Débatmilitant | ||||||||||
Lettre publiée par des militants de la LCR |
n°150
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26 avril 2007
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Sommaire : | ||||||||||
Pour battre Sarkosy et sa politique, le 1er mai, exerçons notre pression le plus à gauche possible | ||||||||||
La campagne de Lutte Ouvrière | ||||||||||
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Pour
battre Sarkozy et sa politique,
le 1er mai, exerçons notre pression
le plus à gauche possible
Le deuxième
tour se prépare dans la même confusion que celle dans laquelle
s'est conclu le premier, "la petite cuisine"
A défaut
de pouvoir se différencier sur le fond, les deux derniers protagonistes
continuent le petit jeu qui consiste à reprendre à son compte
tout ou partie du discours de ses principaux rivaux pour tenter de séduire
leur électorat. Le ballet croisé entre Royal, Sarkozy, Bayrou
et Le Pen continue en dépit des grandes déclarations contre les
manuvres politiciennes, le débauchage et le souhait d'un débat
d'idées projet contre projet. Ainsi, Sarkozy et Royal convergent vers
le centre
Royal semble prendre l'avantage en proposant à Bayrou
un débat public et
des ministres alors que les proches de Sarkozy
multiplient les appels du pied vers les centristes
En réponse,
Bayrou a comparé Sarkozy à Berlusconi. Ce dernier tient meeting
avec à ses côtés Besson, le transfuge qui se dit homme de
gauche votant pour un homme de droite mais qui cherche surtout à assouvir
de solides et médiocres rancoeurs dont Sarkozy fait son pain blanc, comme
avec les ralliés de l'UDF
Débat d'idées certes mais
qui semble surtout flatter les ambitions personnelles et les appétits
de pouvoir. Il n'est pas dit qu'à ce jeu Sarkozy soit gagnant malgré
l'avantage qu'il a réussi à obtenir à l'issue du premier
tour. Le grand rassemblement qu'il propose inclurait un pôle de gauche
dont Besson serait le représentant, un pôle centriste autour des
ralliés de l'UDF, le tout autour d'axes politiques repris à l'extrême
droite
Peut-être en fait-il trop ! Le Pen, qui avait fondé
sa campagne sur le calcul qu'au final, ce serait lui qui récolterait
le bénéfice électoral de la montée des idées
réactionnaires sous sa pression, en est pour ses frais et n'a qu'une
volonté, se venger de Sarkozy. L'original déteste la copie
Au point que Gollnisch a laissé entendre que Royal serait moins pire
que Sarkozy
2007 tourne la page de la période Chirac dans un climat délétère
de crises des partis institutionnels à travers lequel se façonnent
un nouveau paysage politique, de nouveaux rapports de force sur un fond de politisation,
d'irruption de la jeunesse sur le terrain politique. Et dominant la scène,
la crise sociale à laquelle ni Sarkozy ni Royal n'ont de réponse,
eux qui se plient aux exigences de la mondialisation capitaliste.
Le premier tour de la présidentielle semble avoir effacé le succès
du 29 mai 2005, le Non à la constitution européenne. Mais il y
a là une erreur d'optique. Confronté à la question du pouvoir
dans le cadre des institutions, des élections, le profond sentiment populaire
de refus de l'Europe de la concurrence libre et non faussée qui avait
désavoué les partis du Oui, tous les grands partis et d'abord
l'UMP et le PS, s'est trouvé désarmé, pris au piège
du vote utile, ne voyant pas les moyens d'y échapper.
S'exprime là la contradiction essentielle de la période : le mécontentement,
la révolte du monde du travail qui s'étaient largement exprimés
le 29 mai ou à travers la solidarité avec la lutte des jeunes
contre le CPE, restent encore prisonniers des institutions et du système
social lui-même que pourtant ils rejettent.
Cette contradiction s'exprime dans le large écho rencontré par
nos idées, par la campagne d'Olivier Besancenot et la faiblesse relative
des résultats des anticapitalistes, y compris de l'ensemble de la gauche
de la gauche.
Cette contradiction, c'est la contradiction entre la politique des partis institutionnels
soumis aux intérêts du Medef et les aspirations des classes populaires
qui n'ont pas l'instrument politique leur permettant de pousser jusqu'au bout
leur contestation de " l'ordre injuste ".
La période qui s'ouvre sera dominée par le développement
de cette contradiction qui s'exprimera par l'aggravation de la crise politique,
la montée et l'exacerbation de la révolte sociale et pose le problème
de la nécessité d'un nouveau parti des travailleurs complètement
indépendant des institutions et donc du PS et de ses satellites.
Cette question d'un nouveau parti est posée à une échelle
de masse.
La logique de la crise de la démocratie minée par la dictature
des gros actionnaires et de l'économie du profit est un déplacement
à droite de tous les partis qui se plient à cet ordre social.
L'axe de la vie politique parlementaire se déplace nécessairement
vers le populisme de la droite extrême ou de l'extrême droite. C'est
ce qu'a compris Sarkozy, poussé par son ambition et son besoin de rompre
avec la période Chirac. Chirac a été le personnage clé
de cette période de cohabitation droite-gauche d'abord parce qu'il fut
le Premier ministre de Mitterrand en 93 ensuite parce qu'il fut le président
de la République du Premier ministre Jospin.
Le 5 mai 2002 signe la fin de cette période dans la mascarade du deuxième
tour Chirac-Le Pen qui vit quasiment tout le pays voter à droite !
2007 ouvre une nouvelle période avec un axe de la politique parlementaire
qui se déplace à droite, très à droite, même
si ce déplacement annonce le déclin sinon la fin probable du FN
de Le Pen. Le grand rassemblement de droite que projette Sarkozy ouvrira largement
ses portes aux électeurs et militants du FN dont il reprend les idées
et préjugés.
Face à ce déploiement du populisme de droite, le PS est désarmé,
impuissant, paralysé parce qu'il est incapable de rompre avec le système.
Il reste prisonnier, dominé par les idées de celui qu'il prétend
combattre. Royal n'a résisté que parce qu'elle-même en tant
que femme, de par sa personnalité, elle représentait une rupture,
ou plutôt elle symbolisait une rupture que son programme trahissait !
Elle symbolise une résistance à l'arrogance de Sarkozy mais une
résistance désarmée.
Bien sûr, nous sommes solidaires de la grande majorité des travailleurs
et de la jeunesse des cités, de tous ceux qui veulent battre Sarkozy
en votant Royal. Nous sommes solidaires et comme eux nous souhaitons la défaite
de Sarkozy et les révolutionnaires ne veulent en rien faire obstacle
à la victoire au second tour de Ségolène Royal.
Mais c'est bien à elle de convaincre qu'elle est à même
de s'opposer à Sarkozy et à sa politique. C'est à elle
de démontrer qu'elle a entendu la volonté et les exigences de
ceux qui ont voté pour Olivier Besancenot ou plus largement pour les
candidats de la gauche du PS.
Si voter Royal, c'est voter pour un gouvernement avec Bayrou, ça ne peut
être un vote contre Sarkozy !
Que demain le PS gouverne avec les centristes pour mener une politique de droite
ne fera qu'amplifier le déplacement à droite de toutes les forces
politiques parlementaires. Les déceptions, les rancoeurs qui en résulteraient
ne pourraient que renforcer Sarkozy en créant un terrain favorable aux
idées de Le Pen.
Le 5 mai 2002, il fallait voter Chirac pour faire barrage à Le Pen et
aujourd'hui il faut faire barrage à Sarkozy qui reprend les idées
de Le Pen
Royal n'a quant au fond pas d'autre argument que le " Tout
sauf Sarkozy ". C'est court. De reculade en reculade, la gauche est
affaiblie, demain elle pourrait être explosée.
En mai 2005, nous avons dit non au référendum sur le TCE, non
à la concurrence libre et non faussée dont Royal et le PS sont
d'ardents défenseurs. Au printemps dernier, la jeunesse a imposé
à Villepin-Sarkozy le retrait du CPE, un recul qui était un pas
en avant considérable. Aujourd'hui, Royal nous propose si elle est élue
un CPC frère jumeau du CPE. Si elle réussit à canaliser
l'hostilité à Sarkozy en sa faveur dans le même temps qu'elle
négocie avec Bayrou, demain, au pouvoir, elle défendra les intérêts
des grands patrons, des riches, des classes dominantes.
Alors bien sûr, encore une fois, nous ne ferons aucun obstacle à
l'élection de Royal mais nous devons lui faire savoir que non seulement
nous ne nous rallions pas à elle et à son programme libéral
mais que nous entendons le combattre.
Oui, si nous utilisons notre bulletin de vote pour battre Sarkozy, l'essentiel
est que, dans la rue, le 1er mai, et après, nous nous donnions les moyens
de peser le plus fortement possible sur le plan social et politique pour défendre
les mesures d'urgence sociale et démocratique du monde du travail, pour
donner vie à la nécessaire alternative anticapitaliste, démocratique
et révolutionnaire pour mettre fin aux ravages de la mondialisation.
Le premier tour de la présidentielle souligne à quel point les
travailleurs, la jeunesse, tous les opprimés ont besoin de se donner
une expression politique qui les représente réellement, d'avoir
leur propre parti pour aider à l'organisation, à la généralisation
des luttes tant sociales que politiques, un parti qui conteste le pouvoir des
patrons pour lui opposer celui des travailleurs. Pendant des décennies,
le Parti Communiste a assumé, à sa façon, cette fonction
malgré sa longue complicité avec les mensonges, les trahisons,
les crimes du stalinisme. Il l'a assumée sans lui donner de perspective
autre que le vain espoir de changer la vie en allant au gouvernement avec le
PS. Le résultat est là, le PC est effondré, le bluff de
ses dirigeants ne peut masquer leur faillite et leurs reniements.
Dès aujourd'hui, il nous faut préparer la suite. Quel que soit
le vainqueur du deuxième tour, la lutte pour l'urgence sociale et démocratique
dans la perspective d'une transformation révolutionnaire de la société
sera à l'ordre du jour. Et c'est bien là pour les salariés,
les femmes, les jeunes, les chômeurs et les exclus, les sans papiers,
tous les opprimés, la question essentielle, comment s'y préparer.
La campagne d'Olivier Besancenot a posé les problèmes, ouvert
des perspectives, il s'agit de poursuivre la discussion sur les lieux de travail,
dans les quartiers, les facs et les lycées sur les moyens de construire
ce nouveau parti expression sur le terrain politique des intérêts
des travailleurs et des classes populaires, qui affirme une perspective en rupture
avec le capitalisme, un projet révolutionnaire, et puisse ainsi être
en mesure d'exprimer en permanence les intérêts des salariés
en toute indépendance des institutions et de la gauche gouvernementale.
La tâche est immense, mais à partir du moment où elle devient
une préoccupation pour des milliers de jeunes, de travailleuses, de travailleurs,
tout peut changer.
La campagne des législatives sera l'occasion de renforcer les liens nouveaux
qui sont nés de la présidentielle, de les développer, d'approfondir
les discussions juste ébauchées, de susciter les initiatives,
de les encourager.
La campagne et le score d'Olivier Besancenot sont un solide point d'appui pour
prendre l'offensive, donner confiance, montrer que c'est possible à condition
d'oser opposer en toute clarté, en toute indépendance, les exigences
des classes populaire à celles des classes dominantes .
C'est ce que nous dirons dans la rue le 1er mai, journée internationale
des travailleurs, ensemble, dans l'unité avec tous les anticapitalistes.
Yvan
Lemaitre
La campagne de
Lutte ouvrière s'est donc terminée par un score électoral
particulièrement décevant, passant de 1 630 045 voix
en 2002 à 486 495 voix en 2007.
Certes, un score électoral ne préjuge guère de la campagne
qui a été menée. C'est particulièrement vrai pour
des organisations comme les nôtres, surtout lorsqu'elles sont confrontées
à une pression considérable en faveur du vote utile. Dans un passé
proche, le succès de la campagne commune LCR-LO en 2004, visible au niveau
de l'affluence dans les meetings comme dans l'écho rencontré par
nos propositions, notamment celles sur l'arrêt des subventions aux entreprises
et le contrôle des comptes, n'a pas empêché un score médiocre,
tant l'envie de faire barrage à la droite était important.
Pourtant, force est de constater que cette pression, cette fois, ne s'est pas
exercée de manière égale sur tout le monde. L'écart
entre la LCR et LO est significatif, comme l'est également la progression
de la LCR, sinon en pourcentage, du moins en nombre de voix (1 494 446
voix en 2007 au lieu de 1 210 562 voix en 2002), malgré les
handicaps qui étaient les mêmes que pour LO.
Autre indice : le nombre de participants aux meetings d'Arlette Laguiller
a souvent été divisé par deux voir davantage, alors que
l'affluence aux meetings d'Olivier Besancenot a évolué dans les
mêmes proportions, mais en sens inverse.
Manifestement, et cela s'est ressenti de bien des façons, la campagne
de LO n'a pas suscité beaucoup de réactions -même si le
capital de sympathie pour Arlette est resté très important- provoquant
au mieux une écoute polie, comme si il était devenu manifeste
qu'au-delà d'une dénonciation du capitalisme, il n'y avait guère
de réponse et surtout de perspective à offrir à celles
et ceux qui attendent quelque chose de l'extrême gauche.
Il n'y a pas lieu de s'en réjouir. L'addition de nos voix comme la nécessité
de défendre ensemble un programme pour les luttes s'imposent comme une
évidence. Mais le pire pour les camarades de LO serait de minimiser ce
qui s'est passé, et d'en rester à quelques explications circonstancielles
ou anecdotiques, sur la situation -qui est pourtant la même pour tous-
ou sur l'âge de la candidate. La jeunesse de Besancenot ou sa bonne bouille
n'épuisent pas les raisons d'un succès ; choisir une candidate
plus jeune la prochaine fois pour représenter LO ne changera pas forcément
grand chose à l'affaire. Ce serait d'ailleurs mépriser nos électorats
que d'en rester là.
Ce n'est pas seulement une campagne mais une orientation politique qui a révélé
ses limites le soir du 22 avril. En 2002, Lutte ouvrière ne s'était
pas contentée d'appeler à voter blanc contre Le Pen et Chirac.
Elle en avait fait le geste politique décisif, s'en prenant même
aux électeurs de gauche accusés de se "prostituer".
En 2007 le choix a été à l'inverse de se prononcer clairement
en faveur de Ségolène Royal "par solidarité avec
tous ceux qui, dans les classes populaires, déclarent préférer
tout sauf Sarkozy" (déclaration le soir du 1er tour le 22 avril).
Le retournement est spectaculaire, presque caricatural. Il montre une réelle
difficulté à construire une orientation cohérente dans
la durée.
La campagne de 2007 ne s'est pas été seulement traduite par un
recul, elle a mis en lumière le désarroi d'une direction qui ne
cesse désormais d'hésiter entre plusieurs politiques contradictoires,
tout en s'enfonçant dans le déni au nom d'une prétendue
pureté révolutionnaire.
Pendant longtemps, Lutte ouvrière a voulu apparaître comme une
organisation intransigeante face à la LCR. La réalité est
devenue bien plus complexe, parce que la situation elle-même exige bien
d'autres raisonnements. LO comme la LCR sont confrontées aujourd'hui
aux défis d'une période nouvelle où il faut tout à
la fois assumer les tâches d'un parti et le construire, rassembler largement
et garder le cap d'un projet révolutionnaire
La quadrature du cercle,
peut- être, pour laquelle personne n'a de réponse miraculeuse.
Il n'empêche : les hésitations d'une campagne comme les incohérences
d'une stratégie montrent que quelque chose de sérieux coince dans
la politique de Lutte ouvrière, et qu'il n'est plus possible -sauf à
se scléroser davantage- d'évacuer entièrement ces questions.
Des questions qui bousculent il est vrai toute l'extrême gauche, LCR incluse,
preuve s'il en est qu'il y aurait bien besoin dans la période à
venir de renouer le fil du débat entre militants révolutionnaires.
Les
hésitations d'une campagne parfois ambiguë et contradictoire
Il nous faut d'abord revenir sur la campagne et constater à quel point
LO a semblé hésiter entre deux orientations plutôt contradictoires.
A la télévision, dans les meetings ou dans la profession de foi,
l'orientation défendue est restée sur le fond intransigeante face
à la droite et au patronat, tout en étant sans concession pour
Ségolène Royal, avec au cur du raisonnement la question
des luttes et du contrôle par les travailleurs.
C'est bien le camp des travailleurs qu'a voulu incarner la candidature d'Arlette
Laguiller : " Au premier tour, il faut avertir Ségolène
Royal que, si elle est élue, elle n'a pas un chèque en blanc et
que les travailleurs, les classes populaires, ne la laisseraient pas mener la
politique de la droite sans réagir. En votant pour ma candidature, vous
voterez pour que, face au camp patronal représenté aussi bien
par les principaux candidats de la droite que par la candidate de la gauche,
s'affirme le camp des travailleurs ! " (extrait du dernier
meeting à Nantes le 19 avril).
Pourtant cette campagne a connu en même temps une certaine inflexion,
notamment à l'occasion de la publication d'un quatre pages intitulé
" Un programme de défense des travailleurs " diffusé
très largement. Le propos est pour le moins ambiguë : " Je
ne discute pas de ce que devraient faire Nicolas Sarkozy, François Bayrou
ou Le Pen car ils ne prétendent même pas améliorer le niveau
de vie des classes populaires. Ce que j'expose donc ici, c'est ce que devraient
être les premières mesures d'une présidence et d'un gouvernement
vraiment socialistes ".
Il est évidemment juste de s'adresser à des électeurs préoccupés
de savoir si le programme des révolutionnaires est uniquement destiné
aux lendemains qui chantent ou si il est possible d'améliorer immédiatement
le sort des classes populaires, et si l'argent existe (c'est l'objectif de ce
quatre pages de chiffrer certaines des mesures proposées). Mais c'est
autre chose de laisser croire que ces mesures pourraient être prises simplement
par une " présidence représentant réellement
la population ", ou une gauche " vraiment socialiste "
(100 % socialiste ? Ou 100 % à gauche ?), en somme
un gouvernement honnête qui ferait de bonnes lois, sans préciser
quel Etat serait susceptible de prendre ces mesures, dans quel rapport de force,
avec quelles luttes, et surtout quelles serait la place des travailleurs et
de leur intervention dans ce processus. La question du contrôle par la
classe ouvrière et la population, réellement mobilisée
et organisée, a été ici complètement évacuée.
De manière paradoxale, la campagne d'Arlette Laguiller s'est voulue,
depuis l'annonce de sa candidature au lendemain du 29 mai 2005, en démarcation
totale avec les confusions entretenues autour du projet de " candidatures
unitaires antilibérales ". Or il y a justement dans ces formulations
de LO bien des confusions qui sont celles du discours antilibéral.
LO est même allé assez loin dans ce sens, comme le montrent certaines
affiches de la campagne : " La droite arrogante aide le patronat.
La gauche molle le respecte. Pour chasser la droite mais vous faire obéir
de la gauche, votez Arlette Laguiller ". Ou encore : " La
droite est plus qu'arrogante envers les travailleurs et la gauche est trop faible
avec le patronat. Imposez à la gauche d'agir vraiment sur le chômage,
le logement, le pouvoir d'achat en votant Arlette Laguiller ".
Le bulletin de vote ne peut évidemment pas changer le rapport de force
et obliger le Parti socialiste à faire une autre politique que la sienne,
c'est à dire celle qu'exige le patronat ! C'est pourtant ce qu'ont
voulu faire croire Marie-George Buffet et José Bové, mais également
de manière plus surprenante
Arlette Laguiller, même si c'est
en contradiction avec le reste de sa politique.
Voter
Arlette Laguiller, pour quoi faire ?
On ne peut évidemment que s'interroger sur ses motivations, bien que
ce ne soit pas la première fois que LO dénonce chez d'autres un
opportunisme qu'elle pratique elle même à l'occasion (1).
A l'évidence, l'isolement de Lutte ouvrière lui pèse, d'où
ses zigzag parfois surprenants, même si face à la LCR elle semble
revendiquer le fait d'être bien seule : " L'ironie sinon
de l'histoire, du moins de nos histoires parallèles avec la LCR, c'est
que la LCR finit par se retrouver dans la même situation que nous, aussi
isolée par rapport à ces courants [antilibéraux], et qu'elle
a été amenée à faire sous la pression des circonstances
ce que nous avons choisi de faire par choix conscient " (LDC
n°103, mars 2007, page 4).
Peu importe ici si l'appréciation sur la LCR est juste, ou juste caricaturale :
de toute façon la question reste posée de savoir si il est possible
pour l'extrême gauche de gagner désormais une autre influence sur
la base du petit crédit électoral qui est le sien depuis 1995.
Or faire la démonstration de son isolement et le revendiquer comme un
acquis n'a évidemment rien de convaincant, et ne plaide guère
en faveur de LO.
A quoi ont servi les 5 % d'Arlette Laguiller et qu'en a fait Lutte ouvrière
depuis 10 ans ? Certes bien peu de gens, au-delà des cercles militants,
lui reprochent sans doute clairement et explicitement de ne pas avoir réussi
à faire le parti, un projet qui était pourtant le sien en 1995,
du moins en apparence. Mais beaucoup sentent tout de même confusément
qu'il y a un problème, qu'ils expriment à leur manière,
en disant que "c'est toujours la même chose", ce que vient confirmer
à sa manière également Lutte ouvrière, lorsqu'elle
prétend qu'Arlette serait "la seule" à être "sincèrement
dans le camp des travailleurs".
Pour LO, un succès ne sera jamais suffisant pour faire autre chose que
recommencer la même campagne, un peu plus tard, et s'abstenir de la moindre
initiative entre temps, en se contentant de reprocher aux autres leurs inconséquences
ou leurs insuffisances. Mais dans ce cas, à quoi cela sert-il de donner
plus de voix, et plus de forces à Lutte ouvrière, si elle-même
n'a pas grand chose à proposer ?
La LCR depuis 2002 n'a sans doute pas beaucoup mieux réussi à
se dépasser elle même, sinon à prendre le risque de dériver
sérieusement autour des candidatures unitaires. Mais elle a su incarner
à sa façon un "vote utile" à l'extrême
gauche, en essayant à chaque fois de faire face à la situation
nouvelle et à ses responsabilités, même si les réponses
n'ont pas toujours été à la hauteur.
La
nécessité d'une véritable mue pour l'extrême gauche
La décennie qui s'achève a été celle d'une période
d'hésitation et de transition, pour la LCR comme pour Lutte ouvrière.
Les difficultés sont réelles, mais elles n'auront rien d'infructueux
si nous savons tirer les leçons jusqu'au bout.
La LCR est en train de faire une nouvelle fois l'expérience que l'ancienne
politique de ralliement à des forces réformistes, soi disant plus
à gauche mais le plus souvent inconsistantes, ne sert à rien.
Défendre un programme pour les luttes, un programme de rupture avec les
institutions de la bourgeoisie, et défendre son propre drapeau n'est
pas utopique.
Lutte ouvrière fait de son côté l'expérience d'un
échec. Son incapacité à comprendre les enjeux de la période,
à se dépasser elle même, ou simplement à s'ouvrir
aux préoccupations des jeunes, des travailleurs, et pas seulement des
"petits bourgeois", qui sont en rupture avec les partis de la gauche
de gouvernement, est d'abord un signe d'impuissance, et non la preuve d'une
grande fermeté révolutionnaire.
La nouvelle étape qui commence devrait donner à l'extrême
gauche une responsabilité plus grande face aux politiques patronales,
de gauche ou de droite. Il nous faudra assumer notre rôle d'aile marchante
de la résistance sociale et politique, et être à l'initiative,
parce que nous serons confrontés chaque jour un peu plus à l'inertie
des directions syndicales, à leur politique d'accompagnement et de "diagnostic
partagé".
Plus que jamais, nous aurons besoin de combiner une politique de rassemblement
dans les luttes, de débat permanent avec toutes celles et ceux qui veulent
s'opposer aux politiques patronales -quelque soit le gouvernement qui les mène-
et de construction d'un parti qui rassemble largement au-delà des petites
organisations d'extrême gauche, encore marquées par leur marginalité
passée, mais sans transiger non plus sur les questions fondamentales,
notamment celles de l'Etat et de nos rapports aux institutions.
La transition qui s'achève a montré la nécessité
pour cette extrême gauche d'opérer une véritable mue et
de se dépasser elle même. Lutte ouvrière, avec son expérience
propre, vient d'en faire les frais, à ses dépends. Ce n'est pas
le plus important ni le plus grave, si c'est l'occasion enfin pour ces camarades,
de rompre avec une décennie d'hésitation, de silence, et finalement
de paralysie.
Jean-François Cabral
1-
Pour ne prendre que quelques exemples, Arlette Laguiller n'a pas hésité
en 1999 à figurer en tête d'une manifestation "pour l'emploi"
(et non contre les licenciements), avec Robert Hue, au moment où ce parti
au gouvernement entérinait la deuxième loi Aubry sur le temps
de travail. Pourtant, en 1996, LO avait boycotté la manifestation initiée
par les cinéastes contre la double peine en 1996 sous prétexte
que la gauche alors dans l'opposition ne ferait pas mieux une fois au pouvoir.
Mais pourquoi boycotter si c'est ensuite pour se retrouver aux côtés
de Robert Hue lorsque son parti est au gouvernement ? Rappelons également
que juste avant la manifestation des cinéastes, au printemps 1996, Arlette
Laguiller s'était adressée à plusieurs reprises à
Robert Hue en se disant prête à appeler à voter pour le
PCF lors des prochaines législatives, si celui-ci reprenait les mesures
essentielles de son programme d'urgence
Le grand écart est manifeste.
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