Débatmilitant
Lettre publiée par des militants de la LCR
n°133
28 décembre 2006

Sommaire :
Le débat sur la mondialisation et le mouvement ouvrier, antilibéralisme et anticapitalisme


Le débat sur la mondialisation et le mouvement ouvrier,
antilibéralisme et anticapitalisme

 

Aujourd'hui, la mondialisation, ça ne marche pas. Ca ne marche pas pour les pauvres du monde. Ça ne marche pas pour l'environnement. Ça ne marche pas pour la stabilité de l'économie mondiale " : constat sans appel, pourtant ces lignes tirées d'un livre au titre évocateur, " La grande désillusion ", ont été écrites en 2002 par un économiste de la bourgeoisie, Joseph Stiglitz, prix Nobel d'économie, ancien vice-président de la Banque Mondiale, et conseiller de Bill Clinton dans les années 90.
Après la décennie d'euphorie des années 90 et l'envol de la " nouvelle économie " qui semblait annoncer le triomphe définitif du marché et un nouvel essor sans limite du capitalisme, au tournant du nouveau millénaire, la récession de 2001 a dissipé bien des illusions. L'heure est aujourd'hui plutôt aux incertitudes, aux questionnements voire aux inquiétudes face à une situation qui est profondément contradictoire.
Le krach de la " nouvelle économie " a bien fait place à une nouvelle croissance des profits des entreprises et le cours des actions à la Bourse affiche à nouveau des records, dépassant même les niveaux atteints avant 2001… mais ce n'est plus l'euphorie chez les économistes de la bourgeoisie qui doutent de leur propre système. Il n'y a pas de réelle reprise économique ni de reprise des investissements dans la production, ni de création d'emplois véritables. En réalité, cette croissance s'accompagne d'une persistance du chômage et de l'explosion de la précarité et de la misère. La contradiction est évidente entre l'explosion des profits et la réalité des conditions de travail et de vie du monde de la grande majorité de la population.
Depuis 25 ans, nous sommes confrontés à une forme insidieuse de capitulation sociale à laquelle la mondialisation et l'Europe servent d'alibis ", " Cette capitulation est le fruit d'une multitude de renoncements devant l'ampleur des changements que nous imposent les bouleversements sans précédents dans l'histoire du monde que nous connaissons ", c'est ce que Sarkozy en pleine pré-campagne électorale dans la région sinistrée des Ardennes, a déclaré avec cynisme le 18 décembre dernier pour conclure : " Je suis un libéral mais j'ai la force de dire qu'il y a des dérives de la finance qui ne sont pas acceptable ", " Je veux moraliser le capitalisme financier ". Capitulations devant la finance ? Indiscutablement ! C'est bien le sens de l'offensive contre les salariés pour remettre en cause leurs droits et les protections sociales à laquelle se livrent tous les gouvernements de droite comme de gauche depuis 25 ans, au nom de la nécessité de réformer, de moderniser la société, l'économie pour s'adapter aux transformations de la mondialisation, pour être en bonne position dans l'arène de l'économie mondiale. Quant à moraliser la finance, le propos ne manque pas d'ironie. Ces discours qui font minent de dénoncer la politique même de ceux qui les tiennent ne sont que du bluff pour masquer, à la veille des élections, leur propre responsabilité, celle de la droite, mais aussi de la gauche, dans l'offensive que la bourgeoisie mène contre le monde du travail.
Alors que la mondialisation est devenue une réalité qui se traduit dans la vie quotidienne, face à la confusion qu'entretiennent les idéologues des classes dominantes, il est indispensable d'en formuler la critique du point de vue de la classe ouvrière. Il s'agit de comprendre à la fois ce qu'il y a de nouveau par rapport aux périodes précédentes mais aussi comprendre en quoi les contradictions actuelles se rattachent aux contradictions fondamentales du capitalisme décrites par Marx puis Lénine afin de mieux définir le nouveau cadre des luttes de classes et la politique du mouvement ouvrier. Comment définir la phase de développement actuel du capitalisme et la situation nouvelle qu'elle ouvre ? Quels sont ses traits nouveaux ? La croissance des profits peut-elle constituer la base d'une véritable reprise économique, d'une croissance durable ? Peut-elle permettre au capitalisme de sortir des contradictions qui ont conduit à la crise des années 70, à l'explosion du chômage qui perdure jusqu'à aujourd'hui ? Annonce-t-elle le début d'une nouvelle phase de développement pour le capitalisme ? Quelle est l'attitude des autres classes vis-à-vis de la mondialisation ? Quelle politique pour le mouvement ouvrier ?
Peut-on moraliser la finance ou la réguler ou plutôt s'attaquer à son pouvoir avec les armes de la lutte de classe ?
C'est une discussion indispensable, plusieurs livres récents participent de ce débat. Comment replacer cette nouvelle période dans la " trajectoire du capital " selon l'expression d'Isaac Joshua (1) ? Comment mettre " le 20° siècle en perspective " pour décrire les " crises et renouveau du capitalisme "(2) ? Elle oppose au sein du mouvement social l'antilibéralisme et l'anticapitalisme. Il ne s'agit pas d'une querelle de mot mais de deux analyses qui divergent pour aboutir à des conclusions politiques difficilement conciliables.

Le capitalisme aujourd'hui, libéralisme et impérialisme
A travers les évolutions que l'on résume dans l'expression " mondialisation ", le capital a cherché à se libérer de toutes les contraintes, règlements et institutions qui encadraient et régulaient son fonctionnement depuis la grande crise de 1929 et avaient été accentués au lendemain de la seconde guerre mondiale.
Le capitalisme a aujourd'hui réussi à constituer un marché à l'échelle de toute la planète, complètement déréglementé, libéralisé du moins pour la circulation des capitaux et des marchandises. Il s'est ainsi créé un cadre mondial dans lequel il peut librement chercher de nouvelles sources de profits, en transformant tout ce qui peut l'être en marchandises et en premier lieu la force de travail.
Ce marché mondial est le cadre d'une nouvelle accumulation du capital, qui a pris une ampleur sans précédent grâce au développement de la finance. Les profits s'accumulent sans cesse, augmentant ainsi la masse de capitaux à la recherche de nouvelles sources de profits. La Bourse est devenue le lieu où ces capitaux se partagent à travers mille et une spéculations les richesses produites. Les actionnaires se comportent comme si cette accumulation était sans limite… Et cela quelles qu'en soient les conséquences pour la société ou pour l'environnement. C'est cette fuite en avant dans l'accumulation du capital qui pousse à l'accélération des transformations en œuvre dans la mondialisation.
Les déréglementations, les mesures de libéralisation ont permis un essor de la Bourse et de la finance qui s'est traduit par l'apparition d'une bulle financière qui aujourd'hui n'a plus aucune mesure avec la réalité de la production réelle de marchandises. La mondialisation se traduit avant tout par la dictature de cette finance. Soumise aux caprices de masses gigantesques de capitaux qui peuvent se déplacer en toute liberté d'un bout à l'autre de la planète en fonction des profits attendus, toute l'activité sociale ne semble plus avoir qu'un seul but, satisfaire les actionnaires, assurer un retour sur investissement d'au moins 15 %.
Mais cette accumulation financière ne repose pas sur rien, elle repose sur le développement à l'échelle mondiale du capitalisme, c'est-à-dire du rapport d'exploitation salarié, d'une extension considérable de la production dont la Chine, l'Inde ou le Brésil sont les exemples les plus démonstratifs. Ce développement capitaliste se nourrit de la prolétarisation de millions de paysans, de petits producteurs, qui, ruinés par le capitalisme, n'ont d'autre choix que d'aller grossir les mégapoles du tiers-monde ou les rangs de l'immigration pour tenter de vendre la seule chose qui leur reste, leur force de travail.
Une pression considérable s'exerce ainsi sur la classe ouvrière pour accentuer l'exploitation. Surexploitation sans limite du nouveau prolétariat, licenciements boursiers annoncés à grand renfort de publicité pour faire monter les cours des actions, chômage de masse, précarité, pays entiers ruinés comme les pays d'Asie du Sud-Est ou plus récemment l'Argentine parce que les groupes financiers ont retiré des capitaux qu'ils sont allés placer ailleurs, ces groupes qui dominent l'économie mettent l'ensemble de la population sous la pression exacerbée de la rentabilité financière.
Plus aucun secteur de l'activité économique n'échappe aujourd'hui à cette marchandisation du monde. Les privatisations massives dans tous les pays ont transformé en sources potentielles de nouveaux profits, tout ce qui, étant du domaine d'un service public, échappait en partie aux lois du marché, comme l'eau, l'électricité, le gaz, le transport mais aussi la santé, l'éducation. Tous les systèmes sociaux, retraites, sécurité sociale, la moindre dépense de l'Etat ayant un contenu social sont remis en cause comme autant de freins, d'obstacles à ce que tous les rapports sociaux, les rapports humains ne soient plus que des rapports marchands, à travers lesquels des capitaux peuvent s'investir, des dividendes être encaissés. Plus rien n'y échappe ni le travail intellectuel, ni même… le vivant, avec les brevets sur le génome humain.
Cet essor de la puissance des actionnaires a renforcé comme jamais le fétichisme de la finance, l'illusion que la Bourse aurait par elle-même le pouvoir de créer de la richesse. Mais la finance n'est en rien coupée de l'économie réelle dans laquelle elle s'enracine. Les profits boursiers reposent en dernier ressort sur le travail humain qui est la seule véritable source de richesses. Et puisqu'il y a de plus en plus de capitaux cherchant frénétiquement à s'accaparer de plus en plus de plus-value, cela a pour conséquence l'intensification de l'exploitation sociale.
Cette dictature des marchés financiers que chacun se plait à dénoncer, c'est le capitalisme lui-même. Le capital est avant tout un rapport social d'oppression, d'exploitation, de domination. A travers la finance, c'est la bourgeoisie qui exerce sa dictature sur l'ensemble de la société s'accaparant une part de plus en plus grande des richesses produites.
La mondialisation est l'aboutissement de l'offensive de la bourgeoisie contre le monde du travail et les peuples pour faire face aux contradictions de son propre système par les méthodes de la lutte de classes. Pour rétablir les taux de profits en baisse dans les années 70, elle s'est lancée dans une véritable guerre sociale contre le monde du travail et les peuples, en revenant sur toutes les concessions faites dans la période précédente avec l'objectif bien concret de faire reculer la part des salaires dans la répartition de la richesse produite au profit du capital.
Cela a entraîné dans les pays développés un profond recul social avec l'explosion de la précarité et l'accroissement des inégalités. De même à l'échelle du monde, à travers notamment le mécanisme de la dette, les économies des pays dits en développement ont été livrées au pillage entraînant une véritable catastrophe pour les peuples.
Catastrophique pour le monde du travail et les peuples, la mondialisation l'est aussi pour la planète qui est livrée à un pillage sans frein ayant conduit à la crise écologique globalisée. Devant la réalité des ravages que leur propre système fait subir à la planète, les classes dirigeantes n'ont d'autres solutions que… de s'en remettre aux marchés, de créer de nouvelles possibilités de spéculation autour d'un droit à polluer.
C'est cette offensive qui a été théorisée au début des années 80 avec le tournant néo-libéral de Thatcher et Reagan. Et c'est rapidement l'ensemble des partis politiques au service de la bourgeoisie qu'ils soient de droite ou de gauche qui se sont convertis au libéralisme… Ainsi en France comme dans bien d'autres pays d'Europe se sont les partis social-démocrates au pouvoir qui ont mené cette offensive avec la même constance que les gouvernements de droite.
Les prétendues lois économiques invoquées pour justifier ces politiques réactionnaires et qui s'imposeraient à tous ne sont que l'expression de rapports et de luttes de classes au niveau de la production comme de la répartition des richesses.
La bourgeoisie mène aujourd'hui une véritable guerre sociale pour imposer de nouveaux reculs, en accentuant sans cesse l'exploitation sociale et le pillage de la planète. Aussi en même temps que la mondialisation libéralisait l'économie, elle entraînait une offensive impérialiste qui s'est accentuée et accélérée depuis le tournant de 2001, marqué à la fois par la récession économique et par les attentats du 11 septembre.
En fait contrairement à ce que prétend l'idéologie libérale, la mondialisation ne s'accompagne pas d'une réduction du rôle de l'Etat. Bien au contraire, l'Etat, et cela quels que soient les gouvernements en place, s'est mis au service de cette politique libérale. Son rôle n'a pas diminué mais il a changé. Si dans l'après guerre l'Etat est intervenu, sous la pression des travailleurs et des peuples, à travers des politiques sociales pour réguler, dans une mesure très relative, le capitalisme, il organise aujourd'hui les privatisations, la libre concurrence dans le cadre de " l'agenda de Lisbonne ".
Loin d'apporter la paix au monde, la mondialisation se développe à travers les rapports de domination impérialiste forgés dans la période précédente. La fin des guerres coloniales et de la guerre froide n'ont pas mis fin au militarisme. Bien au contraire, le libéralisme économique se combine avec un développement du militarisme contre les peuples qui a abouti à un redéploiement militaire à l'échelle de la planète, à une série de guerres menées sous l'égide de l'ONU ou plus directement derrière les Etats-Unis.
Ce développement désastreux du capitalisme n'est pas l'expression d'emballements incontrôlés mais bien le développement de la logique interne du système à partir du moment où les luttes des travailleurs et des peuples, n'ayant pu en venir à bout, reculent et laissent le champ libre à l'avidité des classes dominantes, à la logique de la concurrence et de l'économie de marché.

Evolution de l'impérialisme depuis Lénine, continuité et rupture
Le développement du capitalisme a toujours eu pour arène le monde, ce qui est nouveau dans la phase actuelle c'est que, pour la première fois, le capital a abattu les dernières barrières qui s'opposaient à sa dictature, à la libre accumulation sans frein ni limite des fruits de l'exploitation du travail humain. Cette phase ne constitue en rien un dépassement des contradictions de la période précédente qui avait abouti à la crise des années 70. Les contradictions actuelles s'inscrivent bien en réalité dans la continuité de l'évolution du capitalisme décrite par Marx et Lénine sous l'effet de sa contradiction fondamentale entre la socialisation, la globalisation croissante de la production et l'appropriation privée des richesses.

Du capitalisme de libre entreprise à la naissance de l'impérialisme…
Au tournant des XIXème et XXème siècle, le capitalisme de libre concurrence au sein de quelques pays industrialisés s'est transformé en la domination du capital financier et le partage du monde entre les grandes puissances impérialistes. Les entreprises ont grandi et se sont concentrées, c'est l'époque où sont nés les premiers trusts. Les banques ont joué un rôle de plus en plus important aboutissant à la naissance du capital financier, fusion de la banque et de l'industrie. Le capital financier qui ne pouvait plus se contenter de l'étroitesse des marchés nationaux, s'est soumis, par le mécanisme de la dette, les Etats qui se sont mis à son service parallèlement à la conquête des empires coloniaux pour constituer autant de chasses gardées, de réservoir de main d'œuvre et de matières premières pour leurs trusts nationaux, comme de nouvelles zones où investir les capitaux à la recherche de sources de profit.
La mondialisation actuelle est, à juste titre, comparée avec cette période d'essor de l'impérialisme. Elle en est la reproduction à une autre échelle, continuité et rupture à partir de rapports économiques, sociaux, internationaux profondément transformés. Avec l'impérialisme, le capitalisme a cherché à dépasser le cadre devenu trop étroit des économies nationales à travers l'exportation des capitaux et la constitution de vastes empires coloniaux pour faire face à la chute du taux de profit. La mondialisation actuelle obéit aux mêmes nécessités qui poussent les classes dirigeantes à franchir une nouvelle étape dans la constitution d'un marché mondial, arène de la concurrence entre les firmes multinationales ainsi qu'entre les travailleurs.
Dans son livre L'Impérialisme, stade suprême du capitalisme, Lénine a décrit cette naissance de l'impérialisme en combattant les illusions qui existaient jusque dans les rangs du mouvement ouvrier dans la capacité du capitalisme à résoudre ses contradictions internes. Car loin de les avoir surmontées, l'impérialisme n'a fait que les porter à un niveau supérieur. La concurrence économique entre trusts, la conquête et le partage territorial du monde à travers la constitution des empires coloniaux ont entraîné de nouvelles rivalités et tensions entre les grandes puissances impérialistes qui ont explosé avec la guerre de 14-18.

Trente ans de crises du capitalisme : crise, guerre et révolution
Ainsi s'ouvrait une période de profonde crise du capitalisme, période de guerres, de crises économiques et de crises révolutionnaires, dont le monde est sorti transformé. En une trentaine d'années, les rapports de forces entre les classes et entre les puissances impérialistes ont été totalement modifiés.
La guerre a entraîné une vague révolutionnaire qui a ébranlé, grâce à la révolution d'octobre 17, la domination de la bourgeoisie et abouti à la formation de l'URSS puis au partage du monde en deux blocs.
D'autre part, l'émergence des Etats-Unis, devenus la première puissance économique mondiale, a bouleversé les rapports de forces impérialistes au détriment des vieilles puissances européennes, la France, l'Angleterre et l'Allemagne. C'est un capitalisme moderne qui s'est développé à l'échelle du continent nord-américain. Les années 20 sont pour les Etats-Unis une période de croissance euphorique permettant un essor de la finance, de la Bourse mais qui s'est achevée brutalement avec le krach de Wall street et la crise de 1929. Première grande crise économique mondiale, la crise de 1929 traduit l'instabilité d'un capitalisme arrivé à maturité… Elle est la conséquence de la contradiction fondamentale entre une production socialisée capable de produire toujours plus, et une appropriation qui reste privée. Même en période de croissance, le capitalisme est incapable de maintenir un équilibre entre la production et le marché, entre les différentes branches de la production, parce qu'il ne connaît que les lois aveugles du marché dominé par la concurrence et la course au profit. Du coup la crise est pour lui le seul mode de régulation, le seul moyen de rétablir par la violence les équilibres rompus.

Les " trente glorieuses " : de la reconstruction de l'après-guerre au compromis keynésien
Au lendemain de la seconde guerre mondiale, commence une période de croissance économique. Aujourd'hui cette période sert souvent de référence à tous ceux qui, face au ravage de la mondialisation, défendent l'idée qu'une plus grande intervention de l'Etat devrait permettre de réguler les excès du capitalisme.
En réalité, cette période de croissance, bien exagérément baptisée " trente glorieuses ", correspond à la reconstruction suite aux destructions gigantesques occasionnées par la seconde guerre mondiale et cela dans un contexte où le rapport de forces n'était plus aussi favorable pour la bourgeoisie, à cause des années de crises et de guerres, de l'organisation des travailleurs, de l'existence même de l'URSS et de la révolte des peuples contre la domination coloniale.
Les Etats sont fortement intervenus dans la vie économique et sociale. Sur la base d'un recours massif aux crédits, à l'endettement, ils ont contribué à soutenir la croissance. La bourgeoisie est ainsi parvenue à intégrer des concessions importantes faites aux classes ouvrières et aux peuples sur la base d'une croissance économique importante, pour mieux pouvoir sauver l'essentiel sa domination sociale. Les Etats ont mis en place des réglementations pour les banques et la bourse, des protections pour protéger leurs économies nationales de la concurrence. Ils ont pris en main des secteurs entiers de l'économie à travers des entreprises publiques, ils ont mis en place une législation sociale. C'est la base de ce que l'on a appelé le compromis keynésien du nom de l'économiste qui en a fait la théorie.
Cela s'est traduit par une amélioration du niveau de vie des travailleurs, par l'espoir qu'eux-mêmes et leurs enfants auraient un avenir meilleur. Il ne s'agissait pas d'une nouvelle orientation pour le capitalisme mais d'une politique de concessions de la bourgeoisie face à un rapport de force défavorable… et surtout cela n'était en rien une solution pour surmonter les contradictions fondamentales de l'économie capitaliste. Bien au contraire, ces années d'expansion économique n'ont fait que préparer les conditions de la crise des années 70.

La crise des années 70 : l'offensive contre le monde du travail pour rétablir les taux de profit
La crise s'est d'abord manifestée à travers la baisse régulière des taux de profits qui sont passés de prés de 20 % au début des années 60 à 12 % en 1982.
Pour réaliser le meilleur profit possible, les capitalistes cherchent à augmenter la productivité du travail humain en limitant la part des salaires. Mais en même temps, pour réaliser leurs profits, ils ont besoin de vendre leurs marchandises. Or il y a une contradiction entre les deux, car si le salaire est un " coût " à réduire pour chaque entreprise particulière, il est également la base du pouvoir d'achat qui permet aux entreprises de vendre leurs marchandises. C'est pour cela que, tôt ou tard, même en période d'expansion, le capitalisme est confronté à des difficultés dans la réalisation de son profit qui se traduisent par la baisse du taux de profit.
A travers la crise des années 70, la bourgeoisie est passée à l'offensive pour le rétablir. Au nom de la nécessité d'améliorer la rentabilité des entreprises, des restructurations ont entraîné une augmentation rapide du chômage et un recul des salaires. La bourgeoisie a pu améliorer la productivité du travail, les profits ont ainsi été rétablis mais dans un contexte où les marchés ne pouvaient que se restreindre.
C'est dans ce contexte qu'est intervenu le tournant libéral des années 80. Il ne s'agissait pas de la mise en œuvre d'un " modèle libéral " mais de la fuite en avant de la bourgeoisie, pour accentuer l'offensive contre le monde du travail en s'ouvrant par la force de nouveaux marchés, de nouvelles sources de profits dans un mouvement de marchandisation du monde.
Le taux de profit rétabli, la bourgeoise pouvait investir dans les nouvelles technologies, moderniser la production mais cela dans le seul but d'accroître ce même taux de profit.

Prolonger la courbe du développement de l'impérialisme, la mondialisation, une nouvelle période de crises et de révolution
La mondialisation actuelle est la réponse de la bourgeoisie à la crise des années 70. La libéralisation et la déréglementation des flux financiers ont rendu au capital toute sa liberté de mouvement. A travers 20 ans d'offensive, l'impérialisme est donc revenu sur toutes les concessions qui avaient pu être faites pendant les trente glorieuses, pour imposer, sous la domination des Etats-Unis, un capitalisme de libre concurrence à l'échelle de toute la planète. Sur la base d'un rapport de force favorable aux classes dominantes, le capitalisme peut ainsi transférer le poids de ses contradictions sur le monde du travail.
A chaque étape de son histoire, confronté aux limites liées à ses propres contradictions internes, le capitalisme a cherché à les surmonter en s'ouvrant, le plus souvent par la force des armes, de nouveaux débouchés, de nouveaux marchés, de nouvelles sources de profits. A l'époque de l'impérialisme, les bourgeoisies ont cherché à dépasser les limites de leurs marchés nationaux en se taillant des empires coloniaux par la force de leurs armées, ce qui a conduit à la première guerre mondiale. Dans toute la période d'après guerre, l'intervention massive des Etats et du crédit ont permis de soutenir une expansion, mais cela n'a fait que préparer les conditions de la crise des années 70. Avec la mondialisation, la bourgeoisie s'est lancée dans une fuite en avant pour transformer toute la planète en marchandises, et drainer toutes les richesses pour alimenter les exigences du capital financier. Mais, comme à chaque phase de son développement, loin de résoudre ses contradictions internes, le capitalisme ne fait que les porter à une échelle encore plus importante. En ayant triomphé à l'échelle de la planète, le capitalisme révèle aujourd'hui sa profonde instabilité et son incapacité à permettre un développement économique durable.

La mondialisation : une nouvelle ère de crises majeures
Cette instabilité se manifeste aujourd'hui à travers une série de crises qui se succèdent depuis une dizaine d'années et qui, de la crise asiatique de 1997 jusqu'à la crise de la " nouvelle économie " en 2000 ont pris un caractère de plus en plus global. La cause primordiale de ces crises se trouve dans l'écart toujours plus profond entre la masse de capitaux sous forme de titres, d'actions visant à s'approprier une part des richesses produites aujourd'hui ou demain et la capacité réelle du capital à s'investir dans la production pour produire effectivement cette richesse. Bref, la cause des crises actuelles est la tendance des capitaux financiers à vouloir obtenir de l'économie réelle plus qu'elle ne peut donner. Cela donne au capital financier son caractère profondément parasitaire, toute la société est sacrifiée pour alimenter la pompe aux profits boursiers. Mais l'euphorie spéculative débouche nécessairement sur un krach, car les limites de l'économie réelle finissent par s'imposer.
La crise qui a éclaté en Asie en 1997 a touché des pays que les économistes présentaient comme devant connaître une croissance accélérée durable. Mais leur essor industriel avait attiré de plus en plus de capitaux financiers spéculatifs jusqu'à créer une bulle qui a fini par éclater, tout simplement parce que l'accumulation du capital se faisait à un rythme tel que les taux de profit attendus ne pouvaient plus se maintenir. Et la panique a vite succédé à l'euphorie, l'arrivée massive de capitaux a été suivie de leur fuite tout aussi rapide, provoquant l'effondrement des cours des actions et une véritable catastrophe sociale pour les populations de ces pays. En 1998, le même mécanisme s'est reproduit en Russie, puis en 1999 au Brésil et encore plus récemment en Argentine.
C'est en 2000 que la première véritable crise majeure de la mondialisation a eu lieu, aux Etats-Unis. Pendant toute la décennie des années 90, le taux de croissance américain s'est maintenu à un niveau très élevé du fait du boom des entreprises liées au développement d'Internet et des nouvelles technologies. L'essor de ces nouvelles entreprises a entraîné un afflux de capitaux, de plus en plus spéculatifs espérant y trouver des placements rapportant gros. Les cours ont flambé. Les économistes prédisaient une croissance soutenue et régulière grâce à la net-économie… Les starts-ups se sont multipliées, en quelques mois elles étaient cotées à la Bourse, voyaient leurs actions s'envoler, parfois même avant d'avoir produit ou vendu quoi que ce soit. L'indice boursier du Nasdaq regroupant les valeurs de ces entreprises est passé de 500 en 1991, à 1000 en 1995, puis 2000 en 1998 pour plafonner à plus de 5000 en 2000, multiplié par 10 en 9 ans.
Mais l'illusion du boom s'est achevée dans le krach des années 2000, qui a vu les cours de la Bourse battre de nouveaux records mais cette fois-ci à la baisse et une nouvelle récession toucher l'économie mondiale. De juillet 2000 à décembre 2001, la production industrielle américaine a connu la plus importante baisse depuis les années 70, le taux de chômage est passé de 3,8 à 6 %.
Depuis la récession des années 2000, il y a bien eu un rétablissement des profits aux Etats-Unis mais sur la base d'une véritable fuite en avant pour relancer le marché en soutenant la consommation de la fraction la plus aisée de la population. La reprise de l'économie américaine depuis 2003 repose sur une gigantesque explosion de l'endettement des ménages comme de l'Etat américain et d'un déficit commercial sans précédent. Pour ne citer que quelques chiffres, si en 2000 l'Etat américain présentait un excédent de 239,4 milliards de dollars, il n'était plus que de 51,5 milliards en 2001 pour devenir un déficit de -282,1 milliards en 2002, et la tendance s'est poursuivie jusqu'à aujourd'hui. Les éléments de nouvelles crises s'accumulent dans ce régime de surconsommation permanente reposant sur un endettement généralisé. Il ne peut se poursuivre que sur la base d'un rapport de force hégémonique pour les Etats-Unis qui leur permet d'attirer vers eux des capitaux du monde entier. L'impérialisme dominant n'est pas exportateur de capitaux comme à l'époque de l'impérialisme de Lénine, mais au contraire en draine vers lui. Et c'est bien un des paradoxes de l'économie mondiale dont la santé dépend de celle des Etats-Unis, c'est-à-dire de leur capacité à continuer à recevoir des capitaux de ceux-là mêmes qui sont sous sa dépendance économique.

Une hégémonie américaine… lourde de nouvelles tensions inter impérialistes
Le leitmotiv de la politique américaine c'est la " croissance chez nous à tout prix "… Les Etats-Unis sont à l'offensive économique et militaire pour défendre leur hégémonie, quel que soit le prix à payer par le reste du monde. D'où cet état de guerre permanent qu'ils imposent au reste de la planète, et qui s'est traduit par leur redéploiement militaire suite aux attentats du 11 septembre 2001.
De leur côté, les vieilles puissances européennes tentent de surmonter leur division en construisant une Europe libérale, qui se voudrait une machine de guerre dans leur concurrence contre les Etats-Unis. Mais de nouvelles nations en plein essor économique comme la Chine peuvent modifier ces vieux rapports impérialistes. La Chine, en quelques années, est devenu " l'usine du monde ", réalisant une part croissante de la production mondiale et des exportations vers les Etats-Unis et l'Europe. Il est difficile de savoir si l'afflux de capitaux en Chine ou en Inde, ne relève que de la simple frénésie spéculative ou s'il peut être la base pour un essor économique durable qui ferait de ces pays immenses de réelles puissances économiques capables de rivaliser avec les Etats-Unis ou avec l'Europe.
La mondialisation entraîne ainsi une nouvelle redéfinition des rapports internationaux, d'autant que comme plus aucune région du monde n'échappe aux rapports capitalistes, la concurrence est devenue plus dure entre les vieilles puissances, comme entre elles et les nouvelles puissances économiques comme la Chine.
Le monde est en train de se réorganiser autour de nouvelles zones d'influences, chaque pays cherchant à peser pour élargir sa propre zone en fonction d'un rapport de force économique en pleine transformation. Ces rivalités, ces tensions ne font qu'accroître l'instabilité de l'économie mondiale.
L'offensive libérale a abouti avec la mondialisation à une phase du capitalisme qui combine la libre concurrence pour les capitaux et les firmes multinationales et la violence impérialiste pour la domination du monde et le pillage des peuples. Elle crée un état de guerre permanent. La bourgeoisie en essayant de faire face aux contradictions de son propre système, en a fait apparaître de nouvelles, ouvrant une période de guerre économique généralisée ne pouvant que conduire à de nouvelles crises financières et à de nouvelles guerres.

Actualité du programme révolutionnaire, antilibéralisme ou anticapitalisme
Face au ravage de la mondialisation, depuis plusieurs années, les mobilisations se sont multipliées. Le mouvement alter-mondialiste a voulu en être l'expression et a su faire entendre sa voix dès 1999, avec la manifestation de Seattle et toutes celles qui ont suivi, pour affirmer qu'un " autre monde est possible ".
Devant la faillite des partis sociaux-démocrates, convertis à l'économie de marché et au libéralisme, après l'effondrement du stalinisme et face aux limites des luttes de libération nationale, de nouveaux courants sont apparus se situant sur le terrain d'une critique radicale de la mondialisation.
Ces courants se revendiquent d'une politique antilibérale qui s'oppose à cette idéologie du " tout marché " que théorisent les apologistes de la mondialisation capitaliste. S'ils ne remettent pas en cause les fondements de l'économie de marché, ni même le capitalisme en tant que tel, ils défendent la nécessité d'opposer aux lois aveugles des marchés financiers, une régulation de l'économie par l'intervention de l'Etat pour faire respecter un certain nombre de besoins sociaux et démocratiques.
Une telle politique limite les mobilisations et les luttes au cadre même du système et ainsi leurs possibilités de généralisation qui conduit nécessairement à un affrontement. La critique de la mondialisation dont les luttes sont porteuses dépasse, dans la pratique, l'antilibéralisme pour porter une critique du capitalisme et de ses contradictions internes, remettre en cause la propriété privée et ses droits à disposer du travail humain pour s'en approprier les fruits.
Le débat avec les antilibéraux porte sur le tournant libéral des années 80 comme sur les possibilité de réguler les marchés en fonction des intérêts de l'ensemble de la société par une intervention de l'Etat, dans le cadre des institutions actuelles, c'est-à-dire la possibilité de combattre les effets de la mondialisation sans remettre en cause le capitalisme lui-même.

Comment expliquer le tournant libéral des années 80 ?
Dans le raisonnement des antilibéraux, il y a l'idée que l'offensive libérale ne serait finalement que le choix d'une fraction de la bourgeoisie et d'un certain nombre de politiciens et d'économistes libéraux à son service. La mondialisation serait l'application d'un modèle économique libéral qui fait aujourd'hui à grande échelle la démonstration de son échec. Devant l'évidence de cet échec, en s'appuyant sur l'opinion et son expression électorale, il serait possible de revenir à une autre politique pour réguler le capitalisme grâce à l'intervention de l'Etat.
Ce qui est en échec aujourd'hui, ce n'est pas la politique des classes dominantes, mais leur prétention à identifier, pour subjuguer l'opinion, l'économie de marché, la libre concurrence à la démocratie et au progrès social. Echec, oui, du point de vue de la prétention des défenseurs de ce système économique à affirmer qu'il peut être la base d'un développement économique harmonieux pour l'ensemble de la société. Avec la mondialisation, le capitalisme est mis à nu, sans plus aucun régulateur, et c'est la réalité des rapports de classes qui apparaît de plus en plus clairement. La mondialisation est le cadre d'une offensive de la bourgeoisie pour augmenter sa part dans la richesse produite directement au détriment du monde du travail. Et c'est par la violence sociale, la violence directe y compris militaire que ce transfert de richesse se fait, que la libre concurrence s'impose aux peuples.
Tous les discours des libéraux, sur les capacités des marchés à permettre la création et la répartition des richesses, n'ont été que des théorisations pour justifier cette violence de classe au nom de soi-disant lois économiques qui devraient s'imposer à tous. Le tournant des années 80 n'est pas la conséquence d'un débat idéologique qui aurait été gagné par les libéraux partisans du " tout marché " contre les défenseurs d'un marché régulé par l'Etat. Il correspond à une accélération de l'offensive capitaliste, y compris sur le plan idéologique, auquel l'effondrement de l'ex-URSS a donné bien des arguments et ouverts de nouvelles possibilités concrètes.
Il s'agit d'une évolution profonde du capitalisme sous la pression de ses propres contradictions à la faveur de progrès scientifiques et technologiques qui ont donné à la mondialisation sa base matérielle. C'est pour cela que remettre en cause le libéralisme, en tant que politique pour la bourgeoisie, ne peut signifier que faire la critique de fond du capitalisme et de ses contradictions.

Rester dans le cadre institutionnel ou défendre une stratégie de rupture sur le terrain de la lutte des classes
Pour défendre les besoins sociaux face aux marchés, les courants antilibéraux comptent avant tout sur l'Etat qui devrait assurer une régulation de l'économie. Cela les conduit à raisonner essentiellement dans le cadre institutionnel, en espérant que par le jeu électoral un gouvernement antilibéral pourra initier les réformes nécessaires ou du moins que le courant antilibéral pourra peser sur un gouvernement de gauche en ce sens. C'est cette logique institutionnelle qui fait que les antilibéraux restent dépendants du PS, dépendants d'accords électoraux et parlementaires, ce qui a, d'ailleurs, abouti à l'échec des candidatures antilibérales.
Comme la seule période de l'histoire du capitalisme où l'Etat a joué, en partie, un tel rôle de régulation est la période des trente glorieuse, les antilibéraux finissent par idéaliser ce qu'a pu être le compromis keynésien d'après guerre. Mais Keynes n'avait comme unique préoccupation que de proposer des mesures pour réguler le capitalisme du point de vue des intérêts de la bourgeoisie et de ses profits, dans le cadre de l'économie de marché contrainte à certaines limitations.
Pas plus dans les années d'après guerre qu'aujourd'hui, l'Etat n'a été au service de l'ensemble de la société. Quels que soient les gouvernements qui se sont succédés, quelles que soient les politiques mises en œuvre, l'Etat est resté au service des intérêts de la bourgeoisie, que ce soit dans les périodes où elle a mené l'offensive ou que ce soit dans les périodes où elle a du faire des concessions pour finalement sauver son système.
Avec la mondialisation, la situation est bien différente de cette période d'après guerre, mais elle l'est aussi de l'impérialisme du début du XXème siècle, quand sur la base du pillage colonial la bourgeoisie a su intégrer une partie du mouvement ouvrier grâce aux surprofits réalisés par l'exploitation éhontée des peuples coloniaux redistribués dans les métropoles impérialistes, comme la France ou l'Angleterre.
Les différentes bourgeoisies en concurrence les unes contre les autres ne peuvent plus se permettre une telle politique. Elles sont au contraire à l'offensive pour remettre en cause toutes les concessions passées. Quel que soit le gouvernement, il devra se plier aux exigences du patronat et tout faire pour rendre l'économie compétitive sur le marché mondial, ce qui signifie baisser encore et toujours les coûts de production. Toute la politique de la bourgeoisie vise aujourd'hui à réduire la part des salaires dans la répartition des richesses. Non seulement, elle s'oppose à toutes nouvelles concessions, mais elle n'a d'autre objectif que de finir de liquider tout ce qui pourrait encore limiter la liberté d'action des capitaux financiers. La moindre revendication économique ou sociale s'oppose à cette logique et se heurte donc frontalement à la politique de la bourgeoisie.
C'est en ce sens qu'il n'y a plus de base sociale pour une politique réformiste, c'est-à-dire pour une politique permettant d'arracher par la lutte économique quotidienne des reculs significatifs à la bourgeoisie pour améliorer les conditions de vie du monde du travail sans remettre en cause le capitalisme lui-même.
Plus que jamais, la question sociale est la question politique essentielle, et toute lutte un tant soit peu conséquente prend une dimension politique.
La bourgeoisie mène la lutte des classes consciemment, elle sait qu'elle n'a pas d'autres choix que de se préparer à des confrontations directes, ce qui explique sa politique de plus en plus répressive, son militarisme sans précédent et finalement cet état de guerre permanent, social et militaire, qu'elle fait régner à l'échelle du monde.
C'est bien pour cela que ce n'est pas sur le terrain des institutions que nous pourrons combattre les politiques libérales. Il s'agit de regrouper toutes les forces, sur le terrain de la lutte des classes, en toute indépendance, en formulant des perspectives politiques anticapitalistes en rupture avec les institutions.
Le réformisme entretient l'illusion selon laquelle faire de la politique ce serait intervenir dans le cadre institutionnel. Non, faire de la politique, c'est considérer les exigences du monde du travail du point de vue des intérêts généraux de la société, de les opposer à ceux du parasitisme des classes dominantes et poser la question du pouvoir. Faire de la politique, c'est poser la question : qui dirige ? C'est contester le pouvoir politique et économique de la bourgeoisie.

La mondialisation renforce les fossoyeurs du monde bourgeois
La mondialisation a entraîné une généralisation du rapport de production capitaliste, c'est-à-dire du salariat. Elle est donc le cadre du développement d'une nouvelle classe ouvrière à l'échelle du monde, travaillant pour les mêmes firmes multinationales et mise en concurrence sur le même marché. Cette mise en concurrence entre les classes ouvrières des pays riches et celles des pays pauvres a bien sûr d'abord entraîné un recul général, par le chômage, par la précarité et de façon générale par une accentuation de l'exploitation. Mais cela a aussi entraîné les conditions pour l'émergence de nouvelles résistances. La généralisation du salariat constitue la principale base matérielle pour l'essor d'une nouvelle conscience de classe, internationaliste, pour un renouveau du mouvement ouvrier à l'échelle de la planète, et c'est d'ailleurs du besoin de cette renaissance dont témoigne, indirectement, l'émergence du mouvement altermondialiste dans toute sa diversité.
Bien sûr, il est impossible de prévoir à quel rythme, à travers quelles étapes un tel mouvement ouvrier pourra se reconstruire sur le plan politique, mais tout laisse à croire que ce sera bien plus rapidement que dans le passé. D'autant que la moindre lutte pour revendiquer de meilleures conditions de salaires, de travail, pour revendiquer des droits démocratiques se heurte à l'offensive libérale de la bourgeoisie. C'est le radicalisme même de l'offensive de la bourgeoisie, la lutte de classe permanente qu'elle mène qui ne peut qu'engendrer une radicalisation de la contestation, la lutte pour la moindre des revendications économiques et démocratiques conduit à une remise en cause de l'ensemble du système capitaliste. C'est cette radicalisation des consciences qui est inscrite dans les contradictions même de la période, qu'il nous faut aider à se formuler consciemment en rupture avec les illusions dans les institutions et donc en toute indépendance sur le terrain d'une perspective anticapitaliste.

Actualité de la lutte démocratique et révolutionnaire
Il est en effet évident que le capitalisme à son stade libéral et impérialiste ne peut être transformé dans le cadre institutionnel si tant est que cela n'ait été jamais possible. La moindre exigence salariale, démocratique se heurte à toute la logique économique, sociale, politique du pillage des richesses de la planète par le jeu de la libre concurrence, c'est-à-dire à la propriété capitaliste financière.
Renverser cette logique ne peut se faire qu'à travers un affrontement social et politique.
Pour le mouvement ouvrier, la question est tout autant les exigences que les moyens de les mettre en œuvre, c'est-à-dire la lutte de classe pour la conquête du pouvoir politique pour exproprier la bourgeoise de son pouvoir économique.
Face à la marchandisation du monde, une politique indépendante pour les salariés, cela signifie une politique qui ne sème pas l'illusion d'une régulation possible, institutionnelle de la mondialisation mais qui affirme tout simplement le droit à la vie du monde du travail.
Il s'agit de mettre en avant les besoins les plus immédiats, c'est-à-dire un ensemble de mesures d'urgence social et démocratique qui sont autant de droits fondamentaux ressentis comme nécessaires et indispensables par tous mais qui, de fait, se heurtent aux intérêts de la finance, de la bourgeoisie et donc de la propriété privée.
Ce sont des mesures qui tirent toute leur légitimité de la faillite de la mondialisation, du pouvoir de cette oligarchie financière dont le parasitisme apparaît de plus en plus clairement à l'échelle du monde. Toutes ces mesures, pour l'augmentation des salaires et de tous les revenus, contre les licenciements, pour le maintien des législations sociales et de véritables services publics posent la question d'un contrôle démocratique exercé par les salariés sur la marche de l'économie.
Et la seule méthode d'action pour défendre ces mesures, c'est celle du mouvement ouvrier, c'est-à-dire l'intervention directe de la classe ouvrière sur le terrain de la lutte des classes, en toute indépendance des partis gouvernementaux. C'est pour cela qu'il ne s'agit pas d'un programme de mesures pour un gouvernement antilibéral, mesures qui devraient dès lors être pensées dans le cadre des institutions mais d'un programme de revendications pour les luttes à travers lesquelles les consciences se transformeront.
Le plan d'urgence social et démocratique souligne, en partant des véritables besoins sociaux, la contradiction irréconciliable entre les intérêts des classes populaires et toute la logique économique du capitalisme comme des Etats à son service.
C'est à travers une telle politique anticapitaliste, et donc de rupture sur le terrain des luttes, que le monde du travail pourra prendre conscience de sa force collective, et surtout de sa légitimité à contester le pouvoir social de la bourgeoisie, la conscience collective de la nécessité pour lui de prendre et d'exercer directement le pouvoir sur toute la vie sociale.
Notre rôle n'est nullement d'inventer un nouveau programme, d'opposer un modèle de société au libéralisme, mais bien de formuler en terme politique, programmatique la critique du capitalisme dont les luttes sont, de fait, porteuses par delà, souvent, la conscience qu'en ont leurs acteurs. Et à partir des résistances et mobilisations quotidiennes d'aider aux évolutions de conscience qui s'opèrent sous la pression des transformations sociales et politiques en cours pour poser la question du pouvoir et contester la légitimité du capital financier à diriger le monde.
Nous ne sommes ni des doctrinaires ni des dogmatiques. Bien au contraire, les idées du socialisme et du communisme formulent une critique pratique et concrète du capitalisme pour dégager de ces contradictions mêmes les voies et moyens de changer le monde.

Charles Meno

1 " Une trajectoire du capital, De la crise de 1929 à celle de la nouvelle économie ", Isaac Johsua, édition -Syllepse - retour au texte
2 " Crises et renouveau du capitalisme, Le 20ème siècle en perspective ", Sous la direction de Gérard Duménil et Dominique Lévy, édition Les Presses de l'Université Laval - retour au texte