Débatmilitant | ||||||||||
Lettre publiée par des militants de la LCR |
n°100
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7
avril 2006
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Sommaire : | ||||||||||
Aller jusqu'au bout des possibilités du mouvement | ||||||||||
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Aller jusqu'au bout des possibilités du mouvement
De " l'apaisement ",
du " calme ", de la " sérénité ",
voilà Villepin à sa conférence de presse, suivant les traces
de son mentor Chirac le menteur : n'ayons l'air de rien. " Discussion
sans tabou "
mais du retrait du CPE, pas question. Alors
que la crise politique éclate, il joue la montre pour tenter de sauver
sa place, de s'imposer malgré Sarkozy qui veut reprendre la main. Après
la gifle du 4 avril, plus de 3 millions dans la rue, le pouvoir est contraint
de faire semblant de bouger, d'où la comédie des rencontres parlementaires
feutrées au Sénat qui paraissent bien étranges. Ces députés,
sénateurs et ministres n'avaient pas entendu ce que dit la rue depuis
des semaines !
La force du mouvement exerce sa pression sur tous, y compris sur les tenants
du " dialogue social " et des " diagnostics partagés "
de ces dernières années. La démocratie réelle, celle
de la lutte, a déjà obtenu une belle victoire. Elle a tenu en
échec le pouvoir, imposé des reculs, disqualifié l'exécutif
à trois têtes. Et la coordination étudiante qui se réunit
chaque week-end, expression de l'auto organisation démocratique du mouvement,
a réussi à imposer son influence, à formuler, étape
après étape, une politique pour la lutte, et à rallier
en partie à son calendrier et à ses buts les confédérations
syndicales.
Malgré le battage médiatique annonçant une mobilisation
en recul, malgré les inquiétudes, nous nous sommes retrouvés
plus nombreux le 4 avril, avec un renouvellement : plus de lycéens,
des salariés du privé, malgré la petite baisse du côté
de la Fonction publique. La mobilisation a atteint une fois de plus un sommet.
L'unité entre jeunes et salariés était toujours là :
il s'agit bien d'une même lutte de classe. C'est déjà une
victoire, un point d'appui pour les étapes à venir du mouvement
social.
Face au mépris du pouvoir, à son cynisme, à cette loi réactionnaire
envoyant les jeunes de 15 ans travailler de nuit, et ceux de 14 ans en apprentissage,
la rue exprime son ras-le-bol. Il n'y a rien à discuter avec l'UMP, rien
à négocier. Pour le mouvement, c'est retrait du CPE, du CNE, et
de la loi sur " l'égalité des chances ". Ces
revendications, qu'attendent les confédérations pour les reprendre
à leur compte, et mettre sur la table la revendication d'un emploi et
d'un revenu garanti pour tous, comme le font les jeunes ?
Les actions " coup de poing " se multiplient, comme le blocage
à Nantes du marché d'intérêt national, ou d'un convoi
de l'A380 près de Toulouse, et des gares dans de nombreuses villes. La
seule réponse du pouvoir, c'est la répression. Les interventions
policières et les arrestations se multiplient, mais le mouvement étudiant
continue d'affirmer sa volonté de bloquer l'économie pour faire
plier Villepin.
Dans bien des villes, la structuration se poursuit. Dans des entreprises, des
AG ont lieu parfois pour discuter de la solidarité avec la jeunesse,
ou à l'occasion de négociations sur les salaires. Des coordinations
unitaires locales se mettent en place. Des collectifs interprofessionnels revoient
le jour, en sommeil depuis 2003. Difficile d'estimer cette organisation à
la base, sans coordination d'ensemble, ni direction. C'est la force vive du
mouvement, comme l'auto-organisation des étudiants, celle qui permet
d'entraîner de nouveaux rangs dans la bataille.
La maturité politique de la nouvelle génération militante
étonne et force l'admiration de nombreux militants du mouvement ouvrier.
Là où le mouvement des retraites s'était arrêté
en 2003, au moment du vote au Parlement, la lutte anti-CPE se poursuit. La loi
est votée, promulguée, on continue quand même ! Là
aussi, c'est un acquis important que cette rupture avec le sacro-saint respect
de la prétendue " représentation nationale ".
Le mouvement ne craint pas la crise politique, au contraire il sait l'approfondir
et la provoquer pour affaiblir l'adversaire. Parisot peut s'alarmer : " Nous
sommes arrivés à un point de tension, de crise, qui est dangereux
pour l'ensemble de notre pays, c'est dangereux pour notre économie, c'est
terriblement dangereux pour notre image ".
Cette crise est évidente, somme des crises précédentes,
de la présidentielle 2002, du mouvement des retraites, du rejet de la
Constitution européenne, de la lutte contre la loi Fillon. Le député
UMP Mariani se lâche : " Villepin peut partir ".
Bayrou, le sauveur, parle d'" effondrement des institutions "
et en appelle à une 6ème république. Face à cette
déliquescence, apparaissent au sein des manifestations des slogans posant
la question du pouvoir, souvent avec ironie, " nous sommes le pouvoir ",
" c'est la rue qui gouverne ", et le " droit
à l'insurrection " de la Constitution de 1793.
La gauche, prise en contradiction entre son soutien au mouvement et le contenu
réel de sa politique social-libérale, n'a pas de telles audaces.
Hollande propose au Parlement une loi d'abrogation, expliquant que " c'est
une vraie proposition de sortie de crise ". Sa seule perspective
est 2007, alors que le mouvement ouvrier et de la jeunesse sèment pour
l'avenir, pour des transformations sociales radicales.
Une des principales victoires du mouvement à cette étape, c'est
d'avoir posé le problème du droit à un emploi stable et
à un revenu garanti. Pour beaucoup, la lutte dépasse largement
la revendication du retrait du CPE, il s'agit bien de discuter de quelle société
serait capable de garantir un emploi à tous. Quand un député
UMP déclare : " on ne peut pas embaucher toute la jeunesse
du pays sur les fonds publics ", il reconnaît que c'est
bien cette question de fond qui est posée. Un anticapitalisme vivant
est en train de s'étoffer au cours de la lutte : la contestation
du libéralisme devient celle du capitalisme et des institutions étatiques,
la question du pouvoir est discutée.
Si les confédérations syndicales ont, sous la pression du mouvement,
maintenu l'exigence du retrait du CPE, leur attentisme, -une prochaine journée
de mobilisation est annoncée pour le 11 avril seulement, elles-mêmes
ne doivent se rencontrer à nouveau que le 10 avril- laisse du champ aux
manuvres gouvernementales. Quand Borloo et Larcher déclaraient
mercredi : " les parlementaires vont travailler
après,
c'est à nous de reprendre la main ", " la
proposition de loi aura permis de calmer le jeu sur le CPE ",
c'est qu'ils espèrent bien attirer dès que possible, sitôt
le CPE abrogé, toutes les confédérations dans le piège
d'une discussion sur le contrat de travail.
Le pouvoir espère reprendre la main en ouvrant le dialogue social que
souhaite le patronat avec les directions syndicales sur le marché du
travail, la " flexi-sécurité ". Mais,
de ce fait, les parlementaires UMP ouvrent ainsi un débat que le mouvement
et la politisation en cours peuvent rendre large et public, sur la question
du marché du travail, du chômage, des licenciements.
C'est autour de ces questions que vont se poursuivre la construction et l'organisation
du mouvement à la base, la question de l'emploi, des salaires, de la
lutte contre la précarité et le chômage. Pas plus la précarité,
le chômage que les licenciements ne sont des problèmes insolubles,
si nous osons revendiquer en toute légitimité notre droit à
un emploi et un salaire stables et garantis. La satisfaction de ce besoin exige
des mesures d'urgence, l'embauche définitive de tous les salariés
en statut précaire, des embauches massives dans les services publics,
le partage du travail entre tous, des revendications unifiantes pour poursuivre
la convergence des salariés et de la jeunesse. Le capital accumulé,
les profits exponentiels à la Bourse et dans les entreprises permettent
de financer tout cela, si nous imposons notre contrôle.
Ces mesures sociales posent forcément le problème de revendications
démocratiques et politiques : qui décide et comment dans
cette société ? En prenant en main leur lutte, par leur auto-organisation,
les jeunes ont commencé à apporter leur réponse. S'organiser
démocratiquement, c'est se donner les moyens d'exercer sa pression sur
le pouvoir, que nous ayons en face un patron ou un gouvernement, et quelle que
soit sa couleur.
Le pouvoir anticipe l'après bataille du CPE, espérant que le poids
des institutions lui permettra de reprendre la main. Maintenir et développer
le mouvement, c'est renforcer les liens entre la jeunesse et les salariés,
c'est aussi préparer la suite. Le mouvement de la jeunesse a imposé
l'idée qu'on peut gagner. Cette idée peut se concrétiser
dans une première victoire, le retrait du CPE. Une possibilité
s'ouvre de généraliser l'expérience et les acquis du mouvement
dans les entreprises, là où des salariés vont entrer en
lutte. En construisant l'extension du mouvement, il s'agit de renforcer la nouvelle
génération militante de la jeunesse par une nouvelle génération
ouvrière, et de regrouper tous ceux qui veulent et voudront poursuivre
la bataille en un nouveau parti des luttes.
Franck
Coleman