Débatmilitant
Lettre publiée par des militants de la LCR
n°131
14 décembre 2006

Sommaire :
La crise du regroupement antilibéral ou les contradictions de l'antilibéralisme à l'oeuvre…


La crise du regroupement antilibéral
ou les contradictions de
l'antilibéralisme à l'oeuvre…

La réunion des collectifs unitaires antilibéraux des 9-10 décembre a été un échec. Les 1450 délégués représentants 661 collectifs sur les 862 annoncés et désignés par les 16 100 participants aux assemblées générales préparatoires de cette réunion nationale sont repartis sans avoir désigné leur candidat, objectif de cette réunion. Et cela après deux jours de débats houleux dont la presse a eu plaisir à relater les tensions, les manifestations d'humeur souvent intempestives, les explosions de colère des uns ou des autres, en bref un climat qui n'avait rien de très… unitaire. La presse a pris aussi un malin plaisir à s'étonner de la complexité de la méthode dite du " double consensus ", le candidat ou la candidate hypothétique devant être accepté et dans les collectifs et par les différentes composantes politiques du mouvement antilibéral.
Ainsi, Marie-George Buffet, arrivée en tête dans la consultation préparatoire au sein des collectifs, s'est heurtée à la fronde de toute les autres sensibilités politiques arguant du fait que la secrétaire générale du Parti communiste ne pouvait représenter la dynamique du mouvement. Et le fait est que la candidature de Marie-George Buffet s'est heurtée à une forte opposition venant parfois de ses propres militants.

C'est un jeu de dupes qui s'est dénoué
Le PC n'a jamais eu d'autres intentions que de présenter Marie-George Buffet comme candidate de la dynamique antilibérale prétendant à représenter le " non de gauche " et les différentes composantes n'ont jamais eu d'autres objectifs que de défendre chacune son propre candidat tout en utilisant la force de l'appareil du PC. Chacun laissait croire que tout était possible, en réalité partie de poker menteur, au demeurant fort peu démocratique.
Quel est le fond politique de l'affaire ? Simple rivalité d'ego et d'ambitions, de personne ?
L'ensemble des candidats potentiels ont tous adopté les mêmes textes politiques, que ce soit le texte " ambition et stratégie " ou le texte programme " Que voulons-nous ". Ils ont tous repoussé, sans y accorder grande attention, les amendements proposés par la LCR, en particulier celui affirmant le refus de tout accord parlementaire ou gouvernemental avec le PS. Il est d'ailleurs significatif de constater le contraste entre l'unanimité lors de la réunion du 10 septembre qui a adopté le texte " ambition et stratégie " qui inscrivait la politique des collectifs dans le même cadre que celle du PC et l'explosion de tensions qui a eu lieu le week-end dernier pour désigner le candidat. Pourquoi ? L'explication renvoie à un problème politique plus général lié à la fin d'une période historique.
Etre d'accord sur une politique antilibérale qui vise à changer les rapports de force à gauche pour aller au gouvernement tout en restant dans le cadre des institutions et du système capitaliste, politique réformiste, n'implique pas nécessairement un accord politique suffisant pour s'unir. En l'occurrence, les divergences renvoyant au passé des uns et des autres semblent l'avoir emporté, en effet tout n'est pas encore décidé, sur l'accord stratégique et programmatique.
Ce qu'il est convenu d'appeler la " gauche radicale " qui, depuis 95, accompagne la remontée des luttes parallèlement à l'effondrement du stalinisme et qui se retrouve dans le mouvement altermondialiste, n'a nullement l'intention de reprendre à son compte le passé du Parti communiste, que ce soit celui de l'ex-parti stalinien ou celui du parti de la gauche gouvernementale qui a gouverné avec Jospin.
Cette gauche radicale n'est pas capable, du moins aujourd'hui, d'imaginer une stratégie de rupture, une stratégie révolutionnaire, elle reste prisonnière des raisonnements réformistes mais elle appartient à une autre histoire, et porte de fait, malgré ses limites, d'autres perspectives.
La campagne pour les élections régionales de 2004 en Île de France, la campagne du Non au référendum, puis les collectifs pour un rassemblement antilibéral, ont été les lieux de rencontre entre l'ancien parti stalinien soucieux de se parer des vertus de l'altermondialisme et de la dynamique du mouvement pour tenter de se refaire une jeunesse politique, et une partie de la gauche altermondialiste, sans réelle organisation, à l'influence diffuse, sans capacité d'agir par elle-même indépendamment du PC.
Le dernier rendez-vous, moment de vérité, a été un fiasco. Les illusions sur la dynamique unitaire qui devait redonner vie à une vraie gauche qui, une fois au gouvernement, changerait enfin la vie, vraiment, s'avèrent un conte. Et derrière l'échec de ce rendez-vous, il y a l'aveu d'impuissance de l'antilibéralisme.
En effet, les nouvelles échéances électorales, la présidentielle et, ensuite, les législatives posent la question du gouvernement, du pouvoir au niveau de l'Etat. Elles ne laissent pas la place aux ambiguïtés. A partir du moment où la stratégie se situe dans le cadre institutionnel et parlementaire, la question de l'alliance avec le PS est incontournable, surtout avec le mode de scrutin majoritaire à deux tours en vigueur
Très sincèrement, bien des militants des collectifs voudraient pouvoir croire qu'il soit possible, en changeant le rapport de force au sein de la gauche, de changer la vie par la voie électorale. Ils disent ne pas vouloir aller au gouvernement avec le PS tel qu'il est tout en pensant qu'il n'y a pas d'autre possibilité que d'y aller avec le PS tel qu'il pourrait être… Fermant les yeux sur les leçons du passé, ils n'imaginent pas que soit possible un processus démocratique et révolutionnaire extraparlementaire, ils considèrent les positions de la LCR utopiques et irréalistes.
Pourtant, toute l'histoire en témoigne : tous les progrès sociaux et démocratiques n'ont été accomplis que par l'action des travailleurs, par en bas. Et tous les gouvernements de gauche n'ont jamais servi qu'à maintenir l'action des travailleurs dans le cadre institutionnel pour préserver l'ordre capitaliste. L'ancien parti stalinien a, en la matière, une riche expérience !

Cette crise était inévitable, nécessaire, elle peut être utile
Quelle sera l'issue de la crise ? Le plus probable est, si l'on en croit les déclarations de la direction du PC, que Marie-George Buffet se revendiquera de sa légitimité au sein des collectifs pour imposer sa candidature et qu'il n'y aura pas le double consensus, donc rupture au sein des collectifs si l'on en croit les déclarations des autres composantes. La politique du PC visant à présenter la candidature de Marie-George Buffet comme la candidature du mouvement social portée par la dynamique du non de gauche serait alors mise en échec sans que les collectifs aient la moindre politique de rechange. Sans qu'ils puissent même expliquer politiquement leur rupture. Etrange " victoire " des unitaires ! Etrange conception de l'unité !
Il y a là de la part de cette gauche de la gauche comme l'aveu d'une incapacité à exister par elle-même, manifestation d'un vieux gauchisme, toujours critique et opposant du PC et du PS, mais incapable d'autonomie, d'avoir une stratégie indépendante, de porter une perspective pour les travailleurs et leurs luttes.
Cette crise révèle un double échec, celui du PC, échec à enrayer sa crise en tentant de devenir un nouveau parti réformiste new look, antilibéral, celui de la gauche du non, à assumer jusqu'au bout la contestation radicale qui s'est manifestée ces dernières années dans les luttes comme dans les urnes. Ce double échec renvoie à l'impasse de l'antilibéralisme.
Encore plus que dans le passé du mouvement ouvrier -si dire cela a un sens-, à l'heure de la mondialisation libérale et impérialiste, il n'y a de place pour une ambition et une stratégie réformistes. La question des " chemins du pouvoir " est posée, c'est de cela dont il faut discuter. Comment exproprier politiquement les classes dominantes pour les exproprier socialement, seule voie pour changer la vie et le monde ?
Il nous faut prendre cette question à bras le corps avec toutes ses multiples implications, porter le débat auprès des militants des collectifs, à tous les niveaux, auprès de tous ceux que nous côtoyons dans les mobilisations et les luttes, auprès des militants du Parti communiste qui s'interrogent devant l'impasse de leur parti.
Une période s'achève, les crises se dénouent ouvrant la voie à de nouvelles possibilités, de nouvelles initiatives. L'avenir se dégage du passé pour redonner toute leur vigueur et leur fécondité aux idées démocratiques et révolutionnaires.

Yvan Lemaitre