Débatmilitant | ||||||||||
Lettre publiée par des militants de la LCR |
n°138
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1 févrierr 2007
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Sommaire : | ||||||||||
Sarkozy, fausse compassion, populisme et préjugés de classe | ||||||||||
Le forum social mondial de Nairobi : impulser ou freiner les luttes et les mobilisations ? | ||||||||||
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Sarkozy,
fausse compassion,
populisme et préjugés de classe
" Je
suis le candidat du travail ", titrait cette semaine une interview
de Sarkozy dans le Figaro. Posant à l'homme au-dessus des partis qui
veut " transcender les clivages ", celui-ci vient
de montrer une nouvelle facette de son populisme en multipliant les interventions
sur le travail et les ouvriers, sur lesquels il ne tarit pas d'éloges
particulièrement intéressés.
Ainsi, il s'adresse maintenant aux " travailleurs trop longtemps
oubliés par la droite et qui ont été trahis par la gauche ",
vantant " une culture ouvrière, une façon d'être
des ouvriers, un rapport particulier des ouvriers à la vie et au travail ".
En petit maître faisant l'éloge de " ses "
ouvriers, le voilà qui prêche la reconnaissance de la " valeur-travail "
Ou plus précisément de la plus-value extorquée sur le dos
des travailleurs par la classe de privilégiés qu'il sert.
" Je veux être proche des ouvriers. Les ouvriers, je les
entends, je les comprends ", répète-t-il dans son
rôle de patron paternaliste du XIXème siècle. " A
leur manière les travailleurs sont des résistants. Des résistants
contre la disparition d'un type de civilisation et d'un type d'homme qui respectent
le travail comme une condition de liberté ". Ses déclarations
dévoilent toute l'idéologie de sa classe, vantant le " bon "
ouvrier et le respect du travail pour mieux justifier son propre parasitisme.
Dans sa démagogie populiste, le voilà qui fustige le " patron
voyou " ou les " golden parachutes "
tandis qu'il applaudit " ceux qui se lèvent tôt ",
pour mieux tenter de soumettre tout le monde au mythe de " la force
créatrice du capitalisme "
Comme si celui-ci ne reposait
pas justement sur l'exploitation du travail de l'immense majorité !
Sur le même ton paternaliste, il explique à propos des baisses
d'impôts pour les plus riches, obligés, les malheureux, de s'expatrier,
" qu'il faut faire revenir les patrimoines et créer une
nouvelle génération de capitalistes familiaux, qui investissent
dans les petites et moyennes entreprises et au service de l'emploi ".
Le travail, la famille et la patrie en quelque sorte, voilà la morale
qu'il tente de servir aux couches populaires dont il craint la révolte.
Cette morale et cette fausse compassion vont de pair avec la brutalité
des vrais rapports de classe et d'exploitation, qui se renforce. Et c'est avec
un cynisme sans borne que Sarkozy développe le programme et les revendications
du Medef qui sont autant d'attaques contre le monde du travail. Elles aussi
voudraient nous renvoyer au XIXème siècle, les discours de morale
comme seul droit pour les travailleurs.
Sarkozy
et le Medef veulent libérer
l'exploitation
C'est au nom même du pouvoir d'achat trop faible des salariés que
celui-ci veut mener l'offensive sur le temps de travail. S'attaquant aux 35
heures qui " ont servi de prétexte à la rigueur salariale ",
il a sa solution toute trouvée : la liberté de gagner plus
en travaillant plus ! Et il se permet même d'épingler la gauche
sur ce terrain en soulignant que " porter le SMIC à 1 500
euros, ce serait un tout petit effort sur la durée de la législature ",
tandis que lui " préfère l'augmentation de tous les
salaires grâce à l'augmentation de la quantité de travail " !
Et pour inciter à travailler plus, il propose que les salariés
ne paient pas d'impôts sur le revenu sur ces heures, mais surtout que
les patrons soient exonérés de cotisations sociales sur les heures
supplémentaires. Les patrons gagneraient ainsi sur les deux tableaux,
en soutirant davantage de plus-value du salarié par l'allongement de
sa journée de travail tout en versant moins de salaire socialisé.
Et pour justifier la mesure, il s'appuie sur les bas salaires qu'imposent les
patrons comme le gouvernement : " Songez qu'un salarié
rémunéré au smic qui fera 4 heures supplémentaires
par semaine augmentera son revenu de près de 2 000 euros par an " !
Par contre, pas question de partager le travail alors qu'il y a des millions
de chômeurs, quoiqu'en dise le mensonge officiel du gouvernement qui supprime
des statistiques du chômage des millions de salariés sans travail
ou presque. Sarkozy stigmatise les chômeurs au nom de " la
France qui travaille ", en proposant qu'aucun d'entre eux ne puisse
refuser plus de deux offres d'emploi qui correspondent à sa qualification,
sans préciser à quel salaire bien entendu ! De même, il
veut imposer une obligation d'activité pour pouvoir toucher un minimum
social. Emporté par son zèle réformateur, il se démarque
de Chirac en soulignant : " la fracture sociale, c'était
défendre les pauvres sans travail. Je veux qu'on n'oublie pas les travailleurs
pauvres (
) Je suis contre l'égalitarisme, l'assistanat, le nivellement,
pour le mérite, la juste récompense des efforts de chacun, et
la promotion sociale " !
De même, tout en se présentant comme le défenseur du " travail ",
il s'en prend aux fonctionnaires qu'il juge bien trop nombreux. Pour financer
les mesures comme un " bouclier fiscal " encore plus avantageux
pour les riches, il annonce qu'il ne remplacera pas le départ en retraite
d'un fonctionnaire sur deux ! Cela, alors que la situation dans la santé,
l'éducation, les services publics dans les quartiers populaires est déjà
très critique. Mais c'est la logique même de cette politique de
cadeaux au patronat, qui ont représenté 65 milliards d'euros en
2005, soit l'équivalent de l'ensemble des dépenses hospitalières.
Sur la question de la remise en cause du CDI et de la liberté de licencier
chère au Medef, il brandit l'idée du contrat unique, qui change
d'ailleurs au gré de ses rivalités avec Villepin. Un coup, ce
contrat serait " inspiré du CNE ". Une autre fois, il reproche
au CNE l'absence de la motivation de rupture du contrat et une période
d'essai trop longue. Mais sur le fond, il veut que son contrat unique apporte
plus de " flexibilité " ou de " souplesse " :
c'est une remise en cause du CDI et des quelques droits qu'il comporte pour
les salariés face aux licenciements.
Enfin, en bon patron pour qui l'ouvrier n'a que le droit de produire et de se
taire, Sarkozy a multiplié les déclarations contre le droit de
grève. " J'instaurerai le service minimum, la liberté
syndicale et le vote à bulletin secret pour empêcher les piquets
de grève ". Il reprend ainsi les mesures anti-grève
de l'Angleterre de Thatcher que Blair a maintenu et qui imposent toute une série
de restrictions au droit de grève au nom de la " liberté
du travail "
et qui permettent aux patrons de licencier les
responsables en cas de grève jugée illégale !
Toutes ces mesures renvoient bien au XIXème siècle en terme d'exploitation
et d'arrogances patronales. Elles renvoient au programme même du Medef
qui faisait son show la semaine dernière devant un " patronat
décomplexé " comme le qualifiait le Monde. Parisot
y réclamait un " besoin d'air " pour les entreprises,
dénonçant les " excès de la fiscalité,
du code du travail, l'hyper-réglementation " ! Elle
revendique même le droit pour tout employeur de se séparer " à
l'amiable " d'un salarié, sans avoir à motiver son licenciement.
Mais surtout, elle appelle les patrons à s'inviter largement dans la
campagne, pour peser politiquement et faire valoir directement leurs intérêts
de classe.
Le
XXIème siècle contre le XIXéme
L'offensive politique menée tant par Sarkozy que par le patronat est
d'autant plus vive que le PS se situe sur le même terrain de la " valeur-travail "
ou de la condamnation de " l'assistanat ". Les convergences
de la gauche gouvernementale et institutionnelle avec la droite sont de plus
en plus manifestes, au service des intérêts des mêmes classes
dominantes. De même, les directions syndicales restent apathiques, engluées
dans le " dialogue social " alors que la bourgeoisie mène
sa politique et cherche à faire l'opinion avant de passer aux actes.
Face au Medef qui s'invite dans la campagne et veut s'imposer dans le débat,
le camp des travailleurs doit lui aussi mener la bataille politique, jusqu'au
bout, pour ses propres intérêts.
A l'opposé de ces démagogues imbus de préjugés réactionnaires
d'un autre temps, nous nous appuyons sur la conscience de classe, sur la révolte
de travailleurs contre le patronat, contre les inégalités sociales,
contre le gâchis produit de ce système capitaliste lui-même
et de sa soif de profit. Cette conscience de classe, c'est celle d'appartenir
au camp des exploités qui fait tourner toute la société
par son travail collectif et qui, en se battant pour ses propres intérêts
politiques, se bat pour la défense de ceux de la collectivité.
Ses armes, ce sont la vérité et la lucidité.
Le combat anticapitaliste, c'est l'affirmation politique de ce camp, en aidant
à voir clairement les vrais rapports de classe et d'oppression au niveau
de la production, de l'Etat et des institutions qui garantissent avant tout
la propriété privée. Loin des appareils et des préjugés
réformistes qui relaient la soumission à l'ordre établi,
notre tâche est de regrouper politiquement le camp des travailleurs, pour
lui permettre d'agir en toute liberté sur son terrain et d'intervenir
directement sur la marche de la société.
C'est ce parti des luttes que nous voulons construire, le parti de la modernité
et du progrès.
Denis
Seillat
Le
forum social mondial de Nairobi :
impulser ou freiner les luttes et les mobilisations ?
Le 7e Forum Social
Mondial a été un événement important dans l'évolution
du mouvement altermondialiste, en particulier de par le fait qu'il se tenait
en Afrique. Il a réuni des milliers de militants et des centaines de
mouvements en lutte, mais dans un cadre qui paralyse, plus qu'il n'impulse,
les initiatives militantes, le débat et l'élaboration politique,
la progression des luttes contre l'impérialisme et les désastres
du capitalisme.
Le 1ère FSM a eu lieu à Porto Alegre en janvier 2001 et depuis
le processus a connu un élargissement permanent. C'est un des aspects
les plus positifs : il y a des forums dans tous les continents, sur tous
les thèmes, dans différentes régions et pays, chaque année
avec plus de participants. Mais cet élargissement montre en retour les
limites voire l'impasse du mouvement et, de ce point de vue, la réunion
de Nairobi a mis en évidence des difficultés et des reculs.
Commençons par les chiffres, qui sont parlants. Le président du
Comité d'Organisation attendait 100 000 participants (Flamme
d'Afrique, quotidien du FSM, n° 1, 20 janvier) ; la réalité
était plus près de 30 000. La cérémonie inaugurale
a réuni moins de 10 000 personnes et seulement 2 000 ont participé
à la réunion finale, un concert. La population locale n'a pas
participé, et le FSM a été ignoré à Nairobi.
Il se déroulait dans un stade loin de la ville et les frais d'inscription
empêchaient les Kenyans de participer.
Un syndicaliste indien, membre du collectif mondial, fait un bilan très
critique dans l'Humanité du 27 janvier et souligne que le FSM
doit se ressaisir : la population locale n'a pas participé, trop
grande diversité des thèmes, présence de trop des ONG qui
travaillent " pour empêcher le peuple d'exprimer sa colère
et liées aux Etats-Unis ". L'ensemble de ces critiques
mériterait une analyse approfondie.
Le Forum de Nairobi a été organisé en accord avec le gouvernement
du Kenya et même avec son financement (une contribution de 370 000 dollars,
encore attendue, ceci dit, par les organisateurs le jour de l'inauguration).
Or, c'est un gouvernement réactionnaire, corrompu, directement au service
des agressions militaires de Bush en Afrique. Comment le FSM peut-il collaborer
avec ce type de gouvernement ? C'est à cause de cette collaboration que
le Forum a été conçu pour que la population du pays ne
soit pas présente et pour que certaines questions clés pour l'Afrique
ne soient pas abordées. C'est le cas de l'agression militaire contre
la Somalie organisée par les USA, l'intervention directe de l'Ethiopie
et la complicité du Kenya.
Les accords avec le gouvernement du Kenya n'auraient pas du être acceptés,
même pour " assurer le FSM en Afrique " et
révèlent une faiblesse politique structurelle du mouvement, qui
jusqu'à maintenant était moins criante parce qu'elle concernait
des gouvernements de gauche, comme Lula et Chavez en Amérique Latine
ou Prodi en Europe.
La Charte de Principes du FSM qui date de 2001 est construite sur la base d'une
autonomie supposée du mouvement social par rapport aux forces politiques,
au point d'interdire la présence des partis politiques dans les Forums.
Les gouvernants et les parlementaires peuvent participer à " titre
personnel ". Mais Lula a pris la parole comme président
et le gouvernement du Brésil a organisé et financé une
délégation de 500 personnes pour Nairobi. L'autonomie est un faux-semblant
qui, dans le meilleur des cas, conduit à une impasse. Dans la réalité,
elle ouvre la voie à toutes sortes d'arrangements avec des gouvernements
de gauche, socio libéraux et même réactionnaires.
Un chiffre est éloquent. Le gouvernement Lula appelle " participation "
ou " démocratie participative " le fait de coopter
des dirigeants et militants des mouvements sociaux, qui deviennent ainsi des
fonctionnaires de l'État chargés de défendre une politique
au service du grand capital. On estime à 10 000 ce type de fonctionnaires.
Quelques centaines étaient présents à Nairobi, comme " délégués
du mouvement social ", envoyés par leur gouvernement en
fait. Le Forum est vidé de sa substance.
La Charte de Principes et les 9 objectifs généraux de Nairobi
ne désignent pas les gouvernements impérialistes et capitalistes
comme des ennemis à combattre précisément parce que le
pouvoir politique n'est pas un enjeu pour le mouvement. C'est un recul politique
considérable, d'élaboration, de pensée. Au nom du consensus,
du FSM comme lieu de rencontre et comme processus, on vide les luttes d'un contenu
fondamental : l'affrontement avec l'État capitaliste, avec les gouvernements
au service du système capitaliste.
Un autre phénomène a pesé sur le forum de Nairobi de façon
plus marquée que lors des FSM antérieurs. Il s'agit de la présence
massive des Églises, des ONG qui s'insèrent dans une politique
néo-libérale d'absence de l'État et qui collaborent avec
les gouvernements capitalistes, des délégations " officielles ".
Les mouvements de lutte se sont trouvés noyés parmi ces milliers
de structures, les 1200 activités, les 21 synthèses thématiques,
les journaux de publicité
Samir Amin, dans l'Humanité, critique le Forum parce que "
ce n'est pas un lieu du débat politique autour de la construction d'alternatives
" pour, dans le même temps, défendre les gouvernements de
gauche de l'Amérique Latine. On voit comment les porte-voix du Forum
oscillent entre l'abstention politique, la compromission et l'appui aux gouvernements.
On est loin des problématiques et nécessités des mouvements
en lutte.
On peut expliquer, pour les mêmes raisons, l'incroyable dispersion des
activités et des thèmes qui a pris des proportions encore plus
énormes à Nairobi. Il y a là un véritable éclatement
politique. Même Bush et ses guerres, qui touchent aussi l'Afrique, n'a
pas été le point de rencontre des campagnes actées dans
le Forum. L'assemblée des mouvements sociaux, qui aurait dû être
un moment privilégié de travail en commun, n'a débouché
que sur un calendrier de centaines de mobilisations, dont 80 % n'ira pas
plus loin que la proclamation, une addition désordonnée de journées
de lutte. La mobilisation contre la guerre en Irak, mais pas en Somalie, aura
lieu le 20 mars
Cette assemblée était, par ailleurs, le seul moment où
les mouvements sociaux se réunissaient dans leur ensemble. Elle a commencé
avec 1000 participants pour finir avec une centaine. Le projet de déclaration
finale n'a pas été distribué, quelques privilégiés
ont pu faire des amendements, une commission auto-désignée a été
chargée de la rédaction
Le résultat est un catalogue
de revendications dans un document fade, sans axe politique, sans orientation.
Les Forums Sociaux répondent à une nécessite évidente
: réunir les mouvements en lutte, favoriser les échanges et l'élaboration,
se fixer des objectifs communs. Avancer dans cette direction demande une clarification
politique et surtout l'indépendance par rapport aux gouvernements, aux
Églises, aux organisations du système international. Il ne s'agit
pas de défendre une pureté théorique ni de fixer des ultimatums,
mais de défendre les conditions mêmes qui permettent le travail
des militants et mouvements qui se dressent contre la misère capitaliste
et les guerres impérialistes.
Les tendances révolutionnaires et anticapitalistes devraient se regrouper
à l'intérieur du FSM pour mener ce combat. Ce n'était pas
le cas à Nairobi. C'est une leçon à tirer.
Marcelo
N.