Débatmilitant | ||||||||||
Lettre publiée par des militants de la LCR |
n°120
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28
septembre 2006
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Sommaire : | ||||||||||
Italie : Le Parti de la refondation communiste, bilan d'un " parti anticapitaliste large " | ||||||||||
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Italie
: Le
Parti de la refondation communiste,
bilan d'un " parti anticapitaliste large "
Le
Parti de la refondation communiste est désormais au gouvernement. Après
le Brésil, l'expérience n'est évidemment pas anodine pour
les révolutionnaires. Cela nous impose au minimum de réfléchir
aux problèmes que pose la construction d'un parti large, certes anticapitaliste
(ou qui se prétend tel), mais avec des courants qui sont loin d'avoir
rompu avec les idées et surtout avec les pratiques du réformisme.
Cela ne veut pas nécessairement dire qu'il n'y avait rien à faire
avec le Parti de la refondation communiste. Mais à chaque étape,
depuis sa création en 1991, il y a eu des évolutions et des enjeux
qui méritent aujourd'hui d'être rediscutés. La discussion
sur le parti à construire n'est pas abstraite. Elle se nourrit aussi
de ces expériences dont il faut faire aujourd'hui le bilan. Ce bilan
est d'autant plus nécessaire que les ambiguïtés qui sont
au cur des discussions, ici, sur les candidatures unitaires, renvoient
aux mêmes problèmes que ceux que soulève l'expérience
italienne.
1991
: un projet de refondation qui mêle réformistes et révolutionnaires
Le Parti de la refondation communiste est né d'un abandon et d'un recul,
lorsque la majorité du Parti communiste italien a décidé
d'abandonner l'étiquette " communiste " en février
1991 au Congrès de Rimini.
Le contexte était celui de la fin de la guerre froide, qui amenait inévitablement
l'ensemble du mouvement ouvrier à se redéfinir. Mais la fin de
l'URSS n'explique qu'en partie la transformation du PCI en " Parti
démocrate de gauche ". Plus que tout autre parti stalinien,
la politique du PCI était en effet et depuis longtemps fondamentalement
déterminée par son intégration dans les mécanismes
institutionnels de la société bourgeoise italienne plutôt
que par les intérêts de la bureaucratie en URSS. Mais, paradoxalement,
il continuait à être exclu du gouvernement.
La crise du Parti socialiste en Italie au cours des années 1960 avait
placé le PCI d'Enrico Berlinguer dans une situation presque hégémonique
à gauche. Mais c'était aussi un handicap qui ne manquait pas d'inquiéter
la bourgeoisie. Car malgré tous les gages idéologiques qu'il voulait
bien donner, ce parti restait malgré tout un peu différent des
autres, en conservant notamment toutes sortes de liens privilégiés
avec la classe ouvrière, et donc une certaine sensibilité à
ses préoccupations et à ses révoltes, bien peu compatible
avec l'exercice de " responsabilités " ministérielles.
Bien au-delà de la seule référence au " communisme ",
la rupture voulue par Achille Occhetto avec ce passé fut suffisamment
déterminée pour lui ouvrir enfin les portes du pouvoir.
Elle provoqua en même temps une réaction assez particulière
au sein des milieux militants se réclamant encore du communisme. D'abord
au sein du PCI, avec le refus d'une minorité importante de rejoindre
le nouveau parti : ce fut la création du Mouvement de la refondation
communiste qui devint au congrès de décembre 1991 le Parti de
la refondation communiste. Ensuite au sein de l'extrême gauche, puisque
celle-ci renonça à toute existence indépendante pour se
fondre dans ce nouveau parti.
Du côté de l'extrême-gauche, la LCR (section italienne du
Secrétariat unifié) avait déjà choisi une première
fois de se dissoudre pour entrer en 1989 dans une organisation plus large :
Démocratie Prolétarienne. Son entrée dans le Mouvement
de la Refondation Communiste en 1991 raviva immédiatement quelques débats
sur la manière de défendre certains acquis du programme révolutionnaire,
tout en laissant bien des questions sans réponse.
S'agissait-il d'essayer d'influencer les dirigeants de la Refondation communiste
et d'infléchir leur langage, en pensant qu'à terme il serait possible
de les gagner à une nouvelle perspective communiste et révolutionnaire ?
Où s'agissait-il de ne cultiver aucune illusion à leur égard,
tout en essayant de profiter de l'occasion pour renouer avec une base ouvrière
et combative se réclamant du communisme, après des dizaines d'années
de méfiance engendrée par le stalinisme ?
Essayer de gagner des milliers de militants à une véritable politique
révolutionnaire est déjà une gageure. Mais prétendre
faire basculer un appareil (même affaibli) et sa direction pourtant marqués
par des dizaines d'années de renoncement et même de trahison des
perspectives révolutionnaires est encore une autre affaire
Ce qui
ne manqua pas de se vérifier, somme toute assez rapidement.
1994
: le retour précoce à une logique institutionnelle
A ses débuts, le PRC était loin d'être un parti négligeable
puisqu'il comptait près de 100 000 adhérents. On y trouvait une
grande partie de la base militante et ouvrière de l'ancien PCI comme
de la CGIL (l'équivalent de la CGT en Italie), avec un avantage non négligeable
: le poids de l'appareil était beaucoup plus faible que celui de l'ancien
PCI, et ses liens avec la bureaucratie syndicale étaient plus distendus
(sur 16 000 permanents syndicaux de la CGIL, 470 seulement avaient alors rejoint
le PRC).
Dans un contexte de recul du mouvement ouvrier, et malgré l'échec
du prétendu " socialisme " dans les pays de l'Est,
le PRC apparut d'emblée comme le parti de celles et ceux qui, en se réclamant
toujours du communisme, ne se résignaient pas à accepter le capitalisme
comme inéluctable et maintenaient une orientation " lutte de
classe ".
Par contre, la direction mise en place autour d'Armando Cossutta et Sergio Garavini
ne laissait guère de doutes sur ses intentions réelles.
Significative fut sa manière, dès le début, de cultiver
l'ambiguïté autour du communisme à refonder : retour
à Togliatti, à Gramsci, à Bordiga, ou " dépassement "
du marxisme ? D'emblée cette ambiguïté semblait devoir être
maintenue le plus longtemps possible, ce qui permettait d'être attrape-tout
sans jamais vraiment se définir entre réforme et révolution.
La clarification concernant les orientations et le programme du parti fut sans
cesse renvoyée aux calendes grecques. Trois ans après, c'était
même la panne sèche, comme le soulignait Livio Maitan dans un article
publié dans Inprecor en avril 1994 : " (
) le
bilan de ses trois années d'existence comporte un élément
négatif qu'en principe personne ne nie : l'entreprise de refondation
programmatique, politique et même organisationnelle n'a guère été
réalisée. En fait, elle n'a même pas été entamée ".
Or il y avait, en particulier sur le terrain des élections, des échéances
qui ne permettaient guère de cultiver indéfiniment l'ambiguïté.
L'adoption d'un système électoral majoritaire à cette époque
opéra une pression en vue de regroupements électoraux. Mais le
PRC ne s'est pas contenté de céder à cette pression. Il
est allé beaucoup plus loin. Au cours de son congrès en janvier
1994, la direction du parti (animée désormais par Fausto Bertinotti
aux côtés d'Armendo Cossutta) prit un véritable tournant
(si tant est qu'on puisse parler de " tournant " dans la
mesure où cette question comme d'autres avait été laissée
soigneusement dans le flou) en choisissant de défendre la perspective
d'une participation gouvernementale.
Pour les militants révolutionnaires au sein du PRC, c'était une
épreuve de vérité un peu brutale. Ils ont pu se rassurer
en se disant que le succès relatif des motions d'opposition (autour de
20 %) témoignait au moins du fait que l'orientation prise par la direction
du PRC ne passait pas si facilement auprès de ses adhérents. Mais
cela donnait déjà une indication sérieuse sur l'état
du parti, après trois années qui auraient dû marquer, selon
certains, une rupture à gauche.
1998
: la scission du PdCI ne tranche pas plus l'ambiguïté
La victoire électorale de Berlusconi permit finalement de repousser de
deux ans les échéances.
En 1996 un nouveau regroupement électoral vit le jour (" l'Olivier "),
situé encore plus nettement au centre avec Romano Prodi. Cette fois,
le PRC décida de maintenir au moins formellement son indépendance
politique en faisant campagne sur son propre programme des " cent
jours ", tout en passant un accord de désistement avec cette
coalition électorale. Mais il n'échappa pas à la logique
d'une coalition parlementaire. Le PRC comptait désormais 35 députés
et 8,6 % des voix (au lieu de 6 % en 1994). Il devenait, à
sa façon, incontournable.
La direction du PRC décida un soutien sans participation au gouvernement
Prodi. Cela dura d'avril 1996 à novembre 1998. Pendant deux ans et demi,
le premier gouvernement Prodi mena une politique d'austérité particulièrement
dure au nom de l'entrée de l'Italie dans la monnaie unique. La mise en
cause du système de protection sociale et des dispositions protectrices
dans le code du travail connut une notable accélération. Mais
Prodi bénéficia d'une paix sociale exceptionnelle grâce
à la collaboration des appareils syndicaux.
Pendant deux ans et demi, la direction du PRC mena de son côté
une politique d'avocat parlementaire de la classe ouvrière, menaçant
de temps en temps de ne pas voter telle ou telle loi, ou même le budget,
tout en accréditant l'idée que ce gouvernement, grâce à
cette action parlementaire, allait quand même dans le bon sens.
Cette politique -dans un contexte où il y avait très peu de luttes-
accéléra une transformation non négligeable du parti :
on assista à une véritable désaffection militante, l'activité
des cercles locaux se réduisant souvent à peu de choses, au profit
de l'activité de ses représentants dans les institutions locales,
régionales ou nationales. Ces derniers finirent par contester les choix
de Bertinotti. Ils lui reprochaient de jouer avec le feu, trouvant irresponsable
de provoquer des crises à répétition, certes soigneusement
mises en scènes, mais qui pouvaient finir par mettre en péril
le gouvernement, provoquer de nouvelles élections et menacer la survie
électorale du PRC.
Le choix de Bertinotti d'aller jusqu'à la rupture en novembre 1998 contre
cette minorité (mais une majorité au sein du groupe parlementaire)
ne partait pas de prémisses différentes. Mais il en tirait d'autres
conclusions. Les résultats catastrophiques des élections municipales
de 1997 laissaient entrevoir que le PRC apparaissait surtout comme un appendice
de la coalition au pouvoir (en particulier le parti des Démocrates de
gauche, ex-communistes). Continuer plus longtemps à soutenir le gouvernement,
c'était prendre le risque de ressembler au PCF qui, après avoir
lié son sort au PS, avait fini par se discréditer complètement.
Cela impliquait donc la rupture avec le gouvernement Prodi, au moins temporairement.
La majorité des députés du PRC organisèrent avec
Cossutta une véritable scission, en créant le Parti des Communistes
Italiens (PdCI).
De son côté, Bertinotti fit tout pour essayer de tourner la page
et retrouva vite un langage de gauche. Mais les perspectives restaient les mêmes.
C'est ainsi qu'au congrès de Rimini en mars 1999, Bertinotti donna cet
argument pour expliquer son soutien au gouvernement Prodi pendant plus de deux
ans : " Si nous n'avions pas choisi de faire naître
le gouvernement Prodi, après la victoire face à la droite de Berlusconi
et Fini, et donc si nous avions ôté la possibilité d'essayer
de gouverner, nous aurions été balayés de la politique
italienne, réduits à un petit groupe extrémiste ".
Pour exister, selon lui, il n'y avait donc pas d'autre solution que de se couler
dans le moule des institutions, avec ses inévitables contraintes. Quitte
à faire une cure d'opposition, de temps en temps, pour retrouver des
forces ! La politique classique que le PCF avait déjà expérimentée
depuis longtemps.
En 1998, les camarades italiens emmenés par Livio Maitan (autour de la
revue Bandiera rossa) avaient déjà eu l'occasion de faire front
commun avec Bertinotti dans la lutte contre Cossuta. En 1999, ils choisirent
de rallier officiellement la majorité. Du coup, l'autre tendance trotskyste
animée par Marco Ferrando et Franco Grisolia se retrouva de fait la seule
opposition. Leur motion " Pour un projet communiste "
recueillit au total 16 % des suffrages militants, soit 5 400 voix
sur 34 800 votants.
La justification pour Livio Maitan et ses camarades était que le parti,
en échappant (in extremis) à l'attirance du centre-gauche, avait
franchi un pas décisif. Cela justifiait selon eux d'intégrer la
majorité car c'était une décantation politique très
importante. On peut néanmoins se demander ce qui reste dans ces conditions
de la lutte pour un parti ouvrier révolutionnaire indépendant,
qui exige bien d'autres combats et bien d'autres vérifications, si l'on
se contente de ce critère pour rallier et construire une même majorité
avec des réformistes.
2002 :
un " tournant à gauche " ?
Dans l'immédiat, l'heure était malgré tout à l'euphorie
et à l'apparence de radicalité. La situation de fait avait commencé
à changer, maintenant que la droite était à nouveau au
pouvoir, avec une reprise des luttes que stimulait également le mouvement
altermondialiste. Au congrès d'avril 2002, Bertinotti expliqua qu'il
fallait opérer un véritable " tournant à gauche ".
L'heure était à la " transformation de la société
capitaliste " et à la célébration du " mouvement
des mouvements " qui venait de trouver son acmé dans les
manifestations de Gènes en juillet 2001.
Pourtant, les perspectives restaient volontairement obscures. Ainsi, la discussion
autour de la refondation communiste qui avait été laissée
dans le vague et remise à plus tard, volontairement, était désormais
au centre des nouvelles préoccupations, mais ce n'était guère
plus clair. Dans une sorte de fuite en avant, la volonté était
manifeste de produire l'illusion que tout était nouveau, avec de " nouveaux
mouvements ", dans une " nouvelle période ".
Une manière d'abandonner au passage certaines références
liées au communisme et au bolchevisme, qui ont certes l'inconvénient
d'appartenir au passé mais l'avantage d'exprimer une certaine clarté
au niveau des choix politiques.
Malgré l'emphase souvent confuse, mais d'allure radicale, les perspectives
du parti se limitaient comme avant à retrouver un rapport de force électoral
et à faire " l'unité des forces démocratiques ".
Pas question d'abandonner les perspectives gouvernementales. Mais l'enrobage
avait changé, puisque le prétexte désormais était
de " porter dans les institutions le vent des mouvements qui traversent
le pays ". Une nouveauté, en effet !
Ce qui frappe également, c'est l'attitude vis-à-vis du mouvement
ouvrier à un moment où renaissent un certain nombre de luttes
significatives (notamment contre la suppression de l'article 18 du Statut des
travailleurs qui protégeait ceux-ci contre les licenciements abusifs).
Le parti oscilla rapidement entre une injonction adressée au mouvement
syndical à se fondre dans le " mouvement des mouvements "
qui pourtant ne s'y intéressait guère, et la volonté affichée
de porter sur le plan institutionnel les revendications, notamment au travers
de référendums. Mais il ne développa aucune politique alternative
à celle des directions syndicales qui se contentaient comme ailleurs
d'organiser de grandes journées symboliques très réussies,
mais sans volonté de s'en servir pour affronter réellement le
gouvernement et le patronat.
Mener la discussion politique au sein du PRC, du moins d'un point de vue révolutionnaire,
devint en même temps paradoxalement plus difficile, même si les
arguments à priori n'auraient pas dû manquer pour critiquer l'inconséquence
de ce prétendu " tournant à gauche " (à
condition d'en être soi même convaincus, ce qui n'était pas
forcément le cas parmi nos camarades animant avec Livio Maitan la revue
Bandiera rossa !). Le milieu militant, souvent ouvrier, qui
avait participé à la fondation du PRC en opposition à la
dérive social-démocrate du PCI, avait en grande partie disparu,
l'expérience gouvernementale des années précédentes
ayant fait de ce point de vue pas mal de dégâts. Désormais,
le parti s'était rajeuni mais avec une rotation importante des effectifs,
avec beaucoup de nouveaux adhérents sans grandes références
politiques, vite happés par le verbalisme confus et d'apparence radicale
de Rifondazione. Ce qui facilitait bien d'autres retournements.
2006 :
les révolutionnaires au pied du mur
L'approche des élections en 2004 modifia à nouveau le climat dans
le parti et remit les pendules à l'heure, comme il fallait sans doute
s'y attendre.
Une nouvelle coalition de centre-gauche vit le jour : " l'Union ".
Mais cette fois, Romano Prodi prit toutes les précautions pour ne plus
être inquiété sur sa gauche, comme il l'avait été
en 1998. Un système des primaires fut mis en place en octobre 2005 :
les électeurs de gauche étaient invités à exprimer
leur préférence parmi les différents partis et candidats,
mais la condition pour voter était de commencer par signer une déclaration
de soutien au programme de l'Union
dont le rédacteur presque exclusif
était Prodi lui-même !
Bertinotti y est allé bien sûr de ses rodomontades : votez
pour le PRC, et vous allez voir ce que vous allez voir, le parti pourra quand
même négocier par la suite de " grandes réformes
de rupture avec le cycle néo-libéral ". Evidemment,
depuis, rien n'a été sérieusement discuté.
Prodi ne s'est pas contenté d'exiger une soumission à priori à
son programme libéral. Il s'est donné des assurances pour qu'au
sein du PRC il n'y ait plus la tentation, comme en 1998, de lâcher en
plein vol son gouvernement : non seulement le PRC a dû s'engager
à participer au gouvernement (plus question d'un soutien extérieur),
mais les pressions ont été telles que la majorité de Rifondazione
a commencé à faire sérieusement le ménage contre
ses opposants, notamment le courant Progetto comunista.
C'est au congrès de 2005 que nos camarades liés au SU ont choisi
de revenir dans l'opposition, en animant une nouvelle tendance : la Gauche
critique. Leur motion, opposée à une participation gouvernementale
et favorable uniquement à un accord " technique "
de désistement dans les élections, a obtenu 6,5 % des voix.
De son côté, celle de Progetto comunista a fait le même score
(ces militants ont choisi depuis de quitter Rifundazione). D'autres motions
ont aussi exprimé une opposition à l'entrée au gouvernement,
mais sur des bases très confuses (puisque la motion des " néo-togliattiens ",
qui a recueilli près de 25 %, des voix s'est presque aussitôt
ralliée à la majorité
). Au total, près de
41 % des votants ont quand même exprimé d'une manière
ou d'une autre une certaine défiance.
La Gauche critique a désormais un député et deux sénateurs,
mais elle occupe de fait une place charnière dans les institutions puisque
la majorité au Sénat en faveur de Prodi est de deux voix seulement !
Pour ne pas prendre la responsabilité de faire tomber le nouveau gouvernement
à peine élu après la chute de Berlusconi, ces camarades
ont choisi de voter la confiance à Prodi en même temps qu'ils ont
accordé pour six mois les crédits nécessaires à
l'intervention de l'armée italienne en Afghanistan. Le refus de cette
politique impérialiste était pourtant au cur de l'intervention
du Parti de la refondation communiste, mais cela n'a pas provoqué plus
de remous, du moins parmi les élus. Les deux camarades de la Gauche critique
ont indiqué qu'ils ne renouvelleraient pas ce vote (puisque la question
du vote des crédits revient tous les six mois). Leur exclusion du parti
est donc désormais une possibilité.
Construire
un parti avec quelle délimitation ?
Au-delà des péripéties et de la manière dont ces
camarades mèneront cette bataille politique, au pied du mur, il y a à
l'évidence deux interrogations d'une portée plus générale
qui interpellent les révolutionnaires où qu'ils soient.
La rupture avec le parti de Bertinotti n'est évidemment pas une démarche
facile, pas tant parce qu'elle pourrait être violemment critiquée
dans le monde du travail (les travailleurs ont déjà eu le temps
de perdre une bonne partie de leurs illusions au cours de l'expérience
gouvernementale précédente), mais parce qu'il n'est jamais simple
de quitter un grand parti pour reconstruire un autre à côté,
dans des conditions beaucoup plus difficiles. Mais faut-il le regretter ?
Faut-il y aller à reculons, sous la pression d'un appareil qui exige
notamment le respect de la discipline parlementaire ? Ou faut-il y voir
désormais une absolue nécessité d'un point de vue politique,
parce qu'il n'est plus possible de laisser le monde du travail entièrement
désarmé face aux attaques du patronat et du gouvernement, dans
la mesure où même les organisations syndicales et même les
partis les plus à gauche sont entièrement liés au gouvernement ?
Poser la question est déjà y répondre. C'est bien un combat
vital qui va s'engager dans les mois qui viennent, pour préserver ou
reconstruire une indépendance de classe, et c'est la chose la plus importante,
quelles que soient les difficultés. Les révolutionnaires ne peuvent,
de quelque façon que ce soit, apporter leur soutien à une politique
de collaboration de classe.
Cette expérience au sein de Rifondazione est un bilan riche en enseignement.
Elle ne pose pas seulement la question de la viabilité à long
terme d'un parti anticapitaliste large, dans lequel se retrouveraient des révolutionnaires
et des réformistes. Elle pose de manière beaucoup plus précise
la question des délimitations.
A l'évidence, la démarcation ne peut pas être uniquement
un engagement à ne pas participer à un gouvernement bourgeois.
Rifondazione a rompu in extremis avec le gouvernement Prodi en 1998 (après
l'avoir soutenu pendant deux ans), mais il a récidivé quelques
années après, en pire. A l'évidence, une délimitation
ne se construit pas seulement par défaut, Il faut aussi s'expliquer davantage.
Un parti est fait pour gouverner, mais dans quel genre de gouvernement faut-il
aller ? Faire la distinction entre des politiques libérales et des politiques
antilibérales n'est évidemment pas suffisant : chacun sait
qu'une politique antilibérale conséquente signifierait inévitablement
une confrontation avec le capitalisme et avec la classe possédante, en
mettant en cause son droit de propriété et son droit de contrôle
sur les institutions, ce qui ne pourra se faire qu'avec la mobilisation de millions
de travailleurs.
Un gouvernement réellement anticapitaliste ne pourra pas tenir longtemps
dans le cadre des institutions bourgeoises. Il lui faudra choisir rapidement
entre la voie la voie du renoncement face au sabotage patronal, et la voie de
la confrontation, et donc de la rupture avec le capitalisme et ses institutions.
C'est la raison pour laquelle un parti anticapitaliste conséquent ne
peut pas laisser en suspend la question des délimitations stratégiques.
Un parti est fait pour gouverner et si gouverner exige la rupture, le choix
entre réforme et révolution ne peut être éludé
dans son programme. Il doit l'anticiper et le dire clairement. Ou sinon, c'est
qu'il a déjà choisi une autre voie. On l'a vu récemment
au Brésil et maintenant en Italie.
Jean-François
CABRAL