Débatmilitant
Lettre publiée par des militants de la LCR
n°140
15 février 2007

Sommaire :
Pacte présidentiel contre pacte républicain : le monde du travail n'a rien à pactiser !
Vénezuela : du " socialisme du XXI° siècle " aux pouvoirs spéciaux…


Pacte présidentiel contre pacte républicain :
le monde du travail n'a rien à pactiser !

 

Archéogauchiste " ou encore " Mère Courage ", selon les éditorialistes, Ségolène Royal aurait enfin lancé sa campagne l'ancrant clairement à " gauche " contre Sarkozy, le candidat des riches et de la finance, dans son discours fleuve à Villepinte dimanche 11 février.
Elle y serait apparue comme une mitterrandienne aux " 100 propositions " (au lieu des 110), passant un " pacte d'honneur avec le peuple français " par le biais de son " Pacte présidentiel ". La mise en scène était bien là, et ce n'est pas par hasard que le mot " socialiste " n'a jamais été prononcé…
En effet si Ségolène Royal a voulu se donner une image de gauche en multipliant les mesures tournées vers les classes populaires, sa politique se moule dans le cadre imposé par le Medef, incapable ainsi de s'opposer à son rival. Entre le Pacte présidentiel de Royal et le Pacte républicain de Sarkozy, il y a une même démarche : Sarkozy enrobe la politique du Medef dans des phrases creuses, Royal agrémente le tout de promesses tout en restant prisonnière de la même logique de la concurrence et de l'économie de marché.
La solidarité contre le mérite, disent les commentateurs, mais les deux futurs présidentiables déjà élus par les médias tiennent le même discours au nom de la nation, prétendant défendre tous les Français et réconcilier des intérêts irréconciliables, ceux du monde du travail et ceux du patronat. Et cela au point que, selon un récent sondage, 71% des Français imaginent sans difficultés un gouvernement gauche-droite.
Alors que les deux candidats étaient partis pour faire une campagne spéculant sur le sécuritaire, la question sociale s'est invitée dans le débat. Ségolène Royal est bien obligée de donner le change au populisme de son rival de droite Sarkozy avec la démagogie d'un discours qui se voudrait de " gauche ". On est loin du compte…

Désir… de pouvoir
C'est ce qui explique son indignation contre " le règne du profit financier insupportable ", ses propositions comme le SMIC à 1500 € brut (d'ici 2012 !), l'augmentation de 5 % des petites retraites, la construction de 120 000 logements sociaux par an (moins que la droite), l'accession à la propriété pour ceux qui auront habité un logement social pendant 15 ans (quand il n'aura plus aucune valeur !), la promesse d'augmentation des allocations de rentrée scolaire ou pour les handicapés, de plus d'infirmières scolaires et d'adultes dans les établissements, ainsi qu'une conférence avec les syndicats pour augmenter les salaires les plus bas… Ségolène Royal promet aussi de créer, après 2007, 500 000 nouveaux emplois tremplins (l'équivalent des emplois jeunes déjà mis en place dans certaines Régions de gauche depuis 2004), pour que les jeunes continuent à travailler dans la précarité.
Mais rien n'arrête sa " passion des services publics " qui la pousse à vouloir la réunification d'EDF-GDF, dont la privatisation a été initiée par l'ouverture du secteur de l'énergie à la concurrence par un certain Jospin avec Chirac à Barcelone.
Certes, le désir de pouvoir peut donner de bonnes idées… Seulement, pour être la Présidente de tous les Français, et donc celle du patronat qui dicte les lois de l'économie, en future gérante loyale du capitalisme mondialisé, elle annonce en même temps la couleur, non plus rouge, mais ouvertement pro-patronale de son programme.
Dénonçant la " dette insoutenable ", elle reprend le discours de la droite pour prôner " une dette publique maîtrisée ". Ce sont les 35 heures revisitées façon Medef, c'est la non abrogation des lois Fillon sur les retraites. Ségolène Royal reprend aussi ses mesures sécuritaires comme le service civique pour les jeunes récalcitrants des banlieues encadrés par des militaires. A une enseignante de Saint-Denis qui lui demandait le lendemain de son discours si elle comptait rétablir les 3 heures de forfait pour l'EPS qui viennent d'être supprimées par la droite, elle a très délicatement répondu : " je ne veux pas me comporter en guichet ", pour ne pas s'engager. Elle a réaffirmé par contre qu'il faut revoir la carte scolaire, non pour la rendre plus juste, mais pour aggraver encore les inégalités qui existent, bien sûr, " contre les ghettos et pour la liberté des parents "…
Sur le plan international, de même, elle voudrait renforcer les liens avec l'Afrique, autant dire avec la Françafrique, soi disant pour la protéger de l'arrivée de la Chine (!) et également avec " notre partenaire historique ", la Russie de Poutine !

… ou désir de liberté, de dignité et de lutte !
La lutte des salariés de Reynolds contre les licenciements et le démantèlement de leur usine, la résistance des ex-salariés de Moulinex contre leur multinationale même après leur licenciement, le succès de la grève et des manifestations du 8 février pour des augmentations de salaires des fonctionnaires, le petit recul infligé à la Loi de prévention de la délinquance par la grève des psychiatres hospitaliers le 13 février, sont là. Ces luttes et résistances posent les exigences vitales du monde du travail en matière de salaire, d'emploi ; de respect des droits démocratiques.
Et si ce sont elles qui donnent le ton de la campagne, même à droite, elles montrent aussi combien les " propositions " de Ségolène Royal sont loin du compte !
Elles donnent tout leur sens au programme d'urgence sociale et démocratique que nous avançons dans cette campagne, comme les 1500 € net pour tous tout de suite, l'interdiction des licenciements…
La droite et les commentateurs ont réagi aux propos de Ségolène Royal dimanche en critiquant son " irréalisme ", le non chiffrage de ses dépenses, qui seraient, selon le Ministre de l'Economie Breton, de l'ordre de " milliards et milliards impossibles à financer " ! La polémique démarre entre les deux rivaux sur celui qui aura le programme le moins coûteux…
Et tous de s'interroger sur les moyens de trouver de l'argent qui n'existerait pas, c'est pourquoi on ne pourrait augmenter les salaires, mais seulement le temps de travail ; on ne pourrait embaucher massivement dans les services publics, il faudrait même réduire les effectifs pour maîtriser les dépenses publics…
Or, dans le même temps, les profits des grandes entreprises du CAC 40 ne se sont jamais aussi bien portés qu'en 2006 : 74 milliards d'euros, au total pour l'année 2006 ! Et en plein procès pour la marée noire de l'Erika, Total vient d'annoncer 12,5 milliards d'euros de bénéfices en 2006, soit 400 € par seconde ! Et, comme si cela ne suffisait pas, dans la seule année 2006, le patronat a reçu la bagatelle de 65 milliards d'euros sous forme de subventions de toutes sortes, dont 90 % ont été versés par l'Etat. On estime à 23,6 milliards d'euros le montant des exonérations de cotisations du patronat en 2006 et à 23,830 milliards celui de la baisse des impôts pour les riches…
Oui, l'argent est là, il n'y a que ceux qui ne veulent pas voir qui sont aveugles !
C'est bien une autre répartition des richesses qu'il faut ne serait-ce que pour récupérer ce qui a été perdu en 25 ans par le monde du travail au profit du capital. Le problème posé est donc bien celui d'un autre partage des richesses mais il est clair que cela ne pourra venir d'en haut. Il faudra l'imposer par la mobilisation et l'intervention directe des travailleurs et des classes populaires.
Pas de réelles mesures essentielles telles que des salaires permettant de vivre, la répartition du travail pour en finir avec le chômage, des subventions publiques pour les services publics, sans prendre l'argent dans la poche des patrons et des gros actionnaires sans contrôle de la population sur l'économie et l'Etat. La question sociale et la question démocratique sont intimement liées C'est seulement par l'action démocratique, collective et solidaire des travailleurs que ces mesures d'urgence pourront être imposées.
Alors, nous combattons bien sûr la démagogie populiste de droite extrême de Sarkozy qui ouvre la voie à Le Pen. Nous nous battons non seulement pour qu'ils soient défaits mais aussi et surtout pour que la population rejette toute politique qui ferait passer les intérêts des riches et des possédants avant les siens.
Le débat est ouvert avec l'ensemble des travailleurs et des militants de gauche, avec la nouvelle génération issue du mouvement contre le CPE qui se politise. A ce débat, nous participons pleinement.
Si Ségolène Royal voulait réellement tenir un langage de gauche, si elle voulait réellement combattre la politique réactionnaire de Sarkozy elle ne craindrait pas de s'engager à augmenter tous les salaires de 300 €, à ce qu'il n'y ait plus de revenu inférieur à 1500 € net par mois qu'on ait un emploi ou pas, tout de suite, car l'argent existe ! Elle s'engagerait à mette en place une véritable loi d'interdiction des licenciements ! A imposer réellement la réquisition des logements vides, dont ceux appartenant à des entreprises privées ! Elle s'engagerait clairement sur les revendications vitales des opprimés, des classes populaires, des jeunes, ce qui implique de s'en prendre à la propriété capitaliste.
De toute évidence, elle préfère laisser à l'écart les plus démunis, les plus exploités ainsi qu'une grande partie des salariés plutôt que de s'attaquer au système et à sa logique destructrice.
Cela nous convainc que quel que soit le gouvernement qui sortira des urnes, le monde du travail aura besoin de préparer la convergence des mécontentements et des luttes pour imposer ses exigences. Dans cette campagne, les révolutionnaires veulent contribuer au " retour de la confiance ", mais pas à la façon Ségolène Royal, la confiance en ceux qui dirigent et les trompent, mais la confiance des travailleurs en eux-mêmes en leur capacité à changer le monde, eux qui produisent toutes les richesses accaparées par une minorité de parasites, en devenant le véritable acteur démocratique de leur propre émancipation !

Sophie Candela

Venezuela : du " socialisme du XXIe siècle " aux pouvoirs spéciaux…

 

Ces derniers jours, une délégation de très hauts fonctionnaires de l'administration Bush a visité l'Argentine et le Brésil pour se concerter avec les gouvernements de Kirchner et Lula afin de " modérer " l'action de Chavez. Le président du Venezuela poursuit son programme de nationalisations et a lancé la formation d'un " parti unique " pour le socialisme du XXIème siècle. Les pays du Mercosur -avec le Venezuela, l'Argentine et le Brésil- viennent de se réunir à Rio de Janeiro pour consolider leur unité et développer une série d'initiatives dont l'intégration de la Bolivie au bloc régional.
Dans les pays de l'Amérique latine, les luttes ouvrières et populaires quotidiennes se conjuguent avec les questions du pouvoir politique et du combat pour une nouvelle société. L'intervention des organisations et des militants qui se réclament du trotskisme y joue un rôle non négligeable dans un contexte et selon des modalités différentes de pays à pays, bien sûr, mais elle s'inscrit dans un cadre commun. La lutte contre l'impérialisme et le gouvernement Bush focalise les préoccupations.
Pour cet ensemble de raisons, le suivi, le débat, la solidarité, l'engagement avec les luttes de l'Amérique latine sont une nécessité politique pour les militants qui, en France et en Europe, essaient d'avancer dans la construction d'une force politique anticapitaliste à travers le combat quotidien contre l'exploitation et dans une perspective révolutionnaire. Le trait dominant de la situation en Amérique latine est que, d'une certaine façon, l'on est déjà dans la " fin du libéralisme " ou du " néolibéralisme " Ce dernier a ouvert une crise qui offre un large champ d'observation de la politique, des programmes, des orientations des forces de gauche face à cette nouvelle situation. Il s'agit d'analyser les faits et les vrais rapports de forces indépendamment des déclarations idéologiques et autres proclamations mystificatrices.

Un des points les plus avancés
Le Venezuela est le pays où se concentrent les difficultés de l'impérialisme pour maintenir sa domination sur les pays du continent et les mécanismes de l'exploitation nationale et sociale. L'on peut observer la richesse du processus de rébellion des peuples et d'intervention de la classe ouvrière en même temps que ses difficultés politiques et d'orientation. L'agression du gouvernement Bush contre le Venezuela n'est pas d'une nature différente de celle contre l'Irak et l'Iran et pourrait conduire à une intervention militaire. En même temps, les questions politiques se posent aussi parce que Chavez essaie de construire une alternative à la domination impérialiste qui aille au-delà de cet affrontement immédiat, de fonder son pouvoir sur un projet global.
Après sa victoire du mois de décembre, le président du Venezuela a obtenu les " pouvoirs spéciaux " et peut légiférer sans le Parlement. Il a décidé la nationalisation des entreprises de services, électricité et téléphone et aussi, et c'est plus important, des entreprises pétrolières étrangères qui exploitent la région d'Orinoco.
Quelle est la nature, la fonction de ces nationalisations ? Quelle doit être l'attitude de la classe ouvrière ?
Chavez a situé ces nationalisations dans le cadre de ce qu'il appelle la construction du " socialisme du XXIème siècle " et il a indiqué qu'il se proposait de " nationaliser tout ce qui avait été privatisé ". Le gouvernement des États-Unis a eu une première réaction très menaçante et a demandé des indemnités pour les capitaux ; la Bourse de Caracas a réagi aussi avec une chute spectaculaire. Quelques jours après la situation s'est " normalisée " et la Bourse a recommencé ses cotations. Washington continue de considérer Chavez comme un danger mais ne parle pas de représailles économiques.
Le gouvernement du Venezuela a promis une indemnité aux anciens propriétaires et serait arrivé à un accord : " L'entreprise américaine (des États-Unis) AES Corp a pris l'engagement de vendre à l'entreprise d'État, Petróleos de Venezuela (PVDSA) avant le 30 avril prochain, 82,14 % des actions de cette entreprise pour une valeur de 740 millions de dollars " (La Nación, Argentine). La nationalisation procède d'une opération sur le marché boursier. Les intérêts des 100 000 actionnaires du pays -propriétaires de 13 % de l'entreprise- seront préservés et ils pourront garder leurs actions ou les vendre.
Il ne s'agit nullement de la mise en œuvre d'un programme d'expropriation du capital et encore moins d'expropriation révolutionnaire, mais plus simplement d'un élargissement de la propriété étatique dans le cadre social et politique du capitalisme, de la structuration d'une variante de " capitalisme d'État " dans laquelle le capital privé maintient des positions dominantes.
L'appréciation faite par Stalin Perez Borges -dirigeant du Parti Révolution et Socialisme et de l'UNT- au mois de septembre garde toute sa pertinence après les nationalisations : " C'est un gouvernement encore capitaliste, sui generis dans le sens qu'il a pris des mesures populaires et qu'il est indépendant de la politique de l'impérialisme américain mais il continue d'être un gouvernement capitaliste. Les patrons continuent à exister, les relations de production n'ont pas changé. Les travailleurs continuent à avoir une relation entre le capital et le travail soumise à la même loi que dans le passé. " (Entretien à Viento Sur, septembre 2006.)
Un aspect décisif de ces nationalisations est qu'elles ne touchent pas les entreprises argentines. La déclaration du 8 février de la tendance C-CURA de la UNT (Courant de Classe, Unitaire, Révolutionnaire et Autonome, de l'Union Nationale de Travailleurs) souligne l'importance de l'entreprise sidérurgique SIDOR et demande sa nationalisation. Or, quelques jours auparavant, Chávez avait promis à Kirchner de ne pas nationaliser SIDOR : " les entreprises argentines situées au Venezuela ne courent aucun risque. Les entreprises de téléphone et d'électricité qui appartiennent à des capitaux américains sont notre cible. Elles ont l'habitude d'exploiter notre peuple ; les capitaux latino-américains sont une autre histoire " (Déclarations à la presse, La Nación, 19 janvier).
Indemnités, pas d'expropriation générale et révolutionnaire, pas d'intervention de la classe ouvrière, pas de changement de nature dans le processus de production et d'organisation générale de la production : telles sont les caractéristiques des nationalisations de Chávez. Il a demandé les pouvoirs spéciaux pour les mener à bien de manière négociée et cela à la demande de la bureaucratie.
Tout indique que l'objectif réel de ces nationalisations est l'exploitation pétrolière de l'Orinoco. Aujourd'hui, de grandes entreprises pétrolières mondiales interviennent dans cette exploitation : 3 entreprises américaines, la française Total et d'autres entreprises américaines. Chávez indique qu'il veut récupérer pour PVDSA le contrôle de cette exploitation et qu'il est disposé à négocier. On devrait connaître les résultats de ces négociations d'ici au 1er mai et savoir si la " nationalisation " donne lieu à une autre forme d'association avec les entreprises étrangères.
Ces négociations s'inscrivent dans un cadre mondial de redistribution de la rente pétrolière et des conflits politiques, économiques et militaires que cela entraîne. L'impérialisme américain fait aujourd'hui de cette question la clé de sa domination mondiale, même si les négociations et les redistributions de cartes sont en cours. Elles se font à travers une guerre financière entre capitaux dans laquelle interviennent les États tant des puissances impérialistes que des pays dominés.

La crise est là, et son issue incertaine
L'État et la société au Venezuela n'ont pas changé de nature. Le secteur étatique est aujourd'hui dominant sur la base de l'appropriation de la rente pétrolière. L'État a mis en œuvre d'importants programmes sociaux en faveur de la population pauvre, mais les structures sociales qui engendrent la misère ne se sont pas modifiées en profondeur, comme le travail au noir et les conditions de travail, le logement…
La question du régime politique est essentielle au Venezuela. Les dernières élections ont vu à la fois une victoire majoritaire du Président et le maintien d'un régime de partis, avec une opposition politique très présente. Ces données devraient se prolonger. Mais la nouvelle constitution imaginée par Chávez prévoit la possibilité d'une réélection à vie.
Il semblerait qu'on s'achemine vers un régime bonapartiste avec une opposition tolérée à la marge des institutions.
Chavez représente un point d'équilibre dans le rapport de force entre le peuple, la classe ouvrière et l'impérialisme.
Dans ces conditions, les affrontements, les crises, les virages, vont se prendre " à l'intérieur " de l'appareil de gouvernement, sans débat public ni confrontation, en fonction de l'évolution de ce rapport de force. La véritable base sociale, nationale, de Chavez est étroite, c'est la bureaucratie.
Le régime politique et social alimente en effet une bureaucratie pléthorique -qui existait par ailleurs avant la présidence de Chavez. Cette bureaucratie est devenue un rouage indispensable au fonctionnement de l'Etat et de la société. Elle est corrompue et la richesse pétrolière alimente toutes sortes de prébendes. Stalin Borges donnait à son entretien, en septembre, à Viento sous le titre suivant : " La lutte contre la bureaucratie, la corruption et pour les droits des travailleurs sera très importante l'année prochaine. "
La bureaucratie et la cooptation de personnalités issues du mouvement populaire caractérisent tous les régimes politiques de gauche en Amérique Latine. Lula a incorporé à son gouvernement plus de 10 000 dirigeants des mouvements sociaux, Kirchner a désigné comme hauts fonctionnaires quelques anciens dirigeant du mouvement piquetero péroniste et les organisations se sont intégrées à l'appareil de l'État. L'action sociale de Chavez et les " missions " privilégient dans les quartiers pauvres ce type de mécanismes. Les " conseils communaux " vont l'institutionnaliser.

La question du parti unique
Dans un discours du 15 décembre 2006, Chavez a lancé l'idée du " parti unique ", c'est-à-dire d'une seule organisation pour tous les partis, tendances et militants qui soutiennent le gouvernement, la révolution bolivarienne et le socialisme du XXIe siècle. Il situe cette nouvelle organisation dans le fil de son propre mouvement, le MBR-200 de 1982, en ignorant les autres organisations, mouvements et tendances. Le parti unique vise à intégrer l'ensemble des forces politiques " chavistes " dans le même cadre contraignant, qui les prive d'indépendance par rapport au pouvoir, et à marginaliser toutes les autres.
Lors des dernières élections, seul le Mouvement V République a obtenu un résultat significatif -42 %- parmi les chavistes. Le 2ème parti, PODEMOS est arrivé à peine à 6,5 % des voix et le Parti Communiste a obtenu 3 %. Le PRS n'a pas pu se présenter. La population mobilisée dans les quartiers et les militants savent très bien que la MVR est une organisation clientéliste, structurée par les bureaucrates et alimentée par la corruption. Chávez essaie d'habiller de neuf ses moyens d'intervention politique, conscient que son verbe et son charisme ne sauraient suffire pour lui permettre de garder la capacité de jouer de l'antagonisme entre le peuple et l'impérialisme.
Le nouveau parti sera sans doute une coquille vide comme cadre politique d'élaboration et débat, et bien plutôt un lieu d'affrontement entre les clans et les factions. Le Parti Communiste qui hésitait à l'intégrer a décidé finalement de le faire après son Congrès de début mai.
Quant au PRS, sa situation est d'une grande faiblesse. Au mois de septembre, Stalin Borges reconnaissait qu'" on a été très lent dans la construction du PRS " et la raison de fond invoquée était les tâches de construction de l'UNT. Mais il insistait : " c'est un projet valable ". Trois mois plus tard, le PRS qui ne s'est pas structuré, qui a appelé à voter Chavez, serait obligé de se saborder et de s'intégrer dans le parti unique. Les révolutionnaires, les anticapitalistes, les militants du programme de la révolution socialiste ne se sont pas délimités, démarqués politiquement du chavisme et en payent maintenant le prix. Le PRS peut critiquer les indemnités pour les nationalisations, la bureaucratie, les privilèges, le capital financier qui fait des affaires et n'est pas touché ; il n'arrive pas à se structurer parce qu'il se considère comme une partie intégrante de la " révolution bolivarienne ", parce qu'il n'a pas préservé son indépendance politique.
La classe ouvrière et ses militants rencontrent des difficultés importantes pour manifester leur existence. L'UNT est en situation de crise et le gouvernement ne lui permet pas un fonctionnement réel, avec des dirigeants élus. Seulement 24 % des ouvriers sont syndiqués et les travailleurs au noir (la moitié de la force de travail) ne sont pas organisés. La mobilisation politique de la population et surtout des quartiers pauvres, qui est réelle, ne s'accompagne pas d'une activité propre de la classe ouvrière. Le " parti unique " va accentuer ce déséquilibre.

Un point de délimitation politique pour toute l'Amérique Latine
La politique et la nature du gouvernement Chávez ne peuvent s'envisager au seul niveau national mais bien dans leur dimension latino-américaine. Pour Caracas, il est clair que la " politique extérieure " et la " politique intérieure " constituent une seule et même chose. L'affrontement avec Bush l'explique, le pétrole aussi, mais la raison de fond est donnée par la profonde interdépendance des luttes politiques et sociales du continent. Trotski l'avait compris à la fin des années 30, quand il avait lancé l'orientation " Pour les États Unis Socialistes de l'Amérique Latine ", comme réponse aux questions démocratiques, d'oppression nationale et de lutte contre l'impérialisme et le capitalisme.
L'orientation de Chávez est de structurer un bloc avec Lula et Kirchner, et aussi Morales et Correa. L'action politique du " chavisme " est subordonnée à cette nécessité.
Or, Lula et Kirchner (si on laisse de côté le Mexique qui est un cas très particulier, frontalier des États-Unis avec laquelle il est lié par l'ALENA) représentent les 2 bourgeoisies les plus importantes de l'Amérique du Sud, avec une certaine capacité d'accès autonome au marché mondial mais complètement subordonnées à l'impérialisme et sans aucune volonté ni possibilité d'affrontement et de lutte nationale. Leur niveau de développement capitaliste est façonné par cette contrainte. Et ces 2 gouvernements sont les alliés politiques de Washington, malgré les conflits économiques dans l'OMC et autour du ALCA. Pour donner un exemple, le Brésil et l'Argentine assurent le contrôle militaire d'Haïti avec leurs troupes à la demande des États Unis ; l'Argentine participe à l'offensive contre l'Iran. La demande de Washington pour que Lula et Kirchner " calment " Chavez s'appuie sur les services rendus et le partenariat.
Le Venezuela s'est incorporé au Mercosur et ses liens avec le Brésil et l'Argentine déterminent l'ensemble de sa politique. Caracas a acheté quelques milliards de titres de dette extérieure de l'Argentine. Un gazoduc est prévu entre le Nord et le Sud du continent, qui changerait la carte des approvisionnements énergétiques. Les affaires avec Repsol, Petrobras, ENARSA, PVDSA, et autres grandes compagnies pétrolières, se succèdent. Petrobras est aussi l'ennemie jurée de la " nationalisation " du pétrole par Morales et ce fait montre jusqu'à quel point les nouveaux équilibres économiques recherchés sont plus déterminants que les solidarités proclamées de lutte contre l'impérialisme.
Le chavisme par lui-même est loin d'être une composante de la lutte révolutionnaire en Amérique Latine, comme semblent le proclamer certaines tendances comme le PSOL du Brésil. Il cherche une nouvelle forme de développement capitaliste, c'est-à-dire une impasse. Dans cette recherche, l'alliance avec Lula et Kirchner constitue un facteur de stabilisation et les affrontements avec Bush et l'impérialisme un facteur de crise et de déséquilibre.
Ces affrontements répondent, même si c'est de façon déformée, aux aspirations des peuples à leur émancipation, en partie aux luttes nationales et démocratiques. On sera à coté de Chavez contre Bush. Pour les révolutionnaires et les militantes qui travaillent pour une nouvelle force anticapitaliste, c'est un devoir élémentaire. Mais la clarification politique est à la fois la condition d'une réelle solidarité et la condition même pour ne pas enfermer les luttes d'émancipation dans l'impasse du nationalisme afin d'ouvrir la voie au socialisme du XXIéme siècle qui sera l'œuvre des travailleurs et des opprimés eux-mêmes.

Marcelo.N