Débatmilitant | ||||||||||
Lettre publiée par des militants de la LCR |
n°98
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24
mars 2006
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Sommaire : | ||||||||||
Rien à négocier ! Le 28 mars, travailleurs et jeunes, tous ensemble dans la lutte | ||||||||||
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Rien
à négocier !
Le 28 mars, travailleurs et jeunes,
tous ensemble dans la lutte
Il aura suffi que
Villepin se fende d'une lettre pour qu'aussitôt les directions des confédérations
syndicales se précipitent à Matignon. En agissant ainsi, elles
donnent du crédit à ses manuvres, au moment où il
est isolé, sa majorité divisée, ne trouvant pour discuter
que les jeunes
de l'UNI, avec Sarkozy en embuscade.
Villepin fait semblant de vouloir dialoguer, alors qu'il martèle devant
ses parlementaires que " sur cette loi, il y a trois choses qui
sont impossibles, la première c'est le retrait [...], la deuxième
c'est la suspension [...], la troisième, c'est la dénaturation
du projet ! ", et que la brutalité policière
va grandissant. Le drame qui a frappé Cyril Ferez, militant de SUD piétiné
par les CRS samedi à Paris et toujours dans le coma, est un pas de plus
après la répression à la Sorbonne, et maintenant contre
des lycéens de la banlieue parisienne avec de nombreuses arrestations
en fin de manifs.
Il n'y a pas que le double langage du pouvoir qui s'affiche. Dans leur conférence
de presse, présidée par Chérèque, les directions
syndicales ont déclaré qu'elles défendront le retrait du
CPE vendredi à Matignon. Si c'était le cas, elles n'iraient pas
discuter tant que Villepin ne l'a pas retiré. En y allant, elles indiquent
que leur préoccupation, c'est de " trouver une issue à
la crise ".
A l'heure où nous écrivons, nous ne savons pas si Villepin réussira
à prendre les directions syndicales au piège dans lequel elles
se précipitent. Mais il est clair que ces dernières veulent, par
avance, censurer la journée du 28 mars, empêcher qu'elle ne devienne
le début d'un bras de fer entre le pouvoir et les travailleurs, les jeunes.
Tout est bon pour essayer de limiter l'élargissement du mouvement, et
certains médias s'y mettent, en menant campagne sur les violences et
les casseurs. Les violences, réelles, sont marginales. Elles le seraient
d'autant plus si les organisations du mouvement ouvrier s'engageaient pleinement
dans la lutte aux côtés de la jeunesse.
Leur crainte à tous, c'est que la journée du 28 s'annonce comme
très massive et qu'en s'engageant dans la lutte, les travailleurs ne
lui donnent un contenu au-delà du retrait du CPE, vers un mouvement d'ensemble
contre la précarité, le chômage, les licenciements, prenant
en main leur lutte comme les étudiants le font depuis des semaines.
En effet, le mouvement continue de s'élargir. La journée du jeudi
23 est un nouveau succès : 450 000 manifestants, 69 universités
sur 84 en grève ou bloquées, rejointes par de plus en plus de
lycéens, avec au moins 600 lycées en grève. Après
les manifestations massives du samedi 18, réunissant 1,5 millions de
jeunes, salariés du public et du privé, chômeurs et retraités,
au coude à coude, le mouvement continue sa progression, même si
l'absence d'appel à la grève pour le 23 n'a pas permis que les
salariés rejoignent aussi nombreux les cortèges.
Les 450 délégués de la coordination nationale étudiante,
dans leur appel de Dijon, s'étaient pourtant très clairement adressés
aux confédérations syndicales pour qu'elles appellent à
la grève interprofessionnelle pour le 23 mars. Entre samedi et lundi
soir, elles ont pris le temps d'afficher leur crainte de la lutte. Obligées
de suivre, elles n'ont appelé qu'à une journée d'action
le 28, dont beaucoup de travailleurs se saisissent dès maintenant pour
préparer la grève et s'engager dans la lutte.
La mobilisation s'élargit et les liens entre jeunes et salariés
lui donnent toute sa dimension politique : c'est la question du contrat
de travail, question centrale de l'exploitation capitaliste, qui est au cur
de la lutte.
Parisot et le patronat appelaient depuis des mois à un " débat "
sur ce contrat trop contraignant, trop protecteur à leurs yeux. Pour
baisser le prix de la force de travail, le Medef veut accroître l'individualisation,
la précarisation, la division des salariés. Et surtout, gagner
la liberté du patron de rompre ce contrat quand il le souhaite. Obéissant,
Villepin espérait " ouvrir le débat " sur
le CDI d'ici juin, sachant qu'il pourrait compter sur des " partenaires
sociaux " prêts à discuter de " flexicurité "
et du " modèle danois " (Chérèque)
ou du " nouveau statut du travail salarié " cher
aux dirigeants de la CGT.
L'irruption de la jeunesse et des salariés bouscule le calendrier de
Villepin. Le rapport de forces peut se retourner contre lui et le patronat.
Dans l'opinion s'impose la légitimité de défendre le CDI,
de contester tous les contrats précaires, pour faire du contrat de travail
un outil de défense collectif des droits des salariés.
Il y a bien deux logiques qui s'affrontent : celle du patronat et celle
des travailleurs.
L'enjeu des jours à venir, c'est la mobilisation et le regroupement des
forces du travail. La journée du 28 mars s'annonce comme un succès.
Les préavis et appels à la grève se multiplient : unitaires
à la RATP, à la SNCF, dans l'Education nationale, à la
Poste, dans les Finances, et dans bien des boîtes du secteur privé.
Les travailleurs rassemblent leurs forces. En s'engageant dans la lutte, ils
apportent leur nombre et leur capacité à bloquer le pays par la
grève. Sur la question de la précarité et du chômage,
ils apportent aussi l'expérience que le CDI n'est pas une garantie suffisante
face aux licenciements. 8 % des licenciements sont individuels, et pour
les licenciements collectifs, les patrons ont toutes les facilités de
mener leurs " plans de sauvegarde de l'emploi ".
Vaincre la précarité et le chômage, imposer la garantie
d'un emploi et d'un revenu stable, du droit à vivre, cela pose le problème
d'un programme pour unifier tous ceux qui veulent lutter, pour dépasser
dans un combat commun la division secrétée par la diversité
des situations et des statuts.
C'est le mouvement qui impose de telles exigences politiques.
Les différentes composantes de la nouvelle union de la gauche qui se
met en place n'y répondent pas. Interrogés sur leurs propositions
" alternatives " au CPE, les dirigeants du PS ne parlent
que d'exonérations de charges pour les patrons, de petits boulots mi-emploi-mi-formation,
de " flexicurité " encore. Rien qui soit à
la hauteur du mouvement qui exige la garantie d'un emploi et d'un revenu stables
pour tous.
De telles garanties, seule une société où les droits sociaux
et démocratiques des salariés l'emporteront sur ceux de la finance
et des actionnaires, pourra les apporter. Les réponses à la précarité
et au chômage passent par l'interdiction des licenciements, l'abrogation
de tous les contrats précaires, le partage du travail entre tous, c'est-à-dire
la remise en cause du droit des patrons à décider de tout parce
qu'ils possèdent les entreprises.
Avec la lutte contre le CPE, qui peut se généraliser en lutte
contre la précarité et le chômage, nous faisons ensemble,
jeunes et salariés, l'expérience que l'urgence sociale est inséparable
de l'urgence démocratique. Lutter pour nos droits sociaux, c'est lutter
pour qu'on ait le droit de décider. Y compris et en premier dans nos
propres organisations.
Alors, une partie des tenants du système aimerait que tout cela finisse
au plus vite, c'est ce qui explique aussi les " concessions " conseillées
à Villepin lundi par quelques grands patrons. Ils craignent que l'intervention
unifiée du monde du travail et de la jeunesse, aujourd'hui pour faire
valoir leur droit et exercer leur pression, apporte pour demain une expérience
indispensable pour ouvrir une véritable contre offensive du monde du
travail pour imposer la condition même de la dignité de chaque
travailleur, un emploi stable et un revenu garanti.
Franck
Coleman
Aux camarades du Parti communiste
Se déroule
aujourd'hui un moment important de la vie de votre parti, son congrès.
La mobilisation en cours contre le CPE et la généralisation de
la précarité, les mobilisations contre le gouvernement et le patronat
posent les exigences des salariés et des jeunes et donnent toute leur
importance à la question de l'alternative, son contenu, qui est au centre
de vos débats.
La question qui se pose à tous ceux qui entendent uvrer à
la défense des intérêts du monde du travail, au progrès
social et démocratique, à l'émancipation politique et sociale,
est de savoir comment permettre aux luttes sociales et politiques de ces derniers
mois de déboucher sur une victoire concrète des salariés,
des chômeurs, des jeunes et des femmes, des travailleurs immigrés,
des classes populaires.
Après les grandes manifestations du 10 mars et du 4 octobre 2005, celles
du 7 février et de mars 2006 combinées à la victoire du
Non au référendum du 29 mai indiquent les potentialités
nouvelles. Une victoire contre Villepin serait un premier pas important pour
commencer une contre offensive du monde du travail, inverser le rapport de force.
Elle aiderait au renouveau du mouvement ouvrier qui commence à s'opérer.
L'un des éléments de ce renouveau, qui y contribue, renvoie aux
relations entre votre parti et la LCR. Nous nous retrouvons au coude à
coude dans les luttes et la campagne unitaire contre le TCE a été
un moment fort de ce renouveau démocratique.
Cela nous donne d'importantes et nouvelles responsabilités vis-à-vis
du mouvement populaire.
Une nouvelle page s'est ouverte dans les relations entre nos courants politiques.
Discuter de nos actions et interventions communes nécessite la clarté
politique et donc essayer de définir nos points de convergence ainsi
que nos divergences et désaccords. C'est l'objet de nos discussions.
Nous convergeons dans la même volonté de définir, pour reprendre
l'expression du projet de base de votre congrès, " l'actualité
du communisme " après que se sont effondrées les
bureaucraties issues de la contre-révolution stalinienne.
Nous convergeons dans la volonté d'agir pour donner corps aux exigences
sociales et démocratiques du monde du travail, pour construire une Europe
sociale, démocratique, une Europe de la paix. Nous convergeons dans la
même conscience que, par delà les frontières, les travailleurs
et les opprimés du monde entier ont les mêmes intérêts.
Nous divergeons sur les moyens d'y parvenir et cette question est au centre
des débats qui traversent l'ensemble des forces politiques, des militantes
et militants qui ont contribué à la victoire du Non.
Nous divergeons sur les moyens de " changer la vie ".
Dans le texte 4 du projet de base commune majoritaire après le vote des
militants, vous avancez trois propositions principales :
(1) " travailler à une Union populaire autour d'un projet
de profonde transformation sociale antilibérale ".
(2) Pour les élections présidentielles et législatives,
vous proposez un rassemblement sur " le projet de société
et le programme de gouvernement " élaboré " dans
le débat populaire ".
(3) " Dans ce cadre, nous mettons en débat notre conviction
qu'une candidature communiste à l'élection présidentielle
sera la plus efficace pour porter cette union en témoignant de sa diversité,
de son ancrage populaire, de sa représentativité à gauche
et dans le pays, du contenu précis d'un projet politique permettant une
véritable rupture avec les logiques libérales ".
Nous ne pensons pas que ces trois axes qui définissent votre politique
répondent aux besoins nés de " la dynamique unitaire
populaire et antilibérale du 29 mai " et surtout aux exigences
portées par le mouvement contre le CPE.
Nous avons un premier désaccord sur l'antilibéralisme. Il ne s'agit
pas d'une simple question de vocabulaire. L'antilibéralisme laisse entendre
qu'il est possible de changer de politique sans changer le système. Toute
l'expérience passée, en particulier la vôtre, est là
pour démonter que cela est faux. C'est pourquoi nous sommes anticapitalistes,
c'est-à-dire que nous pensons qu'il ne peut y avoir de transformations
correspondant aux intérêts des classes populaires sans remise en
cause de la propriété capitaliste et mise en place d'un réel
contrôle de la population sur l'économie et l'Etat.
Cette expérience passée nous a aussi largement prouvé qu'un
" programme de gouvernement ", aussi antilibéral
soit-il, aura bien du mal à résister aux véritables rapports
de force entre les classes.
" Au fond, écrivez-vous en introduction de ce texte
4, il n'est pas possible de changer la vie sans que notre peuple s'empare
de la politique. " Certes, mais quels enseignements tirez-vous
des expériences passées qui ont si profondément affaibli
votre parti ? " D'alternance en alternance, depuis plus de
vingt ans, écrivez-vous dans le même texte, la gauche, toute la
gauche a été mise en échec ".
N'est-on pas en droit d'en conclure que participer à un gouvernement
dans le cadre des institutions est non seulement voué à l'échec
mais conduit à composer avec les intérêts des classes dominantes
pour finalement s'y plier ?
Comment rompre avec " les logiques libérales et capitalistes "
si ce n'est par une intervention directe des travailleurs et de leurs organisations
dans la vie politique, dans la gestion des affaires de la cité, de l'ensemble
de la vie sociale pour contrôler la marche de l'économie et participer
à l'administration de la société en fonction des intérêts
de l'ensemble de la population ?
Vous proposez une candidature de votre parti pour " porter cette
union populaire " autour " d'un projet politique
permettant une véritable rupture avec les logiques libérales ".
Nous pensons, pour notre part, à la lumière de ces expériences
passées, que cette rupture ne peut être le produit que d'un puissant
mouvement populaire mettant en cause les fondements même du capitalisme,
la propriété privée capitaliste et financière qui
assure aux classes possédantes leur mainmise sur l'économie et
l'Etat.
Votre projet politique reste prisonnier du cadre des institutions, des rapports
de force électoraux et a besoin, en conséquence, d'alliances électorales
dans le cadre institutionnel, c'est-à-dire d'une alliance avec le Parti
socialiste.
Votre participation à la réunion du 8 février de toute
la gauche vient le confirmer. Certes, vous voulez faire pression sur le Parti
socialiste pour qu'il rompe avec le social-libéralisme. Mais souvenons-nous
des discours de François Mitterrand avant 1981 sur " la rupture
avec le capitalisme ". Ils n'ont pas empêché la gauche,
une fois au gouvernement, de se plier à la logique capitaliste pour mettre
en uvre une politique libérale.
C'est pour cela que nous sommes convaincus que la seule voie pour rompre avec
la logique libérale et capitaliste est l'intervention de la population
elle-même pour faire valoir ses droits. C'est pour cela que nous pensons
que la tâche de l'heure est de regrouper une opposition ouvrière
et populaire capable de faire valoir ses droits quel que soit le gouvernement
qui sortira des prochaines échéances électorales et des
combinaisons parlementaires qui résulteront de leurs résultats.
Nous sommes des militants de l'unité pour les mobilisations et les luttes
et nous nous félicitons des rapprochements qui s'opèrent entre
nos deux partis sur ce terrain. Nous souhaitons les voir s'approfondir, se consolider.
Nous sommes aussi partisans de l'unité sur le terrain politique, y compris
celui des élections. Mais nous n'avons rien à gagner, les travailleurs
n'ont rien à gagner à la confusion. Nous souhaitons des candidatures
unitaires sur la base de l'anticapitalisme. Les élections sont une tribune
pour les luttes et les mobilisations, pour uvrer au regroupement du monde
du travail autour de ses revendications.
Nous entendons y défendre l'exigence qui s'affirme dans le mouvement
contre le CPE : pour en finir avec la précarité et le chômage,
un emploi stable et un revenu garanti.
Sans anticiper les décisions qui sortiront des travaux de votre congrès,
il n'est pas pour nous concevable de participer à une politique d'union
autour d'une " candidature communiste " qui s'inscrirait
dans la perspective d'une nouvelle union de la gauche et ne porterait pas cette
exigence essentielle.
Les mobilisations en cours augurent d'une remontée du mouvement ouvrier
et populaire et ouvrent de nouvelles perspectives. Nous avons devant nous une
nouvelle page à écrire. Nous voulons le faire avec vous comme
avec toutes les forces qui se revendiquent des luttes d'émancipation,
mais dans la clarté politique, condition même de rapports démocratiques.
Nous ferons ces expériences nouvelles ensemble en confrontant les idées
et les politiques pour, dans la pratique et l'action, travailler à l'actualité
du communisme " au cur de la lutte de classe qui revêt
aujourd'hui des formes multiples " ainsi que vous l'écrivez.
Nous aurons la possibilité de confronter et d'éclairer nos divergences
par les discussions et confrontations à travers l'action commune.
Il y a là déjà un progrès considérable dont
chacun ne peut que se féliciter.
Et nous espérons que de ces débats qui se mènent aussi
avec l'ensemble des acteurs du mouvement social, naîtra un nouveau rassemblement
porteur de la modernité et de l'actualité du communisme, " en
tant que représentation des intérêts du monde du travail
et des milieux populaires ", lutte pour l'émancipation,
un parti de tous les communistes.
Yvan
Lemaitre