Débatmilitant | ||||||||||
Lettre publiée par des militants de la LCR |
n°135
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11 janvier 2007
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Sommaire : | ||||||||||
Démocratie et barbarie | ||||||||||
A propos du congrès de Lutte ouvrière : quelle politique pour les révolutionnaires ? | ||||||||||
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Bush vient donc
d'annoncer lors d'une allocution télévisée depuis la Maison
Blanche ce que serait " sa nouvelle stratégie de victoire en l'Irak
", l'envoi de 21 500 soldats supplémentaires et un milliard de dollars
d'aide économique dans la continuité de l'aide à la reconstruction
qui a déjà rapporté quelques millions de dollars aux compagnies
américaines. Il vient de confirmer une décision déjà
prise puisque une partie de ces renforts serait déjà partie ou
en partance pour l'Irak.
Après le camouflet reçu par les Républicains lors des dernières
élections, le 6 novembre dernier, qui ont donné la majorité
aux démocrates tant au Congrès qu'au Sénat, Bush, loin
d'infléchir sa politique dans le sens d'un retrait des troupes américaines,
envoie des renforts. Pour laisser entendre qu'il prend en compte le mécontentement
de l'opinion, il a battu sa coulpe sur " ses erreurs "
passées mais pour mieux justifier l'envoie de nouveaux soldats. Il renouvelle
aussi les gradés par quelques limogeages-mutations, comme celui des deux
principaux généraux en fonction en Irak ou du chef des services
de renseignements. Il change quelques têtes pour mieux continuer la même
politique, continuer, c'est-à-dire l'accentuer, renforcer la pression
militaire, en aggraver les conséquences. 132 000 soldats sont déjà
sur le terrain, 3000 sont morts depuis le début de l'invasion, plus de
22 000 blessés, 379 milliards de dollars ont été engloutis
dans cette sinistre aventure. La guerre s'est installée dans la vie de
la population américaine malgré elle. Sourd au rejet de cette
politique par une large fraction de l'opinion, Bush tente de masquer son échec
par la fuite en avant dans l'escalade militaire.
En début de semaine, Nancy Pelosi, prenant ses fonctions de présidente
démocrate du Congrès américain dans un " esprit
de partenariat " selon ses propres mots, avait demandé
dans son discours d'investiture une " nouvelle orientation "
en Irak. " Le peuple américain a rejeté les obligations
sans limites d'une guerre sans fin... " avait-t-elle déclaré.
" Après près de quatre ans de combat, des milliers
de victimes américaines et plus de 300 milliards de dollars, il est temps
que la guerre se termine " ont renchéri dans un communiqué
les démocrates. Mais ils n'ont nullement l'intention d'aller au-delà
de l'indignation pour combattre la politique de Bush. Tout au plus envisagent-ils
un vote du Congrès et du Sénat de désaveu de Bush mais
sans prétendre l'empêcher de mener sa politique.
La question ne tient d'ailleurs pas tant à la personnalité même
de Bush, pour le moins faible, ni ne relève simplement d'une vaine tentative
de masquer son échec personnel, car, cet échec, c'est d'abord
et avant tout celui de la politique de l'impérialisme américain,
tant militaire que diplomatique.
L'Irak est au centre du plan américain pour stabiliser le Moyen-Orient.
Condolezza Rice ne s'en cachait pas quand elle déclarait en fin d'année,
" une fois que le pays émergera comme facteur de stabilisation,
le Moyen Orient aura profondément changé ". Sauf
que l'Irak n'est pas prêt d'être un facteur de stabilité
et que les USA n'ont pas de politique de rechange en Irak pas plus que leur
allié, Israël, n'en a en Palestine.
" Certes, mais a-t-il le choix? interrogeait le Figaro à
propos de la décision de Bush. Pas sûr. Accepter la défaite
en Irak, que beaucoup lui prédisent, quand ce n'est pas déjà
fait, aurait des conséquences catastrophiques pour son pays et l'équilibre
international ".
En effet, l'Irak se trouve aujourd'hui au coeur de l'offensive militaire des
USA, pièce essentielle de l'affrontement qui se profile avec l'Iran.
" Or, reculer à Bagdad, poursuit le Figaro, reviendrait
à perdre la première bataille d'une guerre à distance qui
prendrait alors une ampleur insoupçonnée ". Il n'est
pas plus question de perdre Bagdad que d'abandonner la Somalie. Le Pentagone
a une stratégie globale de maintien de la présence américaine,
il n'est pas envisageable pour lui d'abdiquer.
Bush a apprécié la sinistre exécution par pendaison de
Saddam Hussein comme " une étape importante sur la route
de l'Irak vers une démocratie qui peut se gouverner, être autosuffisante
et se défendre, et être un allié dans la guerre contre la
terreur ". Par delà le cynisme et la bêtise du propos,
il y a là l'illustration de ce que signifie et recouvre le mot démocratie
pour l'impérialisme. La démocratie est devenue un mot passe-partout
paravent de tous les crimes, de toutes les infamies de l'impérialisme
pour maintenir sa domination, s'ouvrir des marchés, s'assurer des sources
d'approvisionnement en pétrole ou en matières premières.
Et ce n'est pas Bush seul qui n'accepte pas la défaite en Irak mais la
bourgeoisie américaine. Si son arrogance lui est propre, elle est aussi
celle de la classe impérialiste. C'est bien pourquoi les démocrates
tiennent un double langage adoptant une posture d'indignation morale pour en
finir avec la guerre tout en laissant, dans les faits, Bush poursuivre la politique
de l'impérialisme américain pour tenter de trouver une issue à
l'échec de ce dernier, à son isolement croissant.
Comme le soulignait le rapport Baker, résultat du travail d'une commission
présidée par un démocrate et un républicain pour
servir à fonder la dite nouvelle orientation de la politique américaine,
pour réussir, cette dernière a besoin de consensus : consensus
à l'intérieur des Etats-Unis, consensus diplomatique sur la scène
internationale, consensus aussi avec les autorités irakiennes. Le rapport
Baker enfonçait certes une porte ouverte, gagner est plus facile quand
on a l'opinion avec soi, mais il n'en reste pas moins que là est le problème
de la bourgeoisie américaine.
Sa politique ne fait nulle part consensus et, pourtant, elle ne peut en changer
sauf de reconnaître son échec, de se plier à de nouveaux
rapports de force.
Peut-être reviendra-t-il aux démocrates, après l'élection
présidentielle américaine de 2008, de le faire en développant
une nouvelle stratégie pour l'impérialisme américain adaptée
aux nouveaux rapports de force internationaux, acceptant le monde multipolaire
que vantait Ségolène Royal avec le vice-premier ministre chinois.
En attendant, c'est l'escalade militaire dont les enchaînements pourraient
tout aussi probablement être difficilement réversibles.
C'est bien cela le libéralisme impérialiste, la croisade pour
ouvrir par les armes les marchés aux multinationales, au prix de la barbarie.
Les apologistes du capitalisme nous vantaient le marché et la démocratie,
nous avons le marché et la guerre, leurs ravages cumulés
Le monde est bloqué. Multiplication de conflits locaux, montée
du militarisme, envolée des budgets militaires, les grandes puissances
n'ont aucune solution politique à proposer aux peuples pas plus au Moyen-Orient,
qu'en Afrique, en Asie ou en Amérique latine ou qu'en Europe.
Pour construire la coopération démocratique entre les peuples,
il faudra briser les rapports de concurrence et d'exploitation, la logique du
marché et de la guerre.
Yvan
Lemaitre
A
propos du congrès de Lutte ouvrière :
quelle politique pour les révolutionnaires ?
Que veut Lutte
ouvrière et le sait-elle elle-même ? La question est sans
doute un peu provocante, mais à lire les textes de son derniers congrès,
il est tout de même difficile de s'en faire une idée à peu
près claire.
En particulier, on ne peut être que frappé par certaines approximations,
notamment lorsque cela concerne la LCR. Certes, aux dernières nouvelles,
tout irait bien, très bien même puisque la Ligue serait encore
d'extrême gauche. Et nous voilà rassurés, comme LO qui se
réjouit sans réserve de la possible candidature d'Olivier Besancenot
: " Pour notre part, nous espérons sincèrement que
d'ici la date limite il en trouvera suffisamment pour se présenter car
nous espérons vraiment que l'extrême gauche soit représentée
par nos deux candidats, Olivier Besancenot et Arlette Laguiller ".(1)
Comme en 2002, il ne devrait donc y avoir aucun problème pour additionner
nos voix : " Oui, nous souhaitons qu'Arlette et Besancenot,
quels que soient leurs scores respectifs, fassent au total le meilleur score
possible. Imaginons, ce n'est qu'une hypothèse, que le total soit à
nouveau de 10 %. Cela aurait un sens politique important car même si au
deuxième tour c'est le candidat socialiste qui l'emporte, il sera manifeste
qu'une partie de l'électorat de gauche n'a pas craint de manifester de
la défiance, voire de la contestation de la politique socialiste et,
à sa suite, de la politique du PCF
".(2)
L'opération n'est pourtant pas si simple. De manière assez contradictoire,
il paraîtrait en effet, selon LO, que nos politiques seraient en même
temps radicalement différentes, au point d'être pratiquement antagoniques :
" Du côté de l'extrême gauche, Arlette Laguiller
et Olivier Besancenot incarnent des politiques différentes. Olivier Besancenot
défend une politique visant à construire " un débouché
politique aux luttes " en rassemblant des organisations, des associations,
des individus, plus réformistes les uns que les autres, même si
ils se démarquent du Parti socialiste. Tandis que la candidature d'Arlette
Laguiller vise à populariser, avec les possibilités que donne
la campagne présidentielle pour s'adresser à l'ensemble du pays,
des objectifs qui ne peuvent pas être atteints par le vote et dans les
urnes, mais dont il est nécessaire que la classe ouvrière fasse
l'objectif de ses luttes futures. " (3).
C'est manifestement tout ce que le rédacteur de la revue Lutte de classe
a compris de notre politique, même après la conférence nationale
de juin. Lui aurait-il échappé que la décision de présenter
Olivier Besancenot était également accompagnée d'un certain
contenu politique, bien différent de cette caricature ? Ou le " détail "
importe-t-il peu ?
Evidemment, nul ne peut ignorer qu'il y a eu durant toute une période
du côté de la LCR bien des errements autour des candidatures unitaires,
nous avons nous-mêmes suffisamment écrits sur cette question. Mais
à l'évidence, et de manière assez contradictoire, le souci
de se démarquer de la LCR n'est pas liée uniquement à son
orientation passée ou présente, quelle soit critiquée à
juste titre ou caricaturée. En fait, LO se verrait bien seule à
incarner les intérêts du prolétariat, voir tout simplement
à s'en revendiquer : " Arlette Laguiller : qui
d'autre peut se dire sincèrement dans le camp des travailleurs ?
". La question s'adresse sans équivoque également à
la LCR : " Nous n'hésiterons pas à nous proclamer,
ouvertement et essentiellement, dans le camp des travailleurs, alors qu'eux
[la LCR] ne le font pas, mais ironisent sur le " travailleuses, travailleurs "
d'Arlette. "(4). L'argumentation
est évidemment dérisoire, illustration puérile du sectarisme
de LO.
L'essentiel pourtant n'est pas là. Quoi qu'on en pense par ailleurs,
il y a un fait positif incontournable dans la campagne que va mener Lutte ouvrière :
c'est l'indépendance politique absolue vis-à-vis de la gauche
gouvernementale, comme la nécessité de défendre exclusivement
le camp des travailleurs. C'est d'autant plus positif que nous espérons
que nous serons bien deux organisations à défendre cette orientation
commune dans cette campagne, avec la candidature d'Olivier Besancenot.
En même temps, on ne peut être que frappés par l'absence
de perspective des camarades de Lutte ouvrière, comme par le nombre de
questions que cette organisation cherche à contourner au lieu de les
discuter vraiment, notamment dans ses textes de congrès. Ce sont quelques
unes de ces questions sans réponses que nous voudrions commencer à
évoquer ici, sans épuiser évidemment tout le sujet.
Que faire avec les militants du PCF
Ainsi, la critique de la politique unitaire menée par la LCR avant et
après le 29 mai se veut sans doute impitoyable. Mais à lire les
différents articles qui lui ont été consacrés en
plus des textes de congrès, les impasses sont également évidentes.
Certes, la LCR ne fait peut être pas ce qu'il faudrait faire. Mais que
propose LO ? Et même, tout simplement, que pense LO du PCF ?
Le PCF ne serait-il devenu qu'un parti de notables et d'élus, ou a-t-il
encore un milieu de militants et de sympathisants digne de notre attention ?
Est-il raisonnable dans ce cas que les révolutionnaires lui consacrent
encore une politique particulière que Lutte ouvrière pourrait
contribuer à proposer ? Ou faut-il conclure qu'il n'y a rien de
possible, parce que les circonstances ne le permettent pas, ou parce qu'il n'y
aurait plus rien à attendre du PCF ?
Mais si le mouvement ouvrier n'est plus que l'ombre de lui-même, que faut-il
faire ? Quelles sont -dans ces conditions nouvelles et inédites
pour nous- les tâches prioritaires des révolutionnaires ?
A toutes ces questions de fond, il n'y a pas l'ombre du début d'une réponse,
pas même l'ombre d'une interrogation. Par contre, il y a beaucoup de condamnations
au fil des articles et des textes, ce qui ne convainc guère (5).
En fait, la critique est tellement extérieure qu'on n'est guère
avancé la plupart du temps sur ce qui se passe dans le PCF comme dans
les collectifs. Or non seulement LO aurait été plus crédible
si elle avait fait la démonstration qu'une autre politique était
possible en direction de ce milieu, mais même en allant simplement voir
de plus près, elle aurait sans doute soigné un peu mieux son argumentation.
Il y a en effet un paradoxe dans l'attitude de Lutte ouvrière. A priori,
ce qui nous intéresse ne les intéresse pas. Mais lorsque LO fait
mine de s'intéresser, la réponse est pour le moins étonnante.
C'est le cas notamment dans les textes du dernier congrès. La distance
est toujours la même, mais LO se serait bien vue malgré tout donner
quelques conseils à la LCR sur la meilleure manière de faire.
Ainsi, au lieu de concentrer ses critiques sur la question du gouvernement,
et donc sur les liens avec le PS, la LCR aurait du discuter autrement avec le
PCF : elle ne " pourrait trouver l'oreille d'une fraction
des militants, des sympathisants et des électeurs du PCF qu'en demandant
à Buffet de s'engager sur des objectifs sociaux compréhensibles
pour l'électorat populaire. Des objectifs revendicatifs et sociaux simples
et concrets à réclamer par le PCF au PS, voire à tenter
de lui imposer mais sans réclamer au PC de rompre avec le PS. Ce qui
n'est pas compris de l'électorat populaires très sensibles à
l'unité " (6).
Pour le coup, le renversement de perspective est saisissant : la LCR en
aurait-elle trop fait avec ses critiques ? Pourtant, même les courants
les plus favorables aux candidatures unitaires au sein de la LCR, au point d'avoir
eu tendance à s'aligner sur la politique du PCF, n'étaient pas
sans savoir que la direction de ce parti pouvait faire d'autant plus de concessions
sur le programme que cela ne l'engageait pas à grand chose tant que la
possibilité d'une alliance avec le PS restait ouverte. La question du
gouvernement et des alliances était forcément incontournable,
il fallait donc inévitablement s'attaquer à " l'unité "
de toute la gauche et aux illusions électorales qu'elle recouvre, et
ne pas baisser la garde pour rester amis à tout prix. Ce qu'a fait la
LCR, même au prix de biens des difficultés jusque dans ses propres
rangs.
L'affaire n'était donc pas simple, pour le moins : il n'est pas
si facile en effet de s'en tenir à une réelle fermeté politique,
tout en se donnant les moyens d'être vraiment entendus et surtout compris
par les milieux militants et sympathisants du PCF. La question reste par conséquent
ouverte : certes, la LCR n'a pas fait tout ce qu'elle aurait du faire,
nous en sommes les premiers convaincus. Mais qu'aurait-il fallu faire si on
avait suivi LO ? Et qu'a-t-elle réussi de mieux ?
A moins que sa difficulté à engager une politique ne soit tout
simplement la raison de son abstention ?
et avec la " gauche de la gauche " ?
La question ne concerne pas que le PCF. C'est un problème plus général,
qu'illustre également son attitude à l'égard du mouvement
altermondialiste et ce qu'elle appelle la " gauche de la gauche ".
" Aujourd'hui, altermondialisme, c'est pour ne pas dire anti-impérialisme.
Se dire anti-libéral et anti-capitaliste, c'est pour ne pas se dire socialistes
et communiste " (7).
Nul ne contestera que la plupart des altermondialistes ne poussent guère
leur critique du capitalisme jusqu'à mettre en cause ses fondements.
Mais que faut-il en conclure ?
Le fait est que l'extrême gauche -en premier lieu Lutte ouvrière-
a commencé à gagner un peu plus d'influence il y a une dizaines
d'années en même temps que cette " gauche de la gauche ",
non pas à contre-courant, mais en profitant du même phénomène :
la prise de distance par un nombre significatif de gens de gauche avec la gauche
institutionnelle, celle qui a géré les affaires de la bourgeoisie
au gouvernement.
Il y a bien sûr une divergence de fond, et même un antagonisme,
entre le projet politique de l'antilibéralisme qui ne vise au bout du
compte qu'à consolider le capitalisme sous une forme prétendument
humanisée, et les révolutionnaires. Mais cette évidence
pour nous ne l'est absolument pas pour la plupart des gens aujourd'hui, qui
peuvent être déçus par la gauche de gouvernement, qui votent
parfois pour l'extrême gauche, mais qui veulent aussi de manière
un peu contradictoire une gauche plus " radicale ", sans
partager toutes nos idées " extrémistes ".
Il suffirait de dénoncer leur inconséquence, dire ce qui est,
et " se dire socialiste et communiste " ? Et s'en détourner
s'ils n'ont pas compris la leçon ?
En 1995, Lutte ouvrière n'a pas gagné du crédit en prenant
une posture à contre-courant qui aurait consisté à se détourner
à priori des milieux militants de la gauche politique et syndicale. Au
contraire, elle a gagné de l'influence par un travail obstiné
au contact de ces militants, dans les entreprises sinon ailleurs, en menant
des bagarres avec eux -parfois contre eux, mais pas toujours- en faisant la
démonstration de son utilité dans les luttes comme dans les discussions
politiques, en faisant des propositions de programme, comme un vrai parti, ou
du moins une ébauche avec le " plan d'urgence ",
en cherchant à convaincre.
C'est cette démarche qui aurait pu ensuite franchir une nouvelle étape
: regrouper et unir celles et ceux qui voulaient bien se battre pour ce programme
d'urgence dans un " Parti des travailleurs ", que Lutte
ouvrière a semblé un instant appeler de ses vux. Mais cela
aurait voulu dire aller jusqu'au bout de la démarche et prendre le risque
de dépasser le cadre d'une petite organisation habituée à
un fonctionnement très monolithique.
Aujourd'hui, le bilan est sans appel. Il ne tient pas en premier lieu aux " limites
de la situation objective ", même si cela existe. Après
dix années passées sans même avoir gagné quelques
militant-e-s de plus à l'organisation, Lutte ouvrière s'est repliée
plus que jamais sur elle même. Elle est seule, elle est même " la
seule " ! Pour se justifier, elle confond la politique des réformistes
qu'il convient de dénoncer, avec les milieux qui sont influencés
par le réformisme qu'il faudrait dénoncer de la même manière :
des gens sans intérêt, voire des adversaires qu'il vaut mieux ne
pas fréquenter, dans les collectifs ou ailleurs
Comme si les révolutionnaires
pouvaient gagner de l'influence autrement qu'en gagnant des réformistes
à leur cause !
Retrouver
une cohérence
Depuis une dizaine d'années, la situation a inévitablement bousculé
l'extrême gauche. Le recul général du mouvement ouvrier,
en particulier le mouvement stalinien, lui a donné de fait de nouvelles
responsabilités. Une partie des travailleurs-euses et des électreurs-trices
de gauche, écuré-e-s par la politique de la gauche au gouvernement,
aimeraient bien de leur côté lui voir jouer le rôle d'une
" vraie gauche ".
Lutte ouvrière croit qu'en se détournant de ce milieu elle se
préserve, et que cela suffit pour justifier son abstention. Avec les
camarades de la LCR, nous avons au contraire le souci d'essayer d'avoir une
politique en leur direction, même si cela peut entraîner bien des
dérapages que nous critiquons. Mais la préoccupation est fondamentalement
juste.
Lutte ouvrière confond la fermeté, indispensable lorsqu'on veut
mener une politique révolutionnaire conséquente, avec l'isolement.
Elle croit se préserver de cette manière des risques de l'opportunisme.
Mais à tort.
C'est ainsi qu'après le 29 mai, on a assisté à un va-et-vient
étrange de Lutte ouvrière, hésitant entre repli sur soi
et tentative de rompre un isolement de plus en plus pesant. Mais sans aucune
cohérence politique.
Refusant tout débat à l'université d'été
de la LCR puis à la fête de l'humanité en 2005, tout en
acceptant à cette même fête de figurer dans le " carré
des personnalités ", LO n'a pas hésité ensuite
à répondre à l'invitation de la LCR de participer à
des meeting communs de toute la gauche ou d'une partie d'entre elle, d'abord
à Marseille en soutien à la lutte de la SNCM, puis à la
salle Japy à l'occasion d'un débat sur le service public de l'énergie
(où il s'agissait cette fois d'une discussion entre forces de gauche
et non du soutien à une lutte
qui n'existait pas), acceptant même
de côtoyer à d'autres occasions Strauss-Kahn pour dénoncer
ensemble l'article 4 de la loi faisant l'apologie du colonialisme, ou signant
un appel commun à l'initiative de la LDH au moment où démarrait
la révolte des banlieues, qui approuvait pourtant une éventuelle
utilisation des forces de l'ordre (que la LCR a heureusement refusé de
signer !).
Depuis, la tendance a été à nouveau au repli. LO a décliné
une nouvelle fois en 2006 l'invitation faite par la LCR de venir débattre
à son université d'été, alors que les débats
et les conclusions de sa conférence nationale en juin ouvraient explicitement
de nouvelles perspectives politiques
C'est cette politique incohérente, et au jour le jour, qui arrive à
épuisement. Mais c'est aussi la responsabilité de la LCR de lui
offrir d'autres perspectives.
et reconstruire des perspectives communes
La campagne électorale qui s'annonce aura pour le moins un aspect paradoxal :
deux candidatures d'extrême gauche qui diront la plupart du temps les
mêmes choses, tout en étant très différentes.
LCR et LO défendront le même programme : un plan d'urgence
anticapitaliste fondé sur la nécessité de s'en prendre
au droit de propriété privée pour commencer à résoudre
les problèmes immédiats du monde du travail ; la nécessité
pour les travailleurs d'exercer un contrôler sur l'économie et
l'Etat ; la nécessité des luttes sans lesquelles rien ne sera
possible.
Sur bien des points, les positions des deux organisations ne seront guère
différentes non plus. La réflexion de LO sur la question du 2ème
tour est à cet égard intéressante (8)
: pas question bien évidemment de s'engager aujourd'hui à voter
pour la candidate socialiste, mais sans perdre de vue non plus la préoccupation
d'être réellement compris, et sans s'arrêter à des
formulations trop définitives. L'essentiel est bien pour l'extrême
gauche de proposer un programme pour les luttes, quel que soit le gouvernement
élu en 2007. Le moral de la classe ouvrière et l'écho que
nous rencontrerons sur cette question au 1er tour seront déterminants,
bien plus que le nombre de travailleurs qui s'abstiendront de choisir entre
Sarkozy et Royal ou qui choisiront quand même Royal plutôt que Sarkozy
au nom du " moindre mal ".
C'est sur notre programme et sur nos perspectives qu'il faudra convaincre. Mais
pour en faire un programme d'action pratique, Lutte ouvrière devra se
dépasser elle-même. Depuis bien longtemps, LO ne cesse de répéter
que seules les luttes changeront la vie, mais sans jamais dépasser le
cadre de la propagande à l'occasion des élections. Que peut-on
attendre d'une organisation qui explique qu'elle est maintenant la " seule "
dans le camp des travailleurs, et que prendre des initiatives même sur
le terrain des luttes, c'est s'illusionner soi-même (9) ?
De quelle impuissance veut-elle nous convaincre ?
Dès maintenant, l'extrême gauche devrait pouvoir faire entendre
des propositions concrètes pour riposter sans attendre aux mauvais coups
du patronat et de la droite, tous ensemble, tout en continuant sans relâche
à uvrer au regroupement de celles et ceux qui cherchent une issue
anticapitaliste à la crise actuelle du mouvement ouvrier. Combiner, sans
les confondre, une politique de front unique avec l'ensemble du mouvement ouvrier,
et une politique pour la construction d'un parti des travailleurs.
Notre perspective va donc bien au-delà des péripéties électorales.
Ce qu'il nous faut anticiper, c'est bien sûr la possibilité d'accumuler
de nouvelles forces militantes, notamment dans la jeunesse et en dehors des
organisations. Il nous faut aussi nous adresser aux militants du mouvement ouvrier,
en particulier à celles et ceux qui ne supportent plus les renoncements
de leurs organisations.
Il nous faut construire un nouveau parti des travailleurs, mais, pour ce faire,
la politique de LO a d'évidentes limites. On ne construira pas un parti
anticapitaliste conséquent, c'est-à-dire un parti révolutionnaire,
en commençant par faire une croix sur le capital politique et militant
que représente malgré tout cette organisation. Ce qui ne veut
surtout pas dire, bien au contraire, qu'il faudrait renoncer à la confrontation
politique avec les militants de LO.
D'ailleurs, en ce sens, proposer ou accepter des accords électoraux sans
lendemain à Lutte ouvrière, sans même une véritable
discussion sur le fond, comme l'a fait la LCR ces dernières années,
a montré d'évidentes limites.
Ce qui fait cruellement défaut aujourd'hui, c'est la possibilité
de reconstruire pas à pas avec ces camarades des perspectives communes,
comme nous essayons de le faire par ailleurs avec d'autres courants militants,
non sans mal, et non sans mesurer parfois la profondeur des divergences qui
nous séparent. Dans le cas de Lutte ouvrière, les accords et les
désaccords devront être à l'évidence plus sérieusement
circonscrits, si l'on veut progresser sérieusement dans la discussion,
loin des caricatures.
Ainsi, pour ne prendre qu'un exemple, les camarades de Lutte ouvrière
ont raison de dire que la seule force anticapitaliste conséquente que
l'on devrait vouloir construire ensemble serait un parti révolutionnaire.
Mais même la direction de LO en 1995 n'a pas commencé par le décréter,
sur la base d'un programme qui aurait été le décalque d'un
programme trotskyste !
Un parti qui défend exclusivement les intérêts politiques
de la classe ouvrière ne se construira pas d'un seul coup, dans les luttes,
mais aussi par une série de regroupements larges, au travers de crises
et de décantations politiques. Il y aura dès le départ
des délimitations indispensables, notamment sur l'indépendance
de classe, les institutions et l'Etat, et la construction d'un tel parti ne
pourra se faire sur des bases aussi réformistes que l'antilibéralisme,
qui ne sont pas seulement insuffisantes mais tournent le dos à une perspective
révolutionnaire. Cependant, prétendre sérieusement défendre
la perspective d'un parti révolutionnaire à notre époque
nécessite de rompre sans retour avec le sectarisme et le caporalisme
d'une organisation comme Lutte ouvrière. C'est aussi la question qu'il
nous faudra aborder sans détour
La LCR a aujourd'hui une grande responsabilité, celle d'uvrer au
dépassement des organisations existantes, dans la perspective de construction
d'une nouvelle force. L'impasse dans laquelle se trouve aujourd'hui Lutte ouvrière,
par delà l'échéance présidentielle, doit être
pour nous une raison non pas de nous en détourner, mais d'avoir la volonté
d'engager sérieusement le débat dans cette perspective.
Jean-François CABRAL
1-
Texte du 36° congrès de Lutte ouvrière, Lutte de classe n°
101, page 35. retour au texte
2- Texte de congrès, LDC n° 101, page 46. retour
au texte
3- LDC n°98, été 2006, page7. retour au
texte
4- Texte de congrès, LDC n° 101, page 46. retour
au texte
5- Articles de la majorité : La situation politique à l'approche
de la campagne électorale (LDC n° 98, été 2006) ; Les
avatars d'une " dynamique unitaire " fictive (LDC n° 99, octobre
2006) ; Pré-campagne pour la présidentielle et manuvres
en tout genre (LDC n° 100, novembre 2006). Article de sa minorité
: Réforme ou révolution
entre poire et fromage (LDC n°97,
mai-juin 2006). Et bien sûr les textes de congrès. retour
au texte
6- Texte de congrès, LDC n° 101, page 34. retour
au texte
7- Texte de congrès, LDC n° 101, page 36. retour
au texte
8- Textes de congrès, LDC n°101, pages 43 à 45 et 48 à
50. retour au texte
9- Ainsi, dans la lutte contre le CPE, sa Fraction et nos camarades des JCR
auraient eu tort de croire qu'ils auraient joué le moindre rôle
au travers de la coordination qu'ils ont pourtant fortement contribuée
à impulser
Textes de congrès, LDC n°101, pages 51 et
52. retour au texte