Débatmilitant
Lettre publiée par des militants de la LCR
n°141
22 février 2007

Sommaire :
Face à l'offensive des partis du libéralisme, le camp des travailleurs
Contre les ravages de la dictature de la finance, la morale ou la lutte ?


Face à l'offensive des partis du libéralisme,
le camp des travailleurs

A en croire le PS, malgré quelques remous, Ségolène Royal aurait repris l'offensive. " Tous les socialistes sont fiers de leur candidate " assurait Hollande le lendemain de sa prestation télé. Sauf que, même si elle semble avoir grappillé quelques points à Sarkozy pour les intentions de votes au premier tour, c'est Bayrou qui grimpe dans les sondages. Bayrou, point neutre de la convergence droite-gauche qui aspire à mettre tout le monde d'accord d'autant plus facilement qu'il n'y a jamais eu aussi peu de différences entre les orientations des uns et des autres.
Selon l'IFOP, seules 40 % des personnes interrogées jugent " très différentes " les propositions des candidats du PS et de la droite. De fait, tous se situent dans le même cadre fixé par le Medef, ce dont sa présidente, Parisot, peut se réjouir : " la campagne est d'un bon niveau, pour la première fois depuis longtemps nous avons l'amorce d'un véritable débat économique et social "… Et d'ajouter, cynique, " la richesse n'est pas un cadeau posé sur la table qu'il faudrait se partager : elle doit être stimulée et accélérée " !
Alors que la croissance économique escomptée est d'au mieux 2 %, les entreprises du Cac 40, qui sont en train d'annoncer des profits records, s'apprêtent à verser cette année à leurs actionnaires près de 32 milliards d'euros de dividendes, soit 23,5 % de mieux que l'an dernier ! Des milliards issus des licenciements, du renforcement de l'exploitation et de l'appauvrissement des classes populaires.
Mais cela n'empêche pas les prétendants au deuxième tour d'expliquer qu'au nom de la réduction de la dette, du bon sens économique, de l'emploi, de l'ordre " juste ", on ne peut dépenser sans compter… Et chacun de revoir son chiffrage afin qu'il ne mette pas en péril les équilibres et l'ordre qu'ils nous vantent, celui des profits du Cac 40.

Bayrou, point neutre de la convergence et des contradictions de ses adversaires
L'entourage de ses deux principaux adversaires a beau s'énerver, Bayrou, l'homme du " centre " et de la synthèse, monte dans les sondages, jouant des contradictions de Sarkozy, l'homme quasi officiel du Medef qui n'en prétend pas moins défendre la " valeur travail ", et de S. Royal, qui se prétend de gauche et défend une politique libérale.
Captant à son profit une partie de ce que disent ses deux rivaux, et tout en se présentant comme le candidat " anti-système ", Bayrou prend la pose du président et appelle à concilier " l'économie la plus créatrice " avec " une visée sociale ". Et il annonce tranquillement son programme : " assainir les finances publiques, supprimer le déficit… augmenter la productivité de l'administration "… et de nouvelles exonérations pour les patrons.
Sur le terrain du " chiffrage " il revendique le pompon : son programme " ne coûtera rien ", il sera " entièrement financé par les économies "... c'est-à-dire par des coupes sombres dans les budgets publics. Qui dit mieux ? Lui n'est pas du genre à " multiplier des promesses tous azimuts "… Et comme premier ministre de son gouvernement, il verrait bien un homme de gauche… Strauss-Kahn par exemple…
Bayrou prétend faire " exploser le mur de verre " entre la droite et la gauche. Qu'il tienne ou non la route -ce qui nous importe peu- son succès profite des contradictions de ses deux rivaux… qu'il contribue à exacerber.
Ainsi, Sarkozy, tout en raillant le " projet curieux " de Bayrou, déclarait mercredi sur RTL que lui aussi, s'il était élu, associerait " au gouvernement des personnalités qui n'appartiennent pas à [sa] famille politique ", dont Kouchner…Ca tombe bien : celui-ci avait fait des avances il y a plusieurs semaines en expliquant qu'il était prêt à dire oui à Sarkozy " s'il y a un gouvernement d'union nationale, dépassant les clivages habituels, s'il y a une vraie équipe de France "…
Tout en cherchant à attaquer, il se peut bien que Sarkozy, contraint de fléchir au centre, ne fasse que continuer à travailler pour Bayrou…

Le numéro d'équilibriste de S. Royal
Ségolène Royal est elle aussi passée à l'offensive, accusant le candidat centriste de " confusion molle "… Pas de quoi masquer sa propre incohérence, elle qui inscrit son programme dans le cadre libéral et veut " alléger l'Etat central et jacobin ", tout en " écoutant " les classes populaires.
Hollande a beau vanter " un projet d'harmonie et de compromis, où chacun peut se retrouver dans un progrès social qui est aussi un projet économique ", et Royal affirmer qu'" il n'y a pas d'incompatibilité entre la sécurisation des salariés et la compétitivité des entreprises ", la réalité capitaliste est là, qu'a récemment résumée Parisot : " pour une entreprise, il n'y a pas de choix, il faut faire du profit ".
Et lundi soir, la candidate du PS est revenue sur ses propos de Villepinte concernant le SMIC : ce sera 1500 € bruts (à peine plus de 1200 € net) " sur 5 ans " et non plus " dès que possible "… S. Royal a beau réorganiser son équipe de campagne, elle ne peut occulter la réalité de son programme. Et le départ bruyant de Besson, ex-spécialiste économique du PS mais aussi ex-dirigeant de Vivendi, rappelle que le PS a aussi des liens solides avec le monde patronal.
Le PS fait le travail des autres… comme il le fait depuis longtemps, entre autres au gouvernement, au service de l'offensive contre les classes populaires. Et S. Royal tient à se revendiquer de ce bilan : " J'ai passé sept ans auprès de François Mitterrand, je connais tous les arcanes de la présidence de la République et du gouvernement, j'ai été trois fois ministre, quatre fois députée, je suis aujourd'hui présidente de région, je connais les rouages de l'Etat ".
Pour tenter de tenir compte des aspirations sociales de la population, il ne lui reste plus alors qu'à jouer la " mère la morale " défendant, à côté du libéralisme, des principes démocratiques, humanitaires, d'une façon d'autant plus appuyée qu'ils sont plaqués, vidés de tout contenu réel.

La rupture des partis parlementaires avec l'opinion
C'est à une même contradiction que sont confrontés les principaux candidats, tous intégrés dans la politique du patronat : comment défendre le capitalisme libéral, la brutalité des licenciements, de l'exploitation, la concurrence sauvage, la loi du plus fort… et tenir un minimum compte des aspirations démocratiques de l'immense majorité de la population.
L'évolution de l'ensemble des partis parlementaires vers la droite et le centre que traduit la candidature Bayrou, par delà les sondages et leur variabilité, est la conséquence de cette contradiction.
Confrontés à l'opinion publique dont ils se disputent les suffrages, ils cherchent à éviter, à retarder ou à masquer la rupture entre leur politique et les classes populaires… une rupture bien réelle, qui est en train de s'approfondir parmi toute une fraction de la jeunesse et du monde du travail. Et plus ils tentent de la masquer, plus ils la soulignent. Obligé de combattre la politique du rival, chacun souligne le propre vide de la sienne, ses propres contradictions, d'où émergent, seules, les exigences du Medef.
Là est bien le fond non seulement de cette campagne mais de la situation politique. La question n'est plus droite, gauche, centre… mais bien la politique du Medef à laquelle chacun se plie d'une façon ou d'une autre.
L'enjeu de la bataille politique, tant sur le terrain social qu'électoral, est bien d'opposer une autre politique à celle du Medef, une politique pour le monde du travail, une politique pour les luttes qui conteste le droit des patrons et des gros actionnaires à diriger l'économie et la société.

Les exigences sociales et démocratiques incompatibles avec la logique du profit
L'enjeu pour les révolutionnaires est de donner des arguments, des perspectives aux aspirations du monde du travail. Elles ne pourront trouver de débouché que dans l'affrontement avec la poignée de gros actionnaires qui dirigent l'économie et soumettent l'ensemble de la société à leurs intérêts.
Face à l'offensive de la bourgeoisie, notre campagne permet de faire entendre la légitimité des classes populaires et de leurs exigences et pose le problème de qui dirige, qui décide. Pas de salaire inférieur à 1500 € net et 300 € de plus pour tous, interdiction des licenciements, contrôle des salariés et de la population sur les comptes des entreprises et sur les comptes publics, aucune de ces exigences n'est acceptable aujourd'hui par la bourgeoisie et son personnel politique.
Chaque étape de l'offensive du patronat pour diminuer le coût du travail, augmenter ses profits, soumettre l'Etat à son service, chaque plan de licenciement, chaque délocalisation est une démonstration qu'il n'y a pas d'issue dans le cadre institutionnel, que la seule réponse ne peut venir que des luttes, de l'organisation du monde du travail, de l'union de ses forces pour faire face. Et chaque lutte pose la question du pouvoir, qui décide ?

Unir les forces du monde du travail, vers le parti des luttes
On ne changera pas les choses par la voie parlementaire. C'est cette divergence essentielle qu'il y avait derrière la discussion avec José Bové, les antilibéraux et le PC autour de leurs 125 propositions communes. J. Bové (qui trouvait récemment que " même s'il manquait beaucoup de choses ", les 100 propositions de Ségolène allaient " dans le bon sens ")… a choisi d'appeler à l'" insurrection électorale contre le libéralisme économique ". En reprenant cette formule qui date de la bataille référendaire contre le TCE, il reproduit les illusions de cette période. Ce n'est pas sur le terrain électoral que l'on peut renverser le rapport de forces, la démonstration en a été largement faite, mais sur le terrain social et politique des luttes, à travers l'action collective des travailleurs pour imposer leur dû.
Les élections ne sont qu'un instrument pour aider à leur préparation.
Les luttes et les résistances contre les licenciements, pour les salaires dans cette période électorale témoignent de la révolte et d'une lucidité nouvelle parmi toute une fraction du monde du travail, particulièrement les jeunes. Les exigences sociales et démocratiques se discutent largement et la campagne électorale encourage les débats politiques. Parmi ceux qui veulent résister, la rupture vis-à-vis du PS s'approfondit mais aussi vis-à-vis du PC, ouvertement dépendant de l'appareil du PS pour ses 13 000 élus… D'où la crise qui s'approfondit en son sein.
Les échos rencontrés par nos idées témoignent du besoin de trouver des arguments, des perspectives, une cohérence. Malgré le rouleau compresseur idéologique des apologistes du système, une liberté nouvelle est en train de se former qui a besoin d'être encouragée, armée, pour oser imaginer une autre société.
L'unité de toutes les forces qui combattent contre la politique libérale menée depuis plus de 25 ans apparaît plus que jamais nécessaire. Mais face à l'offensive et aux pressions des forces politiques institutionnelles, les faiblesses du camp anticapitaliste apparaissent, les divisions. Cet émiettement freine même si, d'une certaine manière, il fait partie de la clarification en cours… nécessaire pour le dépasser, pour oser écrire la continuité de la campagne contre le TCE, des luttes de la jeunesse et des salariés contre le CPE, pour aider au regroupement, loin des calculs d'appareil.
On ne peut que regretter que Lutte Ouvrière n'ait pas ce souci, alors qu'Olivier Besancenot et Arlette Laguiller, seuls dans cette campagne à défendre clairement le camp des travailleurs, oeuvrent dans le même sens. On ne peut que regretter que l'extrême gauche ne soit pas capable de dépasser les vieilles divisions pour peser ensemble sur la situation et aider au regroupement tout en créant les conditions du débat, des confrontations, au moment où les idées de la contestation et de la transformation sociale deviennent accessibles à des milliers de travailleurs, de jeunes.
Ce sont ces idées que la campagne nous permet de développer, auxquelles il nous faut donner un contenu actualisé, concret, avec l'audace d'affirmer un projet d'avenir, de poser la question du pouvoir.
La campagne des révolutionnaires, celle d'Olivier Besancenot, sont l'occasion de gagner autour de nous à ces idées, de regrouper dans les entreprises, les quartiers, les lycées ou les facs les jeunes et les moins jeunes, de donner l'envie de s'organiser, de prendre pleinement part au combat social et politique, de faire vivre le parti du monde du travail et des luttes.

Carole Lucas

Contre les ravages de la dictature de la finance,
la morale ou la lutte ?

 

Interrogé il y a une semaine sur l'expatriation des capitaux pour échapper à l'impôt, Sarkozy répondait, dans les Echos, " je veux poser clairement dans cette campagne la question de la moralisation de la mondialisation financière. Nous n'avons pas créé l'euro pour avoir un capitalisme sans éthique et sans morale. Je suis extrêmement préoccupé par les mouvements spéculatifs. Qui peut tolérer qu'un "hedge fund" achète une entreprise grâce à des emprunts, licencie 25 % des salariés pour les rembourser et la revende par appartements ? Pas moi. Dans cette économie-là, il n'y a aucune création de richesse. L'éthique du capitalisme, c'est que celui qui crée de la richesse gagne de l'argent et que celui qui crée beaucoup de richesse gagne beaucoup d'argent. C'est normal. En revanche, la spéculation n'est pas normale. Le capitalisme ne survivra pas sans le respect d'un minimum de règles éthiques. La zone euro doit être à l'avant-garde de cette réflexion. " Les remèdes qu'il envisage ? " Si je suis élu président de la République, je demanderai au ministre des Finances de porter, au niveau européen, une proposition de moralisation et de sécurisation du capitalisme financier. A cet égard, la taxation des mouvements spéculatifs est une idée qui me paraît intéressante si elle est portée au niveau européen. "

Ce que dit S. Royal n'est pas bien différent. S'insurgeant à l'occasion contre " l'argent rapace ", elle propose un " renforcement de l'Etat pour que la France n'ait plus peur de la mondialisation ", et contre ses " excès ", elle veut agir pour : " maîtriser la mondialisation en oeuvrant à une plus grande transparence et efficacité des instruments de régulation - Introduire à l'OMC une hiérarchie des normes qui équilibre les mesures de nature commerciale par le respect des normes sociales et environnementales - Réformer profondément le FMI et la Banque mondiale pour en faire des instruments au service du développement humain - Mettre en place une taxe sur les flux financiers de type Tobin ".
La préoccupation principale de la grande majorité de la population - l'emploi, les salaires- et la révolte que suscitent la débauche de profits et de dividendes et le cynisme de destructions d'emplois n'ayant pas d'autre but que d'augmenter les richesses d'une minorité de financiers, s'imposent aux principaux candidats à la présidentielle et les contraignent à prendre position.
Mais les prétentions de Sarkozy et de Royal à incarner la modernité, le progrès et la démocratie se heurtent à la réalité du système qu'ils défendent ou justifient. C'est dans les mécanismes même de ce système, ses liens avec l'Etat, qu'il faut chercher les causes de l'incapacité, maintes fois démontrée, des gouvernements à s'opposer un tant soit peu aux ravages occasionnés par la mainmise toujours plus grande du capital financier sur le fonctionnement de la société. Agir pour défendre le progrès et la démocratie suppose de s'opposer aux intérêts des rapaces de la finance. L'éthique, c'est la lutte des exploités…

Un monde dominé par la concurrence, c'est-à-dire la loi du plus fort, l'anarchie et la spéculation
Aujourd'hui, les frontières internationales sont ouvertes à la libre circulation des capitaux. Les anciens monopoles nationaux, privés ou d'Etat, qui s'étaient développés dans les principaux pays industriels depuis la fin du 19ème siècle ont trouvé dans cette ouverture de nouvelles possibilités d'expansion. Ils se sont transformés en multinationales, implantant leurs filiales dans les pays pauvres, augmentant considérablement leurs profits par l'exploitation d'une main d'œuvre bon marché et dépourvue de droits sociaux, par l'accès à de nouveaux marchés libérés des droits de douane, et bénéficiant de conditions fiscales très avantageuses.
Le développement qui en découle dans les pays pauvres s'accompagne de situations dévastatrices identiques à celles que décrivait Engels, en 1845, dans " La situation de la classe laborieuse en Angleterre " : expropriation et ruine de millions de paysans, petits artisans et commerçants, devenant candidats prolétaires, s'accumulant à la périphérie des villes industrielles dans des conditions de vie terribles, faisant pression sur les salaires.
Des changements profonds se sont produits en retour dans les anciens pays industriels. Ils ont touché de plein fouet la classe ouvrière, contrainte, sous la pression de la concurrence d'un marché du travail international et du chômage, à de multiples reculs. Mais aussi les autres catégories, travailleurs indépendants, et toute une couche de petits patrons. Des secteurs industriels ont disparu, tels par exemple, en France, celui du textile, dans lequel n'ont survécu, en tant que " patrons du textile ", que les plus gros, ceux qui ont pu délocaliser.
Tandis que la grande majorité de la population est soumise à une crise sociale qui s'aggrave en permanence, tandis que l'anarchie de la production met à mal les ressources énergétiques et prépare une catastrophe écologique, les affaires n'ont jamais été aussi bonnes pour le monde de la finance. Les entreprises du CAC40, et celles qui leurs sont proches, accumulent les profits, les dividendes versés à leurs actionnaires battent des records, et la Bourse est redevenue le lieu où se joue la concurrence entre ces immenses entreprises, et le lieu, du même coup, de toutes les spéculations, à un niveau jamais atteint.

Une " industrie financière " qui joue les fruits du travail humain au casino des marchés
Le système financier actuel est dominé par les fonds d'investissement, gérés essentiellement par des banques, captant les fonds de millions d'épargnants par le biais de SICAV et autres OPCVM (1), et par les compagnies d'assurances ou les fonds de pension, disposant de l'argent déposé par des millions d'assurés ou de futurs retraités. Ces groupes financiers, par la capacité que leur donne la maîtrise des investissements, exercent de fait leur contrôle sur toutes les entreprises, donc sur l'ensemble de l'économie. En 1990, les fonds d'investissements ne représentaient que 1 % des actionnaires dans les entreprises du CAC40. En 2005, la proportion atteignait 50 %, dont 30 % de fonds d'investissements étrangers et 20 % français.
Les profits affichés par les entreprises du CAC40, les dividendes qui sont reversés aux actionnaires ne sont pas le produit de ces jeux financiers, mais du travail humain, détourné de son utilisé sociale. Ils sont tout d'abord le produit de l'exploitation salariale sous toutes ses formes, dans la production des biens et des services : transports, commerce, communication, fourniture de main d'œuvre précaire, santé, finance… D'après Alternatives économiques, le profit par salarié des entreprises non financières du CAC40 serait passé de 20 700 € en 2000 à 33 300 € en 2005, soit une augmentation de plus de 60 %. C'est le résultat de l'aggravation des conditions d'exploitation des salariés en France, de la surexploitation de la main d'œuvre des filiales étrangères, et, dans une certaine mesure, de la modernisation des équipements, permettant de produire plus avec moins de salariés.
Le mécanisme de la dette permet aux banques et autres organismes de crédits de capter toute une partie du surproduit social qui échappe à l'exploitation salariée : celui des travailleurs indépendants, artisans, commerçants, paysans, mais aussi des petites entreprises. Cela se fait directement, par le biais des intérêts de crédits bancaires. Et indirectement, à travers la dette publique, qui draine une bonne partie du produit des impôts dans les caisses des créanciers de l'Etat. Tout comme elle sert aux institutions financières des pays riches à s'approprier, par l'intermédiaire du FMI et de la Banque mondiale, une partie considérable des richesses des pays pauvres.
La dette publique constitue en elle-même un concentré de " l'amoralisme capitaliste ". Elle assure un flux d'argent garanti et permanent, qui détourne vers les poches des bailleurs de fond de l'Etat une partie croissante des ressources publiques. Elle constitue en même temps un lien de dépendance de l'Etat vis-à-vis des ces institutions financières, celui qui assujettit tout débiteur à son créancier. Cette dette s'élève à plus de 1000 milliards d'euros, 66 % du PIB, les deux tiers des richesses produites en France en un an.
Le service de la dette, la somme que dépense l'Etat pour payer les intérêts, s'est élevé en 2006 à 39 milliards d'euros. Il constitue ainsi le second poste budgétaire de l'Etat, après celui de l'Education nationale, l'équivalent de la somme des budgets de l'armée, de la justice, de la diplomatie et de l'intérieur. Une somme que se sont partagée les créanciers de l'Etat, des institutions financières, fond d'investissements, banques, etc., dont 65 % sont françaises.
Cet argent est prélevé sur le produit de l'impôt, dont la plus grosse partie vient des impôts indirects, TVA et TIPP, qui pèsent essentiellement sur les plus bas revenus. Un cadeau, puisé dans la poche des plus pauvres, qui s'ajoute aux multiples subventions dont bénéficie le patronat, tandis qu'impôts sur le revenu et impôts sur la fortune ne cessent de faire l'objet des attentions du gouvernement.
De l'argent qui vient se rajouter aux profits de l'exploitation du travail salarié, et dont le résultat se mesure à l'augmentation des profits des entreprises du CAC40, de 54 % entre 2000 et 2005, le record étant détenu par GDF, dont les profits ont été multipliés par 5,5 pendant cette période. Depuis 2005, la tendance n'a fait que se confirmer. Les profits 2006 des sociétés du CAC 40 devraient dépasser largement le record de l'année précédente, et atteindre plus de 85 milliards d'euros. Total vient d'annoncer 12,6 milliards d'euros de bénéfices.
Ces masses de capitaux, toujours plus importantes et circulant à la vitesse de la lumière, alimentent et se gonflent en retour de la spéculation, qui devient une des activités les plus lucratives des institutions financières. Au point que certains parlent maintenant d'une " industrie financière " dont les fleurons sont les sociétés de capital risque, de LBO, et les Bourses…

LBO ou le privilège d'investir l'argent que l'on n'a pas
Les sociétés de " capital risque " (Hedge funds) avaient vu le jour dans les années de la " nouvelle économie " pour financer les " pépinières d'entreprises ". Les sociétés de LBO, (Leverage Buy Out, acquisition à " effet de levier "), spécialisées dans la " restauration " des entreprises en difficulté, exploitent, pour " faire de l'argent ", un procédé appelé " effet de levier " : emprunter de l'argent à taux bas, l'investir dans des opérations " juteuses ", et rembourser l'emprunt en gardant la différence. Un exemple suffit à comprendre le mécanisme de " l'effet de levier " : Si j'ai 100 € que j'investis dans un cycle de production qui rapporte 10 %, je possède 110 € à la fin du cycle. J'ai gagné 10 €, 10 % du capital que je possédais avant, comme prévu. Si maintenant j'emprunte 100 € à 5 %, que je les ajoute aux 100 € que je possède déjà et que j'investis le tout dans le même cycle de production, je vais récupérer 220 €. Je dois rembourser mon emprunt, avec son intérêt, soit 105 €. Il me reste 115 €. J'ai gagné 15 €. Avec un " apport personnel " de 100 €, j'ai tiré 15 % d'un processus qui n'en produit en réalité que 10…
Cet " effet de levier " miraculeux n'explique pas tout. Le rachat d'une entreprise dans le cadre d'une LBO s'accompagne d' " assainissements " et de " réorganisations " qui ont pour conséquence une diminution de la capacité de production de l'entreprise, s'accompagnant de licenciements massifs. Des parties de l'entreprise sont vendues ; une partie du capital jusque-là nécessaire à la production n'est plus dépensé. Les produits de la vente et les " économies " sur le capital circulant se retrouvent en fin d'exercice au bilan dans la rubrique " résultat net ", s'ajoutant au produit de l'exploitation du travail. Les dividendes, donc le rendement du capital investi, en sont gonflés d'autant. Ce qui explique des " rendements " d'opérations LBO qui peuvent atteindre 40 %, des achats d'entreprises remboursés en moins de deux ans ! Loin de participer à la " restauration " des entreprises, les sociétés de LBO tirent leur profit de leur dépeçage, de leur " mise à la casse ".
Des procédés certainement " amoraux " et totalement dépourvus " d'éthique ", qui se nourrissent des difficultés économiques que rencontrent bien des entreprises. Mais qui ne sont pas une déviance du capitalisme : ils sont le capitalisme même.
Car on retrouve " hedge funds " et " sociétés de LBO ", sous forme de filiales, au sein de tous ces grandes banques et institutions financières que l'on nous présente comme d'autant plus respectables qu'elles s'assurent des profits confortables : BNP-Paribas, Crédit Agricole, etc.. Même la Caisse des Dépôts et Consignations, " vénérable " institution financière publique, possède des fonds de LBO…
D'après les Echos, les " hedge funds " se seraient vus " confier " en 2006, à l'échelle mondiale, " 2 000 milliards de dollars à gérer, soit environ 20 % de la masse d'argent sous gestion dans les OPCVM et autres fonds collectifs, [par] les grands investisseurs institutionnels de la planète (fonds de pension, banques, assureurs, etc.)… ".
Ces derniers trouvent dans les sociétés de LBO et les " fonds à risque " la possibilité d'augmenter considérablement le rendement d'une partie de leur capital. Elles assurent par la même occasion leur contrôle sur une grande partie des transactions financières, expression de la concentration et de la centralisation du contrôle du capital financier entre des mains toujours plus réduites. La structure pyramidale des groupes financiers en filiales multiples juridiquement autonomes contrôlées par une " holding ", permet au groupe lui-même et à ses dirigeants de se tenir à l'abri des " risques " : si une filiale spécialisée dans le " risque " fait faillite, celle-ci s'arrête à ses portes. Les pertes pour le groupe sont limitées au capital de contrôle placé dans la filiale, de toute façon déjà plus que largement remboursé.

La Bourse, le temple des orgies spéculatives…
L'ouverture du marché mondial des capitaux, en relançant la concurrence entre les capitalistes pour le contrôle financier des entreprises, s'est traduite par un renouveau du rôle des Bourses, qui ont retrouvé une place centrale dans les transactions financières. Les Bourses sont au cœur même de la concurrence que se livrent de gigantesques groupes industriels et financiers de dimension internationale. C'est à la Bourse que se jouent les opérations de concentration et de centralisation, dans la guerre sans trêve que se livrent les multinationales à coup d'OPA et d'OPE, avec leur cortège de restructurations et de licenciements.
Pour garder leur contrôle sur un groupe, en particulier en cas d'OPA, les actionnaires majoritaires doivent s'assurer la fidélité des autres actionnaires (fonds d'investissements, fonds de pension,…). Pour cela, l'espoir de profits futurs ne suffit pas, il faut que cela se traduise par des versements de dividendes. C'est pourquoi on assiste depuis quelques années à une augmentation spectaculaire de la masse des dividendes, au détriment des investissements dans la production. Ainsi, en 1980, pour les entreprises du CAC40, les dividendes versés représentaient moins de 20 % des capitaux investis ; en 2005, le rapport atteignait 80 %.
Une société comme ACCOR a distribué en 2004 et 2005, 95 % de son bénéfice net sous forme de dividendes. Globalement, les entreprises du CAC40 devraient verser cette année 31,6 milliards d'euros de dividendes à leurs actionnaires, 23,5 % de plus que l'année précédente, qui avait connu, elle aussi, une augmentation équivalente.
Les actionnaires retrouvent ainsi la possibilité de tirer des investissements boursiers une rente importante. Ils n'en sont que plus poussés à la spéculation, dans l'espoir de gagner de l'argent à travers les échanges de titres, contribuant à l'augmentation du volume des transactions boursières.
Une aubaine pour les sociétés de Bourse. Servant d'intermédiaire dans les transactions, la vente et l'achat de titres (actions et obligations), elles perçoivent une " rémunération " de la part de l'actionnaire qui lance un ordre d'achat ou de vente. Cette rémunération est un pourcentage de la valeur globale de la transaction. Les transactions boursières sont ainsi devenues une source de " revenus " considérables, dont profitent les institutions financières privées que sont devenues les Bourses.
Ainsi, la Bourse de Paris, qui était jusqu'au milieu des années 80 contrôlée par les " agents de change ", officiers ministériels par lesquels passaient toutes les transactions, s'est transformée en société anonyme, fusionnant en 2000 avec les Bourses d'Amsterdam, Bruxelles et Lisbonne pour constituer la société Euronext, rejointe en 2002 par le marché à terme britannique Liffe. Euronext annonce pour 2006 des revenus de 1,102 milliards d'euros, en augmentation de 14,6 %. Des résultats comparables à ceux de bien des entreprises du CAC40.
Les " sociétés de bourse " tirent ainsi un profit bien réel du passage entre leurs mains d'une masse énorme capitaux virtuels et sont devenues une composante importante de " l'industrie financière ", s'achetant entre elles, soumises aux mêmes tendances de concentration et de centralisation. En même temps qu'elle annonçait ses résultats annuels, Euronext (cotée au marché Euronext Paris…) rappelait que sa fusion " entre égaux " avec la Bourse de New York est en bonne voie.
Et l'on comprend les raisons de la campagne de séduction qui se développe, à l'initiative de multiples sociétés de placement proposant leurs services sur Internet pour nous inciter à " jouer " en Bourse… par leur intermédiaire. Même l'écureuil de la Caisse d'Epargne s'y est mis, n'hésitant pas à expliquer aux jeunes comment s'y prendre pour faire de l'argent en dormant…

Le parasitisme de la nouvelle aristocratie financière
Le " patron propriétaire ", que prétendait illustrer le mythe Michelin, a disparu, pour laisser place à des réseau financiers, une nébuleuse inaccessible au commun des mortels, mais qui n'en possède pas moins effectivement l'entreprise, et à ce titre, décide en toute légalité des investissements, des délocalisations ou des fermetures et de la répartition des richesses produites. Ces réseaux sont dominés par une poignée de très gros actionnaires, les patrons de la finance.
A la tête de ces entreprises, on trouve des conseils d'administrations, qui nomment des PDG, investis des pleins pouvoirs. Les membres des grands conseils d'administration sont eux même " patrons " d'autres entreprises, minorité d'individus plus ou moins interchangeables, sortant pour la plupart de Polytechnique ou de l'ENA, et parfois des deux, contrôlant au plus haut niveau les institutions financières et les multinationales et intimement liés à l'appareil d'Etat lui-même, tels Mer, puis Breton, promus Ministres des Finances. On n'est jamais mieux servi que par soi même.
Ces " patrons " se payent, sur les profits, des " salaires " faramineux, des stock options qui sont des titres effectifs de propriété sur les entreprises qu'ils dirigent, échangeables contre de la monnaie sonnante et trébuchante, des " primes " qui peuvent atteindre des centaines d'année de SMIC… La motivation de ces femmes et de ces hommes est là : dans l'enrichissement dont la source vient des profits tirés de l'exploitation du travail et de la spéculation financière à grande échelle. Et cette motivation, ajoutée sûrement à celle, psychologique, de " gagner " contre la concurrence, est à la base de toute leur stratégie : dans le cadre de la concurrence, de l'économie de marché, la recherche permanente et à n'importe quel prix, du meilleur rendement pour les capitaux qu'ils contrôlent. Condition nécessaire, même si elle est parfois insuffisante, pour garder leur contrôle sur leur groupe, soumis, par le biais de la Bourse, à la menace permanente d'une OPA, c'est-à-dire de la prise de contrôle de leur source de profit par un prédateur concurrent.
L'ensemble de cet édifice n'obéit qu'à une loi, celle de la jungle des profits. Tout est pensé en terme de domination, de concurrence aveugle, de mépris de tout ce qui s'oppose à leur pouvoir… Leur éthique est celle des classes dominantes, celle qui justifie les privilèges exorbitants et illégitimes d'une minorité qui se met au dessus de la société, des lois, de la démocratie et méprise le monde du travail et sa solidarité.

Contre la dictature des institutions financières, une seule régulation possible, celle de la lutte des classes
A cette morale et à cette logique destructrice, nous opposons une autre logique, irréconciliable.
Cette logique, c'est celle des salariés qui, confrontés aux licenciements en cascade, au blocage des salaires, au recul des protections sociales, font face, refusent ce qui leur est présenté comme une fatalité, retrouvent le chemin de l'organisation et des luttes, ne croient plus aux promesses électorales.
Cette réalité politique s'impose aux candidats à la présidentielle et les contrait à centrer leur campagne sur les licenciements, les revenus, et la réponse aux ravages de la finance mondialisée. Mais ils n'ont pas d'autre solution à proposer qu'un peu de compassion, une " morale " hypocrite et mensongère, autrement dit des faux-semblants. Les plus audacieux vantent le renforcement d'un Etat dont tout prouve qu'il est totalement soumis aux institutions financières. Qu'ils soutiennent ouvertement le système capitaliste, ou qu'ils se contentent de le justifier, Sarkozy et S. Royal, n'auront pas d'autre politique que celle que leur dicteront les multinationales du CAC40 et leurs proches.
Car si ces multinationales n'ont plus de " national " que l'adresse de leur siège social, elles ne se privent pas pour autant d'utiliser " leur " Etat pour assurer leurs profits, tout comme pour utiliser les " armées nationales " afin d'assurer leur accès aux sources de matière première, imposer aux pays pauvres le paiement de la dette, ainsi que la " paix sociale " nécessaire aux affaires de leurs filiales.
La réponse aux ravages de la financiarisation de la société n'est ni dans l'éthique, ni dans le vain espoir qu'un changement de gouvernement serait en mesure d'imposer ses vues à l'aristocratie financière.
Elle est dans la conscience qui est en train de se développer au sein de la jeunesse, de la classe ouvrière, que la seule issue possible est dans la contestation collective du pouvoir de la bourgeoisie financière, dans la lutte pour nos droits de salariés, nos droits à la vie, à un travail, à un salaire décent. Cette lutte doit se donner pour programme la contestation du droit d'une minorité à assujettir la société dans son ensemble à ses intérêts privés. Cela passe par le contrôle démocratique des institutions financières par les travailleurs et la population.
Il n'y a pas d'autre régulation moderne et favorable à l'ensemble de la population du marché capitaliste.

Eric Lemel

1) OPCVM : Organisme collectif de placement en valeurs mobilières, sociétés regroupant des actionnaires et dont l'activité est le placement de titres (actions, obligations). Les SICAV (Société d'investissement à capital variable) sont une version particulière d'OPCVM.
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