Débatmilitant
Lettre publiée par des militants de la LCR
n°132
21 décembre 2006

Sommaire :
Pour un partage des richesses


Pour un partage des richesses

Salaire et pouvoir d'achat, le recul des conditions de vie, l'aggravation des inégalités s'imposent dans la campagne présidentielle. Dans les Ardennes ravagées par les licenciements, Sarkozy joue l'émotion devant " la France qui souffre ", " la France dont on ne parle jamais parce qu'elle ne se plaint pas, parce qu'elle ne brûle pas les voitures ". Même quand il tente d'exprimer la compassion, Sarkozy parle avec cynisme et arrogance. Mais il a découvert cependant que " le salaire n'est pas l'ennemi de l'emploi ", Royal, elle, s'engage fermement  : " Je pense, moi, que les salariés doivent être correctement rémunérés " ! Quant à la pantalonnade de Villepin, sa Conférence pour les revenus et l'emploi du 14 décembre, elle n'a bien sûr produit que du vent et des propositions du type de celle qui favorisera les propriétaires, la " garantie sur les risques locatifs ".
On nous fait jouer le rôle de figurants, a déclaré après la conférence Bernard Thibault. Nous aurions tout aussi bien pu attendre derrière notre téléviseur "... En effet, Villepin n'avait d'autre objectif, et chacun le savait, que de tenter de jeter de la poudre aux yeux, faire semblant d'agir pour " établir un diagnostic commun ", dans la droite ligne du " diagnostic partagé " sur l'assurance maladie en 2004.
Les directions syndicales tanguent entre de molles protestations et la poursuite du " dialogue social ". Pourtant la seule réponse que méritait cette conférence était de ne pas se prêter à ce jeu de dupes du dialogue social pour montrer les vrais rapports de classes, porter et populariser les revendications des salariés, proposer de faire converger les luttes sur des objectifs permettant d'unifier l'ensemble des salariés contre le patronat et le gouvernement.

Salaires, revenus, pouvoir d'achat : un recul que plus personne ne peut masquer
Pour 45% des salariés, la première préoccupation est le niveau de salaire (sondage Ipsos publié le 14 décembre), devant même le maintien de l'emploi (32%). Ipsos constate que depuis 10 ans, " les préoccupations sur le pouvoir d'achat n'ont jamais été aussi fortes ", à la mesure du recul encaissé par l'ensemble des classes populaires.
Le rapport du CERC (Conseil Emploi Revenu Cohésion sociale, présidé par Delors), publié au mois de novembre s'interroge : " d'où vient ce sentiment que le pouvoir d'achat baisse ? "... Sans doute du fait qu'il baisse réellement ! Au point que Sarkozy, comme Royal, contestent les indices qui prétendraient le contraire. L'un s'est dit " persuadé que les indices habituels … ne reflètent pas la réalité ". L'autre a pris " l'engagement de remettre de la vérité dans le calcul de la hausse des prix ".
La réalité sociale s'impose. Dans le commerce, la distribution, le nettoyage, les services, mais aussi dans la fonction publique avec tous les précaires et les " contrats aidés ", des millions de salariés ont un salaire inférieur à 1000 €. Il y a sept millions de travailleurs pauvres, percevant moins de 788 euros par mois. Et la moitié des salariés touchent moins de 1320 €.
Alternance de chômage et d'intérim, temps partiels, boulots saisonniers : pour un salarié sur cinq, et une femme salariée sur trois, la durée annuelle d'emploi est inférieure à 40 semaines et la durée hebdomadaire à 27 heures. Près de 5 millions ne travaillent jamais à temps plein.
La misère explose et les écarts se creusent. La moyenne annuelle des 10% de salariés les mieux payés est 54 fois supérieure à la moyenne des 10% les moins payés. Les 10% plus riches possèdent 46% du patrimoine, alors que les 50% les moins riches n'en détiennent que 7% (rapport du CERC).
Les conséquences sont dramatiques, sur le plan du logement, de la santé, de l'éducation. Et cette situation va en s'aggravant. Aujourd'hui, plus de 1,2 millions de personnes sont au RMI, contre 396 000 en décembre 1989. Il y a 17% de salariés au SMIC contre 11% il y a vingt ans. 74 branches professionnelles, concernant 4,8 millions de salariés, ont d'ailleurs des grilles dont les minima sont inférieurs au SMIC.
Voilà quelques résultats de vingt ans d'offensive patronale dans le cadre de la mondialisation, de pressions pour faire baisser le prix du travail et augmenter les profits, de politiques dites " pour l'emploi ", menées par la droite et la gauche, avec les exonérations de cotisations sociales sur les temps partiels, puis sur les bas salaires, la multiplication des contrats de travail qui ont cassé le CDI et le code du travail, abouti à l'explosion de la précarité.

La question des salaires, c'est celle de la répartition des richesses, de l'exploitation
Si le constat s'impose, la question de la répartition des richesses provoque plus de prudence. Le rapport du CERC indique que " le sujet fait débat… Dans une grande partie de l'opinion publique, l'idée est répandue que la part allant au travail a sensiblement baissé ". Et l'équipe de Delors constate bien qu'il y a eu transfert du travail vers le capital, de 10% des richesses créées entre 1980 et 1995, soit près de 160 milliards d'euros chaque année.
Quand Sarkozy ou Royal parlent d'augmenter le pouvoir d'achat, il s'agit pour eux d'obtenir en compensation des gains de productivité. Pas question de prendre sur les profits. Pour eux, le travail est un coût, dont il faut contenir ou baisser le prix, le salaire, ou bien obtenir davantage de production.
Sarkozy explique qu'" un salarié qui travaillerait quatre heures de plus (par semaine) pourrait gagner 15% de plus ". En mettant en avant l'allongement du temps de travail, c'est bien les gains de productivité qu'il vise. En faisant mine de concéder une augmentation, il s'agit d'obtenir en contrepartie plus de plus-value.
Royal est dans la même logique, elle qui se réfugie derrière le programme du PS pour promettre 1500 € brut… en 2012 !
Les travailleurs se situent dans une autre logique. Le salaire, c'est le prix de leur force de travail, qui crée toutes les richesses, les biens, les marchandises. La plus-value, le profit qui est partagé entre industriels, commerçants, actionnaires, banquiers, c'est la part de ces richesses que s'approprient les capitalistes au détriment du salaire.
Les profits, ce sont le prix du parasitisme, les salaires, c'est le prix du travail. Contrairement à ce qui est largement répandu, augmenter les salaires n'augmente pas le prix des marchandises, mais diminue la part des profits.

Augmenter les salaires ? C'est possible !
Une propagande permanente prétend qu'augmenter les salaires conduirait à une catastrophe ! Pourtant, les richesses concentrées par le parasitisme des classes dominantes sont faramineuses. Une fois de plus, toutes les places boursières de la planète finissent l'année sur de nouveaux records, le CAC 40 gagnant près de 20% cette année encore.
Pour augmenter les salaires, c'est bien à la richesse de la bourgeoisie qu'il faut s'en prendre. Il faut reprendre ce qui a été pris au travail ces vingt dernières années. Les 160 milliards annuels passés du travail au capital doivent revenir vers les salaires et les créations d'emplois.
Les 40 milliards de remboursement annuel de la dette publique, qui enrichissent banques et groupes financiers, comme les 34,2 milliards (en 2003) versés par l'Etat au patronat au nom des " politiques de l'emploi " (allègements de cotisations, financement d'emplois aidés, etc.) doivent être réappropriés par la collectivité.
C'est sur les profits qu'il faut prendre, pour augmenter les salaires et tous les revenus sociaux, les allocations et les pensions.

Une question de rapport de force
La question des salaires est bien une question de répartition des richesses, donc de rapport de force entre les classes. Les salaires ont reculé parce que la bourgeoisie a su retourner la crise de son propre système contre les travailleurs par le chômage. Le chômage exerce une pression à la baisse sur l'ensemble des salaires.
Avec le SMIC à 1500 € net immédiatement et une augmentation de 300 € pour tous, il s'agit de mettre un coup d'arrêt au recul de notre pouvoir d'achat, à la dégradation de nos conditions de vie. Il s'agit d'inverser le rapport de force par la mobilisation de l'ensemble des salariés.
Il n'est plus possible de laisser la bourgeoisie dilapider les richesses produites par le travail.
Devant de telles revendications, on entend souvent qu'il faut être réaliste, que ce n'est pas possible. Isolés, sans un rapport de force d'ensemble, il est vrai qu'il est impossible d'imposer de tels droits. Mais nous récusons que des lois économiques empêcheraient de telles augmentations. Le réalisme, c'est discuter de nos besoins réels, sans se laisser dominer par les intérêts de l'adversaire, du patron, qui voudrait que nous soyons respectueux de la rentabilité de son capital. Ce n'est pas notre problème.
On entend parfois aussi, le plus souvent dans les organisations syndicales, qu'une augmentation de 300 € pour tous ne peut pas entraîner tous les salariés, parce que cela tasserait les salaires et remettrait en cause les grilles… Au contraire, une revendication unifiante est plus que jamais nécessaire pour réduire les injustices, regrouper tous les salariés, du privé et du public, quel que soit leur statut.
Face à l'offensive que nous avons subie, mettre en avant une revendication pour tous, unifiante, sur la question des salaires, c'est dire à l'ensemble des travailleurs que nous voulons viser les profits, contester l'exploitation capitaliste pour récupérer ce que la bourgeoisie nous a volé.
La préparation d'une lutte d'envergure pour les salaires veut dire unifier le mécontentement qui sourd de partout, lui donner un objectif offensif. C'est faire en sorte que les travailleurs s'invitent dans la campagne électorale avec leurs propres armes pour faire entendre leurs droits contre ceux de la propriété capitaliste.

Franck Coleman