Débatmilitant
Lettre publiée par des militants de la LCR
n°91
2 février 2006

Sommaire :
Contre le CPE, travailleurs, jeunes, chômeurs, tous ensemble ! Au cœur des mobilisations, construisons une opposition ouvrière et populaire

Palestine : la victoire électorale du Hamas produit de la politique des USA et d'Israël comme de la faillite de l'OLP

A propos du " Manifeste pour la défense et le développement des services publics "
Face aux fermetures d'usines : Interdiction des licenciements ! Répartition du travail entre tous !

 

Contre le CPE, travailleurs, jeunes, chômeurs, tous ensemble !
Au cœur des mobilisations, construisons une opposition ouvrière et populaire

 

Avec le Contrat Première Embauche, Villepin a peut-être donné le mauvais coup de trop. Sa volonté de garder l'initiative, sa rivalité avec Sarkozy, l'entraînent dans une fuite en avant qui est peut-être en train de se retourner contre lui.
Le CPE, qui généralise le CNE à l'ensemble des entreprises pour tous les salariés de moins de 26 ans et annonce la fin des CDI, a fait mesurer brutalement à des millions de salariés et de jeunes que la dégradation des conditions de vie des classes populaires et de la jeunesse n'est pas le fruit d'une fatalité économique mais résulte de choix sociaux et politiques, de la volonté de s'en prendre à l'ensemble du monde du travail pour généraliser la précarité, baisser le coût du travail et dégager toujours plus de profits.
L'empressement de Villepin à obtenir le vote du Parlement, bousculant le calendrier pour tenter de prendre de court le mouvement et les organisations ne fait que souligner sa brutalité, son cynisme et son inquiétude. Le vote de ce Parlement croupion, totalement discrédité, est de toute évidence acquis, mais chacun se souvient que l'an dernier, la jeunesse lycéenne ne s'est pas laissée arrêtée par le vote de la loi Fillon.
Le CPE a provoqué la réaction de l'ensemble des organisations de jeunes et des syndicats de salariés qui appellent à une journée nationale de lutte et de manifestations mardi 7 février, appel soutenu par les partis de gauche et d'extrême-gauche. Déjà, le 31 janvier, des étudiants et des lycéens se sont invités aux quelques initiatives locales prises par la CGT sur l'emploi, des AG ont eu lieu dans les facs et des lycées et, un peu partout, des jeunes ont prévu de participer aux manifestations de ce jeudi 2 février à l'occasion de la journée de grève intersyndicale appelée dans la Fonction publique. Autant d'étapes à travers lesquelles le mouvement se construit.

Baisser le coût du travail pour alimenter la course aux profits
" Nous faisons entrer le marché du travail dans la modernité " a expliqué Villepin en présentant le 16 janvier son " plan d'urgence pour l'emploi ". Avec le CPE, ce sont non seulement tous les jeunes qui sont condamnés à une vie de précarité mais c'est l'ensemble du monde du travail qui est visé. Villepin a été clair pour la suite : " Certains envisagent un contrat unique, d'autres souhaitent au contraire un contrat adapté à chaque situation, d'autres encore souhaitent étendre le CNE à toutes les entreprises. Toutes ces options sont sur la table de la concertation ".
En même temps, Villepin a annoncé l'exonération totale des cotisations patronales pendant trois ans pour l'embauche de tout salarié de moins de 26 ans au chômage depuis six mois : un cadeau de 500 millions d'euros qui s'ajoute aux 24 milliards d'exonérations dont bénéficie déjà le patronat.
Parallèlement, le projet de loi " pour l'égalité des chances " (!) instaure l'" apprentissage junior " à 14 ans et prévoit l'extension des zones franches urbaines, périmètres au sein desquels les entreprises qui s'installent bénéficient d'exonérations supplémentaires et de multiples " facilités ", y compris désormais les entreprises de plus de 250 salariés.
L'actualité donne tout leur sens à ces mesures. L'affaire Arcelor, qui agite le gouvernement, éclaire la marche du système.
Arcelor, géant " français " de l'acier qui vient de " s'emparer " il y a quelques jours du groupe canadien Dofasco (au terme d'une bataille boursière l'opposant au groupe allemand ThyssenKrupp) est à son tour convoité par le leader mondial de l'acier, le groupe indien Mittal Steel qui a tenté une OPA (opération publique d'achat) auprès des actionnaires. Villepin a trouvé cela " inamical "… et en a appelé au " patriotisme économique ", comme s'il ne s'agissait pas là de la marche normale du capitalisme : une immense jonglerie de milliards concentrés dans un nombre de mains de plus en plus restreint. C'est pour alimenter cette course effrénée aux profits, ce grand casino international, que la bourgeoisie exige des gouvernements la destruction de toutes les garanties collectives, la baisse des salaires, le droit permanent de licencier sans avoir quelque justification que ce soit à fournir, pour pouvoir déplacer sa mise d'un bout à l'autre de la planète en fonction du taux de profit escompté.
Cette réalité s'impose aujourd'hui à des millions de salariés, toutes générations confondues, et de manière encore plus aiguë à la jeunesse. La situation pose par elle-même la nécessité d'un plan d'urgence, de l'interdiction des licenciements et du partage du travail entre tous, de l'intervention des salariés eux-mêmes et de la population pour exercer leur contrôle sur les comptes des entreprises et les comptes publics, sur la production et la marche de l'économie.

PS se dit à la tête de la lutte… à reculons
Face à l'offensive, toute la gauche a apporté son soutien à la journée du 7 février. Elle se sent obligée de monter au créneau contre la droite pour tenter de donner une crédibilité à ses promesses d'alternance... même si le Parti socialiste ne peut masquer qu'il avance pour le moins à reculons. " Soyons réalistes, le texte va passer. Le travail que nous engageons trouvera son dénouement non dans la rue, mais dans les urnes, en 2007 " a déclaré Hollande dans le journal Le Monde du 1er février… Quelle franchise !
Le PS craint de toute évidence la rue et s'agite sur les bancs de l'Assemblée. Mais Villepin a beau jeu de railler " la multiplication des propositions socialistes, très en deçà des attentes des Français. François Hollande propose une forme de contrat en alternance. C'est bien mais cela existe déjà ! Laurent Fabius propose pour sa part un CDD réservé aux jeunes. C'est moins bien et je ne crois pas que ce soit la bonne idée pour lutter contre la précarité ". Sans compter le retour aux emplois-jeunes : le PS n'a à " proposer " que d'autres formes de précarité… qu'il a lui-même mises en application quand il était au pouvoir.
Ceci étant, tant mieux que le plus grand monde, y compris le PS, se sente obligé de s'associer d'une façon ou d'une autre à la journée du 7. Tant mieux si le front le plus large d'organisations se retrouve dans la rue et si cela encourage à la lutte. Et chacun se fera son opinion et saura faire valoir les intérêts des salariés et des jeunes face à ceux qui ne se mobilisent que pour préserver leurs intérêts électoraux.

Construire une opposition ouvrière et populaire qui ne s'en remet à personne
Le mécontentement et la révolte s'approfondissent et l'offensive du gouvernement a eu comme effet immédiat de resserrer les liens entre la jeunesse et les autres générations de salariés. Non seulement parce que l'ensemble de la classe ouvrière est solidaire de ses enfants qui sont les premiers visés par les mesures en cours mais parce que chacun prend conscience d'une profonde communauté d'intérêts face à une offensive qui nous vise tous, public, privé, toutes générations. Et le dynamisme de la jeunesse, son peu d'illusion sur son avenir dans le cadre de cette société, sa soif d'agir sur la marche des choses, sa capacité d'initiative, peuvent devenir ceux de l'ensemble du monde du travail.
L'absence de volonté des directions des confédérations syndicales, depuis des mois, de construire un mouvement d'ensemble, pèse sur la situation alors que toute l'expérience récente a démontré à tous la nécessité d'unir les forces et de faire converger les résistances. L'émiettement de la riposte (appel de la seule CGT le 31 janvier, grève intersyndicale pour les salaires dans le public le 2 février sans appel dans le privé…) provoque le trouble et des hésitations parmi les travailleurs et les militants. Mais l'inquiétude et la révolte sont profondes telle celles des travailleurs de Philips LG à Dreux en grève contre la fermeture de leur usine. Et les différentes journées d'actions prévues sont autant d'étapes au cours desquelles la situation peut évoluer et s'accélérer grâce aux initiatives militantes de toutes générations.
A la base, au sein même du mouvement, dans les entreprises comme parmi la jeunesse, se construit dès maintenant une opposition ouvrière et populaire, en toute indépendance des calculs d'appareil, de tous ceux qui tentent de capter le mécontentement pour leurs propres ambitions et n'ont d'autre " débouché politique " à proposer que 2007.
Il s'agit de regrouper tous ceux qui ne veulent s'en remettre à personne et veulent agir pour la convergence des luttes du monde du travail et de la jeunesse, pour imposer un plan d'urgence social et démocratique pour s'opposer à l'offensive de la bourgeoisie, quel que soit le gouvernement.

Carole Lucas

Palestine : la victoire électorale du Hamas produit
de la politique des USA et d'Israël comme de la faillite de l'OLP

Le revers électoral, le 25 janvier, lors des élections législatives, du Fatah, était annoncé par les résultats des élections municipales qui se sont étalées depuis décembre 2004 et qui marquaient le développement de l'influence du mouvement islamiste radical Hamas dans la bande de Gaza comme en Cisjordanie.
En revanche, les sondages n'annonçaient nullement la déroute du parti d'Arafat qui domine l'Autorité palestinienne depuis sa création en 1994 : jusqu'à la veille du scrutin législatif, Fatah et Hamas était au coude à coude, avec un léger avantage donné à la formation de Mahmoud Abbas, président de l'Autorité palestinienne depuis la mort de Yasser Arafat. Partant, la victoire absolue du Hamas est un coup de semonce et en Palestine et dans les chancelleries occidentales.
Et la défaite de la composante historique de l'Organisation de libération de la Palestine (OLP) est d'autant plus nette que la participation des 1 340 673 électeurs inscrits (811 198 en Cisjordanie ; 529 475 dans la bande de Gaza) fut importante : plus des trois-quarts d'entre eux se sont rendus dans les bureaux de vote.
Le mouvement islamiste rafle 76 sièges sur les 132 que compte dorénavant le Conseil législatif palestinien. Le Fatah conserve 43 députés. Lors de la précédente élection législative palestinienne organisée il y a juste dix ans, le 20 janvier 1996, le parti d'Arafat s'assurait 62 élus sur les 88 alors possibles. À l'époque, le Hamas n'était pas en lice : il refusait alors de cautionner un scrutin dicté par les " accords de paix " d'Oslo chapeautés par les États-Unis en septembre 1993 et imposés au peuple palestinien par les puissances impérialistes.
En 1993, Yasser Arafat et les dignitaires de l'OLP sont revenus sur la revendication essentielle du peuple palestinien, en acceptant à Oslo un embryon d'État morcelé en plusieurs territoires isolés. La création de l'Autorité palestinienne n'impliquait nullement la création d'un État, ni même simplement l'arrêt de la politique d'annexion conduite par les gouvernements israéliens, de droite comme de gauche d'ailleurs.
En reportant, il y a quelques semaines, leurs suffrages sur les candidats du Hamas, les Palestiniens ont d'abord sanctionné le Fatah au pouvoir depuis plus d'une décennie, un parti gangrené par la corruption et l'affairisme. Ils ont également témoigné leur hostilité à ce " processus de paix " qui n'a engendré que désolation côté palestinien. Les implantations israéliennes n'ont jamais été aussi importantes dans les territoires occupés que depuis les accords d'Oslo malgré le tintamarre organisé autour du retrait unilatéral de la bande de Gaza en août 2005 décidé par Ariel Sharon.
Et, en plébiscitant le Hamas, l'essentiel des électeurs et électrices de Palestine ont certainement voulu voter contre le Fatah et sa politique avant d'appuyer le programme des islamistes visant à l'instauration de la Charia. Mais sa victoire est un recul considérable, symétrique de la montée des intégrismes religieux au sein de l'Etat confessionnel d'Israël. L'un comme l'autre sont la dramatique illustration du piège dans lequel la politique de l'impérialisme a enfermé les peuples, eux mêmes prisonniers des préjugés religieux et nationalistes.
En refusant de s'inscrire dans un processus ne pouvant qu'amener un compromis avec Israël foulant au pieds les droits des palestiniens, le Hamas a pu trouver au yeux des habitants de la bande de Gaza et de Cisjordanie un crédit qu'il n'avait pas jusque là. La présence de nombreuses structures d'entraides gérées par les islamistes dans les quartiers pauvres doit beaucoup à cette adhésion massive alors que l'Autorité palestinienne démontrait son incurie, un phénomène sensible parmi les femmes dont les voix se seraient massivement portées sur les candidats islamistes.
Les chancelleries occidentales s'inquiètent aujourd'hui de la montée en puissance d'une organisation qui a revendiqué de nombreux attentats visant aveuglément la population israélienne depuis le début de la deuxième Intifada relancée après la parade d'Ariel Sharon sur l'esplanade des Mosquées à Jérusalem en septembre 2000. Mais les États-Unis comme Israël ont produit le Hamas, par leur refus évidemment de reconnaître le droit légitime des palestiniens à un État indépendant, mais par leur appui également à l'enracinement des islamistes dans les territoires occupés : ce sont ceux-là même qui vilipendent le résultat électoral du 25 janvier qui depuis trente ans ont directement financé, ou laissé faire, l'implantation des mosquées en Palestine ou d'écoles religieuses à l'instar de l'université islamique de Gaza, et ce afin d'affaiblir la lutte des palestiniens pour leur indépendance, de ruiner leur unité.
À Londres, 30 janvier, le Quartet pour le Proche-Orient - l'ONU, les États-Unis, la Russie et l'Union européenne - dont la " feuille de route " prévoyait la création d'un État palestinien dans des frontières définitives pour la fin de l'année… 2005 a intimé au Hamas, qui doit former le nouveau gouvernement palestinien après la démission du Premier ministre Ahmed Qoreï, de se soumettre sinon à perdre l'aide financière des donateurs internationaux sans laquelle l'Autorité palestinienne serait en banqueroute - on compte un déficit de 69 millions de dollars pour le seul mois de janvier ; et sans versement rapide, les salaires des 135 000 fonctionnaires ne pourront être honorés… On mesure la pression !
" Tous les membres du futur gouvernement palestinien doivent s'engager en faveur de la non-violence, doivent reconnaître Israël et accepter les accords passés et leurs obligations - y compris la "feuille de route" ", a martelé, au nom du Quartet, le secrétaire général des Nations unies, Kofi Annan. Les impérialistes accordent un délai de deux à trois mois aux palestiniens pour accepter leurs exigences. On voit que le résultat des urnes contrôlées pourtant par 900 observateurs étrangers reconnaissant unanimement le bon déroulé du scrutin ne vaut rien aux yeux des possédants.
L'attitude du Hamas reste incertaine. Des tractations sont en cours sous le patronage du président égyptien, Hosni Moubarak. Selon les déclarations d'Omar Souleiman, le chef des renseignements égyptiens, Mahmoud Abbas ne chargera le Hamas de former le gouvernement que si la formation islamiste reconnaît Israël et renonce à la violence. " Le Hamas doit s'engager sur trois points, a déclaré Souleiman à l'issue de la rencontre entre les présidents Abbas et Moubarak. Un, stopper la violence. Deux, respecter tous les accords signés avec Israël. Trois, ils doivent reconnaître Israël. "
Visiblement, le mouvement islamiste serait prêt à des concessions. " Nous avons une Autorité créée sur la base des accords d'Oslo et nous allons adopter une approche très réaliste de cette réalité sans pour autant que cela soit en contradiction avec le droit de notre peuple ", a affirmé Khaled Mechaal, le chef du bureau politique du Hamas, un des principaux dignitaires du mouvement. " Nous avons des divergences politiques sur les moyens de recouvrer nos droits, mais cela ne veut pas dire que le Hamas sera en conflit avec la présidence de l'Autorité palestinienne ", a confirmé Ismaël Haniyeh, tête de liste du Hamas aux législatives et chef de file du courant " pragmatique " du mouvement islamiste.
Que le Hamas forme ou non un gouvernement d'union nationale incluant toutes ou parties des factions palestiniennes aura des conséquentes importantes sur l'évolution de la situation en Palestine comme dans l'ensemble du Proche et du Moyen-Orient. Mais qu'Ismaël Haniyeh rallie ou pas son mouvement à l'idée d'une trêve de longue durée avec Israël en échange de la création d'un État palestinien dans les frontières de 1967 ne réglera rien pour les populations de la région. L'histoire depuis plusieurs décennies souligne qu'il n'y a rien à attendre ni des nationalistes ni des islamistes qui cherchent avant tout à négocier leur intérêt propre en lieu et place de ceux des hommes et femmes qu'ils prétendent représenter.
Les groupes islamistes qui se renforcent face au terrorisme d'État d'Israël et qui gangrènent l'Autorité palestinienne ne sont pas plus un recours que l'aile du Fatah qui entend rompre avec la corruption des années Arafat.
À échéance prévisible, aucune solution progressiste ne se dessine.
En porter la perspective est la tâche de l'heure pour les courants voulant résister et à l'impasse nationaliste du Fatah et à la régression réactionnaire de l'islamisme. L'impérialisme s'appuiera, lui, au besoin, sur les forces religieuses avec lesquelles les nationalistes ont toujours su s'allier contre les opprimés.
C'est une autre voie qu'il convient de tracer.
L'émergence d'une organisation ouvrière entièrement indépendante et affranchie du passé, laïque et démocratique, est la seule réponse à la folie intégriste pour le peuple palestinien comme pour le peuple israëlien. D'elle seule peut jaillir l'espoir d'une issue progressive pour l'ensemble des masses du Grand Moyen-Orient, une fédération socialiste des peuples du Proche et du Moyen-Orient !

Serge Godard

A propos du " Manifeste pour la défense et le développement des services publics "


L'assemblée générale de la Fédération des collectifs de Guéret pour la défense et le développement des services publics s'est tenue les 28 et 29 janvier derniers à Lorient. Elle a rassemblé plusieurs dizaines de collectifs venus d'un peu partout et représentatifs de la mobilisation pour les services publics. Les syndicats -notamment ceux de la fonction publique- y avaient envoyé des représentants, de même que les partis politiques (LCR, PCF, PS, Verts, LO, etc…).
Cette AG avait pour objectif de concrétiser l'organisation et discuter les orientations de la Fédération en construction. Elle a adopté des statuts et élu un bureau d'organisation de 8 membres dont le président est Bernard Defaix. Elle a débattu de son orientation en discutant d'un Manifeste qui est en cours d'élaboration et sera largement amendé.
Depuis la démission collective en octobre 2004 de 263 élus de la Creuse (1 conseiller général, 28 maires et 234 conseillers municipaux) pour protester contre la disparition des services publics dans ce département, le mouvement s'est développé dans tout le pays. Après la manifestation nationale du 5 mars à Guéret qui a réuni 6 000 personnes, l'AG des collectifs d'Angoulême décidait d'appeler à la manifestation du 19 novembre à Paris. Vrai succès, elle a rassemblé quelque 20 000 personnes et montré la vitalité du mouvement.
Les collectifs sont devenus aujourd'hui plus nombreux à travers le pays et regroupent un tissu militant qui lutte localement depuis longtemps contre la disparition des hôpitaux de proximité, des bureaux de postes, des perceptions ou des fermetures de classes...
C'est ce mouvement qui aujourd'hui veut se fédérer pour la défense des services publics. La réunion de Lorient a discuté de son orientation à travers un Manifeste. C'est notre point de vue sur celui-ci que nous discutons ci-dessous.

Défendre, mais aussi étendre, rénover et démocratiser les services publics
L'un des aspect les plus positifs de ce projet de manifeste est de ne pas se contenter de défendre les services publics tels qu'ils existent aujourd'hui, ou tels qu'ils ont pu exister dans le passé. C'est bien d'une reconquête et d'un développement des services publics dont parle le manifeste, pour corriger les dysfonctionnements passés ou récents, satisfaire des besoins nouveaux, et définir les modalités d'un véritable contrôle du service public par le public.
L'ambition affichée est de promouvoir une véritable extension des services publics trop souvent confinés à quelques domaines restreints. Le manifeste insiste également sur la nécessité de prendre en compte les critiques sur le fonctionnement actuel des services publics, sans se tromper non plus de débat : ce qui est en cause, ce n'est pas la question des monopoles (absolument indispensable), c'est la question du contrôle par la population elle-même. Services publics et nationalisation ne sont pas synonymes car des services ou des entreprises nationalisées peuvent totalement échapper à la population et répondre uniquement aux besoins des capitalistes, sous le contrôle de la bureaucratie étatique. Ce qui est en jeu, c'est bien de définir une véritable appropriation sociale, avec de nouveaux droits pour les usagers et pour les personnels, et un véritable débat sur les critères et sur ce qui devrait être pour nous des services publics utiles et efficaces.
Le projet de manifeste n'élude pas non plus un certain nombre de questions qui sont directement liées à un projet de reconquête et de démocratisation des services publics : la question d'un projet européen ; celle de son financement (qui implique inévitablement une autre redistribution des richesses, et notamment une autre politique fiscale) ; et celle de la responsabilité des différents gouvernements qui ont mené  " depuis plus de vingt ans " (comme le rappelle le texte) une politique de démantèlement et de privatisation.
En particulier, le texte rappelle que la mise en œuvre de la mondialisation libérale passe certes par différentes canaux comme l'OMC et l'AGCS, mais ce sont bien les gouvernements nationaux qui en portent la responsabilité (tout en cherchant à se défausser sur l'OMC ou la Commission de Bruxelles !). Le refus absolument clair de toute mise en concurrence, déréglementation, démantèlement, privatisation partielle ou totale, le refus de tout désengagement de l'Etat revient de fait à condamner la position hypocrite des gouvernements de gauche, en particulier celui de Jospin, lorsque ce dernier avec Gayssot pour le PCF parlaient " d'ouverture partielle " et de " respiration " pour ne pas avoir à dire " privatisation " !
Mais le manifeste laisse aussi quelques questions en suspend.

Défendre les services publics, mais sans idéaliser le passé
La mise en cause des services publics est évidemment une véritable agression contre le monde du travail à tout point de vue : en tant que salariés, en tant que consommateurs et en tant que contribuables (puisque le budget de l'Etat sert plus le capital que les hôpitaux ou les transports). C'est une régression. Mais il n'est nul besoin d'idéaliser les services publics pour les défendre, surtout si on a justement l'ambition de les étendre, de les rénover et de les démocratiser.
Or d'une certaine manière le texte -malgré les qualités énumérées plus haut- maintient une certaine ambiguïté, notamment lorsqu'il affirme que " dans notre pays, les services et les entreprises publics ont été créés et développés au travers de luttes importantes " (page 3).
Un simple retour en arrière suffit à montrer que c'est loin d'être aussi simple. Ainsi dans les domaines de la Poste et des transports, les services publics ont été -bien plus que le produit des luttes- un héritage de l'interventionnisme de l'Etat en faveur du développement d'un capitalisme national, parfois dès avant la révolution française.
Cette ambiguïté est encore plus perceptible au lendemain de la 2ème guerre mondiale, au moment de la grande vague de nationalisations appuyée tant par la droite (avec De Gaulle) que par la gauche. L'appareil productif est alors sinistré, et relancer l'économie exige de remettre sur pied les infrastructures, en particulier dans les domaines de l'énergie et des transports, et cela sans espoir de profits immédiats. L'Etat se substitue au capital privé dans l'intérêt de celui-ci par des nationalisations. En prenant le contrôle du crédit, il se donne également les moyens de stimuler l'investissement par des prêts avantageux pour les entreprises privées.
En février 1982 la loi de nationalisation, en organisant le rachat de 5 grands groupes industriels, 39 banques et 2 compagnies financières, n'est guère plus agressive à l'égard du patronat, tout en étant encore moins favorable aux intérêts des classes populaires. On assiste surtout à un gigantesque transfert de fonds publics dans les caisses privées, avec pour les actionnaires un cadeau de 47 milliards de francs d'indemnités en échange d'entreprises globalement déficitaires !
Cela fait autant d'argent frais à investir dans des affaires nettement plus alléchantes, comme le montre l'exemple d'Ernest-Antoine Seillière, alors jeune gestionnaire des héritiers de la dynastie de Wendel : il abandonne à l'Etat le boulet des actifs dans la sidérurgie et investit l'argent récupéré dans l'informatique (Cap Gemini), l'équipement automobile (Valeo), la pharmacie (BioMérieux). Vive l'Etat et vive la gauche ! Laquelle s'empresse de renflouer et moderniser les vieux trusts rachetés à grand frais, n'hésitant pas à licencier au nom de la rentabilité.
Si le développement des services publics et plus généralement le secteur public a été aussi une façon pour le patronat et son Etat de répondre aux exigences de la population, de céder à un certain rapport de force, cette réponse correspondait, quant au fond, entièrement aux intérêts de la bourgeoisie. Dans les faits, l'Etat a été à l'initiative pour répondre aux besoins du capitalisme. Il a toujours su privilégier l'intérêt de la bourgeoisie, même si cela profitait également à la population. Ces quelques exemples montrent même qu'il n'y a pas toujours de retombées positives pour la population lorsque l'Etat prend en charge des activités de production et de service.

Des intérêts inconciliables entre la population et les capitalistes
L'ambiguïté dans le texte est perceptible à d'autres moments, notamment lorsque il explique (page 8) que la fonction des services publics serait d'assurer une " cohésion sociale, économique, territoriale ".
On y retrouve la même illusion précédemment décrite, l'idée qu'il y aurait malgré tout un intérêt général qui serait représenté par les services publics dans le cadre du capitalisme et sous la tutelle de l'Etat bourgeois (censé lui aussi assurer cet intérêt commun). On a vu comment la prétendue " défense de l'intérêt général " a souvent servi de couverture idéologique à la sollicitude de l'Etat envers sa bourgeoisie nationale, même si cela a pu profiter à la population. Mais cela pose bien d'autres problèmes.
L'époque n'est plus aux " Trente Glorieuses " et à un capitalisme plus ou moins régulé dans un cadre national. Le mouvement général de privatisation touche toute la planète depuis une vingtaine d'années et répond à des préoccupations dont les racines plongent dans la crise que traverse le capitalisme. Le " libéralisme " ou " l'antilibéralisme " ne sont pas de simples options qui seraient mises à la disposition de la bourgeoisie, laquelle n'aurait plus qu'à choisir !
Si les entreprises sont parvenues depuis les années 1980 à rétablir leurs profits grâce à l'exploitation accrue du monde du travail, la demande continue à progresser au ralenti et les entreprises ne peuvent guère réinvestir leurs profits abondants dans la création de nouvelles capacités de production. Faute de pouvoir créer du neuf, elles préfèrent se racheter les unes les autres, ou se rabattre sur ce qui existe -notamment le secteur public et les parties jugées rentables des services publics- en essayant de les parasiter. C'est cette évolution que les luttes actuelles essayent de contrer. Mais pour les mener jusqu'au bout et de manière conséquente, il faut en saisir pleinement la dimension anticapitaliste.
C'est bien pour cette raison qu'on ne peut certainement pas discuter de l'avenir des services publics en terme de " cohésion ", qu'elle soit sociale, économique ou territoriale. La " cohésion sociale " n'est pas la fin de l'exploitation capitaliste, pas plus que la " paix sociale " n'est la fin de la lutte de classes. Mais si certains ont pu rêver de cohésion sociale (une forme d'exploitation qui pourrait paraître acceptable), c'est justement ce rêve qui a pris fin dans la phase actuelle du capitalisme qui ne laisse guère de place aux compromis !
C'est aussi pour cette raison que ce projet de manifeste des collectifs ne peut pas être non plus un programme électoral pour la gauche. Non seulement parce que la gauche (PS, PCF, Verts) a perdu depuis longtemps toute velléité réformiste, mais parce que son application nécessiterait une confrontation majeure avec les intérêts du capital, exigeant des luttes sociales et politiques de grande ampleur, hors du cadre des institutions bourgeoises et de fait amenées à les dépasser et à les subvertir.
Comment imaginer par exemple, comme le propose le texte, qu'on pourrait réorienter sous contrôle parlementaire et citoyen la Banque centrale européenne ? Soit cela ne sera qu'un prétexte pour aller dans le sens des intérêts capitalistes (avec l'habillage idéologique habituel visant à faire croire que tout aura été fait en fonction des intérêts de la population). Soit un tel contrôle (destiné à réorienter effectivement les grands choix économiques actuels) nécessitera une intervention directe du monde du travail. Auquel cas, une telle confrontation devra s'intégrer dans la lutte plus générale que devra mener le monde du travail pour exercer son contrôle sur l'Etat et sur les comptes des entreprises afin de savoir effectivement où va l'argent.
C'est donc cette question de la rupture avec l'ordre capitaliste existant qui reste de fait en suspend dans le projet de manifeste. Celui-ci se présente avant tout comme un projet antilibéral face aux politiques que mènent depuis plus de vingt ans les gouvernements successifs et le patronat. Mais si on va jusqu'au bout de sa logique, c'est bien l'actualité d'un projet anticapitaliste et révolutionnaire qui est en filigrane, un projet pour le socialisme.
Car après tout, qu'est-ce que serait le socialisme, sinon peut être une organisation de la société où ce serait toute la vie économique et sociale qui devrait être conçue comme un service public ? Ce serait alors un service public étendu à toute la société, mais dans une société débarrassée de la classe capitaliste et de son Etat. Un service réellement sous le contrôle du public.

Jean-François CABRAL et Michel VALMY

Face aux fermetures d'usines : Interdiction des licenciements !
Répartition du travail entre tous !


Le 24 janvier dernier tombait la nouvelle d'une restructuration de SEB, entraînant la suppression de 890 emplois en France. Le 30, 550 salariés de l'usine LG Philips Display de Dreux se sont retrouvés menacés de licenciement, avec la mise en cessation de paiement de leur entreprise…
SEB, c'est un alignement de marques sur les rayons des supermarchés : SEB, Tefal, Calor, Rowenta, Moulinex, Krups, Arno (Bresil), Samurai (Colombie), Panex, All-Clad (USA)…, traces de l'histoire du groupe, entre rachats et restructurations. Elle emploie 14 400 salariés dans 23 sites industriels, dont 13 en France, employant 7500 personnes, les autres en Chine, en Russie, au Mexique, au Brésil, aux USA, en Espagne, en Italie, en Allemagne… Les affaires de SEB marchent bien, puisque malgré une chute de 5,3 % des ventes en France en 2005, le chiffre d'affaires global du groupe s'est accru de 7,6 %. Quant aux profits, ils sont en augmentation, malgré l'achat récent de nouvelles entreprises au Brésil et en Italie, et le provisionnement de 105 millions d'euros dans les comptes de 2005 pour financer le plan de licenciements.
Cela n'a pas empêché la direction d'annoncer, le 24 janvier, la fermeture, dans les deux ans, du site de Téfal à Dampierre (Jura), de Seb au Syndicat (Vosges), et de Moulinex à Fresnay (Sarthe), ainsi que des réductions d'effectif chez Rowenta à Vernon (Eure).
Pour justifier son plan, la direction invoque la main d'œuvre 50 fois plus chère en France qu'en Chine, les effets du taux de change, à cause du dollar trop bas, et la pression de la grande distribution, qui oblige à baisser les prix.
L'annonce des licenciements à SEB vient rappeler avec brutalité l'histoire vécue par toute une partie des salariés du groupe, " les Moulinex ". En septembre 2001, après des années au cours desquelles les salariés avaient subi, pour " sauver l'entreprise ", de multiples restructurations (fermetures de sites, licenciements de milliers de salariés…), Moulinex déposait son bilan. L'entreprise était rachetée par SEB, au prix du licenciement de 3600 salariés. En mars 2004, à l'occasion de la diffusion à la télévision du documentaire " Moulinex, la mécanique du pire "(1), on apprenait que 30 % des licenciés de Moulinex étaient alors en retraite ou préretraite, 30 % travaillaient en CDD, CDI ou étaient en stage de formation, 30 % étaient au chômage, avec droit aux Assedic et 10 % au RMI.
Dans un article du Monde diplomatique de mars 2004 écrit à l'occasion de la sortie de ce film, on pouvait lire : " On a longtemps donné à croire aux salariés qu'il leur suffisait de faire le gros dos pour passer une crise d'adaptation temporaire. Il n'en est rien. […] Les entreprises du secteur industriel sont entrées dans un régime de restructuration permanente, car les luttes concurrentielles n'ont pas de fin. Elles sont d'ailleurs le moteur d'un gigantesque mouvement de remaniement de la division internationale du travail qui voit entrer tour à tour de nouveaux compétiteurs géographiques, Asie du Sud-Est, Amérique latine, Chine, Inde, chacun muni d'avantages compétitifs, notamment juridiques et salariaux, dépassant ceux de ses prédécesseurs ".
Le plan de licenciements qui vient de s'abattre sur les salariés de SEB ne fait que le confirmer.

S'adapter à la " réalité "…
La fermeture de Moulinex fin 2001 faisait partie d'une vague de licenciements qui a touché, en quelques mois, plus de 40 000 salariés en France (LU, Danone, AOM, Mark et Spencer…). La gauche était alors au gouvernement, et avouait son impuissance. Dans le film cité plus haut, on trouve un entretien avec Christian Pierret, secrétaire d'Etat à l'industrie du gouvernement Jospin, qui résume parfaitement les raisonnements de la gauche au gouvernement : " si les salariés pensent ça, c'est qu'ils n'ont pas compris ce qu'est ce monde de compétition, d'ouverture, de concurrence. [...] Nous n'avons pas suffisamment, nous à gauche, fait de pédagogie, pour expliquer ça. [...] Et ce qui se passe aujourd'hui, c'est qu'on a des gens qui refusent de manière magique [...] la réalité économique qui, qu'on le veuille ou non, est la réalité, aussi forte que la loi de la pesanteur ".
Le PS, aujourd'hui dans l'opposition gouvernementale mais au pouvoir dans les Régions, n'a rien d'autre à proposer après l'annonce du nouveau plan de licenciement à SEB, que les bonnes vieilles méthodes : formations bidon et opérations de reclassement pour les salariés licenciés, " aides " pour " inciter " de futurs investisseurs à réindustrialiser les secteurs sinistrés.
Quant au Parti communiste, il est "… scandalisé par le cynisme de la direction de Seb, qui ose invoquer un problème de rentabilité due à "l'invasion des produits asiatiques". En réalité, Seb a délocalisé des capitaux, produits du travail de ses salariés français, pour acheter une usine en Chine. Le groupe Seb est donc lui-même l'auteur de cette " invasion " ". Et d'avancer sa proposition pour y remédier : " Les salariés doivent pouvoir bénéficier d'un droit de moratoire suspensif pour l'étude de propositions alternatives. "…
Les confédérations syndicales semblent totalement désarmées. Interviewé dans Les Echos de lundi 30 janvier, Thibault n'a pas d'autres perspectives que la " négociation " et la " sécurité sociale professionnelle ", dont il constate qu' " elle produit son effet partout. Même à droite, il y a des tentatives de séduction. Ce sont autant de points marqués dans le débat d'idées… ". Comme si la guerre destructrice que mènent le patronat et le gouvernement contre les travailleurs et la population relevait du " débat d'idées " !
En réaction à l'annonce des licenciements à SEB, la fédération CGT de la métallurgie a publié une déclaration, intitulée " les dirigeants du groupe SEB font le choix du tout financier plutôt que celui du développement des activités et de l'emploi ". Elle s'y insurge contre les licenciements, au nom de " l'intérêt économique du pays " et affirme pour conclure que " Le social est porteur d'avenir pour les salariés et l'entreprise ! "…
Le patron de SEB, un capitaliste " français " du nom de Lescure, résident en Suisse, n'est pas près de se laisser convaincre : l'avenir de son entreprise ne l'intéresse que dans la mesure où elle lui assure des profits immédiats, et la production de ces profits est diamétralement opposée à l'avenir social des salariés.

… ou contester la légitimité de la logique financière
Le 9 juin 2001, une manifestation à l'initiative du collectif LU Danone avait rassemblé 20 000 manifestants dans les rues de Paris, avec, sur certaines banderoles, le mot d'ordre d'" Interdiction des licenciements ". Face aux licenciements en cascade, ce mot d'ordre s'est imposé à la discussion.
C'est ainsi que les dirigeants de la CGT, tel Le Duigou, argumentent leur revendication de sécurité sociale professionnelle en opposition à celle d'interdiction des licenciements, en arguant que cette dernière serait incompatible avec la réalité de la société de marché dans laquelle nous vivons.
Interdire les licenciements se heurte en effet non seulement au droit des patrons à faire ce qu'ils veulent de leurs entreprises, mais encore aux lois de la concurrence et du marché, qui font que, dans le système capitaliste, une entreprise ne peut vivre que si elle est compétitive, c'est-à-dire si elle rapporte suffisamment de profit.
Et il peut sembler plus réaliste de militer pour une revendication comme la sécurité sociale professionnelle, parce qu'elle ne remet en cause ni la mainmise des patrons sur leurs entreprises, ni les lois du marché et de la concurrence. Il " suffirait " alors, par des négociations, voire sous la menace d'une action sociale, d'obtenir des patrons et du gouvernement de ne pas abuser de leurs droits, d'accepter des compromis raisonnables…
Sauf que cela ne marche pas comme cela. Depuis des années, on a pu voir comment tous les gouvernements, de droite comme de gauche, ont participé de tout leur poids à faire la politique des patrons, tandis qu'ils se déclaraient impuissants à freiner un tant soi peu les licenciements. Cette politique n'est pas le produit de choix idéologiques. Elle est contenue dans la logique du système capitaliste lui-même, logique de la concurrence qui conduit inexorablement à la crise, aux attaques contre les salaires, aux licenciements et au chômage.
Nous ne pouvons échapper à un affrontement de masse avec le système capitaliste et son Etat, pour mettre un terme à la dégradation sociale, imposer notre droit à vivre dignement.
C'est ce que ne veulent pas les directions des confédérations syndicales, pleinement intégrées au système, à la recherche de revendications intégrables par le système, cadre de négociations justifiant leur place et leur rôle.
Mais, l'expérience le prouve, il est impossible de combattre les patrons en restant sur leur terrain, en acceptant a priori comme inéluctables les lois du marché et le droit des capitalistes à disposer de leur entreprise comme bon leur semble. Le " réalisme " s'avère être un piège et conduit à l'impuissance.
Pour pouvoir se battre, il faut avoir les mains libres, et pour cela être entièrement indépendant du système et de sa logique. Il faut s'émanciper de l'idée que les lois du capitalisme sont inéluctables, que les droits de la propriété capitaliste sont sacrés.
Militer dans les syndicats, comme sur le terrain électoral, pour l'interdiction des licenciements, pour la répartition du travail entre tous, c'est contribuer à renforcer chez les travailleurs la conviction que les licenciements, quelles que soient les raisons avancées pour les justifier, sont illégitimes, tout comme est illégitime la propriété privée capitaliste.
Ce n'est pas le tout ou rien, la proclamation ou la passivité, non, c'est formuler une politique en toute indépendance de l'Etat et des patrons pour construire un rapport de force. Les concessions pratiques que les travailleurs peuvent obtenir en fonction de ce rapport de force global, mais aussi du rapport de force local, se discutent avec eux concrètement à chaque étape, à chaque lutte.
Mais ce rapport de force se construit globalement, sur le terrain politique en contestant le droit du capitalisme financier à jouer avec les vies de millions d'hommes.
Chaque bataille locale ne peut donner le meilleur d'elle-même que si elle s'inscrit dans cette bataille globale entre les travailleurs et les patrons et donc qu'elle porte des exigences unificatrices.
C'est la seule façon de donner une perspective réaliste à nos luttes.

Eric Lemel

(1) Moulinex, la mécanique du pire, de Gilles Balbastre, diffusé sur la 5 en mars 2004.