Débatmilitant
Lettre publiée par des militants de la LCR
n°103
27 avril 2006

Sommaire :
A propos du Congrès de la CGT : les idées de la lutte des classes et de la démocratie ouvrière au cœur du débat syndical
Au centre de nos tâches, se réapproprier le marxisme, l'actualiser, ou la question du manifeste

 

A propos du Congrès de la CGT :
les idées de la lutte des classes et de la démocratie ouvrière
au cœur du débat syndical



Cette semaine, le 48ème congrès de la CGT s'est ouvert à Lille alors que la mobilisation de la jeunesse vient de contraindre Villepin à retirer le CPE. De fait, le mouvement s'invite au congrès : la lutte contre la précarité, contre la dégradation des conditions de travail, conséquence d'une politique menée aujourd'hui par la droite, hier, par la gauche ou les gouvernements de cohabitation, se pose pour tous les militants soucieux des intérêts du monde du travail. Pour la première fois depuis longtemps, la démonstration vient d'être faite que la lutte paye, que la rue peut faire reculer l'offensive du gouvernement et du patronat, que le recul social n'est pas inévitable.
La détermination de la jeunesse, en lien avec la mobilisation des salariés et des syndicalistes, a gagné la bataille de l'opinion contre l'illégitimité d'une société reposant sur l'insolence des profits, alors que les besoins sociaux et démocratiques du plus grand nombre sont niés. Elle a impulsé une dynamique nouvelle qui met au cœur des débats la question de comment s'appuyer sur le succès de ce premier recul du gouvernement pour aller de l'avant pour inverser le rapport des forces ; comment poursuivre la lutte contre la Loi Egalité des chances, le CNE et toutes les politiques qui visent à faire baisser le coût du travail et à fabriquer de l'exclusion sociale. Se pose largement la question de quelle politique défendre dans les syndicats et plus généralement pour le mouvement social. C'est de cette question dont cet article voudrait discuter, nous reviendrons la semaine prochaine sur le congrès de la CGT.
" La mobilisation conjointe des salariés et d'une grande partie de la jeunesse a été décisive " a déclaré Thibault au premier jour du congrès de la CGT pour appeler à " bouger la CGT "… et à " confirmer " et " accélérer " la stratégie " validée depuis trois congrès ". Une façon de prétendre faire du nouveau tout en justifiant une orientation qui a fait faillite : celle du syndicalisme d'adaptation.
Depuis l'échec du mouvement pour les retraites en 2003, les luttes nombreuses dont l'initiative est revenue aux salariés, aux militants syndicaux et, contre la loi Fillon, à la jeunesse, n'avaient pu jusqu'ici faire céder le pouvoir. Ce n'est pourtant pas faute de combativité mais plutôt du fait que les confédérations syndicales - et la première d'entre elles, la CGT -, prisonnières de leur politique d'accompagnement des réformes libérales, ont œuvré à empêcher leur généralisation et leur convergence.
La jeunesse, libre vis-à-vis de la soi-disant légitimité des institutions, s'est donnée les moyens de construire la contestation de la loi Egalité des chances alors même que la loi était promulguée ; elle a cherché consciemment l'appui des syndicats et des salariés, contrebalançant ainsi l'inertie des confédérations syndicales, prisonnières de leur politique d'accompagnement des réformes libérales. Sa détermination, son enthousiasme, son souci démocratique lors des AG de mobilisation, ont contraint les directions syndicales, même si elles sont restées sur le terrain du soutien aux jeunes et se sont refusé à œuvrer à la construction d'un mouvement de grève des salariés, à aller plus loin qu'elles ne l'avaient fait depuis longtemps. Le front syndical uni s'est maintenu sous la pression des initiatives des jeunes, des militants syndicalistes de base, des équipes militantes. Pour la CGT, il était vital que son congrès s'ouvre sur un bilan positif ; comme pour la CFDT, lors de son prochain congrès de juin.
La situation nouvelle créée par la mobilisation de la jeunesse et les immenses mobilisations des 28 mars et 4 avril ouvre des perspectives face à la crise du mouvement syndical, apporte des arguments à ceux qui veulent se dégager d'une orientation impuissante à s'opposer à l'offensive patronale. De nouvelles possibilités pour agir dans le sens d'une renaissance d'une politique syndicale de classe existent. Le débat autour des orientations est indispensable, les bilans sont un point d'appui pour aller de l'avant.


Des directions syndicales prisonnières de leur politique d'adaptation au capitalisme
En 2003, lors du mouvement contre la loi Fillon sur les retraites et contre la décentralisation qui avait mobilisé autant de manifestants qu'en novembre-décembre 1995, la grève générale n'a jamais été à l'ordre du jour pour les directions syndicales. Dans la continuité de leur politique de soutien à la politique anti-ouvrière du gouvernement Jospin, elles avaient accepté par avance le cadre de la réforme, s'intégrant au " dialogue social " du gouvernement Chirac-Raffarin, pour exiger des négociations sur une " bonne réforme ". C'est le vote " non " majoritaire au référendum à EDF qui avait ouvert une brèche dans le consensus syndicats-patronat-gouvernement. Les militants du mouvement, enseignants, équipes syndicales, salariés, militants de gauche en rupture avec la politique de leurs partis, militants d'extrême gauche, s'y sont engouffrés. Les jeunes enseignants, souvent non syndiqués, ont joué un rôle d'entraînement et contraint la FSU à les soutenir. Si l'unité syndicale, malgré la défection de la CFDT, a alors joué un rôle mobilisateur, c'est qu'elle offrait le cadre indispensable à la mobilisation à l'étape où elle en était. Mais avec l'ouverture du débat au Parlement, les salariés n'ont pas eu le rapport de force politique pour en contester la légitimité, ce qui aurait signifié une rupture avec les illusions parlementaires et le respect des institutions pour préparer l'affrontement inévitable avec l'appareil d'Etat.
En 2004, les confédérations ont poursuivi la même politique sur la question de la Sécurité sociale, s'inscrivant dans le " diagnostic partagé " avec le Haut Conseil pour l'avenir de l'assurance-maladie ; elles ont laissé isolé le mouvement d'EDF.
En 2005, malgré la forte mobilisation des salariés de la Fonction publique le 20 janvier, et l'irruption du mouvement de la jeunesse lycéenne, elles ont laissé sans lendemain les mobilisations du 10 mars. Au moment du 4 octobre 2005, elles se sont refusées à faire de la lutte des marins de la SNCM, et de la situation à Marseille où allait démarrer la grève des traminots de la RTM, un point d'appui pour une lutte d'ensemble contre les privatisations et la politique du patronat et du gouvernement.
Cette contradiction entre la combativité de bien des militants influencés par la pression des travailleurs s'est exprimée au sein même de la direction de la CGT quand Thibault a été mis en minorité sur la question de l'appel à voter non au référendum du 29 mai. Mais, faute d'une politique de classe cohérente, cette contestation est restée dans un cadre acceptable par l'appareil.
Pourtant, simultanément, une nouvelle génération militante faisait ses premiers pas, à la CGT ou à SUD, cherchant une issue à l'impasse dans laquelle la politique des confédérations enfermait les luttes, de nouvelles équipes militantes se formaient, à la base, dans les sections syndicales, le débat et la démocratie reprenaient leur droit.
Ce sont elles que l'on a retrouvées au premier rang de la solidarité active avec les étudiants ce printemps.

Pour une orientation lutte de classes
Dans chacune des mobilisations, des équipes syndicales combatives, des salariés, ont exercé leur pression, à la base, pour contraindre les directions à aller plus loin qu'elles ne le voulaient. De nombreux militants syndicaux, quel que soit d'ailleurs leur syndicat, animés de la conscience de la nécessité de faire sauter le verrou des appareils pour aller vers un mouvement d'ensemble, ont contesté la passivité des directions syndicales.
Avec et à côté des syndicats, sont apparues de nouvelles formes de luttes pour dépasser les clivages entretenus par les appareils, notamment entre le public et le privé, être acteurs, participer au débat, que se soient les Collectifs interpro, les coordinations, regroupant syndiqués et non-syndiqués, les intersyndicales, les Collectifs de défense de la Sécurité sociale... Ces structures d'auto-organisation, même encore limitées, dans lesquelles nous nous investissons au coude à coude avec les militants des mouvements, sont significatives d'une aspiration à la démocratie, au contrôle des luttes ; elles sont parfois réapparues, ou du moins certains de ses militants en ont été activement partie prenante, lors de la contestation du CPE et de la loi Egalité des chances.
Dans les syndicats, la défense publique d'une politique de lutte de classe, en rupture avec le syndicalisme d'accompagnement et la négociation à froid qui ne négocie que des reculs, est plus que jamais à l'ordre du jour pour contribuer à y faire vivre la démocratie et le débat, conditions pour que les salariés eux-mêmes prennent en main leurs propres luttes et leurs organisations.
Si c'est la responsabilité des organisations de proposer la politique qu'elles jugent la plus efficace, c'est aux grévistes de décider et pour cela, il est indispensable que chaque lutte, chaque grève, soient dirigées démocratiquement par l'ensemble des grévistes. Cela passe notamment par l'élection de comités de grève, contrôlables et révocables par l'ensemble des travailleuses et des travailleurs en lutte, et leur centralisation sous la forme de comités centraux de grève ou de coordination. Cette étape et la conscience de sa nécessité sont les conditions pour que le mouvement ouvrier retrouve sa pleine capacité de contestation en lien avec l'aspiration à combattre le capitalisme.
Pour que l'activité, les initiatives, le dévouement des militants syndicaux, contribuent à la réelle défense quotidienne des intérêts des salariés, la reconstruction d'une conscience politique anticapitaliste, révolutionnaire, est l'enjeu de la situation actuelle. Toute l'expérience accumulée depuis 1995 et l'étape ouverte par le premier recul du gouvernement face à la lutte démontrent que celle-ci ne peut se mener de façon conséquente que si elle participe de la lutte des exploités pour changer la société.
La perspective d'un mouvement d'ensemble notamment pour un emploi et un revenu garantis pour tous et toutes implique que chaque lutte se pense elle-même comme un moment de ce mouvement, consciente de la dimension politique de chaque combat des salariés. C'est ce qu'ont su faire les étudiants. L'expérience ne doit pas être perdue.
Face à la détermination de la bourgeoisie, de son Etat et du gouvernement quel qu'il soit, la défense d'un programme d'urgence social et démocratique, programme de lutte que seules les mobilisations pourront imposer, permet de regrouper largement les militants conscients de la nécessité du contrôle sur la marche des entreprises, de l'interdiction des licenciements, du partage du travail entre tous, d'une autre répartition des richesses.
C'est en construisant des sections syndicales lutte de classe, à la base, dans les entreprises, sur les lieux de travail, en particulier dans l'industrie, tout en menant la lutte à tous les niveaux possibles des instances des différentes directions, y compris lors du congrès de la CGT, ou organisations syndicales que nous pouvons travailler à la renaissance du mouvement syndical.
C'est aussi aujourd'hui en continuant à faire vivre la solidarité militante entre les jeunes et les salariés contre le CNE, contre la LEC ou le projet de loi CESEDA.
Soucieux de l'unité du monde du travail, de l'aspiration des salariés à la convergence avec la jeunesse, nous militons pour une politique unitaire qui permette aux salariés de se réapproprier leurs propres luttes et leurs propres organisations, de donner aux mobilisations leur portée politique. Cela, tant à l'intérieur même des syndicats qu'entre les différents syndicats, au niveau de l'entreprise, de la ville, des régions, national, voire européen, front unique qui ne se limite pas aux organisations syndicales mais se tourne vers les associations et partis soucieux de défendre les intérêts des classes populaires.
La principale leçon du succès des jeunes est que, pour gagner, les luttes sociales n'ont pas à craindre d'assumer la dimension politique du combat. La dynamique de la démocratie résulte de la levée des clivages artificiels, la lutte est nécessairement politique, ce qui ne veut pas dire... parlementaire.

Valérie Héas

Au centre de nos tâches,
se réapproprier le marxisme, l'actualiser,
ou la question du manifeste

L'irruption sur le terrain des luttes sociales et politiques d'une nouvelle génération donne toute son importance à la nécessité de redonner aux idées du socialisme et du communisme leur contenu subversif et contestataire, actualiser le marxisme. Elle donne sa valeur au travail dans lequel s'est engagée notre organisation, écrire un manifeste, décliner l'actualité du programme révolutionnaire. Un projet a été rédigé. Le dernier congrès de la LCR a décidé de le mettre en discussion. Le point de cette discussion sera fait à l'occasion de la conférence nationale de juin. Jean-François Cabral, Serge Godard, Galia Trépère et Yvan Lemaitre, camarades qui participent à Débat militant, ont proposé une réécriture du texte en question. Pourquoi ? Quelle est l'importance du débat, quels en sont les enjeux ? Nous nous proposons d'aborder ces questions dans Débat militant en discutant des problèmes que pose au mouvement ouvrier, à la jeunesse, la nouvelle phase de développement que connaît aujourd'hui le capitalisme et des perspectives nouvelles qu'elle peut ouvrir pour les luttes d'émancipation.
Chacun peut prendre connaissance des différents documents sur le site de la LCR.
Libération écrivait au lendemain de notre congrès au sujet du projet de manifeste : " Au delà de l'interdiction de licencier et la défense des services publics, le texte écarte les nationalisations, mêle la " planification autogestionnaire " à un " recours limité " au marché et défend " l'autonomie de l'individu ". Presque le programme du PSU au début des années 70 ! " La critique est expéditive, peu scrupuleuse, plus soucieuse d'ironie que d'idées, elle met cependant le doigt sur la faiblesse du manifeste proposé. On peut tenter de la résumer : l'analyse de classe ne donne pas son ossature au document laissant s'exprimer une grande confusion autour de la question de la démocratie et de l'État.
Au final, nous aboutissons à un document pléthorique abordant une série de sujets, parfois annexes, donnant l'impression à la fois que la Ligue a réponse à tout sans pour autant répondre avec suffisamment de netteté à l'essentiel, la question de l'État et du pouvoir.
En retour, les critiques qui sont faites à notre proposition de réécriture sont souvent résumées à deux grands points : nous n'aurions pas fait un retour critique sur le bolchevisme, ses erreurs, et nous tiendrions à sauvegarder les dogmes par delà les changements.
Ces critiques méritent que l'on s'y arrête. Elles expriment un doute, une méfiance qu'ont bien des militants vis à vis du marxisme perçu comme un dogme et l'incompréhension de la portée historique du bolchevisme par trop souvent identifié à la contre-révolution stalinienne.
Notre propos n'est pas de polémiquer mais de discuter de l'objectif ou des objectifs, des attentes auxquels le travail autour du manifeste doit répondre. L'enjeu de la discussion est de taille. Elle concerne l'ensemble du mouvement communiste, tous ceux qui inscrivent leur combat dans cette filiation historique et dans cette perspective.
Elle est pour l'ensemble du mouvement anticapitaliste d'une importance décisive au moment où, à travers la révélation à grande échelle des méfaits du libéralisme impérialiste, se forge au sein même des classes populaires et de la jeunesse une nouvelle conscience contestatrice.
Cette discussion demande nécessairement enthousiasme et opiniâtreté mais chacun aura à cœur de s'emparer du débat tant il est vrai que la construction d'un nouveau parti démocratique et révolutionnaire de tous les communistes nécessite une claire compréhension du passé sur laquelle s'articulent les luttes d'émancipation.
Ce texte voudrait aborder les enjeux de la discussion. Nous reviendrons dans d'autres articles sur différents points qui surgissent du débat lui-même comme des préoccupations et besoins du mouvement.

Un programme pour le mouvement ouvrier et les luttes d'émancipation
Un projet de manifeste se doit d'apporter des réponses ou des éléments de réponses à une série de questions qui sont au cœur des préoccupations des militants du mouvement ouvrier : pourquoi le mouvement ouvrier a-t-il besoin d'un programme ? Qu'est-ce qui fonde l'actualité de la révolution, du débat réforme ou révolution ? Quelles transformations économiques, sociales, politiques, culturelles peuvent permettre de penser que les conditions objectives sont plus mûres aujourd'hui qu'au siècle dernier ? Quel est le contenu pratique et concret, militant des idées révolutionnaires ? En quoi le programme socialiste et communiste garde-t-il sa légitimité historique ?
La principale leçon des décennies passées est bien que si le mouvement ouvrier, ses organisations, leurs directions n'ont pas une compréhension claire du capitalisme, de ses lois, de son histoire, de la politique des classes dominantes, ils ne sont pas en mesure de se battre, même de résister, parce qu'ils ne sont pas en mesure d'avoir leur propre politique, indépendante.
Le travail de rédaction d'un manifeste participe du travail collectif qui vise à doter le mouvement ouvrier de cette compréhension d'ensemble pour qu'il puisse se dégager de la paralysie du social-libéralisme et des conceptions réformistes, mener sa propre politique.
De ce point de vue, le manifeste a pour fonction de tracer les perspectives générales de l'ensemble du mouvement ouvrier. Nous ne sommes pas des doctrinaires ou des utopistes qui auraient un projet pour réformer le monde. C'est pour cela que notre travail participe d'un travail collectif, s'inscrit dans la réalité militante du mouvement ouvrier et les débats qui le traversent.
Notre travail vise à nous réapproprier et à faire vivre le marxisme révolutionnaire, le matérialisme militant, en nous appuyant sur un large et riche capital intellectuel, militant, politique : l'expérience du passé.
Ce ne sont pas nos réponses qui changeront le monde mais nos capacités à agir à travers les luttes de classes pour leur permettre de liquider la propriété capitaliste. Et nos réponses ont à tracer des perspectives à ces luttes, leur donner conscience de leur portée, de leurs objectifs comme de leur possibilité de gagner.
Nous voulons contribuer au défi auquel est confronté l'ensemble du mouvement ouvrier : après la faillite de la social-démocratie et la dégénérescence stalinienne d'octobre 17 et l'effondrement du stalinisme, refonder un programme révolutionnaire qui permette de dépasser l'éclatement du mouvement social en réactualisant le seul projet unificateur qui soit, celui de la conquête du pouvoir par les classes opprimées pour liquider la propriété capitaliste.
Décrire les évolutions, les objectifs, les conséquences des luttes de classes est la meilleure façon, la seule, de se donner les moyens d'y intervenir efficacement.
Indiquer à travers cette description les échecs et les faiblesses de la classe ouvrière, de ses organisations, les nôtres , les comprendre plutôt que de condamner et de chercher des responsables des mauvais coups que l'histoire nous a portés.
Cette référence au passé des idées du socialisme et du communisme, dans leur continuité, c'est à dire dans une perspective démocratique et révolutionnaire pour en finir avec le règne du capital, n'implique aucune concession au " socialisme réellement existant ", que ce soit la social-démocratie devenu social-libéral ou le stalinisme devenu antilibéral.
Notre programme se veut celui des luttes de classes pour en finir avec les contradictions qui ruinent la société, le règne de la propriété privée capitaliste. C'est l'expropriation des expropriateurs.

Nouvelle période, la courbe du développement du capitalisme et mouvement ouvrier
Discuter des perspectives de transformation révolutionnaire de la société nécessite un état des lieux de l'évolution du capitalisme lui-même. La dénonciation de ses méfaits et ravages, aussi indispensable qu'elle soit, ne saurait suffire. La société de l'avenir naîtra des flancs même de la vieille société que nous combattons. Il nous faut donc dégager des évolutions du capitalisme les éléments qui préparent les conditions matérielles, objectives, de la naissance de cette société nouvelle.
Les lois même du développement capitaliste ont conduit, au XXème siècle, à la période de l'impérialisme. Ce qui pour Lénine constituait le stade suprême du capitalisme a accouché de vastes mouvements révolutionnaires sans aboutir à la liquidation du capitalisme lui-même.
L'offensive des classes dominantes contre les peuples et les travailleurs pour détruire les acquis qu'ils avaient arrachés par leurs luttes et qui libère les forces du marché et du capital de toute entrave, a pour point de départ ce développement impérialiste du monde. Le libéralisme se combine aujourd'hui à l'impérialisme dont les traits dominants décrits par Lénine sont toujours présents.
Ce libéralisme impérialiste a-t-il développé des contradictions qui permettront d'en finir avec le règne de la propriété privée ou le capitalisme est-il devenu un horizon indépassable ?
Il nous faut répondre à cette question de fond qui éclaire le débat réforme ou révolution à la lumière de l'expérience du mouvement ouvrier et des luttes des peuples.
" C'est le développement même du capitalisme qui crée les conditions de la transformation de la société ", écrivons-nous dans notre proposition de réécriture, là est l'essentiel. La description le plus souvent pertinente des méfaits de la mondialisation capitaliste doit viser à mettre en évidence les contradictions du système qui nous font conclure :
a) Qu'il n'est pas amendable
b) Que le mouvement ouvrier, en comprenant ses contradictions, peut agir dessus pour renverser le capitalisme.
c) Un autre monde est possible et pas seulement nécessaire.
Il s'agit de décrire ce qui fait qu'aujourd'hui les possibilités d'émancipation sont plus développées qu'à l'époque de l'impérialisme. Nous n'abordons pas la mondialisation du simple point de vue de l'indignation, légitime, mais aussi du point de vue de l'analyse du mûrissement des conditions objectives et subjectives d'émancipation.
La mondialisation doit être analysée comme un rapport entre les classes, la conséquence d'une lutte de classe et non la mise en œuvre d'un prétendu modèle néolibéral. Elle est la résultante d'une offensive des classes dominantes pour rétablir leur taux de profits après la restauration de la propriété privée dans l'ex-URSS.
Cette dernière, conséquence de la faillite de la bureaucratie, a ouvert la voie à l'offensive capitaliste. Se retrouve ici la pertinence de l'analyse de Trotski sur la double nature de la bureaucratie née de la contre-révolution en URSS qui n'a fini par venir à bout des rapports sociaux instaurés par la révolution que 70 ans après. La question de cette double nature de la bureaucratie n'a pas été tranchée par la révolution démocratique victorieuse mais par l'effondrement de la bureaucratie elle-même restaurant la propriété privée et ouvrant largement les portes au capital financier.
Une période a ainsi pris fin.

Transformation sociale et lutte de classe
La ruine de la bureaucratie n'est nullement celle de la lutte des opprimés mais bien la faillite de forces réactionnaires et sans avenir historique qui libère les énergies d'une classe ouvrière en pleine expansion. La nouvelle phase de développement du capitalisme mondialisé, libéral et impérialiste, s'accompagne d'un développement de la classe ouvrière à l'échelle mondiale, d'une mise en concurrence sans précédent sur le marché mondial du travail des exploités et appelle en retour un développement des luttes à l'échelle internationale. Il n'y a rien de mécanique ni d'automatique mais l'histoire témoigne de ce que le développement politique du mouvement ouvrier a, à chaque étape, été le résultat d'un développement social, numérique, de la classe exploitée.
Il nous faut réaffirmer le rôle de la classe ouvrière comme principal acteur de la révolution tout en analysant les conséquences de l'évolution des conditions de production sur les luttes même des travailleurs.
Le bouleversement des conditions de production affaiblit les capacités de résistance mais, dans le même temps, il oblige à trouver de nouvelles réponses. Il souligne les limites du syndicalisme pour donner toute son importance à la dimension politique du combat de classe, c'est-à-dire la lutte pour la démocratie, le droit de contrôler et de décider, donc la nécessité de contester le pouvoir politique des classes dominantes.
" Le but de la lutte révolutionnaire est de bien mettre le pouvoir entre les mains des travailleurs associés, de développer une démocratie maximale " est-il écrit dans le projet de manifeste. L'évolution des conditions sociales objectives renforce cette idée. Les mouvements actuels viennent en apporter la démonstration. La lutte prend nécessairement des formes et un contenu politiques. Toute lutte un tant soi peu importante devient une lutte politique, porte les exigences de démocratie pour la population, pose la question du pouvoir.
La discussion sur le rapport parti-syndicat, lutte politique-lutte sociale prend un contenu moins formel. Ce n'est pas tant la distinction formelle parti-syndicat mais bien les rapports vivants entre lutte sociale et lutte politique, qui débouche sur la question du pouvoir, qui sont en discussion.
La démarche transitoire définie par Trotsky dans le Programme de transition acquiert aujourd'hui son plein sens historique : les besoins même du monde du travail sont en opposition constante avec ceux des classes dominantes et conduisent à poser la question du pouvoir.

La démocratie et la rupture révolutionnaire
Il y a sans doute là un des points qui demande le plus d'éclaircissement : le lien entre les luttes pour les revendications ouvrières et la lutte pour la démocratie, le lien entre la démocratie et la lutte pour le pouvoir, la question de la rupture révolutionnaire. Il s'agit de souligner à quel point la démarche transitoire doit être mise au cœur de tous nos raisonnements. C'est elle qui construit le lien pratique et militant entre les revendications nées des conditions objectives d'exploitation et la lutte pour le pouvoir en posant la question de la démocratie, du contrôle.
La concentration croissante du pouvoir, tant économique que politique entre les mains des multinationales et de leurs succursales financières aboutit à un étouffement de la démocratie parlementaire. Elle crée une situation de crise politique latente du fait que les partis institutionnels sont incapables d'assumer leur fonction, convaincre les classes populaires qu'ils sont en mesure de changer les choses. Le règne de la politique unique au service des multinationales ruine la démocratie parlementaire bourgeoise.
Et cela alors que les progrès de la culture, des moyens de communication, l'urbanisation créent les conditions d'un essor sans précédent de la démocratie, en suscitent le besoin.
Nous ne pouvons nous contenter, là encore, de formules ambiguës comme celles que l'on trouve dans le projet de manifeste du genre " la démocratie prime sur le marché " réplique de cette autre formule, " Le droit à l'existence doit l'emporter sur le droit de la propriété capitaliste ". La démocratie et le marché sont incompatibles à l'heure de la mondialisation financière et impérialiste tout autant que le droit à l'existence l'est avec la propriété privée.
Le plein développement de la démocratie, c'est-à-dire le droit et la possibilité pour la population de contrôler et de décider de la marche de l'économie, de la vie sociale, suppose l'expropriation politique et sociale des classes dominante, de l'aristocratie financière.
La démocratie ne saurait s'identifier au suffrage universel. Il nous faut imaginer les grandes lignes d'une démocratie socialiste, révolutionnaire, populaire, qui naissent des organes d'organisation et de représentation de la population.
Nous ne sommes pas en mesure d'imaginer les différentes étapes du processus révolutionnaire, comment s'articuleront la lutte politique dans le cadre des vieilles institutions et l'intervention directe de la classe ouvrière, les moments de double pouvoir, comment s'opérera la rupture révolutionnaire, mais il nous faut clairement affirmer la nécessité de cette rupture, c'est-à-dire de l'expropriation sociale et politique de l'aristocratie financière.

L'internationalisme
La question de la démocratie et de la rupture révolutionnaire ne peut se poser dans le cadre du carcan des frontières nationales, elle ne peut se penser que dans une dynamique qui explose ce cadre réactionnaire et étriqué. La question de l'alternative européenne n'est pas un supplément d'âme à l'alternative démocratique et révolutionnaire mais bien sa condition et son prolongement.
Elle doit être posée non comme une question indépendante mais bien liée à la lutte pour le pouvoir ici. Il ne peut y avoir de transformation en Europe sans rupture révolutionnaire et réciproquement. L'autre Europe que nous voulons ne passera pas par une bonne constitution mais bien par l'unité révolutionnaire des peuples.
Là est le véritable contenu de ce nouvel internationalisme qui n'est pas une simple aspiration morale et politique mais une force qui s'appuie sur une réalité sociale, le développement d'une nouvelle classe ouvrière moderne plus que jamais cosmopolite, résultat du brassage des peuples par le marché capitaliste.
Notre combat s'appuie sur une continuité sans laquelle nous ne serions rien, continuité du combat de classe et des idées de ce combat dont l'internationalisme est la pierre angulaire.
Cet internationalisme nous renvoie à la lutte contre la guerre qui ne saurait se limiter à un simple pacifisme mais s'associe à la dénonciation de ses causes, la domination des puissances impérialistes et leur politique, et s'inscrit dans la lutte pour en finir avec cette domination, seule façon de garantir la paix.
" Pour avancer dans cette voie, il faut que se mettent en place des formes d'organisation internationale permettant aux peuples de contrôler les modalités de la mondialisation et de la soumettre à leurs priorités " est-il écrit dans le projet de manifeste. Il y a là beaucoup d'ambiguïtés. De nouvelles organisations internationales naîtront de l'activité autonome des peuples, de l'organisation de leur coopération par eux-mêmes et non sous la direction des vieilles classes dominantes en fonction de leurs intérêts égoïstes. Il ne s'agit pas de contrôler la mondialisation comme si ce phénomène était un phénomène neutre mais d'organiser le processus révolutionnaire à l'échelle mondiale pour que s'érige une nouvelle civilisation humaine débarrassée de la domination de la propriété privée.
L'internationalisme ne connaît pas... de frontières !

La société sans classe ou l'autogestion socialiste
Un manifeste révolutionnaire pour la nouvelle période ne saurait être en deçà des idées défendues par Marx il y a un siècle et demi. Il a, bien au contraire, pour tâche de démontrer à quel point ont mûri les conditions objectives dont se nourrissaient ces idées, dont elles dégageaient les possibilités révolutionnaires, progressistes.
Au lieu de cela, souvent nous nous retrouvons dans la situation de bien des révolutionnaires du début du siècle dernier qui, étonnés par les progrès réalisés dans le cadre même du capitalisme par la société humaine, mettaient de l'eau dans leur vin révolutionnaire sans comprendre ce que leur répondait Rosa Luxembour dans Réforme ou révolution. Ces progrès, qui pourraient accréditer l'idée que le capitalisme peut être amendé, ne font au contraire que reproduire à un niveau supérieur, mondialisé peut-on dire aujourd'hui, les contradictions du capitalisme décrites par Marx. Et dans le même temps elles préparent la naissance à partir de ces contradictions mêmes d'une société socialiste.
Ainsi, quand nous laissons de côté la formule de la dictature du prolétariat, ce n'est nullement pour en abandonner le contenu mais pour souligner, mettre l'accent sur l'idée que cette dictature était pour Marx une démocratie supérieure. Les conditions mêmes du combat ont changé et nous ne craignons pas d'abandonner des formules marquées par l'époque. Nous ne sommes pas fétichistes de la formule qui ne protège de rien.
De même, si la formule de la destruction de l'État ne peut être reprise telle quelle vu la diversification et la complexification du rôle de l'État moderne, cela ne signifie en rien que nous abandonnons l'analyse de l'État de Marx comme instrument de domination de la classe dominante. Mais il s'agit de repenser les conditions de sa " destruction ", de donner un contenu concret, actuel à la formule
Dans le même ordre d'idées, si la question de la prise du pouvoir ne se pose pas dans les mêmes termes qu'en 1917, cela ne signifie en rien que nous nous soumettons à la loi du suffrage universel mais, bien au contraire, que nous avons à repenser cette question en continuité avec l'expérience passée pour la poser en termes actuels.
Rechercher ou aller chercher chez des courants hésitants entre réforme et révolution des formules confuses comme celle de "l'autogestion socialiste" ne résout aucun problème, bien au contraire. L'enjeu du manifeste est de donner toute leur actualité au contenu des formules et surtout des raisonnements de Marx sans craindre d'affirmer nos objectifs révolutionnaires, c'est à dire notre volonté de participer consciemment à la construction de l'avenir de l'humanité, à l'avènement d'une nouvelle civilisation débarrassée des divisions en classes.

La question du parti, du pouvoir
C'est en cela que le parti que nous voulons construire n'est pas un parti comme les autres, un parti institutionnel mais bien un parti extraparlementaire, aile marchante du combat des opprimés pour un autre monde.
Face au messianisme réactionnaire et religieux des dirigeants de la plus grande puissance impérialiste, au populisme de leurs rivaux, aux intégrismes religieux des classes dominantes des peuples opprimés, nous ne devons pas craindre d'affirmer que nous pensons que les opprimés sont porteurs d'un autre monde, d'une autre civilisation débarrassée de toute oppression sociale, politique, religieuse.
Cet autre monde, ce n'est pas notre projet mais celui des opprimés du monde entier, tel que l'histoire l'a façonné.
Et le parti dont nous sommes les membres n'est pas notre parti, mais celui des opprimés, en rupture avec la société capitaliste et ses institutions. Nous entendons être les acteurs d'un nouveau pouvoir, qui ne sera pas, surtout pas, notre pouvoir, mais celui des opprimés pour liquider toute forme d'oppression, de domination, de pouvoir de l'homme sur l'homme.
Ce combat, nous le menons au cœur même de cette société, prolétaires parmi les prolétaires, ceux qui la font vivre, utilisant tous les moyens de la lutte pour la démocratie et l'émancipation sociale.

De la nature des divergences et de leurs implications
Au stade actuel du débat, il serait étonnant que le travail de rédaction d'un manifeste n'aboutisse pas à des écritures différentes. Nos réponses aux questions que nous lègue l'histoire et que l'avenir suscite sont nécessairement dépendantes de notre propre passé. L'exercice n'est pas simplement littéraire. Un nouveau projet ne peut naître que de la confrontation entre ces différentes optiques, de leur dépassement à travers le travail pratique, politique, théorique de construction d'une force nouvelle, un parti des travailleurs.
Le nouveau parti dont les travailleurs et les jeunes ont besoin n'a pas un modèle de société à opposer au modèle capitaliste ou libéral. Nous voulons œuvrer au regroupement de l'aile la plus radicale, la plus avancée du mouvement, dans sa diversité, dans ce qu'elle représente de plus subversif, contestataire en l'inscrivant dans un projet qui ne sort pas de nos têtes pas plus que le Manifeste communiste n'est sorti de celle de Marx mais bien des évolutions de la société elle-même et des luttes des opprimés qu'elle provoque.
Les différents projets qui existent aujourd'hui expriment, pour beaucoup, différents points de vue, à strictement parler, c'est-à-dire que chacun voit les choses du point de vue qui était sa position dans le passé.
Nous sommes contraints, sans nous faire violence d'ailleurs, d'adopter le point vue de la jeunesse. Ainsi de nouveaux points de vue se forgent. D'une position commune dans les combats quotidiens, dans la lutte de classe naîtra nécessairement une appréciation programmatique commune. Le marxisme n'est pas une doctrine dogmatique mais bien la science des luttes d'émancipation. Elle est une pensée pratique et concrète, historique.
Être révolutionnaire aujourd'hui, c'est être partie prenante du combat des opprimés et des exploités pour la conquête de leur droit à jouir librement des richesses qu'ils produisent, avoir conscience que cette lutte ne peut être victorieuse que si elle liquide la propriété privée capitaliste et qu'elle est le moteur de l'émancipation de l'humanité.
Cette lutte est multiple et riche, un nouveau programme naîtra de cette richesse. Nous voudrions y verser notre contribution, quelles qu'en soient ses limites.

Yvan Lemaitre