Les mots d'ordre contre l'impérialisme et contre le régime politique convergent. Le président doit fuir le pays.
La nationalisation des ressources pétrolières et du gaz est devenue un axe politique central et continue de l'être. Le gouvernement de Evo Morales essaye de tergiverser autour de cette question et peut suivre la même voie que ses prédécesseurs.

Lutte politique
La Bolivie nous montre une fois de plus que les revendications sociales et contre l'oppression nationale sont directement liées aux questions politiques, à " la lutte pour le pouvoir ".
Il faut bien situer le MAS et ne pas faire une apologie aveugle. C'est un parti politique qui rompt avec la continuité ouvrière et marxiste de la gauche révolutionnaire. C'est une fédération de mouvements surtout paysans, sans aucun programme défini. La défense de la coca a été une ligne directrice. En 2002, il fait une percée quand il se présente aux élections et gagne plus de 30 députés. C'est la seule force politique de niveau national et de masse qui prétende se situer à gauche et contre l'impérialisme.
Dans chaque crise, le MAS se situe du côté de la continuité du régime politique et se refuse à reprendre le mot d'ordre de nationalisation sans indemnité de toutes les entreprises pétrolières.
Mais Evo Morales a un mérite : il fait de la politique. Il a face à lui des groupes, militants et organisations incapables de formuler une orientation, qui parfois tombent dans l'aventure, qui pratiquent le sectarisme et l'étroitesse, en définitive qui ne peuvent pas se situer et s'organiser en relation aux besoins du mouvement de masse et exprimer son indépendance... Face aux hommes et partis politiques de l'impérialisme et la bourgeoisie, il apparaît comme la seule alternative.
Dans les conditions politiques des élections du 18 décembre, il fallait voter Evo Morales, pas à cause de son programme mais parce qu'on était en présence d'un affrontement, classique dans les conditions de la Bolivie, entre la réaction et le peuple. On ne peut pas être indifférent à cette réalité au risque d'être absent des luttes réelles et de la vie de la population. Voter Evo Morales s'accompagné d'appels et d'actions autonomes, la constitution de comités de base, et la formulation des revendications : nationalisations, Assemblée constituante populaire immédiate.
Par contre, identifier Morales et les luttes est une erreur. Evo Morales n'est pas neutre, il n'est pas simplement le " représentant " historique ou immédiat d'un mouvement de lutte. Il essaye d'imposer ses orientations programmatiques et d'encadrer et discipliner les masses. Dans le MAS, on trouve sûrement des militants combatifs, mais la politique du parti est définie par sa direction, par sa place dans les rapports sociaux et politiques et non par la présence des uns et des autres.
Le MAS reprend une vieille théorie : les difficultés de l'Amérique Latine viennent de son manque de développement capitaliste et pas de la domination du capital. Il faut utiliser l'appareil d'État, dont les caisses seront alimentées par la rente du pétrole, pour aider l'agriculture familiale. Le changement technologique se substitue à l'expropriation des terres et à la concertation avec les paysans pour introduire et développer des nouvelles formes d'exploitation et de propriété.

Jusqu'où peut aller Evo Morales ?
La victoire du MAS a suscité un élan populaire et la confusion dans les rangs de la réaction. Le compromis avec le régime politique s'est imposé mais, maintenant, c'est Evo Morales lui-même qui doit prendre en charge l'application d'une politique bâtarde, qui va osciller, qui va vaciller. Il a en sa faveur le recul du gouvernement Bush, mais l'aile la plus dure demande déjà une réaction pour éviter un nouvel affaiblissement qui pourrait transformer la défaite en Bolivie en débandade dans l'ensemble du continent. C'est la position d'Otto Reich, l'ancien responsable pour l'Amérique Latine. Le sous secrétaire d'État, Tom Shannon, déclare de son côté qu'" il a confiance que Brasilia et Buenos Aires, dans un moindre degré, influencent le nouveau gouvernement pour protéger leurs propres intérêts économiques et de sécurité, qui coïncident jusqu'à certain point avec les intérêts américains : gaz naturel, la lutte contre les narcotrafiquants, le terrorisme et l'immigration ".
Voilà le panorama. Chavez ne rentre pas pour le moment dans cette panoplie de conciliateurs. Morales passe des accords avec Caracas et Brasilia. Il reçoit l'aide du Venezuela et fait des affaires avec Petrobras, le principal investisseur dans le pays.
Il s'oriente dans le même sens à l'intérieur. Il visite Santa Cruz et promet de favoriser l'autonomie et la décentralisation. Depuis des années, et surtout au fur et à mesure que se développe la crise révolutionnaire, la bourgeoisie de Santa Cruz essaye de mettre en place un statut d'autonomie et même de scissionner. Morales fait des promesses dans ce sens et indique que l'Assemblée constituante va consolider un nouveau statut favorable aux régions de l'Est. Mais il visite aussi El Alto et promet de satisfaire les demandes de la population.
Une des questions clés est la nationalisation. Le programme de Morales est de " nationaliser " le pétrole sans empêcher la présence et les bénéfices des entreprises étrangères. Il indique qu'il ne va pas confisquer ni se substituer aux capitaux privés. Les ministres du gouvernement espagnol qui traitent avec lui se déclarent " confiants dans la recherche d'une solution en sachant qu'il y aura des nouvelles règles du jeu ".
La nouvelle situation en Bolivie et dans toute l'Amérique Latine offre d'énormes possibilités de luttes. L'énergie des masses s'est libérée et la crise de l'impérialisme et des régimes politiques - Brésil, Pérou, Équateur, …- est plus forte que le travail de démoralisation et d'encadrement des gouvernements et des partis " progressistes ", " antilibéraux ". Evo Morales représente un maillon particulièrement faible.
La question de la nationalisation sans indemnité du pétrole et du gaz est d'une grande importance. Total est une pièce maîtresse dans le dispositif. Chirac et le capital impérialiste français et européen essayent de profiter de la crise en Amérique Latine pour placer leurs pions et conquérir de nouvelles positions. Nous appuyons sans réserve l'exigence de la confiscation de Total sans indemnité.

Marcelo N.