Débatmilitant | ||||||||||
Lettre publiée par des militants de la LCR |
n°127
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16
novembre 2006
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Sommaire : | ||||||||||
Rassemblement antilibéral ou rassemblement anticapitaliste | ||||||||||
Défaite des Républicains aux élections américaines de mi-mandat - L'union sacrée des lendemains du 11 Septembre mise à mal | ||||||||||
Bolivie : l'anti-impérialisme de Morales à l'épreuve des faits | ||||||||||
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Rassemblement antilibéral ou rassemblement anticapitaliste
"Marie-George
Buffet plébiscitée " titrait l'article de l'Huma
rendant compte du vote des militants du Parti communiste " pour
choisir une stratégie et une candidature pour l'élection présidentielle
de 2007 ".
" Les communistes approuvent la stratégie unitaire pour
2007. [
]" Quelque 57 669 militants se sont donc prononcés
pour que " le Parti communiste propose Marie-George Buffet
comme candidate du rassemblement antilibéral de gauche à l'élection
présidentielle ". L'article cite Michel Laurent, " c'est
un Parti communiste rassemblé et mobilisé qui met au service du
rassemblement sa force militante et son engagement [
] ce choix démocratique
est un formidable atout pour battre la droite et faire gagner la gauche populaire
et citoyenne ". Les dirigeants du PC espèrent bien ainsi
pouvoir créer un consensus au sein des collectifs unitaires qui se réunissent
le10 décembre pour décider de leur candidat.
L'affaire est cependant loin d'être jouée. D'abord parce que le
PC, seule force réelle au sein des collectifs, a été contraint
par la faiblesse de sa position politique de se mettre à égalité
avec des courants et des personnalités auxquels il a ainsi donné
un poids sans rapport avec leur réelle influence. Ensuite parce qu'il
y a parmi les militants du PC une forte défiance non seulement vis-à-vis
des logiques d'appareil mais vis-à-vis de leur propre appareil, défiance
que l'on comprend fort bien.
Il n'est pas dit que le PC ne se soit pas pris à son propre piége.
Confiant dans la force de son appareil, de ses 12 000 élus, il a
pratiqué une politique destinée à lui donner une image
nouvelle, ouverte, porteuse d'une dynamique populaire qui serait issue de la
victoire du non le 29 mai, sinon en rupture du moins en opposition au PS. Pour
cela il a donné un rôle et une place à des personnalités
et des courants qui, aujourd'hui, formulent des exigences dont la disproportion
avec leur propre influence est proportionnelle à la crise politique que
connaît le PC. Il s'est mis lui-même en difficulté et placé,
probablement, devant la responsabilité soit d'imposer Marie George Buffet
au risque de faire exploser les collectifs soit de composer pour laisser la
première place à Yves Salesse ou Clémentine Autain.
Notre propos n'est pas de faire des pronostics d'autant que, quant au fond,
la question du nom du candidat du rassemblement des antilibéraux est
parfaitement secondaire.
La question qui intéresse les militants et les travailleurs est celle
de l'orientation politique défendue par l'ensemble des composantes des
collectifs, celle que défend Marie George Buffet. " Nous
sommes en train de révolutionner la gauche comme nous l'avions décidé
il y a trois ans, déclarait-elle récemment. Ce défi, nous
voulons le relever dès 2007 parce qu'il y a urgence à rompre avec
toutes les politiques libérales. [
] Tout d'abord, en battant cette
droite qui n'est pas digne de la République. Au deuxième tour,
quel que soit le candidat - et je souhaite que ce soit le candidat antilibéral
-, il faudra se rassembler avec force pour faire barrage à Sarkozy durablement.
[
] Nous sommes en train de bâtir cette gauche. Nous étions
la majorité le 29 mai 2005. Nous étions la majorité contre
le CPE. Pourquoi ne serions-nous pas la majorité politique ? "
Le non-dit de cette argumentation est le plus important, le non-dit mais néanmoins
fortement sous-entendu
Comment faire une majorité politique pour
faire barrage à Sarkozy durablement, c'est-à-dire aller au gouvernement,
sans accord avec le PS, sans refaire une nouvelle union de la gauche ? Et cela
quel que soit le candidat du rassemblement antilibéral ou
celui
du PS que nos lecteurs connaîtront peut-être à l'heure où
ils nous liront.
La politique du PC et des collectifs, toutes composantes confondues, est marquée
du sceau de la duplicité. On dit vouloir mettre en uvre un rassemblement
antilibéral en rupture avec toutes les politiques libérales en
tirant les leçons des échecs passés pour, en fait, recommencer
la même politique d'union de la gauche sous un autre nom.
Or la principale leçon des échecs passés, c'est bien qu'il
n'est pas possible de mettre en échec les politiques libérales
sans s'attaquer à la logique même du capitalisme, à la politique
du patronat et des classes privilégiées par les mobilisations
et l'organisation des travailleurs, des classes populaires. Même si la
ou le candidat du rassemblement anti-libéral, qu'importe qui il sera,
revenait au rapport de force de 1981 entre le PC et le PS, ce qui est peu probable,
ce serait le PS qui, sur le plan parlementaire lui dicterait ses volontés
comme il le fit alors. Même si, comme le prétendent en bluffant
ceux qui disent " jouer la gagne ", le rassemblement
antilibéral devançait le PS sur le plan électoral, sur
le terrain de l'arithmétique parlementaire, c'est le PS qui le contraindrait
à se plier à ses exigences sous peine de rompre toute possibilité
d'alliance gouvernementale.
Et si tant est que le PS soit sensible à la pression des antilibéraux,
hypothèse peu vraisemblable, une fois au gouvernement, les pressions
économiques du patronat jointes à celle de l'appareil d'Etat auraient
vite raison des envolées lyriques et redondantes des antilibéraux
républicains
Il est clair que le verbe antilibéral ne pèse pas lourd face aux
réalités du marché mondial, de la concurrence dans laquelle
la bourgeoisie française veut trouver sa place, gagner ses parts de marché,
investir ses capitaux, écouler ses marchandises. Et c'est cela qui va
conditionner la politique du futur gouvernement qui sortira des urnes. Quel
qu'il soit, il sera contraint de se plier aux exigences du patronat pour rendre
l'économie compétitive en baissant les coûts. Quel qu'il
soit, il devra faire face au mécontentement, à la crise politique
latente qui résulte du discrédit des partis institutionnels tous
soumis, d'une façon ou d'une autre, aux intérêts des classes
dominantes.
C'est bien pourquoi tous ceux qui veulent combattre les politiques libérales
ont à se regrouper autour d'une politique anticapitaliste pour ouvrir
une perspective aux luttes de classes. C'est le sens de la candidature d'Olivier
Besancenot, unitaire et anticapitaliste.
Il est dommage que les collectifs issus de la victoire du non le 29 mai se soient
laissés enfermer dans le cadre électoral pour devenir des lieux
de transaction autour des candidatures unitaires antilibérales. Ils auraient
pu être des cadres d'unité pour les mobilisations et les luttes
en gardant toute leur indépendance vis-à-vis des questions électorales,
d'alliances parlementaires et gouvernementales, pour défendre les intérêts
politiques des salariés et des classes populaires. C'eût été
la seule façon de rester fidèle à la dynamique anticapitaliste
de la campagne contre le TCE. Peut-être alors une candidature unitaire
des anticapitalistes et des antilibéraux aurait-elle été
possible, à condition que ces derniers acceptent de se situer hors de
toute perspective, même hypothétique, d'accord parlementaire et
gouvernemental avec le PS.
Cela n'a pas été possible. Cet échec est la conséquence
d'un fait politique, d'un désaccord profond : les antilibéraux
se situent dans le cadre parlementaire et institutionnel, les anticapitalistes,
eux, se situent dans une stratégie de rupture, sur le terrain des luttes
de classes.
Ni les liens militants ni l'expérience des collectifs ne sont, ceci dit,
perdus. Ils sont riches d'enseignements qui seront utiles pour construire sur
des bases d'indépendance vis-à-vis des partis de la gauche institutionnelle,
pour regrouper tous ceux qui, à la lumière des faits, retrouveront
le chemin des luttes sociales.
Nous voulons uvrer et participer au regroupement de toutes celles et tous
ceux qui refusent la logique capitaliste pour donner une expression politique
au mécontentement des travailleurs, à leurs intérêts,
à leurs perspectives et construire une autre société.
La candidature d'Olivier Besancenot n'est pas hostile à la candidature
antilibérale quelle qu'elle soit. Elle veut porter au sein du mouvement
social la discussion sur les perspectives politiques des luttes et des mobilisations,
elle participe du débat démocratique. Loin de revenir en arrière
elle veut contribuer à faire fructifier les acquis de l'unité,
les enrichir de son apport.
Notre propos n'est d'ailleurs pas non plus d'empêcher une nouvelle union
de la gauche de se faire ni de gagner les élections si elle est capable
de convaincre les classes populaires de voter pour elle. Notre propos est de
donner les armes politiques aux travailleurs, aux jeunes, aux chômeurs,
aux femmes pour défendre leurs intérêts et cela quel que
soit le gouvernement qui sortira des urnes demain.
Yvan
Lemaitre
Défaite
des Républicains aux élections américaines de mi-mandat
L'union sacrée des lendemains du 11 Septembre mise à mal
Les Républicains minoritaires non seulement à la Chambre des Représentants (196 sièges contre 229 aux Démocrates) mais aussi au Sénat (49 sièges contre 51) et aux élections des gouverneurs (22 contre 28 aux démocrates), c'est une "raclée", selon les mots mêmes de Bush, que les électeurs ont infligée à son parti. Un désaveu cinglant à une politique il n'y a pas si longtemps acceptée, sinon approuvée, par la majeure partie de la population au nom de " la guerre contre le terrorisme ", dans le climat d'union sacrée qui avait suivi les attentats du 11 Septembre.
La
guerre désavouée
Et c'est d'abord la sale guerre en Irak, cette soi-disant guerre "pour
la démocratie", que les électeurs ont voulu condamner.
Un échec personnel pour Bush qui, habité d'un véritable
délire patriotique et religieux, en avait fait une affaire personnelle,
une mission quasi-divine. Mais depuis ce 2 mai 2003 où, dans son aveuglement,
il croyait célébrer son triomphe sur le porte-avions Lincoln en
déclarant "mission accomplie", les troupes américaines
(150 000 soldats) se sont enlisées dans un bourbier inextricable
et meurtrier, au point que même les entreprises qui s'étaient vu
doter par l'administration Bush des juteux marchés de la reconstruction
sont obligées de quitter une à une le pays, comme récemment
l'entreprise du bâtiment Bechtel dont 52 employés ont été
tués.
Loin d'apporter la démocratie, l'intervention des troupes américaines
a semé la destruction, le chaos, la guerre civile, causé la mort
d'un millier d'Irakiens par mois, sans compter les centaines de blessés,
de disparus, la destruction des infrastructures. Et c'est pour un tel résultat
que près de 3000 soldats américains ont été tués.
Des pertes insupportables, aux yeux de l'opinion, pour un tel gâchis.
Si une partie des milieux militaires reprochent à Bush cet échec,
l'accusant ne d'y avoir pas mis suffisamment de moyens, si dans la classe politique,
on s'inquiète de l'énormité des dépenses militaires
et des fractures créées dans l'opinion, les couches populaires
y voient la révélation du monstrueux mensonge qui a entouré
la guerre, même si une grande partie d'entre elles reste encore prisonnière
de la propagande de la " lutte contre le terrorisme ".
Ni
paix ni prospérité
Mais ce qui apparaît aujourd'hui, même à une partie de la
classe dirigeante, comme une aventure irrationnelle n'est que la conséquence
du développement d'une offensive militaire que l'impérialisme
américain a saisi l'occasion de lancer dans les attentats du 11 septembre.
Il s'agissait pour lui de sauvegarder son hégémonie, d'imposer
au monde entier le régime qui assure à ses trusts la libre pénétration
des économies de tous les pays du monde, la circulation sans entraves
des capitaux en quête de profits de son oligarchie financière.
Ce militarisme dévorant, les 510 milliards de dollars consacrés
au budget militaire - la moitié des dépenses mondiales d'armement-,
sont autant de subventions pour les trusts de l'armement, l'expression la plus
flagrante du parasitisme de cette poignée d'actionnaires que l'Etat aide
à faire main basse sur tout ce qui peut être capté de la
richesse créée, aux Etats-Unis aussi.
Alors que les salaires stagnent depuis des années -le salaire minimum,
un des thèmes de la campagne est à 5,15 $ l'heure depuis
1997-, que les trusts de l'industrie licencient des dizaines de milliers de
travailleurs, comme récemment les trusts de l'automobile, que plus de
45 millions de personnes ne disposent pas d'une assurance-santé, les
profits des entreprises du Dow Jones ont explosé, à des niveaux
jamais connus depuis des décennies. Bush a eu beau marteler pendant la
campagne que " les Américains trouvent du travail et rapportent
de plus gros salaires à la maison ", les chiffres du chômage
ont eu beau baisser opportunément à 4,4 % de la population
active en octobre, contre 4,6% en septembre, cela n'a pas convaincu. Pas plus
que la soi-disant efficacité des baisses d'impôts -près
de 2000 milliards de dollars votés depuis 2001- qui n'a fait qu'enrichir
les plus riches.
Démocrates,
Républicains, des programmes identiques
Et ce n'est certainement pas de l'alternance que la population attend des changements,
même si elle s'est servie du vote démocrate pour désavouer
le gouvernement en place. A part l'engagement d'augmenter le salaire minimum
-ce qui a déjà été fait par des gouverneurs et démocrates
et républicains dans certains Etats-, de limiter la hausse des médicaments
dans le cadre du programme Medicare (pour les personnes âgées),
de ne garder des baisses d'impôts que celles qui favorisent les classes
moyennes, et de baisser le taux d'intérêt de prêts destinés
aux étudiants, le programme du parti démocrate ne se distingue
pas de celui des Républicains.
Leur nouveau chef de file à la Chambre des Représentants, Nancy
Pelosi, s'est bien gardée de prendre le moindre engagement en ce qui
concerne en particulier les systèmes de protection sociale, santé,
retraite.
L'accent a davantage été mis, du côté démocrate,
sur la critique de la mondialisation, sur des propositions allant dans le sens
du protectionnisme, contre l'importation des productions chinoises par exemple.
Propositions démagogiques qui se gardent bien de remettre en cause, en
quoi que ce soit, la mainmise des trusts sur l'économie, ni même
leur rapacité, et qui a débouché dans plusieurs Etats du
Sud, sur des surenchères en matière de répression de l'immigration.
Quant à la politique guerrière des Etats-Unis, ils ne la remettent
pas non plus en cause, même s'ils ont dénoncé pendant leur
campagne la façon dont était menée l'intervention américaine
en Irak, ayant voté comme l'ensemble du congrès, à l'unanimité,
le dernier budget militaire, en septembre dernier.
Et quoi d'étonnant alors que les deux partis, dont les trusts se partagent
le financement, dont la majeure partie des candidats sont millionnaires en dollars,
servent fondamentalement les mêmes intérêts et sont disposés
à mettre en uvre les exigences de leurs fondés de pouvoir,
" voter des lois qui renforcent la compétitivité
de l'économie américaine, de ses travailleurs et de ses entreprises ",
comme le leur a demandé le Business Roundtable, un des lobbies patronaux
les plus influents du pays.
Le
fait majeur, le basculement de l'opinion
Bush dispose d'un droit de veto qui ne peut être contrecarré que
par les deux tiers du Congrès. Autant dire que, même s'ils le voulaient,
les démocrates, n'auraient pas grand pouvoir de changer la politique
du gouvernement. Mais le gouvernement républicain lui-même n'a
pas pu, dans les derniers mois, mettre en uvre, toutes les réformes
qu'il voulait accomplir pour le compte des trusts, à cause de son impopularité
croissante.
La gifle infligée à Bush et aux Républicains par l'électorat
américain a des conséquences qui sont loin d'être négligeables
pour les peuples. Elle signe l'échec des armées impérialistes
au Moyen-orient et indique une fissure importante dans l'union sacrée
qui avait prévalu jusque là. Au point que Bush a dû sacrifier
son ministre de la défense, Donald Rumsfeld.
" Mais une chose n'a pas changé, a déclaré
Bush lors de son allocution hebdomadaire à la radio, l'Amérique
doit affronter des ennemis violents qui nous ont déjà attaqué
par le passé et qui veulent nous attaquer encore. [
] J'ai un message
pour ces ennemis: ne confondez pas le travail de la démocratie américaine
avec un manque de détermination ".
Bush peut encore chercher à masquer l'offensive de l'impérialisme
américain derrière cette soi-disant guerre contre le terrorisme,
ses propos tiennent de la méthode Coué, tant il est peu probable
qu'il réussisse à regagner la légitimité qui lui
serait nécessaire pour y réussir.
" Je considère qu'il faut parler à ses ennemis, ni
les Syriens ni les Iraniens ne veulent le chaos en Irak ", déclarait
récemment l'ancien secrétaire d'État de Bush père,
James Baker, qui préside la commission chargée d'envisager une
solution pour sortir du bourbier irakien.
L'administration américaine envisage aujourd'hui de discuter avec l'Iran
et la Syrie, hier encore deux Etats voyous, menacés d'une offensive militaire.
Elle est obligée d'envisager une autre stratégie pour arriver
à ses fins.
Et c'est bien le fait majeur que montre le résultat de ces élections,
l'impérialisme à l'heure de la mondialisation libérale,
a bien des difficultés à convaincre de la légitimité
de sa politique dans sa propre citadelle.
Galia
Trépère
Bolivie : l'anti-impérialisme de Morales à l'épreuve des faits
Le gouvernement
d'Evo Morales, en Bolivie, vient de signer un accord avec les grandes compagnies
pétrolières pour qu'elles continuent leur activité dans
le pays après la nationalisation du gaz et du pétrole. Les accords
ont été signés les 28 et 29 octobre et Morales a tenu,
dans ce cas, les délais qu'il s'était imparti. Une des premières
signatures a été celle de Total qui, d'une certaine manière,
a ouvert la voie aux autres trusts. En même temps, Morales a reporté
les annonces promises pour le 31 octobre sur la " nationalisation
de l'industrie minière ".
On est loin de connaître toutes les clauses des nouveaux contrats, il
est évident que la négociation continue et pas que sur des détails.
Le Parlement doit approuver les nouveaux contrats. Des changements sont prévisibles,
mais néanmoins les grandes lignes ne seront pas modifiées. L'ancien
ministre des Hydrocarbures et de l'Énergie, Soliz Rada, vient de publier
une déclaration assez dure, dans laquelle il indique que si les contrats
étaient approuvés en l'état par le Parlement, cela signifierait
un grave changement des termes de la politique nationaliste du gouvernement.
Les
nouveaux contrats et l'économie capitaliste mondiale
Les questions de l'appropriation et de la répartition de la rente pétrolière,
de façon plus générale les prix des matières premières,
constituent aujourd'hui un élément structurant du nouvel ordre
capitaliste mondial - ou plutôt du désordre. Une augmentation des
prix et une nouvelle répartition de la rente sont au cur à
la fois de crises et de réorientations politiques, du renforcement des
" économies émergentes " et du développement
limité qu'il apporte. De nouvelles crises se préparent.
La Bolivie est un tout petit pays qui occupe cependant une place politique centrale
aujourd'hui et les négociations avec les pétroliers ont été
suivies attentivement par les centres du grand capital. Les résultats
sont très importants pour le Brésil et l'Argentine, l'ensemble
de l'Amérique Latine, mais aussi pour l'Espagne, la France et l'ensemble
de l'Europe.
En quoi consistent les nouveaux contrats, qui peuvent servir de modèle
pour des situations similaires ? La propriété formelle des hydrocarbures
par l'État devient un nouveau point de départ ; on signe
des contrats d'exploitation à très long terme ; on partage
la rente pétrolière entre l'État et les compagnies avec
une participation croissante de l'État ; on fixe des plans d'investissements
que les compagnies devraient respecter ; l'entreprise d'État joue
un rôle marginal comme productrice.
Il faut rappeler la place de l'Amérique Latine dans le développement
récent du capital en Espagne. 40 % des profits du groupe bancaire
BBVA vient des filiales américaines. Pour REPSOL, la compagnie pétrolière
espagnole, un tiers de ses bénéfices provient de l'Argentine,
du Brésil et de la Bolivie et elle est devenue une " compagnie
mondiale " grâce à cette présence en Amérique
Latine. D'ici 2010, les grands groupes espagnols, y comprit la compagnie électrique
ENDESA qui vient d'être achetée par l'allemand E.ON, vont consacrer
plus de 20 milliards de dollars à l'Amérique Latine.
La nouvelle politique de Morales et les nouveaux contrats s'intègrent
dans cette politique du capitalisme mondiale.
Les nouveaux contrats préservent le pillage au prix de l'arriération
et de l'oppression nationale.
Sur des questions centrales, les nouveaux contrats constituent un coup contre
la lutte du peuple bolivien pour son émancipation. Soliz Rada le dénonce
dans sa lettre citée plus haut.
En premier lieu, les nouveaux contrats passent l'éponge sur le passé,
le pillage éhonté auquel a été soumise la Bolivie,
y compris les délits de fraude fiscale, contrebande, propriété
illégale. Ensuite, les contrats sont pour une durée de 30 ans.
Les réserves de pétrole et de gaz de la Bolivie sont évalués
à 200 milliards de dollars et les compagnies s'assurent de cette manière
l'exploitation de réserves pour un temps indéfini -en terme d'économie
capitaliste.
Le résultat additionné de ces deux clauses est que les immenses
réserves de pétrole et de gaz servent d'abord à valoriser
le capital financier international et à lui assurer des bénéfices
faramineux. En Bolivie, la relation entre profits et investissements était
de 10 à 1 quand la " règle " est de 3 à
1. Maintenant, elle va se situer plus près de 3 mais toujours pas très
éloignée de 10, et pour 30 ans. Une affaire de gaz et de pétrole
boliviens en or pour Total, Repsol et les autres.
Les compagnies vont payer maintenant des impôts pour un montant qui va
de 50 à 82 %, tout en gardant la place centrale en matière
de production. L'augmentation d'impôts est le prix à payer pour
bénéficier de profits énormes et stables sur le long terme.
Mais, même le paiement d'impôts va être soumis à de
nouvelles négociations et accords, selon les investissements et la rentabilité
de chaque champ pétrolier. L'État bolivien préserve une
marge de négociation permanente pour le grand capital.
L'équilibre capitaliste régional a été aussi un
élément central. Repsol est très présent en Argentine
et les négociations entre les gouvernements argentin et bolivien au mois
de septembre ont préparé les nouveaux contrats, qui ont nécessairement
une portée régionale. La Bolivie prend l'engagement de vendre
du gaz à l'Argentine à 5 dollars par million de BTU quand le prix
mondial est au moins de 8. Cette affaire sera mise en oeuvre surtout par Repsol
et demande la construction d'un nouveau gazoduc.
Petrobras est le principal investisseur en Bolivie et le pays fournit le gaz
à la région de Sao Paulo, la principale concentration capitaliste
de l'Amérique latine. Le prix est aujourd'hui de 3 dollars. La Bolivie
en demanderait 5, et l'on est toujours en négociation.
Les relations avec Petrobras ont été au cur de la politique
du gouvernement. Soliz Rada était partisan d'occuper les sites de la
compagnie brésilienne et le gouvernement de "gauche" de Lula
a menacé la Bolivie d'une intervention musclée. Soliz Rada a dû
démissionner. Il faut se rappeler que Petrobras est la compagnie "étatique"
pétrolière du Brésil. 62 % de son capital sont placés
dans le privé, surtout des fonds d'investissement.
Les nouveaux contrats pétroliers de Morales devraient satisfaire les
exigences du développement capitaliste de l'Argentine et du Brésil
et la politique de leur gouvernement. On peut interpréter aussi ce fait
comme un nouveau pas de la politique d'encerclement de Chavez. En tout cas,
le Venezuela semble le grand perdant de la politique pétrolière
de Morales tel quelle vient d'être définie.
Morales,
anti-impérialisme et antilibéralisme
Le gouvernement et la politique d'Evo Morales ont le soutien affiché
et ferme du front antilibéral français qui va du Parti Communiste
à José Bové. Le dirigeant paysan s'est excusé de
ne pouvoir assister à la dernière réunion nationale des
collectifs les 9 et 10 septembre parce qu'il était en Bolivie pour " appuyer
Morales ". Le parcours d'Evo Morales, sa politique, sont souvent cités
comme exemples et illustration de la démarche des antilibéraux.
Le parallèle n'est pas sans fondement.
On prend un principe politique juste comme la nationalisation du gaz et du pétrole.
On l'érige en axe politique et d'action du gouvernement par des lois
et des décrets. On place les institutions de l'État au centre
de la politique. On laisse passer un peu de temps pour ouvrir la question décisive
: la négociation avec le grand capital. Il faut que cette négociation
prenne la forme d'un échange civilisé entre État et capitalistes,
le plus loin possible des manifestations de force et de l'intervention populaire,
des manifestations de rue. Les accords doivent être le résultat
de cette négociation et pas imposés par une situation d'affrontement
direct avec le peuple. On arrive à des accords qui satisfont les exigences
fondamentales du grand capital mais dans lesquelles il doit faire quelques concessions
dans l'immédiat. Le renforcement du rôle de l'Etat comme soupape
de sécurité face aux travailleurs sera une des conséquences
d'une telle politique. Son renforcement financier aussi au risque de la corruption
Les antilibéraux français se revendiquent d'une démarche
qui voudrait s'en inspirer : on proclame un principe juste, une " charte
antilibérale " et l'on essaye d'aboutir à une politique
d'accord avec le capital et ses institutions, qui dilue complètement
tout élément progressif et de mobilisation qui pouvait être
développé à partir de ces principes. La préservation
des institutions de la bourgeoisie est la colonne vertébrale de ce comportement
politique. On prétend s'inspirer de Morales mais, il faut dire, sans
même son audace, en essayant d'éviter les discours incendiaires
et les affrontements.
Le bilan de la politique de Morales est très instructif sur le rôle
d'une politique anti-impérialiste ou antilibérale qui ne remet
pas en cause la domination capitaliste, l'Etat, et cela dans une situation de
crise sociale et politique, de réorganisation capitaliste. Au mieux,
elle aboutit à un compromis favorable au capital que ce dernier remettra
en cause dès que la dégradation de la situation politique le lui
permettra. Ce bilan critique est indispensable pour préserver les possibilités
d'intervention indépendante de la classe ouvrière. Il accompagne
toutes nos manifestations de solidarité face aux attaques de l'impérialisme.
Marcelo
N.