Débatmilitant | ||||||||||
Lettre publiée par des militants de la LCR |
n°91
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2
février 2006
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Sommaire : | ||||||||||
Contre le CPE, travailleurs, jeunes, chômeurs, tous ensemble ! Au cur des mobilisations, construisons une opposition ouvrière et populaire | ||||||||||
A propos du " Manifeste pour la défense et le développement des services publics " | ||||||||||
Face aux fermetures d'usines : Interdiction des licenciements ! Répartition du travail entre tous ! | ||||||||||
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Contre
le CPE, travailleurs, jeunes, chômeurs, tous ensemble !
Au cur des mobilisations, construisons une opposition ouvrière
et populaire
Avec le Contrat
Première Embauche, Villepin a peut-être donné le mauvais
coup de trop. Sa volonté de garder l'initiative, sa rivalité avec
Sarkozy, l'entraînent dans une fuite en avant qui est peut-être
en train de se retourner contre lui.
Le CPE, qui généralise le CNE à l'ensemble des entreprises
pour tous les salariés de moins de 26 ans et annonce la fin des CDI,
a fait mesurer brutalement à des millions de salariés et de jeunes
que la dégradation des conditions de vie des classes populaires et de
la jeunesse n'est pas le fruit d'une fatalité économique mais
résulte de choix sociaux et politiques, de la volonté de s'en
prendre à l'ensemble du monde du travail pour généraliser
la précarité, baisser le coût du travail et dégager
toujours plus de profits.
L'empressement de Villepin à obtenir le vote du Parlement, bousculant
le calendrier pour tenter de prendre de court le mouvement et les organisations
ne fait que souligner sa brutalité, son cynisme et son inquiétude.
Le vote de ce Parlement croupion, totalement discrédité, est de
toute évidence acquis, mais chacun se souvient que l'an dernier, la jeunesse
lycéenne ne s'est pas laissée arrêtée par le vote
de la loi Fillon.
Le CPE a provoqué la réaction de l'ensemble des organisations
de jeunes et des syndicats de salariés qui appellent à une journée
nationale de lutte et de manifestations mardi 7 février, appel soutenu
par les partis de gauche et d'extrême-gauche. Déjà, le 31
janvier, des étudiants et des lycéens se sont invités aux
quelques initiatives locales prises par la CGT sur l'emploi, des AG ont eu lieu
dans les facs et des lycées et, un peu partout, des jeunes ont prévu
de participer aux manifestations de ce jeudi 2 février à l'occasion
de la journée de grève intersyndicale appelée dans la Fonction
publique. Autant d'étapes à travers lesquelles le mouvement se
construit.
Baisser le coût
du travail pour alimenter la course aux profits
" Nous faisons entrer le marché du travail dans la modernité "
a expliqué Villepin en présentant le 16 janvier son " plan
d'urgence pour l'emploi ". Avec le CPE, ce sont non seulement tous
les jeunes qui sont condamnés à une vie de précarité
mais c'est l'ensemble du monde du travail qui est visé. Villepin a été
clair pour la suite : " Certains envisagent un contrat unique,
d'autres souhaitent au contraire un contrat adapté à chaque situation,
d'autres encore souhaitent étendre le CNE à toutes les entreprises.
Toutes ces options sont sur la table de la concertation ".
En même temps, Villepin a annoncé l'exonération totale des
cotisations patronales pendant trois ans pour l'embauche de tout salarié
de moins de 26 ans au chômage depuis six mois : un cadeau de 500
millions d'euros qui s'ajoute aux 24 milliards d'exonérations dont bénéficie
déjà le patronat.
Parallèlement, le projet de loi " pour l'égalité
des chances " (!) instaure l'" apprentissage junior "
à 14 ans et prévoit l'extension des zones franches urbaines, périmètres
au sein desquels les entreprises qui s'installent bénéficient
d'exonérations supplémentaires et de multiples " facilités ",
y compris désormais les entreprises de plus de 250 salariés.
L'actualité donne tout leur sens à ces mesures. L'affaire Arcelor,
qui agite le gouvernement, éclaire la marche du système.
Arcelor, géant " français " de l'acier qui
vient de " s'emparer " il y a quelques jours du groupe canadien
Dofasco (au terme d'une bataille boursière l'opposant au groupe allemand
ThyssenKrupp) est à son tour convoité par le leader mondial de
l'acier, le groupe indien Mittal Steel qui a tenté une OPA (opération
publique d'achat) auprès des actionnaires. Villepin a trouvé cela
" inamical "
et en a appelé au " patriotisme
économique ", comme s'il ne s'agissait pas là de la
marche normale du capitalisme : une immense jonglerie de milliards concentrés
dans un nombre de mains de plus en plus restreint. C'est pour alimenter cette
course effrénée aux profits, ce grand casino international, que
la bourgeoisie exige des gouvernements la destruction de toutes les garanties
collectives, la baisse des salaires, le droit permanent de licencier sans avoir
quelque justification que ce soit à fournir, pour pouvoir déplacer
sa mise d'un bout à l'autre de la planète en fonction du taux
de profit escompté.
Cette réalité s'impose aujourd'hui à des millions de salariés,
toutes générations confondues, et de manière encore plus
aiguë à la jeunesse. La situation pose par elle-même la nécessité
d'un plan d'urgence, de l'interdiction des licenciements et du partage du travail
entre tous, de l'intervention des salariés eux-mêmes et de la population
pour exercer leur contrôle sur les comptes des entreprises et les comptes
publics, sur la production et la marche de l'économie.
PS se dit à
la tête de la lutte
à reculons
Face à l'offensive, toute la gauche a apporté son soutien à
la journée du 7 février. Elle se sent obligée de monter
au créneau contre la droite pour tenter de donner une crédibilité
à ses promesses d'alternance... même si le Parti socialiste ne
peut masquer qu'il avance pour le moins à reculons. " Soyons
réalistes, le texte va passer. Le travail que nous engageons trouvera
son dénouement non dans la rue, mais dans les urnes, en 2007 "
a déclaré Hollande dans le journal Le Monde du 1er février
Quelle franchise !
Le PS craint de toute évidence la rue et s'agite sur les bancs de l'Assemblée.
Mais Villepin a beau jeu de railler " la multiplication des propositions
socialistes, très en deçà des attentes des Français.
François Hollande propose une forme de contrat en alternance. C'est bien
mais cela existe déjà ! Laurent Fabius propose pour sa part
un CDD réservé aux jeunes. C'est moins bien et je ne crois pas
que ce soit la bonne idée pour lutter contre la précarité ".
Sans compter le retour aux emplois-jeunes : le PS n'a à " proposer "
que d'autres formes de précarité
qu'il a lui-même
mises en application quand il était au pouvoir.
Ceci étant, tant mieux que le plus grand monde, y compris le PS, se sente
obligé de s'associer d'une façon ou d'une autre à la journée
du 7. Tant mieux si le front le plus large d'organisations se retrouve dans
la rue et si cela encourage à la lutte. Et chacun se fera son opinion
et saura faire valoir les intérêts des salariés et des jeunes
face à ceux qui ne se mobilisent que pour préserver leurs intérêts
électoraux.
Construire une
opposition ouvrière et populaire qui ne s'en remet à personne
Le mécontentement et la révolte s'approfondissent et l'offensive
du gouvernement a eu comme effet immédiat de resserrer les liens entre
la jeunesse et les autres générations de salariés. Non
seulement parce que l'ensemble de la classe ouvrière est solidaire de
ses enfants qui sont les premiers visés par les mesures en cours mais
parce que chacun prend conscience d'une profonde communauté d'intérêts
face à une offensive qui nous vise tous, public, privé, toutes
générations. Et le dynamisme de la jeunesse, son peu d'illusion
sur son avenir dans le cadre de cette société, sa soif d'agir
sur la marche des choses, sa capacité d'initiative, peuvent devenir ceux
de l'ensemble du monde du travail.
L'absence de volonté des directions des confédérations
syndicales, depuis des mois, de construire un mouvement d'ensemble, pèse
sur la situation alors que toute l'expérience récente a démontré
à tous la nécessité d'unir les forces et de faire converger
les résistances. L'émiettement de la riposte (appel de la seule
CGT le 31 janvier, grève intersyndicale pour les salaires dans le public
le 2 février sans appel dans le privé
) provoque le trouble
et des hésitations parmi les travailleurs et les militants. Mais l'inquiétude
et la révolte sont profondes telle celles des travailleurs de Philips
LG à Dreux en grève contre la fermeture de leur usine. Et les
différentes journées d'actions prévues sont autant d'étapes
au cours desquelles la situation peut évoluer et s'accélérer
grâce aux initiatives militantes de toutes générations.
A la base, au sein même du mouvement, dans les entreprises comme parmi
la jeunesse, se construit dès maintenant une opposition ouvrière
et populaire, en toute indépendance des calculs d'appareil, de tous ceux
qui tentent de capter le mécontentement pour leurs propres ambitions
et n'ont d'autre " débouché politique " à
proposer que 2007.
Il s'agit de regrouper tous ceux qui ne veulent s'en remettre à personne
et veulent agir pour la convergence des luttes du monde du travail et de la
jeunesse, pour imposer un plan d'urgence social et démocratique pour
s'opposer à l'offensive de la bourgeoisie, quel que soit le gouvernement.
Carole
Lucas
Palestine
: la victoire électorale du Hamas produit
de la politique des USA et d'Israël comme de la faillite de l'OLP
Le
revers électoral, le 25 janvier, lors des élections législatives,
du Fatah, était annoncé par les résultats des élections
municipales qui se sont étalées depuis décembre 2004 et
qui marquaient le développement de l'influence du mouvement islamiste
radical Hamas dans la bande de Gaza comme en Cisjordanie.
En revanche, les sondages n'annonçaient nullement la déroute du
parti d'Arafat qui domine l'Autorité palestinienne depuis sa création
en 1994 : jusqu'à la veille du scrutin législatif, Fatah
et Hamas était au coude à coude, avec un léger avantage
donné à la formation de Mahmoud Abbas, président de l'Autorité
palestinienne depuis la mort de Yasser Arafat. Partant, la victoire absolue
du Hamas est un coup de semonce et en Palestine et dans les chancelleries occidentales.
Et la défaite de la composante historique de l'Organisation de libération
de la Palestine (OLP) est d'autant plus nette que la participation des 1 340 673
électeurs inscrits (811 198 en Cisjordanie ; 529 475 dans la
bande de Gaza) fut importante : plus des trois-quarts d'entre eux se sont
rendus dans les bureaux de vote.
Le mouvement islamiste rafle 76 sièges sur les 132 que compte dorénavant
le Conseil législatif palestinien. Le Fatah conserve 43 députés.
Lors de la précédente élection législative palestinienne
organisée il y a juste dix ans, le 20 janvier 1996, le parti d'Arafat
s'assurait 62 élus sur les 88 alors possibles. À l'époque,
le Hamas n'était pas en lice : il refusait alors de cautionner un
scrutin dicté par les " accords de paix " d'Oslo
chapeautés par les États-Unis en septembre 1993 et imposés
au peuple palestinien par les puissances impérialistes.
En 1993, Yasser Arafat et les dignitaires de l'OLP sont revenus sur la revendication
essentielle du peuple palestinien, en acceptant à Oslo un embryon d'État
morcelé en plusieurs territoires isolés. La création de
l'Autorité palestinienne n'impliquait nullement la création d'un
État, ni même simplement l'arrêt de la politique d'annexion
conduite par les gouvernements israéliens, de droite comme de gauche
d'ailleurs.
En reportant, il y a quelques semaines, leurs suffrages sur les candidats du
Hamas, les Palestiniens ont d'abord sanctionné le Fatah au pouvoir depuis
plus d'une décennie, un parti gangrené par la corruption et l'affairisme.
Ils ont également témoigné leur hostilité à
ce " processus de paix " qui n'a engendré que désolation
côté palestinien. Les implantations israéliennes n'ont jamais
été aussi importantes dans les territoires occupés que
depuis les accords d'Oslo malgré le tintamarre organisé autour
du retrait unilatéral de la bande de Gaza en août 2005 décidé
par Ariel Sharon.
Et, en plébiscitant le Hamas, l'essentiel des électeurs et électrices
de Palestine ont certainement voulu voter contre le Fatah et sa politique avant
d'appuyer le programme des islamistes visant à l'instauration de la Charia.
Mais sa victoire est un recul considérable, symétrique de la montée
des intégrismes religieux au sein de l'Etat confessionnel d'Israël.
L'un comme l'autre sont la dramatique illustration du piège dans lequel
la politique de l'impérialisme a enfermé les peuples, eux mêmes
prisonniers des préjugés religieux et nationalistes.
En refusant de s'inscrire dans un processus ne pouvant qu'amener un compromis
avec Israël foulant au pieds les droits des palestiniens, le Hamas a pu
trouver au yeux des habitants de la bande de Gaza et de Cisjordanie un crédit
qu'il n'avait pas jusque là. La présence de nombreuses structures
d'entraides gérées par les islamistes dans les quartiers pauvres
doit beaucoup à cette adhésion massive alors que l'Autorité
palestinienne démontrait son incurie, un phénomène sensible
parmi les femmes dont les voix se seraient massivement portées sur les
candidats islamistes.
Les chancelleries occidentales s'inquiètent aujourd'hui de la montée
en puissance d'une organisation qui a revendiqué de nombreux attentats
visant aveuglément la population israélienne depuis le début
de la deuxième Intifada relancée après la parade d'Ariel
Sharon sur l'esplanade des Mosquées à Jérusalem en septembre
2000. Mais les États-Unis comme Israël ont produit le Hamas, par
leur refus évidemment de reconnaître le droit légitime des
palestiniens à un État indépendant, mais par leur appui
également à l'enracinement des islamistes dans les territoires
occupés : ce sont ceux-là même qui vilipendent le résultat
électoral du 25 janvier qui depuis trente ans ont directement financé,
ou laissé faire, l'implantation des mosquées en Palestine ou d'écoles
religieuses à l'instar de l'université islamique de Gaza, et ce
afin d'affaiblir la lutte des palestiniens pour leur indépendance, de
ruiner leur unité.
À Londres, 30 janvier, le Quartet pour le Proche-Orient - l'ONU, les
États-Unis, la Russie et l'Union européenne - dont la " feuille
de route " prévoyait la création d'un État palestinien
dans des frontières définitives pour la fin de l'année
2005 a intimé au Hamas, qui doit former le nouveau gouvernement palestinien
après la démission du Premier ministre Ahmed Qoreï, de se
soumettre sinon à perdre l'aide financière des donateurs internationaux
sans laquelle l'Autorité palestinienne serait en banqueroute - on compte
un déficit de 69 millions de dollars pour le seul mois de janvier ;
et sans versement rapide, les salaires des 135 000 fonctionnaires ne pourront
être honorés
On mesure la pression !
" Tous les membres du futur gouvernement palestinien doivent s'engager
en faveur de la non-violence, doivent reconnaître Israël et accepter
les accords passés et leurs obligations - y compris la "feuille
de route" ", a martelé, au nom du Quartet, le secrétaire
général des Nations unies, Kofi Annan. Les impérialistes
accordent un délai de deux à trois mois aux palestiniens pour
accepter leurs exigences. On voit que le résultat des urnes contrôlées
pourtant par 900 observateurs étrangers reconnaissant unanimement le
bon déroulé du scrutin ne vaut rien aux yeux des possédants.
L'attitude du Hamas reste incertaine. Des tractations sont en cours sous le
patronage du président égyptien, Hosni Moubarak. Selon les déclarations
d'Omar Souleiman, le chef des renseignements égyptiens, Mahmoud Abbas
ne chargera le Hamas de former le gouvernement que si la formation islamiste
reconnaît Israël et renonce à la violence. " Le
Hamas doit s'engager sur trois points, a déclaré Souleiman à
l'issue de la rencontre entre les présidents Abbas et Moubarak. Un, stopper
la violence. Deux, respecter tous les accords signés avec Israël.
Trois, ils doivent reconnaître Israël. "
Visiblement, le mouvement islamiste serait prêt à des concessions.
" Nous avons une Autorité créée sur la base des
accords d'Oslo et nous allons adopter une approche très réaliste
de cette réalité sans pour autant que cela soit en contradiction
avec le droit de notre peuple ", a affirmé Khaled Mechaal,
le chef du bureau politique du Hamas, un des principaux dignitaires du mouvement.
" Nous avons des divergences politiques sur les moyens de recouvrer
nos droits, mais cela ne veut pas dire que le Hamas sera en conflit avec la
présidence de l'Autorité palestinienne ", a confirmé
Ismaël Haniyeh, tête de liste du Hamas aux législatives et
chef de file du courant " pragmatique " du mouvement islamiste.
Que le Hamas forme ou non un gouvernement d'union nationale incluant toutes
ou parties des factions palestiniennes aura des conséquentes importantes
sur l'évolution de la situation en Palestine comme dans l'ensemble du
Proche et du Moyen-Orient. Mais qu'Ismaël Haniyeh rallie ou pas son mouvement
à l'idée d'une trêve de longue durée avec Israël
en échange de la création d'un État palestinien dans les
frontières de 1967 ne réglera rien pour les populations de la
région. L'histoire depuis plusieurs décennies souligne qu'il n'y
a rien à attendre ni des nationalistes ni des islamistes qui cherchent
avant tout à négocier leur intérêt propre en lieu
et place de ceux des hommes et femmes qu'ils prétendent représenter.
Les groupes islamistes qui se renforcent face au terrorisme d'État d'Israël
et qui gangrènent l'Autorité palestinienne ne sont pas plus un
recours que l'aile du Fatah qui entend rompre avec la corruption des années
Arafat.
À échéance prévisible, aucune solution progressiste
ne se dessine.
En porter la perspective est la tâche de l'heure pour les courants voulant
résister et à l'impasse nationaliste du Fatah et à la régression
réactionnaire de l'islamisme. L'impérialisme s'appuiera, lui,
au besoin, sur les forces religieuses avec lesquelles les nationalistes ont
toujours su s'allier contre les opprimés.
C'est une autre voie qu'il convient de tracer.
L'émergence d'une organisation ouvrière entièrement indépendante
et affranchie du passé, laïque et démocratique, est la seule
réponse à la folie intégriste pour le peuple palestinien
comme pour le peuple israëlien. D'elle seule peut jaillir l'espoir d'une
issue progressive pour l'ensemble des masses du Grand Moyen-Orient, une fédération
socialiste des peuples du Proche et du Moyen-Orient !
Serge
Godard
A propos du " Manifeste pour la défense et le développement des services publics "
L'assemblée générale de la Fédération des
collectifs de Guéret pour la défense et le développement
des services publics s'est tenue les 28 et 29 janvier derniers à Lorient.
Elle a rassemblé plusieurs dizaines de collectifs venus d'un peu partout
et représentatifs de la mobilisation pour les services publics. Les syndicats
-notamment ceux de la fonction publique- y avaient envoyé des représentants,
de même que les partis politiques (LCR, PCF, PS, Verts, LO, etc
).
Cette AG avait pour objectif de concrétiser l'organisation et discuter
les orientations de la Fédération en construction. Elle a adopté
des statuts et élu un bureau d'organisation de 8 membres dont le président
est Bernard Defaix. Elle a débattu de son orientation en discutant d'un
Manifeste qui est en cours d'élaboration et sera largement amendé.
Depuis la démission collective en octobre 2004 de 263 élus de
la Creuse (1 conseiller général, 28 maires et 234 conseillers
municipaux) pour protester contre la disparition des services publics dans ce
département, le mouvement s'est développé dans tout le
pays. Après la manifestation nationale du 5 mars à Guéret
qui a réuni 6 000 personnes, l'AG des collectifs d'Angoulême
décidait d'appeler à la manifestation du 19 novembre à
Paris. Vrai succès, elle a rassemblé quelque 20 000 personnes
et montré la vitalité du mouvement.
Les collectifs sont devenus aujourd'hui plus nombreux à travers le pays
et regroupent un tissu militant qui lutte localement depuis longtemps contre
la disparition des hôpitaux de proximité, des bureaux de postes,
des perceptions ou des fermetures de classes...
C'est ce mouvement qui aujourd'hui veut se fédérer pour la défense
des services publics. La réunion de Lorient a discuté de son orientation
à travers un Manifeste. C'est notre point de vue sur celui-ci que nous
discutons ci-dessous.
Défendre,
mais aussi étendre, rénover et démocratiser les services
publics
L'un des aspect les plus positifs de ce projet de manifeste est de ne pas se
contenter de défendre les services publics tels qu'ils existent aujourd'hui,
ou tels qu'ils ont pu exister dans le passé. C'est bien d'une reconquête
et d'un développement des services publics dont parle le manifeste, pour
corriger les dysfonctionnements passés ou récents, satisfaire
des besoins nouveaux, et définir les modalités d'un véritable
contrôle du service public par le public.
L'ambition affichée est de promouvoir une véritable extension
des services publics trop souvent confinés à quelques domaines
restreints. Le manifeste insiste également sur la nécessité
de prendre en compte les critiques sur le fonctionnement actuel des services
publics, sans se tromper non plus de débat : ce qui est en cause,
ce n'est pas la question des monopoles (absolument indispensable), c'est la
question du contrôle par la population elle-même. Services publics
et nationalisation ne sont pas synonymes car des services ou des entreprises
nationalisées peuvent totalement échapper à la population
et répondre uniquement aux besoins des capitalistes, sous le contrôle
de la bureaucratie étatique. Ce qui est en jeu, c'est bien de définir
une véritable appropriation sociale, avec de nouveaux droits pour les
usagers et pour les personnels, et un véritable débat sur les
critères et sur ce qui devrait être pour nous des services publics
utiles et efficaces.
Le projet de manifeste n'élude pas non plus un certain nombre de questions
qui sont directement liées à un projet de reconquête et
de démocratisation des services publics : la question d'un projet
européen ; celle de son financement (qui implique inévitablement
une autre redistribution des richesses, et notamment une autre politique fiscale) ;
et celle de la responsabilité des différents gouvernements qui
ont mené " depuis plus de vingt ans " (comme
le rappelle le texte) une politique de démantèlement et de privatisation.
En particulier, le texte rappelle que la mise en uvre de la mondialisation
libérale passe certes par différentes canaux comme l'OMC et l'AGCS,
mais ce sont bien les gouvernements nationaux qui en portent la responsabilité
(tout en cherchant à se défausser sur l'OMC ou la Commission de
Bruxelles !). Le refus absolument clair de toute mise en concurrence, déréglementation,
démantèlement, privatisation partielle ou totale, le refus de
tout désengagement de l'Etat revient de fait à condamner la position
hypocrite des gouvernements de gauche, en particulier celui de Jospin, lorsque
ce dernier avec Gayssot pour le PCF parlaient " d'ouverture partielle "
et de " respiration " pour ne pas avoir à dire " privatisation " !
Mais le manifeste laisse aussi quelques questions en suspend.
Défendre
les services publics, mais sans idéaliser le passé
La mise en cause des services publics est évidemment une véritable
agression contre le monde du travail à tout point de vue : en tant
que salariés, en tant que consommateurs et en tant que contribuables
(puisque le budget de l'Etat sert plus le capital que les hôpitaux ou
les transports). C'est une régression. Mais il n'est nul besoin d'idéaliser
les services publics pour les défendre, surtout si on a justement l'ambition
de les étendre, de les rénover et de les démocratiser.
Or d'une certaine manière le texte -malgré les qualités
énumérées plus haut- maintient une certaine ambiguïté,
notamment lorsqu'il affirme que " dans notre pays, les services et
les entreprises publics ont été créés et développés
au travers de luttes importantes " (page 3).
Un simple retour en arrière suffit à montrer que c'est loin d'être
aussi simple. Ainsi dans les domaines de la Poste et des transports, les services
publics ont été -bien plus que le produit des luttes- un héritage
de l'interventionnisme de l'Etat en faveur du développement d'un capitalisme
national, parfois dès avant la révolution française.
Cette ambiguïté est encore plus perceptible au lendemain de la 2ème
guerre mondiale, au moment de la grande vague de nationalisations appuyée
tant par la droite (avec De Gaulle) que par la gauche. L'appareil productif
est alors sinistré, et relancer l'économie exige de remettre sur
pied les infrastructures, en particulier dans les domaines de l'énergie
et des transports, et cela sans espoir de profits immédiats. L'Etat se
substitue au capital privé dans l'intérêt de celui-ci par
des nationalisations. En prenant le contrôle du crédit, il se donne
également les moyens de stimuler l'investissement par des prêts
avantageux pour les entreprises privées.
En février 1982 la loi de nationalisation, en organisant le rachat de
5 grands groupes industriels, 39 banques et 2 compagnies financières,
n'est guère plus agressive à l'égard du patronat, tout
en étant encore moins favorable aux intérêts des classes
populaires. On assiste surtout à un gigantesque transfert de fonds publics
dans les caisses privées, avec pour les actionnaires un cadeau de 47
milliards de francs d'indemnités en échange d'entreprises globalement
déficitaires !
Cela fait autant d'argent frais à investir dans des affaires nettement
plus alléchantes, comme le montre l'exemple d'Ernest-Antoine Seillière,
alors jeune gestionnaire des héritiers de la dynastie de Wendel :
il abandonne à l'Etat le boulet des actifs dans la sidérurgie
et investit l'argent récupéré dans l'informatique (Cap
Gemini), l'équipement automobile (Valeo), la pharmacie (BioMérieux).
Vive l'Etat et vive la gauche ! Laquelle s'empresse de renflouer et moderniser
les vieux trusts rachetés à grand frais, n'hésitant pas
à licencier au nom de la rentabilité.
Si le développement des services publics et plus généralement
le secteur public a été aussi une façon pour le patronat
et son Etat de répondre aux exigences de la population, de céder
à un certain rapport de force, cette réponse correspondait, quant
au fond, entièrement aux intérêts de la bourgeoisie. Dans
les faits, l'Etat a été à l'initiative pour répondre
aux besoins du capitalisme. Il a toujours su privilégier l'intérêt
de la bourgeoisie, même si cela profitait également à la
population. Ces quelques exemples montrent même qu'il n'y a pas toujours
de retombées positives pour la population lorsque l'Etat prend en charge
des activités de production et de service.
Des intérêts
inconciliables entre la population et les capitalistes
L'ambiguïté dans le texte est perceptible à d'autres moments,
notamment lorsque il explique (page 8) que la fonction des services publics
serait d'assurer une " cohésion sociale, économique,
territoriale ".
On y retrouve la même illusion précédemment décrite,
l'idée qu'il y aurait malgré tout un intérêt général
qui serait représenté par les services publics dans le cadre du
capitalisme et sous la tutelle de l'Etat bourgeois (censé lui aussi assurer
cet intérêt commun). On a vu comment la prétendue " défense
de l'intérêt général " a souvent servi
de couverture idéologique à la sollicitude de l'Etat envers sa
bourgeoisie nationale, même si cela a pu profiter à la population.
Mais cela pose bien d'autres problèmes.
L'époque n'est plus aux " Trente Glorieuses " et
à un capitalisme plus ou moins régulé dans un cadre national.
Le mouvement général de privatisation touche toute la planète
depuis une vingtaine d'années et répond à des préoccupations
dont les racines plongent dans la crise que traverse le capitalisme. Le " libéralisme "
ou " l'antilibéralisme " ne sont pas de simples options
qui seraient mises à la disposition de la bourgeoisie, laquelle n'aurait
plus qu'à choisir !
Si les entreprises sont parvenues depuis les années 1980 à rétablir
leurs profits grâce à l'exploitation accrue du monde du travail,
la demande continue à progresser au ralenti et les entreprises ne peuvent
guère réinvestir leurs profits abondants dans la création
de nouvelles capacités de production. Faute de pouvoir créer du
neuf, elles préfèrent se racheter les unes les autres, ou se rabattre
sur ce qui existe -notamment le secteur public et les parties jugées
rentables des services publics- en essayant de les parasiter. C'est cette évolution
que les luttes actuelles essayent de contrer. Mais pour les mener jusqu'au bout
et de manière conséquente, il faut en saisir pleinement la dimension
anticapitaliste.
C'est bien pour cette raison qu'on ne peut certainement pas discuter de l'avenir
des services publics en terme de " cohésion ", qu'elle
soit sociale, économique ou territoriale. La " cohésion
sociale " n'est pas la fin de l'exploitation capitaliste, pas plus
que la " paix sociale " n'est la fin de la lutte de classes.
Mais si certains ont pu rêver de cohésion sociale (une forme d'exploitation
qui pourrait paraître acceptable), c'est justement ce rêve qui a
pris fin dans la phase actuelle du capitalisme qui ne laisse guère de
place aux compromis !
C'est aussi pour cette raison que ce projet de manifeste des collectifs ne peut
pas être non plus un programme électoral pour la gauche. Non seulement
parce que la gauche (PS, PCF, Verts) a perdu depuis longtemps toute velléité
réformiste, mais parce que son application nécessiterait une confrontation
majeure avec les intérêts du capital, exigeant des luttes sociales
et politiques de grande ampleur, hors du cadre des institutions bourgeoises
et de fait amenées à les dépasser et à les subvertir.
Comment imaginer par exemple, comme le propose le texte, qu'on pourrait réorienter
sous contrôle parlementaire et citoyen la Banque centrale européenne ?
Soit cela ne sera qu'un prétexte pour aller dans le sens des intérêts
capitalistes (avec l'habillage idéologique habituel visant à faire
croire que tout aura été fait en fonction des intérêts
de la population). Soit un tel contrôle (destiné à réorienter
effectivement les grands choix économiques actuels) nécessitera
une intervention directe du monde du travail. Auquel cas, une telle confrontation
devra s'intégrer dans la lutte plus générale que devra
mener le monde du travail pour exercer son contrôle sur l'Etat et sur
les comptes des entreprises afin de savoir effectivement où va l'argent.
C'est donc cette question de la rupture avec l'ordre capitaliste existant qui
reste de fait en suspend dans le projet de manifeste. Celui-ci se présente
avant tout comme un projet antilibéral face aux politiques que mènent
depuis plus de vingt ans les gouvernements successifs et le patronat. Mais si
on va jusqu'au bout de sa logique, c'est bien l'actualité d'un projet
anticapitaliste et révolutionnaire qui est en filigrane, un projet pour
le socialisme.
Car après tout, qu'est-ce que serait le socialisme, sinon peut être
une organisation de la société où ce serait toute la vie
économique et sociale qui devrait être conçue comme un service
public ? Ce serait alors un service public étendu à toute
la société, mais dans une société débarrassée
de la classe capitaliste et de son Etat. Un service réellement sous le
contrôle du public.
Jean-François
CABRAL et Michel VALMY
Face
aux fermetures d'usines : Interdiction des licenciements !
Répartition du travail entre tous !
Le 24 janvier dernier tombait la nouvelle d'une restructuration de SEB, entraînant
la suppression de 890 emplois en France. Le 30, 550 salariés de l'usine
LG Philips Display de Dreux se sont retrouvés menacés de licenciement,
avec la mise en cessation de paiement de leur entreprise
SEB, c'est un alignement de marques sur les rayons des supermarchés :
SEB, Tefal, Calor, Rowenta, Moulinex, Krups, Arno (Bresil), Samurai (Colombie),
Panex, All-Clad (USA)
, traces de l'histoire du groupe, entre rachats et
restructurations. Elle emploie 14 400 salariés dans 23 sites industriels,
dont 13 en France, employant 7500 personnes, les autres en Chine, en Russie,
au Mexique, au Brésil, aux USA, en Espagne, en Italie, en Allemagne
Les affaires de SEB marchent bien, puisque malgré une chute de 5,3 %
des ventes en France en 2005, le chiffre d'affaires global du groupe s'est accru
de 7,6 %. Quant aux profits, ils sont en augmentation, malgré l'achat
récent de nouvelles entreprises au Brésil et en Italie, et le
provisionnement de 105 millions d'euros dans les comptes de 2005 pour financer
le plan de licenciements.
Cela n'a pas empêché la direction d'annoncer, le 24 janvier, la
fermeture, dans les deux ans, du site de Téfal à Dampierre (Jura),
de Seb au Syndicat (Vosges), et de Moulinex à Fresnay (Sarthe), ainsi
que des réductions d'effectif chez Rowenta à Vernon (Eure).
Pour justifier son plan, la direction invoque la main d'uvre 50 fois plus
chère en France qu'en Chine, les effets du taux de change, à cause
du dollar trop bas, et la pression de la grande distribution, qui oblige à
baisser les prix.
L'annonce des licenciements à SEB vient rappeler avec brutalité
l'histoire vécue par toute une partie des salariés du groupe,
" les Moulinex ". En septembre 2001, après des années
au cours desquelles les salariés avaient subi, pour " sauver
l'entreprise ", de multiples restructurations (fermetures de sites, licenciements
de milliers de salariés
), Moulinex déposait son bilan. L'entreprise
était rachetée par SEB, au prix du licenciement de 3600 salariés.
En mars 2004, à l'occasion de la diffusion à la télévision
du documentaire " Moulinex, la mécanique du pire "(1),
on apprenait que 30 % des licenciés de Moulinex étaient alors
en retraite ou préretraite, 30 % travaillaient en CDD, CDI ou étaient
en stage de formation, 30 % étaient au chômage, avec droit
aux Assedic et 10 % au RMI.
Dans un article du Monde diplomatique de mars 2004 écrit à
l'occasion de la sortie de ce film, on pouvait lire : " On a
longtemps donné à croire aux salariés qu'il leur suffisait
de faire le gros dos pour passer une crise d'adaptation temporaire. Il n'en
est rien. [
] Les entreprises du secteur industriel sont entrées
dans un régime de restructuration permanente, car les luttes concurrentielles
n'ont pas de fin. Elles sont d'ailleurs le moteur d'un gigantesque mouvement
de remaniement de la division internationale du travail qui voit entrer tour
à tour de nouveaux compétiteurs géographiques, Asie du
Sud-Est, Amérique latine, Chine, Inde, chacun muni d'avantages compétitifs,
notamment juridiques et salariaux, dépassant ceux de ses prédécesseurs ".
Le plan de licenciements qui vient de s'abattre sur les salariés de SEB
ne fait que le confirmer.
S'adapter à
la " réalité "
La fermeture de Moulinex fin 2001 faisait partie d'une vague de licenciements
qui a touché, en quelques mois, plus de 40 000 salariés en
France (LU, Danone, AOM, Mark et Spencer
). La gauche était alors
au gouvernement, et avouait son impuissance. Dans le film cité plus haut,
on trouve un entretien avec Christian Pierret, secrétaire d'Etat à
l'industrie du gouvernement Jospin, qui résume parfaitement les raisonnements
de la gauche au gouvernement : " si les salariés pensent
ça, c'est qu'ils n'ont pas compris ce qu'est ce monde de compétition,
d'ouverture, de concurrence. [...] Nous n'avons pas suffisamment, nous à
gauche, fait de pédagogie, pour expliquer ça. [...] Et ce qui
se passe aujourd'hui, c'est qu'on a des gens qui refusent de manière
magique [...] la réalité économique qui, qu'on le veuille
ou non, est la réalité, aussi forte que la loi de la pesanteur ".
Le PS, aujourd'hui dans l'opposition gouvernementale mais au pouvoir dans les
Régions, n'a rien d'autre à proposer après l'annonce du
nouveau plan de licenciement à SEB, que les bonnes vieilles méthodes :
formations bidon et opérations de reclassement pour les salariés
licenciés, " aides " pour " inciter "
de futurs investisseurs à réindustrialiser les secteurs sinistrés.
Quant au Parti communiste, il est "
scandalisé par le cynisme
de la direction de Seb, qui ose invoquer un problème de rentabilité
due à "l'invasion des produits asiatiques". En réalité,
Seb a délocalisé des capitaux, produits du travail de ses salariés
français, pour acheter une usine en Chine. Le groupe Seb est donc lui-même
l'auteur de cette " invasion " ". Et d'avancer sa proposition
pour y remédier : " Les salariés doivent pouvoir
bénéficier d'un droit de moratoire suspensif pour l'étude
de propositions alternatives. "
Les confédérations syndicales semblent totalement désarmées.
Interviewé dans Les Echos de lundi 30 janvier, Thibault n'a pas
d'autres perspectives que la " négociation " et la
" sécurité sociale professionnelle ", dont
il constate qu' " elle produit son effet partout. Même à
droite, il y a des tentatives de séduction. Ce sont autant de points
marqués dans le débat d'idées
". Comme
si la guerre destructrice que mènent le patronat et le gouvernement contre
les travailleurs et la population relevait du " débat d'idées " !
En réaction à l'annonce des licenciements à SEB, la fédération
CGT de la métallurgie a publié une déclaration, intitulée
" les dirigeants du groupe SEB font le choix du tout financier plutôt
que celui du développement des activités et de l'emploi ".
Elle s'y insurge contre les licenciements, au nom de " l'intérêt
économique du pays " et affirme pour conclure que " Le
social est porteur d'avenir pour les salariés et l'entreprise ! "
Le patron de SEB, un capitaliste " français " du
nom de Lescure, résident en Suisse, n'est pas près de se laisser
convaincre : l'avenir de son entreprise ne l'intéresse que dans
la mesure où elle lui assure des profits immédiats, et la production
de ces profits est diamétralement opposée à l'avenir social
des salariés.
ou contester
la légitimité de la logique financière
Le 9 juin 2001, une manifestation à l'initiative du collectif LU Danone
avait rassemblé 20 000 manifestants dans les rues de Paris, avec,
sur certaines banderoles, le mot d'ordre d'" Interdiction des licenciements ".
Face aux licenciements en cascade, ce mot d'ordre s'est imposé à
la discussion.
C'est ainsi que les dirigeants de la CGT, tel Le Duigou, argumentent leur revendication
de sécurité sociale professionnelle en opposition à celle
d'interdiction des licenciements, en arguant que cette dernière serait
incompatible avec la réalité de la société de marché
dans laquelle nous vivons.
Interdire les licenciements se heurte en effet non seulement au droit des patrons
à faire ce qu'ils veulent de leurs entreprises, mais encore aux lois
de la concurrence et du marché, qui font que, dans le système
capitaliste, une entreprise ne peut vivre que si elle est compétitive,
c'est-à-dire si elle rapporte suffisamment de profit.
Et il peut sembler plus réaliste de militer pour une revendication comme
la sécurité sociale professionnelle, parce qu'elle ne remet en
cause ni la mainmise des patrons sur leurs entreprises, ni les lois du marché
et de la concurrence. Il " suffirait " alors, par des négociations,
voire sous la menace d'une action sociale, d'obtenir des patrons et du gouvernement
de ne pas abuser de leurs droits, d'accepter des compromis raisonnables
Sauf que cela ne marche pas comme cela. Depuis des années, on a pu voir
comment tous les gouvernements, de droite comme de gauche, ont participé
de tout leur poids à faire la politique des patrons, tandis qu'ils se
déclaraient impuissants à freiner un tant soi peu les licenciements.
Cette politique n'est pas le produit de choix idéologiques. Elle est
contenue dans la logique du système capitaliste lui-même, logique
de la concurrence qui conduit inexorablement à la crise, aux attaques
contre les salaires, aux licenciements et au chômage.
Nous ne pouvons échapper à un affrontement de masse avec le système
capitaliste et son Etat, pour mettre un terme à la dégradation
sociale, imposer notre droit à vivre dignement.
C'est ce que ne veulent pas les directions des confédérations
syndicales, pleinement intégrées au système, à la
recherche de revendications intégrables par le système, cadre
de négociations justifiant leur place et leur rôle.
Mais, l'expérience le prouve, il est impossible de combattre les patrons
en restant sur leur terrain, en acceptant a priori comme inéluctables
les lois du marché et le droit des capitalistes à disposer de
leur entreprise comme bon leur semble. Le " réalisme "
s'avère être un piège et conduit à l'impuissance.
Pour pouvoir se battre, il faut avoir les mains libres, et pour cela être
entièrement indépendant du système et de sa logique. Il
faut s'émanciper de l'idée que les lois du capitalisme sont inéluctables,
que les droits de la propriété capitaliste sont sacrés.
Militer dans les syndicats, comme sur le terrain électoral, pour l'interdiction
des licenciements, pour la répartition du travail entre tous, c'est contribuer
à renforcer chez les travailleurs la conviction que les licenciements,
quelles que soient les raisons avancées pour les justifier, sont illégitimes,
tout comme est illégitime la propriété privée capitaliste.
Ce n'est pas le tout ou rien, la proclamation ou la passivité, non, c'est
formuler une politique en toute indépendance de l'Etat et des patrons
pour construire un rapport de force. Les concessions pratiques que les travailleurs
peuvent obtenir en fonction de ce rapport de force global, mais aussi du rapport
de force local, se discutent avec eux concrètement à chaque étape,
à chaque lutte.
Mais ce rapport de force se construit globalement, sur le terrain politique
en contestant le droit du capitalisme financier à jouer avec les vies
de millions d'hommes.
Chaque bataille locale ne peut donner le meilleur d'elle-même que si elle
s'inscrit dans cette bataille globale entre les travailleurs et les patrons
et donc qu'elle porte des exigences unificatrices.
C'est la seule façon de donner une perspective réaliste à
nos luttes.
Eric Lemel
(1) Moulinex, la
mécanique du pire, de Gilles Balbastre, diffusé sur la 5 en mars
2004.