Débatmilitant
Lettre publiée par des militants de la LCR
n°90
26 janvier 2006

Sommaire :
A propos du congrès de la LCR, œuvrer à un mouvement d'ensemble par la mobilisation et... les élections

 

A propos du congrès de la LCR,
œuvrer à un mouvement d'ensemble
par la mobilisation et... les élections

Le XVIème congrès de la LCR intervenait à un moment clé où commence à se mettre en place, après la synthèse du Mans, une nouvelle union de la gauche, et alors que le gouvernement franchit un nouveau pas dans l'escalade contre les droits des travailleurs.
L'affaire du CPE pourrait bien être le mauvais coup de trop qui aide à unifier les mécontentements. Et c'est bien la question à laquelle sont confrontés tous les militants du mouvement ouvrier et social : comment préparer un mouvement d'ensemble pour mettre un coup d'arrêt à cette politique de régression sociale.
Pour les militants révolutionnaires, cette question en rejoint une autre : comment regrouper, unir, organiser autour des exigences du monde du travail défendues dans notre programme d'urgence sociale et démocratique, l'interdiction des licenciements, la diminution du temps de travail et la répartition du travail entre tous, la revalorisation des salaires et des retraites, la garantie d'un revenu décent pour tous, la défense des services publics... Comment les populariser, comment partir des besoins quotidiens de la grande majorité de la population pour démontrer que seule sa mobilisation pourra imposer ses exigences en même temps qu'elle imposera son droit de contrôle sur la marche de l'économie et de l'Etat ? Comment, dans les syndicats et les associations, lier le travail de défense quotidienne des salariés, de la population, et la défense du plan d'urgence ?
Autant de questions qui préoccupent bien au-delà des militants de la LCR mais auxquelles notre congrès n'a consacré que bien peu de temps pour se consacrer essentiellement à la question des élections et des hypothétiques candidatures unitaires. Et au final décider d'attendre pour... décider.
La patience d'attendre " titrait l'article de l'Humanité après que Libération ait ironisé, " la Ligue entre la faucille et la rose "…
Ironie quelque peu caricaturale à propos d'un congrès qui a cependant été fort utile. Il a créé les conditions pour que la Ligue puisse se dégager de la confusion des candidatures unitaires et ne soit pas paralysée pour pouvoir agir au cœur des mobilisations, toutes tendances confondues.

L'enjeu, être en mesure de capitaliser les acquis de 2004 et 2005
Nous regrettons que les échéances électorales du congrès aient monopolisé nos débats, cela d'autant que chacun s'accorde à dire qu'il ne faut pas attendre... 2007. Le véritable enjeu de ce congrès n'était pas là mais bien de tirer les leçons des riches expériences des deux années passées pour formuler une politique combinant l'objectif d'unir le monde du travail en faisant vivre un front social et politique pour les luttes tout en construisant un nouveau parti des travailleurs.
Nous devons nous appuyer sur les acquis de 2004 et 2005, les deux années qui nous séparaient du congrès précédent, pour renforcer l'organisation et la mettre en position d'être utile aux mobilisations sociales et politiques.
Bien des camarades tendent à opposer la campagne avec Lutte ouvrière de 2004 à la campagne unitaire pour le non au référendum sur le TCE de 2005.
C'est une erreur qui exprime un préjugé et une incompréhension.
Le préjugé, c'est de croire que les mauvais scores électoraux de 2004 seraient liés à l'accord avec LO alors qu'ils étaient la conséquence, sur le plan électoral, de l'échec de 2003. Les deux campagnes de 2004 ont largement contribué à renforcer les révolutionnaires face au PC.
Une incompréhension, car c'est bien le changement de rapport de force comme la crainte d'une alliance LO-LCR qui ont poussé la direction du PC à s'engager dans une campagne unitaire contre le traité constitutionnel. Et, par ailleurs, il est aujourd'hui évident que nombre de camarades ont idéalisé le succès du Non et son influence sur les rapports de force.
Loin d'opposer 2004 à 2005, il nous faut définir la cohérence politique de notre démarche, notre continuité. Cela passe par la critique de l'accord avec LO, la critique de son contenu, un simple accord électoral entre révolutionnaires, un contresens alors que nous aurions dû l'inscrire, quoi qu'en pensait LO, dans la perspective de la construction d'un nouveau parti des travailleurs. Cela passe aussi par la critique de l'appel des 200 qui visait à contenir la campagne pour le non dans le cadre étroit du réformisme anti-libéral.
Mais, indépendamment de ces limites et faiblesses politiques, les deux campagnes ont permis à l'organisation de développer une large agitation politique conçue comme un véritable travail de masse. Elles ont combiné regroupement des révolutionnaires et travail de front unique, il y a là une riche expérience qui aurait mérité qu'on s'y arrête.

Ecrire la cohérence entre front unique et perspective d'un nouveau parti des travailleurs
Cette expérience participe de la mue que l'extrême gauche est en train de faire pour se dégager du gauchisme et devenir un véritable mouvement ouvrier et populaire.
La propension des uns et des autres à opposer 2004 à 2005 indique clairement les obstacles que nous avons à surmonter.
La politique de Lutte ouvrière est, depuis 1995, un échec à cause de son incapacité à avoir une attitude ouverte à l'égard du mouvement ouvrier dans son ensemble, attitude qui se réfracte dans son incapacité à tolérer en son sein une véritable démocratie. Si elle a pu longtemps incarner l'indépendance de classe vis-à-vis de la gauche, cette indépendance est formelle et ne débouche pas sur la capacité à formuler une politique.
A l'opposé, il y a dans notre organisation une vieille tendance à l'adaptation ou au suivisme vis-à-vis du PC et des appareils qui s'exprime dans une difficulté à nous affirmer en tant que parti et dans la tendance à mettre l'unité à toutes les sauces.
Il s'agit aujourd'hui de dépasser ces défauts, sectarisme ou suivisme, produits du passé alors que le stalinisme faisait la police et marginalisait les révolutionnaires.
Dans cette perspective, les expériences de 2004 et de 2005 sont extrêmement fécondes à condition de les penser comme deux moments d'une même politique et non de les opposer.
Elles sont des points d'appui pour contribuer aux mobilisations, tâche indissociable du regroupement de tous ceux qui n'attendent rien d'une nouvelle union de la gauche et veulent construire une opposition ouvrière et populaire, syndicale, associative, politique au patronat et au gouvernement en toute indépendance du social-libéralisme et de ses alliés.

Les candidatures unitaires de la gauche antilibérale, un piège politique
Les échéances des élections présidentielle et législatives s'inscrivent dans cette perspective.
Elles sont un moyen de renforcer le camp des travailleurs face au patronat et au gouvernement, une tribune pour les mobilisations et les luttes. Il est clair que l'organisation aurait dû décider de sa politique comme de son candidat à la présidentielle, Olivier Besancenot.
Au lieu de cela, ce fut pour la majorité une politique à reculons sous la double pression des camarades de la plate-forme 3 et de nos partenaires dans les collectifs du 29 mai. Cette politique a trouvé un point d'arrêt si ce n'est, espérons-nous, de stabilité dans un compromis qui s'accroche au mythe des candidatures unitaires tout en préparant la candidature d'Olivier Besancenot.
Cela a l'inconvénient de maintenir la confusion. Mais, dans le même temps, pour ceux dont nous sommes qui souhaitent que nous différenciions politique de regroupement des révolutionnaires et politique d'unité pour les luttes, cela laisse possible un ressaisissement de l'organisation.
Que signifie cette politique des candidatures unitaires anti-libérales ?
Au mieux, si l'on peut dire, il pourrait s'agir d'un accord avec le PC derrière… Marie George Buffet ! Voire d'une candidature de José Bové qui ne prétend en rien représenter les intérêts du monde du travail et encore moins les idées du communisme auxquelles il est hostile. Il est bien difficile d'envisager une candidature directement issue des collectifs, personne n'en veut réellement et les collectifs ont bien du mal à se survivre. Donc, de toute évidence, cette politique n'est pas crédible. Cela ne veut pas dire qu'elle n'a pas un sens ni un objectif : celui d'affaiblir l'extrême gauche, l'opposition ouvrière et populaire au social-libéralisme et à ses alliés.
Le PC a de très bonnes raisons de se prêter à ce jeu quelque peu hypocrite des candidatures unitaires. Le cauchemar de Marie-George Buffet est de réitérer le score de Robert Hue, et de faire moins qu'Arlette Laguiller et Olivier Besancenot. Elle ne pourrait être candidate qu'à condition d'avoir neutralisé la Ligue. D'où ses réticences à annoncer sa candidature. Et cela d'autant qu'elle craint la pression " unitaire " du PS pour une candidature unique de toute la gauche dès le premier tour.
Si le PC allait à la présidentielle seul contre le PS et l'extrême gauche, il y a fort à parier qu'il y perdrait beaucoup dont, peut-être, son groupe parlementaire. C'est pourquoi Hollande a déjà ouvert les négociations pour une candidature unique à défaut d'être unitaire en garantissant à chacun un groupe parlementaire.
Donc la direction du PC a tout intérêt à donner le change en proposant des candidatures unitaires antilibérales dans le cadre de…l'union de la gauche. Il pourra toujours ensuite arguer du sectarisme de la Ligue…
C'est dans cette logique là, qu'à la fin du congrès, la direction du PC publiait un communiqué regrettant que la Ligue ait opté pour " la résignation " et " le statut d'observateur " en se refusant à faire bouger les lignes, selon l'expression à la mode, au sein de l'union de la gauche, de faire peser le poids de l'anti-libéralisme sur le social-libéralisme…

Quel que soit le gouvernement...
Nous pensons que la LCR devrait se dégager le plus rapidement de ce jeu de dupe qui laisse le PC, et dans son ombre le PS, décider pour elle. L'organisation doit reconquérir rapidement sa pleine liberté d'action et d'agitation pour s'affirmer comme partisane de la construction d'une opposition ouvrière et populaire au social-libéralisme.
Il y a entre le PC et l'extrême gauche un désaccord de fond qui rend toute unité électorale impossible : l'antilibéralisme n'est que l'habit neuf du vieux réformisme qui n'a d'autre choix que de s'allier au PS.
Après la synthèse du Mans, le PS n'est plus divisé que par les ambitions personnelles. Les faux-semblants de Fabius n'ont duré que le temps d'un référendum et tout ce petit monde se retrouve réuni par la même ambition à défaut d'avoir un programme et une politique.
La nouvelle mouture de l'union de la gauche qui se met en place n'a d'autre programme que de retourner au gouvernement gérer les affaires de la bourgeoisie.
Quel que soit le gouvernement qui sortira des prochaines échéances électorales et combinaisons parlementaires, les travailleurs, la population auront à s'organiser, à se mobiliser pour faire respecter leurs droits. Nous entendons y contribuer en toute indépendance du gouvernement et de l'Etat.
Ainsi, prenant acte avec regret que l'ensemble des forces politiques nationales ayant participé, dans le cadre des collectifs, à la campagne pour le Non au référendum du 29 mai se situent aujourd'hui dans cette perspective d'alternance institutionnelle, la LCR aurait dû décider de présenter ses propres candidats tant à l'élection présidentielle qu'aux élections législatives.

Se tourner vers le monde du travail et la jeunesse
Capitaliser les acquis des deux dernières années ne se pose pas que sur le plan des orientations politiques mais aussi sur le terrain de l'implantation et de la construction de l'organisation. Il s'agit de concrétiser l'influence, le rayonnement de nos idées et de notre politique.
Construire notre organisation suppose que chacun sache combiner une politique d'unité pour les résistances et les luttes, dans les syndicats, les associations, les collectifs et la défense de nos propres idées et perspectives. Cela veut dire défendre à chaque étape les intérêts généraux du mouvement tout en étant capable de mener la lutte en toute solidarité et démocratie sur les objectifs partiels, limités, immédiats sans opposer l'un à l'autre ni trahir l'un pour l'autre.
Bien au contraire même, les révolutionnaires sont d'autant plus actifs sur les questions quotidiennes qu'ils aspirent à une large et radicale mobilisation.
Leurs idées ne leur servent pas à accuser mais à organiser, construire des liens démocratiques, à s'engager en engageant les autres dans une même solidarité de classe.
C'est ainsi que nous pourrons regrouper les milliers de travailleurs qui n'ont plus confiance dans la gauche ou dans les appareils syndicaux mais ne veulent pas abdiquer, tout particulièrement les jeunes.
C'est cela être révolutionnaire, ne faire confiance qu'à la mobilisation, qu'à l'intervention des travailleurs eux-mêmes.

Par delà les divergences, une nouvelle Ligue
Si le congrès n'a pas su ou pu prendre les décisions simples qui s'imposaient, il n'en demeure pas moins qu'à travers les discussions qui l'ont préparé, la prise de conscience qu'elles ont provoquée, la Ligue vient de faire un pas en avant important sans rapport avec les hésitations d'une partie de sa direction.
De fait, la Ligue s'est définie comme partie prenante de cette opposition ouvrière et populaire face au social-libéralisme et à ses alliés. La confusion, les hésitations ne peuvent masquer ce fait décisif.
En continuité avec sa politique d'unité, elle reste ouverte à toutes propositions et discussions en vue de réaliser la plus large unité autour des revendications d'urgence sociale et démocratique. Mais dès maintenant, compte tenu des difficultés légales de la présentation d'un candidat à la présidentielle, elle se donne les moyens d'assurer sa présence en se mobilisant pour obtenir les parrainages nécessaires.
En continuité avec ses orientations, unie, enrichie et renforcée par le débat démocratique de son congrès, la LCR militera pour que, dans les luttes comme dans les élections, puisse émerger une nouvelle force représentant les intérêts politiques du monde du travail, aussi fidèle aux intérêts des travailleurs que la droite l'est aux intérêts du patronat.
De fait, c'est cette orientation que la vie nous impose par delà le manque de confiance, les doutes ou les manœuvres de nos partenaires.
Dans les mois qui viennent, enrichis des discussions du congrès, les militants vont faire ensemble l'expérience de la logique des idées et des politiques confrontées à la réalité de la lutte de classe et des rapports de force. Nous en sortirons tous plus aguerris.
Nous ne doutons pas qu'unis par le vote quasi unanime de la motion traçant la perspective d'un mouvement d'ensemble contre le patronat et le gouvernement l'organisation aura les ressources et la force de s'affirmer autour du plan d'urgence sociale et démocratique, tant dans les mobilisations que dans les élections.
C'est le rendez-vous que nous avons tous ensemble, dès maintenant, avant de rompre avec les dernières hésitations, en juin.

Yvan Lemaitre