Débatmilitant | ||||||||||
Lettre publiée par des militants de la LCR |
n°87
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5
janvier 2006
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Sommaire : | ||||||||||
Pour que 2006 capitalise les acquis de dix ans de lutte | ||||||||||
Les " idées sociales " de Villepin et Sarkosy contre les travailleurs et les chômeurs |
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La Bolivie après la victoire d'Evo Morales | ||||||||||
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Pour
que 2006 capitalise
les acquis de dix ans de lutte
La
nouvelle année commence comme si elle n'était qu'un long trimestre
supplémentaire pour
2007. Comme si la vie sociale et politique
n'avait plus qu'une raison, l'élection présidentielle. La chronique
de la Star'Ac de la politique alimente les médias. Et se dessine tranquillement
la physionomie des personnages de ce théâtre d'ombres où
se joue le scénario d'une droite et d'une gauche se dégageant
d'années de cohabitation, du vote Chirac, pour s'affronter dans un combat
qu'on nous annonce décisif.
A gauche, le dispositif se met en place autour du couple Hollande - Ségolène
Royal qui préparent leur campagne à l'américaine face à
Sarkozy que Cécilia a abandonné à un combat solitaire.
Un populisme de gauche social-libéral prend corps face au populisme de
la droite extrême. Finies les classes, finies les idéologies, soyons
pragmatiques, à l'américaine, le monde de Mr Hulot à l'époque
de la mondialisation libérale et impérialiste
Le PS, fort de ses positions dans les régions, a quelque raison d'espérer
gagner la partie et donc de pouvoir convaincre ses anciens partenaires de la
gauche plurielle de s'intégrer bon an mal an à son dispositif.
Le mouvement ouvrier a bien d'autres préoccupations. Loin de se laisser
subjuguer par les premiers actes ennuyeux du scénario présidentiel,
toute son attention se concentre sur lui-même et la défense de
ses propres intérêts. Son souci est d'uvrer à inverser
le rapport de force avec le patronat et l'Etat, à préparer un
mouvement d'ensemble.
Cela suppose de tirer les enseignements des luttes sociales et politiques des
dernières années pour construire une nouvelle conscience de classe
pleinement indépendante des jeux parlementaires et institutionnels.
Il est clair que ce n'est pas dans les urnes que se change le rapport de force.
Les partis de gauche misent sur un relatif abattement, conséquence des
échecs des mouvements sociaux, pour nous convaincre qu'il ne reste qu'à
bien voter pour battre la droite.
C'est une illusion. Les années Jospin et de la gauche plurielle ont vu
les conditions de vie des classes populaires se dégrader et la gauche
privatiser plus que la droite ne l'avait fait auparavant. Après 2004,
la gauche a laissé à la droite les mains libres pour continuer
ses attaques. Et la victoire du Non le 29 mai ne pouvait transformer le rapport
de force.
Elle ne pouvait être qu'un appui au sens où, à travers elle,
s'est exprimé le rejet de la politique libérale par le monde du
travail. Mais pour que cette conscience puisse déboucher sur des luttes,
il eût fallu une politique allant dans ce sens. Les organisations actrices
de la victoire du non étaient elles-mêmes, dans leur grande majorité,
subjuguées par leur propre succès inattendu.
Aujourd'hui nous sommes ramenés à la réalité des
rapports de force.
Le succès de 2005 ne saurait masquer la dégradation du rapport
de force, conséquence de l'impuissance des luttes à se généraliser
du fait de la politique délibérée des directions syndicales.
La situation politique et sociale est dominée par l'offensive du patronat
à laquelle le gouvernement est tout dévoué, les luttes
de pouvoir au sein de la majorité et l'impuissance de l'opposition parlementaire
ou syndicale.
Le populisme de l'après-5 mai, celui de Raffarin, prétendait concilier
la droite et la gauche dans la continuité de la cohabitation en continuant
la politique des réformes au nom " du diagnostic partagé
". L'imposture ne pouvait que conduire à un déplacement à
droite dont Sarkozy est le moteur, un populisme de droite extrême flattant
l'électorat d'extrême droite.
Face à cela, la gauche est impuissante, paralysée par sa propre
politique, le vote Chirac et le social-libéralisme, les directions syndicales
engagées dans le dialogue social et le diagnostic partagé.
Les luttes n'ont pu donner sa pleine mesure au mécontentement qui s'était
exprimé dans la rue le 10 mars et le 4 octobre, dans le mouvement de
la jeunesse ou la révolte des cités et dans les urnes le 29 mai.
A partir de là, s'engage un nouveau processus. Le mécontentement
n'ayant pas trouvé son débouché politique dans les luttes
convergeant vers un mouvement d'ensemble, il aura tendance à un chercher
un, plus ou moins crédible, sur le terrain institutionnel, les élections.
C'est ce processus que le PS de la synthèse entend accompagner, dominé,
canalisé pour son seul profit dans le cadre d'une nouvelle mouture de
l'union de la gauche associant l'ensemble des partis de l'ex-gauche plurielle
dont le PC qui cherche à neutraliser l'extrême gauche en l'y associant.
Rien ne dit que cette politique de la gauche gouvernementale aboutira, qu'elle
ne sera pas confrontée à une nouvelle explosion sociale avant
même 2007, mais elle devient une composante essentielle des rapports de
forces comme des débats politiques.
Pour le mouvement ouvrier aujourd'hui, l'essentiel est que s'affirme une opposition
de classe non seulement au populisme de droite mais aussi au social-libéralisme
qui lui a préparé le terrain.
C'est avec leurs armes et leurs méthodes que les travailleurs pourront
changer le rapport de force.
La
question de l'unité est au cur des discussions
Et les partis de l'ex-gauche plurielle ne manqueront pas de tenter de s'imposer
comme cadre de cette unité au nom du chantage simpliste, " nous
ou Sarkozy ". Pour exercer leur pression, ils pourront à loisir
prendre appui sur le raisonnement que toute la gauche syndicale et politique
a tenu en 2002 pour justifier la capitulation du vote Chirac.
Ils ont voté Chirac pour se protéger de Le Pen et, maintenant,
il faudrait voter pour eux pour se protéger de Sarkozy qui fait la politique
de Le Pen
Le mouvement ouvrier doit rompre avec ces chantages parlementaires qui justifient
les capitulations.
L'unité se fera sur le terrain des luttes, des mobilisations, de l'organisation
des travailleurs dans leurs syndicats, associations, collectifs, autour des
exigences du monde du travail.
Le parti dont le monde du travail a besoin est un parti qui porte cette politique,
la défende, la mette en uvre. Il ne s'agit pas d'un parti électoraliste
mais bien d'une organisation ancrée dans le monde du travail, les luttes
et les résistances, indépendante de la gauche gouvernementale,
en opposition à sa politique, moteur d'une politique de front unique,
sur les lieux de travail, dans les quartiers, les syndicats ou les associations.
Pour le parti du monde du travail, les élections sont une tribune, un
moyen de populariser ses exigences, de regrouper, d'organiser les travailleurs.
Les élus sont des points d'appui au service de cette même politique.
Cette orientation
repose sur la compréhension qu'il est impossible de transformer la société
capitaliste dans le cadre des institutions qui servent à la préserver.
On ne changera pas le monde par en haut mais bien par en bas, par les mobilisations
et l'organisation des classes populaires.
Ce n'est pas par une bonne Constitution que l'on apportera une réponse
à la crise de l'Europe parce que cette dernière participe des
contradictions organiques du capitalisme. Au cur des difficultés
de l'Europe, il y a la contradiction entre le développement des techniques,
des moyens de production et d'échange à travers les multinationales
et la survivance des vieux Etats nationaux.
La crise européenne est le résultat même de l'évolution
capitaliste. Il ne peut y avoir de bonne Constitution dans le cadre des rapports
capitalistes, l'Europe que nous voulons, Europe de paix, de progrès,
de liberté, ne peut naître que de l'intervention directe des peuples
et des travailleurs pour décider de leur avenir.
L'évolution même du capitalisme contribue à créer
les conditions de sa transformation. L'Europe est devenue une réalité
économique et commence à se façonner une classe ouvrière
européenne. Plus généralement, à travers l'extension
du marché mondial du travail se forme une classe ouvrière internationale.
La mise en concurrence des travailleurs à l'échelle de la planète
crée, en retour, les bases d'une conscience et de luttes communes.
Ces évolutions économiques sapent les bases matérielles
du réformisme, dans le même temps qu'elles modifient positivement
les conditions de la lutte des classes à l'échelle internationale.
Elles développent et renforcent les traits du capitalisme portant ses
contradictions à un niveau inégalé, contrairement à
ce que prétendent les antilibéraux qui ne voient dans les maux
dont souffre la société que le résultat de la politique
libérale et non du capitalisme lui-même.
C'est pourquoi il n'est pas possible de changer la vie en allant au gouvernement
dans le cadre des institutions et c'est pourquoi aussi les travailleurs doivent
se préparer à porter leurs exigences quel que soit, demain, le
gouvernement.
Depuis 95, le mouvement ouvrier a dégagé une riche expérience,
le plus souvent à travers ses échecs, en particulier depuis 2003.
Ces échecs sont aussi des leçons de choses qui illustrent le besoin
de cristalliser ces acquis dans la construction d'un parti des travailleurs
tout en prenant appui sur eux pour uvrer à l'unité du monde
du travail.
Les illusions sur la dynamique qu'aurait porté en lui-même le non
de gauche cèdent la place à une nouvelle lucidité. La priorité
des mobilisations, ce sont les exigences du monde du travail, son organisation
pour diriger ses luttes et se préparer à ce qui est au centre
de toute politique anticapitaliste conséquente, le contrôle de
la population sur l'économie et l'Etat.
C'est
bien le défi que nous avons à relever
Cela veut dire que le mouvement ouvrier ait sa propre politique. Accepter la
séparation institutionnelle entre la vie politique d'un côté
et les organisations syndicales de l'autre, c'est accepter le système,
s'y adapter et, en conséquence, comme le montre le triste bilan du syndicalisme
d'adaptation, se plier aux exigences du patronat.
La défense les intérêts du monde du travail, c'est-à-dire
de l'immense majorité de la population, définit par elle-même
une politique. Cette dernière se décline à différents
niveaux, dans les syndicats, les associations, dans le cadre des élections
ou des institutions, mais elle obéit partout aux mêmes impératifs,
la défense des intérêts des travailleurs ne peut être
que l'uvre des travailleurs eux-mêmes.
Certes, les échéances électorales à venir sont importantes.
Mais notre capacité à y faire entendre la voix des travailleurs
dépendra de notre capacité, en 2006, à organiser et regrouper
autour du plan d'urgence sociale et démocratique que la LCR et LO avaient
défendu ensemble en 2004. Nous savons bien qu'une campagne commune et
unitaire portée par Olivier Besancennot et Arlette Laguiller en 2007
est difficilement envisageable du fait du refus de LO.
Cette division de l'extrême gauche pourrait nous être très
préjudiciable au moment où il s'agit de regrouper les forces pour
tenir, résister aux pressions, préparer le regain des mobilisations.
Mais l'essentiel n'est pas là.
Il est de formuler une politique unitaire, démocratique, révolutionnaire,
pour les travailleurs, les jeunes pour qu'ils puissent devenir dans leur entreprise,
leur quartier ou leur ville, les artisans de la construction de leur parti.
Tous nos vux vont à la réussite de cette entreprise
Yvan
Lemaitre
Les
" idées sociales " de Sarkozy et Villepin
contre les travailleurs et les chômeurs
Le 31 décembre,
Chirac a fait sonner les mots ronflants sur le " patriotisme "
et la République, vantant cyniquement " le travail, la volonté,
le talent " pour mieux justifier les attaques contre les chômeurs,
les travailleurs et les jeunes. Ses vux au gouvernement ont eux été
directs : il l'a appelé à " continuer son action "
et a annoncé une réforme du financement de la protection sociale
pour " alléger le coût du travail "
en diminuant les cotisations patronales pour " favoriser les entreprises
qui emploient en France "
Les bénéfices des entreprises du CAC 40 ont explosé, l'indice
boursier a augmenté en 2005 de 23,4 % et pour 2006 les analystes
financiers parient sur 7 à 10 % de plus, soit 5 fois plus que la
croissance économique. Ils parient ainsi sur une nouvelle intensification
de l'exploitation, la réduction des droits du monde du travail.
Le gouvernement entend bien lever toutes les " contraintes "
qui " pèsent " sur le patronat et laisser
aux actionnaires les mains totalement libres pour déplacer leur mise
au gré des opportunités, licencier sans entrave. Tandis qu'il
stigmatise les chômeurs (comme en témoigne le décret pris
en catimini pendant les fêtes autorisant le ministère du travail
à vérifier les données fiscales des chômeurs au nom
de la " chasse aux fraudes ") tandis que le système
de sanction avec suspension des allocations chômage se met en place et
que la réforme en cours de l'Unedic va encore réduire la durée
d'indemnisation de nombreux chômeurs, le gouvernement mène l'offensive
pour généraliser la " mobilité "
des salariés et la flexibilité. Et pour cela, Sarkozy et Villepin
viennent de reprendre à leur compte l'idée d'une " Sécurité
sociale professionnelle " pour les salariés licenciés
jusque là défendue par la gauche et les syndicats.
Les
idées sociales de Sarkozy, Borloo, Villepin : la flexibilité et
l'insécurité
" Retrouvons le plein emploi grâce à la Sécurité
sociale professionnelle " écrivait Sarkozy dans la Tribune
du 12 décembre, dénonçant " l'échec
du modèle social français " et " la
réglementation stricte et complexe du licenciement dans notre pays "
" Il convient que les protections soient désormais attachées
aux salariés et non aux emplois qu'ils occupent. La CGT et la CFDT le
réclament depuis longtemps, à juste titre ", et
il concluait sur la nécessité d'une " réforme
ambitieuse, juste et équilibrée entre les exigences de sécurité
et de flexibilité ", la " flexisécurité ".
Le même jour, Villepin annonçait l'expérimentation dans
5 régions d'un Contrat de Transition Professionnel (CTP) pour les licenciés
économiques d'entreprises de moins de 300 salariés. Contrat de
8 à 12 mois durant lesquels les salariés devront accepter de travailler
dans n'importe quelle entreprise, publique ou privée, quels que soient
la durée et le poste de travail, sans autre " garantie "
que celle d'un revenu (dans tous les cas inférieur à l'ancien
salaire). De plus, les salariés licenciés perdront tous les droits
liés à leur convention collective.
Ce " parcours
professionnel sécurisé " défendu par Villepin
(expression également reprise à la gauche et aux syndicats), part
de l'idée que les licenciements sont chose normale, qu'il faut donc s'adapter
et gérer la précarité, le " parcours "
des salariés
Comme le disait Parisot, patronne du Medef, " la
vie, la santé, l'amour sont précaires, pourquoi le travail échapperait-il
à cette loi ? ".
L'adaptation
de la gauche aux " évolutions économiques "
Dans son édition du 23 décembre, la NVO (hebdomadaire de
la CGT) écrit : " De Villepin, Borloo, Sarkozy battent
la campagne sur le thème de la sécurisation des parcours professionnels.
Faisant ainsi ouvertement écho à la revendication formulée
depuis plusieurs années par la CGT d'une sécurité sociale
professionnelle et d'un nouveau statut du travail salarié. Cela témoigne
que le concept sonne juste. Mais attention, il peut être galvaudé
pour mieux en contredire le sens "
sous une grande photo
présentant Villepin et Borloo souriants face à Bernard Thibault,
Maryse Dumas et Mourad Rahbi. Et l'article d'expliquer que " le
CTP peut constituer demain un point d'appui pour favoriser la réinsertion
professionnelle d'un certain nombre de salariés en rupture d'emploi "
même s'il est " encore loin de répondre à la
revendication de la CGT ".
Et il est révélateur que la commission composée par Borloo
pour plancher sur la question était composée du directeur général
adjoint de la Snecma, du PDG de Communication et système et de Christian
Larose, ancien dirigeant de la fédération textile CGT, aujourd'hui
président de la section travail du Conseil économique et social.
Les centrales syndicales se retrouvent ainsi piégées au jeu de
dupes du gouvernement, discutant de comment s'adapter aux réalités
économiques et à la mondialisation.
" Il n'est pas question d'ignorer la contrainte de compétitivité
des entreprises expliquait ainsi Le Duigou (CGT) dans son dernier livre.
L'idée " d'interdiction des licenciements " est de ce point
de vue ni réaliste, ni ambitieuse. Sa mise en uvre se retournerait
très vite contre les salariés. Il faut être beaucoup plus
ambitieux et créer un droit d'intégration dans l'emploi ".
Et, plus loin, " c'est le sens de la proposition CGT d'une "
sécurité sociale professionnelle " qui vise à articuler
de manière nouvelle marché du travail et protection sociale et
par là à en faire évoluer le contenu. "
Les licenciements ne seraient pas le fruit de la lutte de classe, de la soif
de profits d'une minorité mais seraient inscrits dans le contexte économique
mondial : la direction de la CGT " propose "
de fait de s'y adapter
et donne des armes au gouvernement qui peut se
payer le luxe d'expliquer, tel Borloo, qu' " il faut qu'un salarié
privé d'emploi ne vive pas cette période comme un traumatisme
mais comme une mutation vers un nouvel emploi ou un nouveau métier "
Et l'éditorialiste de la Tribune de demander : " peut-on
aller jusqu'à espérer que les organisations syndicales sauront
à leur tour se montrer coopératives afin que tout le monde tire
dans le même sens, celui de l'intérêt des Français
désireux de retrouver un travail ? "
C'est le " constat commun " cher à Parisot,
le " diagnostic partagé " dont la fonction
est de paralyser les salariés et les chômeurs, tentant de faire
admettre une communauté d'intérêt face à des " contraintes "
économiques s'imposant à tous
Interdiction
des licenciements, partage du travail entre tous !
Face à l'offensive du patronat et du gouvernement, le monde du travail,
les militants syndicaux ont besoin de se dégager du piège du diagnostic
partagé, nous avons besoin de toute notre indépendance pour exiger
le respect des droits fondamentaux qui sont les nôtres.
Rien ne peut justifier quelque licenciement que ce soit, si ce n'est la recherche
de profit.
" Le statut du salarié " ou " la
sécurité sociale professionnelle " n'ont aucun sens
hors du droit à l'emploi, à un salaire décent, à
des garanties collectives. Ils supposent l'interdiction des licenciements et
le partage du travail entre tous.
Il ne pourra y avoir de sécurité sociale professionnelle sans
le contrôle des salariés et de leurs organisations sur la marche
des entreprises, sur la production elle-même et sur le fonctionnement
de toute la société. Assurer à tous un emploi stable et
un véritable salaire, interdire les licenciements remet en cause la propriété
capitaliste, le droit que s'est attribué une poignée de parasites
qui jouent la vie des travailleurs au Monopoly, tel Alsthom qui vient de vendre
les chantiers navals de l'Atlantique au groupe Aker Yards, mettant les 6000
salariés qui y travaillent devant le fait accompli. Parmi eux, plus de
la moitié sont précaires ou employés par des sous-traitants,
et le " repreneur " s'est bien gardé de s'engager à
quoi que ce soit à leur sujet. Par contre, l'action Alsthom (qui a plus
que doublé en 2005 : + 117 %) a augmenté de 6,72 %
à la Bourse dès l'annonce de la vente des Chantiers.
Le problème n'est pas d'imaginer un bon " statut du salarié "
ou la " sécurisation du parcours professionnel "
que Villepin et Sarkozy veulent utiliser pour faire accepter les licenciements
et dégager les patrons de toute responsabilité, mais de regrouper
nos forces, salariés, précaires, chômeurs pour changer le
rapport de forces, interdire les licenciements, exiger d'avoir notre mot à
dire en vue d'imposer notre contrôle sur la société.
Carole
Lucas
La Bolivie après la victoire d'Evo Morales
La
victoire d'Evo Morales aux élections du 18 décembre crée
une nouvelle situation politique en Bolivie et a provoqué la sympathie
et attiré l'attention des militants et organisations en France. On perçoit
qu'une nouvelle situation favorable à la lutte d'émancipation
des opprimés est en train de se créer en Amérique Latine.
Elle est aussi un point d'appui pour les luttes dans ce pays. Finalement, toute
défaite de Bush - et la Bolivie en est une - est une joie.
Morales, à peine élu, visite la France après l'Espagne,
pour discuter avec Chirac et Zapatero des conditions de la présence de
Total et de Repsol et de leur exploitation des ressources naturelles, du pétrole
et du gaz. Il a entamé une tournée mondiale qui l'a conduit déjà
à Cuba et au Venezuela, passe par l'Europe pour finir au Brésil
avec Lula. Après ces négociations à droite et à
gauche, il prendra ses fonctions de Président de la République
le 22 janvier.
Quelles sont les perspectives ? Une nouvelle vague révolutionnaire
ou une impasse pour les luttes et la préparation d'une lourde défaite ?
La réponse n'est pas écrite à l'avance et ne dépend
pas seulement d'Evo Morales.
Une
victoire éclatante et une défaite écrasante
En Bolivie, la victoire de Morales était prévisible une fois le
processus électoral lancé. Ce qui mérite réflexion,
c'est l'ampleur de cette victoire.
Morales est le premier président indigène de la Bolivie (où
la population indigène est majoritaire) et il gagne, au premier tour,
avec 54 % des voix. Toutes les couches et classes populaires se sont manifestées
en votant pour le candidat du MAS.
Morales a aussi obtenu la majorité parlementaire et la moitié
des gouvernements régionaux. C'est un résultat politique important
parce qu'il réduit, dans des semaines clés, la marge de manuvre
de la droite et de l'ambassade américaine. Et l'on peut aller plus loin.
Cette situation politique nous montre que les révolutionnaires ne doivent
pas ignorer que les masses vont utiliser les élections dans certaines
conditions pour se manifester et frapper leurs adversaires...
La victoire électorale de Morales apparaît comme une solution circonstancielle
à la crise politique du pays mais en réalité c'est un élément
d'aggravation de cette même crise.
L'impérialisme
et ses alliés n'ont pas pu reprendre l'initiative depuis octobre 2003.
Un soulèvement populaire chassait alors le gouvernement de Sanchez de
Losada au prix de plus de 60 morts, suite à une répression féroce.
Un gouvernement néolibéral tombait comme résultat de la
mobilisation de la population et de l'occupation de rues et de villes. Le vice-président
Carlos Mesa prit le relais. En juin 2005, des nouvelles manifestations provoquent
la chute de Mesa. Le Congrès essaye d'imposer un gouvernement " fort "
en connivence avec les militaires mais c'est un échec. Des élections
sont annoncées par le gouvernement intérimaire du Président
de la Cour Constitutionnelle, qui arrivent le 18 décembre après
6 mois d'instabilité. A chaque affrontement, les masses, le mouvement
des ouvriers, des paysans, des " voisins ", la COB (Central
Obrera Boliviana), les syndicats, les organisations paysannes, les comités
des quartiers d'El Alto (banlieue récente de La Paz, 800 000 habitants,
qui rassemble d'anciens mineurs, des paysans, des précaires de toute
sorte), arrivent par l'action directe à défaire la politique de
leurs ennemis. Mais ils n'arrivent pas à imposer un programme propre,
parce qu'ils ne l'ont pas. A ce moment de leur mouvement, ils s'adaptent au
régime politique et ne trouvent pas les moyens et l'énergie pour
le dépasser.
Au cours de ces 3 ans d'affrontements, le MAS et Evo Morales sont toujours en
deuxième ligne, pour la conciliation, pour diluer les revendications,
pour arriver à des accords bâtards, avec comme objectif la tenue
des élections pour faire valoir leur jeu politique. Ce parti est maintenant
la structure la plus importante du pays, la seule capable d'encadrer les paysans
et les couches pauvres des villes, avec la bienveillance de la petite-bourgeoise
nationaliste et démocratique.
L'intelligence du MAS a été de profiter de cette situation dans
laquelle, finalement, les élections ne se sont pas opposées aux
aspirations de masses mais sont apparues comme un instrument politique.
Quelles
revendications ?
Bien sûr, ces événements s'inscrivent dans une longue histoire
de luttes et d'explosions révolutionnaires, sur lesquelles on ne peut
donner que quelques indications. En avril 1952, un soulèvement ouvrier
et populaire bat l'armée et le MNR (Mouvement Nationaliste Révolutionnaire,
le parti du président Sanchez de Losada), prend le pouvoir et procède
aux nationalisations des mines d'étain, la principale richesse du pays.
En 1971, nous avons un nouveau chapitre révolutionnaire, avec l'Assemblée
Populaire. Pendant plus d'un demi-siècle, le prolétariat minier
et la COB ont joué un rôle d'avant garde et les organisations trotskistes
ont été des acteurs politiques centraux. Ce petit pays pauvre
de majorité indienne a été un des points les plus avancés
des luttes sociales et anti-impérialistes.
En 2000, la ville de Cochabamba est le lieu d'un soulèvement populaire
contre la privatisation des services d'eaux et l'augmentation des tarifs. Dans
la même région, les paysans s'organisent pour défendre la
culture de la coca contre l'intervention impérialiste, y compris militaire.
La politique de privatisation et de soumission aux diktats de Washington a soulevé
la résistance des masses, qui se dressent avec les méthodes classiques
de la grève politique et de l'endurance paysanne. La lutte contre la
politique néolibérale met en question le régime politique,
la propriété capitaliste et l'armée.
Un saut qualitatif se produit quand le gouvernement du MNR décide d'exporter
le gaz, dont l'exploitation est à la charge des grandes entreprises capitalistes
étrangères, aux États-Unis à travers un port péruvien,
en favorisant aussi le Chili. La réaction est immédiate : dehors
le gouvernement, nationalisation du gaz et du pétrole, Assemblée
constituante pour imposer un changement total de législation. Les mots
d'ordre contre l'impérialisme et contre le régime politique convergent.
Le président doit fuir le pays.
La nationalisation des ressources pétrolières et du gaz est devenue
un axe politique central et continue de l'être. Le gouvernement de Evo
Morales essaye de tergiverser autour de cette question et peut suivre la même
voie que ses prédécesseurs.
Lutte
politique
La Bolivie nous montre une fois de plus que les revendications sociales et contre
l'oppression nationale sont directement liées aux questions politiques,
à " la lutte pour le pouvoir ".
Il faut bien situer le MAS et ne pas faire une apologie aveugle. C'est un parti
politique qui rompt avec la continuité ouvrière et marxiste de
la gauche révolutionnaire. C'est une fédération de mouvements
surtout paysans, sans aucun programme défini. La défense de la
coca a été une ligne directrice. En 2002, il fait une percée
quand il se présente aux élections et gagne plus de 30 députés.
C'est la seule force politique de niveau national et de masse qui prétende
se situer à gauche et contre l'impérialisme.
Dans chaque crise, le MAS se situe du côté de la continuité
du régime politique et se refuse à reprendre le mot d'ordre de
nationalisation sans indemnité de toutes les entreprises pétrolières.
Mais Evo Morales a un mérite : il fait de la politique. Il a face
à lui des groupes, militants et organisations incapables de formuler
une orientation, qui parfois tombent dans l'aventure, qui pratiquent le sectarisme
et l'étroitesse, en définitive qui ne peuvent pas se situer et
s'organiser en relation aux besoins du mouvement de masse et exprimer son indépendance...
Face aux hommes et partis politiques de l'impérialisme et la bourgeoisie,
il apparaît comme la seule alternative.
Dans les conditions politiques des élections du 18 décembre, il
fallait voter Evo Morales, pas à cause de son programme mais parce qu'on
était en présence d'un affrontement, classique dans les conditions
de la Bolivie, entre la réaction et le peuple. On ne peut pas être
indifférent à cette réalité au risque d'être
absent des luttes réelles et de la vie de la population. Voter Evo Morales
s'accompagné d'appels et d'actions autonomes, la constitution de comités
de base, et la formulation des revendications : nationalisations, Assemblée
constituante populaire immédiate.
Par contre, identifier Morales et les luttes est une erreur. Evo Morales n'est
pas neutre, il n'est pas simplement le " représentant "
historique ou immédiat d'un mouvement de lutte. Il essaye d'imposer ses
orientations programmatiques et d'encadrer et discipliner les masses. Dans le
MAS, on trouve sûrement des militants combatifs, mais la politique du
parti est définie par sa direction, par sa place dans les rapports sociaux
et politiques et non par la présence des uns et des autres.
Le MAS reprend une vieille théorie : les difficultés de l'Amérique
Latine viennent de son manque de développement capitaliste et pas de
la domination du capital. Il faut utiliser l'appareil d'État, dont les
caisses seront alimentées par la rente du pétrole, pour aider
l'agriculture familiale. Le changement technologique se substitue à l'expropriation
des terres et à la concertation avec les paysans pour introduire et développer
des nouvelles formes d'exploitation et de propriété.
Jusqu'où
peut aller Evo Morales ?
La victoire du MAS a suscité un élan populaire et la confusion
dans les rangs de la réaction. Le compromis avec le régime politique
s'est imposé mais, maintenant, c'est Evo Morales lui-même qui doit
prendre en charge l'application d'une politique bâtarde, qui va osciller,
qui va vaciller. Il a en sa faveur le recul du gouvernement Bush, mais l'aile
la plus dure demande déjà une réaction pour éviter
un nouvel affaiblissement qui pourrait transformer la défaite en Bolivie
en débandade dans l'ensemble du continent. C'est la position d'Otto Reich,
l'ancien responsable pour l'Amérique Latine. Le sous secrétaire
d'État, Tom Shannon, déclare de son côté qu'" il
a confiance que Brasilia et Buenos Aires, dans un moindre degré, influencent
le nouveau gouvernement pour protéger leurs propres intérêts
économiques et de sécurité, qui coïncident jusqu'à
certain point avec les intérêts américains : gaz naturel,
la lutte contre les narcotrafiquants, le terrorisme et l'immigration ".
Voilà le panorama. Chavez ne rentre pas pour le moment dans cette panoplie
de conciliateurs. Morales passe des accords avec Caracas et Brasilia. Il reçoit
l'aide du Venezuela et fait des affaires avec Petrobras, le principal investisseur
dans le pays.
Il s'oriente dans le même sens à l'intérieur. Il visite
Santa Cruz et promet de favoriser l'autonomie et la décentralisation.
Depuis des années, et surtout au fur et à mesure que se développe
la crise révolutionnaire, la bourgeoisie de Santa Cruz essaye de mettre
en place un statut d'autonomie et même de scissionner. Morales fait des
promesses dans ce sens et indique que l'Assemblée constituante va consolider
un nouveau statut favorable aux régions de l'Est. Mais il visite aussi
El Alto et promet de satisfaire les demandes de la population.
Une des questions clés est la nationalisation. Le programme de Morales
est de " nationaliser " le pétrole sans empêcher
la présence et les bénéfices des entreprises étrangères.
Il indique qu'il ne va pas confisquer ni se substituer aux capitaux privés.
Les ministres du gouvernement espagnol qui traitent avec lui se déclarent
" confiants dans la recherche d'une solution en sachant qu'il y
aura des nouvelles règles du jeu ".
La nouvelle situation en Bolivie et dans toute l'Amérique Latine offre
d'énormes possibilités de luttes. L'énergie des masses
s'est libérée et la crise de l'impérialisme et des régimes
politiques - Brésil, Pérou, Équateur,
- est
plus forte que le travail de démoralisation et d'encadrement des gouvernements
et des partis " progressistes ", " antilibéraux ".
Evo Morales représente un maillon particulièrement faible.
La question de la nationalisation sans indemnité du pétrole et
du gaz est d'une grande importance. Total est une pièce maîtresse
dans le dispositif. Chirac et le capital impérialiste français
et européen essayent de profiter de la crise en Amérique Latine
pour placer leurs pions et conquérir de nouvelles positions. Nous appuyons
sans réserve l'exigence de la confiscation de Total sans indemnité.
Marcelo
N.