Débatmilitant
Lettre publiée par des militants de la LCR
n°127
16 novembre 2006

Sommaire :
Rassemblement antilibéral ou rassemblement anticapitaliste
Défaite des Républicains aux élections américaines de mi-mandat - L'union sacrée des lendemains du 11 Septembre mise à mal
Bolivie : l'anti-impérialisme de Morales à l'épreuve des faits


Rassemblement antilibéral ou rassemblement anticapitaliste

"Marie-George Buffet plébiscitée " titrait l'article de l'Huma rendant compte du vote des militants du Parti communiste " pour choisir une stratégie et une candidature pour l'élection présidentielle de 2007 ".
Les communistes approuvent la stratégie unitaire pour 2007. […]" Quelque 57 669 militants se sont donc prononcés pour que " le Parti communiste propose Marie-George Buffet comme candidate du rassemblement antilibéral de gauche à l'élection présidentielle ". L'article cite Michel Laurent, " c'est un Parti communiste rassemblé et mobilisé qui met au service du rassemblement sa force militante et son engagement […] ce choix démocratique est un formidable atout pour battre la droite et faire gagner la gauche populaire et citoyenne ". Les dirigeants du PC espèrent bien ainsi pouvoir créer un consensus au sein des collectifs unitaires qui se réunissent le10 décembre pour décider de leur candidat.
L'affaire est cependant loin d'être jouée. D'abord parce que le PC, seule force réelle au sein des collectifs, a été contraint par la faiblesse de sa position politique de se mettre à égalité avec des courants et des personnalités auxquels il a ainsi donné un poids sans rapport avec leur réelle influence. Ensuite parce qu'il y a parmi les militants du PC une forte défiance non seulement vis-à-vis des logiques d'appareil mais vis-à-vis de leur propre appareil, défiance que l'on comprend fort bien.
Il n'est pas dit que le PC ne se soit pas pris à son propre piége. Confiant dans la force de son appareil, de ses 12 000 élus, il a pratiqué une politique destinée à lui donner une image nouvelle, ouverte, porteuse d'une dynamique populaire qui serait issue de la victoire du non le 29 mai, sinon en rupture du moins en opposition au PS. Pour cela il a donné un rôle et une place à des personnalités et des courants qui, aujourd'hui, formulent des exigences dont la disproportion avec leur propre influence est proportionnelle à la crise politique que connaît le PC. Il s'est mis lui-même en difficulté et placé, probablement, devant la responsabilité soit d'imposer Marie George Buffet au risque de faire exploser les collectifs soit de composer pour laisser la première place à Yves Salesse ou Clémentine Autain.
Notre propos n'est pas de faire des pronostics d'autant que, quant au fond, la question du nom du candidat du rassemblement des antilibéraux est parfaitement secondaire.
La question qui intéresse les militants et les travailleurs est celle de l'orientation politique défendue par l'ensemble des composantes des collectifs, celle que défend Marie George Buffet. " Nous sommes en train de révolutionner la gauche comme nous l'avions décidé il y a trois ans, déclarait-elle récemment. Ce défi, nous voulons le relever dès 2007 parce qu'il y a urgence à rompre avec toutes les politiques libérales. […] Tout d'abord, en battant cette droite qui n'est pas digne de la République. Au deuxième tour, quel que soit le candidat - et je souhaite que ce soit le candidat antilibéral -, il faudra se rassembler avec force pour faire barrage à Sarkozy durablement. […] Nous sommes en train de bâtir cette gauche. Nous étions la majorité le 29 mai 2005. Nous étions la majorité contre le CPE. Pourquoi ne serions-nous pas la majorité politique ? "
Le non-dit de cette argumentation est le plus important, le non-dit mais néanmoins fortement sous-entendu… Comment faire une majorité politique pour faire barrage à Sarkozy durablement, c'est-à-dire aller au gouvernement, sans accord avec le PS, sans refaire une nouvelle union de la gauche ? Et cela quel que soit le candidat du rassemblement antilibéral ou… celui du PS que nos lecteurs connaîtront peut-être à l'heure où ils nous liront.
La politique du PC et des collectifs, toutes composantes confondues, est marquée du sceau de la duplicité. On dit vouloir mettre en œuvre un rassemblement antilibéral en rupture avec toutes les politiques libérales en tirant les leçons des échecs passés pour, en fait, recommencer la même politique d'union de la gauche sous un autre nom.
Or la principale leçon des échecs passés, c'est bien qu'il n'est pas possible de mettre en échec les politiques libérales sans s'attaquer à la logique même du capitalisme, à la politique du patronat et des classes privilégiées par les mobilisations et l'organisation des travailleurs, des classes populaires. Même si la ou le candidat du rassemblement anti-libéral, qu'importe qui il sera, revenait au rapport de force de 1981 entre le PC et le PS, ce qui est peu probable, ce serait le PS qui, sur le plan parlementaire lui dicterait ses volontés comme il le fit alors. Même si, comme le prétendent en bluffant ceux qui disent " jouer la gagne ", le rassemblement antilibéral devançait le PS sur le plan électoral, sur le terrain de l'arithmétique parlementaire, c'est le PS qui le contraindrait à se plier à ses exigences sous peine de rompre toute possibilité d'alliance gouvernementale.
Et si tant est que le PS soit sensible à la pression des antilibéraux, hypothèse peu vraisemblable, une fois au gouvernement, les pressions économiques du patronat jointes à celle de l'appareil d'Etat auraient vite raison des envolées lyriques et redondantes des antilibéraux républicains…
Il est clair que le verbe antilibéral ne pèse pas lourd face aux réalités du marché mondial, de la concurrence dans laquelle la bourgeoisie française veut trouver sa place, gagner ses parts de marché, investir ses capitaux, écouler ses marchandises. Et c'est cela qui va conditionner la politique du futur gouvernement qui sortira des urnes. Quel qu'il soit, il sera contraint de se plier aux exigences du patronat pour rendre l'économie compétitive en baissant les coûts. Quel qu'il soit, il devra faire face au mécontentement, à la crise politique latente qui résulte du discrédit des partis institutionnels tous soumis, d'une façon ou d'une autre, aux intérêts des classes dominantes.
C'est bien pourquoi tous ceux qui veulent combattre les politiques libérales ont à se regrouper autour d'une politique anticapitaliste pour ouvrir une perspective aux luttes de classes. C'est le sens de la candidature d'Olivier Besancenot, unitaire et anticapitaliste.
Il est dommage que les collectifs issus de la victoire du non le 29 mai se soient laissés enfermer dans le cadre électoral pour devenir des lieux de transaction autour des candidatures unitaires antilibérales. Ils auraient pu être des cadres d'unité pour les mobilisations et les luttes en gardant toute leur indépendance vis-à-vis des questions électorales, d'alliances parlementaires et gouvernementales, pour défendre les intérêts politiques des salariés et des classes populaires. C'eût été la seule façon de rester fidèle à la dynamique anticapitaliste de la campagne contre le TCE. Peut-être alors une candidature unitaire des anticapitalistes et des antilibéraux aurait-elle été possible, à condition que ces derniers acceptent de se situer hors de toute perspective, même hypothétique, d'accord parlementaire et gouvernemental avec le PS.
Cela n'a pas été possible. Cet échec est la conséquence d'un fait politique, d'un désaccord profond : les antilibéraux se situent dans le cadre parlementaire et institutionnel, les anticapitalistes, eux, se situent dans une stratégie de rupture, sur le terrain des luttes de classes.
Ni les liens militants ni l'expérience des collectifs ne sont, ceci dit, perdus. Ils sont riches d'enseignements qui seront utiles pour construire sur des bases d'indépendance vis-à-vis des partis de la gauche institutionnelle, pour regrouper tous ceux qui, à la lumière des faits, retrouveront le chemin des luttes sociales.
Nous voulons œuvrer et participer au regroupement de toutes celles et tous ceux qui refusent la logique capitaliste pour donner une expression politique au mécontentement des travailleurs, à leurs intérêts, à leurs perspectives et construire une autre société.
La candidature d'Olivier Besancenot n'est pas hostile à la candidature antilibérale quelle qu'elle soit. Elle veut porter au sein du mouvement social la discussion sur les perspectives politiques des luttes et des mobilisations, elle participe du débat démocratique. Loin de revenir en arrière elle veut contribuer à faire fructifier les acquis de l'unité, les enrichir de son apport.
Notre propos n'est d'ailleurs pas non plus d'empêcher une nouvelle union de la gauche de se faire ni de gagner les élections si elle est capable de convaincre les classes populaires de voter pour elle. Notre propos est de donner les armes politiques aux travailleurs, aux jeunes, aux chômeurs, aux femmes pour défendre leurs intérêts et cela quel que soit le gouvernement qui sortira des urnes demain.

Yvan Lemaitre

Défaite des Républicains aux élections américaines de mi-mandat
L'union sacrée des lendemains du 11 Septembre mise à mal

Les Républicains minoritaires non seulement à la Chambre des Représentants (196 sièges contre 229 aux Démocrates) mais aussi au Sénat (49 sièges contre 51) et aux élections des gouverneurs (22 contre 28 aux démocrates), c'est une "raclée", selon les mots mêmes de Bush, que les électeurs ont infligée à son parti. Un désaveu cinglant à une politique il n'y a pas si longtemps acceptée, sinon approuvée, par la majeure partie de la population au nom de " la guerre contre le terrorisme ", dans le climat d'union sacrée qui avait suivi les attentats du 11 Septembre.

La guerre désavouée
Et c'est d'abord la sale guerre en Irak, cette soi-disant guerre "pour la démocratie", que les électeurs ont voulu condamner. Un échec personnel pour Bush qui, habité d'un véritable délire patriotique et religieux, en avait fait une affaire personnelle, une mission quasi-divine. Mais depuis ce 2 mai 2003 où, dans son aveuglement, il croyait célébrer son triomphe sur le porte-avions Lincoln en déclarant "mission accomplie", les troupes américaines (150 000 soldats) se sont enlisées dans un bourbier inextricable et meurtrier, au point que même les entreprises qui s'étaient vu doter par l'administration Bush des juteux marchés de la reconstruction sont obligées de quitter une à une le pays, comme récemment l'entreprise du bâtiment Bechtel dont 52 employés ont été tués.
Loin d'apporter la démocratie, l'intervention des troupes américaines a semé la destruction, le chaos, la guerre civile, causé la mort d'un millier d'Irakiens par mois, sans compter les centaines de blessés, de disparus, la destruction des infrastructures. Et c'est pour un tel résultat que près de 3000 soldats américains ont été tués. Des pertes insupportables, aux yeux de l'opinion, pour un tel gâchis.
Si une partie des milieux militaires reprochent à Bush cet échec, l'accusant ne d'y avoir pas mis suffisamment de moyens, si dans la classe politique, on s'inquiète de l'énormité des dépenses militaires et des fractures créées dans l'opinion, les couches populaires y voient la révélation du monstrueux mensonge qui a entouré la guerre, même si une grande partie d'entre elles reste encore prisonnière de la propagande de la " lutte contre le terrorisme ".

Ni paix ni prospérité
Mais ce qui apparaît aujourd'hui, même à une partie de la classe dirigeante, comme une aventure irrationnelle n'est que la conséquence du développement d'une offensive militaire que l'impérialisme américain a saisi l'occasion de lancer dans les attentats du 11 septembre. Il s'agissait pour lui de sauvegarder son hégémonie, d'imposer au monde entier le régime qui assure à ses trusts la libre pénétration des économies de tous les pays du monde, la circulation sans entraves des capitaux en quête de profits de son oligarchie financière.
Ce militarisme dévorant, les 510 milliards de dollars consacrés au budget militaire - la moitié des dépenses mondiales d'armement-, sont autant de subventions pour les trusts de l'armement, l'expression la plus flagrante du parasitisme de cette poignée d'actionnaires que l'Etat aide à faire main basse sur tout ce qui peut être capté de la richesse créée, aux Etats-Unis aussi.
Alors que les salaires stagnent depuis des années -le salaire minimum, un des thèmes de la campagne est à 5,15 $ l'heure depuis 1997-, que les trusts de l'industrie licencient des dizaines de milliers de travailleurs, comme récemment les trusts de l'automobile, que plus de 45 millions de personnes ne disposent pas d'une assurance-santé, les profits des entreprises du Dow Jones ont explosé, à des niveaux jamais connus depuis des décennies. Bush a eu beau marteler pendant la campagne que " les Américains trouvent du travail et rapportent de plus gros salaires à la maison ", les chiffres du chômage ont eu beau baisser opportunément à 4,4 % de la population active en octobre, contre 4,6% en septembre, cela n'a pas convaincu. Pas plus que la soi-disant efficacité des baisses d'impôts -près de 2000 milliards de dollars votés depuis 2001- qui n'a fait qu'enrichir les plus riches.

Démocrates, Républicains, des programmes identiques
Et ce n'est certainement pas de l'alternance que la population attend des changements, même si elle s'est servie du vote démocrate pour désavouer le gouvernement en place. A part l'engagement d'augmenter le salaire minimum -ce qui a déjà été fait par des gouverneurs et démocrates et républicains dans certains Etats-, de limiter la hausse des médicaments dans le cadre du programme Medicare (pour les personnes âgées), de ne garder des baisses d'impôts que celles qui favorisent les classes moyennes, et de baisser le taux d'intérêt de prêts destinés aux étudiants, le programme du parti démocrate ne se distingue pas de celui des Républicains.
Leur nouveau chef de file à la Chambre des Représentants, Nancy Pelosi, s'est bien gardée de prendre le moindre engagement en ce qui concerne en particulier les systèmes de protection sociale, santé, retraite.
L'accent a davantage été mis, du côté démocrate, sur la critique de la mondialisation, sur des propositions allant dans le sens du protectionnisme, contre l'importation des productions chinoises par exemple. Propositions démagogiques qui se gardent bien de remettre en cause, en quoi que ce soit, la mainmise des trusts sur l'économie, ni même leur rapacité, et qui a débouché dans plusieurs Etats du Sud, sur des surenchères en matière de répression de l'immigration.
Quant à la politique guerrière des Etats-Unis, ils ne la remettent pas non plus en cause, même s'ils ont dénoncé pendant leur campagne la façon dont était menée l'intervention américaine en Irak, ayant voté comme l'ensemble du congrès, à l'unanimité, le dernier budget militaire, en septembre dernier.
Et quoi d'étonnant alors que les deux partis, dont les trusts se partagent le financement, dont la majeure partie des candidats sont millionnaires en dollars, servent fondamentalement les mêmes intérêts et sont disposés à mettre en œuvre les exigences de leurs fondés de pouvoir, " voter des lois qui renforcent la compétitivité de l'économie américaine, de ses travailleurs et de ses entreprises ", comme le leur a demandé le Business Roundtable, un des lobbies patronaux les plus influents du pays.

Le fait majeur, le basculement de l'opinion
Bush dispose d'un droit de veto qui ne peut être contrecarré que par les deux tiers du Congrès. Autant dire que, même s'ils le voulaient, les démocrates, n'auraient pas grand pouvoir de changer la politique du gouvernement. Mais le gouvernement républicain lui-même n'a pas pu, dans les derniers mois, mettre en œuvre, toutes les réformes qu'il voulait accomplir pour le compte des trusts, à cause de son impopularité croissante.
La gifle infligée à Bush et aux Républicains par l'électorat américain a des conséquences qui sont loin d'être négligeables pour les peuples. Elle signe l'échec des armées impérialistes au Moyen-orient et indique une fissure importante dans l'union sacrée qui avait prévalu jusque là. Au point que Bush a dû sacrifier son ministre de la défense, Donald Rumsfeld.
Mais une chose n'a pas changé, a déclaré Bush lors de son allocution hebdomadaire à la radio, l'Amérique doit affronter des ennemis violents qui nous ont déjà attaqué par le passé et qui veulent nous attaquer encore. […] J'ai un message pour ces ennemis: ne confondez pas le travail de la démocratie américaine avec un manque de détermination ".
Bush peut encore chercher à masquer l'offensive de l'impérialisme américain derrière cette soi-disant guerre contre le terrorisme, ses propos tiennent de la méthode Coué, tant il est peu probable qu'il réussisse à regagner la légitimité qui lui serait nécessaire pour y réussir.
Je considère qu'il faut parler à ses ennemis, ni les Syriens ni les Iraniens ne veulent le chaos en Irak ", déclarait récemment l'ancien secrétaire d'État de Bush père, James Baker, qui préside la commission chargée d'envisager une solution pour sortir du bourbier irakien.
L'administration américaine envisage aujourd'hui de discuter avec l'Iran et la Syrie, hier encore deux Etats voyous, menacés d'une offensive militaire. Elle est obligée d'envisager une autre stratégie pour arriver à ses fins.
Et c'est bien le fait majeur que montre le résultat de ces élections, l'impérialisme à l'heure de la mondialisation libérale, a bien des difficultés à convaincre de la légitimité de sa politique dans sa propre citadelle.

Galia Trépère

Bolivie : l'anti-impérialisme de Morales à l'épreuve des faits

Le gouvernement d'Evo Morales, en Bolivie, vient de signer un accord avec les grandes compagnies pétrolières pour qu'elles continuent leur activité dans le pays après la nationalisation du gaz et du pétrole. Les accords ont été signés les 28 et 29 octobre et Morales a tenu, dans ce cas, les délais qu'il s'était imparti. Une des premières signatures a été celle de Total qui, d'une certaine manière, a ouvert la voie aux autres trusts. En même temps, Morales a reporté les annonces promises pour le 31 octobre sur la " nationalisation de l'industrie minière ".
On est loin de connaître toutes les clauses des nouveaux contrats, il est évident que la négociation continue et pas que sur des détails. Le Parlement doit approuver les nouveaux contrats. Des changements sont prévisibles, mais néanmoins les grandes lignes ne seront pas modifiées. L'ancien ministre des Hydrocarbures et de l'Énergie, Soliz Rada, vient de publier une déclaration assez dure, dans laquelle il indique que si les contrats étaient approuvés en l'état par le Parlement, cela signifierait un grave changement des termes de la politique nationaliste du gouvernement.

Les nouveaux contrats et l'économie capitaliste mondiale
Les questions de l'appropriation et de la répartition de la rente pétrolière, de façon plus générale les prix des matières premières, constituent aujourd'hui un élément structurant du nouvel ordre capitaliste mondial - ou plutôt du désordre. Une augmentation des prix et une nouvelle répartition de la rente sont au cœur à la fois de crises et de réorientations politiques, du renforcement des " économies émergentes " et du développement limité qu'il apporte. De nouvelles crises se préparent.
La Bolivie est un tout petit pays qui occupe cependant une place politique centrale aujourd'hui et les négociations avec les pétroliers ont été suivies attentivement par les centres du grand capital. Les résultats sont très importants pour le Brésil et l'Argentine, l'ensemble de l'Amérique Latine, mais aussi pour l'Espagne, la France et l'ensemble de l'Europe.
En quoi consistent les nouveaux contrats, qui peuvent servir de modèle pour des situations similaires ? La propriété formelle des hydrocarbures par l'État devient un nouveau point de départ ; on signe des contrats d'exploitation à très long terme ; on partage la rente pétrolière entre l'État et les compagnies avec une participation croissante de l'État ; on fixe des plans d'investissements que les compagnies devraient respecter ; l'entreprise d'État joue un rôle marginal comme productrice.
Il faut rappeler la place de l'Amérique Latine dans le développement récent du capital en Espagne. 40 % des profits du groupe bancaire BBVA vient des filiales américaines. Pour REPSOL, la compagnie pétrolière espagnole, un tiers de ses bénéfices provient de l'Argentine, du Brésil et de la Bolivie et elle est devenue une " compagnie mondiale " grâce à cette présence en Amérique Latine. D'ici 2010, les grands groupes espagnols, y comprit la compagnie électrique ENDESA qui vient d'être achetée par l'allemand E.ON, vont consacrer plus de 20 milliards de dollars à l'Amérique Latine.
La nouvelle politique de Morales et les nouveaux contrats s'intègrent dans cette politique du capitalisme mondiale.
Les nouveaux contrats préservent le pillage au prix de l'arriération et de l'oppression nationale.
Sur des questions centrales, les nouveaux contrats constituent un coup contre la lutte du peuple bolivien pour son émancipation. Soliz Rada le dénonce dans sa lettre citée plus haut.
En premier lieu, les nouveaux contrats passent l'éponge sur le passé, le pillage éhonté auquel a été soumise la Bolivie, y compris les délits de fraude fiscale, contrebande, propriété illégale. Ensuite, les contrats sont pour une durée de 30 ans. Les réserves de pétrole et de gaz de la Bolivie sont évalués à 200 milliards de dollars et les compagnies s'assurent de cette manière l'exploitation de réserves pour un temps indéfini -en terme d'économie capitaliste.
Le résultat additionné de ces deux clauses est que les immenses réserves de pétrole et de gaz servent d'abord à valoriser le capital financier international et à lui assurer des bénéfices faramineux. En Bolivie, la relation entre profits et investissements était de 10 à 1 quand la " règle " est de 3 à 1. Maintenant, elle va se situer plus près de 3 mais toujours pas très éloignée de 10, et pour 30 ans. Une affaire de gaz et de pétrole boliviens en or pour Total, Repsol et les autres.
Les compagnies vont payer maintenant des impôts pour un montant qui va de 50 à 82 %, tout en gardant la place centrale en matière de production. L'augmentation d'impôts est le prix à payer pour bénéficier de profits énormes et stables sur le long terme. Mais, même le paiement d'impôts va être soumis à de nouvelles négociations et accords, selon les investissements et la rentabilité de chaque champ pétrolier. L'État bolivien préserve une marge de négociation permanente pour le grand capital.
L'équilibre capitaliste régional a été aussi un élément central. Repsol est très présent en Argentine et les négociations entre les gouvernements argentin et bolivien au mois de septembre ont préparé les nouveaux contrats, qui ont nécessairement une portée régionale. La Bolivie prend l'engagement de vendre du gaz à l'Argentine à 5 dollars par million de BTU quand le prix mondial est au moins de 8. Cette affaire sera mise en oeuvre surtout par Repsol et demande la construction d'un nouveau gazoduc.
Petrobras est le principal investisseur en Bolivie et le pays fournit le gaz à la région de Sao Paulo, la principale concentration capitaliste de l'Amérique latine. Le prix est aujourd'hui de 3 dollars. La Bolivie en demanderait 5, et l'on est toujours en négociation.
Les relations avec Petrobras ont été au cœur de la politique du gouvernement. Soliz Rada était partisan d'occuper les sites de la compagnie brésilienne et le gouvernement de "gauche" de Lula a menacé la Bolivie d'une intervention musclée. Soliz Rada a dû démissionner. Il faut se rappeler que Petrobras est la compagnie "étatique" pétrolière du Brésil. 62 % de son capital sont placés dans le privé, surtout des fonds d'investissement.
Les nouveaux contrats pétroliers de Morales devraient satisfaire les exigences du développement capitaliste de l'Argentine et du Brésil et la politique de leur gouvernement. On peut interpréter aussi ce fait comme un nouveau pas de la politique d'encerclement de Chavez. En tout cas, le Venezuela semble le grand perdant de la politique pétrolière de Morales tel quelle vient d'être définie.

Morales, anti-impérialisme et antilibéralisme
Le gouvernement et la politique d'Evo Morales ont le soutien affiché et ferme du front antilibéral français qui va du Parti Communiste à José Bové. Le dirigeant paysan s'est excusé de ne pouvoir assister à la dernière réunion nationale des collectifs les 9 et 10 septembre parce qu'il était en Bolivie pour " appuyer Morales ". Le parcours d'Evo Morales, sa politique, sont souvent cités comme exemples et illustration de la démarche des antilibéraux. Le parallèle n'est pas sans fondement.
On prend un principe politique juste comme la nationalisation du gaz et du pétrole. On l'érige en axe politique et d'action du gouvernement par des lois et des décrets. On place les institutions de l'État au centre de la politique. On laisse passer un peu de temps pour ouvrir la question décisive : la négociation avec le grand capital. Il faut que cette négociation prenne la forme d'un échange civilisé entre État et capitalistes, le plus loin possible des manifestations de force et de l'intervention populaire, des manifestations de rue. Les accords doivent être le résultat de cette négociation et pas imposés par une situation d'affrontement direct avec le peuple. On arrive à des accords qui satisfont les exigences fondamentales du grand capital mais dans lesquelles il doit faire quelques concessions dans l'immédiat. Le renforcement du rôle de l'Etat comme soupape de sécurité face aux travailleurs sera une des conséquences d'une telle politique. Son renforcement financier aussi au risque de la corruption…
Les antilibéraux français se revendiquent d'une démarche qui voudrait s'en inspirer : on proclame un principe juste, une " charte antilibérale " et l'on essaye d'aboutir à une politique d'accord avec le capital et ses institutions, qui dilue complètement tout élément progressif et de mobilisation qui pouvait être développé à partir de ces principes. La préservation des institutions de la bourgeoisie est la colonne vertébrale de ce comportement politique. On prétend s'inspirer de Morales mais, il faut dire, sans même son audace, en essayant d'éviter les discours incendiaires et les affrontements.
Le bilan de la politique de Morales est très instructif sur le rôle d'une politique anti-impérialiste ou antilibérale qui ne remet pas en cause la domination capitaliste, l'Etat, et cela dans une situation de crise sociale et politique, de réorganisation capitaliste. Au mieux, elle aboutit à un compromis favorable au capital que ce dernier remettra en cause dès que la dégradation de la situation politique le lui permettra. Ce bilan critique est indispensable pour préserver les possibilités d'intervention indépendante de la classe ouvrière. Il accompagne toutes nos manifestations de solidarité face aux attaques de l'impérialisme.

Marcelo N.