Débatmilitant
Lettre publiée par des militants de la LCR
n°92
9 février 2006

Sommaire :
Après la journée du 7 février, unité pour construire le mouvement, démocratiquement, dans les entreprises, les quartiers, les facs et les lycées


 

Après la journée du 7 février, unité pour construire le mouvement,
démocratiquement, dans les entreprises, les quartiers, les facs et les lycées

C'est à la sauvette, dans la nuit de mercredi à jeudi, que le CPE a été voté à l'Assemblée nationale par 51 voix contre 23. Le gouvernement l'avait introduit en amendement à la " loi sur l'égalité des chances " et, aujourd'hui, il parle de recourir à l'article 49-3 pour accélérer l'adoption de l'ensemble de la loi Borloo et tenter ainsi de couper court à la mobilisation engagée depuis le 31 janvier contre le CPE.
Ce vote ne change rien de fondamental à la possibilité de faire reculer le gouvernement -en 1994, Balladur avait été contraint de retirer un CIP déjà voté-, mais il place toutes les forces parties prenantes de la mobilisation devant la responsabilité de ne pas s'incliner devant le Parlement, et de remettre en cause l'ensemble de la loi Borloo, et plus généralement, toute la politique du gouvernement, en engageant une véritable lutte contre le chômage et la précarité.
La journée du 7 février représente un point d'appui pour développer et renforcer cette mobilisation.
Face à Villepin, 400 000 manifestants dont la moitié de jeunes sont descendus dans la rue mardi dernier pour refuser le contrat " Chômage, Précarité, Exploitation ". Dans de nombreuses villes de province, les cortèges emmenés joyeusement par la jeunesse ont dépassé les 10 000 personnes. Parmi les manifestants, beaucoup étaient déjà dans la rue le 2 février, à l'occasion de la journée de grève dans la Fonction publique sur les salaires où s'étaient déjà invités le CPE et des cortèges de jeunes. Mardi, les cortèges étaient à la fois plus nombreux, plus imposants (souvent le double ou le triple), plus jeunes et avec cette fois le privé qui n'était pas appelé aux manifestations du 2.
Cette jonction entre la jeunesse et les salariés est un élément important de la mobilisation, qui participe d'une politisation. Les différentes générations mènent une lutte commune, où chacun est profondément convaincu de la communauté d'intérêts, parents et enfants fiers les uns des autres dans la lutte, s'encourageant mutuellement.
Cela n'a pas empêché la presse de faire campagne sur ce qu'elle qualifie de " relatif échec ". Des " cortèges clairsemés " écrit l'éditorialiste du Monde tandis que le Figaro titrait " CPE : l'échec de la mobilisation " faisant mine de s'étonner, comme la plupart de ses confrères, " de chiffres très inférieurs à ceux de la dernière mobilisation interprofessionnelle du 4 octobre 2005 "… Comme s'il pouvait en être autrement au vu de la politique des confédérations syndicales qui ont laissé le 10 février et le 4 octobre sans lendemain, alors que la bourgeoisie et le gouvernement redoublent leur offensive, et n'ont appelé aux manifestations du 7 qu'avec bien des précautions, sans appel à la grève le plus souvent.
Au vu de ces obstacles, les manifestations du 7 février, et pour une part celles du 2, témoignent d'une profonde révolte et d'une volonté de résistance qu'illustrent à leur façon le soutien de 67 % de la population au mouvement et la chute de Villepin et de Chirac dans les sondages. Ce qui fait dire à l'éditorialiste du Figaro redevenu lucide : " dire que l'affaire du CPE est réglée serait une grave erreur "...

Un mouvement qui se construit à la base
Dans la jeunesse, malgré les vacances dans certaines zones ou la période d'examens, des équipes d'étudiants, de lycéens, ont pris l'initiative, appelant à des AG, faisant le tour des amphis, des lycées, menant une bagarre démocratique pour associer le plus largement, constituer des comités de mobilisation regroupant au-delà des organisations pour étendre et organiser le mouvement.
A la différence du mouvement lycéen contre la loi Fillon, qui s'était construit en parallèle avec le mouvement des salariés et la manifestation du 10 février, cette fois les jeunes et les travailleurs se retrouvent ensemble, dans une lutte commune avec un même objectif : le retrait du CPE, la riposte à une offensive qui nous vise tous. Et non seulement s'exprime clairement l'aspiration à la convergence de tous les mécontentements, mais la jeunesse, par sa nature même, introduit de fait dans le mouvement une forme d'indépendance vis-à-vis des vieux appareils.
La mobilisation de la jeunesse a encouragé et aidé à préparer celle des salariés, malgré les difficultés et les hésitations. Dans le public comme le privé, elle s'est souvent préparée localement à travers les UL, des intersyndicales, des réunions unitaires associant jeunes, militants syndicaux, représentants de chômeurs ou de précaires. Ce sont ces initiatives " décentralisées " qui ont encouragé, entraîné les militants, poussé des sections syndicales à appeler à la grève et ont donné un contenu concret et militant à l'appel national signé par quasiment toutes les directions syndicales… mais sans volonté (c'est le moins qu'on puisse dire) de faire de cette journée un succès.

Les états-majors syndicaux au pied du mur
Aucune des grandes confédérations n'a appelé réellement à faire grève et mis à part Solidaires qui, malgré des difficultés, a tenté de peser pour un véritable mouvement interpro, les états-majors syndicaux se sont contentés d'appeler aux manifestations (sauf la CFTC). Au mieux, certains ont déposé des préavis, telle la FSU qui a " déposé un préavis de grève pour ceux qui auraient besoin d'y recourir pour participer aux manifestations "… d'autres, telle la fédération CGT des services publics, ont appelé à la grève le lundi… pour le mardi. Dans la plupart des entreprises les militants ont dû batailler pour savoir s'ils étaient couverts, s'ils ne seraient pas les seuls à appeler, si cela valait le coup quand on connaît les difficultés de faire grève dans certaines entreprises du privé. De quoi raviver les doutes, faire hésiter, voire décourager… et bien des militants ont renoncé à appeler vu l'attitude des confédérations.
Et dans les cortèges, la plupart des manifestants s'interrogeaient sur la suite, ayant bien conscience que pour que le 7 soit vraiment une étape, il faut anticiper, construire le mouvement.
" La question de la suite du mouvement se pose désormais avec légitimité ", a déclaré Aschieri (FSU) le 7 au soir après que Thibault ait expliqué que " le 7 février n'est qu'une étape ".
Après le vote du CPE, Les états-majors syndicaux sont au pied du mur : soit ils relèvent le défi lancé par le gouvernement et appellent les travailleurs et la jeunesse à riposter, soit ils abdiquent et se dédisent de leurs engagements. Et il est clair que la riposte doit être au niveau de l'attaque.

Oui à une mobilisation unitaire… indépendante d'une nouvelle union de la gauche
C'est dans ce contexte que s'est tenu le " sommet de la gauche " qui a regroupé mercredi les porte-parole PS, PC, Verts, PRG et MRC. Poussés par les manifestations, tous se sont déclarés pour une " mobilisation unitaire contre la politique de l'emploi et le CPE ". Tant mieux si sous la pression de l'opinion et des luttes, un large front se constitue qui, au moins en parole, encourage les militants des différentes organisations à se battre ensemble, au coude à coude et de façon démocratique pour le retrait du CPE.
Mais la rencontre, qui s'est paraît-il déroulée " dans un esprit très positif, presque de l'amitié ", avait les yeux braqués sur 2007. " On n'a pas parlé de gouvernement " s'est défendue Buffet… mais un " comité national " chargé d'organiser le débat sur des " propositions alternatives " pour 2007 doit être mis sur pied " dans les jours qui viennent ".
Pour ce qui est des " propositions ", celles du PS sur l'emploi des jeunes sont éloquentes : " contrat de formation " calqué sur le modèle des emplois-jeunes dans le privé pour Hollande, contrats " emplois sécurité formation " pouvant éventuellement déboucher sur un CDI pour Fabius… tous s'inclinent devant la précarité, Strauss-Kahn expliquant que le problème ne " dépend pas de la forme du contrat ". Quant à Ségolène Royal, de retour d'Angleterre, elle vante désormais la méthode Blair : " Face au chômage des jeunes, il a obtenu de vrais succès en recourant à plus de flexibilité et plus de sécurité ". Tout un programme.
Les " propositions " de cette " gauche " de gouvernement ne satisfont pas aux exigences du monde du travail et de la jeunesse à une vie digne, à l'emploi, à des salaires décents, à des garanties collectives. L'exigence de ces droits fondamentaux remet directement en cause le droit d'une poignée d'actionnaires de décider de la vie de milliers d'hommes et de femmes. Elle remet en cause la propriété privée capitaliste et pose le problème non d'un programme de gouvernement et d'une nouvelle mouture de la gauche plurielle, mais d'un programme pour les luttes autour d'un plan d'urgence sociale et démocratique.

Regrouper démocratiquement, au cœur de la mobilisation
L'heure est au regroupement de tous ceux qui éprouvent le même besoin de démocratie pour organiser leur lutte, rendre les coups, répondre à la propagande du patronat et du gouvernement, toutes générations confondues. Et de tous ceux qui ne veulent pas voir leur énergie et leur volonté dévoyées au profit d'une gauche sans force ni caractère, cette gauche du double langage. Les idées de la contestation sociale, les idées anti-capitalistes, révolutionnaires se retrouvent naturellement au cœur des débats du mouvement, posées par l'actualité.
En même temps qu'à l'unité la plus large dans la lutte, il nous faut œuvrer à ce regroupement, à la construction d'une opposition ouvrière et populaire indépendante des partis de gouvernement.
Les retrouvailles de la gauche plurielle lors du sommet du 8 février posent en creux la nécessité du regroupement de la gauche anti-capitaliste, de tous ceux, militants syndicaux, jeunes, qui sont méfiants des directions syndicales comme des partis de gauche, qui veulent agir par eux-mêmes et ne comptent que sur les luttes. L'actualité souligne les véritables délimitations politiques et pose à sa manière, pour une part par delà les protagonistes eux-mêmes, le problème du regroupement de ceux qui n'étaient pas du " sommet de la gauche ", dont la LCR et LO, ou au moins leur capacité à agir de concert.
Les prochaines échéances que les confédérations syndicales doivent annoncer, sous peine de se dédire et de se couper davantage de leur base, seront autant d'occasions de resserrer les liens militants pour construire démocratiquement le mouvement pour le retrait du CPE et de la loi Borloo, contre la précarité et le chômage.

Carole Lucas