Débatmilitant | ||||||||||
Lettre publiée par des militants de la LCR |
n°113
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06
juillet 2006
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Sommaire : | ||||||||||
Les enjeux de la solidarité avec les sans-papiers | ||||||||||
Discussion autour du manifeste : La lutte pour l'émancipation, c'est la lutte pour la liberté et l'épanouissement de l'individu dans et par la collectivité | ||||||||||
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Les
enjeux de la solidarité
avec les sans-papiers
Ces dernières
semaines se construit une mobilisation de masse en solidarité avec les
sans-papiers, inédite depuis 1996-1997. La régularisation des
travailleurs sans-papiers et de leurs familles n'est plus le seul problème
des sans-papiers et de quelques soutiens (de moins en moins nombreux et de moins
en moins organisés), mais cette question devient une affaire personnelle
pour des milliers de jeunes, de familles parce qu'il s'agit de la régularisation
d'un enfant, d'une famille qu'ils connaissent. Alors, à la différence
de 1996-1997, la mobilisation n'est pas seulement une médiatisation autour
de luttes symboliques comme celles de St Ambroise ou de St Bernard, qui avaient
pu être récupérées par le PS sur le terrain électoral,
mais c'est une lutte qui se structure autour de centaines de collectifs d'écoles,
de lycées ou de communes à l'échelle de tout le pays.
C'est ce qui en fait une question politique qui oblige les partis à se
définir non pas sur le terrain de la démagogie anti-immigrés,
mais par rapport à une solidarité large et active. Et c'est une
première victoire remportée par la mobilisation. C'est ainsi que
Sarkozy, au moment où il fait voter une loi sur l'entrée et le
séjour des étrangers qui condamne toute personne entrée
irrégulièrement à rester sans-papiers, est obligé
de concéder une circulaire qui, si elle est appliquée, peut entraîner
la régularisation de dizaines de milliers de familles. C'est aussi ce
qui explique que l'on revoit tous les candidats à la candidature PS (sauf
S. Royal), venir se bousculer en tête de la manifestation du 1er juillet,
et qu'après deux mois de mure réflexion, Julien Dray a décidé
de signer la pétition de RESF appelant à la désobéissance
civile !
Des
mobilisations qui imposent des clarifications
Ce mouvement est le produit du travail du Réseau Education Sans Frontières
depuis deux ans à partir des situations de lycéens puis de familles
d'enfants scolarisés qui s'est étendu dans tous le pays à
l'initiative de militants syndicaux, associatifs et de parents d'élèves
qui ont donné la force et l'espoir aux sans-papiers de sortir de la clandestinité
et de se battre pour revendiquer leur droit à l'existence.
L'écho que rencontrent aujourd'hui ces actions s'inscrit dans l'évolution
politique issue des luttes de ces derniers mois. Pendant la campagne contre
le Traité Constitutionnel les porte-parole de la LCR en particulier ont
revendiqué le droit à la libre circulation, ce qui implique la
régularisation de tous les sans-papiers en France et dans l'Union Européenne.
La révolte de la jeunesse des banlieues en novembre après les
provocations racistes de Sarkozy a fait exploser l'urgence de la reconstruction
de la solidarité entre les victimes des politiques mises en uvre
ces 25 dernières années. Ça ne pouvait plus durer, ça
a pété dans les banlieues et provoqué une prise de conscience
au delà des politiques dans des franges non négligeables de la
population (toutes générations confondues, même si la jeunesse
a été la plus touchée). Ces générations qui
se sont retrouvées au coude à coude dans la rue, derrière
la jeunesse contre le CPE ont, par leur solidarité, imposé un
rapport de force qui a fait basculer l'opinion et contraint le gouvernement
à reculer alors même qu'il avait déjà fait passer
sa loi. L'enjeu est de construire un mouvement qui se fixe pour objectif d'abroger
dans les faits la loi Sarkozy qui vient d'être votée. Si nous obtenons
une deuxième victoire, qui montre que la rue peut décidément
défaire les lois, nous provoquerons un approfondissement de la crise
du pouvoir qui ne manquera pas de rebondir à la rentrée.
Autres enjeux et conséquences du mouvement : la clarification des positions
des forces qui doivent apporter leurs réponses politiques aux attentes
posées par les mobilisations. D'abord parce que ce qui est en jeu, c'est
l'abrogation de la loi Sarkozy, mais aussi des lois Pasqua-Debré-Chevènement
qui organisaient la clandestinité des étrangers en situation irrégulière.
Alors, le PS ne va pas pouvoir faire longtemps le grand écart entre la
présence dans les manifs, les parrainages de jeunes et de familles sans-papiers
d'un coté, et de l'autre les déclaration d'un F. Hollande rejetant
toute " régularisation massive ", de S. Royal
qui reproche à Sarkozy l'incapacité du gouvernement à faire
exécuter toutes les expulsions légalement décidées,
ou de M. Bouthi qui approuve les quotas pour limiter l'immigration. Face à
un mouvement qui exige des solidarités concrètes (organisations
de permanences dans les collectivités, présence et interventions
des élus qui ne peuvent se contenter de déclarations sans se voir
réclamer des comptes), le double discours fera long feu et le décalage
entre le projet politique du PS gestionnaire responsable apparaîtra clairement
en opposition à la revendication des mobilisations.
De même, le PC, qui est plus engagé dans la solidarité concrète
avec les sans-papiers, va devoir choisir entre préserver la compatibilité
avec le PS et donc limiter les revendications ou assumer la solidarité.
Contre-pression
la plus efficace à la démagogie de la droite et de l'extrême
droite
Alors que Sarkozy engageait sa campagne présidentielle sur sa fermeté
contre les immigrés afin de flatter l'électorat de Le Pen, les
mobilisations qui se développent sont le meilleur antidote à l'irrationnel,
fond de commerce des populismes.
En effet les mobilisations imposent la médiatisation de visages, de noms,
d'histoires d'enfants et de familles sans-papiers qui explosent les fantasmes
de l'étranger menaçant. On a ainsi lu dans tous les journaux des
portraits de citoyens ni politisés, ni spécialement de gauche,
dont la vie a été bouleversée en découvrant que
le copain de leur enfant et ses parents sont sans-papiers et que leur droit
à une existence décente dépend de leur engagement dans
la mobilisation qu'ils viennent ainsi renforcer.
Un autre enjeu est de rendre les acteurs conscients des possibilités
ouvertes par leur action. La solidarité active entre les exploités
permet de désamorcer les préjugés qui amènent à
rejeter sur les plus faibles et les plus précaires les responsabilités
des reculs sociaux et politiques subis par le monde du travail dans son ensemble.
Facteur d'unification, la solidarité dans la lutte et les victoires que
nous pourrons remporter inventeront " l'intégration "
des travailleurs et de la jeunesse immigrés ou issue de l'immigration
par les travailleurs avec leurs méthodes, celle de la lutte des classes.
C'est donc un début de réponse aux problèmes posés
par la révolte de novembre des jeunes les plus marginalisés.
Ces mobilisations participent de la reconstruction d'une conscience et d'une
solidarité de classe qui ne peut naître que dans les luttes quotidiennes
contre toutes les formes d'oppressions du capitalisme au stade de la mondialisation
libérale.
Cathy
Billard
Discussion autour du manifeste :
La lutte pour l'émancipation, c'est la lutte pour la liberté et l'épanouissement de l'individu dans et par la collectivité
Elaborer un manifeste
pour changer les bases du monde suppose de répondre à l'idéologie
des classes dominantes dont un des thèmes privilégiés est
l'apologie de l'individualisme au nom de la défense de la liberté.
La liberté serait l'apanage du capitalisme, selon les défenseurs
de l'ordre actuel. La liberté serait dans le libéralisme ou capitalisme
à visage humain, capitalisme régulé, débarrassé
de ses " excès ". Ainsi, on pourrait être libre
au milieu d'hommes exploités, voire être soi même libre et
exploiteur
Ils rejettent le socialisme et le communisme assimilés au totalitarisme
qui, en s'attaquant à la propriété privée des moyens
de production, foulerait aux pieds la liberté individuelle. En fin de
comptes, on ne serait que parce qu'on possède et par ce qu'on possède !
La fable de la liberté marchande ne repose que sur le culot des possédants
et des idéologues à leur service qui voudraient identifier le
droit de la propriété privée à s'approprier la propriété
d'autrui à la véritable liberté. L'individualisme cynique,
le mépris des faibles, l'irresponsabilité sociale, l'égoïsme,
ce serait ça la liberté ?
La liberté, pour nous, n'existe pas sans émancipation humaine.
Mais est-elle possible par la seule volonté des individus ? Comment
faire en sorte d'être libre lorsqu'on appartient à une classe opprimée,
dépossédée, déshumanisée par l'exploitation,
si ce n'est en créant en son sein, collectivement, des réseaux
de résistance, une force de contestation en s'appuyant sur les potentialités
révolutionnaires dont la société est de plus en plus riche ?
Comprendre ainsi la nécessité de l'action collective signifie-t-il
nier tout rôle à l'individu ? N'est-ce pas le stalinisme qui,
par son emprise sur le mouvement ouvrier et révolutionnaire, a fait reculer
toute idée de lutte collective, assimilée à un embrigadement
derrière des chefs et un parti bureaucratique, pour leur préférer
la liberté " individuelle " volontariste, d'inspiration
anarchiste ?
Notre réponse ne peut se limiter à affirmer comme il est écrit
dans le projet de manifeste : " Nous nous battons pour que
chacune et chacun puisse vivre les vies qui lui paraissent souhaitables, dans
le respect du droit des autres à en faire autant ". Nous
ne pouvons nous limiter à une telle banalité.
Ni
individualistes cyniques ni collectivistes staliniens
Pour des idéologues à la mode, nous serions donc des ennemis de
l'épanouissement de la personnalité, soumettant l'individu au
joug de la collectivité et du parti en particulier. La liberté
serait donc possible dans ce système, une liberté acquise individuellement,
par la lutte de tous contre tous
L'individualisme dont ils se targuent est pourtant lui aussi, comme tous les
progrès, le produit d'un combat collectif. Les premiers défenseurs
de l'individualisme ont été des précurseurs de la Révolution
française, des progressistes qui, dès la naissance de la bourgeoisie,
à partir du XIIème siècle, ont défendu, souvent
à leurs dépens, le rôle de l'individu et plus généralement
de l'homme dans l'histoire, face aux tenants de la noblesse et de son ordre
divin.
De ces combattants, nous sommes aussi des héritiers. Les premiers à
comprendre l'action des hommes la comprirent d'abord sous l'angle des individus,
des " grands hommes ", enfermés dans une société
où les préjugés sociaux des classes dominantes -dont ils
faisaient partie- les rendaient incapables de voir le rôle des masses
dans les transformations historiques.
Lorsque la bourgeoisie est parvenue au pouvoir, elle a décrété
la fin de l'histoire, l'épanouissement de l'individu et de la liberté
en système capitaliste.
Marx poursuivit la courbe historique et montra qu'avec son avènement
et la Révolution française, de nouvelles inégalités
avaient été instaurées, et qu'elles engendreraient à
leur tour de nouvelles révolutions, dont les masses, avec à leur
tête des individus, des combattants de son camp, seraient les protagonistes.
Nous ne nions donc pas le rôle des individus dans l'histoire, nous le
revendiquons même. Mais il ne s'agit plus d'une histoire dont les masses
sont les victimes ou utilisées pour le compte d'autres classes exploiteuses,
comme ce fut le cas avec la bourgeoisie, mais d'une histoire dont elles sont
les acteurs, seules capables de débarrasser la société
capitaliste de la propriété privée et de son cortège
d'arriération.
Marx n'a fait que révéler le moteur de la société
actuelle, la lutte des classes, pour armer la conscience des opprimés,
pour leur donner une théorie d'action pour leur propre émancipation.
Pour les opprimés, se libérer, c'est lutter contre un système
qui leur permet juste de survivre, sans pouvoir développer toutes leurs
potentialités d'individus à part entière.
Cette théorie, à défaut de pouvoir être infirmée,
a souvent été caricaturée en s'appuyant sur des expériences
dites socialistes ou communistes. La dictature stalinienne et tous ses avatars
ont largement contribué à accréditer l'idée que
le communisme serait synonyme de totalitarisme, de négation complète
de l'individu et de sa personnalité derrière le parti, le régime
et son chef génial
C'est une vision que le courant trotskiste a toujours combattue. Le parti, regroupement
des opprimés que nous cherchons à construire, est un instrument
d'émancipation basé sur de tout autres rapports, conscients, démocratiques,
encourageant les opprimés à prendre toute leur place dans le combat
social.
Loin de nous toute idée de parti ou gouvernement monolithique. D'ores
et déjà, dans toute initiative, organe de lutte ou organisation
auxquels nous participons, nous faisons en sorte d'y mener les plus amples débats,
d'agir en toute démocratie, dans le respect des itinéraires de
chacun(e), des différents rythmes de conscience
Le parti participe de l'auto-organisation des travailleurs par eux-mêmes.
Mais
résolument socialistes et communistes !
Aujourd'hui, il n'y a pas besoin de chercher dans son imagination les bases
d'une société collective, comme le faisaient les premiers socialistes
utopiques ; elles existent et se développent sous nos yeux.
La science nous aide à comprendre de plus en plus notre nature humaine
sociale. Plus on étudie la génétique, plus il apparaît
que nous sommes partage ; chaque individu, s'il est unique, est le fruit de
plusieurs êtres, d'une éducation, qui est la plus longue de tous
les primates, faite de milliers de liens sociaux : nous sommes tout à
la fois nous et les autres, nos parents, nos proches, nos rencontres dans la
vie.
S'il existe donc une nature humaine, on peut dire qu'elle n'est pas ennemie
des autres mais sociale. L'espèce humaine en effet, n'a pu survivre puis
se développer dans des milieux hostiles que par l'action collective ;
individuellement, aucun homme n'aurait pu survivre, aussi intelligent eût-il
été.
Cette société de classe fait d'ailleurs tellement violence à
notre nature sociale qu'il en découle de nombreuses maladies psychiques,
en augmentation au fur et à mesure que le tissu social se désagrège.
En nous battant pour changer cette société, nous nous battons
aussi, égoïstement, pour retrouver individuellement l'équilibre
entre nous-mêmes, notre nature sociale et la nature en général.
La société est de plus en plus socialisée, de moins en
moins strictement individuelle. Plus personne ne peut dire, comme l'artisan
d'autrefois : " ceci est mon ouvrage ", à
l'ère des multinationales, de la tertiarisation, de la communication
ultrarapide et sans frontières
Il suffit de voir le mal que se
donnent les gouvernements pour instaurer la propriété sur des
biens aussi mobiles que les échanges sur Internet, preuve s'il en est
que le temps de la propriété privée est bien derrière
nous !
La production, la communication, les transports ne se conçoivent plus
qu'à une échelle planétaire. Le temps nécessaire
pour échanger, communiquer, s'instruire, se soigner a été
autant réduit en l'espace d'un siècle que la capacité pour
réaliser toutes ces potentialités a augmenté.
Seulement, l'appropriation privée de la source de tous ce biens par une
poignée de multinationales les dérobe au contrôle de la
collectivité, le seul à même de les gérer dans l'intérêt
du plus grand nombre.
C'est la compréhension de cette nécessité de renverser
le capitalisme qui est libératrice. C'est au XIXème siècle,
lorsque le capitalisme a commencé à se développer, qu'elle
est devenue le plus palpable, et il s'est donc trouvé un homme comme
Marx pour l'expliquer.
Combattre le capitalisme, cela ne signifie donc pas imaginer des utopies avec
des hommes différents de ce qu'ils sont. Ce n'est pas non plus décréter,
comme le font certains anarchistes, que chacun peut, par sa seule volonté,
être libre, indépendant des rapports de classe et d'oppression.
Cela signifie s'appuyer sur notre nature sociale et sur la classe qui souffre
en premier lieu de l'oppression capitaliste et qui a les moyens d'imposer le
contrôle de la collectivité sur les moyens de production, pour
construire une force consciente, capable de renverser le capitalisme, c'est-à-dire
libérer les forces productives du carcan de rapports sociaux basés
sur une appropriation individuelle de la vie et du travail de millions d'hommes
par une poignée de nantis.
Il serait utopique de croire que l'humanité parvenue au stade de développement
socialisé où nous nous trouvons, pourrait rester sous la domination
d'une poignée de patrons aux murs et à la mentalité
aussi moyenâgeuses que Zacharias (de Vinci) ou Forgeard (d'EADS), sans
qu'il y ait des explosions sociales profondes. Les crises économiques
avec leur cortège de destructions et de guerres sont une manifestation
de la révolte des forces productives trop grandes pour le carcan de la
propriété privée et des rapports sociaux bourgeois. Ces
crises et guerres, c'est la fraction la plus pauvre et la plus nombreuse de
l'humanité qui les paye, il y a donc urgence !
Pour
que le développement de chacun soit la condition du développement
de tous
Nous ne voulons pas continuer à subir une telle folie. Pour le monde
du travail, pour l'humanité, la liberté, c'est comprendre la marche
du monde, c'est s'associer dans la lutte pour maîtriser son destin, construire
une vie dans le respect des hommes comme de la nature.
Pour nous, cela signifie être partie prenante du combat libérateur
des opprimés pour la conquête de leur droit à jouir des
richesses qu'ils produisent, prendre conscience que cette lutte ne peut être
victorieuse que si elle liquide la propriété capitaliste, c'est-à-dire
s'émanciper ensemble par les méthodes de la lutte de classe. C'est
là que chacun de nous a un rôle à jouer en tant qu'individu.
De fait, l'individualisme le plus intelligent est altruisme.
La civilisation qui naîtra des ruines du capitalisme sur les bases d'abondance
de la société actuelle offrira à chacun la peine possibilité
de développer ses talents, ses aspirations. Débarrassée
des conflits de classe, elle laissera la place à de tout autres conflits,
basés sans doute sur l'émulation et non plus sur la compétition.
Le développement de chacun sera la condition du développement
de tous. L'individu et le groupe ne seront plus opposés comme le sont
en symétrie, dans l'économie capitaliste, la propriété
privée et la collectivité, mais ils s'associeront pour créer
de nouveaux rapports humains dont notre imagination encore trop dominée
par la société de classes a du mal à imaginer la richesse.
Sophie
Candela