Débatmilitant | ||||||||||
Lettre publiée par des militants de la LCR |
n°94
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23
février 2006
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Sommaire : | ||||||||||
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La
jeunesse au cur
des luttes sociales et politiques
Visiblement
pressé de satisfaire ses commanditaires patronaux et désireux
de s'imposer au plus vite comme véritable chef de la droite, Villepin
ne s'embarrasse pas avec les formes et passe en force. L'usage sans complexe
de l'article 49.3 par le gouvernement témoigne de sa résolution
dans le but qu'il s'est fixé, le démantèlement des acquis
sociaux, du code du travail.
L'opposition parlementaire de Hollande et Cie s'est révélée
pour ce qu'elle est, une pitrerie. La motion de censure déposée
par le PS voudrait donner du crédit à l'illusion qu'un changement
de gouvernement en 2007 solutionnerait tout. La seule censure à même
de faire reculer le gouvernement sera celle que la jeunesse et les travailleurs
en lutte imposeront dans leurs mobilisations, la censure de la rue.
La journée du 7 février a vu se mobiliser plus de 400 000 personnes
un peu partout sur le territoire contre le Contrat Première Embauche.
Rassemblant le plus souvent en une même lutte lycéens, étudiants
et salariés, cette journée de mobilisation, véritable préfiguration
d'un " tous ensemble ", portait l'exigence d'être reconduite
dès le lendemain. Ce n'est qu'un mois plus tard, pour le 7 mars, que
les organisations syndicales ont décidé de lui donner une suite,
un mois pendant lequel la jeunesse a su cependant maintenir la pression.
Déjà, les journées du 9, du 14 et du 16, ont témoigné,
dans de nombreuses villes, de sa capacité à se mobiliser. Un peu
partout, dans les facs, les lycées, se sont tenues de nombreuses AG,
se sont créés plusieurs comités de mobilisations. Certaines
universités, comme Rennes 2 ou Toulouse, se sont mises en grève.
Une coordination nationale s'est tenue le week-end dernier à Rennes afin
de discuter et proposer des perspectives au mouvement.
Ce jeudi 23 février était un nouveau temps fort, en particulier
à Paris et Bordeaux, mais aussi Toulouse, Rennes et d'autres villes.
Puis il y aura le 28 février.
Au-delà de l'agenda des luttes, la jeunesse des facs et des lycées,
un an après le mouvement contre la loi Fillon, connaît une nouvelle
expérience, différente. Sa lutte est directement liée à
celles du monde du travail et de ses organisations, tant syndicales que politiques.
Elle y joue un rôle dynamique, en son sein se confrontent les politiques
des partis de la gauche gouvernementale, celle des révolutionnaires.
Se posent tour à tour les problèmes des revendications, des rythmes,
de l'auto-organisation et de notre politique syndicale. Le déroulement
de la mobilisation elle-même met à l'épreuve nos pratiques,
nourrit une nouvelle expérience, sur laquelle nous voulons commencer
une réflexion.
C'est à partir de cette expérience que notre génération
conquiert sa place dans le combat social et politique, apprenant à combiner
l'unité, l'organisation démocratique de la lutte, faisant l'apprentissage
du rôle des révolutionnaires dans la mobilisation. Cette expérience
mérite discussion tant il est vrai qu'il n'existe pas de pratique dans
l'absolu, notre politique dépendant du rapport de force concret tel qu'il
se décline, auquel nous sommes confrontés et que nous construisons.
Sur
les particularités de ce mouvement
C'est en effet la 1er fois depuis 1995, pour toute une génération
de militants, que dans la jeunesse apparaissent des cadres de mobilisation unitaires
aussi larges, regroupant les MJS, l'Unef, les JC-UEC, les Verts
et l'extrême
gauche, la LCR et LO. Ponctuellement, sur telle ou telle lutte, dans telle ou
telle ville, des cadres unitaires de cette sorte sont apparus mais jamais à
cette échelle.
Les raisons en sont simples : sous le gouvernement Jospin, l'Unef, les MJS et
les JC ont soutenu, ou se sont bien gardés de mobiliser, contre l'ensemble
des réformes touchant la jeunesse. De même, après l'élection
de Chirac en 2002, son gouvernement continuant les mesures du précédent,
jamais nous ne nous sommes retrouvés en présence d'un tel front
social.
L'autre particularité de ce mouvement, c'est aussi la préexistence
de collectifs unitaires d'organisation aux AG sur les facs. Ces collectifs unitaires
nouveaux ont impulsé la mobilisation. Les appareils ne s'évertuaient
pas à récupérer un mouvement parti sans eux et malgré
eux, mais impulsaient un mouvement de façon unitaire avec les militants
d'extrême gauche.
Unité
et objectifs du mouvement
A l'origine des collectifs unitaires, les débats ont tourné autour
des mots d'ordre et des objectifs du mouvement. Devait-on se satisfaire du seul
retrait du CPE, ou devait-on défendre le retrait de l'ensemble de la
loi sur l'égalité des chances ? Il va de soi que le CPE, le CNE,
l'apprentissage à 14 ans (le travail de nuit des mineurs, le contrat
de responsabilité parentale
) sont similaires quant à leurs
dispositions, similaires quant à leurs fins, et prêtent les uns
et les autres aux mêmes considérations. Ils sont chacun les volets
d'une même loi contre le droit du travail, le dispositif cohérent
d'une même attaque dans le but de réduire un peu plus le coût
du travail.
Avec le passage en force du gouvernement, le débat s'achève :
l'appel de la coordination de Rennes s'en empare, c'est bel et bien le retrait
de toute la loi qui s'impose de fait !
Si l'objectif du retrait du CPE a été fédérateur
au niveau des organisations syndicales et politiques pour impulser une dynamique
au mouvement, le CPE est pour les lycéens et les étudiants mobilisés
le symbole d'une aggravation de la précarité dans la jeunesse.
Ils expriment, par leur révolte, l'espoir d'avoir un autre avenir que
celui de n'être que de la chair à patron, docile et jetable en
fonction des exigences des actionnaires.
La bataille politique au sein du mouvement contre la précarité,
seule promesse du capitalisme à la jeunesse, est une critique directe
de ce système, de sa logique et de son fonctionnement. La lutte contre
la précarité pose ainsi la question de la remise en cause de ce
système, sa mise en accusation, et ouvre la discussion sur son renversement
par une transformation sociale révolutionnaire.
La
journée du 7
et après
Le débat sur les suites à donner au 7 février prend d'autant
plus d'importance que l'intersyndicale prévoit la prochaine journée
de mobilisation pour le 7 mars. " Il faut bien commencer par quelque chose
", entendait-on argumenter aussi quelques jours avant le 7 février
ceux qui se refusaient, de prime abord, à discuter de sa reconduite.
Certes, mais l'on ne va nulle part sans savoir où l'on va ! De sorte
que les journées du 10 mars et du 4 octobre derniers ne vont pas sans
laisser de traces. Qui dans la jeunesse, chez les travailleurs, nourrit quelque
espoir de voir retirer toute cette kyrielle de mesures en une journée
de mobilisation ? Les journées d'actions massives sans lendemain pèsent
et, à terme deviennent difficiles à reconduire comme telles :
les jeunes comme les travailleurs les ont vécues et ne se mobiliseront
en conséquence qu'en présence de véritables perspectives
de luttes.
Mobiliser pour le 7, c'est dire que nous nous préparons pour le 8. La
popularisation de cette journée, de ses enjeux, sa réussite tout
autant que la présence massive de manifestants dépend donc étroitement,
en amont, des suites que l'on se prépare à lui donner.
De
la nécessité de travailler à l'auto organisation des luttes
Il s'agit de se donner partout et en permanence les moyens que s'exerce une
pression démocratique de la base contre l'inertie de son sommet
il ne suffit pas seulement de l'envisager dans nos propos mais bien de le traduire
en permanence dans nos pratiques.
Proposer partout des structures de luttes autogérées est la seule
garantie que s'exerce une véritable démocratie, que se fasse moins
ressentir la lourdeur des appareils. Partout nous devons favoriser la prise
en main par les salariés, les lycéens, les étudiants de
leurs propres luttes, de la direction de leurs propres mouvements
Dès lors, il apparaît clairement, au vu de la coordination étudiante
de ce week-end, que là où les universités connaissent les
mobilisations les plus amples et les AG les plus massives, les appareils syndicaux
sont souvent mis en minorité, noyés, et qu'à l'inverse
ils demeurent majoritaires dans les facs où les AG restent faibles, peinent
encore à se massifier. Le refus de la Majo de l'Unef de reconnaître
la tenue de la coordination nationale ce samedi 25 février, date prévue
à l'appel des secteurs les plus mobilisés (Rennes, Toulouse),
illustre sa volonté de défendre ses prés carrés.
C'est dans ce sens que, si nous favorisons les rencontres unitaires et ce qui
peut en sortir comme permettant une amorce aux luttes quand celles-ci peinent
à s'installer, nous ne restons pas prisonniers de leur inertie. Les mots
d'ordre s'affinent, changent à mesure que la mobilisation se développe,
la forme des luttes évolue, le rythme du développement de la conscience
s'accélère à une vitesse inversement proportionnelle à
celle des appareils. En amont, il s'agit de le comprendre et dès lors
de s'y adapter. Partout en tout lieu il s'agit de se faire perméable
aux variations de rythme et de revendications. C'est dans ce sens que nous ne
confondons pas mouvement social et appareils. C'est dans le même sens
que nous ne confondons pas " unitaire " et " tous ensemble ",
ou que nous ne considérons pas le premier garant du second !
Dans les AG, dès que la mobilisation ne repose plus seulement sur les
organisations, nous avons pu, avec les étudiants, avancer d'autres mots
d'ordre, discuter progressivement de tous les aspects de la loi, du CNE, essayer
de nous appuyer sur cette première dynamique propre des étudiants
pour la renforcer, proposer des dates de mobilisations plus rapprochées,
des AG plus régulières.
De sorte qu'il y avait une autre dynamique que celle unitaire des organisations.
Mais cette autre dynamique, celle du mouvement lui-même, de sa capacité
d'initiative, de son degré de démocratie, d'auto-organisation
reste largement à construire et à renforcer. Faute de cela, le
mouvement sera fatalement dirigé par les organisations, par " en
haut ".
De notre capacité à exprimer la révolte de la jeunesse,
de la façon la plus juste, les intérêts du mouvement en
fonction des possibilités de la situation, à encourager toutes
les initiatives et les enthousiasmes pour la lutte, de tout cela dépend
la suite du mouvement.
Le
problème des rythmes
Naturellement le mouvement social met en scène des secteurs aux rythmes
de mobilisation différents. La jeunesse, les lycéens et les étudiants,
en lutte depuis maintenant plusieurs semaines, atteignent une phase de mobilisation
qui n'est évidemment pas celle de larges fractions du salariat. Mais
d'un point de vue général, la différence des rythmes entre
les différents secteurs n'atténue que très partiellement
la responsabilité des directions syndicales, elle pointe, au contraire,
directement, les conséquences de leur politique. A ce sujet, nous ne
confondons pas le mécontentement profond de la population et sa capacité
à se mobiliser.
L'appel pour le moins tardif à la journée du 7 mars en témoigne,
le calendrier social confirme l'irrésolution des confédérations
syndicales à se jeter dans la bataille. Cette irrésolution est
un frein objectif au " tous ensemble " qu'il faut construire, elle
est source d'apathie et de démoralisation.
La
jeunesse, moteur de la construction d'un mouvement d'ensemble large et démocratique
La force de la jeunesse vient en partie de la faible emprise des appareils et
des échecs du passé sur elle, comme de sa plus grande liberté.
De là son dynamisme, son radicalisme, comme son aspiration à une
démocratie plus entière, peuvent s'exprimer plus largement et
dépasser le blocage que constitue la politique des organisations syndicales
et politiques de gauche.
La démocratie des luttes est la voie la plus efficace pour construire
un réel rapport de force face au gouvernement, pour construire la mobilisation
la plus ample. Cela est aussi nécessaire pour que toute une génération
fasse sa propre expériences de la lutte jusqu'au bout.
Cette expérience déjà riche, la capacité démocratique
de la jeunesse, sa détermination, sont autant d'atouts pour entraîner
les jeunes travailleurs et les salariées dans la mobilisation, au delà
du 7 mars, et faire chuter Villepin.
Julien
Grimaud, Vincent Campbell