Débatmilitant
Lettre publiée par des militants de la LCR
n°124
27 octobre 2006

Sommaire :
Les militants du PCF à l'heure des choix : unité avec le PS ou unité anticapitaliste ?


Les militants du PCF à l'heure des choix :
unité avec le PS ou unité anticapitaliste ?

 

Les 800 délégués à la conférence nationale du Parti communiste, réunie les 21 et 22 octobre à Villejuif, ont confirmé à plus de 80 % des voix l'orientation de la direction du PCF visant à " proposer " aux " collectifs unitaires " créés dans la foulée de la victoire du 29 mai la " candidature de rassemblement " de Marie-George Buffet.
L'issue de la consultation des 10 et 11 novembre ne laisse planer aucun doute. L'aspiration unitaire sur laquelle la secrétaire nationale mise l'emporte à la base du parti comme au sein de l'appareil. Le choix d'une candidature " communiste " défendu par ses opposants apparaît comme un repli identitaire au moment même où se discutent la nécessité de s'unir et les bases politiques et programmatiques de l'unité. La " candidature de rassemblement " de Buffet devrait l'emporter haut la main sur celles de ses rivaux " orthodoxes ", une fois de plus divisés.
Mais cette consultation interne occulte le débat essentiel auquel les militants communistes comme tous les autres au sein des " collectifs unitaires " et au-delà sont confrontés : unité avec le PS ou unité anticapitaliste, ralliement au social-libéralisme ou rupture révolutionnaire ?

Le précédent de 2004
Depuis la fête de L'Humanité mi-septembre, la secrétaire nationale du PCF ne manque aucune occasion de réaffirmer et sa " disponibilité " et son " envie d'y aller " ; les pages du quotidien communiste ne désemplissent pas d'articles vantant les mérites d'une candidature Buffet élargie aux courants antilibéraux. La numéro 1 du parti communiste sera en compétition mi-novembre au sein des collectifs unitaires pour porter en 2007 les couleurs des antilibéraux. Et la direction du PCF n'envisage pas qu'elle puisse ne pas être investie les 9 et 10 décembre par les " collectifs unitaires "…
L'appareil communiste pèse de tout son poids pour que la candidature Buffet s'impose mi-décembre face à la dizaine de prétendants déjà enregistrés -José Bové, Clémentine Autain, Patrick Braouezec, Yves Salesse, etc.-, et la multiplication ces dernières semaines des créations de comités annonce à n'en pas douter une forte implication des militants du PCF dans le choix final…
Cela peut être l'occasion d'une véritable confrontation, dépassant les querelles que la personnalisation propre à la campagne présidentielle entretient, de débattre largement des bases d'un rassemblement antilibéral conséquent, en rupture avec le social-libéralisme comme avec l'ensemble des politiques que la gauche gouvernementale défend et met en œuvre depuis 25 ans.
L'entourage de Buffet mise sur le ralliement de Bové, Salesse et Autain.
En 2004 lors des Régionales, Buffet et son équipe avaient élargi les listes communistes, pas seulement à des personnalités comme Robert Hue l'avait fait lors des élections européennes en 1999 avec la liste " Bouge l'Europe ", mais à des courants issus de la " gauche de la gauche ". Le mécano mis en place en Ile-de-France en 2004 mettait au second plan le logo du PCF au profit de celui de la Gauche populaire et citoyenne, tout en assurant aux communistes le premier rôle, évidemment.
Et la secrétaire nationale du Parti communiste entend logiquement poursuivre l'orientation qu'elle a inaugurée alors en Ile-de-France en s'alliant avec des secteurs de cette " gauche radicale " ralliée aujourd'hui à la tête de la région aux sociaux-libéraux qu'elle vilipendait pourtant la veille encore et que cette " gauche de la gauche " dénonce toujours aujourd'hui dans ses textes malgré son implication dans l'exécutif régional au côté de Jean-Paul Huchon -ou comme Clémentine Autain adjointe à la jeunesse au maire de Paris Bertrand Delanoë depuis 2001.
Le PCF doit encore imposer Buffet en 2007 -et il s'en donne les moyens. En revanche, la direction communiste a déjà fait avaliser sa politique à ses alliés. C'est ce dont témoigne le document adopté par la réunion des collectifs annonçant sa disponibilité pour une nouvelle expérience gouvernementale avec des socialistes débarrassés de leur orientation social-libérale. Tout un programme !
Mais le débat reste ouvert… Et c'est tout l'enjeu des prochaines semaines de clarifier les positions des uns et des autres, de discuter du grand écart permanent entre les discours contre le social-libéralisme et le ralliement dans les faits à la politique du PS. L'élection municipale de Bordeaux où communistes et socialistes faisaient liste commune au premier tour en témoigne.

Haro contre l'extrême gauche
Marie-George Buffet le répète depuis le soir de la victoire du non au référendum, elle milite pour rassembler toute la gauche, et dans ce combat " unitaire ", elle dénonce tous ceux qui, à l'instar de la LCR, " divisent " en réclamant la clarification sur les alliances avec les sociaux-libéraux. Lors de son intervention de clôture de la conférence nationale du PCF la semaine dernière, elle l'a martelé : " Oui nous pouvons être majoritaires parce que nous ne mettons pas de limites a priori aux contours du rassemblement. Nous ne sommes pas la gauche de la gauche. Nous ne sommes pas dans un discours sur les deux gauches. Nous voulons, et c'est quand même plus ambitieux changer toute la gauche, pour être majoritaire ! "
C'est là tout le désaccord. Et c'est précisément de cela qu'il convient de discuter.
Buffet est explicite pour 2007 : " […] si la gauche rompt avec le libéralisme, cela peut déboucher sur un gouvernement de toute la gauche. Je ne suis pas frileuse pour participer à un gouvernement qui réponde aux attentes du monde du travail. " Elle est tellement peu " frileuse " que le PCF a d'ores et déjà engagé des négociations avec le PS, et ce malgré l'orientation social-libérale du parti de François Hollande, confirmée au congrès du Mans fin 2005 où la synthèse a mêlé tenants du " oui " et partisans du " non " lors du référendum sur le TCE…
En résumé, Place du Colonel Fabien, on repousse l'idée d'un contrat de gouvernement avec les formations de l'ex-gauche plurielle avant le premier tour des élections législatives fixés au 10 juin 2007 ; on accepte, en revanche, côté communiste, de débattre, dès maintenant, des conditions d'un accord programmatique avec le PS une fois connu le rapport des forces au soir du deuxième tour, le 17 juin 2007. CQFD !
Le clivage sur le deuxième tour est un concentré du gouffre séparant l'orientation de l'équipe Buffet de celle de la LCR. Sous couvert de battre la droite, le PCF et " la gauche de la gauche " s'engagent derrière la gauche social-libérale, comme si l'expérience depuis 1981 ne démontrait pas que cette gauche qu'incarne depuis 25 ans l'alliance PS-PCF nourrissait la désespérance sociale et les victoires de la droite.
La perspective de l'extrême gauche est aux antipodes. Il ne s'agit nullement pour elle d'empêcher la défaite de Chirac, Sarkozy et Villepin. Elle ne confond simplement pas la défaite électorale de l'UMP, et la victoire contre leur politique, encore moins après l'expérience gouvernementale à laquelle Buffet, et derrière elle le PCF, a participé entre 1997 et 2002 : le gouvernement Jospin a privatisé plus d'entreprises que ses deux prédécesseurs de droite réunis. Et ce ne sont pas les politiques à l'œuvre dans les régions ou les mairies où perdurent les majorités PS, PCF, Verts et Alternatifs, qui indiquent que depuis la déconvenue de la gauche plurielle en 2002 les choses auraient changé !

Le besoin d'unité
À la veille de l'élection présidentielle de 2002, la LCR avait majoritairement adopté la perspective d'une campagne unitaire des révolutionnaires autour de la candidature d'Arlette Laguiller qui représentait alors, à une large échelle, la rupture engagée au sein de la classe ouvrière depuis 1995 avec la gauche gouvernementale, estampillée PS ou PCF. Cette disponibilité n'eut pas de suite. Trois candidats trotskystes étaient en lice en avril 2002.
Les scores réalisés alors, le seuil de 10 % des voix étant franchi, exprimaient la profondeur de cette rupture avec les expériences répétées de gouvernements sociaux-libéraux avec participation de ministres communistes, comme entre 1997 et 2002, ou avec le soutien des députés PCF à l'Assemblée nationale. Mais la division des rangs d'extrême gauche a empêché que cet élan s'exprime pleinement, notamment qu'il puisse déboucher sur l'émergence d'une force nouvelle, ce parti des luttes, ouvrier et populaire, qui fait tant défaut et dont le mouvement de novembre-décembre 1995 avait révélé le criant besoin.
La question reste ouverte.
L'orientation du PCF et l'épreuve de force dans les comités unitaires contre la politique des révolutionnaires visent à détourner la dynamique de la victoire du " non " qui avait permis au monde du travail de reprendre confiance par les urnes dans sa capacité de mobilisation et à dévoyer la légitime aspiration à l'unité dans une union avec les sociaux-libéraux sous couvert d'une inversion du rapport de force à gauche.
Dans les comités, et au-delà, la LCR porte une perspective opposée. Elle la soumet au débat.
Loin des petits calculs et manœuvres, les élections présidentielles de 2007 devraient être l'occasion de surmonter les divisions, à commencer entre révolutionnaires : faire valoir ce qui rassemble la LCR, Lutte ouvrière -un programme d'urgence pour les luttes et une indépendance de classe vis-à-vis de toute mouture d'union de la gauche- plutôt que d'insister sur les éléments qui les séparent.
Chacun est face à ses responsabilités.
Il est clair que face à la nouvelle mouture de l'union de la gauche qui est en train de se mettre en place, l'unité des anticapitalistes est une nécessité.
Elle s'affirme depuis 1995 en rupture avec la gauche gouvernementale et a devant elle une nouvelle étape. En militant d'abord pour un parti des luttes défendant en toute indépendance les exigences des classes populaires, en popularisant ensuite un programme de mesures d'urgence sociale et démocratiques, outil pour les luttes du moment et celles à venir, et ce quel que soit le gouvernement qui sortira des prochaines échéances électorales et des futures combinaisons parlementaires.

Serge Godard